COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 7

Jeudi 1er décembre 2005
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de Mme Paulette Guinchard et M. Pierre Morange, coprésidents

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, M. Jean-François Carrez, président de la cinquième chambre, M. Georges Capdeboscq, conseiller maître à la cinquième chambre, M. Jean-Pierre Bayle, conseiller maître à la cinquième chambre, M. Jean-Louis Beaud de Brive, conseiller maître, président de la Chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées, Mme Rolande Ruellan, conseillère maître, présidente de la 1ère section de la sixième chambre, M. Noël Diricq, conseiller maître à la sixième chambre, et Mme Marine Camiade, auditrice à la cinquième chambre

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- Audition de M. Carayon, sous-directeur de la 6e sous-direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

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- Audition de Mme Myriam Revel, sous-directrice en charge de l'organisation du système de soins à la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère de la santé et des solidarités

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes, M. Jean-François Carrez, président de la 5e chambre, MM. Georges Capdebosq et Jean-Pierre Bayle, conseillers maîtres à la 5e chambre, M. Jean-Louis Beaud de Brive, conseiller maître, président de la chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées, Mme Rolande Ruellan, conseillère maître, présidente de la 1ère section de la 6e chambre, M. Noël Diricq, conseiller maître à la 6e chambre, et Mme Marine Camiade, auditrice à la 5e chambre.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir et l'honneur de recevoir, pour cette première audition de la matinée, M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes, M. Jean-François Carrez, président de la 5e chambre, MM. Georges Capdebosq et Jean-Pierre Bayle, conseillers maîtres à la 5e chambre, M. Jean-Louis Beaud de Brive, conseiller maître, président de la chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées, Mme Rolande Ruellan, conseillère maître, présidente de la 1ère section de la 6e chambre, M. Noël Diricq, conseiller maître à la 6e chambre, et Mme Marine Camiade, auditrice à la 5e chambre.

Je donne tout de suite la parole à M. le Premier Président, pour qu'il nous fasse part des analyses de la Cour sur la problématique des personnes âgées dépendantes.

M. Philippe Séguin : Les préoccupations qui ont été de celles de la Cour ces derniers mois rejoignent en partie celles qui sont les vôtres aujourd'hui, et je suis heureux de pouvoir présenter devant vous les grandes lignes de notre travail sur les personnes âgées dépendantes.

Notre société vieillit, et de plus en plus de familles sont désormais confrontées à des situations de dépendance et à la question de leur prise en charge. Le problème est tout sauf théorique, et constitue pour chacun de nous un défi considérable sur le plan matériel et financier, à titre individuel comme à titre collectif.

Le défi est de taille : comme vous le savez, le nombre de personnes âgées dépendantes est appelé à progresser de 50 à 70 % d'ici 2040. De 800 000 en 2000, ce nombre pourrait en effet passer à 1 000 000 en 2020 et à 1 300 000 en 2040. Les maladies entraînant des troubles psychiques pourraient, quant à elles, toucher plus de 135 000 nouvelles personnes par an.

C'est à la fois pour mieux mesurer l'enjeu et pour évaluer les réponses qu'ont commencé à y apporter les pouvoirs publics que la Cour a décidé de se saisir de ce sujet et d'y consacrer un rapport public particulier. Ce document nous a demandé deux ans de travail et nous a conduits à mener notre enquête tant au niveau national, auprès des ministères notamment, qu'au niveau local, dans les directions départementales et régionales de l'action sanitaire et sociale, les conseils généraux et les établissements publics d'hébergement. Nos investigations ont mobilisé deux chambres de la Cour, la 5e et la 6e, ainsi que 13 chambres régionales des comptes, ce qui nous a donné un échantillon très représentatif.

Les travaux de votre Mission se concentrent sur les questions plus particulières de financement de l'investissement en établissement. C'est un sujet que la Cour a abordé aussi, mais indirectement. Son angle d'attaque a été plus global et elle a cherché à dresser un tableau d'ensemble des modalités de prise en charge, à domicile et en établissement, des financements et de l'organisation institutionnelle actuels.

Première question posée, celle de l'offre de services : celle-ci est-elle suffisante, adaptée et bien répartie ? Quel a été l'impact des réformes récentes comme la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou la réforme de la tarification ?

Le désir profond des personnes est de rester le plus longtemps possible chez elles. L'aide à domicile était déjà à ce titre l'objectif prioritaire dans le rapport Laroque de 1962. Des progrès ont été réalisés depuis avec la mise en œuvre de l'APA ou le développement des services de soins à domicile. Néanmoins, l'offre reste trop dispersée et encore bien inférieure aux besoins. Les personnels sont très peu qualifiés et le secteur est peu attractif du fait de conditions de travail difficiles et d'une faible rémunération.

Les besoins de modernisation du secteur sont donc importants, mais l'État peine à y répondre. Il n'a pas su arbitrer entre un objectif qualitatif privilégiant les interventions de personnels qualifiés et un objectif quantitatif qui le conduit à ouvrir largement le secteur à des personnes en difficulté et en demande d'emploi quel que soit leur niveau de qualification.

Autre paradoxe : alors que les associations d'aide à domicile sont soumises à tout un ensemble d'exigences administratives, d'agréments et d'autorisations, la qualité de leurs prestations n'est finalement presque jamais contrôlée et les départements commencent tout juste à vérifier si les intervenants à domicile financés par l'APA viennent effectivement apporter l'aide prévue.

Si l'objectif est effectivement de permettre aux personnes de rester le plus longtemps possible chez elles, il devient aujourd'hui urgent d'accélérer la modernisation du secteur de l'aide à domicile. La Cour dessine en ce sens plusieurs voies : désigner un interlocuteur unique de la personne âgée, promouvoir des services intégrés polyvalents - à la fois services de soins infirmiers à domicile et services d'aide à domicile -, développer la formation et orienter les personnes âgées les plus fragiles vers les personnels les plus qualifiés - alors qu'il se passe souvent le contraire aujourd'hui.

Enfin, on aurait tout intérêt à reconsidérer et à mieux soutenir le rôle de l'entourage en faisant de l'« aide aux aidants » un volet du plan d'aide APA et en développant des structures d'accueil temporaire pour procurer aux familles des temps de « répit ». Ce dernier point est important : aider un peu plus l'entourage peut avoir un fort « effet de levier » et permettre à l'ensemble du dispositif de maintien à domicile de tenir.

Néanmoins, il faut bien convenir que le maintien à domicile a ses limites, notamment pour les personnes les plus dépendantes et celles atteintes de troubles psychiques. Dans certains cas, l'entrée en institution apparaît comme la solution la mieux adaptée.

La Cour s'est également penchée sur les conditions d'hébergement en institution et s'est à cet égard posé deux types de questions : celle de la capacité du parc existant à accueillir un nombre croissant de personnes âgées et celle de l'adaptation des structures à des résidents de plus en plus âgés et dépendants.

En termes de capacité, les situations sont très hétérogènes d'un département à l'autre mais on note une baisse globale du taux d'équipement, le rythme de création de places étant inférieur à la croissance du nombre des personnes âgées. Cette baisse est d'autant plus préoccupante que les besoins à venir sont évalués d'ici 2010 entre 36 000 et 100 000 lits. Si on y ajoute les besoins en investissement pour la mise aux normes et la réhabilitation qu'exigent 20 à 30 % des places, les besoins d'investissement pourraient atteindre 10 à 30 milliards d'euros dans les vingt prochaines années.

Par ailleurs, les établissements d'hébergement sont confrontés à des enjeux d'un nouvel ordre : le résident d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celui d'hier. Plus âgé, plus fragile, il nécessite plus de soins et d'aide, tandis que les exigences en matière de qualité, de confort, ou d'animation se font également plus pressantes.

La réforme de la tarification des établissements et la campagne de conventionnement, lancées en 1997, avaient précisément pour ambition d'accroître la médicalisation et la qualité de l'accueil et de favoriser la convergence entre établissements. De fait, les établissements conventionnés ont effectivement bénéficié de moyens supplémentaires, en effectifs soignants notamment. La prestation spécifique dépendance puis l'APA ont permis de mieux prendre en charge les frais liés à la dépendance.

Malgré tout, la Cour dresse un bilan mitigé de la réforme. Elle déplore notamment sa grande complexité et l'instabilité réglementaire qui a constitué, à elle seule, un véritable défi pour les gestionnaires d'établissements et pour les autorités chargées du suivi de la réforme. Par ailleurs, les modalités de mise en œuvre retenues n'ont permis d'atteindre l'objectif de convergence que partiellement, et l'avenir de certaines catégories d'établissements n'est toujours ni défini ni assuré.

On constate également que le programme de médicalisation est en quelque sorte « rattrapé » par l'accroissement du niveau de dépendance des personnes nouvellement accueillies. La médicalisation et les taux d'encadrement restent insuffisants, même dans les établissements conventionnés.

Les autorités pilotant la réforme n'ont su mesurer ni l'évolution de la qualité ni celle des tarifs d'hébergement à la charge des résidents, autant de sujets qui intéressent pourtant au premier chef les familles. Face à des charges de fonctionnement croissantes et à de forts besoins d'investissement, les tarifs d'hébergement tendent à augmenter alors qu'actuellement ils sont déjà difficilement assumés par les personnes les plus modestes.

Ainsi, la réforme n'a atteint que partiellement ses objectifs. En outre, elle n'a pas été un exemple d'efficience. Les crédits alloués n'ont pas été véritablement encadrés, et l'assurance maladie est à ce jour dans l'incapacité de chiffrer le coût de la réforme, notamment le coût des soins de ville dont peuvent bénéficier les résidents en sus des forfaits de soins déjà attribués.

De ce bilan en demi-teinte, la Cour tire plusieurs recommandations ; elle estime notamment nécessaire de revoir les modalités de la réforme de la tarification, en supprimant progressivement les dispositifs entravant la convergence et en assurant un meilleur encadrement des crédits d'assurance maladie.

Il parait également indispensable que l'administration se dote d'un système de suivi de l'évolution des coûts d'hébergement et des effets de la réforme sur la qualité des installations et des services rendus.

Enfin, pour répondre à la très grande dépendance ou aux situations nécessitant une forte médicalisation, la Cour recommande la redéfinition du rôle des unités de soins de longue durée pour qu'il existe une catégorie de services permettant la proximité d'un plateau technique et une surveillance médicale continue.

Si je devais résumer d'un mot cette première série de constats sur l'offre de services, je dirais qu'avant même l'arrivée de la vague annoncée de nouveaux cas de dépendance, le système paraît déjà débordé et mal adapté. Et il n'est pas certain que, dans sa configuration actuelle, il puisse faire face aux besoins à venir. Deux questions se posent tout particulièrement : celle de son financement et celle de son organisation institutionnelle.

La Cour s'est livrée pour la première fois à un travail de chiffrage, au terme duquel elle a estimé les dépenses publiques en faveur des personnes âgées dépendantes à 15 milliards d'euros environ, dont 60 % sont pris en charge par l'assurance maladie, 10 % par les autres risques, 20 % par les départements et 10 % par l'État. Ce montant est appelé à augmenter fortement sous l'effet du vieillissement, mais aussi sous celui d'exigences accrues en matière de qualité des prestations, qui impliquent l'accroissement des besoins en personnels, notamment qualifiés, et la modernisation des structures d'accueil.

On a déjà évoqué le rôle déterminant des familles. Néanmoins, face à la vague attendue du vieillissement et de l'augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes, on ne peut pas escompter des familles un soutien croissant, d'une part parce que le nombre des aidants potentiels va progresser moins vite que celui des personnes âgées dépendantes, et d'autre part parce que l'évolution des modes de vie rend difficile l'organisation de l'entraide familiale.

La collectivité est donc appelée à prendre en charge une part croissante du coût de la dépendance.

Mais il faut avoir à l'esprit que, même en comptant les recettes créées en 2004 avec la suppression d'un jour férié, les ressources actuelles ne suffiront pas à faire face à l'enjeu financier à venir. Les recettes de la journée de solidarité apporteront chaque année un peu plus d'un milliard d'euros alors que d'ici une quinzaine d'années, l'APA et les prestations d'assurance maladie demanderont à elles seules, selon les estimations de la Cour, entre 6 et 9 milliards d'euros supplémentaires. Et que dire du besoin d'investissement, qui pourrait quant à lui atteindre entre 10 et 30 milliards d'euros alors que les dispositifs d'aide publique en la matière restent marginaux ?

La Cour ne veut pas dire que l'effort soit insurmontable, mais elle souligne que, sans anticipation, le défi financier ne pourra pas être relevé. Or les travaux de projection sont encore trop rares. Le plan « Vieillissement et solidarités » mis en œuvre à la suite de la canicule de l'été 2003 ne concerne que le très court terme et ne dresse aucune perspective au-delà de 2007. Nous insistons donc à plusieurs reprises dans le rapport sur la nécessité de mieux chiffrer les besoins et de mieux préparer l'effort financier à venir.

Il faudra dépenser plus, sans doute, mais il faudrait aussi dépenser mieux et faire des choix. Nous avons ainsi voulu montrer que les ressources actuelles ne sont pas utilisées de façon optimale. Certaines dépenses, notamment les dépenses fiscales, sont globalement très importantes, mais ne bénéficient qu'en minorité aux personnes qui sont dans les situations les plus difficiles. C'est pourquoi la Cour recommande de cibler davantage les aides sur les personnes présentant les plus hauts niveaux de dépendance et percevant les plus bas revenus.

Le dernier point à souligner au sujet du financement - et qui permet de faire la transition avec les remarques sur l'organisation institutionnelle qui suivent - concerne la complexité du système, qui a atteint un tel degré que l'on ne parvient que difficilement à savoir qui paye quoi et qui va être appelé à payer plus. Cette complexité se retrouve dans l'organisation institutionnelle, marquée aujourd'hui par un enchevêtrement extrême des responsabilités et des compétences.

Si le département joue désormais un rôle central dans la politique en faveur des personnes âgées, la décentralisation n'a pas été poussée à son terme. Le département continue à partager bon nombre de compétences avec l'État, l'assurance maladie et les caisses de retraite.

Il aurait pourtant été possible d'organiser la prise en charge de la dépendance de manière plus simple, et plus cohérente. Deux voies étaient envisageables : la voie d'une décentralisation accrue qui aurait fait des départements le point d'accès unique aux prestations de dépendance, y compris les prestations d'assurance maladie ; ou la voie de la création d'un cinquième risque confiant aux caisses de sécurité sociale la prise en charge globale de la dépendance. Cette seconde voie aurait notamment eu l'avantage de permettre une meilleure intégration des préoccupations sanitaires et médico-sociales, qui sont, dans les situations de dépendance, fortement imbriquées.

Il est assez remarquable de constater que les gouvernements successifs ont systématiquement évité de faire ce choix. Il est vrai que, dans les deux cas, les transferts de charges entre acteurs auraient été massifs et auraient modifié profondément les rapports de force qu'ils entretiennent. Un tel choix aurait pourtant eu bien des vertus et aurait marqué une refondation de la prise en charge de la dépendance. A cet égard, la création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), institution hybride entre l'agence et la caisse, illustre une nouvelle fois cette posture d'évitement.

La CNSA apporte bien sûr un certain nombre d'avancées : lieu d'expertise et d'animation de la politique en faveur de l'autonomie des personnes âgées comme des personnes handicapées, elle s'attachera également à mieux connaître l'état de l'offre et des besoins et à mieux répartir les crédits entre établissements et services. Malheureusement, elle ne simplifie en rien le système et ne remet en cause ni l'hétérogénéité des financements ni la dispersion des décideurs.

La complexité du système ne serait pas vraiment condamnable si elle ne concernait que les administrations parisiennes. Mais elle a des conséquences concrètes et immédiatement mesurables pour les personnes âgées et leurs familles, qui sont de ce fait confrontées à une multitude d'intervenants peu ou mal coordonnés. Ce schéma maintient des cloisonnements d'inspiration très administrative, pour ne pas dire technocratique, là où la personne dépendante ressent un besoin global, qui inclut les soins et une aide médico-sociale.

Face à ces difficultés, on peut toujours recommander que les différents acteurs travaillent ensemble ; on peut toujours encourager une meilleure coordination, une plus grande concertation. On peut également développer des commissions dédiées à ces convergences, mais au-delà du fait que cela exige une énergie considérable, il n'est pas certain que cela suffise à répondre à l'enjeu posé.

C'est pourquoi la Cour a voulu insister sur la nécessité de faire des choix, institutionnels notamment ; il faut choisir un pilote, et cesser de démultiplier les systèmes co-financés et co-gérés, qui, il faut bien le dire sont monnaie courante dans le secteur social et médico-social.

M. Pierre Morange, coprésident : Avant de donner la parole à Mme la Rapporteure, j'ai une première question : étant donné que le coût de l'hébergement est de plus en plus difficilement assumé par les familles et que la part de la contribution sociale généralisée (CSG) reversée à la CNSA est affectée à la prise en charge de la dépendance, c'est-à-dire à la médicalisation, à quelle nouvelle ressource pourrait-on recourir pour faire diminuer le coût de l'hébergement payé par l'usager ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Les travaux de la Cour des comptes fournissent une base solide à notre réflexion, mais je m'interroge sur certains points. Je me demande en particulier sur quels éléments objectifs reposent les projections, concernant par exemple le nombre de personnes qui seront atteintes de démence sénile, de troubles psychiques ou du comportement. Infirmière psychiatrique de profession, je me souviens que nombre de maladies étaient naguère considérées comme de graves problèmes de santé publique et ne le sont plus aujourd'hui, car on sait les traiter. Aussi m'interrogé-je quand je lis qu'on prévoit 125 000 nouveaux cas d'Alzheimer par an. La Cour insiste sur la nécessité de se donner de meilleurs outils de connaissance et de prospective, mais quels dispositifs précis préconise-t-elle à cette fin ?

M. Philippe Séguin : Le président Carrez va vous répondre, mais vous aurez observé la largeur et donc la prudence des fourchettes que nous donnons. J'ajoute, qu'à la demande du gouvernement, la Cour examine, en temps réel, les six premiers mois de fonctionnement de la CNSA et les modalités d'affectation des premières ressources collectées. Elle publiera un rapport sur ce point au mois de janvier prochain.

M. Jean-François Carrez : La Cour n'a évidemment pas la capacité de produire elles-mêmes des données ou analyses épidémiologiques. Ce qui nous a frappés, cependant, c'est à quel point on manque d'évaluations précises, y compris du point de vue médical, de la situation et de l'évolution des personnes. La dépendance est un sujet largement sous-exploré, et les fourchettes sont effectivement très larges : on estime ainsi le nombre de nouveaux cas d'Alzheimer entre 100 000 et 165 000 par an, sans que cela s'appuie sur des données très solides. Il faut espérer que la CNSA favorisera la production d'informations plus fiables.

Plusieurs organismes, dont le Commissariat général du Plan, essaient de mieux estimer l'ampleur des phénomènes et l'évolution des coûts, mais nous avons parfois l'impression que, pris de peur devant les chiffres qu'on découvre, ils ont tendance à privilégier l'hypothèse la plus optimiste. Notre intuition est au contraire que les estimations pèchent par modestie. C'est ainsi que certaines hypothèses que l'INSEE avait faites sur l'évolution de l'APA à l'horizon 2020 ou 2040 ont été dépassées, notre rapport le montre, dès 2005 !

Pour répondre à votre question sur les nouvelles ressources, il est certain que celles dont dispose la CNSA pour les personnes âgées dépendantes, c'est-à-dire 1,2 milliard d'euros, sont insuffisantes à couvrir des besoins estimés d'ici 2020, selon le rapport de la Cour, à 6 ou 7 milliards d'euros dans le meilleur des cas et à 10 ou 11 milliards d'euros dans l'hypothèse la plus haute. Même si l'on suppose que l'assurance maladie serait capable de suivre la progression pour la partie qui la concerne, et même si la contribution des familles est appelée à s'accroître, le problème ne sera pas résolu sans financement supplémentaire : soit par l'impôt, national ou départemental, soit par les cotisations sociales, soit par les familles.

S'agissant de l'aide à l'investissement pour l'hébergement, la logique du système actuel est d'amortir les coûts dans le prix de journée, étant entendu qu'il y a des dispositifs départementaux d'aide à la pierre, les villes apportant éventuellement un complément. Mais cela suffit à peine à rénover ou mettre aux normes le parc existant, sans même parler de l'augmentation des capacités, sur laquelle on a fait quelque peu l'impasse. A la différence du secteur privé commercial, qui arrive sans trop de difficulté, en sélectionnant fortement sa clientèle, à intégrer le coût des investissements dans le prix de journée, le public et le privé non lucratif ont un faible volume de constructions. Le rapport de la Cour montre que l'impact du coût de la rénovation sur le prix de journée est important, même s'il y a eu une légère atténuation au moment de la création de l'APA, et même si les investissements ne représentent qu'entre 10 et 30 % des dépenses. Si l'on ne trouve pas un nouveau mode d'aide au financement de ces investissements, on n'y arrivera pas.

M. Jean-Marie Le Guen : Quel est le poids du foncier ?

M. Jean-François Carrez : Il est faible quand les collectivités l'apportent ou le mettent à disposition, auquel cas il ne s'amortit pas dans le prix de journée. Mais à Paris, le prix d'un lit est prohibitif à cause, justement, du foncier : il est de 100 000 à 200 000 euros. Il y a donc des cas où le problème est quasi résolu, d'autres où il est très loin de l'être.

M. Pierre Morange, coprésident : Un représentant du centre communal d'action sociale de Paris nous a dit que le coût de la construction varie du simple au double entre la province et Paris, et ce même sans inclure le foncier, ce qui est proprement stupéfiant ! Il faudrait rechercher les explications de ce phénomène, qui n'est sûrement pas réductible à la seule complexité du tissu urbain parisien.

Avez-vous des idées particulières sur les nouvelles ressources auxquelles l'on pourrait recourir pour financer la prise en charge de la dépendance ? Vous me direz que c'est au politique qu'il revient d'arbitrer entre les trois sources possibles de financement que vous évoquiez, mais il n'est pas interdit aux magistrats de la Cour des comptes d'avoir un avis.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Je vais poser la question de façon plus directe encore. Vous dites clairement qu'il faudra passer à un dispositif de taux d'encadrement, prévu par la loi de 1975 pour l'ensemble des établissements mais jamais appliqué. Pensez-vous vraiment que la solution réside dans un encadrement clair ? Et si l'on veut éviter que le coût de l'investissement ne se répercute sur le prix de journée, quel est le meilleur système ? Allocation logement ou aide à la pierre ? Et dans le cas de l'aide à la pierre, à quel niveau doit-il intervenir ? Départemental ? National ?

M. Jean-Louis Beaud de Brive : En matière de tarifs d'hébergement, quelle est la situation actuelle ? Dans la nouvelle tarification ternaire, il y a une section d'hébergement dans les établissements, et ceux-ci doivent, de par les textes, inclure l'amortissement dans la section d'investissement. Dans certains, qui sont anciens, tout est déjà amorti ; dans d'autres, qui viennent d'être construits ou rénovés, l'amortissement est élevé et a un fort impact sur le prix de journée. S'imputent également les frais financiers si l'établissement a emprunté pour investir, et il aura d'autant plus recouru à l'emprunt que le taux de subvention du départements est faible. Tout cela explique que la situation soit relativement hétérogène d'un établissement et d'un département à l'autre.

M. Jean-Marie Le Guen : N'est-il pas aberrant que l'impact soit direct sur le prix de journée ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : C'est moi qui ai signé le décret.

M. Jean-Louis Beaud de Brive : C'est le principe de la tarification ternaire introduite en 1999 : une section soins financée par l'assurance maladie, une section dépendance financée en majorité par l'APA et un peu par les personnes, une section hébergement financée par les résidents.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand on voit que l'écart des coûts de prise en charge va de un à trois, on peut douter que cela s'explique uniquement par des facteurs comme ceux que nous venons d'aborder, même si le taux de subvention apporté par le département peut varier entre zéro et 40 %.

M. Jean-Louis Beaud de Brive : Nous avons fait une étude, portant sur dix départements, pour connaître le prix moyen de journée dans les structures publiques et privées non lucratives. Il en ressort que le taux de dispersion est assez élevé. A Paris, le coût de la construction est deux fois plus élevé qu'ailleurs, mais cette différence ne se retrouve pas dans le prix de journée, qui n'est que de 40 à 50 % supérieur. Cette situation de grande dispersion est cependant à nuancer du fait des différentes politiques d'aide sociale menées par les conseils généraux, et qui peuvent avoir pour effet d'atténuer le coût de la prise en charge. Chaque année, les établissements doivent soumettre au conseil général leur budget et leur tarification, qui sont l'objet d'une négociation, compte tenu, justement, des aides sociales à l'hébergement, dont le total, à l'échelle de la France, représente un milliard d'euros.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Il faut poser la question de la clarification des tarifs d'hébergement, car un jour quelqu'un finira par déposer plainte pour discrimination. En long séjour, par exemple, on est confronté à la question de la fin de vie : sa prise en charge relève-t-elle de la dépendance ou du sanitaire ? La solution réside peut-être dans un forfait spécifique, du type forfait hospitalier, avec encadrement accru des aides au logement et identification plus forte de la compétence d'investissement. Jusqu'où êtes-vous allés dans vos réflexions sur ce point ?

Mme Rolande Ruellan : Il ne faut jamais perdre de vue qu'il y a, derrière tout cela, des fonds publics. La CNSA fera sans doute des études détaillées, mais actuellement, on n'a pas une vision très claire de ce que doit être la bonne répartition des personnes âgées entre les unités de soins de longue durée, les maisons de retraite et les services de gérontologie des hôpitaux - où se trouvent des personnes en fin de vie qui ne sont pas en état d'être transportées ailleurs. Mais je ne suis pas sûre que l'on puisse poser en principe, compte tenu de l'état des finances publiques et sociales, que toutes les personnes qui sont en train de finir leurs jours en maison de retraite, et qui n'ont pas forcément besoin de soins considérables, doivent être exonérées, au motif qu'à l'hôpital elles ne paieraient rien - sauf le forfait hospitalier, qui a régulièrement augmenté ces dernières années, mais que les mutuelles prennent en charge, alors que seules les assurances privées prennent en charge les forfaits en établissement.

Il faut réfléchir sur les limites de l'effort global de la collectivité. La Cour a pointé l'insuffisance du ciblage des avantages fiscaux. Un meilleur ciblage permettrait de récupérer de l'argent, mais encore faudrait-il avoir la certitude que les gens sont dans des formules d'hébergement qui correspondent à leur état. Actuellement, la pénurie est telle que les familles n'ont guère le choix et que les hôpitaux ne peuvent pas se débarrasser d'une personne qui n'a pas d'autre hébergement ailleurs. C'est toute la répartition des dépenses publiques, y compris fiscales, qui doit être repensée.

M. Jean-Louis Beaud de Brive : Nous avions, dans notre travail de chiffrage, évalué à 300 millions d'euros l'aide personnalisée au logement versée aux personnes âgées dépendantes en institution. Reste à savoir ce que cela représente, pour les bénéficiaires, au regard du coût de l'hébergement. Notre rapport, d'autre part, appelle l'attention, sans d'ailleurs proposer de solutions, sur l'ampleur des investissements à réaliser dans les prochaines années. Il faudra corriger l'imputation sur le prix de journée afin que la contribution des familles ne s'alourdisse pas de façon excessive.

M. Jean-François Carrez : Il n'y a pas de solution à écarter a priori, pas même celle qui consisterait à faire supporter le coût par l'assurance maladie. Il n'est pas absurde que le prix de journée payé par le résident comporte une part de l'amortissement de la construction dans laquelle il est logé. Toute la question est de savoir jusqu'à quel niveau c'est supportable et au-delà de quel niveau il faut introduire une régulation. La logique voudrait plutôt que cette régulation intervienne sous forme d'une aide à la pierre, mais on peut explorer la piste des aides au logement, qui ont davantage cours dans les logements-foyers que dans les maisons de retraite proprement dites.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Le choix du système de financement est lié à celui du niveau de compétence : doit-il être national, départemental ? Les responsables de la CNSA se sont bien rendus compte que l'on ne peut pas séparer la problématique sanitaire, gérée par les agences régionales de l'hospitalisation, de la problématique médico-sociale, qui relève des départements, et c'est pourquoi l'une des premières choses qu'ils ont faites a été de lancer les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC).

La question de savoir si l'on prend en charge du sanitaire ou du médico-social est capitale, que ce soit dans le domaine du handicap, des personnes âgées ou, maintenant, de la fin de vie - car la durée moyenne de séjour en établissement des personnes âgées dépendantes est de plus en plus courte. Est-ce que celle-ci doit être prise en charge par l'assurance maladie ou par un dispositif spécifique ? Est-ce qu'elle doit l'être différemment selon l'âge, selon qu'on a, par exemple, plus ou moins de soixante ans ? Ce sont des questions qui ne sont jamais abordées, mais auxquelles il faudra bien répondre le jour où nous serons attaqués devant la Cour européenne de justice pour discrimination.

M. Pierre Morange, coprésident : Le Premier Président a bien résumé les choses en disant qu'on n'a jamais tranché le débat entre la création d'un cinquième risque et une logique de décentralisation plus poussée. Il est illusoire de chercher à établir à tout prix une frontière entre le médical et le médico-social. C'est le fond du problème.

Mme Rolande Ruellan : Il ne revient pas à la Cour, sur des sujets aussi politiques, de choisir entre des options, mais d'ouvrir la réflexion. Cela dit, on peut naturellement envisager une autre répartition des contributions financières, et mon sentiment, à titre personnel, est que le tabou de la décentralisation a fait obstacle à la mise en place, s'agissant des personnes âgées, d'un système cohérent. On a voulu, au nom de l'égalité, offrir sur tout le territoire des prestations définies au plan national, mais qui sont des prestations d'aide sociale financées par les départements, de sorte qu'il a fallu établir une péréquation entre eux. Toute cela parce qu'on n'a pas voulu remettre en cause la compétence départementale comme on l'a fait pour l'aide médicale, maintenant assumée par la couverture maladie universelle. Faut-il nationaliser la partie soins et la partie dépendance, financer l'APA par un dispositif de type cinquième risque et laisser aux collectivités l'aide sociale à l'hébergement et les subventions aux investissements des établissements ? En tout cas, il faut définir plus clairement qui paye quoi.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Les contrôles opérés sur les finances des maisons de retraite font-ils apparaître l'existence d'une comptabilité analytique digne de ce nom dans ces établissements ?

M. Jean-Louis Beaud de Brive : Nous avons travaillé sur un échantillon d'une cinquantaine d'établissements, et la synthèse que nous avons faite traduit des situations très contrastées. La qualification des personnels, y compris de direction, est très inégale : certains établissements voient les directeurs intérimaires se succèder à un rythme rapproché, d'autres ont heureusement des gestionnaires très qualifiés. La capacité à maîtriser la comptabilité analytique est donc extrêmement variable, et dans certains cas les comptes étaient loin d'être fiables et sincères, comme nous l'avons d'ailleurs écrit.

M. Jean-Marie Le Guen : La difficulté ne tient pas seulement au manque de connaissances, mais aussi à la différence dans les stratégies d'approche face à la dépendance et aux maladies neuro-dégénératives. Selon l'énergie, en effet, que l'on mettra à développer les actions de prévention à l'approche du grand âge, actions qui demandent d'ailleurs moins de médical que de social, l'impact en aval sera plus ou moins fort. Actuellement, ce ne sont pas les mêmes personnes qui ont la responsabilité de la prévention de la dépendance et celle de sa prise en charge, ce qui aboutit à une aberration financière et humaine, dans la mesure où les premiers, n'ayant d'autre stimulation à réussir que leur conscience et leur surmoi, peuvent être tentés de s'en remettre aux seconds, tout en créant parallèlement un goulet d'étranglement au niveau de la prise en charge dans le but de protéger l'hôpital. Les querelles sur les chiffres recouvrent en fait des politiques de prévention et de prise en charge extrêmement différentes, entre lesquelles il faudrait arbitrer, de même qu'il faudrait arbitrer entre médicalisation et socialisation de la problématique de la dépendance, ainsi que de celle de la fin de vie. L'idéal serait d'avoir à la fois une unité de commandement et un système récompensant les bonnes pratiques, mais un tel volontarisme signifierait un profond bouleversement de notre offre de soins.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : J'ai été frappée de ce que dit le rapport de la Cour sur l'absence de contrôle de la qualité du service rendu, tant à domicile qu'en hébergement, alors même que la nouvelle tarification devait permettre de mieux prendre en compte cette dimension. Plus de coordination est évidemment souhaitable, et les centres locaux d'information et de coordination gérontologique (CLIC) ont beaucoup apporté, de ce point de vue, dans certains endroits - mais pas dans tous. Peut-on utiliser l'arme de la fiscalité pour aider à l'organisation du secteur ? Peut-être, mais la loi Borloo, qui vise à multiplier les emplois de services, va encore compliquer les choses, car il y a ambiguïté, voire contradiction entre le développement de ces emplois et la recherche de la qualité. Vous l'aviez d'ailleurs bien vu, M. le Premier Président, quand vous étiez ministre des affaires sociales, et l'étude d'exemples étrangers nous serait utile.

Il y a également une question plus technique, que la Cour a soulevée et que nous devrons relayer. Une partie de la réforme de la tarification est liée au glissement financier d'une partie des soins de ville vers la médicalisation des établissements, mais nous n'avons aucune information précise là-dessus. Avec le recul, je me demande si c'était, du point de vue de la qualité de la prise en charge, une très bonne idée.

Mme Rolande Ruellan : Il y a sans doute aussi des économies à faire. Or, on a fait, je le dis comme je le pense, divers cadeaux aux groupes de pression, sur le forfait global et le forfait partiel, ou du fait que les médicaments ne sont pas compris dans le forfait lorsqu'il n'y a pas de pharmacie à usage intérieur. C'est en partie à cause de petites choses comme celle-là que les dépenses d'assurance maladie ont dérapé par rapport à ce qui était prévu.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Sans doute, mais dans certaines maisons de retraite, la prise en charge de certains traitements très coûteux est difficile en cas de forfait global. Il faudrait d'ailleurs aborder plus franchement le problème de la consommation de médicaments par les personnes âgées, surtout à la lumière des chiffres fournis par le rapport de la Cour, qui indiquent qu'entre entre 10 000 et 18 000 personnes, âgées ou non, meurent chaque année d'une surconsommation ou d'une erreur de prescription - et ce aussi bien à domicile qu'en hébergement, en dépit de la présence de médecins et de soignants !

M. Jean-Marie Le Guen : En dépit de cette présence ou à cause d'elle.

M. Pierre Morange, coprésident : Le médicament sera l'un des thèmes d'étude de la MECSS en 2007, et nous analyserons notamment les comportements des consommateurs comme des prescripteurs.

Sans vouloir déflorer le rapport que la Cour rendra public en janvier, quelle impression d'ensemble retire-t-elle des débuts du fonctionnement de la CNSA ?

M. Philippe Séguin : Formellement, le Premier ministre nous a demandé de vérifier que l'argent du lundi de Pentecôte était bien parvenu jusqu'à la Caisse. Il semble que tel soit bien le cas. Pour le reste, le rapport est en cours d'élaboration, et je m'interdis d'aller plus loin.

Pour apporter une petite touche d'exotisme, je voudrais dire un mot du rapport, déjà paru, de la Cour sur l'immigration. Les décennies qui viennent seront marquées par une très forte poussée de l'immigration de main-d'œuvre, répondant à des besoins exprimés de façon pressante par la quasi-totalité des pays de l'Union européenne, et se chiffrant en dizaines de millions de personnes. La question que la Cour s'est posée, et à laquelle a réfléchi la 5e chambre présidée par M. Carrez, est celle de savoir si cette ponction sur les pays d'origine est compatible avec le maintien de leur capacité de développement. Il y a de nouvelles formes de coopération à inventer, auxquels les pays en question, ceux du Maghreb notamment, réfléchissent d'ailleurs de leur côté, et l'une des choses qu'ils prévoient très expressément, par exemple, est d'accueillir sur leur sol une partie de nos personnes âgées dépendantes, dans la mesure où ils ont un système médico-social relativement développé et où leurs coûts sont sans commune mesure avec ceux que nous pratiquons. C'est une dimension dont il nous faudra tenir compte.

M. Jean-Marie Le Guen : La France siphonne à son profit les deux tiers des médecins d'Afrique francophone, ce qui entrave fortement le développement du système de santé dans ces pays.

Mme Rolande Ruellan : Pour répondre à Mme la Rapporteure, la Cour a travaillé, il y a plusieurs années, sur la consommation médicamenteuse des personnes âgées et a relevé que les laboratoires ne font pas d'essais sur des patients âgés, de sorte que certains produits sont potentiellement dangereux pour eux.

M. Jean-Louis Beaud de Brive : Il y a un acteur de la prévention dont on n'a presque pas parlé : c'est la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS). Or elle en fait de plus en plus, notamment en direction des personnes en GIR 5 et 6, qui sont les moins dépendantes.

M. Pierre Morange, coprésident : Il est démontré qu'une vraie politique de prévention des maladies cardio-vasculaires recule l'âge d'entrée en établissement et raccourcit les durées de prise en charge.

M. Jean-Marie Le Guen : Le rôle de la CNAVTS est-il d'être un nouvel acteur des politiques de prévention ?

M. Philippe Séguin : Cela n'améliorerait pas forcément la lisibilité du système.

M. Pierre Morange, coprésident : Une des préconisations de notre premier rapport était de spécialiser chacun des acteurs dans son domaine de compétences, en tablant sur la mutualisation des énergies pour obtenir une optimisation du résultat.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Je reviens sur la proposition de la Cour de créer le véritable outil de prospective qui, actuellement, n'existe pas. J'avais proposé, dans mon rapport au Premier ministre, la création d'un institut national du vieillissement, ayant vocation à faire de la prospective à la fois dans le champ médical, dans le champ financier, dans celui de la prise en charge sur le terrain, etc. Ce sont les scientifiques et le ministère de la recherche qui s'y sont opposés, car ils voulaient tout centrer sur la génétique. Et l'on voit bien le mal qu'ont eu et qu'ont encore les gériatres pour se faire une place dans les CHU ! Il faut souhaiter que la CNSA sera un lieu où l'on pourra réfléchir à l'ensemble de ces questions, mais je crains un peu qu'elle ne privilégie l'organisationnel plutôt que la prospective.

M. Jean-Marie Le Guen : Il faut certes une recherche transversale associant sciences sociales et sciences biologiques, mais attention à ne pas empiler sans cesse de nouvelles structures ! Sommes-nous capables de créer une sorte de « tour de contrôle », un organisme de mission capable de susciter et de financer des actions de recherche sans se transformer à brève échéance, comme c'est souvent le cas en France, en un organisme gestionnaire ?

M. Pierre Morange, coprésident : Mesdames, messieurs, je vous remercie. Je remercie notamment M. le Premier Président d'avoir évoqué cette perspective de coopération Nord-Sud, qui permettrait peut-être d'en finir avec un cercle vicieux mortifère pour le continent africain.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu M. François Carayon, sous-directeur de la 6e sous-direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Pierre Morange, coprésident : J'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à M. François Carayon, sous-directeur de la 6e sous-direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, à M. Guillaume Gaubert, chef du bureau comptes sociaux et santé, et à M. Pierre Houpikian, administrateur civil au même bureau.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Pouvez-vous préciser la fiscalité - taxe sur les salaires, taxe professionnelle, TVA, taxe foncière, taxe d'habitation, impôt sur les sociétés - actuellement applicable aux établissements, selon le type d'établissement ? Pouvez-vous d'autre part nous dire de quels moyens vous disposez pour évaluer si l'ensemble des ressources affectées à la dépense publique en faveur des personnes âgées dépendantes est effectivement orienté vers son objet ?

M. François Carayon : Je pense utile de rappeler que la direction du budget n'est qu'une des directions du ministère des finances et qu'elle a une approche globale des dépenses. Cette direction, qui n'est pas un service gestionnaire, n'a pas la tutelle de premier rang sur les établissements - celle-ci appartient au ministère de la santé - et pas davantage de service statistique. Enfin, ses attributions sont différentes de celles de la direction de la législation fiscale et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

S'agissant des masses financières en jeu, nous vous avons transmis des tableaux de synthèse. Je saisis l'occasion qui m'est donnée pour saluer le travail accompli par la Cour des comptes. La Cour a évalué à 15 milliards d'euros les dépenses en faveur des personnes âgées dépendantes en 2003, et le poids de la dépense fiscale en faveur des personnes âgées dépendantes ou non à 6,7 milliards d'euros cette année-là. Toutefois, ni l'abattement correspondant aux impôts locaux, ni celui relatif à la redevance télévisuelle, ne sont inclus dans ce montant. Autrement dit, seule est envisagée la dépense fiscale de l'État, ce qui est une vision restreinte.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : A quoi correspond concrètement la dépense fiscale de l'État ?

M. François Carayon : Aux exonérations liées à l'emploi d'un salarié à domicile, au taux réduit de TVA sur les équipements et à la réduction d'impôt particulière pour les établissements spécialisés. Nous avons recensé une grande partie des dépenses dans la mission « Solidarité et intégration » du projet de loi de finances pour 2006. Ce recensement recoupe pour une large partie celui de la Cour des comptes, en actualisant les données. Toutefois, le périmètre choisi par la Cour est un peu plus large que le nôtre. Je suis certain que nos collègues de la direction de la législation fiscale seraient en mesure de vous répondre de manière plus précise que je ne le puis, mais je n'éluderai pas votre question de fond, qui porte sur l'appréciation globale du dispositif. La Cour des comptes, s'interrogeant sur le point de savoir si ces dépenses fiscales bénéficient bien aux personnes âgées dépendantes, remarque à bon droit que le bénéfice de la dépense va à l'ensemble des personnes âgées sans ciblage précis des personnes dépendantes et souligne d'autre part que, puisque la dépense fiscale se traduit par un abattement, il n'y a pas non plus de fléchage vers les personnes à faibles revenus. Toutefois, une évolution s'est dessinée avec l'exonération de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) de l'impôt sur les revenus et l'instauration, dans le cadre de la loi Borloo du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne, d'un crédit d'impôt au titre des aides financières versées par les comités d'entreprise pour les emplois à domicile. L'analyse de la Cour n'en demeure pas moins incontestable : il n'y a pas de ciblage majoritairement dirigé vers la dépendance. S'agissant de la dépense fiscale, nous ne disposons pas d'indicateur d'efficacité ni de mesure d'impact sinon au cas par cas, dans le cadre d'études. Sur ce point également, votre mission pourrait se tourner avec profit vers la direction de la législation fiscale.

M. Pierre Morange, coprésident : Je retiens de vos propos l'insuffisance des outils de mesure, ce qui contredit la philosophie de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il faudra manifestement progresser sur ce point.

M. François Carayon : L'apport essentiel de l'analyse de la Cour des comptes est son approche transversale, dont l'intérêt est autrement plus marqué que lorsque l'on doit se contenter d'études compartimentées.

M. Pierre Morange, coprésident : La Cour a cependant pointé l'absence d'évaluation. J'aimerais connaître votre sentiment sur les suggestions faites par la Fédération hospitalière de France devant notre mission, relatives à l'exonération de la taxe sur les salaires et à la pérennisation du taux de TVA réduit pour les travaux de rénovation. Cela relève bien sûr d'une décision politique, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez sur le plan strictement technique.

M. François Carayon : L'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 tend à affecter 95 % de la taxe sur les salaires aux régimes sociaux pour compenser les allégements de cotisations. On assiste donc au retour vers la sécurité sociale de la quasi-intégralité du produit de cette taxe, ce qui doit être souligné. Je rappelle d'autre part que, dans une logique d'équité, cette taxe est payée par les établissements qui ne sont pas soumis à la TVA. Et comme c'est une ressource extrêmement importante pour les organismes publics, on voit mal la collectivité nationale s'en priver d'autant que, comme je l'ai rappelé, son produit revient dans la sphère sociale.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Votre direction s'est-elle penchée sur les moyens de clarifier les compétences en matière d'investissement ? Quels dispositifs fiscaux pourrait-on concevoir pour alléger la part de l'investissement dans le prix de journée ?

M. François Carayon : La Cour des comptes a en effet constaté la dispersion des compétences, d'autant plus marquée dans ce domaine que coexistent les champs médico-social et sanitaire. L'approche retenue pour la prise en charge des personnes âgées étant de partir des besoins de la personne et de procéder à une évaluation au plus près, il s'en est suivi des cloisonnements.

Deux schémas sont donc possibles. Le premier consiste à distinguer le médico-social du sanitaire et à tracer la frontière la plus étanche possible, le second de considérer l'ensemble du parc comme une offre médico-sociale et sanitaire globale. Se pose alors la question de la responsabilité et de la place respective des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) et des préfets. Les pouvoirs publics se sont efforcés, à juste titre, de rapprocher ces différents acteurs, car on ne peut qu'être frappé par le constat de l'assurance maladie selon lequel 18 % des journées d'hospitalisation en lits de médecine concernent des personnes qui relèvent bien davantage du secteur médico-social. Autant dire que cet hébergement ne devrait pas être fait à l'hôpital, au prix de journée de l'hôpital. Il y a là une très importante marge de redéploiement des moyens, qui devrait tendre à créer des lits adaptés aux besoins des personnes âgées tout en faisant face au défi financier de la médicalisation. La nécessaire restructuration du parc signifie qu'une meilleure coopération entre les agences régionales de l'hospitalisation et les préfets doit être de rigueur. Dans cette optique, on pourrait même tout faire pour accroître le poids des ARH, afin d'intéresser l'ensemble des acteurs concernés à la transformation des lits d'hospitalisation soit en lits médicalisés soit en soins de suite. Par « acteurs intéressés », j'entends les patients, les établissements, les collectivités et les personnels ; tous y gagneraient.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Ces propositions figurent-elles dans la convention d'objectifs et de gestion (COG) en cours de négociation avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ? Existe-t-il par ailleurs, au ministère du budget, un groupe de travail sur les questions de fiscalité et d'investissement des établissements ?

M. François Carayon : On peut, effectivement, utiliser la COG comme levier pour réaffecter les moyens, en accroissant l'intervention de l'assurance maladie. Mais cela passe par la réorganisation de l'administration sanitaire et sociale. Je fais partie du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, et je suis frappé de constater que les parlementaires qui y siègent souhaitent que l'on travaille sur l'ensemble du champ hospitalier. On en arrivera rapidement à s'interroger sur l'interaction avec le domaine médico-social.

M. Pierre Morange, coprésident : Si je vous entends bien, la COG en cours de négociation ne contient à ce jour aucune mesure précise concernant la nécessaire réaffectation de 18 % des journées d'hospitalisation. Quelles sont donc les orientations privilégiées dans une COG qui devrait constituer un ensemble de mesures concrètes ?

M. François Carayon : Le projet de COG de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) est entièrement consacré au médico-social, mais des liens sont prévus avec la CNAMTS pour favoriser les échanges d'informations relatives au suivi médico-social. Il est exact qu'à ce jour, rien n'est dit des lits d'hospitalisation occupés pour un autre objet que celui qui devrait être le leur.

M. Pierre Morange, coprésident : Mais qui élabore donc les critères de la COG ? Il me semblerait pour le moins curieux que l'organisme sous tutelle détermine ses propres orientations !

M. François Carayon : La négociation d'une COG se fait en plusieurs étapes. Elle commence par une discussion entre l'organisme considéré et notre direction sur la méthodologie et les axes stratégiques et se poursuit par la rédaction d'un projet de convention par l'organisme concerné, projet auquel nous réagissons. En l'espèce, nous avons réagi au projet qui nous a été présenté au conseil d'administration du 11 octobre dernier en écrivant à la CNSA que cette première version devait être complétée.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela signifie-t-il que vous avez formulé des recommandations tendant à enrichir ou à réorienter ce projet ?

M. François Carayon : Les échanges que nous avons aujourd'hui devraient nous permettre de l'enrichir.

M. Pierre Morange, coprésident : Sans doute, mais quels sont les axes directeurs actuels du projet de COG en cours de négociation ?

M. François Carayon : De notre point de vue, la COG doit porter sur le pilotage financier des établissements, sur l'accompagnement des départements dans la mise en œuvre de la politique de l'autonomie - qu'il s'agisse des normes ou de la définition des enveloppes - et sur la diffusion des bonnes pratiques de gestion et de prise en charge dans le cadre de la décentralisation.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela vous amène-t-il à réfléchir sur les moyens de dégager des marges de manœuvre budgétaire et sur les gisements d'économies possibles, avec l'objectif d'accroître le ratio coût/efficacité pour réaffecter les sommes ainsi débloquées en faveur des plus défavorisés ?

M. François Carayon : Il est vrai que des indicateurs pointant les écarts, qu'il s'agisse du nombre de places créées en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes par euro dépensé, ou du coût de revient en investissement ou en fonctionnement - tout en tenant compte des spécificités locales -, ne manqueraient pas d'intérêt, aussi bien pour les gestionnaires d'établissements que pour ceux qui les contrôlent. La CNSA collecte ces données et les fera apparaître. Le quatrième axe qui doit se traduire dans la COG est précisément la mise en place par la CNSA d'un système d'information. Il y a là un vaste champ d'action qui montre tout l'intérêt du rôle de coordination dévolu à la Caisse.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Si l'on demande trop à la CNSA, elle va craquer ! Étant donné les gigantesques sommes en jeu, je suis surprise qu'aucun service du ministère des finances ne soit chargé d'accompagner les départements. Il y a pourtant là une responsabilité collective de l'administration et des politiques. Il ne me semblerait pas cohérent que la CNSA se trouve chargée d'établir un dispositif statistique qui, de par sa nature même, pourrait être pris en charge par les différents ministères intéressés.

M. François Carayon : Chacun est frappé par le grand nombre d'acteurs du dispositif institutionnel. Si chacun travaille dans son coin, il a peu de moyens propres. Tout l'intérêt de la CNSA est qu'elle peut être utilisée comme un outil pivot pour faire remonter les informations et contribuer ainsi aux choix stratégiques. Mais cela suppose en effet la coordination des administrations. A cet égard, le groupe de travail constitué dans le cadre de ce qui était encore le Commissariat général du Plan sera d'une aide très précieuse, car tous les acteurs y sont représentés pour traiter des perspectives démographiques et des modalités de prise en charge. Mais c'est là un travail de fond qui diffère du travail quotidien.

Mme Paulette Guinchard, rapporteure : Le ministre a annoncé que 180 millions d'euros du budget de la CNSA pour 2006 seraient affectés aux réserves au lieu d'être dépensés. Pourquoi ?

M. François Carayon : Le budget primitif de la CNSA est parfaitement transparent. Compte tenu de la programmation pluriannuelle de créations de places, nous pouvons profiter que des sommes ne soient pas affectées pour définir à quoi elles serviront au cours des années à venir. Il n'est pas choquant que la dépense n'ait pas lieu en 2006 si elle est faite plus tard puisque, chaque année, il faudra créer des places supplémentaires, en fonction de ce qui aura été défini dans objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) médico-social. Mais je n'ai pas qualité pour interpréter les déclarations du ministre.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Je ne suis pas convaincue par le bien fondé de l'accumulation de réserves alors que des besoins précis sont insatisfaits et que les personnes âgées concernées ne vivront pas longtemps.

M. François Carayon : On ne peut nous reprocher une approche financière tendant à assurer la montée en charge de la dépense dans la durée.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Notre mission recommandera que chaque ministère concerné se dote d'une unité de prospective relative aux personnes âgées. La France n'est pas préparée à prendre en charge sa population vieillissante ; le constat de la Cour des comptes à ce sujet est très juste.

M. François Carayon : J'insiste à nouveau sur la nécessité de la collégialité ; chaque ministère ne doit pas travailler dans son coin, tous doivent travailler ensemble. A cet égard, je tiens à souligner que nous n'entendons aucunement nous substituer au ministère des affaires sociales, qui a la compétence technique.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie. Sachez que notre mission est très attentive à toute suggestion visant à rationaliser la dépense, à optimiser les moyens, à repérer les gisements d'économies latentes et à simplifier le dispositif.

M. François Carayon : Dans cette optique, nous souhaitons que la négociation de la prochaine COG de la CNAMTS soit l'occasion de faire prendre à cet organisme des engagements précis quant à son mode de travail avec la CNSA. C'est un élément déterminant, car tous les exemples étrangers montrent qu'il faut parvenir à dépasser le clivage entre domaine sanitaire et domaine médico-social.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous en sommes convaincus.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu Mme Myriam Revel, sous-directrice en charge de l'organisation du système de soins à la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère de la santé et des solidarités.

M. Pierre Morange, coprésident : J'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à Mme Myriam Revel, sous-directrice en charge de l'organisation du système de soins à la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) au ministère de la santé et des solidarités, à M. Michel Gentile, chef du bureau de l'organisation de l'offre régionale de soins et des publics spécifiques, et à M. Marc Bourquin, responsable du pôle « allocation budgétaire » du département des établissements et services médico-sociaux de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. M. Marc Bourquin, auparavant chef du pôle «personnes âgées» à la sous-direction des finances de la direction de l'hospitalisation, assure la transition entre la DHOS et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

Qu'en est-il de la conception et de la définition des soins de longue durée après que la loi du 11 février 2005 a chargé la CNSA de la répartition des dotations aux unités de soins de longue durée (USLD) ? Peut-on évaluer la proportion respective des personnes âgées en unité de soins de longue durée qui relèvent de soins médicaux au long cours et de celles relevant d'une prise en charge médico-sociale en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ? Dans quelle mesure les USLD peuvent-elles devenir des établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) et être soumises aux mêmes règles tarifaires ? Les USLD peuvent-elles conserver leur statut sanitaire en choisissant le conventionnement ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Comment distinguer les besoins respectifs des personnes à accueillir en USLD et de celles qui vont en maison de retraite ? Combien d'agents de la DHOS sont chargés du dossier des personnes âgées ?

Mme Myriam Revel : Je vous transmets les excuses de M. Jean Castex, directeur de la DHOS, empêché. La prise en charge des personnes âgées et son intégration dans l'organisation des soins est, pour la DHOS, le premier des enjeux. A l'organisation des soins, on trouve M. Michel Gentile et une directrice d'hôpital. A la sous-direction financière, le poste qu'occupait M. Marc Bourquin n'est pas pourvu à ce jour ; d'autres agents travaillent sur cette question, mais pas à plein temps ; ils traitent aussi, par exemple, de la tarification à l'activité. Mais une mission de « suivi de la politique gériatrique » confiée aux professeurs Claude Jeandel et Pierre Pfitzenmeyer et à M. Philippe Vigouroux a été installée auprès du ministre. C'est pour nous un renfort de qualité, tout comme celui que nous apporte M. Dominique Deroubaix. Nous travaillons également avec des gériatres et des directeurs d'hôpital.

Par ailleurs, pour accompagner la redéfinition des USLD votée dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 avec un calendrier très contraint, l'Inspection générale des affaires sociales a confié à M. Michel Thierry mission de coordonner l'administration et les organismes - CNSA et CNAMTS -, ce qui nous permettra de faire le partage entre les établissements qui seront transformés en établissements médico-sociaux au vu des besoins des personnes qui y sont accueillies et ceux qui doivent pour partie garder une USLD sanitaire pour prendre en charge les patients dont l'état de santé requiert une surveillance médicale permanente. Il s'agit d'une mission d'accompagnement d'un an. Le groupe de travail placé sous l'autorité de M. Michel Thierry élabore le référentiel définissant les caractéristiques des personnes relevant de soins de longue durée.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Comment, donc, distinguer les besoins respectifs des personnes qui doivent être accueillies en USLD et de celles qui vont en maison de retraite ?

M. Michel Gentile : C'est un peu compliqué, car il faut tenir compte à la fois de la dépendance et de l'éventualité d'une polypathologie chronique susceptible de décompensation, mais l'on parvient très bien à faire la distinction en s'appuyant sur la base de données nationale ERNEST. Il va sans dire que le choix des critères et des outils ne sont pas neutres dans la définition de la répartition entre USLD et EHPAD.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Il m'intéresserait de savoir comment les autres pays ont fait la part de ce qui relève du sanitaire et de ce qui relève de la dépendance, car j'ai le sentiment profond que nous sommes en train de monter une usine à gaz et que, selon les critères retenus, les enjeux de financement seront très différents pour les personnes âgées, l'assurance maladie et les départements.

Mme Myriam Revel : Le financement relève de l'assurance maladie pour la partie « soins », quelque soit le statut de l'établissement. On souhaite maintenir le conventionnement tripartite ; on souhaite aussi que la redéfinition soit neutre pour les personnes concernées et leur entourage.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Qu'en sera-t-il de la prise en charge des personnes âgée de moins de soixante ans atteintes de polypathologies et qui se trouvent dans un état de fragilité extrême ?

Mme Myriam Revel : La redéfinition tiendra compte des personnes âgées de moins de soixante ans qui ont besoin de soins lourds.

M. Michel Gentile : Il s'agit le plus souvent des séquelles de traumatismes crâniens et du décours des affections neurologiques. La redéfinition prendra en compte les pathologies instables ou potentiellement instables. Il faut savoir que la France ne compte que 1 500 médecins généralistes ayant la capacité de gérontologie et moins de 100 gériatres. C'est très peu. On les trouve pour quelques-uns installés en ville, mais ils exercent essentiellement dans les hôpitaux. Aussi les EHPAD éprouveront-ils des difficultés dans la prise en charge des patients à pathologies lourdes avec un risque de décompensation, qui requiert un plateau technique minimum. C'est tout l'intérêt de la mission Thierry, chargée de définir des coupes transversales.

M. Marc Bourquin : La séparation entre le volet sanitaire et le volet médico-social simplifiera le financement. Elle est nécessaire car le paramétrage actuel des ressources ne permet pas la prise en charge des pathologies à risque de décompensation. Pour répondre à la question de M. le Président, oui, les USLD peuvent conserver leur statut sanitaire en choisissant le conventionnement. A ce jour, 50 % sont conventionnés et une petite fraction seulement a choisi, à l'occasion du conventionnement, la fusion avec les maisons de retraite gérées par les hôpitaux : cela concerne 5 000 places sur 37 000 places conventionnées.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) ont-elles accompagné le mouvement ?

M. Marc Bourquin : C'est très variable selon les régions.

Mme Myriam Revel : Les schémas régionaux d'organisation sanitaire de troisième génération ont précisément pour mandat de resserrer les liens.

M. Pierre Morange, coprésident : En théorie, certes, mais la pratique reste à démontrer. Il est proposé de rapprocher la population qui a vocation à être en EHPAD et celle qui doit être accueillie en USLD renforcée. Puisqu'elles sont dans l'enceinte hospitalière, ne peut-on envisager une réflexion sur l'organisation des hôpitaux, avec des services de médecine interne plus polyvalents et ayant une compétence gérontologique ? Des USLD pourraient ainsi être transformés en EHPAD hospitaliers. De telles passerelles permettraient de prendre en charge la polypathologie tout en tenant compte des contraintes financières.

Mme Myriam Revel : L'un des nouveaux points les plus intéressants du dispositif est que la répartition entre EHPAD et USLD requiert la décision conjointe du préfet et de l'ARH, ce qui suppose le diagnostic commun de l'organisation de la gradation de la prise en charge. Préfets et directeurs d'ARH n'auront donc pas le choix : ils devront travailler ensemble sur la base de coupes transversales et se mettre d'accord. Pour ce qui est de la polyvalence, le choix a été fait de développer les courts séjours dans les établissements hospitaliers ; c'est un choix fort.

Deux hypothèses étaient concevables : augmenter les services de médecine polyvalente où accueillir les personnes âgées, ou bien renforcer la gériatrie en constituant des équipes mobiles devant pouvoir s'appuyer sur des services de court séjour gériatrique. C'est celle qui a été retenue, et la dynamique progresse. Là où l'on ne pourra créer de tels services faute de gérontologues en nombre suffisant, il faudra absolument que des gériatres extérieurs puissent venir faire des consultations et former les équipes. Il faut donc raisonner à l'échelle des territoires de santé, ce qui est l'enjeu des schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) de troisième génération, pour faire le lien entre le médico-social et le sanitaire. La dotation nationale de développement des réseaux finance déjà 61 réseaux mais le recul manque pour une première évaluation. Nous élaborons avec le professeur Claude Jeandel « le cahier des charges de la prise en charge », et le recours à la compétence gériatrique est au cœur de ce projet. La direction générale de l'action sociale (DGAS) est associée à tous ces travaux.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : La Cour des comptes ayant dressé, pour la première fois, un bilan complet de la situation, elle fait des constats très durs et donne des pistes de réflexion, observant qu'il faut en passer par un niveau d'encadrement, ce qui n'est pas le cas à ce jour. Cela sera-t-il fait ? Par ailleurs, dans le cadre de la redéfinition, pensez-vous nécessaire de faire évoluer le dispositif d'investissement concernant les EHPAD ? De qui, selon vous, relève la compétence en ce domaine ? Travaillez-vous à une autre répartition de la dépense ?

M. Marc Bourquin : De fait, dans le prix de l'hébergement, la dépense d'investissement pèse pour 92 % sur l'usager ou ses obligés alimentaires, proportion particulièrement élevée si on la compare à ce qui se pratique à l'étranger. Ainsi, le prix de journée moyen est de 30 euros en Belgique et de 55 euros en France.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Des éléments de comparaison plus fournis avec les autres pays européens nous seraient utiles.

M. Pierre Morange, coprésident : A quoi attribuez-vous cette différence ? Au coût du travail ? Aux aides publiques à l'investissement ?

M. Marc Bourquin : La définition des tâches n'est pas tout à fait la même. Je rappelle par ailleurs que, dans la configuration française actuelle, lorsque l'hébergement suppose une aide sociale, c'est le département qui est en première ligne.

J'étais déjà dans la salle lorsque vous auditionniez M. François Carayon, et je vous ai entendus l'interroger sur les déclarations du ministre relatives aux réserves de la CNSA en 2006. Je précise à ce sujet qu'en raison d'un décalage purement conjoncturel, la CNSA ne pourra dépenser les 800 millions d'euros qui reviennent aux personnes âgées. 500 millions d'euros de réserves ont déjà été affectés par le plan de M. Philippe Bas, ministre en charge des personne âgées, à raison de 350 millions pour les personnes âgées et de 150 millions pour les personnes handicapées. Ces montants, importants au regard de ce qui était prévu dans les contrats de plan - dix fois moins - seront affectés aux établissements agréés à l'aide sociale, l'objectif étant de susciter l'effet de levier le plus important possible et de faire ce qui, sans cela, ne se serait pas fait.

La réflexion doit donc porter sur le périmètre et sur les clefs de répartition. D'ailleurs, l'un des problèmes qui ont conduit à la réforme de la tarification, c'est que l'allocation pour soins se fait en fonction du niveau de dépendance et non du besoin de soins.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Je demeure perplexe devant ce que je considère être l'édification d'une usine à gaz. Je sais que le choix des dispositifs de mesure se pose partout mais les nôtres sont remarquables par leur complexité et leur lourdeur ! Avez-vous évalué les besoins en matière d'investissement et de taux d'encadrement à venir, tous éléments qui ont une incidence sur le montant du « reste à charge » ?

M. Marc Bourquin : Il n'existe pas d'étude globale sur le coût d'une place en établissement, dont on sait qu'il est évalué à 120 000 euros en Île-de-France et à 80 000 euros ailleurs. S'agissant du taux d'encadrement, il est très difficile de l'imaginer uniforme. En effet, dans un EHPAD classique où vivent des personnes âgées certes dépendantes mais qui n'ont que peu de troubles psychiques, on peut accepter un taux d'encadrement plus faible que si la population concernée est majoritairement atteinte de la maladie d'Alzheimer.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Quels outils ont utilisé les autres pays européens ?

M. Marc Bourquin : On peut les rassembler en plusieurs groupes. Dans les pays du Sud, le maintien à domicile a un très grand rôle. Dans les pays scandinaves, où l'approche est très institutionnelle, les ressources de l'assurance maladie ont été très fortement accrues et l'on compte presque un agent par personne en établissement, ce qui se retrouve dans les comptes publics.

La complexité de la réforme s'explique par l'approche retenue, qui était de n'avoir que des gagnants. Si des « béquilles » sont venues compliquer le dispositif, c'est pour éviter qu'aucun établissement ne perde des ressources. J'observe que le conventionnement tripartite a permis d'accroître de 40 % en moyenne le taux d'encadrement par la création de 6,5 postes de personnel soignant, en moyenne toujours. Ce n'est pas assez, mais ce n'est pas négligeable, d'autant que c'est là où les ressources étaient les plus faibles que les créations sont les plus nombreuses.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Faites-nous savoir quels types d'établissement ont le plus profité de la réforme.

M. Marc Bourquin : Nous vous le dirons.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Quel sentiment vous inspirent le rapport de la Cour des comptes et les critiques qu'il contient ?

Mme Myriam Revel : Ces critiques sont, pour la plupart, liées au mode de financement des EHPAD.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Elles portent aussi sur la qualité du service rendu à domicile.

Mme Myriam Revel : C'est un problème majeur qui est soulevé là, et qui relève plutôt de la DGAS. Mais nous en tenons compte par la création des réseaux. C'est une réponse en soi, puisqu'il s'agit d'éviter l'isolement des intervenants et d'améliorer la qualité de la prise en charge par des formations qui augmentent leur niveau de compétence.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : La Cour pose clairement la question de la coordination.

Mme Myriam Revel : Au centre local d'information et de coordination (CLIC) de Plaisir, on note une très forte implication du conseil général. Cela a eu une incidence flagrante sur la gestion des effets de la canicule ; tous les intervenants se connaissant, une coordination parfaite s'est mise en place. Il faut donc prévoir des temps de travail en commun et des cahiers de synthèse laissés au domicile des personnes suivies. Sans aucun doute, les choses sont compliquées par l'entrecroisement des compétences entre l'assurance maladie et le département, mais des exemples existent qui montrent que cela peut fonctionner. A nous de travailler pour faciliter la tâche des différents acteurs ; si une volonté conjointe se manifeste, cela doit pouvoir se faire.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente et rapporteure : Je partage votre point de vue, mais force est de constater que notre système de décision ne tient pas compte de ces questions de fond.

S'agissant du lien entre volet médico-social et volet sanitaire, quel rôle jouent les établissements médico-sociaux ?

Mme Myriam Revel : A Plaisir, l'EHPAD est associé au CLIC, ce qui devrait être la norme puisque, comme la loi en dispose, les SROS de troisième génération prévoient des conférences sanitaires rassemblant élus, usagers, établissements de santé, professionnels libéraux et personnels médico-sociaux.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie. Sachez que notre mission examine avec intérêt toutes les suggestions qui lui sont faites.

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