COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 13

Jeudi 9 mars 2006
(Séance de 9 heures)

12/03/95

Présidence de Mme Paulette Guinchard et M. Pierre Morange, coprésidents

SOMMAIRE

 

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- Présentation des grandes lignes du rapport de Mme Paulette Guinchard sur le financement des établissements d'hébergement des personnes âgées

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- Auditions sur la tarification à l'activité dans les établissements de santé :

 

- Mme Mireille Elbaum, directrice de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) au ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, accompagnée de M. Philippe Cunéo

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- M. Jean Castex, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) au ministère de la santé et des solidarités, Mme Martine Aoustin, directeur opérationnel de la Mission tarification à l'activité (MT2A) au ministère de la santé et des solidarités, et M. Patrick Olivier, sous-directeur chargé des affaires financières au pôle « Organisation des soins, établissements et financement » de la DHOS

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale s'est réunie pour examiner les orientations du projet de rapport de Mme Paulette Guinchard sur le financement des établissements d'hébergement des personnes âgées.

Mme Paulette Guinchard, rapporteure, a présenté les grandes lignes de son projet de rapport sur le financement des établissements d'hébergement des personnes âgées.

Un échange de vues a ensuite eu lieu auquel ont participé M. Pierre Morange, coprésident, MM. Jean-Marie Le Guen et Jean-Marie Rolland.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entamé ses auditions sur le nouveau sujet d'étude de la MECSS consacré à la tarification à l'activité dans les établissements de santé. Elle a d'abord entendu Mme Mireille Elbaum, directrice de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) au ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et M. Philippe Cunéo, chef de service à la DREES.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir d'accueillir, pour cette première audition consacrée à la tarification à l'activité, Mme Mireille Elbaum, directrice de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, ainsi que M. Philippe Cuneo, chef de service à la DREES. Je leur souhaite la bienvenue, ainsi qu'à Mme Anny Golfouse-Buet, rapporteure à la 6e chambre de la Cour des comptes, qui participera aux travaux de la MECSS consacrés à la tarification à l'activité.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La tarification à l'activité (T2A) est une réforme à la fois ambitieuse et complexe. Pouvez-vous nous présenter le modèle économique qui la sous-tend et nous expliquer le rôle joué par la DREES dans sa conception, sa mise en œuvre, son suivi et son évaluation ?

Mme Mireille Elbaum : Un point très important est que notre système hospitalier a fait l'objet, indépendamment de la mise en œuvre de la T2A et avant même celle-ci, d'évolutions profondes, qui correspondent à des tendances de fond, notamment dans le secteur privé : diminution du nombre d'établissements, diminution continue du nombre de lits, diminution de l'hospitalisation à temps plein, vive progression des alternatives à l'hospitalisation et de l'hospitalisation à temps partiel. Ces évolutions conduisent à une spécialisation très forte des établissements hospitaliers, notamment dans la prise en charge, tant en fonction des clientèles - les nourrissons et les personnes âgées sont surtout pris en charge par le secteur public - que des disciplines - les deux tiers des actes de médecine se font dans le public, les deux tiers des actes de chirurgie dans le privé. On observe même une spécialisation très fine par type de prise en charge et par pathologie, le privé réalisant une forte proportion des examens et des interventions programmées. Il est très important d'avoir en tête ces tendances de fond quand on étudie la tarification à l'activité, et de se demander si celle-ci est de nature à les amplifier encore.

Les critiques que l'on pouvait adresser à la dotation globale sont bien connues, la principale étant qu'elle tendait à consacrer des situations acquises - voire, dans certains cas, des « rentes » de situation - et prenait insuffisamment en compte le dynamisme des établissements. Elle avait en revanche l'avantage de constituer, dans le secteur public, un couvercle budgétaire efficace, freinant l'évolution des dépenses hospitalières et incitant donc à la restructuration des lits. Dans le secteur privé, cependant, il était impossible de continuer ainsi, car le financement des soins était lié à un ensemble de forfaits : une appendicectomie faisait ainsi intervenir six forfaits, 29 prestations différentes, d'où une extrême complexité et des effets pervers.

Pourquoi a-t-on instauré la tarification à l'activité - qui s'est d'abord appelée, d'ailleurs, tarification à la pathologie ? Elle repose sur des analyses économiques - et je vous renvoie, à ce propos, à l'article de Dominique Henriet, auquel a contribué Philippe Cuneo, ici présent, à partir d'un colloque que la DREES avait organisé. Nous sommes, comme souvent dans le domaine de la santé, en situation d'incertitude économique. Le régulateur manque d'informations : il ne sait pas si les prix correspondent à un effort réel de productivité. Le nouveau système est un système de paiements forfaitaires prospectifs, dans lequel la rémunération est censée être indépendante du coût individuel observé, d'où une incitation à rechercher des gains d'efficacité et de productivité, d'où aussi une concurrence par comparaison, qui permet au régulateur de confronter les coûts des établissements entre eux.

Toute la difficulté est de fixer les tarifs et les prix. Le système est efficace quand on raisonne en termes de séjours ou de segments de soins homogènes, sur lesquels l'établissement peut intervenir. Mais quand il s'agit d'une variable d'environnement dont il n'est pas maître, des prix trop bas peuvent conduire à des effets pervers importants, d'où des discussions sur les différentes obligations, les forfaits, les variables régionales. Dans le public, les dépenses de personnel constituent les deux tiers des charges. Peut-on considérer, compte tenu des règles - notamment d'affectation - de la fonction publique hospitalière, que les établissements sont maîtres de cette variable ?

L'avantage essentiel du système, au vu de l'expérience des pays qui l'ont adopté, les États-Unis en particulier, est de révéler un effort qui serait inobservable autrement, et de provoquer une accélération des gains - à condition toutefois que l'ensemble des acteurs de l'établissement aient bien perçu l'enjeu, et que l'établissement lui-même trouve intérêt à ces gains. Mais il y a aussi des effets pervers, sur lesquels l'évaluation doit également porter. Le premier est le risque de sélection des patients : un établissement pourrait avoir intérêt à accueillir les patients les moins atteints, voire à multiplier les soins pour ceux-ci et à les diminuer pour les plus atteints. Il y a également un risque de sur-classement et de dérive du codage, de fragmentation des séjours, ainsi que d'« exportation » des patients vers la médecine de ville ou vers l'hospitalisation de longue durée, qui ne sont pas soumises à la T2A. Se pose aussi le vaste problème de la qualité des soins et de la diffusion de l'innovation. Ce sont autant de clignotants que l'on doit surveiller.

Les pays qui sont allés le plus loin dans la tarification à l'activité sont les États-Unis et la Suède - où elle est maximale dans le comté de Stockholm, mais où il y a tout de même une certaine modulation, à la fois régionale et selon le coût des soins. La tarification n'est donc jamais totalement pure, elle est toujours mixte à des degrés divers. Là où on est allé le plus loin, on peut observer un effet de « marches d'escalier » sur l'activité, avec un retour aux tendances antérieures. Quant aux effets sur la qualité des soins, ils ne sont jamais très perceptibles dans les études internationales.

Un paradoxe est que les objectifs, selon les pays, sont extrêmement différents, voire opposés. Dans certains pays, comme les pays scandinaves ou au Royaume-Uni, l'idée est de développer l'activité, afin d'éviter les listes d'attente dans les hôpitaux, et de redynamiser les établissements en collant à la demande. En Belgique ou en Allemagne, inversement, il s'agissait surtout de maîtriser les coûts. En France, le débat reste ouvert...

Il faut aussi tenir compte du contexte institutionnel. Le rôle et l'identité du régulateur sont très variables selon les pays. Dans certains, le régulateur est un véritable acheteur de soins : c'est le cas au Royaume-Uni, avec les Primary Care Trusts, pour lesquels la tarification à l'activité est un instrument de comparaison. C'est aussi le cas des agences régionales dans les pays scandinaves. En France, où ce rôle est partagé entre l'assurance maladie et les agences régionales de l'hospitalisation (ARH), on compte en fait sur le système pour fonctionner tout seul.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous un observatoire pour les comparaisons avec l'étranger ?

Mme Mireille Elbaum : Nous n'avons pas d'observatoire, mais nous avons les moyens de suivre ce qui se passe. Nous avons organisé un colloque il y a quelque temps, et la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) a fait un encadré plus technique. Dans les pays dont le système est proche du nôtre, le degré d'avancement est à peu près le même qu'en France : 20 à 30 %, avec des échéances reportées à 2009-2010.

En Scandinavie même, il y a des différences entre pays : la Suède a été très loin, mais sur une base régionalisée ; en Norvège, c'est moitié-moitié ; au Danemark, la tarification à l'activité représente moins de 10 % des budgets. Or, les performances des trois systèmes hospitaliers sont très voisines, ce qui fait réfléchir. Il y a des tendances lourdes à la restructuration, à la productivité, et en tout état de cause la tarification est un élément parmi d'autres.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Je crois savoir qu'il y a tout de même un peu moins de listes d'attente au Danemark ?

Mme Mireille Elbaum : Oui.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Et aux États-Unis ?

Mme Mireille Elbaum : Je n'ai pas de fiches actualisées, mais je pourrai vous en fournir. Il est intéressant de noter que, dans le système américain, le nombre des DRG - Diagnosis Related Groups, c'est-à-dire l'équivalent de nos GHM, les groupes homogènes de malades - est très stable. On risque d'évoluer, à mesure qu'on affine le système, vers une tarification à l'acte, qui ferait gagner en précision mais perdre en incitation. Les études américaines s'intéressent à l'effet d'« exportation » des patients hors du système hospitalier, effet qu'il ne faut pas négliger, car nous sommes dans une tendance où le séjour à l'hôpital, de plus en bref, devient un élément parmi d'autres d'une filière de soins, elle-même de plus en plus longue. Se pose donc, de plus en plus, le problème du pourtour.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez dit, à propos des pays scandinaves, que les résultats sont similaires quel que soit le système de tarification retenu. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Mme Mireille Elbaum : Il faudrait y regarder d'un peu plus près, mais les indicateurs du système hospitalier danois ont évolué parallèlement à ceux du système suédois, malgré l'absence de tarification à l'activité.

M. Pierre Morange, coprésident : Mais les comparaisons portent sur des segments, par sur des filières.

Mme Mireille Elbaum : Personne, que je sache, n'a fait de comparaisons portant sur des filières - sauf peut-être aux États-Unis pour certains aspects du HMO (Health maintenance organisation), mais je n'en suis pas sûre.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Vous nous avez dit que même en Suède, à l'exception du comté de Stockholm, on est encore, du fait de la progressivité de la mise en place, au milieu du gué. Décèle-t-on ici ou là une tentation de revenir en arrière ?

Mme Mireille Elbaum : Le système britannique se trouve aussi au milieu du gué, le passage est prévu en 2005-2006, ils veulent passer de trois types de contrat à un contrat unique.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle est la durée moyenne du passage à la tarification à l'activité ?

Mme Mireille Elbaum : Elle est généralement prévue sur cinq ans, mais finit par s'étendre sur une durée pouvant atteindre une dizaine d'années. L'Allemagne a commencé en 2003 sur une base volontaire, avec une extension Land par Land jusqu'en 2008 - mais aussi avec des reports.

M. Philippe Cuneo : C'est moins vrai aux États-Unis, mais la mise en place s'est faite dans le cadre du système Medicare, où la tarification à l'activité ne représente qu'une fraction des ressources des établissements.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Peut-être la complexité de la mise en place explique-t-elle que les délais ne puissent être tenus.

Mme Mireille Elbaum : En gros, ça ne marche que si les établissements connaissent leurs coûts. C'est donc, d'abord, une incitation à connaître ses coûts.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Nous y reviendrons, mais auparavant je voudrais que vous nous parliez du rôle joué par la DREES dans la mise en œuvre de la réforme.

Mme Mireille Elbaum : Nous n'avons pas fait de simulations nous-mêmes : c'est l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation, l'ATIH, qui les a faites. Nous avons contribué à éclairer les autorités et nos collègues sur l'analyse économique et sur les comparaisons internationales. Nous avons fourni les statistiques de base sur le système hospitalier et sur son évolution afin d'éclairer certains points, notamment la spécialisation des établissements de santé, la variabilité du point ISA - l'indice synthétique d'activité -, la typologie des établissements dans leur environnement - pour voir, notamment, si les catégories juridiques sont pertinentes -, la situation économique et financière des cliniques privées - étude que nous sommes sur le point d'étendre à l'hôpital public - et la comparaison - toutes choses égales par ailleurs - des rémunérations entre le public et le privé. Nous avons fait des études préalables sur tous ces points, et mis en évidence à la fois de grandes régularités et des disparités entre établissements.

Parallèlement, notre rôle est essentiel au moment de l'évaluation. Un comité d'évaluation, présidé par le directeur général de la Haute Autorité de santé, a été créé par l'arrêté du 25 mai 2004. Nous avons publié un projet de cahier des charges, qui figure dans le dossier que nous vous avons fait parvenir. Cinq groupes de travail se mettent en place, avec trois grandes rubriques : l'impact sur l'activité et l'offre de soins ; l'efficacité économique de la réforme ; l'équité du système et la qualité des soins.

Il reste à alimenter ces groupes de travail, en réalisant une série d'études sur les indicateurs économiques et financiers, sur les indicateurs de productivité, sur la dérive du codage, sur la performance et la qualité des soins, ainsi qu'une vingtaine de monographies d'établissement permettant de suivre leur réorganisation interne, des monographies régionales sur l'articulation - peu claire du point de vue de la théorie économique - entre tarification et planification, et des études de modélisation. Nous nous efforçons enfin de répondre aux études de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la convergence tarifaire public-privé, sur les salaires et sur la précarité.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quand aurez-vous les premiers résultats ?

Mme Mireille Elbaum : La tarification à l'activité commence à peine à se mettre en place : nous serons à 35 % cette année, et nous étions à 10 % seulement en 2004. J'espère que nous allons bientôt pouvoir publier, mais il ne faut pas non plus évaluer trop tôt, car on attend de la réforme qu'elle rétroagisse sur les comportements des acteurs, et que ceux-ci l'intègrent et se l'approprient. Les premiers résultats seront disponibles à l'horizon 2007-2008, mais je dirais que c'est presque prématuré. Je comprends que l'on soit pressé de mesurer les effets de la réforme, mais il y a aussi des effets structurels : le dépassement de l'ONDAM hospitalier la première année, par exemple, n'était pas lié à la T2A.

M. Pierre Morange, coprésident : J'ai bien compris qu'un temps de latence est nécessaire, mais ne peut-on, au vu des expériences étrangères, déjà tirer des conclusions sur les incidences budgétaires et sur les capacités d'accueil ?

Vous avez dit, par ailleurs, que tout était lié à la connaissance des coûts. Or, il n'y a guère d'interopérabilité informatique entre les établissements : on en est aux balbutiements.

Mme Mireille Elbaum : S'agissant des expériences étrangères, j'ai un peu résumé le processus. Il y a des efforts d'efficacité, de modernisation, mais aussi un net accroissement de l'activité dans les premières années, suivi dans un deuxième temps d'une « exportation » hors de l'hôpital, comme le montre l'exemple des États-Unis. Mais les contextes sont très différents selon que l'objectif recherché est d'accroître l'activité ou de réduire les coûts.

M. Pierre Morange, coprésident : Mais, au-delà, peut-on observer l'esquisse d'une réduction, d'une maîtrise, d'une rationalisation des coûts ?

Mme Mireille Elbaum : Nous avons des évaluations disponibles pour Medicare.

M. Pierre Morange, coprésident : Et pour des systèmes plus proches du nôtre ?

Mme Mireille Elbaum : Non, parce qu'on est partout au milieu du gué - sauf peut-être en Belgique, sous réserve de vérifications.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Vous avez dit que le dépassement de l'ONDAM hospitalier n'était pas lié à la nouvelle tarification. A quoi est-il dû, selon vous ?

Mme Mireille Elbaum : Au fait que la dotation globale n'a pas suffi à financer l'activité des établissements. D'un autre côté, un effet potentiel de la T2A, ainsi que la mission IGF-IGAS sur le pilotage des dépenses hospitalières l'a d'ailleurs souligné, est de dynamiser et d'accroître l'activité des établissements qui sont déjà les plus dynamiques - sauf recalage prix-volume en début d'année, conduisant à baisser les tarifs. Cela laisse entier le problème des « perdants ».

Les études nationales sur les coûts portent sur une cinquantaine d'établissements publics seulement. Tous les établissements, en effet, ne disposent pas d'une comptabilité analytique qui leur permettrait de connaître leurs coûts, notamment fixes, et de savoir ce sur quoi ils ont réellement prise. Et dans le privé, il n'y a pas d'étude nationale des coûts, puisque les tarifs sont fixés à partir du prix de journée antérieur et non des coûts. La DHOS, dont vous entendrez le directeur tout à l'heure, est en train de lancer une étude, dont le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie était très demandeur.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous évoquiez le rôle de la DREES dans l'évaluation de la T2A. Quels sont vos liens avec la DHOS, et notamment avec la Mission nationale d'expertise et d'audit hospitaliers (MEAH) ?

Mme Mireille Elbaum : C'est très simple : nous intervenons en amont, eux en aval, mais nous avons entre nous une coopération de tous les instants. Nous assumons ensemble le secrétariat de la commission d'évaluation, en nous répartissant les études, sachant que la DREES n'intervient pas dans le suivi de la mise en œuvre. L'articulation n'est pas toujours parfaite, notamment par manque de moyens, mais nous avons plutôt bien fonctionné.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Je voudrais revenir sur le système de collecte des données.

Mme Mireille Elbaum : Sur l'ATIH et sur le programme de médicalisation des systèmes d'information, le PMSI, vous serez davantage éclairés par le directeur de la DHOS.

M. Pierre Morange, coprésident : Si le rapporteur en est d'accord, nous demanderons à vous réentendre, car je crains que nous n'ayons pas le temps d'approfondir tous les sujets ce matin.

Mme Mireille Elbaum : Nous avons essayé d'harmoniser les outils en ce qui concerne la description d'activité. Nous avons revu notre enquête statistique annuelle des établissements (SAE) pour ne pas doublonner avec le PMSI et pour mettre l'accent, au contraire, sur les personnels, les moyens, l'organisation des établissements. Nous faisons nos statistiques d'activité à partir du PMSI. Pour la tarification elle-même, ce sont le PMSI et l'ATIH qui recueillent les données.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Et pour la normalisation des données médicales et financières que vous recueillez, le résultat est-il satisfaisant ?

Mme Mireille Elbaum : Pour les données financières, les choses progressent, mais nous avons un peu de mal à rapprocher les notions entre le public et le privé, en raison d'une nomenclature comptable différente. Nous avons aussi commencé un travail sur l'investissement. Nous avons un problème pour les établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH). Pour le PMSI, nous en sommes à la version 10 de la classification GHM, avec environ 780 groupes. La difficulté est de savoir jusqu'où aller dans l'affinement des tarifs, qui est judicieux d'un certain point de vue, mais qui peut poser un problème de stabilité.

M. Pierre Morange, coprésident : Quels sont les critères de sélection des 52 établissements qui composent l'échantillon d'analyse des coûts ?

Mme Mireille Elbaum : Le volontariat et l'existence d'une comptabilité analytique.

M. Pierre Morange, coprésident : Et l'existence de systèmes informatiques opérationnels ?

Mme Mireille Elbaum : C'est moins cet aspect qui a compté que, tout simplement, l'existence d'une comptabilité analytique elle-même.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Je voudrais encore revenir sur la mise en place de la T2A. Avez-vous le sentiment que les données produites par le PMSI sont suffisantes ? Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a émis des critiques à ce sujet.

Mme Mireille Elbaum : Ces données permettent de suivre l'activité des établissements et leur spécialisation. Elles sont également très intéressantes en matière de santé publique, bien plus que les enquêtes de morbidité hospitalière. Par contre, elles sont moins parlantes quant à la performance et à la qualité des soins, puisque certains indicateurs sont, par nature, des approximations : certes, le nombre de césariennes ou d'appendicectomies est éclairant, mais il ne s'agit pas d'indicateurs de qualité des soins à proprement parler. Il en existe, comme par exemple le temps d'attente aux urgences, mais, par définition, ils ne sont pas dans le PMSI, puisque celui-ci repose sur des échantillons de séjours. Ces nouveaux indicateurs requièrent des systèmes d'information spécifiques, et on ne peut pas reprocher au PMSI de ne pas les inclure. Il faut aussi disposer de certains indicateurs sur l'environnement, notamment familial et social - la précarité, ou l'isolement, qui joue sur la durée des séjours, naturellement -, indicateurs qui n'ont pas leur place non plus dans le PMSI.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous, sinon une explication, du moins un sentiment sur les écarts de coûts entre public et privé ?

Mme Mireille Elbaum : Nous avons une bonne connaissance de l'écart des salaires, à la fois nets et horaires, selon la qualification, mais non pas du coût complet du travail, de la masse salariale. Des études sont en cours sur l'impact de l'environnement, mais qui ne sont encore que de premières estimations. Il est évident, et divers rapports l'ont d'ailleurs dit, qu'on mesure relativement mal les charges liées à l'obligation de permanence des soins, à celle de dispensation des premiers secours, ou encore aux activités d'enseignement et de recherche - lesquelles représentent un coût pour les centres hospitalo-universitaires (CHU), mais ce coût a pour contrepartie le fait que les internes assurent des soins et des gardes. Tout cela mériterait une comptabilité analytique.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Pensez-vous que le rythme de mise en place de la T2A soit trop rapide ou, au contraire, trop lent ?

Mme Mireille Elbaum : Je ne pense pas qu'il soit trop lent.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Y a-t-il un risque inflationniste ? Avez-vous des exemples de surcroît d'activité lié à la T2A ?

Mme Mireille Elbaum : On observe une petite reprise, mais d'une part je n'ai comme base que les chiffres de 2004, et d'autre part la T2A ne joue pas encore à plein, puisqu'on rajuste les tarifs chaque année pour « coller » à l'ONDAM hospitalier. Après, tout dépendra de la façon dont les tarifs seront régulés, et de la crédibilité de cette régulation.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous des retours sur la situation budgétaire des petits hôpitaux ?

Mme Mireille Elbaum : Non. S'il en existe, c'est la DHOS qui en est destinataire.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions et, comme je vous l'ai dit, il faudra que nous vous réentendions, car nous aurions encore beaucoup de questions à vous poser.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu M. Jean Castex, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) au ministère de la santé et des solidarités, Mme Martine Aoustin, directeur opérationnel de la Mission tarification à l'activité (MT2A) au ministère de la santé et des solidarités, et M. Patrick Olivier, sous-directeur chargé des affaires financières au pôle « Organisation des soins, établissements et financement » de la DHOS.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean Castex, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère de la santé et des solidarités, Mme Martine Aoustin, directeur opérationnel de la Mission tarification à l'activité au ministère de la santé et des solidarités, et M. Patrick Olivier, sous-directeur chargé des affaires financières au pôle « organisation des soins, établissements et financement » de la DHOS, auxquels je souhaite la bienvenue.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Nous souhaitons vous entendre exposer les objectifs de la tarification à l'activité et les avantages que vous en attendez.

M. Jean Castex : La très lourde réforme du financement des établissements de santé tend à passer du financement forfaitaire de l'activité hospitalière à un financement davantage fondé sur cette activité. Elle suscite, par son ampleur et par la difficulté de sa mise en œuvre, une attention légitime. Au prix de journée, qui incitait les établissements à garder les patients le plus longtemps possible, a succédé, pour éviter cet écueil, la dotation globale, rapidement apparue inadaptée à l'activité hospitalière. À la suite d'autres pays, nous sommes donc en train de basculer vers un financement à la pathologie mais le législateur, considérant que certaines missions n'entrent pas dans ce cadre, a voulu que la tarification à l'activité ne soit pas la seule modalité de financement des établissements. Nous allons donc vers une tarification à la pathologie qui, parce qu'elle est plus fine et plus précise, est beaucoup plus complexe que la tarification forfaitaire - et j'insiste sur ce qualificatif, car si ce mode de tarification était seulement compliqué, on pourrait le simplifier, mais sa complexité est inhérente au système - et avec cette tarification intrinsèquement complexe on va faire coexister d'autres types de financement. Autant dire que l'architecture globale ne sera pas simple.

Cela étant, si la tarification à l'activité est une réforme importante, elle a été préparée de longue date, puisqu'elle trouve sa genèse dans le programme de médicalisation des systèmes d'information, le PMSI, au début des années 1980. Cela permet au demeurant de mesurer le temps qui a été nécessaire pour que la réforme entre en application. Certes, dès la fin des années 1990, des projets importants avaient vu le jour, mais ils n'avaient pas abouti sur le plan politique. Toutefois, le plan Hôpital 2007 a été défini en 2003. On le voit, la réforme est davantage fondée sur la continuité que sur la rupture.

Aujourd'hui, beaucoup s'inquiètent des modalités de sa mise en oeuvre mais, même si des voix discordantes se font entendre, la communauté hospitalière dans son ensemble est favorable au principe. Alors que la tarification à l'activité suscitait critiques et réticences il y a quelques mois encore, on observe que, finalement, le monde de l'hospitalisation publique s'est déclaré favorable à l'accélération du rythme de son application. Je reçois ainsi régulièrement des demandes tendant à l'application de la réforme aux soins de suite et de réadaptation (SSR) et j'ai même été le destinataire d'un courrier de la Fédération des hôpitaux locaux demandant que soit étudiée l'extension de la tarification à l'activité à ce secteur. Il faut donc relativiser certains commentaires.

Il s'agit d'une réforme structurante, dont l'objectif est la modernisation de notre système hospitalier. Nous souhaitions depuis longtemps le développement de la comptabilité analytique dans les hôpitaux. Les instructions de la direction des hôpitaux à cet effet n'ont pas manqué, mais leur mise en œuvre a été inégale. Pour autant, les hôpitaux n'ont pas un grand retard, en cette matière, sur d'autres administrations publiques. Chacun sait qu'il ne suffit pas de dire ou d'affecter des crédits pour que les choses se fassent parfaitement. Cela vaut particulièrement pour une administration qui regroupe des entités aussi différentes que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et de multiples hôpitaux locaux de toutes tailles. Mais maintenant, avec la tarification à l'activité, il y a un intérêt à agir car les médecins et tous les acteurs de l'hôpital, désormais obligés de s'intéresser aux recettes et de les mettre en regard avec les coûts, ressentiront de plus en plus la nécessité de disposer d'indicateurs performants. J'ai entrepris une tournée des centres hospitalo-universitaires (CHU) pour voir comment se met en place la nouvelle gouvernance, puisque la réforme de la tarification s'inscrit dans une réforme plus vaste. J'ai été frappé de constater que lorsque la tarification à l'activité monte en puissance, les établissements font état de grands problèmes d'adaptation des systèmes d'information, et demandent de l'aide. Aura-t-on les moyens nécessaires ? C'est un autre débat. Mais l'on voit qu'une comptabilité analytique performante s'installe bien plus vite grâce à ce nouveau schéma que par décrets ou objurgations.

Je souhaite appeler l'attention de votre mission sur le nombre et l'ampleur des réformes qui s'abattent sur l'hôpital. Outre la tarification à l'activité, il y a le plan Hôpital 2007 en ses trois volets - relance considérable de l'investissement, allocation des ressources et gouvernance, tous évidemment liés. Alors qu'en 2002 le flux d'investissement à l'hôpital était de 2,5 milliards, il est passé à quelque 5 milliards en 2005 et, en 2006, il sera légèrement supérieur encore. En ce domaine, le terme d'«accélération » est faible. Ce volet du plan a une importance capitale car c'est un acte de foi en l'avenir, d'autant que les travaux ne se limitent pas à la réfection des peintures ou à la mise aux normes mais donnent l'occasion de réfléchir à l'organisation des établissements.

Mais les réformes en cours ne se limitent pas à cela. Il faut mentionner aussi l'élaboration des schémas régionaux de l'organisation sanitaire de troisième génération, dits « SROS 3 », ainsi que tout ce qui a trait à la qualité, l'évaluation des pratiques professionnelles des médecins, le volet de la loi de 2004 relatif au parcours de soins et au dossier médical partagé, et la participation de l'hôpital public au redressement des comptes de l'assurance maladie.

C'est beaucoup. Si l'on veut que ces réformes aboutissent, il faut assumer le fait qu'elles prendront un peu de temps. Vouloir en engranger les fruits immédiatement, c'est dire qu'on ne veut pas la réforme. Il peut y avoir, au début, quelques effets pervers, et quelques difficultés qu'il faudra régler une par une, sereinement, mais qui ne doivent pas détourner de l'objectif visé, qu'il est indispensable d'atteindre pour faire face au défi que pose une population vieillissante qui restera chez elle mais sera amenée à faire des séjours récurrents à l'hôpital.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quel est, selon vous, le rythme idéal d'application de la tarification à l'activité ? La proportion de 35 % prévue pour 2006 sera-t-elle atteinte ?

M. Jean Castex : Le sur-mesure est compliqué, et faire simple ne donne pas toujours de bons résultats. Il existe 800 tarifs différents à l'hôpital. Il arrive que l'on me dise que tel tarif, inadapté, doit être recalculé mais, dans le même temps, les gestionnaires, qui ont besoin de stabilité, se plaignent que le système bouge sans cesse. Actuellement, la tarification à l'activité ne concerne que le court séjour, ce qui représente 40 milliards d'euros, mais elle ne concerne pas l'ensemble des établissements.

Toutes les cliniques privées à but lucratif sont passées à la tarification à l'activité parce que leur mode de financement facilitait le basculement. Mais, là comme ailleurs, la réforme a fait apparaître des iniquités. Un travail de convergence intra-sectoriel entre cliniques bien dotées et cliniques mal dotées est donc nécessaire, selon un calendrier qui fait curieusement l'objet de divergences selon la situation respective des établissements considérés. Pour ce qui concerne les établissements de santé privés à but lucratif, le passage à la tarification à l'activité a donc eu lieu d'un coup en 2005 et, l'un dans l'autre, même si des problèmes techniques demeurent, même si certains tarifs doivent être revus à la hausse ou à la baisse, la réforme est faite dans ce secteur.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel premier bilan pouvez-vous tirer de l'application de la réforme ?

M. Jean Castex : Pour les établissements qui relevaient de la dotation globale, le choix politique a été fait d'un basculement progressif, à raison de 25 % en 2005 et de 35 % en 2006. Le ministre a annoncé 50 % pour 2007, avec certaines réserves, ainsi qu'une innovation, le passage à la tarification à l'activité à 100 %, dès 2006, pour l'hospitalisation à domicile. Le but recherché est d'obtenir la tarification la plus juste possible, ce qui renvoie à des coûts objectifs qu'il convient donc de mesurer, non sans avoir défini si l'on vise le coût moyen ou le coût le plus faible pour une activité donnée.

Mais, en s'éloignant sciemment de la structure de coût, on peut aussi déterminer les tarifs en fonction des politiques de santé publique. C'est ce que nous avons fait pour l'hospitalisation à domicile, et que nous comptons faire pour multiplier les alternatives à l'hospitalisation complète. C'est un champ d'intervention très intéressant mais techniquement très compliqué car il faut se garder des effets pervers. Cela nous oblige à une bonne articulation avec la planification et l'organisation de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire. Comme vous le savez, l'objectif fixé par la loi est de parvenir à 100 % de tarification à l'activité en 2012. Mais, je le rappelle, il ne s'agit pas de 100 % du financement des établissements de santé, puisqu'une enveloppe séparée demeurera pour les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC).

M. Pierre Morange, coprésident : Il est indispensable de décloisonner le secteur sanitaire et le secteur médico-social pour rationaliser le dispositif d'ensemble et optimiser la qualité des soins. A cet égard, avez-vous une idée des capacités d'accueil qui pourraient être potentiellement réaffectées à la prise en charge de la dépendance ?

M. Jean Castex : Les SROS 3 vont être arrêtés sous peu. Ils réalloueront les moyens des services de court séjour. Étant donné le vieillissement de la population, il est vraisemblable qu'en de nombreux points du territoire la réallocation pourrait se faire au bénéfice des services de médecine, de psychiatrie, de soins de suite, et du long séjour sanitaire. La dépendance n'est pas autre chose que l'impact du vieillissement de la population sur nos systèmes médico-social et sanitaire. Il se peut donc que les SROS 3 fassent apparaître un fort impact sanitaire de la dépendance, dont rien n'autorise à dire qu'il pourra être financé par le redéploiement d'autres activités. L'augmentation inéluctable des besoins et donc des dépenses entraîne l'impérieuse nécessité d'optimiser l'offre de soins, soit dans sa distribution territoriale soit au sein des établissements de santé afin que chaque euro dépensé le soit au mieux. Les réformes en cours, dont la tarification à l'activité même si ce n'est pas son objectif premier, auront incontestablement cet effet, puisque tous les acteurs de l'hôpital devront s'interroger sur leur organisation et leur efficacité. Comme le mode de financement antérieur n'y incitait pas, certains le faisaient, mais la pratique n'était pas systématisée. À présent, il faut agir avec détermination, mais sans confondre vitesse et précipitation.

Il faut aussi se garder de généraliser. Il y a des problèmes, c'est vrai, mais il n'y a pas de corrélation directe, pour tous les établissements, entre un faible nombre de points ISA - indice synthétique d'activité - et un déficit ou un report de charges, ce qui signifie qu'il existe des possibilités d'amélioration de la gestion et de la prise en charge des patients. On en a eu un exemple lorsque le ministre a souhaité, par souci de transparence, que soit établi un classement des établissements en fonction du taux d'infections nosocomiales, car on a constaté des disparités qui avaient peu à voir avec l'allocation des moyens en personnel des établissements.

Cela étant, mieux vaudrait pouvoir passer à la tarification à la pathologie avec un peu d'aisance financière. Il se trouve en effet que l'on resserre l'ONDAM hospitalier car il faut améliorer les comptes de l'assurance maladie et que cette coïncidence peut favoriser l'amalgame selon lequel les problèmes tiendraient au nouveau mode de tarification.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Après deux ans d'application de la réforme, savez-vous qui sont les perdants et qui sont les gagnants ?

M. Jean Castex : La réforme a été conçue pour que le nombre de perdants et celui des gagnants s'équilibre. En 2005, les gagnants ont été plus nombreux que les perdants, ce qui s'explique pour partie par la revalorisation du point fonction publique. Pour le reste, on observe couramment que, au cours des premières années où un tel système se met en place, l'activité mesurée dans les établissements augmente fortement. Cela s'explique par le fait que l'activité a pu augmenter dans certains établissements devenus plus dynamiques, et parce que les besoins eux-mêmes ont augmenté. Mais c'est aussi, les premières années, l'effet du codage : les médecins mesurent leur activité puisque c'est à l'activité qu'on les paye. À cette occasion, certains peuvent se tromper, ce pourquoi nous allons augmenter les contrôles.

La tendance à l'augmentation de l'activité dans ce cadre n'est pas propre à la France, elle a été constatée dans tous les pays où la tarification à la pathologie a été introduite. Une fois le codage mis au point, la stabilisation se fait. Nous en avons tiré les conséquences pour 2006 en anticipant un volume d'activité supérieur à ce qui avait été initialement prévu, ce qui a conduit à la réduction de 1 % des tarifs. On touche là du doigt ce qui a pu faire critiquer la tarification à l'activité : elle a un effet restructurant qui la fait rejeter par ceux qui ne veulent pas de restructuration ; par ailleurs, étant donné le dépassement constaté en 2005, certains ont jugé le système inflationniste, alors que la tendance ne durera pas et que des mesures ont été prises pour que le dépassement ne se renouvelle pas en 2006. Non seulement les deux sujets sont déconnectés, mais le dépassement de l'ONDAM hospitalier, qui pourrait signifier une mauvaise gestion, se partage entre établissements privés et établissements publics. Il faut donc raison garder.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quel a été le montant du dépassement en 2005 ?

M. Jean Castex : Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale, le législateur a procédé à un rebasage de 625 millions d'euros. À l'époque de la dotation globale, les choses étaient très simples : le budget voté était délégué aux agences régionales de l'hospitalisation (ARH), qui déléguaient elles-mêmes les crédits aux établissements. On constatait certes quelques reports de charges mais il s'agissait bien d'enveloppes fermées. Elles demeurent pour le moyen et pour le long séjour. Des progrès doivent être faits en matière de prévision mais une partie de l'enveloppe budgétaire est désormais ouverte. Il nous revient de mettre en œuvre un mécanisme de régularisation tel que la réforme du mode de tarification ne contredise pas celle de l'assurance maladie.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quand connaîtra-t-on le montant total du dépassement constaté en 2005 ?

M. Jean Castex : Le secteur privé arrête ses comptes en juin ou en juillet, et la commission des comptes de la sécurité sociale sécurité sociale donnera son estimation en juin.

M. Pierre Morange, coprésident : Les reports de charge sont-ils appelés à perdurer ?

M. Jean Castex : Le report de charges, procédure insatisfaisante, résulte de ce que le budget des établissements de santé était nécessairement voté à l'équilibre. Nous avons modifié leur régime budgétaire et comptable, avec effet au 1er janvier 2006, ce qui leur donne un outil de gestion plus moderne. Désormais, les établissements publics de santé n'auront plus aucun intérêt à afficher des reports de charge, puisqu'ils seront autorisés à afficher un déficit. Mais on ne peut garantir que, dès l'exercice 2006, tous les établissements de santé du territoire se seront complètement appropriés le nouvel outil qu'est l'état des prévisions de recettes et de dépenses, l'EPRD. De gros efforts de formation ont été faits à ce sujet au cours du deuxième semestre 2005 mais nous enregistrons encore de nombreuses demandes de précision. Nous considérons donc que le rythme de croisière sera atteint en 2007-2008. Nous savons que l'utilisation de cette nouvelle procédure comptable rendra les comparaisons avec le budget 2005 malaisées pour les élus qui siègent au conseil d'administration des établissements et qu'il y aura sans doute du tangage. De grâce, assumons-le, et admettons que tout ne sera pas parfait du premier coup.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Vous avez évoqué une certaine dérive dans le codage. Est-elle importante ? De quels moyens de contrôle disposez-vous ?

M. Jean Castex : Les moyens de contrôle ont un peu tardé à se mettre en place. Nous avions prévu, à l'origine, des contrôles « à blanc », effectués par des médecins-conseil de la CNAMTS. Nous tenions à ces contrôles pédagogiques, pour laisser aux acteurs le temps de s'habituer aux nouvelles procédures. Mais la confiance n'exclut pas le contrôle et, maintenant que la tarification à l'activité a démarré, nous allons très vite passer à la phase de sanction et de recouvrement des indus. Ces contrôles ont commencé, et ils feront l'objet d'un rapport. Ils sont indispensables car ils crédibilisent la réforme.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Est-on en mesure de faire des contrôles efficaces à l'échelon régional ?

M. Jean Castex : Rien ne me permet d'en douter.

M. Pierre Morange, coprésident : J'ai puissamment poussé à la mobilisation de l'ensemble des ressources humaines du contrôle médical, et plusieurs centaines de médecins contrôleurs jusqu'à présent occupés à d'autres fonctions vont revenir sur le terrain.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Madame Aoustin, pourriez-vous nous décrire la tâche de la mission « Tarification à l'activité » ?

Mme Martine Aoustin : La mission a été créée fin 2002. L'année 2003 a été consacrée au débat sur le modèle souhaitable, à la collecte des éléments nécessaires à sa définition et à des simulations. Fin 2003, nous avons proposé au Parlement les éléments législatifs permettant à la réforme d'entrer en vigueur le 1er janvier 2004. Si, contrairement à ce qui se pratique ailleurs, nous avons d'emblée choisi un modèle mixte, c'est parce que nous souhaitions respecter les spécificités des établissements, le secteur de l'hospitalisation privée étant très développé en France, et aussi parce que nous tenions à mettre en exergue le volet « enseignement et recherche » de l'activité hospitalière. Tous les travaux ont été menés en étroite concertation avec l'ensemble des acteurs, réunis tous les quinze jours au sein d'un comité de liaison. Un comité de suivi et de concertation a ensuite été installé, qui visait à ce que l'ensemble des professionnels soit régulièrement tenus informés de l'avancée des travaux. En 2004, la réflexion s'est poursuivie sur la réforme comptable, financière et tarifaire définitive du modèle, voué, on le sait, à entrer en vigueur progressivement. Les liens étroits établis avec les établissements dans la phase préparatoire perdurent.

En 2005, des raisons exclusivement techniques ont conduit à repousser au 1er mars la mise en œuvre de la réforme, calée avec le financement des missions d'intérêt général. Les huit cents tarifs sont entrés en vigueur, l'engagement étant pris d'une réforme de la classification en groupes homogènes de malades, ou GHM. Nous souhaitions de longue date faire évoluer la comptabilité analytique dans les établissements hospitaliers mais, comme l'a indiqué M. Jean Castex, nous n'y étions parvenus qu'avec un succès inégal. Il en allait de même pour la classification GHM. Or, alors que nous en étions à la version 9 de la classification lorsque la réforme est entrée en vigueur, l'intérêt à coder qu'elle a induit fait que nous en sommes à la version 10 et que nous sommes sollicités de passer à la version 11 pour favoriser une répartition plus équitable des financements en tenant compte des évolutions technologiques et médicales.

Au 1er mars 2006, le modèle est définitivement calé, sans avoir été modifié. Nous nous attachons cette année à analyser le contenu des champs financés, notamment les missions d'intérêt général, car les informations remontées des établissements font apparaître d'importantes disparités qui justifient un regard plus précis et un cadrage. Nous réfléchirons également au financement des missions d'enseignement et de recherche pour tirer vers le haut les enseignements les plus dynamiques, sur la base de grands indicateurs dont la faisabilité doit être assurée.

M. Jean Castex : Je précise qu'outre la mission « Tarification à l'activité » ont aussi été créées une mission « Appui à l'investissement hospitalier » et une mission « Expertise et audit hospitaliers », dite MEAH. Toutes jouent un rôle essentiel. C'est un enjeu institutionnel que ces missions, créées pour porter la réforme, soient pérennisées dans le cadre du plan « Hôpital 2012 ». Je saisis l'occasion pour souligner le remarquable travail accompli par Mme Aoustin.

M. Pierre Morange, coprésident : Je sais que des expérimentations ont été menées avec succès par la mission « Expertise et audit hospitaliers ». J'ai ainsi entendu dire qu'à l'hôpital Beaujon, à Paris, le temps d'attente au service des urgences a été réduit de quelque 40 %. Les bonnes pratiques doivent être généralisées. Selon quel calendrier cela se fera-t-il ? Une réforme n'a de valeur que si tous les acteurs se l'approprient.

M. Jean Castex : Nous savons opérer les restructurations à l'échelle d'un territoire ou d'un établissement de santé. Incidemment, nous avons su restructurer les maternités et, dans ce domaine, notre situation est meilleure que celle de nos voisins. En revanche, nous n'avons pas l'habitude de décomposer les activités. Ainsi, la MEAH a comparé vingt plateaux techniques de chirurgie et la comparaison a montré des résultats étonnamment disparates. La décomposition des procédés est un gisement d'enseignements. Cela vaut aussi pour les services d'urgence, et cette approche a donné des résultats spectaculaires. On s'est ainsi rendu compte qu'à nombre de patients et de professionnels égal, les choses diffèrent du tout au tout selon que les soignants voient la salle d'attente où qu'ils ne la voient pas. Ce sont donc des questions d'organisation, et la manière dont les malades sont accueillis participe de la qualité de la prise en charge.

Les hôpitaux doivent se faire aider par des professionnels, mais les cabinets d'audit n'ont pas toujours eu bonne réputation dans le secteur, si bien qu'ils ne l'ont pas investi. La MEAH a réuni des panels d'établissements volontaires. En 2006, nous entrons dans la phase de généralisation, et de 40 à 60 services seront concernés, toujours sur la base du volontariat, mais nous avons demandé aux ARH de susciter le volontariat des services qui sont le plus en difficulté. Nous avons aussi mis au point des missions d'appui qui jouent un rôle majeur d'accompagnement des services en difficulté. Des équipes constituées de professionnels hospitaliers se rendent sur place pour expliquer à leurs collègues comment, avec le même budget et pour la même activité, on peut obtenir des résultats très différents. De cet audit partagé ressort un plan d'action. Enfin, nous avons mis au point des outils d'autodiagnostic qui visent, par une sorte d'introspection, à la décomposition des processus.

Tout cela se fait en partenariat avec l'ensemble des acteurs de l'hôpital. Les établissements de santé sont des organisations parmi les plus complexes qui soient, car on y constate un entrecroisement de pouvoirs à nul autre pareil. Il faut donc permettre l'émergence de l'intérêt à agir pour tous les acteurs, ce qui suppose un dispositif d'accompagnement où chacun puisse se retrouver et agir avec détermination. Ce n'est pas simple.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : L'horaire nous empêche de vous interroger plus avant. Nous vous réentendrons donc, car la liste de nos questions n'est pas épuisée.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

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