COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 22

Mercredi 28 juin 2006
(Séance de 16 heures)

12/03/95

Présidence de Mme Paulette Guinchard et M. Pierre Morange, coprésidents

SOMMAIRE

 

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Auditions sur la tarification à l'activité dans les établissements de santé :

 

- M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et de solidarités

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- M. François Carayon, sous-directeur de la 6e sous-direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et Mme Florence Gérard-Chalet, directrice d'hôpital, en poste au bureau des comptes sociaux et de santé à la sixième sous-direction du budget

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La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités.

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur le ministre, nous vous souhaitons, ainsi qu'à vos collaborateurs, la bienvenue à la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Monsieur le ministre, je me propose de faire avec vous un point d'étape après deux ans et demi d'application de la tarification à l'activité (T2A). Quel a été l'effet de la T2A sur la dépense hospitalière ? Quelles principales difficultés d'application pose-t-elle dans les établissements ?

M. Xavier Bertrand : Épargnons-nous les discours préliminaires et entrons dès maintenant dans les détails en commençant par le point d'étape.

En mai 2006, le premier président de la Cour des comptes disait que la réforme de la T2A n'en était qu'à ses débuts, et le sénateur Alain Vasselle en avril 2006 qu'elle était au milieu du gué. L'un et l'autre ont raison. Le passage à la tarification à l'activité n'en est qu'à ses débuts et il reste encore à faire pour passer d'un financement par dotation annuelle à un financement plus dynamique.

Entrée en vigueur en 2004 pour le secteur public et au 1er mars 2005 pour le secteur privé, la T2A est un modèle simple dans sa définition, mais plus complexe dans sa mise en œuvre, compte tenu notamment du dispositif de transition prévu jusqu'en 2012. Il faut donc tout à la fois un temps de communication - même si les acteurs semblent d'ores et déjà s'être approprié la T2A -, un temps de concertation et un temps de réglage durant lequel nous devons être particulièrement attentifs à toutes les remontées. Ajoutons que ce modèle nouveau a suscité beaucoup de demandes de transparence sur la T2A proprement dite, sa mise en place et ses incidences. Le débat sur la transparence a du reste eu lieu dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) entre le ministre et l'Assemblée nationale et même entre le ministre et la majorité parlementaire, notamment sur le périmètre des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC).

Nous avons également fixé un calendrier volontariste en insistant notamment sur la qualité de la prévision, particulièrement pour ce qui touche à la progression de l'activité, afin de pouvoir garantir le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Mais nous avons également besoin de nous ménager une capacité d'adaptation, afin que le système ne soit pas figé dès le début de l'année et qu'il reste vivant, et surtout pertinent. Nous devons enfin nous garder de mésestimer l'impact dans les établissements de santé d'une T2A qui suppose la mise en place d'un réel contrôle de gestion, la nécessité d'un renouvellement du dialogue de gestion, sans oublier l'indispensable coordination du fait de la montée en charge des pôles : il n'est pas possible de dissocier les différents éléments du plan Hôpital 2007.

Le premier président de la Cour des comptes et M. Alain Vasselle ont tous deux raison : nous n'en sommes qu'aux débuts de la T2A, même si j'ai tenu l'engagement pris d'atteindre une part tarifée dans le secteur public de 35 % dès cette année. Contrairement à ce que prédisaient certains, nous n'avons mis aucun coup d'arrêt : l'objectif pour l'an prochain est de 50 %.

Venons-en à la dépense hospitalière. Le système de la T2A permet une plus juste allocation des ressources entre les établissements. Il n'y a plus lieu de revenir sur le débat entre budget global et tarification à l'activité dont chacun reconnaît désormais qu'elle est facteur de transparence dans les budgets hospitaliers, ce dont personne ne se plaint.

On reproche souvent à la tarification à l'activité d'être inflationniste par nature. Elle ne l'est pas en soi : si la régulation prix-volume est correctement exercée, il y a peu de risques de dépassement de l'ONDAM. En revanche, c'est un mode de financement plus risqué car fortement dépendant des prévisions d'activité et des volumes, contrairement au régime par dotation. Mais je reste persuadé que l'avantage l'emporte sur l'inconvénient, le système de la T2A étant incontestablement plus juste.

Il est vrai que, dans un premier temps, la T2A peut induire une augmentation des dépenses hospitalières, une augmentation de l'activité, ne serait-ce que par l'amélioration du codage. Ajoutons que le développement des outils de contrôle et de gestion se traduit par une surargumentation des établissements sur certaines activités. Mais dans un deuxième temps, nous devrions assister à une stabilisation de l'effet « codage » et les réorganisations engagées pour rapprocher les coûts de la moyenne jouer dans le sens d'une déflation, au moins dans les établissements historiquement surdotés. Les phénomènes inflationnistes observés tiennent finalement moins à la T2A en tant que telle qu'aux questions de codage.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La convergence tarifaire public-privé est un des points essentiels de la mise en œuvre de la tarification à l'activité. Bon nombre d'études sont actuellement menées sur les écarts de coûts entre public et privé. Quel est votre avis ? Quand espérez-vous disposer de données précises en la matière ? Pensez-vous qu'il faille accélérer ou ralentir le calendrier de la convergence ?

M. Xavier Bertrand : Je m'en tiens à ce qu'a souhaité le législateur : le Parlement s'est exprimé et le ministre n'a pas à y revenir. En tout état de cause, je préfère une convergence réussie à une convergence précipitée. Nous attendrons d'avoir tous les éléments en main pour nous prononcer et avancer. Il n'est pas question de faire n'importe quoi n'importe comment.

Le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) partage la démarche entreprise, qui tend à réaliser un programme d'études pour mesurer, et surtout bien qualifier les écarts de coûts, afin de ne comparer que ce qui est comparable. Il a également insisté sur le fait que le processus de convergence doit se dérouler à un rythme supportable pour le secteur public. Cela mérite d'être rappelé quand on connaît la composition, mais également l'autorité du HCAAM. Les études de coût seront disponibles au plus tard en 2007, peut-être un peu avant. Il est difficile, sous peine d'avancer à l'aveugle et d'être contraint de faire machine arrière par la suite, de proposer un effort de convergence sans avoir tous les éléments en main.

Quoi qu'il en soit, la convergence doit se faire vers le système le plus efficient, ce qui exclut a priori une convergence vers un tarif moyen. Le programme d'études en cours a un double but : la quantification des écarts de coûts, objet de l'étude nationale des coûts commune, et surtout leur qualification, objet d'études complémentaires.

L'étude nationale des coûts commune comprend trois volets : la définition d'une méthodologie commune, la constitution de l'échantillon d'établissements publics et privés participant à l'échelle nationale des coûts (ENC), la collecte et l'exploitation des données recueillies. Les travaux de définition de la méthodologie devraient s'achever au tout début du mois de juillet 2006. La mise en œuvre portera sur les coûts 2006 des établissements sélectionnés ; les données seront collectées au cours de la première partie de 2007, l'objectif étant de disposer d'une échelle de coûts au plus tard à la fin de l'année.

Les études dites complémentaires ont fait l'objet d'un premier examen d'ensemble avec les fédérations d'établissements et l'Agence technique de l'information hospitalière (ATIH) en février dernier ; les travaux, actuellement en phase préparatoire, permettront de définir les surcoûts liés à la précarité - nous travaillons avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) sur le sujet - et aux soins péri-hospitaliers, en concertation cette fois-ci avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Le but est de comparer ce qui est comparable et de ne pas trop charger la barque d'un secteur particulier. De son côté, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a procédé à un examen de faisabilité des travaux à réaliser.

Voilà pour ce qui est des modalités, des procédures et des délais sur lesquels je peux m'engager, même si j'aimerais bien pouvoir les raccourcir et disposer au plus tôt d'un maximum d'éléments afin de respecter la volonté du législateur.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Le rapport conjoint de l'IGAS et de l'Inspection générale des finances (IGF) évoque le « sur-raffinement » de la classification. Or la version 10 ajoute une centaine de groupes homogènes de séjours (GHS), et la version 11, en préparation, devrait en rajouter 500... N'est-ce pas contradictoire avec la logique de la T2A et cela ne risque-t-il pas de compliquer sa mise en place, sachant les difficultés que posent le codage et son contrôle ?

M. Xavier Bertrand : Spontanément, j'aurais tendance à reconnaître que cela fait beaucoup. Reste que, sans entrer dans une logique de tarification à l'acte, nous avons besoin d'avoir une vision assez fine des choses. Il n'y a clairement pas de sur-raffinement de la classification des activités de court séjour, particulièrement en médecine, chirurgie et obstétrique. Les nouvelles versions visent tout simplement à mieux prendre en compte la diversité des pratiques, à la demande des acteurs hospitaliers eux-mêmes. Cela dit, la T2A, par principe forfaitaire, perdrait son intérêt si elle était trop raffinée et se rapprochait d'une tarification à l'acte. Il est important de préserver les qualités distributives de la T2A pour garantir une offre de soins équilibrée, en évitant surtout la spécialisation sur les secteurs « rentables ». Nous devons particulièrement veiller à éviter la moindre dérive dans ce sens, en restant très attentifs aux remontées de certains secteurs dont les acteurs pourraient se sentir délaissés parce qu'insuffisamment rentables.

La version 11 devrait rajouter 500 GHS, dites-vous. Sur quoi vous basez-vous pour avancer un tel chiffre ?

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Sur ce qui existait dans la version 10...

M. Xavier Bertrand : Il n'est pas prévu d'ajouter 500 GHS à proprement parler : leur nombre serait plutôt de 150 à 200 au maximum, ce qui devrait couper court à la critique de sur-raffinement. Il faut effectivement préserver la logique redistributive de la T2A.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La part des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) dans le financement de la T2A est devenue plus importante. Pourquoi a-t-elle si fortement augmenté et selon quels critères ?

M. Xavier Bertrand : Parce que j'avais le sentiment que le compte n'y était pas. D'où cette augmentation de 12 % cette année. L'essentiel reste que la part des missions d'intérêt général corresponde véritablement à la réalité des besoins, de façon à faire cesser les craintes et taire les tout derniers sceptiques, au demeurant beaucoup moins nombreux. À ressources d'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) inchangées, une progression des dotations MIGAC provoque inévitablement une baisse des tarifs : cet argument ne peut être ignoré. Mais, au-delà, il faut s'interroger sur l'objet des financements par dotations. Les MIGAC financent des missions d'intérêt général ; et si l'hôpital répond bel et bien à des missions d'intérêt général, comme c'est mon sentiment, il faut lui donner les moyens de les assumer, d'autant qu'elles n'étaient pas du tout prises en compte en tant que telles dans le cadre de la dotation globale. La progression des MIGAC en 2005, et surtout en 2006, est le résultat d'un effort de comptabilité analytique des établissements, qui a permis non seulement d'y voir plus clair sur la nature et la fréquence de ces missions, mais également de les normer et de les standardiser en termes de coûts. Contrairement à la dotation à la contractualisation, dispositif de transition, les MIGAC, qui concernent, rappelons-le, les deux secteurs, n'ont pas vocation à s'estomper : encore convient-il de définir rapidement et clairement les missions que l'on souhaite financer en dehors des dotations annuelles complémentaires (DAC). N'oublions pas enfin qu'il nous faut gérer le legs historique de la dotation globale où ces missions n'étaient pas différenciées ; aussi avons-nous entrepris un travail d'analyse du champ des MIGAC pour faire évoluer certaines vers un financement à l'activité et surtout définir le cadre de rémunération des autres. C'est en donnant réellement aux MIGAC les moyens nécessaires que nous parviendrons à l'équilibre avec la T2A et bénéficierons de ses avancées.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Comment intégrer les dispositifs médicaux implantables (DMI) et les molécules onéreuses (MO) à leur juste valeur dans les tarifs sans pénaliser l'innovation ?

M. Xavier Bertrand : Je vous renvoie à ce que j'ai dit hier soir à l'assemblée générale du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM).

Mme Catherine Génisson : La question de la convergence rejoint quelque part celle des MIGAC. S'il est effectivement très important d'identifier et de reconnaître à leur juste niveau les missions d'intérêt général, il faudra également - vous-même y avez fait allusion en parlant de la précarité - intégrer la prise en compte de l'environnement social et économique des patients dans les critères d'évaluation de la T2A.

Le codage et la définition de critères les plus exacts possibles exigent un énorme travail de la part des professionnels de santé privés comme publics. Le secteur privé a le plus souvent décidé de spécialiser des personnels dans le codage pratiquement à temps plein, contrairement au secteur public. Je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure solution ; reste que l'évolution prévisible de la démographie des professions de santé interdira de consacrer un temps aussi important au codage. Ne pourrait-on faire appel à des modèles qui permettraient de mesurer de manière suffisamment exacte l'activité des uns et des autres sans qu'il soit besoin de l'identifier à 100 % ? J'invite le ministère à y travailler. Il nous sera de moins en moins possible de consacrer 30 à 40 % de notre temps au codage.

M. Xavier Bertrand : Au-delà du problème démographique, les praticiens aspirent à consacrer le maximum de leur temps à l'activité médicale proprement dite. L'activité de codage prend naturellement plus le temps en période de démarrage ; nous devrions pouvoir en économiser au fur et à mesure. Je suis ouvert à toutes les propositions des syndicats et des acteurs de terrain en la matière. Je crois important que les professionnels eux-mêmes puissent effectuer le codage, mais il doit être possible, passé les premiers pas, de recourir à des outils techniques et informatiques. Normalement, le codage est l'affaire du praticien, authentifié comme tel. Je cherche à simplifier les choses, tout en préservant l'exhaustivité et la précision. Reste à trouver les solutions... Elles peuvent venir d'initiatives du ministère, mais également des établissements. Le but est de libérer du temps au profit de l'activité médicale, comme le demandent les praticiens.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La question du codage a été posée hier au conseil d'administration du CHU de Besançon. Je n'ai pu m'empêcher de penser au film « Les invasions barbares » dans lequel une infirmière explique le temps que lui prend l'activité administrative et le codage au détriment de son travail proprement dit. Là est toute la difficulté : autant l'on conçoit que les praticiens n'aient pas envie de passer tout leur temps devant leur outil informatique à coder, autant l'on comprend que la véritable question de confiance que posent le codage - certaines agences régionales d'hospitalisation semblent le remettre en cause - et la fiabilité des informations enregistrées. Qui plus est, certains craignent des dérives dans leur utilisation, parlant de surfacturation ou de surcodage. Il y a là une question de fond, qu'il ne faut pas se cacher : toute la légitimité de la réforme en dépend. Une plus grande prudence s'impose.

M. Xavier Bertrand : La remise en cause ne me paraît pas porter sur la légitimité, mais plutôt sur l'application et ses conséquences.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est avant tout une question de confiance.

M. Xavier Bertrand : La légitimité ne me semble plus faire de doute sur différents bancs.

M. Pierre-Louis Fagniez : Il me semble y avoir dans le codage une partie incompressible qui ne peut relever de personne d'autre que du médecin.

M. Xavier Bertrand : Vous avez raison.

M. Pierre-Louis Fagniez : Cette partie-là mérite toute l'attention dont parlait notre collègue : c'est ainsi que nous assurerons la légitimité de la T2A et couperons court à toutes les tentatives de remises en cause. En revanche, il reste toute une partie du codage qui peut être confiée aux assistants du médecin. Nous avons des secrétaires formées pour cela et dont l'aide nous est très précieuse. Faisons la part entre ce qui revient au seul médecin et à personne d'autre sous peine de remettre en question toute la légitimité du codage, et le reste, dont il faut le débarrasser afin de libérer un maximum de son temps au profit de son activité médicale proprement dite.

M. Xavier Bertrand : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Cela dit, la crédibilité du codage dépend également de la qualité des contrôles. Ceux-ci ont commencé en janvier 2006 et j'ai demandé à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) de me rapporter des éléments chiffrés plus précis que les informations générales retransmises par la presse, afin de bien faire la part des choses entre les erreurs de bonne foi et les fraudes.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Ces risques de surcodage ou de mauvais codage peuvent réellement amener à une dérive de la réforme. Nous devons nous en inquiéter et considérablement renforcer le travail d'accompagnement, faute de quoi les informations dont la presse de fait l'écho créeront un doute énorme sur le dispositif. Et comment faire en sorte que les établissements ne soient petit à petit tentés de recentrer leurs activités sur les secteurs les plus faciles ou les plus rentables ? En fait, les deux questions sont liées.

Une des conditions de réussite de la réforme reste de ne pas faire la part trop belle aux enveloppes forfaitaires, qui doivent être réellement contenues : cela amène effectivement à la question des MIGAC et de leur bonne définition. Mais je suis surprise d'entendre plusieurs agences régionales de l'hospitalisation (ARH) laisser entendre que des « enveloppes préélectorales » pallieraient les éventuels manques d'argent. Où va-t-on si l'on peut ou si l'on espère jouer sur des enveloppes forfaitaires au gré des pressions ?

M. Xavier Bertrand : Ce que vous dites est éminemment grave, et je demande communication de l'ensemble des comptes rendus d'auditions pour savoir quelles ARH ont pu tenir ces propos.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Cela n'a pas été dit ici. Mais ce sont les termes exacts...

M. Xavier Bertrand : Je vous saurais gré de m'indiquer de qui il s'agit. Ce n'est en tout cas pas la logique qui guide mes pas. Ou alors, je ne sais pas si la logique préélectorale s'applique au CHU de Lille, au centre hospitalier de Tulle comme à Strasbourg ou ailleurs... La logique préélectorale n'est jamais entrée en compte dans mon action. Certains établissements ont besoin d'être aidés : il n'y a que cela qui compte. C'est ce que j'ai répondu à une question similaire posée par le président de la Fédération hospitalière de France à Hôpital Expo ; si certains directeurs d'ARH persistent dans ce type démarche, je ne le tolérerai pas. Je n'ai jamais regardé la sensibilité publique ou politique d'un président de conseil d'administration d'établissement avant de me déterminer sur la nécessité ou non d'aider un établissement dans le cadre d'un plan de retour à l'équilibre ; je n'entends pas déroger à cette ligne de conduite. Il est dommage que je n'aie pas eu vent de votre information hier soir, au moment où je m'entretenais avec tous les directeurs d'ARH. Je m'en entretiendrai avec M. Jacques Métais, président de la conférence des directeurs d'ARH.

Ce qui est certain en revanche, c'est que bon nombre d'acteurs de terrain comme les ARH souhaitaient pouvoir disposer d'aides à la contractualisation au niveau régional. Aussi ai-je décidé de déléguer 265 millions d'euros aux ARH, afin qu'elles puissent juger elles-mêmes des sommes à débloquer en fonction des besoins plutôt que d'agir par le biais d'une réserve ministérielle. Cette solution m'a paru tout à la fois plus facile et plus souple d'utilisation. Cela faisait longtemps que l'on n'avait pas délégué de telles sommes aux ARH pour faire face aux demandes locales : j'ai tendance à croire que l'on se rend un peu mieux compte des situations en région que derrière un bureau, avenue de Ségur.

M. Pierre Morange, coprésident : Je peux porter témoignage de l'impartialité de vos choix, monsieur le ministre, de même qu'une de nos collègues socialiste qui, grâce à votre intervention, a obtenu gain de cause.

M. Xavier Bertrand : Et certains membres de ma famille politique ne sont pas toujours contents de mes choix - mais j'assume.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Cette information m'a été rapportée par certains milieux syndicalistes, mais votre réponse est de nature à clarifier les choses. Ma question n'aura pas été inutile.

M. Pierre-Louis Fagniez : La question du lien entre l'offre de soins et la T2A se pose partout, sans doute de façon différente en fonction de la nature des établissements, privés ou publics - tout cela ira sans doute en se normalisant. Cela dit, je n'ai pas l'impression que l'offre de soins soit à l'avenir influencée par ce que cela va rapporter, alors qu'elle me paraît beaucoup plus liée pour l'instant à des considérations d'intérêt intellectuel ou pratique : j'observe que mes collaborateurs préfèrent effectuer des greffes de foie qu'opérer des hernies inguinales, alors que les besoins sont beaucoup plus importants. Peut-être l'arrivée de la T2A permettra-t-elle de mieux adapter l'offre de soins à la demande.

M. Xavier Bertrand : Vous avez tout à fait raison, mais il reste un risque que je ne veux pas évacuer. Les urgentistes s'inquiètent à l'idée que la T2A puisse donner lieu à une dérive qui jouerait au détriment de l'activité d'urgence ; je leur ai répondu que si un phénomène de ce genre était relevé d'une façon non isolée, il nous faudrait alors clairement poser, sans aucun tabou, la question du niveau moyen des groupes homogènes de séjours (GHS). Si nous voulons que le système soit pleinement accepté, nous devons anticiper tout risque de dérive.

S'agissant des dispositifs médicaux implantables (DMI), seules quelques dizaines de dossiers ont posé problème, notamment en orthopédie. Mais c'est évidemment de cette trentaine-là que l'on parle, et non des centaines qui n'ont posé aucune difficulté ! Le groupe opérationnel mis en place suite au protocole signé début février 2006 se réunira demain, puis le 5 juillet pour me transmettre des propositions afin de vérifier si, oui ou non, le compte y est. Je n'admettrai pas, je le dis solennellement, de dérives sur la qualité des actes et des dispositifs proposés. En clair, si le niveau moyen ne correspond pas aux besoins, je n'ai pas envie que l'on opère à l'économie et que l'on rogne sur la qualité. Je l'ai dit suffisamment clairement lorsqu'un rapport a été publié sur les blocs chirurgicaux : la seule chose qui guide mes pas, c'est la qualité. Je ne transigerai pas sur le niveau moyen des GHS : s'il y a des imperfections et des corrections à apporter, j'y suis prêt. Encore faut-il s'en assurer et jouer cartes sur table. La question de l'inscription sur la liste des dispositifs rémunérés en sus des tarifs m'offre également des possibilités pour remédier aux erreurs ou procéder aux ajustements nécessaires. Je ne réunis pas un groupe de travail pour enterrer un problème, mais bien pour le régler.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Ne faudrait-il pas clarifier le rôle des ARH dans le pilotage ? Jusqu'à quel point peuvent-elles intervenir dans l'attribution des enveloppes complémentaires ou dans le domaine de l'organisation ou de l'implantation ? Enfin, la T2A a-t-elle déjà produit des effets sur l'offre et la qualité des soins ? Peut-on les mesurer ?

M. Xavier Bertrand : Vous posez en fait le problème de l'articulation entre la T2A et la planification sanitaire. Beaucoup de craintes avaient été exprimées sur les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) ; en fin de compte, les choses se sont plutôt bien passées, à croire ce qu'en disent la presse régionale, comme les élus locaux. Permettez au ministre de le souligner.

Les SROS ont pour objet de proposer une offre de soins qui corresponde aux besoins de la population, au vu notamment des évolutions démographiques. La première étape a consisté à procéder à un chiffrage homogène des SROS, afin d'évaluer l'évolution des dépenses qu'ils sont susceptibles de générer et procéder à des comparaisons entre régions. J'y suis très attaché car il faut savoir mettre un terme aux inégalités territoriales : ainsi la région Picardie vient juste après le Nord-Pas-de-Calais pour ce qui est de la morbidité et de la faiblesse de l'espérance de vie ; ces disparités territoriales ne doivent plus être considérées comme une fatalité.

Dans un deuxième temps, il faudra tirer les conséquences de cette analyse eu égard à la progression des dépenses d'assurance maladie dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale. Il ne s'agit pas de déshabiller l'un pour habiller l'autre, mais de se ménager les moyens de donner davantage à celles et ceux qui souffrent d'un handicap en matière de santé. On le dit depuis longtemps ; il est temps de le faire et j'ai bien l'intention de proposer une série d'orientations nouvelles dans le cadre du projet de loi de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, tout en continuant à ramener l'assurance maladie à l'équilibre. En moins de trois ans, nous aurons réussi à diviser son déficit par quatre ; il n'est que temps de mettre un terme aux inégalités territoriales.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela ira-t-il de pair avec un décloisonnement de l'offre hospitalière et du secteur médico-social ?

M. Xavier Bertrand : Je pense depuis longtemps que l'un des principaux maux de notre système de santé au sens large reste le cloisonnement.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela correspond tout à fait à nos conclusions.

M. Xavier Bertrand : N'oublions pas que la seule chose qui compte pour nos patients, c'est la prise en charge. J'ai demandé hier aux ARH de solliciter certains accords locaux : il est grand temps de passer la surmultipliée à propos des agences régionales de santé (ARS), en commençant par répondre à la seule question qui vaille : une ARS, pour quoi faire ? Mais je souhaite également que, pour ce qui touche à la régionalisation, on aille encore plus loin. La loi a été votée, il n'y a plus qu'à l'appliquer. Encore faut-il trouver des partenaires et ne pas s'en tenir aux déclarations d'intention : il faut passer aux actes, déposer des candidatures, trouver des expérimentations différentes, avec une philosophie, des moteurs différents.

Les ARH jouent un rôle essentiel dans la coordination des programmes de contrôles, en matière de sécurité sanitaire - dans les établissements réalisant moins de 2 000 actes par an comme dans les autres, je continuerai de prendre mes responsabilités dès lors que la sécurité est en cause - comme en matière de tarification. Si l'assurance maladie a vocation à contrôler, elle n'a pas pour autant vocation à décider des sanctions à la place des ARH : tout le monde doit travailler ensemble. Les amendements qui avaient été introduits à cet effet dans le PLFSS au Sénat n'ont finalement pas été retenus à l'issue des débats. Les ARH sont devenues un interlocuteur privilégié des établissements de santé publics et privés et la T2A renforce encore leur implication dans la gestion du système hospitalier, qu'il s'agisse d'analyser les projections d'activités, d'apprécier le niveau de charge des établissements ou la façon dont elles mènent la négociation sur les DMI. Les 265 millions d'euros que je leur ai délégués témoignent de mon souci de leur donner davantage de marge de manœuvre.

L'ARH a vocation à agir à deux niveaux : premièrement, à celui de l'organisation des soins dans le cadre des SROS, deuxièmement, à celui de la contractualisation avec les établissements, c'est-à-dire des financements afin de pouvoir faire du sur-mesure, traduire et concrétiser les SROS. En tout état de cause, elle a un rôle essentiel à jouer, y compris en termes de contrôle.

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur le ministre, il ne nous reste plus qu'à vous libérer en vous remerciant de la précision de vos réponses.

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La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu M. François Carayon, sous-directeur de la sixième sous-direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, et Mme Florence Gérard-Chalet, directrice d'hôpital, en poste au bureau des comptes sociaux et de santé à la sixième sous-direction du budget.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir d'accueillir M. François Carayon, sous-directeur de la sixième sous-direction du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, accompagné par Mme Florence Gérard-Chalet, directrice d'hôpital, en poste au bureau des comptes sociaux et de santé à la sixième sous-direction du budget.

M. Jean-Marie Roland, rapporteur : Comment la direction du budget a-t-elle été associée à la conception, à l'application et désormais à l'évaluation de la tarification à l'activité ?

M. François Carayon : Je suis heureux de me retrouver devant vous : nous sommes désormais des habitués de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale.

Notre rôle est d'intervenir comme conseiller financier du Gouvernement au moment de l'élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale et de lui donner un avis sur la majorité des textes à incidence financière - dont évidemment ceux qui ont instauré la tarification à l'activité (T2A). Nous intervenons par ailleurs en tant que tutelle financière de plusieurs structures concernées, notamment les agences régionales de l'hospitalisation et l'Agence technique de l'information hospitalière (ATIH), mais également l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Cette dernière, qui représente 10 % de la dépense hospitalière en France, est pour nous un excellent thermomètre.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : À ceci près que l'AP-HP n'est pas forcément représentative de l'ensemble.

M. François Carayon : Cela étant, nous ne sommes évidemment pas le service gestionnaire des crédits en question, qui relèvent du ministre de la santé. Nous n'avons pas de compétences en matière d'expertise technique ni de statistiques et nous ne participons pas au Conseil de l'hospitalisation. Notre vision reste avant tout macro-économique ; nous avons été amenés à suivre la mise en place de cette affaire, à intervenir dans les discussions de cadrage et à négocier, comme chaque année, l'évolution de la part hospitalière de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM).

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quelle est votre appréciation des impacts financiers de la T2A ? Deux ans et demi après sa mise en place, a-t-elle eu les effets que vous en attendiez ? Avez-vous pu évaluer la partie du dépassement de l'objectif de dépenses de médecine, chirurgie et obstétrique (ODMCO) imputable à la T2A ?

M. François Carayon : La T2A est désormais une réalité : on en parlait depuis quinze ans dans divers cercles et beaucoup disaient qu'on n'y arriverait jamais. C'est déjà un premier point qu'il faut saluer. Cela dit, sa mise en œuvre est encore très partielle et l'on ne peut que relever le décalage entre, d'une part, les principes et le déploiement de la réforme et, d'autre part, la mise en œuvre des dispositifs de régulation nécessairement associés à un ONDAM hospitalier voté par le Parlement, pour peu qu'on veuille le voir respecté.

Le Comité d'alerte, composé de trois personnalités indépendantes, a observé un dépassement de l'ONDAM hospitalier de 700 millions d'euros en 2005. Nous ne sommes pas en mesure d'en chiffrer la part imputable à la T2A, mais il est certain qu'il existe des risques de surcroît d'activité, d'une course au volume pour bénéficier de recettes, d'autant que la T2A n'est pas en soi un dispositif de régulation. Un système de dotation globale - c'est tant, point final - est de ce point de vue plus efficace... La T2A doit être associée à des dispositifs de régulation - c'est le but du codage et du contrôle du codage - et avoir pour objectif d'inciter les établissements à réaliser des gains d'efficacité et à mettre en œuvre des restructurations internes, mais également externes par le biais de la planification de l'offre de soins. Autrement dit, ce n'est qu'un outil parmi d'autres qui doit s'inscrire dans une réflexion globale sur l'offre de soins.

Ajoutons qu'il y a également dans la T2A un aspect de mobilisation de l'ensemble de la communauté médicale : loin de rester l'affaire de quelques experts financiers, elle doit devenir un outil de pilotage interne des services ou des pôles d'activité, ce qui suppose de répondre à une double exigence de lisibilité et d'explication. Ce grand projet, qui repose sur un nouveau mode de management par la performance, nécessite, par définition, l'adhésion de tous, et donc un énorme travail de pédagogie.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Le risque inflationniste avait souvent été évoqué lors de la mise en place de la T2A. Quel est votre sentiment ?

M. François Carayon : Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF), comme celui de la Cour des comptes s'accordaient sur le fait que, mécaniquement, toute tarification à l'activité a un effet inflationniste. Toutefois, le Comité d'alerte a rappelé dans son avis qu'il existait des outils à mettre en œuvre dans le cadre du codage et du contrôle du codage, mais également des outils de planification hospitalière, les agences régionales de l'hospitalisation (ARH), notamment devant négocier les contrats avec les établissements sur les activités cibles et vérifier si celles-ci ont bien été déterminées en fonction des besoins de la population, et enfin des outils infra-annuels : non seulement une réserve de précaution de 250 millions d'euros, non prise en compte dans la fixation des tarifs, a été constituée au niveau national, mais encore un certain nombre d'enveloppes sont déléguées en cours d'année, sans oublier la possibilité toujours ouverte d'ajustements tarifaires. Autrement dit, et le Comité d'alerte l'a expressément rappelé, nous ne manquons pas d'outils d'ajustement.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Le codage et la transmission des données ont fréquemment été l'objet de remarques au cours des dernières auditions. Quel est votre sentiment ? Pensez-vous que cela ait pu nuire à une bonne appréciation de la T2A ? Quelle est à vos yeux l'importance des contrôles dans la mise en place de ce nouveau système de financement des établissements ?

M. François Carayon : Certes, la synchronisation n'a pas été parfaite du fait de la complexité de tous les outils à mettre en œuvre. Le codage et la qualité des contrôles ont évidemment une importance de premier ordre. Cette compétence relève de l'assurance maladie pour ce qui est des soins de ville et des cliniques et il appartient de mettre en place ce même contrôle dans l'ensemble des établissements en procédant aux adaptations et aux décloisonnements nécessaires. Non seulement les contrôles et la qualité du codage ont déjà donné lieu à des textes réglementaires, mais la future convention d'objectif et de gestion entre l'État et la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) en fait explicitement une priorité.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Avez-vous regardé si, dans les autres pays, les ministères des finances avaient été associés à des réformes de ce genre ?

Mme Florence Gérard-Chalet : Nous avons, sinon des comptes rendus sur les nouvelles modalités de financement mises en place en Allemagne ou en Angleterre, en tout cas des correspondants que nous pouvons mobiliser sur tel ou tel point ponctuel pour répondre à un besoin d'expertise particulier ou tout simplement enrichir notre réflexion au vu des difficultés observées chez nos voisins. Cela étant, la mise en œuvre de la T2A ayant donné lieu à des choix très spécifiques, nous n'avons pas de documents particuliers à vous remettre ; mais des échanges sont organisés avec les principaux pays qui, eux-mêmes, ont mis en place un système de tarification quelque peu analogue au nôtre.

M. Pierre Morange, coprésident : Sur le plan qualitatif, pensez-vous que la T2A ait d'ores et déjà pu avoir une incidence sur les déplacements d'enveloppes sanitaires et les mouvements d'activité de l'hôpital vers la ville ou inversement, dans quels secteurs et pour quelles raisons ?

M. François Carayon : Vous vous placez sur le terrain de la qualité et non plus de la performance... Nous attendons beaucoup de la T2A sur ce terrain-là. Le système de la dotation globale était une sorte de « boîte noire » : non seulement l'État prescripteur avait du mal à voir ce qu'il finançait et quelle était la réalité de l'activité, mais les établissements eux-mêmes étaient victimes d'un effet pervers puisqu'il leur était impossible de se comparer entre eux, si ce n'est par le biais du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et des points ISA (indice synthétique d'activité), etc., mais tout cela reste technique, pour ne pas dire technocratique. Surtout, qui dit boîte noire dit sentiment d'impuissance en voyant s'empiler des milliards sans pouvoir connaître véritablement l'usage de l'euro dépensé. La grande force du raisonnement qui a présidé à la T2A tient au fait qu'il permet de se rendre compte que beaucoup de choses sont possibles, à condition toutefois de le rendre compréhensible par la communauté médicale, afin qu'elle devienne acteur du changement. Mettre la réalité de l'activité au centre du financement, rendre la T2A accessible au médecin, permettre les comparaisons, trois idées qui ne demandent qu'à devenir des leviers puissants.

Nous n'avons pas encore suffisamment de recul pour dire si la T2A a généré des effets de déplacement d'activité entre la médecine ambulatoire et l'hôpital. On pourrait penser que, par le fait qu'il développe son activité, l'hôpital en prendra une part à la médecine de ville, mais on pourrait tout aussi bien soutenir à l'inverse que, faute de pouvoir continuer à exercer des activités non rentables, il s'en délestera sur d'autres. Aucun indicateur ne permet pour l'instant de confirmer l'une ou l'autre thèse, mais la possibilité d'observation très fine qui nous est désormais donnée nous apportera effectivement des enseignements très intéressants.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela m'avait amené à demander au ministre s'il confirmait bien sa volonté de décloisonner le secteur sanitaire et le secteur médico-social, dans une philosophie de globalisation de l'offre de soins visant à répondre à tous les types de souffrances, quelle que soit la tranche d'âge.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Le rythme de montée en charge de la T2A vous paraît-il satisfaisant ? Les objectifs de convergence intrasectorielle ou intersectorielle ont-ils à votre avis été correctement estimés ?

M. François Carayon : Pour ce qui est des délais, la loi a arrêté des choix qu'il ne nous appartient pas de contester, et ce d'autant moins que nous sommes convaincus de l'intérêt du pilotage par la performance. Le calendrier de mise en œuvre de la T2A est pour nous un objectif que nous devons nous attacher à tenir.

Et les perdants ? La question a été posée. Reprenant ma casquette de financier, je me reporte aux estimations officielles du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM), selon lesquelles 4 % des établissements seraient contraints à un effort d'efficience supérieur à 2,3 % de l'ensemble de leur budget par an. Est-ce beaucoup, est-ce peu ? Vu d'en haut en tout cas, on peut penser que cela ne devrait pas soulever de préoccupation particulière, pour peu évidemment qu'il y ait sur le terrain une réelle volonté d'améliorer l'efficience du système et de faire des progrès au sein de la structure. Les mêmes évaluations font apparaître deux tiers de « gagnants » et un tiers de « perdants » avec le nouveau système. On peut toutefois se demander si un tel vocabulaire est bien adapté. Premièrement, l'objectif global reste tout de même de rendre la dépense de santé française plus efficace, alors même qu'elle est supérieure à celle des autres pays. Autrement dit, le gain d'efficacité profite à tous, aux « gagnants » comme aux « perdants ». Deuxièmement, l'idée est évidemment de privilégier les meilleures pratiques, et non de considérer que, au motif qu'il serait « gagnant », un établissement devrait engranger de l'argent en plus. Autrement dit, qu'il doit faire la même chose, mais en coûtant plus cher !

Pour ce qui est de la convergence tarifaire public-privé, le Parlement a fixé un objectif et le ministre a rappelé la nécessité d'une bonne connaissance des facteurs objectifs d'écart, qu'il faut mettre à plat, expliquer, analyser à partir de panels et d'études ciblées qu'il faudra encore parfaire.

Enfin, le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a indiqué que la priorité devait être donnée à la convergence intrasectorielle : là encore, l'idée est de parvenir à des gains d'efficacité globale sur l'ensemble du système, afin que les euros aillent là où c'est le plus utile, et donc de converger vers les meilleurs. Reste à déterminer ce que l'on entend par « les meilleurs » ; en tout cas, il faudra faire mieux que la moyenne : le but n'est pas de dépenser 1,30 euro là où d'autres arrivent à faire la même chose avec un euro.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : De nombreux organismes s'efforcent comme nous de mieux comprendre les tarifs du public et ceux du privé, et l'exercice n'est pas facile. Avez-vous identifié des facteurs de surcoût dans le public ? Comment les chiffrer ?

Mme Florence Gérard-Chalet : La direction du budget n'a pas plus d'études que d'autres. Beaucoup d'informations circulent dans le domaine public et surtout beaucoup d'hypothèses sont avancées par les uns et les autres pour évoquer les surcoûts : situation sociale des patients, pathologies, rémunérations, charges, modalités d'achat, organisation. Autant d'arguments qui font souhaiter le lancement d'une étude dans les meilleurs délais, afin que nous ayons rapidement une vision tout à la fois du juste prix et de la prestation équivalente, deux éléments qui pour l'instant font débat et bloquent toute convergence public-privé.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Au moment où nous souhaitons obtenir le meilleur rapport qualité-prix plutôt que le prix moyen, est-il inimaginable de déterminer une base de coûts pour savoir quel serait le meilleur tarif et bien comprendre toutes les composantes du prix d'un soin ou d'un acte de manière à faciliter les convergences entre secteur privé et secteur public ?

M. François Carayon : C'est bien à cela que devront servir les études évoquées. Toute la difficulté est d'aboutir, à travers la tarification, à un système objectif et compréhensible sans pour autant aller trop loin dans le raffinement au risque d'aboutir pratiquement à une tarification au patient. Les professionnels de santé répètent souvent que chaque patient est différent, avec ses particularités, ses besoins, ses pathologies et ses complications spécifiques ! Entre la dotation et une tarification à l'euro près qui n'aurait plus rien de forfaitaire, la T2A apparaît finalement comme un équilibre en proposant un système tout à la fois responsabilisant pour les gestionnaires et la communauté médicale, fondé sur des groupes homogènes pas trop nombreux ni trop compliqués pour rester compréhensibles, mais suffisamment représentatifs de la diversité des situations et des activités. Encore faudra-t-il à un moment donné stabiliser le système, afin justement de préserver sa lisibilité par la communauté médicale et l'assurer d'une réelle stabilité de la règle du jeu. Pour l'instant, nous sommes encore dans la phase d'adaptation.

Mme Florence Gérard-Chalet : En fait, vous auriez aimé pouvoir reconstituer pour chaque pathologie une sorte de prix d'achat théorique en fonction d'une série de paramètres prédéterminés - chirurgien, consommables, etc. Le choix de principe sur lequel repose notre T2A est un peu différent, en ce qu'elle procède d'abord du terrain et du constat de ce qui y est fait : c'est également une question de légitimité et de confiance pour la communauté hospitalière. Même si la question est posée de savoir s'il faut se référer au coût moyen constaté ou s'il ne serait pas possible de prendre des coûts plus bas, la démarche consiste à se référer à ce qui est possible, à ce qui se fait, afin de permettre aux acteurs de réfléchir à leurs pratiques, à leur organisation, à leur fonctionnement, à leur productivité et, partant de là, à améliorer leur efficience. C'est elle qui donne du sens et de la cohérence au système et nous perdrions certainement à tenter de faire appel à des constructions exogènes, étrangères au secteur.

M. Pierre Morange, coprésident : Toute la philosophie de la T2A vise à établir un cadre de référence tarifaire marqué par la transparence et l'équité, ce qui renvoie immédiatement à la problématique de la collecte de l'information, afin d'éclairer les zones d'ombre jusqu'alors masquées avec la dotation globale. Cela dit, les systèmes d'information comptables et financiers des établissements permettront-ils de passer à l'EPRD dès cette année ? L'objectif de la comptabilité analytique, évoqué de façon parfois obsessionnelle, exigera-t-il des adaptations particulières ou le dispositif en place vous paraît-il suffisant ?

M. François Carayon : La question du système d'information est effectivement cruciale. Pour ce qui est de la facturation, par exemple, les paiements sont effectués par douzième aux hôpitaux et une régularisation intervient tous les trimestres. Les établissements doivent faire remonter les informations avant la fin du mois suivant la régularisation, les ARH ont quinze jours pour les centraliser et tout est collationné au niveau de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS). De ce fait, je n'ai encore aucune donnée sur le premier trimestre 2006, puisque l'information ne remonte pas à la direction du budget et doit se trouver entre les ARH et la DHOS. On comprend dès lors l'intérêt que pourrait présenter une facturation « au fil de l'eau » dans laquelle l'établissement facturerait en même temps au patient et à l'assurance maladie la part qui incombe à chacun. De ce fait, l'assurance maladie connaîtrait en permanence non seulement le montant financier, mais également le codage, autrement dit l'activité correspondante, ce qui permettrait un suivi en temps réel.

M. Pierre Morange, coprésident : L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ne paraît pas convaincue des mérites d'une facturation directe aux caisses, dont vous venez de décrire les avantages sur le plan de la réactivité et des possibilités d'adaptation en temps réel, à l'opposé de l'inertie de l'actuel système. Quelle est la bonne posture ?

M. François Carayon : Il faut insister sur la connaissance de la nature du séjour. Il est fondamental pour l'activité de l'assurance maladie, a fortiori dans un contexte de régulation médicalisée, de savoir exactement quelle est la nature des pathologies traitées entre ville et hôpital. Cela dit, plutôt que de laisser quelque 3 000 établissements adresser individuellement leurs factures à la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ou à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), on peut fort bien imaginer un système avec un point nodal, une caisse centralisatrice qui répercuterait ensuite l'information : c'est une simple question de tuyauterie, qui ne remet absolument pas en cause d'intérêt d'une facturation en temps réel.

Mme Florence Gérard-Chalet : L'important est ensuite de connaître la nature de l'activité, afin de pouvoir poser des hypothèses quant aux dépenses hospitalières de l'année suivante en minimisant les risques de dérapage. La pertinence des hypothèses initiales dépendra de la bonne connaissance de l'activité, et donc de la qualité de l'information.

La question de la comptabilité analytique est effectivement posée de manière récurrente ; mais, à moins d'y trouver un plaisir intellectuel, on en vient à se demander à quoi sert un tel brassage de données, qui mobilise énormément de temps. La Mission nationale d'expertise et d'audit hospitaliers (MEAH) y a consacré un de ses chantiers, afin de montrer l'intérêt des établissements à se mobiliser sur ce sujet. On parle de « gagnants » et de « perdants », sachant qu'un tiers des établissements sont dits « perdants ». Et les autres ? Tout le monde a intérêt à agir pour connaître ses coûts et ses activités, et l'on ne donnera pas d'argent à certains établissements sans leur demander de contreparties et d'efforts supplémentaires.

Contrairement à une idée répandue, il n'y a pas plus d'avantage à mettre en œuvre la comptabilité analytique dans le secteur privé lucratif que dans les hôpitaux publics ; en revanche, on a observé que les cliniques privées s'y mettaient dans une optique directement opérationnelle : on cherchera immédiatement à savoir, en orthopédie par exemple, le coût d'implantation de telle prothèse dans tel bloc opératoire, et les moyens de mieux le maîtriser. À l'hôpital, on cherche le Saint Graal de la comptabilité analytique, qui permettrait de reprendre l'intégralité des éléments de coûts et d'activité et que l'on pourrait interroger à loisir. À trop vouloir sophistiquer un outil, à exiger qu'il réponde à toutes les interrogations, on en reste, dans bon nombre d'établissements, à ces questions techniques. Il faut commencer par leur donner de l'intérêt à agir ; ensuite, ils agiront.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Ont-ils seulement compris l'intérêt ?

Mme Florence Gérard-Chalet : Je crois qu'ils l'ont compris.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Je m'aperçois à vous entendre que l'on n'est pas près d'arriver à une appréciation précise des coûts et des gains de productivité, et à la détermination de tarifs uniques complets, incluant les honoraires et le reste, applicables à tous les secteurs !

M. François Carayon : Je m'en voudrais de vous donner ce sentiment... Nous nous en tenons à une action certes modeste, mais extrêmement proactive et de nature à encourager le mouvement. Il ne faut pas viser l'exhaustivité ni la perfection absolue, ne serait-ce que parce que la tarification idéale n'existe pas. Il faut un système utilisable, adaptable aux cas particuliers, visible, et surtout compris pour être responsabilisant. Ajoutons qu'il est parfaitement possible de travailler sur la base d'études et d'échantillons ; pour peu que l'échantillon soit bien construit par de bons experts travaillant dans un cadre et un calendrier bien définis, avec obligation de produire pour une date donnée, il sera tout à fait applicable. Ce sont là les pratiques très habituelles de toute organisation.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Partagez-vous l'avis du Haut conseil, qui suggère de ne pas attendre ?

M. François Carayon : Totalement.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Plusieurs pays, qui s'étaient lancés dans la tarification à l'activité, ont finalement préféré mettre en place des systèmes de tarification différenciée selon les établissements. Serait-ce une solution de repli envisageable ou reste-t-on à l'idée que nous avons suffisamment de données et que nous devons essayer de parvenir à la convergence ?

M. François Carayon : Là encore, nous partageons l'avis du Haut conseil : le principe est bon, adoptons une démarche pragmatique en commençant par des gros efforts au sein de chaque secteur et en gardant à l'esprit l'objectif de convergence tel qu'il a été fixé.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La Cour des comptes, dans sa communication à la MECSS, a été assez critique sur le pilotage de la réforme. Peut-on envisager en France qu'un organisme indépendant soit chargé des aspects techniques de la classification, mais également des aspects économiques, ou faut-il garder le dispositif actuel, où plusieurs organismes interviennent, qui dans la définition des groupes homogènes de séjours (GHS), qui dans celle des groupes homogènes des malades (GHM), qui dans la mise en place des financements complémentaires, missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) et autres, au risque de rendre moins lisibles les buts de l'opération ?

M. François Carayon : Je vous épargne le recensement des multiples organismes parties prenantes dans cette affaire, mais je le tiens à votre disposition ! On peut comprendre une démarche pragmatique qui, face à un concept révolutionnaire, consiste à mettre au plus vite en place des structures dédiées. Du reste, trois missions dédiées ont été simultanément mises sur pied concernant la T2A, l'appui à l'investissement et l'audit-expertise. Cela dit, en régime de croisière se pose tout naturellement la question de l'organisation des moyens dans un triple but : premièrement, clarifier le rôle de chacun - agence technique de l'information, missions diverses, direction centrale, ARH, CNAMTS, etc. -, deuxièmement, mettre en commun des moyens qui parfois se recoupent, troisièmement, aller élaborer les règles les plus lisibles possible. Ce à quoi il faut ajouter la question de l'amélioration de l'articulation entre les différents secteurs, notamment entre la ville et le médico-social. On peut légitimement se demander comment la tarification à la pathologie peut se comparer avec les coûts exposés dans d'autres secteurs, ou quelles modalités de prise en charge retenir dans le cas d'une personne traitée pour une part en ville, pour une part à l'hôpital. Il serait paradoxal d'en rester à une expertise technique uniquement centrée sur les traitements en MCO ; une expertise sur le codage devrait logiquement s'inscrire dans une vision transversale du patient et des pathologies.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La même question vaut pour le pilotage régional : le rôle des ARH, notamment, n'apparaît pas toujours très clair à nos interlocuteurs et notamment aux fédérations hospitalières et aux responsables d'établissements. Quel est leur rôle en particulier dans la détermination des enveloppes complémentaires ?

M. François Carayon : Les ARH fêtent cette année leur dixième anniversaire et tout le monde s'accorde à reconnaître leur bilan positif. Ces groupements d'intérêt public associant très étroitement l'assurance maladie ont montré leur pertinence au niveau régional, notamment sur le plan de la visibilité - et il ne faudrait pas que des enveloppes nationales se traduisent par une perte de visibilité -, mais également sur celui de l'analyse économique. Loin de les remettre en cause, il s'agit surtout de les conforter dans un nouveau rôle directement lié à la T2A, davantage tourné vers l'offre de soins, un rôle de planification au sens large et d'articulation avec les autres secteurs et l'assurance maladie. Les ARH ont vocation à devenir des acteurs tout à fait centraux.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Certaines fédérations nationales ont trouvé que la clarté n'était pas des plus évidentes dans l'attribution des allocations de financement, par exemple, chaque directeur d'ARH ayant ses priorités et sa politique propre en la matière. Avez-vous eu des retours à ce sujet ?

M. François Carayon : Non, car nous n'avons aucun contact direct à ce niveau. La première question, soulevée du reste par le Haut conseil, se situe plutôt au niveau de l'objectivation des enveloppes des MIGAC, jusque-là établies sur la base des déclarations, ou plutôt des justifications avancées par les hôpitaux. La deuxième question est celle de l'évolution dans le temps, pour ne pas laisser s'introduire de disparités de traitement entre les hôpitaux avec MIGAC et les hôpitaux sans MIGAC : le fait qu'une activité soit financée par une dotation spécifique ne signifie pas pour autant qu'il n'y ait pas de souci d'efficacité. Il faudra assurer un suivi dans le temps pour démontrer l'absence de « fuites » entre les divers éléments du système : une part de la crédibilité de la réforme en dépend et les pouvoirs publics doivent en avoir conscience.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Dans le domaine des médicaments et des dispositifs médicaux implantables, peut-on dire que la T2A ait favorisé une meilleure politique des achats des hôpitaux ? On nous a rapporté des différences de tarifs impressionnantes, qu'il s'agisse de prothèses, d'oxygène ou d'autres produits. La T2A a-t-elle permis d'améliorer cette situation ?

Mme Florence Gérard-Chalet : Dans le système précédent, les hôpitaux étaient confrontés à des difficultés de financement de bon nombre de dispositifs ou médicaments particulièrement coûteux, qui obligeaient à des redéploiements de crédits. L'objectif de la T2A est d'introduire un peu de clarté, en considérant soit que le dispositif médical ou médicament en question est couramment utilisé pour tous les séjours liés à la même pathologie, auquel cas il a vocation à entrer dans la rémunération de séjour, soit que son utilisation n'est pas systématique, auquel cas celle-ci devra être justifiée ponctuellement et le remboursement interviendra en sus du séjour, à l'euro près. Le financement des médicaments et dispositifs médicaux avait effectivement connu une forte progression - presque 30 % - la première année. Cela dit, quel que soit le financement choisi, l'exigence en matière d'efficience doit être toujours la même : on doit notamment veiller, conformément aux bonnes pratiques hospitalières usuelles, à la bonne prescription du produit, et seulement lorsque c'est nécessaire. Les modalités de régulation au travers du contrat de bon usage des médicaments doivent normalement garantir que la souplesse ainsi offerte ne donne lieu à aucune dérive. Il se produit un petit décalage entre la mise en œuvre de la réforme elle-même et la signature des contrats de bon usage, dont un tiers seulement ont été signés durant le premier trimestre. Chaque signataire doit être très précis dans ses choix, entre ce qu'il mettra dans les séjours ou ce qu'il laissera hors de la liste, et quel que soit le mode de financement choisi, se montrer tout aussi exigeant dans l'application des bonnes pratiques dans l'établissement.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous eu vent de choix particuliers exercés par certains établissements tendant à privilégier certaines pathologies ou certains soins par rapport à d'autres ?

M. François Carayon : Nous n'avons pas eu de remontées d'informations de ce genre. Cela dit, les données qui nous remonteront sur l'évolution de l'activité des hôpitaux seront l'occasion de se poser la question de fond du rôle de l'hôpital dans le parcours de soins. Premièrement, quelle est la place de l'hôpital X, situé à tel endroit, dans une carte sanitaire par rapport aux hôpitaux Y et Z à côté, à la médecine de ville, à la permanence de soins et aux établissements médico-sociaux de la zone ? Deuxièmement, quel est le rôle des hôpitaux publics et privés en général ? La réflexion autour du parcours de soins développée sur la médecine de ville ne vaut-elle pas également pour l'hôpital ?

Ne voyez là aucune critique de l'hôpital, bien au contraire : on n'y va pas par plaisir, mais dans le cadre d'un parcours de soins ; on y est envoyé, on y passe un moment de sa vie, on en ressort, on y revient, on passe en médico-social, etc. L'hôpital apparaît comme un moment dans un parcours de vie, ce qui pose trois questions. Premièrement, celle de l'accès à l'hôpital : qui  oriente  vers  l'hôpital ? Quelle  est  la  place  des  consultations  hospitalières  - actuellement 12 % des consultations en France ? Quelle est la place des urgences, dont 20 % sont suivies d'une hospitalisation, et 30 % seulement sont médicalement justifiées ? Deuxièmement, la question du « pendant », c'est-à-dire de la durée du séjour, des pratiques et du coût de la non-qualité - champ d'investigation considérable, qui nécessiterait des travaux de quantification passionnants ; troisièmement, la question de l'aval : l'hôpital est-il vraiment la structure la plus adaptée pour certains types de patients ? Quelles solutions alternatives peut-on imaginer et quelles reconversions mettre en œuvre ? Le Centre d'analyse stratégique, ex-Commissariat général du Plan, a sorti hier un rapport très intéressant sur les personnes âgées posant la question de savoir si l'hôpital était le plus adapté pour certaines personnes actuellement en long séjour. On voit bien la foule de réflexions que la T2A peut générer, qui pourraient être pour la décision publique une mine extrêmement précieuse dans le domaine de l'allocation des moyens.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La T2A n'est-elle pas essentiellement perçue comme un outil de connaissance et de maîtrise financières ? Croyez-vous réellement que l'on soit prêt à analyser l'ensemble des informations qui remonteront ? Des outils ont-ils été mis en place à cet effet ?

M. François Carayon : Il faut le souhaiter, et le HCAAM lui-même y a encouragé en soulignant l'intérêt d'une facturation à l'assurance maladie plus rapide et plus détaillée. Tout cela prendra sûrement du temps, mais cela revêt un intérêt proprement stratégique. Il peut vous paraître paradoxal qu'un représentant du ministère des finances s'intéresse moins à l'aspect financier qu'à l'activité. Notre exigence porte avant tout sur la performance des milliards d'euros investis dans le système ; et de l'amélioration de nos connaissances dépendront les évolutions structurelles, en profondeur, de notre offre de soins.

M. Pierre Morange, coprésident : Vos propos s'inscrivent parfaitement dans la philosophie de notre mission. La T2A, on le voit, n'est qu'un élément d'un puzzle plus vaste, celui de la globalisation d'une offre visant à répondre aux besoins de notre société.

Madame, Monsieur, nous vous remercions d'avoir participé à cette audition. Nous vous remercions de nous faire parvenir les informations et les propositions précises qui viendraient compléter notre échange de ce matin.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Et particulièrement la liste des organismes concernés par la T2A.

M. François Carayon : Je reste à votre disposition.

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