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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 2

Jeudi 19 octobre 2006
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de Mme Paulette Guinchard et M. Pierre Morange, coprésidents

SOMMAIRE

 

pages

Auditions sur l'action sociale du régime général de sécurité sociale et l'action sociale
des collectivités territoriales

- M. Patrick Hermange, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS)

- M. Jean-Jacques Tregoat, directeur général de l'action sociale (DGAS) au ministère de la santé et des solidarités

- M. Philippe Georges, directeur de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)


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La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu M. Patrick Hermange, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), M. Claude Périnel, directeur de l'action sociale nationale de la CNAVTS, et M. Laurent Tarrieu, chargé d'études.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation.

M. Patrick Hermange : Je vous présente, tout d'abord, les personnes qui m'accompagnent. M. Claude Périnel est directeur de l'action sociale nationale, et M. Laurent Tarrieu est son collaborateur, spécialiste des questions budgétaires et financières.

Vous me demandez d'intervenir sur un domaine très large. Je commencerai par deux questions préliminaires qui peuvent aider à structurer notre réflexion dès lors qu'il y a eu de nombreux rapports de missions de contrôle - de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de la Cour des comptes - sur la politique d'action sociale des différentes branches de la sécurité sociale et, en l'occurrence, de la caisse vieillesse.

La première question à se poser est la suivante : est-il légitime qu'un régime de retraite, qui concerne 11 millions de retraités, s'occupe d'autre chose que de verser des pensions ? Peut-il s'intéresser, par exemple, au mode de vie des retraités et à leur accès à divers services ? La direction et le conseil d'administration de la CNAVTS considèrent, quant à eux, que oui. Un autre acteur est fortement monté en puissance depuis 1997, les départements, au regard de la mise en place de la prestation spécifique dépendance (PSD), puis de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Le nombre de personnes prises en charge à ce titre est estimé à un million. Nous considérons que nous avons quelques responsabilités à l'égard à la fois de ce million de personnes, quoique indirectement puisqu'il y a un autre opérateur, et des dix millions restants dans le contexte actuel - et durable - de vieillissement de la population et d'alourdissement des dépenses collectives de santé face à ce vieillissement.

La seconde question qui mérite d'être posée est de savoir s'il est légitime ou non d'avoir une politique de prévention à côté de dispositifs destinés à répondre à un certain nombre de besoins. Depuis une dizaine d'années, notre pays a fait de grands progrès avec la mise en place de la PSD et de l'APA. Ces prestations contribuent, certes, à la prévention mais nous considérons, quant à nous, qu'elles ne suffisent pas pour développer une politique de prévention.

Au regard du partage des compétences qui a été instauré par le législateur, nous considérons que les caisses de retraite et, en particulier, le régime général peuvent, aux côtés d'autres opérateurs comme l'action sociale facultative des collectivités locales, jouer un rôle en matière de prévention, dès lors qu'il a une légitimité en amont à ne pas se contenter de distribuer des prestations.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la politique d'action sociale de la branche retraite. Elle est modeste, depuis de nombreuses années. Rappelons que la branche a été le principal acteur et opérateur, à côté de l'Etat et des départements, à avoir contribué, par le biais de prestations initialement destinées aux handicapés versées largement aux personnes âgées, à bâtir, depuis le rapport de la Commission d'étude des problèmes de la vieillesse, présidée par M. Pierre Laroque, la politique d'aide et d'accompagnement à domicile des personnes âgées. Des évolutions ont eu lieu en 1996 et 2001 : nous avons dû nous repositionner dans un panorama qui avait substantiellement changé. La période 2001-2004 a été à la fois une phase de transition, liée à la mise en place de l'APA, et un temps d'expérimentation et de réflexion pour redéfinir notre politique d'action sociale. Cette réorientation a été principalement mise en œuvre par le biais de notre nouveau cadre de gestion qui est la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2005-2008. Les départements prenant en charges les groupes iso-ressources (GIR) 1 à 4, il s'agit pour nous de voir comment répondre au mieux aux besoins des personnes qui ne sont pas encore atteintes par une perte d'autonomie, c'est-à-dire les GIR 5 et 6.

Il y a une trentaine d'années, la politique d'action sociale de la CNAVTS était consacrée principalement à la mise en œuvre de la prestation majeure qu'est l'aide ménagère à domicile. Cette prestation, qui constitue encore la partie la plus importante de nos dépenses, a été très largement déléguée au milieu associatif et aux centres communaux d'action sociale (CCAS). Les besoins des personnes âgées, dans une optique de prévention, ne pouvant se limiter à la distribution d'heures d'aide ménagère, il nous est apparu indispensable de diversifier les prestations offertes, d'adapter notre politique et de reprendre en mains la façon dont elle était mise en œuvre sur le terrain. La délégation de services qui a été accordée aux associations avait donné d'assez bons résultats, mais il nous semblait que la caisse nationale et les caisses régionales pouvaient être plus présentes dans ce dispositif, d'autant que des inflexions avaient été demandées par les corps de contrôle, en particulier par l'IGAS en 2004 lorsqu'elle avait fait le point sur la convention d'objectifs et de gestion 2001-2004. C'est en fonction de ces éléments que nous avons travaillé sur la réorientation vers les GIR 5 et 6 et sur l'aménagement des modes de réponse. Entre 2003 et 2004, nous avons procédé à un certain nombre d'expérimentations pour aboutir à une meilleure évaluation des besoins des personnes âgées. Jusque là - et c'est encore très largement le cas - on faisait une évaluation des besoins en heures d'aide ménagère, et pas tellement des besoins globaux des personnes. Il nous est apparu nécessaire de regarder de plus près l'environnement familial, les conditions de logement, les moyens à mettre en œuvre pour rendre ces personnes plus mobiles afin qu'elles puissent sortir et, quand elles ne pouvaient pas sortir, d'avoir des portages de repas, l'équipement nécessaire en téléalarmes là où la collectivité locale n'offrait pas ce type de prestations. Bref, nous voulions une évaluation la plus complète possible.

Nous avons fait monter en puissance ces nouveaux dispositifs, qui ont vocation à se déployer sur les quatre années de la convention d'objectifs et de gestion. Rappelons que les caisses régionales ont également un volet de compétences sanitaires. C'est donc l'occasion de faire le point là aussi. Nous mettons également en place des plans d'actions personnalisés (PAP) qui ont vocation à ne pas seulement répondre aux besoins avec un volume d'heures d'aide ménagère mais avec des prestations diversifiées alors que, concomitamment, monte en puissance la politique de services d'aide à la personne mise en place et impulsée fortement par le ministre de l'emploi.

Voilà la situation.

En 2005, elle a été un peu délicate car nous avons été confrontés, dans le cadre de ces réorientations, à une baisse relativement importante et vive du volume d'heures d'aide ménagère, qui a pris de court les associations et les CCAS. La convention d'objectifs et de gestion, qui avait été signée en mai 2005, s'est en effet appliquée dès l'été. Moyennant des redéploiements budgétaires, nous avons pu faire face à ces difficultés et remonter le volume d'heures d'aide ménagère et, à ce jour, nous n'avons pas de problèmes particuliers avec le monde de l'aide à domicile quant à la mise en œuvre de cette prestation.

S'agissant de la politique d'évaluation des besoins, l'IGAS a visité au printemps un certain nombre de caisses régionales. Les dispositifs d'évaluation et de montée en puissance des plans d'actions personnalisés lui ont paru relativement lents. Ils pourraient nécessiter des adaptations dans les prochaines années. Nous suivons cela mois par mois.

Les crédits alloués dans le budget 2006 pour les nouveaux dispositifs d'évaluation des besoins devraient être consommés à hauteur de 86 %, ceux destinés aux plans d'actions personnalisés à hauteur de 90 % et ceux prévus pour l'aide ménagère à hauteur de 93 %. Le mouvement n'était donc peut-être pas complètement engagé au printemps lorsque l'IGAS a mené ses investigations, car la caisse considère qu'il monte actuellement assez bien en puissance et répond aux objectifs recherchés. Je rappelle que l'un des objectifs était de mieux maîtriser les volumes et les enveloppes d'heures d'aide ménagère. Avec une prévision d'exécution de 93 %, le dispositif semble le permettre.

Concomitamment, nous ne percevons pas de réactions négatives ni de difficultés particulières avec le monde de l'aide à domicile, qu'il soit associatif ou qu'il appartienne aux CCAS, si ce n'est peut-être quelques difficultés ponctuelles qui font l'objet d'un examen avec les caisses et pour lesquelles il y a des réajustements d'enveloppes.

Là où nous avons un peu plus de difficultés, c'est dans l'autre champ de notre politique d'action sociale, c'est-à-dire l'aide à l'investissement et à l'équipement des établissements pour personnes âgées.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans une audition précédente, vous vous êtes interrogé sur la légitimité de pérenniser le dispositif d'aide à l'investissement dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Si je me souviens bien, vous envisagiez de le voir s'éteindre pour vous concentrer sur un partage des compétences entre vos services qui s'occuperaient des GIR 5 et 6 - en gros le secteur ambulatoire - et les départements qui s'occuperaient des GIR 1 à 4, avec des moyens plus institutionnels. En simplifiant, c'est bien cela ?

M. Patrick Hermange : En simplifiant, oui, avec la nécessité de mettre en place des systèmes d'évolution progressive.

M. Pierre Morange, coprésident : C'était mon premier point. Je voulais m'assurer que nous avions bien compris la philosophie : chacun se concentre sur un domaine de compétences particulier.

Deuxième point : dans votre introduction, vous avez rappelé la diversité des acteurs et la richesse des actions entreprises et, par là même, la complexité de ces dernières et le problème de la coordination des premiers. A votre sens, quel dispositif pourrait réaliser cette coordination et assurer la rationalisation des moyens ?

Troisième point : la répartition des compétences en matière de prévention de la dépendance. Le sujet n'est pas neutre car se pose, là aussi, la question de la frontière entre le sanitaire, le médico-social et le social pur puisque l'assurance maladie est chargée de mettre en œuvre la consultation gratuite de prévention des maladies neuro-dégénératives, pour les personnes âgées de plus de 70 ans, prévue par l'article 47 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et que la branche vieillesse aura la compétence, ou à tout le moins, participera à la prévention de la dépendance. Ne risque-t-on pas d'avoir, là aussi, un problème de coordination et de bonne utilisation des deniers publics ?

Dernier point : ne pensez-vous pas qu'un numéro identifiant unique à l'ensemble des organismes chargés de délivrer des prestations sociales, sanitaires et médico-sociales sur tous les établissements publics qui interviennent dans le domaine de la solidarité nationale ainsi qu'un croisement des informations avec les fichiers du fisc permettraient de s'assurer de la légitimité et de la qualité des soins ainsi que de l'égalité de traitement sur tout le territoire ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : En lien avec la troisième question de M. Pierre Morange, coprésident, pouvez-vous nous dire comment vous comptez articuler votre action de prévention de la dépendance avec la consultation gratuite qui est prévue par l'article 47 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 ?

M. Patrick Hermange : Concernant la coordination des différents acteurs, je dois avouer qu'à ce jour, celle-ci n'est pas optimale.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est joliment dit !

M. Patrick Hermange : Une investigation a été menée récemment pour regarder ce qui se passait entre nos caisses régionales et les départements. La situation n'est ni noire, ni complètement rose. Dans certaines zones géographiques, des partenariats se nouent aisément et sont constructifs. Dans d'autres, des départements considèrent qu'ils sont les seuls habilités à intervenir et ne sont pas spontanément ouverts à des collaborations. Nous le regrettons beaucoup. Chaque directeur a été missionné pour rencontrer le président du conseil général ou le responsable de la politique sociale. Les choses évoluent, mais pas à l'optimum. On pourrait, à mon sens, faire mieux. Nous avons un bilan complet de la nature des conventions qui existent et de la façon dont elles fonctionnent. Il y a des départements dans lesquels nos personnels participent aux équipes médico-sociales de l'APA, d'autres où il y a une reconnaissance mutuelle des évaluations. Certains y sont réticents parce qu'ils estiment qu'il y aurait des risques en termes de dépenses s'ils acceptaient des évaluations venant, par exemple, de nos équipes médico-sociales. Je rappelle que le service social des caisses est quand même impliqué, même si c'est inégalement, c'est vrai, dans les dispositifs d'évaluation que nous mettons en œuvre.

La situation est assez contrastée. Il existe néanmoins des coordinations structurelles dans le fonctionnement et d'autres plus ponctuelles pour le financement de certains projets.

Conviendrait-il d'aller plus loin ? Oui ! Quels types de formules faut-il envisager ? Je crois qu'il faudrait réactiver ce qui existe dans la loi de 2001 qui a créé l'APA, à savoir l'obligation d'une convention de coordination nourrie, et surtout la faire vivre. C'est ce dernier point qui pose problème. De ce point de vue, le législateur pourrait peut-être aller plus loin pour rendre plus actives ces coordinations. Nous regrettons beaucoup, pour notre part, de ne pas plus travailler avec certains départements. Il y a sans doute des responsabilités de part et d'autre, mais nous constatons quelquefois une fermeture de la part de certains départements qui considèrent que des financeurs et des acteurs extérieurs ne sont pas pleinement légitimes pour intervenir. Nous considérons, quant à nous, que nous avons une responsabilité à l'égard des onze millions de retraités, dont le million qui bénéficient actuellement de l'APA. Je pense qu'au niveau local, on pourrait envisager une coordination plus forte, et donc plus contrainte.

Au niveau national, nous sommes en train de travailler à une coordination avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) par le biais d'une convention - ainsi qu'il est prévu dans le dispositif législatif et réglementaire en cours de construction. Cela devrait faciliter un certain nombre de choses.

Nous avons un peu plus de mal à nouer un dialogue plus construit avec l'Association des départements de France (ADF).

Il convient donc déjà, avant de multiplier les structures nouvelles, de faire vivre, et bien vivre, celles qui existent et les dispositifs de coordination qui, d'ores et déjà, sont prévus.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : La CNAVTS pourra-t-elle nous communiquer le bilan des coordinations ?

M. Patrick Hermange : Bien sûr !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous avez dit qu'il faudrait que le législateur puisse permettre d'aller plus loin. Comment ?

M. Patrick Hermange : Peut-être faudrait-il une rédaction un peu plus contraignante de l'article de la loi sur l'APA qui traite de la coordination et qui a été codifié dans l'article L. 232-13 du code de l'action sociale et des familles. Ensuite, tout dépend de la bonne volonté des acteurs.

Cela touche de fait à la problématique de l'évolution des esprits. Compte tenu de la rareté des moyens et de la situation financière globale de notre pays, il convient d'optimiser les savoirs, les ressources disponibles pour essayer de faire la meilleure politique possible. Nous considérons que, actuellement, elle n'est pas optimisée, qu'il s'agisse des coordinations de financements ou des ressources humaines.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Au vu des expériences qui fonctionnent, avez-vous des pistes à nous soumettre pour activer ces conventions ?

M. Patrick Hermange : Nous allons vous en adresser.

M. Pierre Morange, coprésident : Pourriez-vous répondre aux deux autres questions : l'articulation de l'action de la prévention de la dépendance de la CNAVTS avec la consultation de dépistage des maladies neuro-dégénératives prévue dans le PLFSS 2007, et la création d'un numéro identifiant unique avec un fichier central ?

M. Patrick Hermange : La CNAVTS ne peut que plaider en faveur du dispositif que vous préconisez, étant considéré qu'elle est d'ores et déjà un des grands acteurs de la constitution de bases de données. Nos fichiers comportent des renseignements intéressant plus de 60 millions de Français puisqu'ils concernent les retraités, les bénéficiaires de pensions de réversion et un certain nombre de personnes décédées pour lesquelles il peut y avoir des ayants droit. Nous gérons également le répertoire national pour l'assurance maladie. Cela, nous savons le faire et nous avons tout à fait conscience de tous les gains et tous les avantages de ce type d'information centralisée. Donc, nous sommes tout à fait ouverts à cette idée.

Reste à convaincre les autres acteurs et à réfléchir, également, à la meilleure exploitation possible d'un tel fichier. Il ne s'agit pas de se faire plaisir en regroupant toute une série de flux d'informations. Il faut que ce soit un élément favorisant la coordination de l'action.

M. Pierre Morange, coprésident : Je note que vous êtes d'accord avec cette idée et vous annonce que j'ai déposé deux amendements en ce sens.

M. Patrick Hermange : Je vous remercie de l'information que vous nous communiquez. La CNAVTS ne peut que souhaiter à ce titre que l'on ne multiplie pas les identifiants. Il existe un identifiant sécurité sociale. Cela vaut la peine de voir s'il peut être utile.

M. Pierre Morange, coprésident : L'objectif est d'avoir un seul identifiant.

M. Patrick Hermange : S'agissant de la mise en synergie des différents acteurs de la prévention de la dépendance dans le contexte particulier de la nouvelle mesure de dépistage des maladies neuro-dégénératives, nous avons prévu une mention dans notre support d'évaluation et je vais laisser le soin à mon collaborateur, directeur de l'action sociale nationale, de vous en parler.

Je rappelle que nous avons toujours plaidé pour que la sécurité sociale joue un rôle important dans la prise en charge de la dépendance dès lors qu'elle a, avec les caisses régionales d'assurance maladie, la double compétence sanitaire et sociale.

Mais je laisse le soin à M. Périnel de vous expliquer comment nous allons intégrer la visite médicale qui est proposée gratuitement aux assurés.

M. Claude Périnel : Nous mettons actuellement en place un dossier national de référence pour l'évaluation des retraités, lequel dossier prend en compte, comme il a été indiqué tout à l'heure, non seulement les conditions de vie mais également l'état de santé des personnes, dans la mesure où les problèmes de santé créent souvent une rupture, en tout cas une période difficile à vivre pendant laquelle les personnes ont besoin d'aide. Nous avons une approche plutôt sociale. Nous nous en tenons donc au départ à l'état de santé déclaré par la personne. Pour autant, en raison de la mise en place de cette consultation de prévention, il est prévu que l'évaluateur informe le retraité et l'oriente vers des médecins généralistes de façon qu'il puisse en bénéficier.

M. Pierre Morange, coprésident : Pourquoi cela ne relève-t-il pas de la compétence de l'assurance maladie ? Ce n'est pas une critique. C'est une question.

M. Patrick Hermange : Je comprends bien et je ne suis pas là pour défendre tel ou tel territoire mais pour réfléchir à ce qui est, en termes de politique générale, le plus performant et le mieux adapté aux besoins. Les zones sur lesquelles nous intervenons actuellement sont l'aide ménagère ou l'aide au maintien des personnes à domicile. Cela n'est pas évident de considérer que cela relève de la maladie. Il en est de même de la téléalarme, du portage de repas, de l'aide au transport et, d'une façon générale, de tout ce qui facilite le maintien de la personne âgée dans son environnement.

M. Pierre Morange, coprésident : Ma question porte sur l'articulation entre le champ sanitaire spécifique et une logique de prévention et de santé publique, à mettre d'ailleurs en cohérence avec la loi relative à la politique de santé publique votée en 2004. Il n'est pas absurde d'imaginer que, dans le cadre de la prévention puis de la prise en charge de la curation, c'est-à-dire dans un mécanisme de prévention primaire, secondaire et tertiaire - avant, pendant et après la maladie - il y ait une continuité des acteurs et des compétences au titre assurantiel, dans le but de rationaliser, et non de rationner, et d'optimiser les moyens financiers, techniques et humains au service de l'assuré. A votre sens, cette logique est-elle respectée ?

M. Patrick Hermange : Elle n'est pas pleinement atteinte puisque, dans le cas des personnes vieillissantes, il y a une très forte interpénétration entre la dimension sanitaire et la dimension sociale, et celle-ci mériterait d'être mieux prise en compte. La CNAVTS a toujours été très critique sur le choix qui a été fait en 1997 et en 2001 de confier aux départements la responsabilité des cas de dépendance les plus lourds. Il aurait été plus légitime que la sécurité sociale s'en occupe, quitte à créer un cinquième risque et qu'on laisse le soin aux collectivités locales de mettre en œuvre des politiques de prévention. Elles avaient d'ailleurs depuis de nombreuses années des actions sociales facultatives qui s'inscrivaient dans ce contexte.

A ce jour, je ne peux pas dire que la branche vieillesse assure pleinement la fonction de prévention de la dépendance - à cette nuance près que, nous appuyant sur des caisses régionales qui mettent en œuvre des politiques de prévention en matière sanitaire et qui s'appuient elles-mêmes sur un service social assuré par des assistantes sociales qui sont installées dans les caisses primaires d'assurance maladie, nous considérons que les caisses régionales d'assurance maladie (CRAM), qui sont notre relais sur le terrain, auraient les moyens de mettre en œuvre plus facilement cette coordination entre le sanitaire et le social.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Dans le cadre de la consultation prévue pour les personnes âgées de plus de 70 ans, comment allez-vous faire le recensement des personnes ?

M. Patrick Hermange : Nous n'avions pas en tête qu'il nous revenait de faire ce recensement. La consultation gratuite offerte à la population demandera manifestement un suivi. Est-ce qu'il revient à la branche retraite de s'en charger ou de veiller à ce que la branche maladie le fasse ? Nous n'en avons pas, à ce jour, discuté avec nos collègues de la branche maladie.

Cela étant, entre le médecin traitant et la caisse de sécurité sociale, il y aura un flux d'échanges qui permettra de connaître les personnes de plus de 70 ans qui accèdent à cette consultation et, moyennant les habilitations par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), nos fichiers retraite, pour les assurés du régime général, nous permettraient de faire un peignage pour voir à quelle hauteur les populations bénéficient de ce service. Les caisses maladie pourraient également le faire puisqu'elles constituent, elles aussi, des fichiers.

M. Pierre Morange, coprésident : Où en est la refonte du système de collecte de l'information de l'action sociale de la CNAVTS ?

M. Patrick Hermange : Elle est en cours. M. Périnel suit cette question de très près et peut donc vous donner plus de détails.

M. le Président : Pourriez-vous nous faire un état des lieux des moyens informatiques actuellement en place pour le recueil des informations et nous indiquer ceux que vous souhaiteriez voir se développer afin de permettre cette fameuse coordination-harmonisation des systèmes ?

M. Claude Périnel : Le système d'information de l'action sociale de la branche retraite est, comme vous l'avez dit, en pleine refonte. Comme nous avons changé l'essentiel des dispositifs, nous devons à la fois piloter et suivre les nouveaux et disposer d'une remontée de l'information qui nous permette de connaître les bénéficiaires, leurs besoins et leurs caractéristiques.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle était la situation l'année dernière et les deux années précédentes, et à quelle date est prévue le mise en œuvre du nouveau dispositif ?

M. Claude Périnel : Le calendrier devrait être tenu. Nous sommes actuellement au milieu du gué pour ce qui est des études techniques. Les premières phases s'étant passées de manière satisfaisante, nous pourrions être en situation, début 2008, de livrer aux caisses régionales un dispositif entièrement repensé.

M. Pierre Morange, coprésident : Repensé ou fonctionnel ?

M. Claude Périnel : Repensé et fonctionnel !

M. Patrick Hermange : Repensé et complètement revalidé !

M. Claude Périnel : Dans la période de transition, nous nous attachons à livrer des « lots intermédiaires », pour reprendre l'expression consacrée, qui permettent d'accompagner les caisses régionales dans la montée en charge des nouveaux dispositifs.

Les perspectives nouvelles de vision d'ensemble et de coordination que vous ouvrez constituent un enjeu supplémentaire qu'il va nous falloir intégrer dans notre système, conçu essentiellement en termes de facilitation de gestion et surtout de « pilotage », qui est un problème particulier dans le cadre de la politique d'action sociale.

M. Pierre Morange, coprésident : Si je comprends bien, il est heureux qu'il reste encore un peu de temps avant la mise en œuvre du dispositif en 2008 !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Ne faudrait-il pas également envisager une simplification du schéma d'organisation ?

M. Patrick Hermange : Il n'est nullement illégitime de se demander s'il ne devrait pas y avoir un seul opérateur sur tout le champ, c'est-à-dire du GIR 1 au GIR 6. Ce n'est pas le choix qui a été fait en 2000 et 2001, mais je ne trouverais pas illégitime que cet opérateur unique soit le département, à cette nuance près que la CNAVTS ne lui reconnaît pas la faculté de bien emboîter le sanitaire et le social. C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure qu'il aurait été peut-être plus normal que les plus dépendants soient confiés à la sécurité sociale et donc que le spectre soit inversé.

Ces sujets ont été abordés dans le rapport de la mission de préfiguration de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) de MM. Raoul Briet et Pierre Jamet. Les choses sont restées en l'état. Nous avons cru comprendre également que les départements n'aspiraient pas forcément à prendre tout le spectre, soucieux qu'ils sont de digérer d'autres très gros dossiers qui leur ont été confiés. Mais c'est une question qui méritera d'être posée à nouveau.

Nous ne considérons pas que nous ayons seuls vocation à nous occuper de la prévention de la dépendance. La branche maladie s'en occupe déjà. Est-ce que cela rend les choses complexes pour l'assuré ? Ce n'est pas ce qui nous revient du terrain. Quand les assurés sont confrontés à un problème d'aide à domicile, ils prennent contact avec les associations ad hoc et les CCAS ; les acteurs de terrain les guident et les orientent dans le montage de leur dossier et les démarches à faire. Nous ne percevons donc pas une complexification pour l'assuré.

Ce que l'on peut craindre, c'est que la montée en puissance des besoins sur les GIR 1 à 4 en raison du vieillissement de la population se fasse au détriment des GIR 5 et 6 et qu'il y ait moins de choses qui se fassent pour ces populations qui ne sont pas encore en situation de perte d'autonomie. C'est pourquoi la CNAVTS avait réagi à l'annonce du ministère, en juin dernier, d'une expérimentation de transferts de crédits des caisses de retraite vers le département dans une perspective d'unification. Là où il y a encore des acteurs sur tout le spectre GIR 1 à 6, le fait de confier à un seul opérateur qui, lui-même, a des problèmes pour gérer les cas les plus lourds, pourrait conduire celui-ci à reconcentrer ses moyens sur ces cas au détriment des autres. Nous considérons que ce serait dommage car, moyennant une politique d'accompagnement social et sanitaire dans une optique de prévention, on peut retarder la survenue de phénomènes de perte d'autonomie et permettre à des gens de demeurer à domicile et d'éviter ainsi des placements en hébergements qui, pour les personnes, sont plus traumatisants, et pour la collectivité, plus coûteux.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie. Nous vous serions reconnaissants de faire parvenir à la mission les informations et les propositions précises qui viendraient compléter notre échange de ce matin.

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu M. Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités, Mme Claire Descreux, sous-directrice des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions, et M. Guy Janvier, chargé de mission.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, madame, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Avant de vous donner la parole, monsieur Trégoat, pour une brève présentation, j'informe la mission que nous avons le plaisir d'accueillir une délégation de fonctionnaires du Parlement du Liban, actuellement à l'Assemblée nationale dans le cadre du programme des Nations Unis pour le développement - PNUD - pour étudier le fonctionnement des commissions. Soyez les bienvenus, mesdames, messieurs.

Vous avez la parole, monsieur Trégoat.

M. Jean-Jacques Trégoat : Le sujet est très vaste et relativement complexe.

En matière d'action sociale, l'Etat travaille avec un certain nombre de partenaires, que vous avez auditionnés ou que vous allez auditionner.

Les premiers sont les grandes caisses de protection sociale que sont la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et, d'une certaine façon, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) : l'action sociale de cette dernière caisse, vue de la direction générale de l'aciton sociale (DGAS), est, en effet, beaucoup plus réduite sur nos publics que celle des deux autres caisses. La CNAMTS est importante sur les sujets de santé et moins sur l'action sociale, tandis que nous participons activement, avec mon collègue de la direction de la sécurité sociale (DSS), à la préparation des conventions d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAVTS et de la CNAF puisqu'il y a un volet action sociale extrêmement important.

Depuis la loi du 13 août 2004, un autre partenaire très important intervient dans le domaine de l'action sociale : les collectivités territoriales. De tous temps, les départements ont mené des actions en matière sociale, mais, avec la décentralisation du RMI, des fonds d'aide aux jeunes, des fonds de solidarité pour le logement, des comités départementaux des retraités et personnes âgées (CODERPA) et d'un certain nombre d'autres dispositifs, on a renforcé la place de ceux-ci dans le domaine de l'action sociale ou de l'aide sociale - nous reviendrons sur ce problème de terminologie - en faveur des personnes âgées, des jeunes et des publics en voie d'exclusion. Bien que l'Etat conserve l'essentiel de la politique en faveur de la grande exclusion, des publics que l'on appelle à la marge - jeunes errants, publics issus de l'immigration, étrangers, grands précaires -, la loi du 13 août 2004 donne aux départements un rôle de pilotage en matière sociale dans ces domaines aussi. On voit se profiler un problème de frontière et nous aurons à revenir sur un mot clé : la coordination.

M. Pierre Morange, coprésident : Face à cette complexité, existe-t-il un compte national de l'action sociale qui récapitule de façon exhaustive l'ensemble des actions en ce domaine tant sur le plan humain que sur le plan financier ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Répondre oui serait ambitieux, mais des démarches ont lieu. Je pense que vous aurez aussi l'occasion d'entendre la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé et des solidarités, qui vous parlera de ce qu'elle fait.

La troisième grande catégorie de partenaires de l'Etat, ce sont depuis quelques années - l'installation de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances par le Premier ministre le prouve - les opérateurs, au sens large : ce peuvent être des groupements d'intérêt public (GIP) au niveau local pour les handicapés. Au niveau national, ils peuvent, comme les deux que j'ai dans ma responsabilité, s'occuper de l'adoption ou de la maltraitance. On pourrait citer bien d'autres exemples.

Pour résumer, les partenaires de l'Etat en matière d'action sociale sont : premièrement, les grandes caisses de protection sociale ; deuxièmement, les collectivités territoriales - non seulement les départements, mais aussi les communes au titre de l'aide facultative, et les régions au titre de la formation - ; troisièmement, les opérateurs.

Pour répondre à la question centrale qu'est la coordination, nous avons entrepris, sur le thème de la lutte contre les exclusions - devenue la lutte pour l'inclusion sociale dans la terminologie bruxelloise ce qui nécessite de changer le titre d'un certain nombre de documents - la rédaction d'un document de politique transversale, que nous appelons dans notre jargon le DPT. Dans ce document qui a été remis au Parlement l'année dernière et qui le sera à nouveau cette année, nous essayons d'identifier, dans les 27 ou 28 programmes de mes collègues des autres ministères au titre de la loi organique relative aux lois de finance (LOLF), tous ceux qui concourent financièrement à la lutte contre les exclusions - ou pour l'inclusion sociale - en faisant attention aux programmes qui, par définition, ne visent pas que nos publics. Pour ce qui concerne l'accès au droit, par exemple, nous ciblons avec nos amis de la justice tout ce qui relève de nos publics. Nous avons identifié à peu près 33 milliards d'euros de crédits rien que pour l'Etat, alors que notre programme d'inclusion sociale, y compris le dispositif d'intégration par l'emploi et de soutien contre l'exclusion des rapatriés (DIESE), pèse grosso modo un milliard. Donc, quand nous donnons lecture au Parlement ou à l'extérieur de nos crédits en termes de LOLF, nous donnons le chiffre d'un milliard d'euros. Quand nous parlons de ce que font en faveur des publics en situation d'exclusion l'ensemble des autres ministères - en faisant des règles de trois pour calculer ce qui relève, dans leurs programmes, assez clairement de nos publics -, cela fait 33 milliards d'euros. Nous sommes donc dans un rapport de un à trente-trois.

Le DPT résulte d'une décision du comité interministériel de lutte contre les exclusions (CILE), prise à la demande du Premier ministre en 2004. Ce document permet d'avoir des informations - je ne sais pas si on peut les appeler « comptes de l'inclusion », mais cela y ressemble un peu - pour que, moi-même, directeur du programme « Inclusion sociale » et responsable du DPT, je puisse avoir un pouvoir de conviction, ou de persuasion, vis-à-vis de mes collègues pour les inciter à bien identifier leurs programmes d'action afin que, année après année, au bénéfice - ou au détriment - d'arbitrages de leurs propres programmes, la notion de lutte contre les exclusions reste prégnante dans leur problématique. Cela vaut pour les ministères de la culture et de la jeunesse et des sports. Nous avons identifié près de trente programmes et, chaque année, nous progressons. Nous essayons d'identifier les programmes d'autres ministères. Je pense à un ministère qui n'est pas encore avec nous mais qui fait des actions en matière d'aide contre les exclusions et que l'on devrait raccrocher à nos travaux.

J'ai un rôle à la fois ministériel et interministériel. Au niveau interministériel, je suis responsable du comité permanent du CILE, c'est-à-dire la réunion des directeurs de l'administration centrale sur ces sujets. Le Premier ministre préside tous les deux ans un CILE avec l'ensemble des ministères concernés mais cette action du Premier ministre et des ministres doit être normalement relayée par nous au niveau des administrations pour que les décisions prises aux CILE 2004-2006 soient mises en œuvre. Nous avons toute une batterie d'outils et d'indicateurs - cela complète ma réponse à votre question, monsieur le président - qui nous permettent de savoir, d'une part, où en sont les programmes et, d'autre part, dans un esprit LOLF, d'évaluer les performances. Je donnerai un exemple : pour répondre à la question : « Est-ce qu'on réduit la pauvreté ? », un seul indicateur ne suffit pas, il faut toute une batterie d'indicateurs - accès aux soins, lutte contre l'illettrisme, etc. Nous ne nous contentons pas d'identifier les chiffres, mais nous construisons des indicateurs de résultat ou de performance.

C'est une grande innovation que, sur un sujet aussi complexe, nécessitant la coopération d'un grand nombre d'administrations, on puisse rendre au Parlement, chaque année, un document qui permette à la représentation nationale de se rendre compte des actions, des évolutions, des indicateurs et des outils, lesquels sont aussi, d'une certaine façon, nous le verrons, des outils de coordination.

M. Pierre Morange, coprésident : En inversant la question précédente, j'aimerais savoir quelles sont les zones d'ombre en termes de recueil de l'information qu'il serait nécessaire d'éclairer pour que vous ayez une vision vraiment transversale vous permettant de définir une stratégie optimale ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Les rapports récents de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur l'action sociale soulignent de graves insuffisances dans les systèmes d'information. Quelles propositions pouvez-vous faire ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Les comptes de la protection sociale au sens large, que l'on évalue à 483 milliards d'euros, globalisent ce qui relève - la terminologie est toujours compliquée - de la sécurité sociale, de l'aide sociale, de l'action sociale et des minima sociaux. Ces derniers peuvent relever, en effet, de techniques, de problématiques ou d'approches s'apparentant un peu à l'aide sociale ou à l'action sociale et beaucoup sont importants pour nous - le revenu minimum d'insertion (RMI), l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'allocation de parent isolé (API), l'allocation spécifique de solidarité (ASS) - qui se chiffrent en plusieurs milliards d'euros : l'AAH s'élève à 5,5 milliards, le RMI également, sinon plus.

Donc, pour répondre à votre question, il faudrait, rien que sur l'inclusion sociale, agréger à l'action de l'Etat, dont l'estimation n'est déjà pas simple, un certain nombre d'actions conduites par les départements et les communes et un peu par les régions - elles sont un peu à la marge en la matière -, ainsi que, comme je le fais et comme cela est fait en application de la LOLF, l'action sociale des caisses. La convention d'objectifs et de gestion de la CNAF et de la CNAVTS nous donne à peu près les ordres de grandeur : cela représente un peu moins de 500 millions d'euros. Il faudrait y inclure également un peu d'action sociale de la CNAMTS et même un peu d'ONDAM, à savoir sa partie « précarité » qui finance les lits « halte soins santé », lieux d'hébergement où sont dispensés de petits soins pour des gens qui sont dans la rue, ainsi que les permanences d'accès aux soins de santé (PASS).

M. Pierre Morange, coprésident : Les zones d'ombre ou, plutôt la dispersion des informations, se trouvent dans les collectivités territoriales.

M. Jean-Jacques Trégoat : Il faudrait en fait que les départements et les communes travaillent dans une logique LOLF et sur des programmes. Or, les informations peuvent être éclatées dans les régions dans telle ou telle direction et les départements ont des politiques légales et extralégales.

J'ai régulièrement des réunions avec l'Association des départements de France (ADF), avec l'Association des régions de France (ARF) et avec les centres communaux d'action sociale (CCAS). Je rencontre l'ADF tous les mois, et nous « balayons » tous les sujets. C'est très utile, car les publics se préoccupent peu des frontières administratives ou de financement. Il est important de faire la coordination, de mettre les actions en cohérence et, également, d'annoncer les dispositifs, les évolutions dans tel ou tel domaine.

Ce travail n'est pas formalisé. Le problème, c'est d'avoir des agrégats, des terminologies sur lesquelles se mettre d'accord, des typologies d'actions dans lesquelles on puisse classer assez mécaniquement 80 ou 90 % des opérations classiques qui ne posent pas de problème.

Personnellement, je ne crois pas trop en des blocs de compétences totalement transférables et identifiables sur tous nos champs : personnes âgées, handicapés, exclus, enfants, etc. Nos publics ont des approches et des problématiques personnelles extraordinairement complexes. Pour l'accès aux soins, par exemple, certaines communes ont des ateliers vie-santé financés en partie par la délégation interministérielle à la ville et en partie par les communes, les départements mènent également des actions autour de la santé, il y a aussi l'hôpital et l'assurance maladie, ainsi que les lits halte soins santé...

Il faut être le plus clair possible dans l'identification des crédits et essayer de trouver des outils et peut-être même des évolutions législatives ou réglementaires. Certains départements travaillent dans l'esprit de la LOLF, sur la base de programmes et non plus de subventions. Une réflexion est engagée dans un certain nombre de collectivités. Elles se rendent compte que, s'il n'y a pas une vision par grands programmes et transversale, on saucissonne l'action et on n'a plus de vue d'ensemble.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans cette optique, que penseriez-vous d'un numéro identifiant unique et commun sur l'ensemble du territoire, valable pour tous les organismes prestataires d'actions sanitaires, sociales, et médico-sociales, et de la constitution d'un fichier informatique national collectant l'ensemble des données, croisé avec les fichiers du fisc ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Est-il possible de connaître l'ensemble des prestations d'action sociale dont bénéficie une personne ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Pour parvenir à ce que vous évoquez, il faut avoir mieux défini en amont une certaine typologie des actions.

M. Pierre Morange, coprésident : Un référentiel commun...

M. Jean-Jacques Trégoat : La plupart des grandes lois qui ont été adoptées sur l'aide sociale - RMI, prestation de compensation du handicap (PCH) - prévoient que les collectivités territoriales responsables fassent remonter à l'Etat - en général à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), mais également aux maisons départementales des personnes handicapées via la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) - un certain nombre d'informations. Nous avons aujourd'hui une difficulté d'ordre législatif, au regard de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), pour analyser les remontées de données agrégées provenant des maisons départementales. Nous souhaiterions qu'elles soient désagrégées puisque, en fin de compte, des données agrégées ne sont que la somme de données individualisées anonymisées. Nous allons donc être obligés de proposer un texte pour la seule raison que, dans la loi, du fait d'un problème de virgule, on a donné l'impression qu'on ne pouvait avoir que des données agrégées, alors que ce que nous voulons, ce sont des données individuelles non anonymes.

Il faut donc d'abord bien définir les choses, et faire en sorte que toutes les informations demandées remontent afin qu'on puisse les traiter. Cela commence à se mettre en place, mais il faut vraiment aller à 100 % de ce que nous permettent les textes.

Ensuite, se pose un double problème pour nos publics. Tous ne sont pas à la sécurité sociale. Je pense notamment à l'aide médicale d'Etat (AME), qui représente des sommes considérables.

M. Pierre Morange, coprésident : 460 millions d'euros ! Créée en 2000, elle avait été budgétée à hauteur de 60 millions d'euros !

M. Jean-Jacques Trégoat : C'est un exemple où il n'y a pas de numéro de sécurité sociale. Faut-il basculer l'AME dans la couverture maladie universelle (CMU) ? Cela présenterait des risques de fongibilité entre les deux.

M. Pierre Morange, coprésident : L'AME a vocation à prendre en charge, sur le plan de la sécurité sanitaire, des populations qui sont en situation irrégulière sur le territoire. Or la CMU procède d'une autre philosophie : elle est une couverture maladie assurantielle pour des personnes qui vivent légalement sur le territoire français, et dont les ressources sont inférieures à un plafond, actuellement fixé à 598 euros par mois pour une personne seule.

Notre devoir d'humanité et de solidarité vis-à-vis des personnes qui vivent sur notre territoire est de leur porter secours en cas de besoin. On ne demande pas sa carte d'identité à une personne qui s'écroule dans la rue : on la secourt !

Cela étant, ne conviendrait-il pas de contingenter l'AME au titre de l'urgence ? Par ailleurs, devant l'explosion de l'enveloppe budgétaire, cette aide ne devrait-elle pas s'inscrire dans la coopération française en matière de santé à l'échelle internationale, sachant qu'un euro dépensé ici en vaut 100 dans le pays d'origine ? Cela permettrait de répondre de façon très concrète à des populations qui viennent en France parce qu'il y a un dispositif sanitaire qui correspond à leurs besoins. Il serait bon également que cette aide soit identifiée au titre de l'effort de la nation française face à la tragédie sanitaire de certains continents.

M. Jean-Jacques Trégoat : L'AME fait partie de l'aide sociale. Nous essayons de maîtriser la dépense publique en la matière. Un certain nombre de textes ont été pris à ce sujet. Un plafond de ressources, identique à celui fixé pour la CMU, a été imposé, ainsi qu'une condition de résidence en France de plus de trois mois.

Il faut également prendre en compte l'aide humanitaire qui concerne des personnes qui sont à l'étranger et qui viennent se faire soigner en France. Nous instruisons individuellement les dossiers. Quand nous reviendrons sur le rôle de l'Etat au titre de l'aide sociale - pilotage, contrôle, évaluation - il faudra avoir à l'esprit que nous gérons encore des centaines de dossiers physiques qui nous obligent à interroger des départements.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle est l'enveloppe de l'aide humanitaire ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Elle s'élève à quelques millions d'euros. C'est variable d'une année sur l'autre car c'est une mission discrétionnaire. Mais cela vient s'imputer sur les 233 millions d'euros inscrits dans la loi de finances, qui se traduisent par 460 millions d'euros en dépenses réelles.

Le second problème qui se pose, c'est que, pour l'essentiel, nos publics ne sont pas imposés. Cela étant, la question d'un numéro identifiant unique nous renvoie au débat éternel que nous avons avec la CNIL qui est extrêmement prudente sur les croisements de fichiers. Nous devons cependant veiller à ce que les deniers publics soient utilisés le mieux possible.

Ce qui serait important, ce serait d'identifier vraiment ce que chaque citoyen français reçoit comme aide sociale, que cela vienne de l'action sociale de l'assurance maladie, des départements, des communes, ou qu'il s'agisse d'une aide facultative. Cela donnerait, tout d'abord, de la lisibilité à l'utilisation des fonds publics, car on ne les segmente pas quand on discute avec Bruxelles. Deuxièmement, ce serait une mesure de justice sociale. Troisièmement, un certain nombre de nos dispositifs de minima sociaux comportent ce qu'on appelle des avantages connexes, comme par exemple la gratuité des transports, de sorte que la reprise d'emploi peut être très pénalisante si elle entraîne la perte de ces avantages. C'est ainsi que l'on a des effets de seuil, des effets d'éviction et, en fin de compte, des travailleurs pauvres.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous sommes conscients qu'il existe des disparités de traitement entre assurés en matière d'action sociale. Serait-il souhaitable d'harmoniser les conditions d'attribution des aides ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Nous allons sans doute retomber sur la question des avantages connexes.

Il faut, d'abord, bien connaître la globalité des prestations accordées à une personne, quelle que soit l'origine du financeur, pour éviter, d'une part, les ensembles vides et, d'autre part, les ensembles qui se recouvrent trop. Ce sont les deux risques qu'il peut y avoir. La multiplicité des dispositifs peut faire qu'un besoin ne soit pas satisfait parce qu'on se trouve entre des tuyaux d'orgue parallèles ou au contraire, parce qu'il y a des chevauchements.

Nous essayons d'avoir ces informations avec la CNAVTS sur l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) versées aux personnes âgées relevant des GIR 1 à 4, d'une part, et les aides versées aux personnes âgées relevant des GIR 5 et 6, de l'autre. Dans la convention d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAF, des dispositions sont prévues concernant la petite enfance : travail avec les communes sur les prestations, meilleure complémentarité, fixation des orientations de l'Etat sur les crèches en distinguant les aides qui sont fondamentales et prioritaires de celles qui peuvent être moins importantes et même facultatives. Nous faisons un travail identique avec la sécurité sociale pour l'accès aux soins, avec les lits halte soins santé, qui ne sont pas un substitut de l'hôpital ni un hôpital du pauvre. Si ces personnes ne disposaient pas de ce dispositif, elles seraient dans la rue, ce qui serait mauvais pour la santé publique, pour elles et pour l'ensemble de la société.

Il faut avoir des dispositifs qui s'articulent de façon à répondre à des publics dont les problématiques sont de plus en plus complexes. C'est vrai pour les personnes âgées, pour le handicap et pour l'exclusion : les personnes peuvent être très loin ou proches de l'emploi, très loin ou proches du logement.

Toute la politique que nous essayons de conduire vise à obtenir la meilleure articulation et la meilleure coordination d'ensemble de dispositifs ne relevant pas tous de la compétence de l'Etat.

Je dirai un mot tout à l'heure de la coopération, qui me paraît un élément de réponse à cette problématique complexe.

M. Pierre-Louis Fagniez : Vous avez parlé de l'ONDAM « précarité ». Ce n'est pas un terme que l'on emploie dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et, comme j'en suis le rapporteur pour les recettes et l'équilibre général, j'aimerais que vous précisiez davantage ce concept. L'ONDAM représente 142 milliards d'euros, le médico-social 11 milliards. Que représente cet « ONDAM précarité », et comment doit-il être interprété dans le cadre du PLFSS ?

M. Jean-Jacques Trégoat : L'ONDAM précarité est un élément de l'ONDAM médico-social, à côté de l'ONDAM pour les personnes âgées et l'ONDAM pour les personnes handicapées. Cette troisième catégorie a été créée parce que le public à qui elle s'adresse ne sont ni des personnes âgées ni des personnes handicapées, et qu'il nous paraissait logique que ces dispositifs relèvent d'une logique d'assurance maladie et d'ONDAM, étant donné qu'ils touchent de près ou de loin à l'accès aux soins. C'est un troisième pavé dont on pourra vous donner les chiffres. Leur ordre de grandeur est bien moins important que les deux premiers.

Pour revenir à la question des fichiers, je laisse la parole à Mme Descreux.

Mme Claire Descreux : Le mouvement vers un numéro unique est déjà bien engagé au sein de chacune des caisses de protection sociale, notamment à la CNAF qui est éminemment concernée s'agissant des publics précaires, à travers le versement du RMI, de l'API, de l'AAH et de l'allocation logement. C'est d'ailleurs un objectif qui est inscrit dans la convention d'objectifs et de gestion de la CNAF. Nous espérons beaucoup pour l'avenir. Les échanges de fichiers sont en train de se développer entre la CNAF et les ASSEDIC, notamment pour les personnes qui arrivent au RMI venant de l'ASS. Cela progresse, y compris sur l'AME, pour laquelle nous travaillons sur un répertoire national visant à éviter les doubles affiliations.

Quant aux rapprochements avec les fichiers fiscaux, ils peuvent se faire en tant que de besoin et se font déjà systématiquement pour certaines prestations liées au revenu imposable. Ce croisement pourrait être plus systématique mais il se heurte aussi au fait que certaines conditions ne sont pas plus vérifiées du côté du fisc. C'est le cas de la condition de résidence sur le territoire, par exemple, qui est un sujet dont actuellement nous débattons : le fisc n'est pas en mesure d'attester qu'une personne réside effectivement sur le territoire. On peut simplement constater ce qui a été déclaré dans un cadre et dans l'autre. Cela ne donne pas forcément tous les outils pour contrôler.

Aujourd'hui, nous travaillons essentiellement sur des rapprochements de fichiers comme outils d'amélioration du contrôle.

M. Pierre Morange, coprésident : L'identifiant unique n'a pas la prétention d'être la réponse universelle. Il se veut être un outil commun permettant de connaître la réalité des choses afin que la prestation aille bien où elle doit aller et qu'il n'y ait pas d'effets de contournement. L'actualité récente nous a montré ce qu'il en était.

M. Jean-Jacques Trégoat : Il ne faut pas se leurrer : la marge de progrès sera à l'aune de l'amélioration des systèmes d'information, et cela vaut non seulement pour les rapprochements de fichiers, mais également pour la remontée et le traitement des informations.

L'enjeu majeur pour pouvoir évaluer, piloter et contrôler, c'est l'amélioration, dans toutes les administrations et toutes les collectivités, des possibilités d'échanges.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela permettrait de trancher le nœud gordien de notre société : la complexité de ses systèmes.

M. Jean-Jacques Trégoat : Premièrement, comme je l'ai déjà dit, il convient de bien identifier la typologie ainsi que la terminologie : distinguer entre l'aide sociale, l'action sociale, les minima sociaux et les assurances sociales, qui sont regroupés sous le terme générique de protection sociale.

Deuxièmement, il faut regarder comment on peut utiliser - au bon sens du terme - les nouveaux opérateurs qui arrivent. Avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et les maisons départementales des personnes handicapées, on est en train de se doter d'outils qui nous permettront d'améliorer le système d'information et la coordination, dès lors que l'on se rendra compte qu'on est dans une logique de co-construction de politiques publiques entre différentes collectivités et niveaux de collectivités au bénéfice des usagers. Ce qu'il faut, c'est mettre l'usager au cœur du dispositif plutôt que l'obliger à passer par l'ensemble des dispositifs.

Il n'y a pas de solution miracle mais je pense que l'Etat, à côté de ses fonctions régaliennes, normatives et de conception, devra jouer de plus en plus un rôle de pilotage, d'évaluation, de contrôle et même - c'est un peu nouveau et on le dit moins souvent, mais je pense que c'est important - d'animation.

Je prône, depuis la publication du décret du 6 avril 2006 relatif aux groupements assurant la coordination des interventions en matière d'action sociale et médico-sociale, la coopération, comme pour les communes. Je ne pense pas que l'on puisse traiter les quelques 34 000 établissements qui dépendent de la DGAS sans qu'il y ait, pour l'usager, pour les deniers publics et pour le pilotage tout simplement des établissements, une logique de coopération, voulue et non subie.

Je vais tous les quinze jours présenter les possibilités offertes par ce décret devant les régions de France, les départements, les caisses d'assurance maladie et les fédérations professionnelles. Je peux vous transmettre le dossier de communication sur ce sujet.

Pour moi, la solution passera par une coopération de toutes les structures intervenant, dans un bassin de vie donné, à l'intérieur d'un même champ - par exemple, pour les personnes âgées, l'hospitalisation à domicile, les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), l'hôpital, les maisons de retraite - en mettant bien l'usager au centre du dispositif, en assurant une coordination entre la sortie de l'hôpital jusqu'au domicile et en associant tous les partenaires, y compris les associations d'aide à domicile, les caisses de retraite, les départements et les communes. C'est une telle coopération autour de l'usager qui peut permettre de regrouper un ensemble de structures pour avoir un meilleur système d'information et donc une meilleure efficience, sans fusions juridiques.

M. Pierre Morange, coprésident : La seule chose qui compte étant la simplification et l'amélioration de la prestation rendue à l'assuré, on en arrive à la logique du guichet unique. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

Deuxième question : qui, selon vous, entre la DGAS et la DSS, a, de par ses compétences, la légitimité pour assurer la cohérence ?

Troisièmement, que pensez-vous du fonctionnement actuel des crèches et notamment de la problématique des critères de ressources humaines imposés par le décret du 1er août 2000 ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : La définition du champ d'intervention de l'action sociale de la branche famille ne devrait-elle pas être clarifiée au regard d'autres acteurs publics comme les communes ou les ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ou de la culture ? On nous a en effet signalé des dysfonctionnements.

M. Jean-Jacques Trégoat : La coopération est une action de terrain. La démographie des professionnels va être telle que, si les divers intervenants ne coopèrent pas et ne mutualisent pas les ressources, on ne saura pas prendre en charge. Il faut également veiller à la qualification des professionnels. C'est ce que nous faisons dans notre volet formation. C'est très important compte tenu de la complexité des publics. Si l'on n'engage pas la coopération dans les prochaines années, nous aurons de très grandes difficultés pour trouver des professionnels ayant les qualités requises. Il existe, en effet, un conseil - le conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale - qui examine les demandes d'habilitation.

Je considère que le guichet unique est l'internalisation, l'intériorisation de la complexité pour l'usager. Nous avons cherché un autre terme mais sommes restés sur celui-là. Nous avons quelques exemples dont je pourrais vous donner les fiches. Les pôles d'accueil en réseau pour l'accès aux droits sociaux (PARADS), par exemple, sont un guichet unique destiné à éviter que des personnes soient obligées de faire un vrai parcours du combattant. Les centres locaux d'information et de coordination (CLIC), les maisons départementales des personnes handicapées, les maisons de l'emploi procèdent du même esprit, à condition, là encore, qu'elles travaillent bien en « villages » et pas de façon autonome. Il ne faut pas que les personnes handicapées soient baladées d'une maison à une autre. Il faut, là aussi, qu'il y ait coordination de ces outils. Les points info famille sont des lieux ressources qui doivent travailler en réseau et en coopération avec d'autres partenaires. Ils ont pour but d'éviter à des personnes de se déplacer dans les maisons départementales des handicapés ou dans les CLIC pour savoir, par exemple, si la grand-mère a droit à l'APA.

A côté des guichets uniques que je viens de citer, il en est d'autres, de forme plus administrative : les chartes territoriales de cohésion sociale, qui ont pour but de réunir, sur des territoires donnés, des partenaires institutionnels afin qu'ils définissent des actions en faveur de l'emploi, du logement, etc.

Donc, nous sommes totalement favorables au guichet unique.

M. Pierre Morange, coprésident : Peut-on envisager qu'il y ait un guichet unique qui soit, au minimum, source d'informations pour l'ensemble des disciplines - maladie, famille, aide sociale, handicapés, etc. - pour, sans qu'il y ait pour autant des fusions, simplifier la vie de l'assuré ?

M. Jean-Jacques Trégoat : C'est un sujet sur lequel nous avons commencé à réfléchir. Par exemple, les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) et les maisons départementales des personnes handicapées ne doivent-ils pas travailler en partenariat ? Les premiers pourraient être des échelons un peu délocalisés des secondes, qui peuvent parfois être assez éloignées des lieux d'habitation des assurés.

Les services sociaux polyvalents de secteur doivent normalement jouer ce rôle dans les départements mais ils sont débordés. L'un des mots clés en la matière est la territorialisation des politiques publiques.

J'ai visité dernièrement un espace social commun dans une grande ville où, dans le même lieu, il y avait un accueil commun pour un service de CAF, un service de CPAM, un service social polyvalent et le CCAS. Cela permettait à la fois d'élargir la plage horaire du lieu, d'avoir deux professionnels quasiment en même temps et de sécuriser les locaux. La personne était entendue pour déterminer la problématique avant d'être dirigée vers le service adéquat.

Nous prônons ce type d'organisation dans les PARADS. D'ailleurs, nous n'avons rien inventé. Les propositions que nous faisons au ministre sont tirées des expériences qui marchent sur le terrain.

Il y a donc deux étapes : l'implantation de guichets uniques en fonction des populations et, ensuite, l'agrégation dans un même lieu de problématiques différentes, chacune restant ensuite dans son domaine de compétences.

Les problèmes de chevauchement entre la DSS et la DGAS concernent essentiellement l'action sociale de la CNAF. En ce qui concerne la CNAVTS, les choses sont relativement claires. Il n'y a qu'un seul pilote de la convention d'objectifs et de gestion, c'est la DSS. La DGAS, elle, copilote le volet action sociale de celui-ci. Nos connaissances du terrain et des différents dispositifs et la nécessaire articulation entre complémentarité et évitement des ensembles vides entre tous les domaines de l'action sociale font que nous avons une certaine légitimité professionnelle à participer à cette dernière. Le commissaire du Gouvernement peut très bien - et c'est ce qu'il fait - inviter la DSS aux réunions concernant l'action sociale, les mesures proposées ayant évidemment des conséquences financières. On a souhaité que la médiation sociale et familiale soit une prestation de service de la CNAF parce que cela répond à un vrai besoin, mais on reconnaît qu'il faut des enveloppes limitatives.

Nous avons une vision assez transversale de l'action sociale.

Notre légitimité vient également du fait que nous avons des comptes à rendre puisque nous avons un certain nombre d'indicateurs au titre de la LOLF. Nous devons donc nous assurer que les contrôles sont bien assurés.

Nous avons deux demandes vis-à-vis des caisses. La première porte sur la qualité de service : durée de traitement des dossiers, accessoirement outils d'information permettant, par exemple, de savoir si une crèche est implantée au bon endroit par rapport au bon public et au bon niveau de ressources de la population, vérification que les personnes qui ont accès à des droits les perçoivent bien. La seconde demande est le contrôle.

M. Pierre Morange, coprésident : A propos des crèches, pouvez-vous nous parler des conséquences du décret du 1er août 2000 ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Donc, pour terminer sur le point précédent, je suis personnellement pour la dualité. Je pense que, sur l'action sociale, il faut que nous soyons présents sur la CNAF et la CNAVTS.

Concernant le décret sur les crèches du 1er août 2000, il est actuellement soumis à une réécriture importante afin de donner un peu de souplesse à deux de ses dispositions : celle concernant les personnes habilitées à diriger une crèche et celle sur les taux d'encadrement.

C'est un secteur très sensible, auquel doit s'appliquer le principe de précaution. Imaginez qu'on réduise trop fortement le taux d'encadrement des enfants et que, par malchance il se produise un problème, la responsabilité serait engagée.

Il faut vraiment essayer de trouver le juste milieu entre les impératifs de qualification des professionnels et ceux de taux d'encadrement.

Depuis que je suis à la DGAS, je ne cesse d'expliquer que la compétence ne s'exprime pas que par le diplôme et nous avons très fortement encouragé la validation des acquis. Dans notre secteur, cela marche bien puisqu'on a entre 50 000 et 60 000 dossiers en instance, qui vont permettre à des professionnels qui font un travail reconnu d'aide soignant ou d'auxiliaire de vie sociale d'acquérir un diplôme, totalement ou partiellement par la validation des acquis de l'expérience (VAE). On se dit qu'il peut y avoir des modes d'exercice professionnel qui ne nécessitent pas forcément des niveaux de diplômes élevés. Ce qu'il faut, c'est garantir ensuite aux personnes de pouvoir passer des diplômes pour les professionnaliser et les faire évoluer dans leur carrière.

A force de contraindre, le risque est, en effet, qu'on ne puisse pas suffisamment accueillir et ne pas avoir suffisamment de professionnels.

Le ministre interviendra sur le décret très prochainement, car nous travaillons très fortement à l'amélioration du texte, afin qu'on ne soit pas obligé d'avoir 100 % de gens qualifiés à l'instant T. Ce qu'il faut, c'est arriver à une logique d'élévation globale de la qualification tout en permettant d'absorber des créations de places et donc d'avoir des professionnels.

Nous retrouvons là toute l'importance de la coopération. Si l'on ne coopère pas et que l'on ne décide pas, par exemple, de mutualiser dix établissements, avec un directeur et un système d'information communs, une même direction des ressources humaines et une mutualisation des achats, tout en respectant la liberté associative et la libre expression des collectivités territoriales, nous n'aurons pas de professionnels qualifiés et l'on sera obligés d'engager des dépenses de structure au détriment des dépenses au bénéfice de l'usager. Ce qui me gênerait beaucoup, c'est que chacun soit obligé de construire son propre système d'information. Des réglementations sortent sur la sécurité sanitaire, sur la vaccination ou dans d'autres domaines. Si l'on ne mutualise pas les médecins coordonnateurs et les infirmières sur plusieurs établissements, si l'on ne place pas les SSIAD, l'hospitalisation à domicile, les maisons de retraite, les hôpitaux dans une logique de parcours de la personne âgée ou de la personne handicapée, on n'aura ni économies d'échelle, ni qualité de service, ni efficience des deniers publics.

La coopération est un outil. Ce n'est pas le seul, mais il est important.

La même chose vaut aussi pour les crèches. On pourrait mutualiser un certain nombre de crèches avec des directions qui pourraient être partagées dès lors que la sécurité est assurée.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Comment peut-on justifier les écarts d'aides versées par les CAF au titre des contrats enfance et temps libre ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Cela rejoint la question que vous m'aviez posée sur le champ d'intervention de l'action sociale de la CNAF.

Premier élément : il faut - nous revenons toujours à cet impératif - disposer d'un bon système d'information. Si on ne peut pas faire des extrapolations à partir de données qui s'emballent et qui vont mécaniquement produire des effets sur plusieurs années, on a du mal ensuite à cibler la dépense.

Second élément : nous avons engagé avec le directeur de la CNAF une réflexion sur les contrats enfance, les crèches, le financement des établissements pour recentrer les priorités compte tenu de l'augmentation du budget. Les crédits de l'action sociale de la CNAF augmentent, mais dans des limites qui ne permettent pas de tout faire : donc, il faut fixer des priorités, faire des choix de lisibilité, éviter qu'un certain nombre de partenaires se désengagent. Il faut également bien regarder le public auquel s'adressent les dispositifs, déterminer ce qu'est une action sociale pour les personnes âgées, les personnes handicapées, pour la famille, etc., et mieux contrôler les dispositifs afin qu'ils ne dérivent pas mais répondent bien aux objectifs qu'on s'est fixés.

Une fois qu'on a clarifié en amont les règles du jeu et qu'on a bien défini ce qu'était un contrat enfance ou un contrat temps libre, les choses sont plus faciles à maîtriser. Si, en plus, on dispose d'un bon système d'information, on peut piloter.

La COG conseille fortement d'adopter des schémas départementaux des services aux familles qui donnent des orientations sur les besoins. Il est très important que de tels schémas se généralisent, pour avoir des analyses conjointes sur des bassins de vie et que des conventions puissent être conclues entre les CAF et les conseils généraux. C'est un des nombreux points positifs de la COG. Il faut que chacun ait une idée claire de ses compétences et de l'action qu'il conduit. Dans le champ du handicap, les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC) ne sont pas un élément de complexité supplémentaire mais bien un élément de rationalisation. Les PRIAC et les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) - pour décloisonner le médico-social et le sanitaire - déterminent quelles sont les priorités par rapport à des besoins avérés et, compte tenu des budgets alloués à l'ONDAM médico-social, examinent comment il va être possible de les financer en dynamique et non sous la pression de l'instant.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie. Nous vous serions reconnaissants de faire parvenir à la mission les informations et les propositions précises qui viendraient compléter notre échange de ce matin.

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu M. Philippe Georges, directeur de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), M. Olivier Maniette, sous-directeur de l'action sociale, et Mme Véra Lévy, conseillère pour les relations parlementaires.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, madame, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Je vous donne la parole, monsieur Georges, pour une brève présentation.

M. Philippe Georges : Les efforts de la branche famille se sont concentrés sur la maîtrise des dépenses, et notamment celle des modes de garde - des crèches, pour employer une terme courant générique - maîtrise qui était devenue nécessaire eu égard au taux d'évolution des crédits. Il est encore trop tôt pour donner les résultats pour 2006. Les informations qui nous remontent laissent penser que le processus est bien engagé mais je suis prudent et je préfère en reparler devant vous avec les comptes définitifs.

C'est pourquoi nous sommes restés plus en retrait sur des réflexions plus fondamentales, comme celle sur l'articulation de l'action des caisses avec celle des collectivités territoriales.

Je dois à ce propos exprimer notre préoccupation devant la situation actuelle d'enchevêtrement des compétences, des responsabilités et des financements et notre souhait de la voir clarifiée.

La loi de décentralisation remet en cause l'intervention des caisses d'allocations familiales. Nous avons gardé un mauvais souvenir de la première loi de décentralisation de 1983, qui a abouti à ce que les conseils généraux mettent fin au partenariat en matière de travail social et à ce que la polyvalence de secteur soit conçue comme une mise à l'écart des caisses d'allocations familiales. Cela a eu pour effet que chaque caisse a utilisé son personnel social selon les priorités locales de l'époque, sans programme national, ce qui est de nature à affaiblir considérablement la branche famille quand elle veut participer à des politiques nationales. En ce qui concerne la réinsertion des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé, par exemple, nous n'avons plus aujourd'hui un personnel social sur l'ensemble du territoire qui puisse répondre à ce besoin. La cause en est la fragmentation du personnel social.

J'espère que la deuxième loi de décentralisation ne conduira pas à la même situation. Or quand on voit la disparité d'attitudes des départements à l'égard de la délégation à la caisse d'allocations familiales (CAF), de la gestion des fonds de solidarité pour le logement (FSL), par exemple, on peut se demander s'il ne va pas s'ensuivre une autre fragmentation. C'est dommageable pour tout le monde et, au premier chef, pour la branche famille.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Quelles suites ont été données au rapport IGAS-IGF sur le fonds national d'action sociale (FNAS) de la CNAF en matière de réflexion stratégique, de maîtrise des dépenses pour la petite enfance et le temps libre, de pilotage de gestion et de réforme des systèmes d'information ?

Deuxièmement, pourriez-vous présenter les financements de la CNAF en faveur de la petite enfance ?

M. Philippe Georges : Nous souscrivons pour l'essentiel aux conclusions du rapport IGAS-IGF comme à celles du rapport de la Cour des comptes. Nous mettons en œuvre les recommandations.

Le premier acte a été, en décembre dernier, l'adoption du critère de sélection des projets de crèches de façon à privilégier à la fois des territoires moins bien couverts et des populations plus défavorisées.

Le deuxième acte important date de mai dernier, quand le conseil d'administration a adopté un nouveau dispositif de financement du fonctionnement des crèches, qui prend la forme d'un contrat dit enfance et jeunesse qui réunit le temps libre et le financement des crèches. J'en donne rapidement les caractéristiques. Il fixe un cadre temporel plus strict, puisque ce sont des contrats de quatre ans. Les dépenses sont prévues dès l'origine sans qu'il soit possible d'opérer des dépassements comme cela était autorisé autrefois, et les dépenses éligibles dans ces contrats sont définies de façon plus rigoureuse, en privilégiant notamment les dépenses de garde proprement dite, c'est-à-dire affectées à la place de crèche, et en cantonnant les dépenses de coordination, ce que l'on appelle dans notre jargon le pilotage, qui ont trait à la fabrication même des contrats et à leur suivi. Nous avons aussi instauré des prix plafond sur chaque action financée qui permettent de tenir l'objectif de maîtrise de la dépense.

Le troisième temps fort est un peu plus dilué dans le temps, puisqu'il n'y a pas de grandes décisions ni de grands moments : c'est l'amélioration du pilotage du dispositif. Il est nécessaire d'avoir un système d'information plus performant. Jusqu'à aujourd'hui, nous avions celui qui correspondait à la fonction que l'on se reconnaissait et qui était une fonction de centralisation de comptes, une fonction comptable. Pour une fonction de pilotage, il est bien évident qu'il faut modifier notre système d'information. C'est en cours. De même, nous renforcerons nos capacités humaines de suivi des dépenses en procédant probablement à des recrutements dans le cadre du budget 2007 - je ferai des propositions en ce sens au conseil d'administration - et en renforçant notre capacité de contrôle : il s'agit moins du contrôle proprement dit des caisses d'allocations familiales que d'un travail d'animation auprès d'elles pour les aider à exercer ce contrôle, car elles sont un peu en retrait aujourd'hui dans ce domaine.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette notion de contrôle sur le terrain ?

Par ailleurs, la critique qui vous a été faite par la Cour des comptes était de financer la demande et pas les besoins. Cela pose la question de l'appréciation de ces derniers. Celle-ci est malaisée du fait des évolutions sociologiques, économiques et industrielles. Est-ce que les outils dont vous disposez vous permettent d'en avoir une approche fine, tant sur le plan national que par territoires - urbains, semi-urbains, ruraux -, permettant d'envisager des enveloppes financières appropriées ?

M. Philippe Georges : Comme vous l'avez dit, le diagnostic est difficile. Nous avons demandé aux caisses d'allocations familiales de renforcer cette phase de diagnostic initial dans le cadre des contrats. Ces derniers financent d'ailleurs ce travail de diagnostic.

On ne peut que souhaiter que les liens se renforcent entre le conseil général et la CAF pour faire ce travail. Il est prévu de créer des commissions départementales de la petite enfance présidées par le président du conseil général et vice-présidées par la CAF. On constate que à peu près 60 % des départements en ont mis en place. Nous souhaiterions qu'elles se généralisent. Je pense que, à plusieurs, il est possible de faire ce diagnostic, aussi difficile soit-il.

Nous avons le souci d'aider les caisses d'allocations familiales à approfondir leur diagnostic et nous nous préoccupons de leur fournir les outils.

Notre rôle de pilotage nous conduit à repérer les meilleures pratiques des caisses et à en ériger certaines en pôles de référence, comme on dirait dans d'autres milieux. Quand une caisse veut faire un diagnostic, nous lui signalons, par exemple, qu'elle trouvera dans telle autre caisse des personnes susceptibles de le faire au mieux.

M. Pierre Morange, coprésident : Y a-t-il, selon vous, encore des besoins à satisfaire ?

M. Philippe Georges : Oui, je crois qu'on peut dire qu'il y a encore des besoins. Toutefois, c'est d'autant plus difficile à déterminer que la création de structures modifie aussi la demande. Quand vous ouvrez des places de crèches, on s'aperçoit que des gens qui n'y étaient pas forcément favorables sont contents d'en avoir.

Les enquêtes qu'on réalise sur la perception par les allocataires de leurs besoins donnent des conclusions très complexes à traiter. Les Françaises et les Français semblent souhaiter des placements en crèche parce qu'elles présentent des garanties de sécurité et d'hygiène mais, de fait, privilégient les assistantes maternelles qui leur offrent plus de souplesse, notamment en termes d'horaires.

On sent bien l'ambivalence même du besoin.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : C'est sans doute aussi parce qu'on manque de places de crèche !

M. Philippe Georges : Oui. Il y a un déficit quantitatif qui demeure.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel est, selon vous, le pourcentage des besoins qui ne sont pas couverts ?

M. Olivier Maniette : L'analyse est en cours. Nous avons des chiffres assez précis sur les places de crèches. Nous avions évalué qu'il fallait essayer de couvrir à peu près 50 % de la population des jeunes enfants ayant accès à un mode de garde, individuel et collectif. Cet objectif avait été repris dans la COG. Nous étions à un peu plus de 40 % : à peu près 42 ou 43 %.

M. Pierre Morange, coprésident : Pour les crèches et les assistantes maternelles ?

M. Olivier Maniette : Oui, tout compris. C'est sur ces chiffres que l'on travaille actuellement, en référence à la population des enfants de moins de trois ans.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Que pensez-vous de la préconisation de la Cour des comptes, qui demande d'étudier la création d'une nouvelle prestation légale de garde qui permettrait de fusionner les prestations de service et les prestations légales existantes pour la garde d'enfants ?

M. Philippe Georges : C'est une perspective qui nous paraît intéressante, mais encore un peu lointaine. Nous souhaitons poursuivre la simplification du financement des crèches qui est encore à deux étages avec une prestation de service unique, PSU, et un contrat enfance et jeunesse. Nous allons y travailler très prochainement. Nous sommes obligés de cadencer les travaux.

A terme, il est tout à fait souhaitable d'avoir une approche panoramique des prestations - au sens générique du terme - offertes aux allocataires et de sortir de cette césure entre prestation légale et action sociale. On voit bien les fondements historiques et les composantes juridiques des deux : une prestation légale, comme son nom l'indique, relève de la loi et du règlement ; l'action sociale relève davantage des décisions du conseil d'administration de la caisse nationale. On peut peut-être garder cette double source de droit mais je pense qu'il faut, en termes de produit offert à nos concitoyens, avoir une approche panoramique. En ce sens, je prépare la réunification de deux directions de la caisse nationale : la direction des prestations familiales et la direction de l'action sociale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous faire le point de la diffusion dans les communes des contrats enfance et temps libre ?

M. Philippe Georges : Nous pourrons vous donner des cartes, vous fournir un état des lieux.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Comment peut-on expliquer les écarts d'aides versées par les CAF au titre des contrats enfance et temps libre ?

M. Philippe Georges : Les causes sont multiples.

Nous avons aujourd'hui 10 000 contrats - 5 000 pour les crèches et 5 000 pour le temps libre - ce qui représente, au niveau national, un taux de couverture très convenable.

Cela étant, il y a des zones non couvertes.

La première cause est la ruralité. Les communes y sont moins armées techniquement pour bâtir des projets, même si les CAF les aident, et n'ont pas les mêmes possibilités financières qu'ailleurs. Il semblerait que le dispositif qui prévoit un « dopage » pour les zones rurales ne soit pas suffisant, pas assez discriminant.

Les réponses ne sont pas toujours adaptées non plus. Faire une crèche en milieu rural, où se posent des problèmes de transport, n'est pas très adéquat. Il faut inventer des modes de garde alternatifs.

La deuxième raison a trait aux choix politiques des collectivités territoriales. J'ai coutume de dire que, quand c'est une femme qui s'occupe des affaires sociales au sein de l'équipe municipale, la vision n'est pas la même. Au-delà de la boutade, il y a un fond de vérité. La différence de richesse des communes joue également un rôle. J'ai pu constater, au moment des événements en Seine-Saint-Denis, que ce département était un peu moins bien couvert en contrats temps libre. Et ce n'est pas manifestement par défaut de besoins mais de capacités financières.

Je ne peux pas dire que toute les CAF aient mis la même ardeur pour développer ces contrats. Cela étant, je veux bien que l'on reproche à la CNAF d'avoir laisser filer la dépense mais qu'on lui reconnaisse au moins de l'ardeur à développer et présenter une offre de services bien argumentée aux collectivités territoriales !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pourquoi ne pas avoir profité de la réforme des contrats enfance et temps libre en 2006 pour mettre fin à la confusion originelle dont souffrent ces contrats, tels qu'ils ont été conçus, entre l'aide au développement et l'aide au fonctionnement ? Comment envisagez-vous l'avenir dans ce domaine ?

M. Philippe Georges : Une partie de la réponse se trouvera dans la réflexion que nous allons engager prochainement afin de reformuler le mécanisme de financement des modes de garde et mettre fin au double étage PSU-contrat enfance qui ne correspond plus à la distinction entre dépenses pérennes et dépenses de fonctionnement, distinction qui mériterait peut-être d'être plus tranchée.

M. Pierre Morange, coprésident : Que penseriez-vous d'un numéro identifiant unique et de la constitution d'un fichier commun permettant de connaître l'ensemble des actions menées afin de parvenir à la coordination que chacun appelle de ses vœux ?

M. Philippe Georges : Votre question comporte deux volets.

Le premier est plus directement rattaché à notre échange. Nous nous préoccupons d'améliorer la remontée vers la caisse nationale d'informations détenues de manière fragmentaire par des petites structures qui n'ont pas toujours les moyens de produire de l'information, et encore moins de façon informatisée. En d'autres termes, 10 000 contrats, cela veut dire 10 000 sources d'information venant, pour certains contrats, de plusieurs structures qui peuvent être des crèches. Or il est rare de trouver dans une crèche un directeur financier issu de HEC et susceptible de nous donner une information financière de qualité ! Nous cherchons donc à mettre en place un dispositif simple. Plus il sera simple, plus les données à recueillir seront faciles à obtenir. Nous allons travailler pour rendre notre système d'information compatible avec les logiciels utilisés par les différentes structures. Les CAF financent déjà leur informatisation.

Le second volet de votre question est davantage lié à la gestion des prestations légales. Nous avons pris l'engagement, dans l'actuelle COG, de constituer un fichier d'allocataires avec un numéro unique. C'est une opération très complexe qui devra comporter plusieurs phases. La première est la constitution d'un fichier avec un identifiant commun, qui devrait être réalisée à la fin de 2007.

M. Pierre Morange, coprésident : Un fichier commun à l'ensemble des organismes chargés de verser des prestations ?

M. Philippe Georges : A l'ensemble des caisses d'allocations familiales.

M. Pierre Morange, coprésident : Que penseriez de faire la même chose pour l'ensemble des branches et des organismes qui ont vocation à délivrer des prestations sociales ou sanitaires ?

M. Philippe Georges : Je suis un peu effrayé par l'ampleur de la tâche quand je vois ce qu'il faut faire à l'intérieur d'une branche unique avec une vocation assez fermée. Je pense néanmoins que c'est une bonne voie. Autant j'ai pu être réservé sur certaines conclusions de la mission de l'année dernière sur la configuration du réseau, autant je considère qu'il est plus aisé d'unifier des processus et de transférer de l'information que de créer des structures. Il faut, en fait, travailler à travers les murs... tout en laissant les murs !

M. Pierre Morange, coprésident : L'informatique est, pour cela, l'outil idéal. Que penseriez-vous de croiser ce fichier commun à tous les organismes prestataires avec celui du fisc ?

M. Philippe Georges : Nous le faisons déjà pour notre part.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous informe que je déposerai deux amendements en ce sens.

M. Philippe Georges : Je les lirai avec intérêt.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pourriez-vous faire parvenir à la mission les informations et les propositions qui viendraient compléter notre échange de ce matin ?

M. Philippe Georges : Nous vous ferons notamment parvenir les indications budgétaires sur lesquelles nous n'avons pas répondu. Il vaut mieux avoir les chiffres et les tableaux. Nous vous donnerons également les éléments de cartographie dont nous disposons, sachant que nous travaillons actuellement sur le sujet et que les données ne sont pas encore aussi riches que nous le souhaiterions.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Avez-vous, vous-même, des suggestions ?

M. Philippe Georges : Je suis très attaché à une réflexion qui viserait à clarifier les responsabilités des différents acteurs. L'Etat transfère sur les collectivités locales un certain nombre de compétences. Je n'ai pas de jugement à émettre en tant que directeur de la CNAF à ce sujet. Dans ces dispositifs, on voit que les organismes de sécurité sociale, et les CAF en particulier, restent des interlocuteurs incontournables. Nous continuons à verser le RMI, par exemple, et nous disposons d'informations qui sont utiles. Je souhaiterais qu'il y ait une sorte de conférence institutionnelle pour clarifier les blocs de compétences des uns et des autres. Je regrette en effet que les organismes de sécurité sociale ne soient considérés que comme un opérateur, plus ou moins subsidiaire, des collectivités territoriales. Je ne pense pas que cela puisse être leur destin. En tout cas, je ne le souhaite pas, car ce serait vraiment appauvrir les ordonnances de 1945.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

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