COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 4

Jeudi 23 novembre 2006
(Séance de 9 heures)

Présidence de Mme Paulette Guinchard et M. Pierre Morange, coprésidents

SOMMAIRE

 

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Auditions sur l'action sociale du régime général de sécurité sociale et l'action sociale
des collectivités territoriales

- M. Dominique Giorgi, inspecteur général des affaires sociales, et Mlle Bérénice Delpal inspectrice des affaires sociales, membres de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Mme Nicole Roth, sous-directrice de l'observation de la solidarité, et M. Laurent Caussat, sous-directeur des synthèses, études économiques et évaluations, à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé et des solidarités

- M. Patrick Kanner, président de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCAS)

- M. Yves Humez, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA)

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La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu, Mme Nicole Roth, sous-directrice de l'observation de la solidarité, et M. Laurent Caussat, sous-directeur des synthèses, des études économiques et de l'évaluation, accompagnés de Mme Joëlle Chazal, chef du bureau des établissements sociaux de l'action sociale locale et des professions, de M. Michel Duée, chef du bureau des comptes et prévisions d'ensemble, à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) au ministère de la santé et des solidarités, ainsi que M. Dominique Giorgi, inspecteur général des affaires sociales, président du comité des pairs en charge de l'action sociale à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et Mlle Bérénice Delpal, inspectrice des affaires sociales.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions, mesdames, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation et de nous avoir fait parvenir un ensemble de documents tout à fait intéressants.

Le rapport de l'IGAS, présenté par Mlle Bérénice Delpal et M. Gildas Le Coz, intitulé « Contribution à la cartographie de l'action sociale », fournit, conjointement avec les études de la DREES une approche originale et pragmatique. J'observe que, face à la multitude des acteurs et à l'intrication des domaines, vous aboutissez à la conclusion qu'il est nécessaire de partager un langage commun et de procéder à des échanges d'informations. C'est l'objet de l'amendement que j'ai fait adopter lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et qui prévoit, d'une part, l'utilisation d'un numéro identifiant commun - le numéro de sécurité sociale - pour constituer un répertoire commun à partir des données partagées entre les organismes de sécurité sociale obligatoire, l'assurance chômage et les collectivités locales pour l'attribution de l'aide sociale, d'autre part, la possibilité de croiser ces données avec celles de l'administration fiscale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je propose qu'il soit d'abord fait une brève présentation de l'outil statistique utilisé et des résultats des études réalisées par la DREES. Nous donnerons ensuite la parole aux représentants de l'IGAS.

Mme Nicole Roth : Pour les études de la DREES, nous ferons une présentation à deux voix. Je parlerai, pour ma part, des outils qui concernent la sous-direction de la solidarité. M. Laurent Caussat abordera ensuite des aspects plus synthétiques, concernant l'ensemble du champ.

Comme vous l'avez vu dans les documents transmis, les politiques d'action sociale décentralisées font l'objet d'un suivi régulier par la DREES, dont le champ d'étude est principalement centré sur l'action des conseils généraux. L'action sociale des caisses de sécurité sociale n'est pas suivie en tant que telle par la sous-direction mais est retracée dans les comptes que présentera M. Laurent Caussat. Les communes et, sur un autre plan, les régions font l'objet d'outils de suivi beaucoup moins développés que les départements.

Je commencerai par les départements. Nous vous avons envoyé beaucoup de documents qui montrent le type d'outils mobilisés. Certains permettent de retracer tout ce qui, en matière d'action sociale, est de la compétence des départements. Ce sont des outils pérennes qui permettent de réunir, selon une périodicité trimestrielle ou annuelle, des données concernant les dépenses départementales d'aide sociale, les personnels, les bénéficiaires de l'aide sociale départementale et l'activité des services de protection maternelle et infantile (PMI).

Sont rajoutés ponctuellement des études plus qualitatives portant sur l'organisation mise en place. Une étude vient d'être publiée sur l'action sociale facultative des départements. Une étude monographique a été publiée au mois d'octobre sur quelques communes. Deux études plus exhaustives ont été publiées en 2003 et 2004 sur l'action sociale des communes. Le résultat de ces études montre qu'il y a une imbrication des sujets qui concernent les départements, les communes, les centres communaux d'action sociale (CCAS), le secteur associatif et les caisses de sécurité sociale. On voit que les choses sont assez compliquées et assez hétérogènes.

Ce qui complique les choses pour nous, c'est l'absence de langage commun. Vous avez fait allusion, monsieur le président, à l'intérêt de l'utilisation du numéro de sécurité sociale. Indépendamment de cela, il faut souligner la difficulté de greffer un système d'information sur des outils de gestion et de faire que tout le monde parle le même langage.

La diversité que l'on observe au niveau des départements et des communes rend difficile pour le système d'observation que nous sommes jusqu'à la définition des concepts et des périmètres d'intervention. Quand on parle d'action sociale, tout le monde ne comprend pas la même chose. Certains y mettent un peu de santé, d'éducation et d'information. Nous avons à la fois un problème de périmètre mais également de maillage de ce périmètre. Pour arriver à ce que tout le monde mette les mêmes choses dans les mêmes cases, il faudra un travail de longue haleine et celui-ci devra être partenarial. Les travaux de l'IGAS sur la cartographie de l'action sociale peuvent nous aider. Des réflexions communes associant les collectivités et la direction générale des collectivités locales (DGCL) seront également très utiles. Nous ne sommes qu'au début de la réflexion qui permettra d'y arriver.

M. Pierre Morange, coprésident : La démarche est-elle déjà clairement engagée, ou ne fait-on qu'en caresser l'idée ?

Mme Nicole Roth : Pour moi, nous ne faisons encore qu'en caresser l'idée. Nous avons des velléités de le faire mais il n'y a pas encore de pilotage pour le faire. Je n'exprime toutefois qu'un point de vue personnel.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous pu dégager ce que j'appellerai un squelette de langage commun ?

Mme Nicole Roth : On y voit à peu près clair pour tout ce qui est aide sociale légale, puisqu'elle est cadrée par la loi, quoique, lorsque des aides extra-légales sont apportées, la différenciation entre le légal et l'extra-légal ne soit pas toujours aisée, tout finissant, dans les comptes, par se retrouver dans la même boîte.

La logique est beaucoup moins claire pour tout le reste, et il faudrait trouver une nomenclature homogène sur l'ensemble des départements et des communes.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je suis avec beaucoup d'intérêt les travaux de la DREES, car ils sont une source d'informations très riche, et je suis frappée par les progrès accomplis au cours des quatre dernières années.

Je remarque cependant que les travaux sont toujours menés du point de vue des institutions et non de celui des usagers. Ne pensez-vous pas que l'on devrait commencer par rechercher un langage commun du point de vue de ces derniers ? Cela permettrait d'appréhender réellement ce que fait chaque institution.

Mme Nicole Roth : Nous devons encore parfaire notre système et trouver une nomenclature qui permette de mieux cerner l'activité des institutions. Nous avons des pistes pour progresser en ce domaine.

L'entrée `bénéficiaires' me paraît effectivement importante. Il faudrait distinguer les différents types de publics - personnes âgées, personnes handicapées, etc. - et les différents programmes en faveur de ces publics.

Il faudrait distinguer également les moyens d'actions, car ils sont divers : directs, délégués, par l'intermédiaire de subventions au secteur associatif, sous la forme de collaborations ponctuelles avec d'autres institutions. Tout cela peut être rassemblé sous l'entrée `bénéficiaires, programmes'.

Nous avons développé un certain nombre d'outils de connaissance des publics. Nous réalisons périodiquement des enquêtes auprès des bénéficiaires. Les lois de décentralisation prévoient non seulement une obligation de remontées d'informations des départements vers l'Etat, mais aussi la possibilité d'effectuer à partir d'échantillons représentatifs, des études sur les bénéficiaires de tel ou tel type d'action. Nous avons fait des études sur les bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), sur ceux du revenu minimum d'insertion (RMI), et même sur des prestations qui ne sont pas décentralisées, telles que l'allocation de parent isolé (API) et l'allocation spécifique de solidarité (ASS). C'est très utile parce que cela évite de raisonner de façon cloisonnée, alors qu'il n'y a pas d'étanchéité entre les publics. De ce fait, nous débordons souvent l'aide sociale gérée par les départements.

Les outils que nous avons développés concernant les bénéficiaires sont représentatifs sur le plan national mais pas sur le plan départemental. Nous butons sur des problèmes de représentativité des échantillons. Si on divise par cent un échantillon de 5 000 personnes, cela n'en fait pas beaucoup par département. On ne peut pas comparer strictement le point de vue des bénéficiaires avec ce type d'outil.

Nous sommes également amenés à mobiliser d'autres types d'outils plus monographiques et plus qualitatifs. Ceux-ci ne sont pas exhaustifs ni extrapolables. Nous essayons d'éclairer des différences d'organisation et leur impact sur les bénéficiaires.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Avez-vous déjà repéré des tendances permettant d'aller plus loin dans l'analyse des politiques ?

Mme Nicole Roth : Nous sommes convaincus de la nécessité d'avoir un triptyque pour chaque politique. Il faut les points de vue, à la fois des acteurs et des bénéficiaires et, pour ces derniers, de façon à la fois quantitative et qualitative. Nous avons trois types d'outils qui se complètent et fournissent des éléments évaluatifs, à la disposition, d'une part, des acteurs locaux - départements et communes - et, d'autre part, de toutes les commissions évaluatives qui peuvent, notamment en lien avec l'IGAS, aller sur le terrain et apporter d'autres éléments d'évaluation.

Je rappelle que la DREES ne prétend pas faire l'évaluation des politiques, mais apporter des éléments pouvant contribuer à cette évaluation.

J'insiste également sur le fait que les politiques sont extraordinairement complexes car elles mettent en jeu des bénéficiaires, des organisations et des acteurs. Si vos travaux peuvent nous aider à remonter des informations de façon plus homogène qu'actuellement et à initier une concertation à ce sujet, ce serait intéressant.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Vous venez de dire que la DREES n'a pas compétence pour mettre en place des évaluations des politiques sociales. Que faudrait-il faire pour créer un véritable outil d'évaluation des politiques sociales, médico-sociales et sanitaires ?

Mme Nicole Roth : Je reviens sur mes propos. La DREES a compétence pour mettre des outils évaluatifs en place, mais elle n'a pas forcément compétence pour faire l'évaluation au sens global.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Quel dispositif devrait alors être mis en place pour qu'il y ait évaluation ? C'est une question essentielle, que nous nous posons depuis le début de nos travaux et qui conditionne à la fois l'organisation des compétences et la mise en œuvre des politiques.

Mme Nicole Roth : Il faut, d'abord, avoir des outils pérennes aussi perfectionnés que possible. La DREES et les autres directions statistiques comme la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement sont compétentes pour les mettre en place. Il faudrait éventuellement prévoir des procédures de concertation pour que tout le monde puisse progresser sur les concepts et arriver à parler le même langage.

Ensuite, je pense qu'il faudrait créer des commissions du type de celle qui a été constituée sur le RMI sous la présidence de M. Michel Thierry, inspecteur général à l'IGAS. Cela permettrait de recouper les résultats tirés des outils évaluatifs actuels avec les informations recueillies par les visites sur le terrain.

Cette commission d'évaluation a été mise en place parce qu'elle était prévue dans la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation du RMI. Il serait souhaitable que cet exercice d'évaluation soit reproduit périodiquement.

M. Dominique Giorgi : La fonction d'évaluation est une question qui revient en permanence dans le débat public parce qu'elle est aujourd'hui mal assumée et qu'elle est surtout très dispersée. Selon les politiques, le pôle de référence peut être constitué d'outils de l'Etat - la DREES, l'INSEE - ou d'outils plus dispersés. Pour les personnes handicapées, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) constitue ses propres référentiels et outils statistiques. Pour la politique de protection de l'enfance, c'est l'Observatoire national de l'enfance en danger qui est compétent. L'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) est, lui aussi, un outil d'observation et d'évaluation.

Selon les politiques, des pôles d'observation et d'évaluation se sont constitués sans qu'on ait réfléchi à un dispositif d'ensemble, sans que ces pôles soient coordonnés entre eux et même sans qu'ils soient constitués de la même manière. L'Etat a souvent mis en place ces dispositifs sans forcément associer tous les partenaires concernés.

Il se pose une seconde question : « Qui est légitime pour faire ces évaluations ? » On a confié largement les politiques d'action sociale aux collectivités territoriales. Sont-elles correctement associées à ces évaluations ? On peut raisonnablement répondre non à cette question. Il me paraît clair que l'Etat doit avoir une vision d'ensemble, mais il me paraît tout aussi clair qu'il faut associer les collectivités territoriales.

La réflexion sur la façon de progresser vers des modalités d'évaluation coordonnées entre l'ensemble des politiques et entre l'ensemble des acteurs aujourd'hui compétents pour les mettre en œuvre est tout à fait centrale, et elle est encore loin d'être épuisée aujourd'hui.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La création de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) dans un premier temps, puis de la Haute Autorité de santé (HAS) maintenant, a permis de régler un certain nombre de questions. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale a créé le Conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale, qui devrait être remplacé par l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Cette dernière pourra peut-être faire progresser la réflexion concernant la création d'un lieu d'évaluation des politiques nationales ?

M. Dominique Giorgi : Cette agence travaillera sur un champ un peu différent. Il s'agira moins de l'observation et de l'évaluation des politiques d'action sociale nationale et locale que de l'élaboration de recommandations de bonnes pratiques professionnelles nécessaires à l'évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Cela correspond davantage à la mission de l'ANAES.

M. Dominique Giorgi : Absolument. La réflexion qui semble être lancée est de savoir si cette agence, qui est créée sans moyens propres affectés, ne mériterait pas d'être dotée de moyens plus substantiels lui permettant de mener sa mission, comme la HAS aujourd'hui.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelles améliorations pourraient être apportées en matière de coordination ? Pouvez-vous expliquer en quoi consisterait la mise en place d'une méthode ouverte de coordination (MOC) nationale ?

M. Dominique Giorgi : C'est une idée que l'IGAS a reprise dans ses travaux récents : dans le rapport annuel qui vient de paraître et qui traite des politiques sociales françaises dans le contexte communautaire, dans le rapport de Mlle  Bérénice Delpal et de M. Gildas Le Coz et dans le travail d'évaluation du RMI qui est en cours de finalisation.

La méthode ouverte de coordination consiste, au niveau communautaire, à fixer des objectifs communs à l'ensemble des Etats membres, associés à des indicateurs permettant de vérifier que ces objectifs sont ou non atteints. Elle préconise, pour les Etats membres, la confection de plans ou de schémas d'ensemble sur ces politiques, accompagnés d'outils du type revues par les pairs des meilleures pratiques des uns et des autres. C'est un processus de coordination souple qui vise à une convergence progressive des politiques et qui intervient dans un domaine où le sommet, c'est-à-dire la Communauté, n'a pas, en application du principe de subsidiarité, la compétence pour intervenir, celle-ci relevant des États membres.

Mutatis mutandis, on pourrait considérer que ce type de méthode pourrait être transposé au niveau national. C'est une idée que nous avons avancée mais qui mérite d'être expertisée de près, parce qu'on est dans un contexte très différent de celui des relations entre les États membres et la Communauté. La France est un État a priori toujours unitaire, même s'il est à organisation aujourd'hui décentralisée. Dans le domaine de l'action sociale, l'État conserve des compétences propres qui ne sont pas subsidiaires mais on a transféré l'essentiel des compétences aux collectivités territoriales.

Pourquoi ne pas imaginer un dispositif à la fois souple et volontaire, dans lequel on essaierait de rassembler les éléments - à la définition desquels il faudrait associer étroitement les départements - visant à assurer un minimum de convergence autour d'objectifs communs, d'échanges de bonnes pratiques, de définition d'indicateurs, de mise en œuvre de politiques ? Il y aurait une limite, qu'il faut bien avoir présente à l'esprit : la dispersion territoriale des contraintes et des politiques. Il ne s'agit pas de prévoir un dispositif unificateur mais un système qui permette de garantir un minimum. Ce minimum n'est pas garanti dans toutes les politiques mises en œuvre aujourd'hui. Il y a des normes législatives et réglementaires qui, selon les politiques, posent des exigences très différentes. En matière d'aide sociale à l'enfance, on peut dire que les normes sont quasiment inexistantes. On a des obligations de moyens, comme la mise en œuvre de politiques d'accueil d'urgence, d'accueil de mères avec enfants, de prévention mais on n'a pas d'obligation de résultat. En ce qui concerne le RMI, on a des normes très précises en matière de prestations, mais rien en matière de politique d'insertion. Sans doute, d'ailleurs, ne peut-on pas aller très loin dans cette direction, puisqu'on a souhaité laisser aux départements le soin de définir leur politique en fonction des contraintes locales ; mais peut-être devrait-on réfléchir à un minimum en la matière ?

En tout cas, c'est un débat qui peut être ouvert et qui peut avoir comme référence intellectuelle ce dispositif de méthode ouverte de coordination mise en place au niveau communautaire.

M. Laurent Caussat : Je vais compléter l'exposé de Mme Roth par quelques informations sur un autre système d'information dont nous disposons à la DREES, et qui permet d'approcher, par le haut et de façon très agrégée, l'intervention des différents acteurs dans le domaine de l'aide et de l'action sociales : il s'agit du système des comptes de la protection sociale, qui est intégré au système des comptes nationaux piloté par l'INSEE et qui ambitionne de décrire l'ensemble des flux financiers qui concourent à la couverture des divers risques sociaux. Les comptes de la protection sociale constituaient jusqu'en 2006 une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale, l'annexe dite G. Depuis la réforme intervenue à la suite de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, ils ne sont plus une annexe mais vont bénéficier très prochainement d'un nouveau fondement juridique, un règlement européen devant coordonner la fourniture par les États membres d'informations sur leur système de protection sociale.

Ce système vise à présenter les financements qui concourent chaque année à la couverture des risques sociaux, que nous évaluons à près de 30 % du produit intérieur brut. Il les ventile entre les différents risques - maladie, invalidité, vieillesse, famille, perte d'emploi, logement, pauvreté - et entre les différents régimes - les régimes de sécurité sociale, l'indemnisation du chômage, les régimes complémentaires, l'intervention de l'Etat et des collectivités locales, celle de certains opérateurs de protection sociale complémentaire ainsi que du secteur associatif ou à but non lucratif. Enfin, ce système possède une nomenclature relativement fine d'opérations : prestations proprement dites, en espèce, en nature, avec ou sans conditions de ressources, aide et action sociale, avec ou sans condition de ressources.

On peut, dans ce système, isoler les dépenses relevant de l'aide et de l'action sociale et les ventiler selon les risques à la couverture desquels elles concourent et selon les régimes qui en assurent le financement.

Je reconnais que, dans les publications habituelles que nous faisons sur ce système, nous nous attardons assez peu sur le domaine particulier de l'aide et de l'action sociales, parce qu'il ne pèse qu'une partie très limitée dans l'ensemble du budget social. Cela dit, nous avons, au cours des années précédentes, effectué deux travaux - nous vous les avons transmis dans le dossier - qui peuvent aider à une meilleure connaissance de ce secteur.

En 2002, nous avons réalisé un travail - sur lequel l'IGAS s'est assez largement appuyé pour son rapport - de mise en concordance des catégories juridiques de la protection sociale - prestations sociales, minima sociaux, aide et action sociale - avec les agrégats des comptes de la protection sociale. C'est grâce à ce travail que l'on peut arriver aujourd'hui à une évaluation qui montre que, en gros, l'aide et l'action sociale représentent à peu près 9 % de l'ensemble des dépenses de protection sociale, se répartissant, à parts pratiquement égales, entre l'aide et l'action sociale.

Par ailleurs, nous publions depuis trois ou quatre ans un compte social du handicap, qui essaie d'agréger toutes les dépenses qui concourent à la compensation du handicap et des accidents du travail. Nous mobilisons toutes les données que nous pouvons sur l'aide sociale en faveur des personnes handicapées, c'est-à-dire ce que nous avons dans les comptes, ainsi que, lorsque les comptes de la protection sociale ne permettent pas de couvrir totalement les interventions des collectivités territoriales, les données qui proviennent des enquêtes réalisées auprès des départements, auxquelles Mme Roth a fait allusion.

La mission et le rapport réalisé par l'IGAS ont été pour nous l'occasion d'aller regarder de plus près la manière dont notre dispositif appréhende ces dépenses. Cela a été extrêmement fructueux en termes à la fois de détection d'axes de progrès et de perspectives pour l'avenir.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Vous avez parlé de la faiblesse des comptes de l'action sociale par rapport à l'ensemble des dépenses. Ce n'est pas un point que nous retenons quand nous réfléchissons à ce secteur. Je pense qu'il y a encore un travail de définition de concepts à réaliser pour savoir de quoi l'on parle.

Mlle Bérénice Delpal : Les comptes de l'action sociale recouvrent l'assurance sociale, l'action sociale et l'aide sociale.

M. Pierre Morange, coprésident : L'agrégat des 483 milliards d'euros recouvre une grande diversité d'actions. Et nous nous heurtons à un problème de sémantique pour la définition tant du périmètre des compétences que de celui des bénéficiaires.

M. Laurent Caussat : Nous considérons que l'allocation personnalisée d'autonomie rentre dans la couverture légale du risque, de même que la prestation de compensation du handicap.

Mme Nicole Roth : Il est important, quand on considère les prestations, de regarder également la situation de l'allocataire et les revenus qu'il touche. S'il perçoit l'allocation d'adulte handicapé (AAH) et la prestation de compensation du handicap (PCH), il dépend à la fois d'une allocation de solidarité - en l'occurrence l'AAH - et de l'aide sociale qui lui permet de prendre en charge les frais supplémentaires qu'il supporte, compte tenu de son handicap.

Le système doit aussi donner une image des problèmes de la personne dans sa globalité et pas dispositif par dispositif.

M. Pierre Morange, coprésident : L'action sociale des caisses de sécurité sociale vous semble-t-elle pertinente ?

Mme Nicole Roth : Dans les études que nous avons menées, nous n'avons pas d'éléments objectifs nous permettant de dire que le fonctionnement actuel génère des dysfonctionnements manifestes. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas. Je dis que nous n'avons pas eu dans nos études monographiques des remontées en ce sens, même feutrées ou édulcorées, de la part des départements et des communes auprès desquels nous avons mené nos études.

Par contre, nous voyons qu'il y a beaucoup de relations entre les acteurs au travers de coordinations multiples entre les communes, les départements et les caisses.

Est-on à l'optimum ? C'est une autre question.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La réalité est tout autre du point de vue des usagers. Je discutais ce week-end avec des infirmiers libéraux s'occupant de personnes âgées et de personnes handicapées. Les dysfonctionnements qu'ils m'ont rapportés entre différentes institutions intervenant auprès de ces personnes sont assez impressionnants. C'est à partir de cette constatation que j'avais d'ailleurs lancé les centres locaux d'information et de coordination (CLIC). La maison du handicap va-t-elle améliorer les choses ?

Je cite un exemple. Une personne âgée est aidée par un grand nombre d'intervenants à son domicile. Tous, depuis trois mois, inscrivent sur le cahier de liaison que la chaudière est en panne et doit être réparée et il n'y a toujours rien de fait.

M. Pierre Morange, coprésident : La première préconisation de la MECSS a d'ailleurs été la création de plateformes multi-services pour améliorer le service rendu à l'assuré.

M. Dominique Giorgi : Cela est caractéristique du domaine social, qui est partagé aujourd'hui entre plusieurs acteurs. Sur le terrain, se pose le problème de la coordination de l'ensemble des intervenants.

Les travaux de l'IGAS ont porté cette année sur l'action sociale de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Ils ont montré qu'il pouvait y avoir, du point de ces acteurs institutionnels, certains problèmes. Le travail que vous avez demandé sur l'action sociale locale et qui est en cours se place davantage du point de vue de l'usager. Il partira donc du terrain et apportera un éclairage plus pertinent et plus en rapport avec vos attentes sur la coordination locale.

Il semble apparaître, de ce point de vue, une sorte de modèle type de coordination, qui reste certainement à parfaire : il y a des points d'entrée uniques - CLIC, maisons départementales des personnes handicapées -, et des conventions entre acteurs qui peuvent permettre d'assurer leur coordination, sans toujours vaincre cependant les quant-à-soi institutionnels. On voit bien, par exemple, que les partenaires sociaux représentés dans les conseils d'administration des caisses de sécurité sociale souhaitent que ces dernières conservent la compétence en matière d'action sociale. Il est important, pour eux, de pouvoir intervenir par ce biais au profit des retraités ou des bénéficiaires de prestations familiales. Même si des partages semblent se mettre en place concernant, par exemple, les personnes âgées avec la distinction entre les groupes iso-ressources (GIR) 1 à 4 qui relèvent des départements et les GIR 5 et 6 qui relèvent des caisses de sécurité sociale, se pose malgré tout le problème de la nature de l'intervention. Il y a une tendance à dupliquer parfois les actions et à essayer, d'un côté et de l'autre, d'avoir une appréhension globale de la personne. Les motifs peuvent être légitimes mais cela peut entraîner des recoupements et, donc des articulations parfois difficiles. L'usager ne sait pas toujours non plus à qui s'adresser. Les travaux en cours de l'IGAS contribueront à éclairer cette situation.

M. Pierre Morange, coprésident : Par rapport à ce modèle idéal, pourriez-vous nous faire une liste précise des éléments juridiques et réglementaires qui entraînent des blocages ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Réglementaires ou autre, même comportementaux !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Quelles sont vos propositions pour clarifier les rôles des acteurs de l'action sociale ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : J'ai, en effet, été surprise de lire la phrase suivante dans votre conclusion : « Dans ces conditions, la complexité est un indice de vitalité. » N'est-ce pas contradictoire avec notre souhait de rationaliser ?

Mlle Bérénice Delpal : Nous sommes bien dans la même logique. Il est certainement nécessaire de simplifier, mais nous voulions insister sur le fait qu'on ne peut pas réduire totalement la complexité dès lors qu'on veut diversifier et personnaliser les prestations.

Mme Nicole Roth : Nous sommes là sur des actions adaptées aux besoins des personnes. Ce n'est pas une prestation de type allocations familiales. Nous sommes dans des domaines où les besoins doivent être cernés précisément. La complexité est inhérente à la difficulté des actions.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je propose que l'IGAS fasse maintenant une brève présentation de son rapport.

Mlle Bérénice Delpal : Je présenterai en premier lieu la démarche et les résultats globaux, puis je centrerai mon propos sur deux aspects : le premier est la manière dont nous avons entendu les notions d'aide sociale, d'action sociale et d'assurance sociale et la complexité des définitions actuelle ; le second a trait aux dépenses de protection sociale et, en particulier, à notre démarche pour identifier les dépenses d'aide et d'actions sociales au sein des comptes de la protection sociale et les questions qui se posent à ce sujet.

Notre démarche d'ensemble - et cela rejoint, je crois, vos préoccupations - a été de resituer aide et action sociales au sein de l'ensemble de la protection sociale, en les comprenant comme des modalités d'intervention. Nous avons regroupé, pour simplifier, les formes d'intervention en trois grands types de techniques : assurance sociale, aide sociale et action sociale. La démarche cartographique est partie de l'idée de croiser ces trois grandes techniques avec les grands acteurs qui interviennent en matière d'aide et d'action sociale : l'Etat, les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale, sachant que nous manquons d'éléments sur les associations. Nous avons réalisé des tableaux afin de voir qui fait quoi et comment.

Quand on croise les acteurs d'un côté et les modalités d'intervention de l'autre, on confirme déjà le constat de l'enchevêtrement des compétences, parce qu'un acteur peut utiliser plusieurs techniques pour une même politique et que, sur une même technique, plusieurs acteurs interviennent. Ce constat est plus marqué pour l'action sociale, puisque c'est là que tout le monde intervient à tous les titres. Nous pouvons mettre en évidence des zones à risques dans les points d'intersection et les interfaces entre les acteurs - quand, par exemple, le département intervient pour compléter une action menée par l'Etat -, entre les techniques pour un même acteur - l'exemple typique étant les organismes de sécurité sociale qui utilisent les techniques d'assurance sociale et l'action sociale - et entre politiques verticales sectorielles, du type emploi-santé-logement, et politiques plus horizontales s'adressant à un public spécifique, par exemple la famille.

Nous pointons le risque que le cumul de différentes politiques dispersées aboutisse à une politique globale ayant des effets un peu aléatoires, en tout cas ni voulus ni fixés par l'ensemble des décideurs qui ont chacun arrêté leur politique institutionnelle de façon séparée. Nous rejoignons l'idée d'une approche par les bénéficiaires et, plus spécifiquement, par l'offre de services aux bénéficiaires. L'entrée serait en effet moins par le public, ses attentes et ses spécificités que par une offre de service global, par exemple la garde des enfants ou l'aide à domicile pour les personnes âgées, quels que soient le financeur, l'acteur et la modalité d'intervention - allocation de sécurité sociale, aide sociale ou action sociale qui intervient en plus.

En annexe du rapport, vous trouvez les tableaux établis par politique. Nous avons pris cinq grandes politiques : famille, enfance, personnes âgées, personnes handicapées, lutte contre l'exclusion. Nous avons essayé, dans ces tableaux croisés, d'indiquer au maximum, en regroupant les informations que nous pouvions trouver, le nombre de bénéficiaires des prestations et le nombre de places disponibles dans les structures.

Voilà pour notre démarche et les résultats globaux de notre cartographie.

J'en arrive au premier point que je voulais aborder. Nous avons été frappés par la confusion qui régnait entre les notions d'assurance sociale, d'aide sociale et d'action sociale. Si, au départ, chacune des trois modalités d'intervention semblait avoir une logique claire et obéir à des principes spécifiques, au fil de l'histoire et du temps, de la construction de nouvelles prestations, ainsi que de la complexité des choses et de la réalité, les logiques se sont entrecroisées. Deux grandes distinctions doivent d'abord être faites : d'une part, entre le contributif, qui est du domaine de l'assurance, et le non-contributif -  consistant en une allocation subsidiaire ou une aide complémentaire éventuellement attribuée sous conditions de ressources et ciblée -  correspondant à l'aide et à l'action sociales et s'inscrivant dans la logique historique de l'assistance, et d'autre part, entre l'aide sociale obligatoire et l'action sociale facultative.

Nous avons relevé trois problèmes principaux.

Entre aide sociale obligatoire et action sociale totalement facultative, les choses ne sont pas aussi claires que cela. Les difficultés auxquelles est confrontée la DREES le montrent clairement. Quand on examine l'ensemble des prestations et que l'on interroge les départements sur leur action sociale et leur aide sociale, on observe un continuum d'actions que l'on a du mal à classer dans une case ou dans une autre. Les acteurs qui gèrent ne se demandent pas si c'est de l'extra-légal, du totalement facultatif ou du pas totalement facultatif.

Le deuxième problème porte sur la notion même d'action sociale. Elle peut être comprise soit au sens historique et un peu strict de ce qui est non contributif et qui n'est pas de l'aide sociale, donc n'est pas obligatoire et entre par conséquent, dans le champ du facultatif, soit - ce qui est de plus en plus le cas - comme un ensemble assez global, assez générique où l'on retrouve tous les processus qui concourent à la cohésion de la société. Soit c'est un ensemble, soit c'est un sous-ensemble de l'ensemble qui porte le même nom. Cela ne contribue pas toujours à savoir de quoi l'on parle.

Troisième problème : des prestations empruntent aux différentes logiques : nous les avons qualifiées d'hybrides. La logique de l'aide sociale s'introduit dans la logique de l'assurance, avec des prestations de sécurité sociale non contributives. A l'inverse, la logique de l'assurance sociale s'insinue dans celle de l'aide sociale, avec des prestations de type universel comme l'APA ou la PCH.

On comprend assez bien pourquoi les logiques s'entremêlent. Mais on n'arrive plus aussi facilement qu'avant à classer les prestations dans une case ou dans une autre.

Nous nous en sommes tenus à notre travail de description et au constat de l'enchevêtrement. Nous n'avions pas dans ce cadre à proposer de solutions. Il y a de nombreuses options possibles. On pourrait recréer complètement les catégories à partir de nouveaux critères parce qu'on estime qu'elles sont obsolètes. On pourrait également créer une nouvelle catégorie pour tout ce qui est hybride.

Il me paraissait important d'insister sur ces difficultés car, derrière la confusion théorique, il y a des enjeux pratiques. Dans les contentieux, cela crée des confusions qui sont incompréhensibles pour les bénéficiaires. Ils ne comprennent pas pourquoi tel est compétent plutôt que tel autre. Cela dépend de la classification dans les trois catégories mais, comme celle-ci n'est pas claire, cela créé des difficultés de compréhension.

Pour l'enjeu global dont nous avons longuement parlé, c'est-à-dire essayer d'avoir une vision d'ensemble de toutes les politiques, quels que soient l'acteur et la modalité d'intervention, il faut que l'on sache ensemble de quoi l'on parle et qu'on parle tous de la même chose.

Le deuxième point sur lequel je voulais insister, ce sont les dépenses. Je voulais préciser que nous avons travaillé à partir des comptes de la protection sociale, qui nous sont apparus très précieux parce qu'ils rassemblent à la fois des éléments sur l'assurance sociale et sur l'aide et l'action sociales. En nous inspirant de ce qui avait été fait il y a plusieurs années, nous avons effectué un travail de codage de toutes les lignes budgétaires des comptes, en essayant de les classer en aide sociale, en action sociale ou en assurance sociale. Nous avons vu, en travaillant avec la DREES, qu'il y avait des axes de progrès méthodologiques possibles. Quand on se retrouve avec une ligne « prestations extra-légales des caisses de sécurité sociale » et qu'on s'aperçoit, après avoir regardé quel était le régime qui versait, qu'il s'agit finalement de prestations du département, on ne sait plus si c'est de l'aide sociale ou de l'action sociale. Nous nous heurtons à ce type de difficultés quand on entre concrètement dans le travail de codage. Il est sans doute possible d'affiner et d'améliorer les méthodologies.

Nous avons un autre souci. Nous comprenons la logique des comptes, mais la façon dont sont retracées les opérations concernant les associations ne permet pas de voir l'aspect « action sociale » autonome de ces associations au sens où nous l'entendons par exemple à l'IGAS quand nous contrôlons des associations faisant appel à la générosité publique. Nous ne retrouvons pas trace des dons et des legs. Les associations sont davantage considérées dans les comptes de la protection sociale comme des opérateurs à qui d'autres institutions délèguent une partie de leurs actions.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous soulignez dans votre rapport non seulement l'intérêt mais aussi les risques de la contractualisation de la mise en œuvre de l'action sociale départementale avec les associations. Quelles règles de bonnes pratiques préconisez-vous ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer des pistes pour clarifier les notions d'aide sociale, d'action sociale et d'assurance sociale ?

Mlle Bérénice Delpal : Sur les associations, j'avoue ne pas avoir de règles de bonne pratique en tête. Je ne suis pas assez experte du sujet. Je n'en connais que ce qui résulte des lectures que j'ai faites pour réaliser la cartographie, mais je ne l'ai pas abordé dans l'optique d'un contrôle ou d'une évaluation par l'IGAS.

M. Pierre Morange, coprésident : Le tissu associatif est à l'origine de la protection sociale, notamment en ce qui concerne les personnes âgées et les personnes handicapées. Nous ne remettons pas cela en cause. Mais nous aimerions savoir s'il existe des problèmes du point de vue des bénéficiaires et de leur famille et s'il serait pertinent de prendre certaines mesures.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est, en effet, la question qui nous est la plus posée sur le terrain. Nous aimerions savoir si, dans vos travaux, vous avez relevé des expériences de bonnes pratiques entre les institutions et les associations, qui pourraient être généralisées.

M. Dominique Giorgi : Je voudrais apporter un éclairage très pratique et concret, non pas dans le champ des personnes handicapées ou des personnes âgées, mais dans celui de la protection de l'enfance. La problématique est à peu près la même pour ce qui est de l'accueil des enfants, d'un côté, et des politiques de prévention, de l'autre - dans la mise en œuvre, en particulier, des actions éducatives en milieu ouvert.

Le secteur associatif est extrêmement puissant. Il est souvent délégataire de service public des départements, mais peut également être promoteur d'une politique autonome en la matière.

La question qui se pose est de savoir comment établir la relation entre commanditaires et commandités et faire en sorte que la collectivité publique, et en particulier, ses élus, garants et promoteurs de la définition d'une politique, puisse mettre en œuvre cette politique avec l'aide des associations. Ces dernières sont financées par les pouvoirs publics et devraient être, non pas des exécutants, parce qu'il y a toujours la volonté d'indépendance, de réflexion et de promotion d'une politique propre aux associations, mais des assistants des départements dans la mise en place de leur politique. Il faut trouver un équilibre. La préconisation la plus habituelle, en matière de protection de l'enfance, est de définir au niveau du département des orientations claires dans un schéma directeur, et ensuite de décliner ces orientations dans des conventions conclues spécifiquement entre le département et les associations de prévention ou de protection, en prévoyant un suivi de la mise en œuvre de ces conventions pour éviter que telle ou telle association ne promeuve une politique qui pourrait, sans être totalement différente, comporter des orientations un peu originales par rapport à ce que souhaitent les pouvoirs publics départementaux.

C'est la méthode qui est préconisée et qui nous paraît pouvoir être efficace mais qui est loin d'être systématiquement mise en œuvre. Il y a beaucoup de départements qui laissent un peu la bride sur le cou au secteur associatif et qui ne maîtrisent pas réellement les orientations de leur politique.

Je me garderai de transposer cet exemple dans d'autres secteurs, dont j'ai une connaissance moins fine.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Dans le domaine des personnes handicapées, les schémas constatent davantage une situation et dressent un état des lieux qu'ils ne fixent des perspectives de travail. Il serait intéressant de regarder de plus près cette question. S'il y a des choses qui fonctionnent bien, il y a aussi des points faibles et les associations, elles-mêmes souhaiteraient avoir des indications plus claires sur l'organisation des actions sur un territoire.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Certains grands groupes associatifs réclament même officiellement d'être chargés de la mission de service public. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre Morange, coprésident : Pourriez-vous dresser un bilan des logiques de contractualisation, après les lois de décentralisation, entre les autorités départementales et les associations ?

M. Dominique Giorgi : Je vais tenter d'apporter, non pas une réponse, si vous le permettez, mais quelques éléments de réflexion.

D'abord, nous transmettrons cette question à la mission qui étudie actuellement sur le terrain la mise en œuvre des politiques en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Elle pourra vous apporter des éléments d'éclairage.

Je livrerai ensuite une simple réflexion. Il y a effectivement une tension entre les compétences législativement dévolues aux collectivités territoriales, qui doivent définir les orientations des politiques sociales et en répondre devant les citoyens, et celles des opérateurs, parfois historiques, qui sont promoteurs de certaines politiques et souhaitent rester au cœur de leur mise en œuvre, voire se monter innovants dans certaines techniques et certains domaines.

Les collectivités locales n'ayant pas les moyens de mettre en œuvre directement ces politiques, la question se pose de la contractualisation avec les opérateurs. Et nous devons nous demander comment cette contractualisation peut être compatible avec la compétence juridique et la responsabilité des élus des collectivités territoriales.

Sous réserve des constats dressés sur le terrain que nous pourrons vous communiquer, il me semble que la contractualisation est une technique intéressante si elle permet, premièrement, de respecter la compétence des collectivités et, deuxièmement, d'être efficace dans la mise en œuvre de la politique : cela signifie être en adéquation avec les objectifs qui sont, premièrement, le service aux usagers, deuxièmement, l'efficacité de l'utilisation des deniers publics et, troisièmement, la gouvernance du dispositif, c'est-à-dire le respect de la commande publique passée à ces associations.

Je ne me prononce pas sur la volonté de certaines associations d'être délégataires complets. Cela ne me paraît pas, à ce stade, correspondre à l'état du droit. Ce sont les collectivités territoriales qui sont responsables des politiques sociales menées sur leur territoire.

Telles sont les considérations générales que je peux faire sur le sujet.

Mme Nicole Roth : Dans les études que nous réalisons, nous avons le sentiment qu'il y a un mouvement croissant de contractualisation entre les conseils généraux et le secteur associatif. Nous l'avons surtout observé dans le cadre de la lutte contre l'exclusion, que nous avons étudiée dernièrement. Cela nous semble de plus en plus présent dans les préoccupations affichées par les institutions, pour des raisons d'efficacité et de contrôle de la dépense publique.

Dans un autre registre qui relève davantage de mon champ, c'est-à-dire de celui de l'observation et de l'évaluation, nous sommes confrontés, sur plusieurs opérations statistiques, à des outils d'observation développés par le secteur associatif, par les grandes fédérations. Or, nous défendons la position que les outils d'observation ne doivent pas être pilotés par ceux qui mettent en œuvre les politiques. Nous avons un souci de tiers qui souhaite regarder de façon neutre. On ne peut pas agir et observer en même temps.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La neutralité des outils d'évaluation est effectivement très importante vis-à-vis des associations comme des décideurs : État ou conseil général.

Mme Nicole Roth : La DREES, c'est à la fois un outil d'État et un système statistique. C'est un peu complexe. Mais on vise un fonctionnement transparent.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Est-il souhaitable, selon vous, de développer l'action sociale d'intérêt communautaire et de multiplier, voire de généraliser, à cet effet, les centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) ?

Mme Nicole Roth : Je ne sais pas. Nous n'avons pas d'éléments d'information très précis sur cette question.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, mesdames, messieurs.

Je vous remercie également, par avance, de bien vouloir faire parvenir à la mission les informations et les propositions précises qui viendraient compléter notre échange de ce matin. Notre but, en effet, n'est pas de rédiger des rapports mais d'aboutir à des résultats concrets. Les préconisations et les suggestions doivent être particulièrement précises et pointues car elles ont vocation à se transformer en amendements sur des textes.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La MECSS est un lieu pérenne d'appropriation des informations, qui participe de la même logique que la DREES et l'IGAS. Nous vous remercions de toutes les informations que vous pourrez nous donner.

M. Pierre Morange, coprésident : Je précise enfin que, du fait de sa composition politique, la MECSS est une structure paritaire qui s'exonère des problèmes d'alternance. Nous ne lâcherons pas les sujets sur lesquels nous avons pour mission de préconiser des améliorations.

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu M. Patrick Kanner, président de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCAS), accompagné de Mmes Béatrice Longueville, déléguée générale adjointe et Karen Soyer, conseillère technique.

M. Pierre Morange, coprésident : Mesdames, Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous nous présenter votre action et nous indiquer de quels moyens d'information dispose l'UNCCAS en matière d'action sociale ? Quelles améliorations vous paraît-il souhaitable d'apporter au système d'information sur l'action sociale ? Comment s'effectue le partage des informations entre les différents acteurs de cette action ? Enfin, comment faut-il faire évoluer l'offre d'action sociale des collectivités territoriales ?

M. Patrick Kanner : Je vous remercie d'avoir convié l'Union nationale des centres communaux d'action sociale à votre réflexion collective. Je préside l'UNCCAS depuis 1996 et je suis aussi adjoint au maire de Lille et premier vice-président du conseil général du Nord. Au sein de notre petite équipe d'une vingtaine de permanents, Mme Béatrice Longueville est déléguée générale adjointe ; elle est plus particulièrement en charge du pôle technique et spécialisée dans les questions de lutte contre les exclusions. Mme Karen Soyer est quant à elle chargée, en tant que conseillère technique, de tout ce qui touche aux personnes âgées, aux personnes handicapées, à la jeunesse et à l'enfance.

L'UNCCAS est une confédération, ce qui signifie que nous n'avons pas d'autorité hiérarchique sur les centres communaux d'action sociale, qui sont des établissements publics administratifs présidés par le maire et totalement souverains, mais que nous sommes un lieu de coordination et de pilotage de leur action. Nous regroupons 3 370 centres, qui représentent près de 40 millions de citoyens, un certain nombre de petites communes ne disposant pas de structure identifiée en tant que telle, même si la loi leur en fait obligation. Nous exerçons également une activité de consultants auprès de nos adhérents et nous sommes reconnus en tant qu'organisme de formation des élus en matière d'action sociale.

Le CCAS est un des plus vieux outils de démocratie participative en ce que, depuis deux siècles, des non élus y sont associés à la décision publique au même titre que les élus. Ainsi, des représentants des personnes handicapées, des acteurs de l'insertion, des associations familiales, des personnes âgées siègent de manière paritaire dans les conseils d'administration des CCAS où ils ont les mêmes droits que les élus qui représentent les communes et les intercommunalités.

Les CCAS participent à l'instruction des dossiers de l'aide sociale légale, mais ce qui fait leur originalité c'est l'aide sociale facultative, c'est-à-dire tout ce qui relève de la politique volontariste des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des communes ou des intercommunalités. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale autorise la gestion par les CCAS d'établissements à caractère social ou médico-social.

Par ailleurs, les dispositions de l'article 1er du décret du 6 mai 1995 relatifs aux CCAS, désormais codifiées à l'article R. 123-1 du code de l'action sociale et des familles, font obligation à ces derniers de produire tous les ans devant le conseil municipal une analyse des besoins sociaux (ABS) de la commune. Cette action est encore embryonnaire, mais nous avons créé un modèle qui peut servir de base à un diagnostic territorial partagé, ce qui devrait, me semble-t-il, intéresser votre mission. Les textes nous donnent aussi la mission de créer des structures de coordination et de concertation au plan local.

Aujourd'hui, les CCAS membres de notre union gèrent 110 000 places de foyers logements, représentent 20 % de l'aide à domicile des services prestataires et délivrent 20 millions de repas en restauration collective et 24 millions en restauration à domicile. On mesure ainsi à quel point, depuis deux siècles, les CCAS font partie du paysage social français. De Napoléon à aujourd'hui, cet outil des politiques sociales est sans doute celui qui a le mieux résisté à toutes les tempêtes, qu'elles aient été centralisatrices ou décentralisatrices. Le simple fait que nous demeurions dans le paysage social depuis deux siècles montre peut-être la pertinence de la réponse de proximité que nous portons.

Pour en venir à votre question sur les moyens d'information de l'UNCCAS, je dirais qu'il existe de nombreux outils : la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), que vous venez de recevoir, en maîtrise plusieurs. Il existe aussi toute une série d'observatoires, nationaux et départementaux, tel celui sur la précarité et la pauvreté qui a été créé par la loi contre les exclusions. Notre réflexion est également alimentée par de nombreux rapports du secteur associatif, par ceux de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et par l'Observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS) pour les départements qui y adhèrent. Enfin, nous disposons désormais de l'ABS dont je viens de parler.

Je crois qu'il faut donner de la cohérence à la réponse institutionnelle. Pour nous, le chef de file en matière d'action sociale est aujourd'hui le département et c'est peut-être à ce niveau qu'il faudrait créer un observatoire de recherche et développement afin de favoriser une bonne remontée des information au niveau national. Nous serions pour notre part très favorables à ce que les ABS des communes soient destinées à un tel observatoire.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est ce que j'avais proposé en vain par un amendement à la loi de décentralisation de 2004.

M. Patrick Kanner : C'est ce que nous pratiquons dans le Nord, au sein d'une sorte de conseil du développement qui réunit les acteurs fournissant les informations. Car il faut aussi qu'il y ait un retour et on a donc besoin, au-delà d'un service en régie du département, d'un véritable outil de gestion partagée, d'une sorte de parlement de la politique sociale départementale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous avez ainsi répondu à la question que je m'apprêtais à vous poser sur la façon dont l'ABS pouvait être prise en compte dans les départements.

M. Patrick Kanner : S'il est très utile de procéder à une analyse, il faut aussi savoir si certaines collectivités sont capables de restaurer l'équité territoriale.

M. Pierre Morange, coprésident : Je pense que vous, qui êtes au plus près du terrain, mesurez tout particulièrement l'importance de la coordination et du transfert de l'information, mais aussi de son appropriation collective, qui suppose l'utilisation d'un langage commun. L'UNCCAS a-t-elle déjà entrepris des travaux en ce sens, qui pourraient aboutir rapidement ?

M. Patrick Kanner : C'est une question délicate. Je dirai, de façon un peu provocatrice, qu'il faut que vous donniez l'exemple... Si vous voulez que les acteurs locaux parviennent à élaborer des diagnostics communs pour offrir des réponses publiques plus pertinentes et moins onéreuses, il faut au moins leur laisser le temps de digérer tout le travail accompli par le législateur. Pour être efficaces, nous avons besoin de visibilité, mais aussi de temps pour mener à bien les modifications considérables imposées par les nouveaux textes. J'observe que le fait que la totalité des décrets d'application de la loi de 1988 sur le RMI ne soient pas encore parus ne nous aide guère. Les changements de gouvernement n'améliorent pas non plus vraiment la visibilité.

M. Pierre Morange, coprésident : Un des intérêts de la MECSS est précisément qu'elle travaille dans la continuité, dans un esprit de consensus, sans se préoccuper des alternances politiques.

M. Patrick Kanner : J'hésite entre la subsidiarité, qui permet aux acteurs locaux de prendre un minimum d'initiatives tenant compte de la réalité locale, et la mise en cohérence que vous appelez de vos vœux pour une plus grande visibilité.

Pour revenir à l'ABS, nous l'avons testée dans une quarantaine de communes et elle semble pouvoir être un outil à la fois de compréhension des besoins locaux et de préconisation. Bien évidemment, il ne s'agit pas de priver les élus de leur capacité à faire des choix politiques, mais de leur fournir une grille d'analyse commune, qui serait d'autant plus utile que les départements, jaloux de leurs nouvelles compétences, ont envie de bâtir leurs propres dispositifs. Et je vois bien, au sein de l'Assemblée des départements de France (ADF), que l'on est encore loin de parvenir à une coordination. Pour notre part, nous essayons de partager les informations avec l'ADF.

M. Pierre Morange, coprésident : N'existe-t-il pas de plate-forme permettant de faire le lien avec d'autres acteurs ?

Mme Béatrice Longueville : La méthode de l'ABS relève précisément du souci de parvenir à un langage commun et vise notamment à aboutir à une démarche participative des CCAS, du conseil général, de la caisse d'allocations familiales (CAF), de la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM), de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), etc. Tous ces grands acteurs sont toujours invités à fournir des données et des conventions sont passées sur plusieurs années afin de s'assurer de la régularité des informations et surtout de faire en sorte que chacun s'implique dans les préconisations de terrain.

M. Pierre Morange, coprésident : Il s'agit donc bien d'une analyse des besoins sociaux mais pas d'une évaluation communes des critères de réponse à ces besoins. Peut-être conviendrait-il d'aller plus loin, non pas pour uniformiser les réponses mais pour élaborer un outil partagé afin de répondre au mieux aux besoins des assurés et aux situations des populations en grande difficulté.

M. Patrick Kanner : L'ABS est un outil d'aide à la décision des élus, mais il ne peut pas y avoir de réponse uniforme et ces derniers conservent la décision finale. Lorsque nous avons remis l'analyse des besoins sociaux au maire de Libourne, nous nous sommes arrêtés au moment précis où lui-même a considéré qu'il disposait désormais des éléments lui permettant d'orienter sa politique de telle ou telle manière. Par la suite, il appartient aux citoyens d'apprécier si la réponse politique apportée à la suite du diagnostic est conforme à leurs intérêts.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Notre mission devra donc probablement proposer que cette démarche soit portée par les départements.

Mme Béatrice Longueville : L'analyse des besoins sociaux peut être menée individuellement ou collectivement. Nous avons aussi inventé un outil qui permet à tous les CCAS d'un département de dialoguer directement avec le conseil général, afin de disposer d'une analyse sur l'ensemble du territoire départemental. Le département de la Gironde va s'engager prochainement dans un travail de ce type.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Même si cela ne relève pas des travaux de notre mission, j'aimerais savoir si, dans ce cadre, vous travaillez avec des agences d'urbanisme.

Mme Béatrice Longueville : Nous avons commencé.

M. Patrick Kanner : L'ABS peut être un outil transversal. Il est calibré en fonction de la demande politique des élus.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous découvrons aujourd'hui cet outil et il me semblerait utile que notre mission l'étudie de plus près, notamment afin de nous assurer qu'il s'agit bien d'un outil polyvalent.

M. Patrick Kanner : Il faut simplement que nous demandions aux communes concernées l'autorisation de vous transmettre toutes les données.

Par ailleurs, si nous prônons la création de centres intercommunaux d'action sociale, c'est parce que le territoire communal nous paraît aujourd'hui trop contraint pour mener une action politique de développement social qui aille au-delà de l'assistance. Aujourd'hui, près de 95 % des communes sont dans une intercommunalité. Nous avons obtenu de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, que la loi de cohésion sociale fasse de la compétence sociale une compétence optionnelle des intercommunalités et nous ressentons de plus en plus la volonté des maires de travailler en intercommunalité, y compris en matière sociale. Il s'agit pour nous d'une démarche très importante.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Compte tenu de la décentralisation de l'action sociale, l'action des caisses de sécurité sociale vous paraît-elle toujours légitime et pertinente dans ce domaine ?

À partir des observations que vous faites sur le terrain, quelle organisation devrait-on selon vous privilégier pour l'action sociale : la spécialisation par blocs de compétences, la segmentation, la mise en réseau, le partenariat, la coopération, l'unification du pilotage, la proximité ?

Enfin, pouvez-vous nous indiquer combien de guichets ou de points de contact avec les personnes s'occupent d'action sociale ? Dispose-t-on d'une cartographie des guichets sociaux ? Serait-il possible de simplifier le maillage territorial en instaurant un guichet ou point de contact unique ? Les CCAS pourraient-ils jouer ce rôle ?

M. Patrick Kanner : Les caisses de sécurité sociale sont un outil efficace pour gérer les prestations légales mais quelle est la légitimité de leur action sociale quand elle sert surtout à masquer la pénurie des moyens et quand les décisions sont prises ailleurs ? Aujourd'hui, les caisses n'apportent plus aucune valeur ajoutée, et elles n'ont aucune représentativité démocratique. Pour ma part, je préférerais que l'action sociale bénéficie d'enveloppes départementalisées et qu'elle soit portée par les collectivités territoriales. J'ajoute que ces dernières ont, elles, la légitimité démocratique. De plus, les caisses n'améliorent en rien la lisibilité pour l'usager : ce n'est pas vers elles qu'il se tourne mais vers le maire ou vers le conseiller général. Quand nous avons négocié avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) une rallonge de 918 000 heures d'aide ménagère pour les groupes iso-ressources (GIR) 5 et 6, nous avons constaté que les personnes âgées se tournaient vers nos centres ou vers les structures associatives, mais pas vers les caisses. La pertinence de l'action d'une collectivité se mesure d'abord à son efficacité sur le terrain et, je le répète, je n'ai pas le sentiment que l'action des caisses apporte une valeur ajoutée aux politiques sociales.

M. Pierre Morange, coprésident : Je rappelle que certains membres de notre mission avaient proposé d'améliorer la représentativité des caisses en prenant modèle sur la Mutualité sociale agricole (MSA), dont les représentants sont issus d'un processus électoral transparent.

Ne pensez-vous pas que, pour prendre en compte la réalité du terrain, il faudrait développer des synergies entre les différents opérateurs ? Ainsi, les CCAS pourraient s'appuyer sur les moyens des caisses des différentes branches du régime général, tandis que des plates-formes multiservices amélioreraient l'efficacité et la lisibilité du dispositif. Un tel système vous paraît-il de nature à mieux répondre aux besoins de nos concitoyens ?

M. Patrick Kanner : Cette proposition est intellectuellement séduisante, mais, avec ma connaissance du mode de fonctionnement des caisses locales de sécurité sociale, je vois mal comment une telle coordination pourrait être mise en œuvre dans le cadre de plates-formes multiservices, si ce n'est à titre expérimental et sur la base de volontés individuelles. Pour notre part, nous sommes prêts à de telles expérimentations.

M. Pierre Morange, coprésident : Si j'évoque ce sujet, c'est précisément parce qu'une expérience va être lancée dans le Sud-Ouest et l'Est de la France, autour de l'idée qu'une plate-forme multiservices pourraient aider à répondre aux problèmes liés à la désertification. Il ne paraît pas inintéressant de chercher à rapprocher les différents prestataires des citoyens et à simplifier les démarches de ces derniers.

Mme Béatrice Longueville : Les différents acteurs ne connaissent pas leurs périmètres d'intervention réciproques. Un des premiers devoirs du département est donc d'améliorer la lisibilité de l'ensemble, pour les actions qu'il finance comme pour les autres. Une cartographie paraît effectivement nécessaire, qui permettrait de constater les carences comme les superpositions, mais aussi de mettre les réponses en face des besoins. Cela suppose de travailler en bonne intelligence, en commençant sans doute par des expérimentations, telle celle qui a été menée à Libourne, même si en l'espèce on ne peut que regretter que la CRAM n'ait pas répondu à l'invitation qui lui avait été lancée.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est tout à fait regrettable au regard des masses financières que les caisses représentent.

M. Patrick Kanner : Cela tient au fait qu'elles ont une approche très administrative et qu'elles considèrent leur public comme consommateur et non comme acteur des politiques qui le concernent. Elles n'ont pas la même culture de gestion de la cité que les élus.

Je reviens à la question de Mme la rapporteure sur les blocs de compétences. L'UNCCAS y a toujours été favorable car nous considérons qu'il faut bien que l'on sache qui fait quoi. Mais nous défendons aussi l'idée d'une subsidiarité conventionnelle : le département, qui est le chef de file, doit aussi savoir « faire faire », ce qui ne signifie pas qu'il renonce à une partie de son pouvoir mais qu'il repère les acteurs locaux les mieux placés pour appliquer une politique et pour apporter une valeur ajoutée aux citoyens. Ainsi, les centres locaux d'information et de coordination gérontologique (CLIC) sont souvent gérés par les CCAS, mais si cela semble plus efficace ils peuvent aussi l'être par des hôpitaux ou par des associations.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : À ma connaissance, seule l'Ille-et-Vilaine a utilisé la possibilité de délégation ouverte par la loi de 1986. Pierre Méhaignerie en a vanté l'utilité, mais comment la mettre davantage en valeur ?

M. Patrick Kanner : Dans mon travail avec l'ADF, je vois bien que les départements sont actuellement en train de digérer leurs nouvelles compétences, qui sont très lourdes pour eux techniquement, humainement et financièrement. Avant de les déléguer, il faut déjà qu'ils les assument. Le contexte actuel ne me semble donc pas favorable à la délégation. Sans doute faudra-t-il attendre deux ou trois ans avant de pouvoir négocier des conventions expérimentales.

Il est vrai que certains font déjà de la délégation sans le savoir, par exemple en confiant la gestion du RMI aux CCAS, mais sans forcément s'inscrire dans le cadre strict prévu par la loi.

Je dirai donc, en ce qui concerne les blocs de compétences, que pour l'instant nous ne demandons rien, si ce n'est davantage d'efficacité sur le terrain et une évaluation systématique en cours d'action. Nous sommes par ailleurs opposés à l'idée d'une segmentation des publics.

S'agissant des guichets uniques, qui sont un peu la tarte à la crème de l'action sociale, nous pensons que si l'on arrêtait de sédimenter les institutions, les guichets existants seraient plus performants. Le guichet unique n'a de sens que si le service à la personne s'en trouve nettement amélioré et certaines questions très techniques nécessitent des guichets spécialisés.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand on parle de guichet unique, on imagine un bureau où une seule personne pourrait apporter des réponses dans des domaines très variés. C'est absurde au regard de la complexité de ces sujets. En revanche, l'idée est beaucoup plus séduisante s'il s'agit d'aller vers des plates-formes multiservices, qui réuniraient dans un même espace l'ensemble des experts des questions de protection sociale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Ce temps de « digestion » de leurs nouvelles compétences par les départements freine sans doute quelque peu la réflexion sur les évolutions nécessaires. Dans ces conditions, l'ancienneté et l'implantation des CCAS ne leur confèrent-elles pas un rôle d'autant plus important que les départements se montrent moins novateurs et que les textes les plus récents imposent de nouvelles coordinations ?

M. Patrick Kanner : Les départements peuvent encore être novateurs à condition d'y être incités. C'est pour cela que nous avons créé, au sein de l'UNCCAS, des unions départementales qui couvrent aujourd'hui une quarantaine de départements et qui sont présidées par des élus. Mais pour que le rôle de ces unions soit reconnu, il faut que les conseils généraux acceptent de les considérer non pas comme de simples outils d'application de sa politique mais comme de véritables interlocuteurs, dont l'expertise locale peut servir aux départements.

Le département du Nord a compris qu'il ne pouvait pas mettre en œuvre ces politiques sans un support territorial fin et il a passé avec l'union départementale des CCAS une convention d'objectifs qui prévoit aussi la mise à disposition de moyens humains.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je crois que notre mission doit vraiment chercher les moyens de mettre en place un dispositif pérenne permettant de faire le lien entre les questions sanitaires et sociales. Au sein de la mission d'information sur les urgences médicales, nous voyons bien qu'un travail en commun des acteurs du champ sanitaire et du champ social permettrait d'éviter que des personnes ne reviennent à l'hôpital parce que leur sortie a été mal maîtrisée. De telles synergies commencent-elles à être développées, y compris dans le cadre de l'analyse des besoins sociaux ?

Par ailleurs, dans la mesure où nous nous demandons sans cesse s'il faut faire porter nos efforts sur les prestations individuelles ou sur l'amélioration de l'organisation des services, il me semble qu'il serait intéressant de s'interroger sur l'augmentation de 30 à 40 % des charges pesant sur les collectivités locales qu'a entraînée l'adoption de la prestation de service unique (PSU) pour les jeunes enfants.

Mme Karen Soyer : Nous avons mené des enquêtes afin de mesurer l'impact sur les CCAS de cette évolution de la politique de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) que traduit la PSU. Nous partageons la volonté de la caisse d'ouvrir davantage de places d'accueil pour les familles. Mais il apparaît que ce nouveau dispositif nuit à la qualité de l'accueil des enfants car le fait de payer à l'heure plutôt qu'à la journée conduit les parents à laisser les enfants moins longtemps dans les structures.

M. Pierre Morange, coprésident : Je constate aussi, dans le village de Chambourcy dont je suis maire, que les nouveaux modes de vie familiale et les 35 heures allongent les périodes pendant lesquelles les parents retirent les enfants des structures d'accueil, ce qui peut entraîner des difficultés d'exploitation pour ces dernières, dans la mesure où le berceau reste bloqué pendant ce temps. Un rappel à l'ordre des chambres régionales des comptes semble toutefois inciter les communes à revenir à la limite antérieure de huit semaines d'absence par an.

Mme Béatrice Longueville : En ce qui concerne les sorties d'hospitalisation, il est vrai que les relations partenariales locales jouent beaucoup. Or nous constatons l'absence d'un langage commun entre le secteur social et le secteur sanitaire. Nous avons du mal à intéresser ce dernier à l'analyse des besoins sociaux.

Nous vous transmettrons des informations sur l'expérience menée en la matière à Parthenay.

M. Patrick Kanner : L'UNCCAS à créé une banque des expérimentations locales : on trouve sur notre site Internet environ 150 exemples de réponses très originales dans le paysage social français.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous indique, à propos du partage de l'information, que j'ai fait adopter un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 permettant la création d'un fichier informatique commun à l'ensemble des branches du régime général, auquel les CCAS auront accès.

M. Patrick Kanner : Très bien !

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je vous remercie d'avoir participé à cette réunion et je propose que vous répondiez par écrit aux questions que notre rapporteure avait préparées et qu'elle n'a pu vous poser, faute de temps.

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu M. Yves Humez, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), accompagné de M. Gérard Soumet, directeur de l'action sanitaire et sociale et des services à la personne.

M. Pierre Morange, coprésident : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je donne la parole à notre rapporteure.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : J'aimerais tout d'abord que vous nous rappeliez quelles sont les spécificités de l'action sociale de la MSA, en termes d'organisation, de prestations et de bénéficiaires ?

Au vu des documents que vous nous avez adressés, il me semblerait également utile que vous nous en disiez un peu plus sur l'animation en milieu rural, sur le réseau partenarial et sur ce que vous appelez les « territoires de vie », qui nous intéressent particulièrement car nous essayons de repérer les expériences favorables aux usagers.

M. Yves Humez : Je commencerai par rappeler les caractéristiques du fonctionnement du régime agricole, qui ont des effets sur la façon dont nous abordons l'action sanitaire et sociale.

Notre première particularité est que nous formons un guichet unique, qui rassemble dans une même caisse l'ensemble des branches de la sécurité sociale.

Nous fonctionnons également comme une institution mutualiste, des élections permettant de désigner non seulement nos administrateurs, mais aussi nos 27 000 délégués cantonaux, grâce auxquels nous disposons sur le terrain d'un maillage efficace et d'une bonne connaissance de la situation et des problèmes des personnes.

Nous sommes aussi depuis très longtemps organisés de façon décentralisée : même si nous nous efforçons de donner un peu de cohérence à la politique menée, l'action sanitaire et sociale est largement confiée aux conseils d'administration des caisses départementales.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous prêchez ici des convaincus de l'excellence de votre démarche de démocratie représentative, que nous préconisons pour l'ensemble du système.

M. Yves Humez : Le régime agricole concerne 4,4 millions de personnes. Marqué par une démographie vieillissante, il a rencontré avant les autres les problématiques du grand âge et de la gérontologie.

Si nous nous sommes particulièrement intéressés à l'animation des territoires, c'est parce que nous avons été naturellement amenés, afin de répondre aux besoins des populations agricoles, à rechercher des solutions destinées à s'appliquer non pas uniquement à ces populations mais à l'ensemble d'un territoire. On peut évoquer à ce propos les réseaux gérontologiques et les MARPA (maisons d'accueil rural des personnes âgées). Nous avons aussi été à l'origine de la création du mouvement des Aînés ruraux, aujourd'hui constitué en fédération autonome, qui nous apporte un soutien important dans la diffusion des informations.

M. Gérard Soumet : Vous nous avez également interrogés sur les partenariats. Qu'elle soit médicale ou sociale, notre action est centrée sur les problématiques de vie d'une population dispersée en milieu rural. Dès les années 1980, confrontés aux difficultés que l'on peut rencontrer pour accéder aux soins et aux services en fonction de l'endroit où l'on vit, nous avons voulu contribuer au développement des territoires de vie. Notre population devenant progressivement minoritaire, y compris dans les zones rurales, le partenariat avec les collectivités locales comme avec le milieu associatif nous est apparu comme une évidence : c'est seulement ainsi que des solutions locales peuvent profiter à l'ensemble de la population tout en étant économiquement viables.

Depuis les années 1970, notre action sociale ne s'exerce plus uniquement sous la forme de distribution de prestations, mais aussi par l'action de notre très important effectif de 1 500 travailleurs sociaux, qui ont pour mission d'aller à la rencontre des partenaires afin de rendre ce milieu de vie plus accueillant et pour permettre que tous ceux qui y vivent, notamment nos ressortissants, y trouvent des réponses adaptées à leurs besoins.

Le document que je vous ai adressé traite surtout de l'action sociale, mais la problématique est la même pour l'action médicale, confrontée aux difficultés d'accès aux soins et au remplacement des professionnels libéraux en fin de carrière. Pour nous, le médecin est le partenaire du travailleur social : ils travaillent ensemble dans les mêmes caisses, ils font face aux mêmes difficultés, ils peuvent donc monter ensemble des partenariats porteurs d'actions.

Depuis une vingtaine d'années, la caisse centrale s'efforce de travailler avec le réseau sur ces approches territoriales et partenariales. La MSA se veut aussi partenaire des politiques publiques, afin de favoriser les synergies et d'éviter les doublons.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Il est très intéressant de montrer concrètement, dans le cadre du fonctionnement de la Mutualité sociale agricole, comment le fait que les quatre régimes soient gérés ensemble est de nature à construire, y compris par le biais de l'action sociale, des réponses pertinentes et efficaces, du point de vue des finances publiques comme de l'usager. Pourriez-vous nous donner des exemples précis ?

M. Yves Humez : Les démarches préventives sont toujours les meilleures : chaque fois que l'on peut identifier une difficulté en amont, on parvient à y répondre de façon plus efficace et moins coûteuse.

Ainsi, dans le cadre de la gestion du service public de la protection sociale des agriculteurs et des salariés agricoles, nous nous sommes engagés dans un plan de lutte contre la précarité, qui vise à déceler tout indice donnant à penser qu'une personne est ou va être en situation de précarité. Dès lors que nous nous apercevons qu'elle ne paye pas ses cotisations ou qu'un problème est identifié en matière d'assurance familiale ou sociale ou de prestations de santé, grâce à notre système d'alerte, nous pouvons intervenir le plus en amont possible.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce dispositif paraît pouvoir être rapproché de l'outil d'analyse des besoins sociaux (ABS) dont viennent de nous parler les représentants de l'UNCCAS. Sans doute auriez-vous intérêt à vous rapprocher les uns des autres afin de comparer non seulement la philosophie de vos deux systèmes, mais aussi leurs modalités concrètes pour en tirer un enrichissement mutuel. De façon générale, nous accordons une grande importance au transfert d'informations, qui ne peut reposer que sur des langages communs.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Il y a une différence entre les deux approches : la loi a prévu l'analyse des besoins sociaux sur l'ensemble d'un territoire, tandis que ce dont M. Humez vient de parler concerne surtout un individu, en l'occurrence la personne assurée à la MSA. Cela étant, il serait intéressant que cette dernière travaille avec l'UNCCAS.

M. Yves Humez : Notre démarche est partie du constat que même avec un guichet unique, il faut encore faire des efforts pour que l'information circule bien. L'idée est donc de faire en sorte d'organiser le recoupement de toutes les informations sur une situation personnelle, qui sont autant d'indicateurs.

M. Pierre Morange, coprésident : Vos guichets uniques rassemblent des compétences : on n'est donc pas très loin d'une plate-forme multiservices... Peut-être aurait-on intérêt à insister sur cet aspect pour montrer que le guichet unique, tel qu'il est conçu dans le cadre de la MSA peut être favorable à l'usager, alors qu'il est souvent perçu comme un simple outil de gestion ou de fusion des branches.

M. Yves Humez : L'intérêt est également de créer une base de données unique comportant toutes les informations générales relatives à une personne.

M. Pierre Morange, coprésident : Voilà qui rejoint l'amendement que j'ai fait adopter sur les fichiers informatiques communs. Je m'étonne d'ailleurs que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) s'en soit émue, alors qu'elle en avait validé le principe dès 1989.

M. Yves Humez : Nous cherchons sans cesse à adapter notre organisation afin de combiner une approche globale et le professionnalisme des agents dans l'exercice compliqué de la gestion des branches.

Nous comptons 18 000 salariés et nous nous inscrivons dans une logique de restructuration qui nous amène à passer progressivement de 78 à 35 caisses. Dans le même temps, nous essayons de conserver la dimension de proximité, grâce à des antennes locales et à une organisation qui recherche un équilibre entre l'efficacité et la prise en compte des besoins.

M. Gérard Soumet : Vous avez souhaité des exemples, il y en a d'autres. Ainsi, en nous inspirant du plan de lutte contre la précarité, nous déployons désormais un plan « bien vivre après 50 ans ». Construit autour de la thématique du vieillissement, il vise en premier lieu à accompagner jusqu'au moment où ils prendront leur retraite ceux qui sont en train de passer vers la catégorie des seniors. Il nous permet ensuite de nous occuper des jeunes retraités, en mettant l'accent sur le lien social et sur l'idée de trouver leur place dans la société. Ce plan couvre enfin la prévention de la perte d'autonomie. Ce qui est intéressant, c'est qu'il réunit toutes les compétences d'une caisse de MSA : médecin de prévention, travailleur social, médecin du travail. Nous parvenons ainsi non seulement à créer une synergie autour de la connaissance des problèmes, mais aussi à mettre ensemble ces différents professionnels, qui ont chacun leur spécificité, afin qu'ils réfléchissent à des solutions permettant d'offrir à cette population une offre de services globale.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Avez-vous également des exemples d'un travail de coordination efficace autour du handicap ? J'aimerais aussi que vous nous en disiez un peu plus sur les réseaux gérontologiques. Pour traiter ces questions, vous arrive-t-il de passer des conventions avec d'autres caisses, avec des conseils généraux et avec des CCAS ? Ce qui nous intéresse, c'est de voir comment vous associez d'autres partenaires à votre démarche.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : S'agissant du handicap, vous menez actuellement un travail en faveur de l'accueil temporaire, afin d'ouvrir ce que vous appelez le « droit au répit ». Cette expérience nous paraît intéressante car elle répond aux attentes qui se sont exprimées lors de l'examen de la loi de 2005. Comment liez-vous cela à l'installation de la maison départementale des personnes handicapées ?

M. Gérard Soumet : En ce qui concerne les personnes handicapées, nous avons proposé aux caisses de la MSA, vers le milieu des années 1980, un programme d'action fondé sur la collaboration entre les médecins de la caisse et les travailleurs sociaux, afin d'aider ceux qui deviennent handicapés à la suite d'un accident de santé à conserver leur emploi, et de faciliter l'insertion des personnes handicapées dans l'emploi. Le protocole de collaboration que nous avons élaboré évite qu'au sein d'une caisse, le médecin conseil et le médecin du travail ne rendent des avis contradictoires.

Depuis deux ou trois ans, nous travaillons également sur l'aide aux aidants et sur le répit. Parce que nous n'avons pas pour habitude de considérer que la caisse centrale est omnisciente, nous avons lancé des appels à projet pour que les caisses nous fassent savoir comment elles pensaient possible d'aborder cette question, afin non seulement que nous soutenions leurs projets, mais aussi que nous essayions d'en tirer les éléments d'une politique globale que nous pourrions proposer à l'ensemble du réseau.

Si chacun mesure tout l'intérêt de l'accueil de jour et de l'accueil temporaire, la difficulté est de dégager un modèle économique et fonctionnel. De ce point de vue, l'expérimentation actuellement conduite dans l'Allier paraît intéressante. Elle est née de l'initiative du maire d'une commune rurale, qui, confronté en particulier au problème du vieillissement des parents, a eu l'idée de créer une structure d'hébergement temporaire pour les personnes handicapées qui vivent dans leurs familles. En discutant avec les partenaires locaux, nous sommes parvenus à un projet qui devrait permettre de contourner l'obstacle habituel de ce type d'hébergement : sa viabilité économique. En liaison avec le conseil général, nous envisageons une organisation départementale, à la fois pour accueillir les demandes et pour gérer les placements temporaires dans différentes structures, qui bénéficieront ainsi d'un véritable plan de charge. Nous espérons pouvoir tirer de cette expérience des enseignements utiles pour tout le monde.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous aimerions suivre cette expérience car nous sommes bien conscients que les difficultés tiennent à la gestion économique de tels dispositifs.

M. Gérard Soumet : Dès l'adoption de la loi du 20 juillet 2001 qui a créé l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), nous avons demandé à l'ensemble des caisses de la MSA d'aider les conseils généraux à mettre en place le dispositif. Cela nous semblait d'autant plus important que nous comptons un nombre important de personnes âgées de 75 à 80 ans, âge charnière de la perte d'autonomie. Aujourd'hui, 60 départements sont couverts par un partenariat avec le conseil général. Dans 36 d'entre eux, une convention prévoit la participation des travailleurs sociaux de la MSA aux équipes médico-sociales départementales.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur les incidences, en termes de ressources humaines, de la diminution du nombre des caisses ?

M. Yves Humez : En même temps que nous avons réduit le nombre des caisses, nous avons mené une politique globale de gestion des effectifs, en tenant compte à la fois des gains de productivité et des départs en retraite. Nous travaillons actuellement sur la base du non renouvellement d'un départ sur deux, même si rien ne dit que le nombre de départs est un indicateur pertinent. Nous élaborons des référentiels afin que les caisses puissent tendre vers un effectif bien adapté à leur situation.

Dans la convention d'objectifs et de gestion qui vient de s'engager, il est prévu de réduire les effectifs de 1 400 emplois. Au cours de la période récente, même si l'application des 35 heures a quelque peu perturbé la réduction des emplois, le nombre des heures travaillées a effectivement diminué.

Nous essayons de protéger un certain nombre d'emplois, notamment les emplois médico-sociaux, ce qui nous conduira sans doute à réduire un peu plus le nombre des emplois administratifs.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je souhaite revenir sur les réseaux gérontologiques, qui me paraissent au cœur du travail de notre mission sur l'action sanitaire et médico-sociale. En effet, l'étude que vous avez menée sur l'impact de ces réseaux en termes de dépenses de santé, montrait une économie de près de 230 euros par mois par rapport à une personne n'ayant pas intégré un tel réseau.

M. Yves Humez : L'idée du réseau gérontologique est très simple : il s'agit d'organiser la coordination de l'ensemble des interventions autour de la personne âgée dépendante. Je vous ferai parvenir les résultats des évaluations que nous avons menées à deux reprises dans les 19 sites qui ont fonctionné de la sorte. Ils montrent une grande satisfaction de la part des personnes concernées et de leurs familles, mais aussi du médecin coordonnateur et des équipes qui l'entourent. Nous avons aussi conduit une étude économique, en comparant le coût de la prise en charge de ces personnes à celui d'un groupe témoin, et nous nous sommes aperçus que les résultats étaient également bons de ce point de vue, notamment en ce qui concerne les dépenses d'hospitalisation.

Comme souvent, nous sommes désormais confrontés à des difficultés pour passer de l'expérimentation à la taille « industrielle ». Nous avons demandé à l'ensemble des caisses de voir si elles remplissent les conditions nécessaires pour s'inscrire dans ce dispositif.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce sont souvent les cloisonnements du système qui empêchent de passer du stade artisanal au stade industriel.

M. Yves Humez : La crainte est en général que cela n'entraîne des coûts supplémentaires. Or, nous avons toujours fait très attention à cela.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Il existe dans une circonscription voisine de la mienne, à Baume-les-Dames, un réseau de ce type, dont le succès est tel qu'il attire des habitants de la banlieue de Besançon, qui savent qu'ils bénéficieront ainsi de l'ensemble du suivi. J'ai pu constater l'importance à la fois de la participation de l'hôpital local, de l'association des professionnels de santé et du lien avec centre local d'information et de coordination gérontologique (CLIC).

M. Gérard Soumet : En nous appuyant sur l'expérience que nous avons acquise avec les réseaux gérontologiques, nous menons actuellement une expérimentation de même type pour la maladie d'Alzheimer. L'objectif est de parvenir, sur un territoire rural, en partenariat avec l'hôpital, les médecins et le secteur médico-social, à aller du repérage à l'accompagnement des personnes au fur et à mesure de l'avancement de leur maladie, en proposant également un volet important d'appui à la famille. Le deuxième site de ce type vient précisément d'ouvrir à Baume-les-Dames.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Notre mission pourrait peut-être se rendre sur place et constater ainsi que l'on peut faire en sorte à la fois de réaliser des économies et de satisfaire chacun.

M. Gérard Soumet : Nous menons également depuis trois ou quatre ans une expérience dans le domaine de la petite enfance, dans le cadre d'une politique de partenariat avec les caisses d'allocations familiales et avec les communes rurales, afin de développer une offre d'accueil adaptée aux caractéristiques du milieu rural, par exemple en préférant une halte garderie itinérante à une crèche.

Nous avons aussi lancé un plan d'action sociale familiale, qui est un succès puisqu'une cinquantaine de départements se sont impliqués autour de la question de la parentalité et du développement psychomoteur de l'enfant.

Ce qui est sans doute caractéristique de notre manière de procéder en guichet unique, c'est que notre approche familiale comporte un volet santé et que nous ne traitons pas uniquement des questions sociales. Dans ce cadre, nous développons, en lien avec le programme national nutrition santé, un plan en direction des familles. Nous sommes aussi très attentifs à toutes les questions de solidarité familiale autour de la personne âgée.

M. Yves Humez : On peut également citer nos neuf maisons de santé pluridisciplinaires. À partir du constat que, dans certaines zones désertifiées, il est difficile de renouveler la population de médecins traitants, nous cherchons à faire cohabiter médecins et professionnels de santé au sein d'une structure assez intéressante pour inciter les professionnels de santé à s'installer dans des endroits aujourd'hui délaissés.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie pour toutes les informations que vous nous avez apportées et je vous invite à nous faire parvenir toutes les idées qui pourraient encore compléter l'échange que nous venons d'avoir.

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