Mercredi 23 novembre 2005

- Audition de M. Paul CASTEL, directeur général du Centre hospitalier universitaire de Strasbourg, accompagné de M. Daniel CHRISTMANN, professeur de médecine

(Compte rendu de la réunion du 23 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. La mission d'information sur la grippe aviaire poursuit deux objectifs : participer au contrôle parlementaire sur le fonctionnement de l'exécutif et œuvrer pour la transparence de l'information en direction de nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle cette audition est ouverte à la presse.

Nous souhaiterions que vous nous apportiez les informations dont vous disposez en matière de lutte contre la pandémie au niveau de l'hôpital. Monsieur Castel, vous êtes directeur général du CHU de Strasbourg, mais également responsable de l'association des directeurs de CHU ; sans doute pourrez-vous nous parler des aspects organisationnels et administratifs, les aspects strictement médicaux, même si parfois les deux se recoupent, ayant déjà été traités lors de précédentes auditions.

M. Paul CASTEL : J'avais cru comprendre que vous vous intéressiez plus précisément à l'organisation retenue au CHU de Strasbourg et en région Alsace, mais nous tâcherons de répondre à votre souhait. Le professeur Christmann, professeur de médecine et infectiologue, spécialiste, donc, des disciplines directement concernées par le sujet et cheville ouvrière de notre organisation sur Strasbourg, a bien voulu m'accompagner.

M. Daniel CHRISTMANN : Je commencerai par éclaircir deux ou trois points fondamentaux avant d'aborder les problèmes « grippe aviaire », puis « pandémie grippale » et de vous donner un aperçu de notre organisation et des difficultés rencontrées.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Je comprends très bien votre intention mais nous avons déjà eu pas mal d'informations médicales ; ce qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, c'est ce que vous proposez ou souhaitez voir mettre en œuvre sur le plan hospitalier dans votre région. Comment vous préparez-vous ? Quels moyens avez-vous à votre disposition ? Quels sont ceux qui vous manquent, ce qui est une de nos préoccupations ?

M. Daniel CHRISTMANN : Je voudrais quand même bien distinguer la grippe aviaire et la pandémie grippale, dans la mesure où la préparation n'est pas la même.

Le virus de la grippe aviaire circule depuis fin 2003. Seize pays sont touchés et le nombre de patients contaminés s'élève au 16 novembre à 126 patients, dont 64 sont décédés. Tout porte à croire que le risque « grippe aviaire » sera très limité en France - trois à cinq cas au grand maximum - compte tenu des mesures prises par les services vétérinaires. De ce fait, la prise en charge en milieu hospitalier, très différente de celle de la pandémie, s'apparentera à ce que l'on a pu observer en mars 2003 avec le SRAS et le coronavirus, où il y a eu cinq cas plus quelques situations à risque, qui se sont avérées ne pas l'être. Le risque aviaire se caractérise toutefois par la gravité du tableau clinique, en raison d'atteintes pulmonaires et encéphaliques beaucoup plus sévères et qui appellent une prise en charge adaptée. L'âge des patients atteints - 19 ou 20 ans en moyenne, ne présentant donc pas de facteurs de risque particuliers - incite à penser que ces personnes ont fait l'objet d'une contamination massive.

Un chiffre reste toutefois inconnu : le coronavirus du SRAS avait donné lieu à des enquêtes dans le Sud-est asiatique auprès des personnes travaillant sur les marchés montrant que 30 % des gens présentaient des anticorps, autrement dit qu'ils avaient été contaminés sans pour autant développer de forme grave. Pour la grippe aviaire, on a recensé 126 cas, mais sans savoir si des personnes, et combien, ont pu présenter des formes très discrètes, voire totalement silencieuses de la maladie. Seules des enquêtes sérologiques sur les populations du Sud-est asiatique permettront de répondre à cette question.

Compte tenu de leur faible nombre, les patients suspects de grippe aviaire devront certainement être hospitalisés dans des secteurs dédiés - essentiellement les secteurs de maladies infectieuses -, être impérativement isolés et soumis à des traitements symptomatiques et antiviraux. Le Tamiflu est actif sur ce virus ; seule une observation au Vietnam a mis en évidence une souche résistante. Le Relenza est également actif. Mais il faut être très prudents vis-à-vis de ces thérapeutiques car nous ne sommes pas à l'abri d'un risque d'évolution vers des souches résistantes. Les mesures d'isolement sont absolument fondamentales.

M. le Président : Vous avez parfaitement raison de distinguer la problématique « grippe aviaire » de la problématique « pandémie grippale », mais c'est particulièrement cette dernière qui nous intéresse. Où en est l'hôpital de Strasbourg dans sa préparation à une période pandémique ? De quels moyens disposez-vous dès à présent - stocks, organisation, financements ? Outre l'aspect médical, l'aspect administratif de la question retient notre attention. Pouvez-vous nous indiquer précisément si tout va bien, si vous avez tous les stocks, si toutes les circulaires explicatives sont prêtes, si le réseau d'expertise fonctionne, etc. ? Savez-vous parfaitement ce que vous aurez à faire à partir du jour J ?

M. Daniel CHRISTMANN : Vous connaissez les prévisions d'attaque de la pandémie : entre 15 et 35 % de la population. Cela nous amène, pour le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, à quelque 600 000 sujets infectés, 40 000 personnes à hospitaliser et 4 000 décès. Ce sont les chiffres sur lesquels nous devons travailler. On distingue une phase prépandémique qui sera certainement très courte, durant laquelle se posera la question de savoir que faire des patients. Ceux-ci doivent, de notre point de vue, être hospitalisés systématiquement pour la bonne raison qu'il faudra impérativement faire la preuve de la nature virale de l'affection et du type de virus en cause, sachant que nous serons également confrontés à la grippe saisonnière. Dans cette phase prépandémique, nous devons également avoir un aperçu du risque évolutif. Cela suppose toute une organisation au niveau des SAMU, de la médecine libérale et des établissements hospitaliers, où il faudra des structures dédiées.

Pour ce qui est de la phase pandémique, il faut absolument identifier les secteurs d'hospitalisations sur lesquels on pourra s'appuyer.

M. le Président : Avez-vous fait ce travail au niveau du CHU de Strasbourg ? Avez-vous un plan exact des services ?

M. Daniel CHRISTMANN : Nous l'avons fait.

Le cheminement du patient se décompose en plusieurs étapes, dont la première est l'accueil. Il est hors de question d'accueillir un cas suspect de grippe dans un secteur d'accueil des urgences classiques, à côté d'autres patients atteints de troubles cardiaques, respiratoires, digestifs ou autres. Il faut absolument séparer les deux populations pour éviter toute contamination et donc définir un secteur dédié à l'accueil des grippés. Nous avons deux accueils des urgences à Strasbourg, un sur le site de l'Hôpital civil, l'autre sur le site de Hautepierre qui est une tour de treize étages. Nous n'avons évidemment pas retenu ce deuxième secteur pour accueillir les urgences, dont la configuration rendrait ingérable l'admission et l'hospitalisation de ces patients. Il faut s'orienter vers des structures pavillonnaires.

M. le Président : Autrement dit, la structure verticale « tour » est totalement inappropriée...

M. Daniel CHRISTMANN : Disons que ce n'est peut-être pas la plus appropriée.

M. le Président : ...et les patients suspectés de pandémie grippale seront dirigés vers un hôpital horizontal, de type pavillonnaire.

M. Daniel CHRISTMANN : Dans la mesure du possible. À Strasbourg, le secteur des maladies infectieuses occupe un bâtiment de trois étages, d'une capacité de 80 à 85 lits, qui sera totalement dédié à l'accueil des patients. Nous avons défini un deuxième secteur d'hospitalisation dans une structure qui, actuellement, fonctionne en tant que maternité, mais qui serait vidé de ses patientes. Enfin, divers services ont d'ores et déjà été sélectionnés en fonction du nombre d'hospitalisations nécessaires, qui seront exclusivement dédiés à la prise en charge des patients infectés.

M. Pierre HELLIER : D'accord sur l'hospitalisation, mais quid du tri ? Il faudra s'attendre à des consultations spontanées, et à d'autres accompagnées d'un mot du médecin traitant. Il faudra forcément faire un tri à un moment ou à un autre. Où se fera ce tri ?

M. Jean-Michel BOUCHERON : Le matériel dont vous avez besoin pour traiter les patients est-il très lourd et non déménageable ? Autrement dit, serait-il possible de transformer telle école désaffectée en annexe de l'hôpital, aménagée, clôturée, et d'y transporter le matériel ?

M. Daniel CHRISTMANN : On sait que, lors d'une pandémie grippale, 25 à 35 % de la population n'est plus en mesure d'assurer une activité. Il en sera évidemment de même pour les personnels, infirmiers, médecins de nos établissements. Dans ces conditions, il est difficile d'envisager la mise en place d'une nouvelle structure dédiée, ce qui supposerait d'y affecter des équipes et des personnels pris sur les structures en fonctionnement, autrement dit de vider nos services pour les délocaliser sur de nouvelles structures. Sans compter que toute l'infrastructure à mettre en place dans un bâtiment nouvellement dédié : fluides, oxygène, etc. sera difficile à installer : il ne peut s'agir que d'une organisation légère. Il faut également rappeler que ne seront hospitalisés que les sujets les plus sévèrement atteints.

M. le Président : Comment les déterminerez-vous ?

M. Daniel CHRISTMANN : La majorité des patients seront pris en charge en milieu extra-hospitalier, par les médecins de famille. Seules les personnes fragilisées ou sujettes à des complications seront hospitalisées.

M. le Président : Fragilisées médicalement ou socialement ?

M. Daniel CHRISTMANN : D'abord médicalement : je veux parler des patients atteints de complications, de surinfections, ou souffrant de pathologies préexistantes. Certains groupes de personnes socialement fragilisées devront peut-être faire l'objet d'une surveillance régulière, soit par le biais d'un médecin ou d'une équipe d'infirmières de ville, ce qui peut être délicat, soit par le biais d'une hospitalisation. Toutefois celle-ci visera prioritairement les personnes sujettes à des complications médicales.

M. le Président : Avez-vous mis en place une articulation entre le CHU de Strasbourg et la médecine de ville ?

M. Daniel CHRISTMANN : Une réflexion a été lancée au niveau de la DRASS et de la DDASS, et plusieurs réunions seront consacrées à l'organisation.

M. Paul CASTEL : Il existe au CHU de Strasbourg un plan détaillant l'affectation des différents services, bâtiments, cliniques, qui sont au nombre de 25. Par chance, nous sommes en train de construire, pour remplacer nos cliniques en centre ville, un hôpital ultramoderne qui devrait ouvrir dans dix-huit mois, et nous nous demandions précisément comment ce nouvel établissement pourrait fonctionner de façon aussi sécurisée que nos cliniques. Le plan est prêt, qui prévoit la mise en route de procédures dégradées, au prix évidemment d'une déprogrammation des hospitalisations dans plusieurs cliniques.

M. le Président : Vous avez parlé tout à l'heure d'une maternité. Il y sera difficile de déprogrammer...

M. Daniel CHRISTMANN : Nous avons plusieurs maternités à Strasbourg...

M. Paul CASTEL : Nous avons trois sites.

M. le Président : Autrement dit, vous allez réorienter vers d'autres maternités.

M. le Rapporteur : Parlez-vous de cliniques privées ?

M. Paul CASTEL : À Strasbourg, le terme de clinique désigne des entités à l'intérieur de l'hôpital public, autrement dit des bâtiments.

M. le Rapporteur : Et avec les établissements privés ?

M. Paul CASTEL : La coordination n'est pas encore faite.

M. le Président : Qu'avez-vous prévu pour le tri, sur le plan pratique - tentes, accueil, vigiles, etc. ?

M. Daniel CHRISTMANN : Ce tri ne peut pas s'effectuer dans nos actuels secteurs d'accueil des urgences. Il faut donc un « pré-tri », un tri en amont. Nous avons deux options, du reste complémentaires : premièrement, un secteur dédié, une filière réservée à l'accueil de ces patients. Cette opération se déroulera prioritairement sur le site de l'Hôpital central civil, là où précisément se trouvent ces fameuses « cliniques », là où seront hospitalisés les patients. Il y a un problème à régler, celui de l'accueil pédiatrique, où il faudra un tri particulier.

M. Pierre HELLIER : Mais vous ne savez pas au départ qui a la grippe. Autrement dit, tous les patients, dans un premier temps, iront là-bas.

M. Daniel CHRISTMANN : C'est une question importante. Une phase de pandémie doit obligatoirement donner lieu à une information tant des patients que des médecins. Ils seront prévenus que l'accueil des sujets susceptibles d'avoir contracté une grippe se fera sur le site dédié. Cette information sera une première étape. Cela dit, on n'empêchera pas des gens de vouloir entrer dans l'autre secteur d'accueil ; nous avons opté, comme nous l'avons fait pour le SRAS en 2003, pour un dispositif les empêchant à tout prix de pénétrer dans les services d'accueil et les salles d'attente. En 2003, nous avions procédé par voie d'affichage à l'entrée, avec des panneaux demandant aux patients présentant des problèmes respiratoires ou de la fièvre de s'adresser d'abord à l'hôtesse d'accueil.

M. Pierre HELLIER : Et cela a marché ?

M. Daniel CHRISTMANN : Cette première démarche préparatoire a parfaitement fonctionné en 2003. Avant l'affichage, un seul cas suspect s'était retrouvé dans une salle d'attente, au milieu des autres patients ; après l'affichage, il n'y a plus eu une seule erreur. Tous les patients ont été aiguillés là où il fallait, avec les mesures de prévention appropriées - masques, etc.

M. le Président : Les patients arrivant par le « 15 » auront été pré-triés, du moins peut-on le supposer. Mais comment pré-trierez-vous ceux qui arriveront à pied ?

M. Daniel CHRISTMANN : Si, en phase pandémique, un sujet souffre d'un syndrome infectieux grippal, de deux choses l'une : ou bien il présente des signes de gravité, de complications ou un terrain à risque, auquel cas il sera hospitalisé dans un de nos secteurs dédiés ; ou bien il s'agit d'un syndrome grippal sans risque particulier et le patient sera confié à son médecin traitant. Nous n'aurons pas la possibilité pratique de prendre en charge tout le monde.

M. le Rapporteur : Et vous resterez en lien avec le médecin traitant ?

M. Daniel CHRISTMANN : Obligatoirement.

M. Pierre HELLIER : Vous ne nous parlez pas d'une zone de tri spécifique...

M. Daniel CHRISTMANN : Nous avons dédié une zone d'accueil spécifique sur le site de l'Hôpital civil. À l'hôpital de Hautepierre, secteur « Tour », un dispositif situé avant l'entrée permettra de réorienter les sujets suspectés de grippes vers l'Hôpital civil.

M. le Président : Vous nous avez donné les chiffres pour l'Alsace. Qu'en est-il pour Strasbourg même ?

M. Daniel CHRISTMANN : Sur une base arrondie de 500 000 habitants, cela nous donne 150 000 à 160 000 sujets infectés et entre 1 200 et 1 500 hospitalisations.

M. le Président : Combien de lits avez-vous dégagés - potentiellement, s'entend ?

M. Daniel CHRISTMANN : Nous demanderons à l'ensemble des services de médecine, de chirurgie et de gynécologie obstétrique de suspendre une activité programmée. Certaines interventions - dialyses, etc. - continueront évidemment à être assurées. Chacun de nos collègues nous indiquera alors combien de lits, sur cette base, sont susceptibles d'être dégagés.

M. le Président : De combien de lits disposez-vous sur l'ensemble des hôpitaux de Strasbourg ?

M. Paul CASTEL : 2 500, dont 2 000 en MCO1

Mme Paulette GUINCHARD : Plus exactement en court séjour.

M. Paul CASTEL : En effet. Le taux d'occupation moyen est de 85 %. Nous comptons sur les 15 % disponibles, plus les déprogrammations envisagées...

M. Daniel CHRISTMANN : Pour le moment, nous n'avons pas encore dégagé de lits. Nous espérons dégager environ quelque 300 à 400 lits, par déprogrammations. Il est évidemment hors de question d'admettre des patients grippés dans ces lits libérés : ceux-ci serviront simplement à transférer les malades des secteurs dédiés vers ces lits qui auront été libérés, les secteurs dédiés n'accueillant que des sujets grippés. Ce point d'organisation ne devrait pas poser problème, si ce n'est que les personnels soignants devront quitter leurs secteurs d'origine pour suivre leurs malades dans ces nouveaux secteurs... Ce sera notamment le cas de la clinique dans laquelle j'exerce, et qui compte 80 lits.

Reste le problème de la pédiatrie, localisée sur le site de Hautepierre, autrement dit ce bâtiment de treize étages. Avec les personnes responsables du service pédiatrique, nous avons clairement posé le principe que les enfants n'iraient pas sur ce site de pédiatrie et seraient obligatoirement hospitalisés dans la maternité dont je parlais plus haut et qui comporte une partie pédiatrie.

M. le Président : En d'autres termes, vous créez une aile pédiatrique spécifique.

M. Daniel CHRISTMANN : Elle existe déjà, en partie, dans le cadre de la maternité, pour les nouveau-nés. Elle deviendra un secteur pédiatrique spécifiquement dédié.

Pour ce qui est de la réanimation, il y a deux secteurs de réanimation à Strasbourg. Or, le secteur de réanimation médicale ou chirurgicale ne pourra pas être facilement mobilisé, car il lui faudra continuer à faire face aux autres affections. On pourrait éventuellement réserver un des deux secteurs de réanimation chirurgicale aux patients grippés ; en tout état de cause, on trouvera dans les secteurs dédiés des salles où seront dispensés des soins continus et intensifs, et des respirateurs installés.

M. le Président : De combien de respirateurs disposez-vous aujourd'hui ?

M. Daniel CHRISTMANN : En tant que centre référent pour risques NRBC2 , nous avons été dotés de respirateurs supplémentaires, que nous pensons mobiliser en cas de pandémie.

M. le Président : Combien ?

M. Paul CASTEL : Je n'ai pas le chiffre en tête.

M. le Rapporteur : Il s'agit de respirateurs mobiles ?

M. Daniel CHRISTMANN : En effet.

M. le Rapporteur : Il est donc possible d'installer ce genre d'appareil à la demande...

M. Daniel CHRISTMANN : C'est assez facile à installer - à condition d'avoir tous les fluides.

M. Serge ROQUES : À combien estimez-vous le nombre de patients relevant de la réanimation et nécessitant une aide respiratoire ?

M. Daniel CHRISTMANN : La proportion pourrait être respectivement de 15 % et d'au moins 10 à 12 %. Les problèmes tiennent essentiellement à des complications respiratoires.

M. le Président : Soit 250 personnes.

M. Daniel CHRISTMANN : À peu près, sachant que cette pandémie, à en croire les projections de l'InVS, devrait survenir en deux phases. Cela dit, ces chiffres décrivent une extension de la pandémie à travers toute la France ; les périodes de crise ne devraient pas dépasser trois semaines à un mois au maximum. On peut tabler sur deux phases de quatre semaines tout au plus.

M. le Président : On l'espère !

Mme Paulette GUINCHARD : Vos projections ne parlent que des hôpitaux les plus importants de la région. Un travail similaire a-t-il été mené dans les autres établissements du Bas-Rhin ?

M. Daniel CHRISTMANN : Oui. Je ne vous cache pas que les hôpitaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin attendent notre document finalisé - ce sera l'affaire de dix ou quinze jours - pour appliquer sur Colmar, Mulhouse, Altkirch et ailleurs nos recommandations définies sur le site de Strasbourg .

M. le Président : Peut-on imaginer que ces établissements ne disposent pas des moyens de haute technicité suffisants, au point qu'il faille envisager un transfert sur le CHU de Strasbourg ? Autrement dit, vos hospitalisations se limiteront-elles à Strasbourg même ou devrez-vous vous attendre à recevoir des malades venant d'autres villes d'Alsace ?

M. Daniel CHRISTMANN : Je crois très raisonnablement que Colmar et Mulhouse prendront en charge les malades de leur secteur. Ils ont des services de réanimation parfaitement efficaces.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de 250 personnes hospitalisées. Mais à combien de personnes par jour ce flux de prise en charge pourrait-il s'élever ?

M. Daniel CHRISTMANN : Les données de l'InVS parlent d'un tiers de patients durant la première vague et de deux tiers durant la seconde. Le nombre de personnes à réanimer serait respectivement de 80, puis de 160 malades, échelonnés sur quinze jours. Soit une moyenne de cinq à six personnes par jour.

Mme Paulette GUINCHARD : Avez-vous prévu, au moment de la crise, une équipe chargée de la veille ? J'ai été très frappée, lors des travaux de la commission d'enquête parlementaire sur la canicule de 2003, par le travail d'un polytechnicien sur la question de la veille dans les situations de grande crise. En fait, on ne peut jamais tout prévoir... Ce qui est le plus important, c'est la nécessité d'un dispositif de veille capable de tout écouter, de tout entendre, de tout imaginer au vu des renseignements qu'il reçoit. Avez-vous prévu un dispositif de ce genre ?

M. Daniel CHRISTMANN : A travers le plan blanc, depuis septembre 2001, nous avons institué une astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un infectiologue...

Mme Paulette GUINCHARD : Ce n'est pas de cela que je parle.

M. le Président : C'est au niveau des préfets qu'il faudrait traiter ce problème, non au niveau de l'hôpital.

Mme Paulette GUINCHARD : Je n'en suis pas sûre. L'organisation hospitalière est tout de même très importante.

M. le Rapporteur : Mais il faut que le préfet soit au courant des capacités d'accueil...

M. le Président : En dépit de tout ce travail de préparation, il faudra encore adapter, et plus certainement encore prendre en compte ce qui n'aura pas été vu. D'où la nécessité d'un dispositif de veille. L'hôpital a, par essence, l'habitude d'être en veille permanente.

M. Paul CASTEL : Nous venons de vous exposer le dispositif interne à l'hôpital, qui sera définitivement bouclé d'ici à une dizaine de jours ; mais nous restons très tributaires de l'organisation départementale et régionale, dans laquelle nous sommes tout à la fois participants et aiguillons, mais qui associe des partenaires sur lesquels seules les autorités de l'État peuvent avoir prise, à commencer par les cliniques privées, avec lesquelles une coordination s'impose, et la médecine libérale, dont le rôle est essentiel. Sur la coordination avec le secteur privé, nous n'avons pas d'éléments précis.

M. le Président : En fait, vous avez jusqu'à présent travaillé sur vos propres moyens. Vous n'avez donc encore aucune coordination avec le secteur privé ? Je croyais que le secteur hospitalier privé était traditionnellement assez fort à Strasbourg...

M. Paul CASTEL : Non, le service privé à but lucratif est faible à Strasbourg : il existe très peu d'établissements et de lits à but lucratif en Alsace.

M. Daniel CHRISTMANN : Une première grande réunion a été organisée au niveau de la DRASS, suivie d'une deuxième sous l'égide de la DDASS du Haut-Rhin.

M. le Président : Sur l'aspect strictement hospitalier ou sur la pandémie en général ?

M. Daniel CHRISTMANN : Sur la pandémie en général, et surtout sur l'organisation hospitalière.

M. Pierre HELLIER : Pour les prélèvements sanguins durant la période prépandémique, comment ferez-vous ? Où seront-ils acheminés et comment ?

M. Daniel CHRISTMANN : En période prépandémique, il faut avoir la certitude que le virus détecté est bien celui de la pandémie. La question s'est posée de savoir si ce prélèvement devait être fait en ville, avec un circuit dédié et un centre prêt à le réceptionner. Or le médecin traitant n'a généralement pas d'équipe spécifique et ce n'est pas non plus le rôle du SAMU. Aussi avons-nous opté pour l'hospitalisation des premiers cas suspects à observer ; les prélèvements seraient envoyés à l'Institut Pasteur, mais il est question de confier ces analyses à tous les laboratoires centres référents - auquel cas celui de notre CHU sera parfaitement habilité à les analyser. D'ailleurs, tous les CHU peuvent le faire. Une fois la phase pandémique engagée, ces prélèvements n'auront plus lieu d'être.

Se pose toutefois le problème du transport sécurisé avec triple emballage des prélèvements vers les secteurs de microbiologie, mais également vers les secteurs peut-être moins spécialisés de biologie classique, tout aussi exposés au risque.

M. Pierre HELLIER : Le transport par le SAMU serait un gaspillage...

M. Daniel CHRISTMANN : Excessif, en effet.

M. le Président : Où en est le CHU de Strasbourg en matière de stockage des matériels médicaux, masques, médicaments antiviraux, antibiotiques et autres, oxygène, etc. ? Avez-vous arrêté une doctrine d'emploi, notamment en direction de vos personnels ?

M. Daniel CHRISTMANN : Nous avons été dotés de 800 000 masques FFP 2 stockés sur un site dédié et nous devrions recevoir fin 2005 ou début 2006 une dotation complémentaire de 200 000 masques. Soit un million au total...

M. le Président : Pour combien de personnels ?

M. Paul CASTEL : 7 000 personnels soignants dont 2 000 personnels infirmiers.

M. Daniel CHRISTMANN : Du fait de la mise en place de secteurs dédiés, le nombre de personnels exposés sera beaucoup plus limité. Le matériel sera nécessaire pour les services d'accueil et les services dédiés. N'y voyez pas un souci d'économie, mais une préoccupation de meilleure gestion de notre matériel - masques, mais également gants, surblouses, etc.

M. le Rapporteur : Avez-vous déterminé le nombre de personnes concernées ?

M. Daniel CHRISTMANN : Pas encore. Pour les personnels infirmiers, cela devrait représenter quelque 300 ou 400 personnes.

M. le Rapporteur : Plus les médecins...

M. le Président : C'est en proportion des lits.

M. Daniel CHRISTMANN : L'objectif est tout de même de limiter au maximum les risques de contamination et donc d'exposer le moins possible les personnels.

M. le Président : Avez-vous prévu de leur donner du Tamiflu en préventif ?

M. Daniel CHRISTMANN : Il y a d'abord les mesures d'hygiène classiques - lavage des mains avec une solution hydro-alcoolique - en cours de réactualisation, spécifiquement pour la pandémie. Les personnels prenant quotidiennement en charge les patients grippés seraient évidemment, par prévention, sous Tamiflu par périodes de dix jours. À ceux qui ne seraient exposés qu'à un risque occasionnel ou éventuel, il serait simplement demandé de surveiller leur température et d'éventuels signes cliniques, et de se manifester dès l'apparition des premières manifestations. Nous voudrions limiter les traitements préventifs aux personnes réellement exposées, de façon quotidienne et répétitive.

M. le Rapporteur : Avez-vous entamé des démarches de formation et d'information dans ce sens auprès de vos personnels ? Ceux qui bénéficieront des masques et des médicaments seront contents, mais d'autres pourraient s'inquiéter...

Mme Paulette GUINCHARD : Comment allez-vous gérer la pression ?

M. Daniel CHRISTMANN : Nous avons connu l'expérience du SRAS au cours de laquelle nous avons su éviter toute panique.

M. le Rapporteur : Mais la médiatisation n'était pas la même...

M. Daniel CHRISTMANN : Mais la transmission avait été beaucoup plus rapide, et les formes plus sévères. Il y a eu 9000 à 10 000 cas, et presque 800 décès. Pour la pandémie grippale, nous ne devrions pas avoir de difficultés pour faire accepter la démarche préventive aux principaux concernés, mais il faudra l'expliquer aux personnels des autres secteurs d'hospitalisation. Une première campagne d'information sur les risques liés à la grippe aviaire et les mesures prises a déjà été organisée auprès de l'ensemble des cadres de l'hôpital, et il n'y a pas eu d'affolement particulier. Il faut maintenant espérer que les cadres sauront transmettre le message aux équipes soignantes. Dans une deuxième étape, nous répondrons aux questions qui, éventuellement, pourront être posées, ce qui sera certainement le cas. Nous procédons par étapes.

M. Paul CASTEL : Nous avons réuni avant-hier l'ensemble des cadres de l'établissement. Nous sommes en train de travailler sur le risque d'absentéisme des personnels et de ses conséquences. On peut tabler sur 20 % de personnels atteints par la grippe. Nous devrons mettre en place le « plan blanc », rappeler les personnels au repos, déprogrammer certaines interventions, au besoin recourir aux personnels des écoles et aux élèves en fin de formation. Le dispositif est prêt à être bouclé ; mais tout dépendra de l'ampleur du phénomène.

M. le Président : Avez-vous autorité pour demander, par exemple, aux élèves en dernière année d'école d'infirmières de travailler dans le service des maladies infectieuses ?

M. Daniel CHRISTMANN : Les personnes en dernière année de formation, élèves infirmières ou étudiants en médecine, devront être envoyées dans les secteurs réservés à l'hospitalisation des patients non grippés ; ceux qui s'occuperont des malades infectés par la grippe feront appel à des personnels diplômés et appartenant déjà à l'établissement.

M. le Président : N'est-ce pas un peu contradictoire ? Après tout, le niveau technique requis pour surveiller un patient grippé n'est pas extraordinairement spécialisé. Mais je me fais peut-être l'avocat du diable. Peut-être risquerez-vous de retirer à certains services hypertechniques des personnels très au point et difficilement remplaçables. Former en deux heures trois cents élèves infirmiers ou infirmières de dernière année en leur expliquant comment surveiller un grippé reste du domaine du possible, en tout cas moins compliqué qu'une formation à la réanimation cardiaque.

M. Daniel CHRISTMANN : Nous pourrions effectivement affecter ces étudiants de dernière année dans les secteurs dédiés, sous réserve que nous en ayons légalement et administrativement la possibilité...

Mme Paulette GUINCHARD : Mais avez-vous autorité sur les stagiaires ? Seule l'école l'a, me semble-t-il.

M. Daniel CHRISTMANN : Je ne suis même pas sûr que l'école ait cette autorité.

M. Paul CASTEL : Nous parlons de circonstances exceptionnelles. Du reste, les stagiaires en troisième année travaillent d'ores et déjà au sein de nos services, dans le cadre de leur formation.

Mme Paulette GUINCHARD : Mais c'est l'école qui les y envoie.

M. Paul CASTEL : L'école est placée sous la responsabilité de l'établissement.

Mme Paulette GUINCHARD : Malgré la décentralisation ?

M. le Président : La question est précise, mais peut-être n'avez-vous pas les moyens d'y répondre et une expertise juridique est peut-être nécessaire. Il ne s'agit pas de savoir si des volontaires répondraient à l'appel : il faut s'attendre à de la perte en ligne... Sans obligation légale, vous aurez un problème pour faire venir des élèves infirmiers ou infirmières ou des étudiants en médecine. Etes-vous, vous-même ou le préfet, en mesure juridiquement d'obliger les élèves à venir chez vous ? Sinon, il va falloir que nous y réfléchissions...

M. Paul CASTEL : Pour ce qui est des stagiaires infirmiers, les écoles sont placées sous l'autorité de l'établissement ; pour ce qui est des risques juridiques, je ne peux répondre, et il faut approfondir ce sujet. Les médecins, en revanche, sont en formation, et déjà présents, dans nos services ; pour eux, le problème se pose en termes de répartition des tâches. Autre chose est de faire faire des actes infirmiers à des infirmiers non encore diplômés.

M. le Président : Vous êtes plein d'espoir, c'est bien... Nous verrons comment réagiront les médecins libéraux !

Mme Paulette GUINCHARD : Je reviens sur la question de la gestion du stress. Nous avons vécu une situation humainement très difficile au moment du SRAS à Besançon, où un médecin a été jusqu'à se sauver.

M. Paul CASTEL : Nous l'avons soigné à Strasbourg, précisément dans le service du professeur Christmann !

Mme Paulette GUINCHARD : La gestion de l'angoisse et du stress sera un problème très difficile pour les personnels, notamment infirmiers, qui craindront pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Quels dispositifs prévoyez-vous de mettre en place à cet effet, afin que les personnels soignants soient individuellement capables de dépasser leurs angoisses ? Nombre de jeunes infirmières ayant des enfants en bas âge auront pour seule et unique réaction de vouloir les protéger à tout prix. J'ai été très marquée par cette affaire de Besançon, qui avait créé une véritable inquiétude au sein de l'hôpital même.

M. Daniel CHRISTMANN : Le médecin en question, qui avait contracté le SRAS, était resté tranquille durant les douze jours de son traitement. Le treizième jour, il est effectivement devenu intenable, mais le problème était réglé. Nous lui avons demandé de rester chez lui, je ne sais pas si cela a été fait, et il n'a pas eu de complications. Nous avons alors entrepris une action d'explication auprès des personnels de notre équipe ; une campagne d'information similaire devra être reprogrammée auprès de toutes les équipes qui auront à prendre en charge les malades de la grippe aviaire. Ajoutons que nous sommes tout de même très proches de ces personnes : si elles ont le moindre souci, elles savent à qui s'adresser. Il n'y a aucune raison de laisser une infirmière dans l'inquiétude, c'est hors de question. C'est pour nous une population très précieuse et nous devons l'aider à gérer ce stress, en insistant sur les précautions prises pour les personnes au contact des patients, qu'il s'agisse des masques ou du Tamiflu. Une bonne information et une application correcte de toutes les recommandations devraient permettre d'éviter tout problème à cet égard. Nous vous avons déjà parlé de notre réunion avec les cadres ; j'attends de connaître le retour d'information et surtout les questions que certains se posent peut-être déjà.

M. Paul CASTEL : Le fait de faire partie d'un centre de référence est déjà une bonne préparation, et l'expérience du SRAS a eu un effet de rodage utile, au point même qu'une certaine  « culture » a imprégné notre CHU.

M. Daniel CHRISTMANN : Notre pharmacie s'est penchée sur la question d'une augmentation des stocks d'antibiotiques nécessaires pour traiter les complications. Ces stocks ne doivent pas être figés mais accrus, tout en assurant une rotation afin d'éviter toute péremption. Mais d'ores et déjà, des quantités ont été définies avec les pharmacies...

M. le Président : De combien, en gros, devraient-ils augmenter ?

M. Daniel CHRISTMANN : Je ne peux pas répondre précisément, cela pourrait être de l'ordre de 40 à 50 %, mais pour quatre ou cinq médicaments seulement, sachant que le Tamiflu est pour l'instant stocké dans des sites sécurisés.

M. le Président : Les financements proviennent-ils d'une ligne dédiée « plan grippe aviaire » ou du budget de l'hôpital ?

M. Paul CASTEL : Pour l'instant, du budget de l'hôpital. Mais une fois arrêté le chiffrage de tous les coûts que nous venons d'évoquer, la partie MIGAC3  du budget de l'hôpital et surtout des CHU référents devra être revue...

M. le Président : Il serait à mon avis préférable de prévoir une ligne dédiée spécifique au lieu de les intégrer dans les MIGAC.

M. le Rapporteur : Avez-vous fléché les dépenses en question ?

M. Paul CASTEL : Absolument. Nous en tenons une comptabilité très précise.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

1 Médecine, chirurgie, obstétrique

2 Nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique

3 Missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation


© Assemblée nationale