Jeudi 24 novembre 2005

- Visio-conférence, depuis Genève, avec le Docteur Margaret CHAN, sous-directrice générale à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), en charge de la grippe pandémique

(Compte rendu de la réunion du 24 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : La mission de l'Assemblée nationale sur la grippe aviaire entend, d'une part, contrôler la mise en œuvre du plan français de préparation contre la pandémie, d'autre part, assurer la transparence de l'information vis-à-vis de nos concitoyens.

Je vous remercie d'avoir accepté de dialoguer avec nous depuis Genève. Nous savons que vous avez joué un rôle important lors de précédentes pandémies, et vous avez aujourd'hui un rôle éminent à l'OMS.

Pourriez-vous nous dire, pour commencer, comment vous appréciez la situation actuelle et son évolution ?

Mme Margaret CHAN : Au nom de l'OMS et des nombreux pays qui luttent pour enrayer la grippe aviaire, ainsi que de l'ensemble de la communauté internationale, je souhaite remercier la France pour son rôle de leadership dans la crise actuelle.

Le virus H5N1 est une menace pour l'être humain et un ennemi très tenace pour les volailles. Un certain nombre de pays d'Asie luttent sans succès depuis deux ans pour tenter d'enrayer cette maladie, qui s'est propagée très rapidement.

Jusqu'à présent, près de 150 millions d'oiseaux, domestiques ou sauvages, sont morts ou ont été détruits. Des pays qui pensaient avoir gagné la bataille contre cette maladie ont finalement échoué. Quinze pays dans le monde, essentiellement en Asie, ont fait état de la présence de la maladie. On considère aujourd'hui que le virus est endémique dans plusieurs de ces pays. Malheureusement, il s'est surtout implanté dans de petits élevages de régions rurales, là où le contrôle est très difficile à exercer et où les possibilités de contact avec l'homme sont nombreuses. La vie de 300 millions de paysans a été bouleversée.

On ne sait pas quand l'épizootie va s'arrêter. Les virus aviaires sont imprévisibles. L'une des dernières surprises que le H5N1 a réservées est sa capacité à se faire transporter sur de longues distances par des oiseaux migrateurs, entraînant des flambées dans de nouvelles régions. Les scientifiques sont presque certains que les oiseaux migrateurs ont apporté le virus en Europe au début de l'année. Ils s'accordent à dire que la propagation du virus dans de nouvelles zones est à peu près inévitable, notamment sur le continent africain, prochaine étape des oiseaux migrateurs.

Actuellement, la barrière des espèces est importante. Le H5N1 est reste essentiellement une maladie d'oiseaux, mais lorsqu'il franchira cette barrière pour infecter les humains, il provoquera de graves maladies. Chez l'être humain, l'évolution clinique de la maladie est très agressive : jusqu'ici, 130 cas de contamination humaine ont été rapportés dans cinq pays : le Cambodge, la Chine, l'Indonésie, la Thaïlande et le Vietnam ; plus de la moitié des malades sont décédés.

Les flambées de grippe aviaire qu'on a pu observer sont sans précédent de par leur étendue géographique, leur persistance et le nombre d'oiseaux touchés. Le défi est immense pour tous. Le réseau des instituts Pasteur en Asie a permis d'établir des diagnostics fiables. Le fait que ces instituts soient fortement implantés en Afrique est rassurant. La décision récente de la France de les renforcer, ainsi que d'autres réseaux techniques en Asie et en Afrique, ne saurait mieux tomber.

Une de nos plus grandes inquiétudes est que le H5N1 se transforme en un virus susceptible de se transmettre très facilement d'une personne à une autre, se propageant comme la grippe ordinaire par l'air, la toux, l'éternuement. Lorsqu'il y aura eu contamination interhumaine, la pandémie commencera. On considère qu'elle sera alors impossible à stopper. A une époque comme la nôtre, où les populations sont très mobiles grâce aux transports aériens, les experts considèrent qu'un virus pandémique peut toucher en trois mois toutes les régions du monde, sans exception. Certaines mesures pourront être prises pour retarder l'arrivée du virus, mais tous les pays seront touchés.

Cela dit, on ne peut pas prédire avec exactitude ni le moment ni la gravité de cette future pandémie. On ne peut pas non plus garantir que le H5N1 sera l'agent causal de cette pandémie. Mais comme il est désormais endémique dans beaucoup de pays et qu'il atteint de nouvelles zones, la probabilité qu'il cause une pandémie a considérablement augmenté. Les participants à la réunion sur la grippe aviaire et la grippe pandémique, qui a eu lieu ce mois-ci au plus haut niveau à l'OMS, ont estimé qu'une telle probabilité était imminente et presque certaine. Il est donc prudent, pour tous les pays, de s'y préparer.

Au cours de cette réunion, l'intervention de la délégation française a recueilli des applaudissements particulièrement chaleureux. La France a indiqué que la coordination et la collaboration internationales étaient extrêmement importantes, dans la mesure où différents acteurs devaient agir de manière urgente à différents niveaux : il faut contrôler les flambées du virus chez la volaille, empêcher celui-ci de s'installer de manière permanente sur des zones importantes et limiter les possibilités d'émergence d'un virus pandémique.

La communauté internationale doit se préparer à cette éventualité, pour pouvoir intervenir rapidement, dès qu'on aura les premiers signes de transmissibilité du virus d'une personne à l'autre.

La France a vu là une chance à saisir, malgré la gravité de la situation. Cette crise pourrait en effet être l'occasion de trouver des solutions susceptibles d'améliorer de façon permanente la capacité de la communauté internationale à déceler et contenir de nouveaux agents pathogènes dangereux. Elle pourra ainsi mieux se préparer, et pour toujours, à se défendre contre de nouvelles maladies émergentes. Car le H5N1 ne sera certainement pas la dernière menace qui nous viendra du monde animal. Et comme tous les pays font partie d'une chaîne qui forme notre système d'alerte international, en renforçant la capacité des pays les plus vulnérables, on rendra le monde plus sûr.

La France a également appelé l'attention sur la nécessité de disposer d'un soutien technique sur le terrain. Depuis un certain nombre d'années déjà, elle est l'un des plus importants partenaires de l'OMS, ses scientifiques et épidémiologistes jouant un grand rôle lors de flambées virales précédentes. Elle a apporté un soutien technique, financier et structurel. Elle a accueilli à Lyon le centre de l'OMS créé au cours de l'année 2000. Ce centre a pour but d'améliorer les systèmes nationaux de surveillance, d'alerte, de réponse et de diagnostic concernant les maladies susceptibles de se transformer en épidémies. Ce service rendu à la communauté internationale est grandement apprécié.

La réunion de ce mois-ci, dont je viens de parler, a clarifié la menace qui plane sur nous tous. Il est absolument urgent de se préparer à l'éventualité d'une pandémie. Indépendamment du nombre de décès qu'elles provoquent, les pandémies sont à l'origine de bouleversements socio-économiques importants. La Banque mondiale a ainsi estimé que la première pandémie du XXIe siècle pourrait entraîner des pertes économiques mondiales d'environ 800 milliards de dollars en un an, notamment à cause du manque de coordination des efforts destinés à éviter l'infection.

Les gouvernements les plus capables de fournir de l'information en temps utiles seront les mieux placés pour limiter les dommages créés par les réactions de panique. C'est pourquoi les institutions étatiques devront donner confiance à la population, même en période très difficile. La France a beaucoup fait dans le domaine de la préparation aux pandémies.

Les vaccins sont considérés par tous comme la première ligne de défense si l'on veut réduire la morbidité et la mortalité. Mais le vaccin pandémique devant correspondre au véritable virus ennemi, sa production commerciale ne pourra pas commencer avant l'apparition du virus. Aucun pays ne pourra donc subvenir à ses propres besoins au début de la pandémie, même pendant plusieurs mois après qu'elle se soit déclarée. Du fait de leurs faibles capacités de production, certains pourraient ne jamais pouvoir protéger leur population.

Les antiviraux peuvent protéger certains travailleurs exposés, notamment dans les hôpitaux, et améliorer la perspective de survie des personnes infectées. Par conséquent, il est recommandé de constituer des stocks nationaux d'antiviraux, qui devront être utilisés en début de pandémie. Sans, bien sûr, offrir la même protection que les vaccins, ils auront un important rôle d'appui.

La France a une capacité nationale de production de vaccins et un stock d'antiviraux. Pendant une pandémie, d'autres mesures non pharmaceutiques, comme la mise en quarantaine, les restrictions de voyages, la fermeture des écoles, l'interdiction des rassemblements publics, le port de masques, auront un rôle à jouer.

L'efficacité des mesures individuelles dépendra des caractéristiques du virus, qui ne peuvent pas être connues à l'avance, comme la gravité de la maladie, son mode de propagation, ou encore les groupes les plus exposés : est-ce que ce seront surtout les jeunes et les personnes âgées qui seront infectées, comme pendant les pandémies de 1957 et de 1968 ? Est-ce que la grippe tuera surtout des jeunes adultes, comme pendant la pandémie de 1918 ? Nous ignorons aussi le temps dont nous disposerons pour prendre des mesures d'isolation et de quarantaine. Il y a beaucoup d'inconnues.

L'OMS, grâce au soutien de réseaux virtuels, de scientifiques et de cliniciens, fera de son mieux pour suivre l'évolution de la pandémie en temps réel, trouver des réponses et conseiller les pays sur les mesures considérées comme les plus efficaces.

En conclusion, monsieur le Président, nous avons à relever un défi important, mais imprévisible. Nous nous préparons au pire. Ce sera l'occasion de démontrer notre solidarité. En résumé, il faut agir vite, agir ensemble et efficacement.

M. le Président : Merci pour votre exposé, qui était très intéressant. Vous avez déjà répondu à plusieurs de nos questions. Notre rapporteur voudrait vous en poser quelques autres.

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : Quelle est la situation en Chine aujourd'hui ? Il paraît que ce pays a l'ambition de vacciner cinq à six milliards de volailles. Est-ce possible ?

Mme Margaret CHAN : Avant de vous répondre, j'aimerais vous présenter le docteur Guénaël Rodier, présent à mes côtés, un scientifique français très connu, qui travaille en étroite collaboration avec nous dans le domaine des maladies transmissibles.

M. Guénaël RODIER : Je suis là pour assister le docteur Chan, si des questions intéressant plus particulièrement l'Europe lui étaient posées.

Mme Margaret CHAN : Jusqu'à présent, l'OMS a reçu confirmation de l'existence de trois cas humains de grippe en Chine. Une délégation d'experts de l'OMS se trouve sur le terrain et travaille avec le gouvernement chinois. Nous ne connaissons pas exactement l'étendue exacte de l'infection humaine, mais nous savons qu'il y a eu dernièrement vingt flambées chez les oiseaux. Il ne serait donc pas impossible qu'apparaissent des cas sporadiques chez les hommes.

Je ne sais pas s'il est possible de vacciner des milliards de volailles. Je considère en tout cas que la vaccination est une mesure importante. La FAO et l'OIE la recommandent, ainsi que l'abattage.

M. le Président : Je voudrais vous interroger sur la déclaration de pandémie. Quels seraient les critères, épidémiologiques ou autres, retenus par l'OMS pour passer de l'état d'alerte dans lequel nous sommes à l'état de pandémie ? Quel processus serait alors suivi par l'OMS ? Il serait important de le connaître. En France, par exemple, une partie du plan « pandémie » est articulée autour de cette déclaration.

Mme Margaret CHAN : L'OMS a adopté des lignes directrices en concertation avec les experts et les scientifiques de plusieurs pays. Elle a défini six phases. Aujourd'hui, nous sommes en phase d'alerte 3. Nous passerions en phase 4 par exemple si nous constations que la maladie se transmettait facilement parmi les humains. En phase 6, ce serait la pandémie.

Le passage à la phase 4 suppose que trois critères soient remplis. Deux le sont déjà. Le premier est l'arrivée d'un nouveau virus grippal ; c'est le cas du H5N1. Deuxième critère : le franchissement, par ce virus, de la barrière des espèces ; or, le H5N1 est déjà passé de l'animal à l'homme. On a donc le deuxième critère. Enfin, troisième critère, la transmission facile de la maladie d'une personne à une autre : ce n'est pas encore le cas. C'est le signe qu'on attend. Quand il sera repéré, nous passerons alors à la phase d'alerte 4, puis 5, puis 6 selon l'importance de la transmission.

Le directeur général de l'OMS, au vu de certains rapports, consultera un panel d'experts. S'ils concluent que la situation a empiré, il déclarera le passage à la phase suivante. C'est à l'OMS, qui est, avec 192 États membres, la première agence de santé publique mondiale, qu'il reviendra d'annoncer publiquement la pandémie.

Il est important que les plans nationaux de lutte contre la pandémie soient alignés sur les phases de l'OMS. Sinon, ce serait la confusion.

M. le Président : Je voudrais revenir sur le passage de la phase 3 à la phase 4. Admettons qu'un pays ne vous indique pas qu'il y a eu transmission facile du virus à l'homme mais que vous disposiez par ailleurs d'indications allant dans ce sens. L'OMS est-elle tenue par les déclarations officielles des pays ou peut-elle agir de sa propre initiative, en se basant sur une très forte probabilité ?

Mme Margaret CHAN : L'action de l'OMS ne dépend pas uniquement des notifications qui lui sont faites par les pays membres. Tous les matins, ici, au centre opérationnel, nous passons en revue toutes sortes d'informations. Il peut s'agir d'extraits de presse, il peut s'agir de rumeurs. Nous vérifions tout. S'il nous semble que les rumeurs sont fondées, nous contactons le pays concerné. Nous avons, en effet, des représentants dans 140 pays. Nous offrons une assistance technique et nous envoyons des équipes sur place, comme ce fut le cas en Chine. Mais je précise que c'est la Chine elle-même qui avait invité l'OMS à travailler avec elle.

M. le Président : Avez-vous aujourd'hui des moyens financiers et humains à la hauteur de votre tâche ? Pourriez-vous nous faire un rapide bilan de la conférence de Genève ? Comment avez-vous réagi aux propos de l'OIE, qui considère que l'OMS se focalise trop sur les problèmes de santé humaine et pas assez sur les problèmes de santé animale ?

Mme Margaret CHAN : La réunion de Genève du 7 au 9 novembre a été organisée conjointement par l'OIE, la FAO, l'OMS et la Banque mondiale.

Douze mesures préventives ont été proposées, dans le secteur de la santé animale comme dans celui de la santé humaine. Il s'agit d'aider les pays à se préparer contre la pandémie, notamment ceux qui ont des systèmes de dépistage très limités.L'OIE, la FAO, l'OMS ont fait des recommandations stratégiques qui ont reçu le soutien des scientifiques et des gouvernements.

Il nous faut travailler tous ensemble. Un risque dans un pays est un risque pour le monde entier. Certains se sont demandés pourquoi nous nous intéressions tant à la santé de l'homme. Monsieur le président, je suppose qu'en tant que dirigeant politique, lorsque le monde vous donne des signaux d'alerte, vous vous sentez tenu d'agir et ne voulez pas qu'on vous reproche ensuite de n'avoir rien fait pour protéger la santé humaine. L'OMS considère que les mesures de prévention doivent concerner l'animal comme l'être humain.

Lors de la réunion à Pékin de janvier prochain, la communauté internationale prendra la décision de soutenir les pays où la surveillance et le dépistage précoce sont faibles, ce qui nécessitera des ressources supplémentaires. Les trois organismes techniques que sont l'OIE, la FAO et l'OMS présenteront à Pékin leur évaluation et tenteront de faire passer le message que la grippe aviaire et le risque d'une pandémie constituent un problème international nécessitant une collaboration et une solution internationales.

Le directeur général de l'OMS et moi-même avons rencontré le président Jacques Chirac et certains représentants du ministère des affaires étrangères et du ministère de la santé. Nous sommes très impressionnés par le niveau d'implication de votre gouvernement pour protéger la population française. Nous savons également que vous avez proposé votre soutien aux pays en développement - soutien financier et soutien au niveau des laboratoires.

En résumé, le monde doit débloquer des ressources supplémentaires pour faire face à cette nouvelle menace. Il y a déjà le VIH : nous ne voulons pas devoir déshabiller Pierre pour habiller Paul.

Dans le cas du SRAS, le problème a pu être enrayé en sept à huit mois. Le SRAS n'a touché que trente pays. Il n'a contaminé que 8 000 personnes et a provoqué moins de 800 décès. Les pertes n'ont été « que » de 30 milliards de dollars. Ce n'est rien, en comparaison de ce que pourrait entraîner une pandémie due au H5N1 ! Voilà pourquoi nous devons nous y préparer.

Et nos investissements d'aujourd'hui ne seront pas perdus demain. Il faut bien voir, en effet, que le monde continuera à être confronté à des infections nouvelles. Tous les investissements que nous ferons cette fois-ci nous serviront à long terme, pour d'autres maladies. J'exhorte donc les gouvernements à investir dans la surveillance des maladies, dans l'intérêt de la sécurité sanitaire mondiale.

M. Gérard BAPT : L'objectif d'indemnisation des éleveurs dont l'élevage a été victime de l'épizootie sera-t-il atteint ? Il me semble important qu'ils soient indemnisés, et pas seulement à moitié mais en totalité si l'on veut diminuer les risques d'extension et de mutation du virus, et à terme, éradiquer l'épizootie.

M. François GUILLAUME : Nous n'en sommes qu'au stade préventif d'une pandémie. Comme ce sont les volailles qui risquent de transmettre le virus, plus ou moins muté, ne serait-il pas utile de vacciner systématiquement l'ensemble du cheptel, par exemple grâce à un vaccin buvable ? Pensez-vous qu'on pourrait ainsi assez rapidement éradiquer ce virus, comme on a éradiqué la fièvre aphteuse des bovins ?

M. le Président : Madame, nous savons que l'OMS est davantage centrée sur la santé humaine, mais votre point de vue sur les questions de santé animale est important.

Mme Margaret CHAN : Je suis en effet spécialisée dans le domaine de la santé publique. Mais à Hong Kong, en tant que directeur de la santé, je me suis occupée de la première flambée d'H5N1 et j'ai pu être formée par un certain nombre d'experts du secteur animal.

La question de l'indemnisation des éleveurs est très importante, car s'il n'y a pas d'indemnisation, la maladie ne sera pas déclarée. Certains pays indemnisent à 100 %, d'autres pas. Il faut en discuter soigneusement.

Doit-on ou non vacciner la volaille ? Pour l'instant, il n'existe pas de vaccin oral pour la volaille.

L'OIE et la FAO ont publié un excellent document, qui dresse une liste de mesures susceptibles d'être prises en cas de flambée de grippe aviaire. Première recommandation : abattre tous les oiseaux dans la zone touchée, voire au-delà. La vaccination est possible, voire obligatoire. Mais ce n'est pas une solution à long terme : elle ne peut servir qu'à éradiquer une flambée de grippe aviaire.

En 1997, à Hong Kong, nous avons dû prendre une décision politique très dure. Nous avons fait tuer tous les poulets, soit 1,5 milliard d'animaux en trois jours. Il a fallu indemniser les éleveurs et, après l'abattage, nettoyer les exploitations. Nous nous sommes ainsi débarrassés du virus pendant plusieurs années. Mais il est revenu. Finalement, Hong Kong a adopté une politique de vaccination, qui lui a permis de se débarrasser du problème.

La vaccination ne peut intervenir seule, elle doit s'accompagner d'autres mesures. Par exemple, il faut que les pays qui vaccinent disposent de moyens permettant de savoir si une augmentation des anticorps chez un animal est due au vaccin ou à une infection. Cela dit, je ne suis pas vétérinaire, et je préfère vous renvoyer au document stratégique préparé par la FAO et l'OIE dont je viens de parler.

M. le Président : Nous connaissons le rôle tout à fait remarquable que vous avez joué à Hong-Kong lors de la crise de grippe aviaire en 1997 puis du SRAS en 2003. Le fait que vous soyez aujourd'hui à l'OMS nous garantit que cette organisation se mobilisera au service de la santé publique au plan mondial.

En période de déclaration de pandémie, recommanderez-vous la fermeture des frontières, et dans quelles conditions ?

Comme dans tous les pays aujourd'hui, la France réfléchit aux moyens médicaux utilisables : vaccins, médicaments, etc. Nous nous heurtons parfois à l'existence de brevets. Est-ce que, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, l'OMS ne pourrait-elle pas jouer un rôle aussi normatif et aussi important que l'OMC ? Ne pourriez-vous pas intervenir, au plan mondial, dans le domaine économique et industriel ? Avez-vous réfléchi à ces questions ?

Mme Margaret CHAN : Je réfléchis chaque jour au problème. Dans la mesure où l'OMS est la principale agence de santé publique, nous nous demandons sans cesse comment aider les pays membres et les populations.

Compte tenu de ce que l'on sait sur le virus, la fermeture des frontières ne suffira pas à arrêter la pandémie. Tout au plus pourrait-elle la retarder. En 1968, certains pays ont fermé leurs frontières et ont ainsi réussi à retarder l'apparition de la pandémie de quelques mois. Si le virus mute, mais seulement au point de ne causer qu'un nombre limité de malades, la fermeture ne se fera pas. Compte tenu des réglementations internationales en matière de santé, nous ne voulons pas imposer des restrictions inutiles s'agissant de la circulation des biens et des personnes. C'est très important pour l'économie mondiale.

Il faut donc suivre l'évolution du virus pour en comprendre les caractéristiques et faire aux États membres des recommandations judicieuses.

L'OMS préconise de nombreuses mesures à prendre en parallèle : vaccins, mesures pharmaceutiques et non pharmaceutiques. C'est ainsi que la solidarité internationale et des mesures traditionnelles de santé publique nous ont aidés à arrêter le SRAS. On a sans doute un peu trop parlé des antiviraux : ils sont utiles, certes, mais ils ne sont pas la panacée.

Concernant les brevets, à ce stade, et compte tenu des discussions que nous avons eues avec les entreprises, je ne crois pas que les brevets constitueront des obstacles. Roche, qui fabrique le Tamiflu, est en discussion avec de nombreux laboratoires, dans plusieurs pays du monde, pour travailler en collaboration avec eux. Il envisage même des licences et autres arrangements.

Le problème qui se pose avec le Tamiflu concerne plutôt les capacités de production et la disponibilité des matières premières. C'est un médicament difficile à fabriquer, que Roche est prêt à fabriquer avec tout laboratoire, où qu'il soit, ayant les capacités pour cela.

M. le Rapporteur : Vous nous avez parlé tout à l'heure de la prochaine escale des oiseaux migrateurs en Afrique, avec tous les risques qui en découlent. Quels sont les moyens dont dispose l'OMS pour surveiller ce qui va se passer en Afrique à la fin de la migration ?

Mme Margaret CHAN : Nous sommes effectivement inquiets. J'ai déjà eu plusieurs réunions avec nos directeurs régionaux et nos experts de la région Afrique pour étudier la façon d'aider les pays concernés à développer leur système de surveillance.

Le problème, en Afrique, est que beaucoup de pays n'ont pas de dispositifs de surveillance des maladies ou en ont de trop faibles ; leur système de santé est, en plus, également très faible. Comme cela prendrait trop de temps de renforcer leurs capacités, nous devrons faire preuve d'imagination et trouver d'autres méthodes pour les aider. Si nous arrivons au stade de la pandémie, le temps jouera contre nous.

L'OMS a plusieurs stratégies : à court terme, et ensuite à moyen et long terme - c'est-à-dire sur trois à dix ans. C'est sur le court terme qu'il faut aujourd'hui se concentrer. Nous devons mettre en place des programmes de dépistage en Afrique.

Dès que l'OIE et l'OMS recevront une notification de la part de ces pays, elles mobiliseront les ressources mondiales pour les aider. Comme je l'ai déjà dit, l'Institut Pasteur dispose d'un important réseau sur le continent. Nous sommes prêts à travailler avec tout gouvernement ayant la volonté d'aider les pays africains. Le centre de l'OMS de Lyon peut également y contribuer. Nous envisageons d'envoyer des équipes suivre des programmes de formation. Nous devrons également nous pencher sur les capacités de ces pays en termes d'infrastructures.

A court terme, nous avons besoin de transparence et d'un système d'alerte précoce. Cela nous permettra de contenir la maladie le plus tôt possible. Si on ne peut pas la prévenir, on pourra au moins la retarder.

M. le Président : Merci, Madame. Nous avons été très honorés de l'entretien que vous avez bien voulu nous accorder. Peut-être serons-nous amenés, dans les semaines ou les mois qui viennent, à vous rendre visite à l'OMS ou à avoir un nouveau contact avec vous. Nous connaissons, en effet, l'autorité qui est la vôtre sur ces sujets. Notre pays a la volonté de se mettre aux côtés de l'OMS pour tenter de faire face à ce grand danger.

Pourriez-vous nous donner des précisions sur la réunion de Pékin ? Quand aura-t-elle lieu et qui réunira-t-elle ?

Mme Margaret CHAN : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de traiter d'un sujet aussi important. J'espère vous recevoir bientôt à l'OMS.

La conférence de Pékin aura lieu les 17 et 18 janvier 2006. Elle est co-organisée par la Banque mondiale, la Commission européenne, les trois organismes techniques que nous sommes, et David Nabarro, le coordonateur des Nations Unies pour la grippe aviaire et humaine. Elle est destinée à aider les pays à mettre en place des plans intégrés portant sur la santé animale et humaine. C'est une réunion d'engagement de donateurs, de bailleurs de fonds. Nous y attendons les représentants des ministères responsables de l'aide au développement, des affaires étrangères, et de tous ceux chargés de l'aide internationale.

M. le Président : Merci beaucoup Madame, pour cet entretien vraiment très intéressant.


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