Mercredi 7 décembre 2005

- Audition de M. Bernard VALLAT, Directeur général de l'Organisation internationale des épizooties (OIE)

(Compte rendu de la réunion du 7 décembre 2005)

Présidence de Mme Bérengère POLETTI, vice-présidente,

puis de Mme Jacqueline FRAYSSE, secrétaire

Mme la Présidente : Monsieur le directeur général, vous êtes, à l'évidence, le mieux à même de faire le point sur l'étendue de l'épizootie de grippe aviaire et sur ses facteurs de propagation.

M. Bernard VALLAT : Seule organisation dédiée à la santé animale et au bien-être animal, l'OIE, dont le siège mondial est à Paris, a été créée en 1924 à l'initiative de la France. Elle compte 167 pays membres, dont tous les grands pays ayant des activités liées à l'élevage, et sa représentativité lui permet de préconiser des politiques sanitaires animales au niveau mondial. L'OMC nous reconnaît pour édicter les normes visant à assurer la sécurité du commerce mondial des animaux et de leurs produits, et, en collaboration avec l'OMS, celles applicables aux mouvements de personnes et aux maladies susceptibles d'être véhiculées à cette occasion.

L'OIE dispose d'un réseau mondial de 170 laboratoires, qui lui procurent toutes les données essentielles pour élaborer et actualiser ses préconisations sur les meilleures méthodes de lutte contre les maladies animales. Nous sommes également chargés de garantir la transparence mondiale sur la situation des maladies, en collectant les déclarations des États membres et en les mettant à la disposition des autres pays afin de les aider à se protéger. Cette engagement de transparence de nos adhérents n'est pas toujours respecté ; pour contrer les efforts de dissimulation de pays que certains appellent « pays voyous », nous avons un dispositif de recherche active de l'information, via les médias et Internet, et nous collectons les informations spontanées apportées tant par des éleveurs que par de simples citoyens, que nous soumettons aux gouvernements concernés. Cela se passe très bien car il n'y a plus, aujourd'hui, de gouvernements qui cherchent délibérément à dissimuler des informations qui pourraient avoir des conséquences sur la santé publique et les pays voisins ; notre système a montré son efficacité.

Le principal problème reste les pays pauvres. Seul un service public vétérinaire structuré permet de faire la différence entre une maladie avérée et une rumeur infondée. Encore faut-il des réseaux de vétérinaires sur le terrain : généralement, ce sont des vétérinaires privés. Mais il y a également la nécessité de disposer de réseaux d'éleveurs organisés et formés à un minimum de notions sanitaires de base pour toutes les espèces animales, particulièrement celles destinées à la consommation humaine. Aussi, l'OIE se doit-elle de porter un message de solidarité à destination des pays riches, afin qu'ils aident les services vétérinaires des pays pauvres à disposer des ressources minimales nécessaires pour détecter les maladies, les notifier et les combattre dans l'intérêt de tous : cela est au cœur de notre mandat.

L'OIE fonctionne avec des effectifs relativement réduits, par comparaison avec d'autres instances onusiennes. Il faut noter, à ce propos, que notre organisation n'est pas onusienne car elle a été créée avant les Nations unies. Elle est régie par un arrangement international dont la France est le dépositaire. Ce mécanisme perdure depuis 1924, à la satisfaction des États membres qui en souhaitent le maintien. Nous disposons d'un personnel permanent, mais nous faisons aussi appel à des réseaux, en particulier celui de 170 laboratoires de référence répartis dans le monde entier, ou encore celui des chefs des services vétérinaires des pays membres. On ne saurait lutter aujourd'hui contre une maladie animale dans un cadre strictement national : la lutte ne peut être menée efficacement que s'il existe une mise en réseau avec les pays voisins pour appliquer des politiques conjointes.

L'OIE est tout à fait à même de procurer aux gouvernements, comme aux organisations financières mondiales (Banque mondiale) et régionales (Banque asiatique, Banque africaine) ou aux pays membres de l'OCDE conduisant des programmes bilatéraux de développement et d'appui aux pays pauvres, les éléments techniques permettant d'orienter les aides qu'ils voudraient attribuer aux pays confrontés à l'influenza aviaire ou à ceux qui risquent d'accueillir le virus dans les mois à venir par le jeu du commerce international ou des migrations d'oiseaux sauvages infectés. L'Europe de l'Est a d'ores et déjà été infectée par le virus venant d'Asie, probablement transporté par des oiseaux sauvages. L'Afrique et le Moyen-Orient sont sous la même menace.

Il existe des centaines de souches du virus de l'influenza aviaire, parmi lesquelles certaines ont la faculté de se modifier pour s'adapter à l'homme d'une manière « efficace », en devenant transmissibles de l'homme à l'homme. Une nouvelle souche asiatique est apparue voilà deux ans, appartenant à la famille H5N1 - le virus de la grippe, et qui, outre les marqueurs H et N, comporte huit gènes qui, ensemble, déterminent son comportement en termes d'infectiosité et de pathogénéicité. Ses caractéristiques génétiques lui ont permis d'infecter plus d'une dizaine de pays en quelques mois et de tuer, fait extrêmement rare, plusieurs espèces d'oiseaux sauvages tout en restant capables d'en infecter d'autres qui conservent, cependant, la capacité, probablement pendant la période d'incubation, de franchir de longues distances, avant de devenir excréteurs du virus. Mais un oiseau malade ne peut pas parcourir de longues distances.

Cette souche est de surcroît très stable : depuis plus de deux ans qu'elle sévit, ses caractéristiques pathogènes sur l'animal ne se sont pas modifiées, ce qui explique qu'elle continue à contaminer d'autres pays : l'Ukraine vient de déclarer, tout récemment, trois ou quatre foyers. Elle a également démontré sa capacité à infecter l'homme : nous en sommes à environ 140 malades, dont la moitié sont décédés. Cela n'est pas nouveau, car il y a déjà eu des souches capables d'infecter l'homme. Mais au regard des millions de contacts infectants qui ont eu lieu en Asie entre les animaux infectés et les populations humaines, on peut en déduire que cette souche, en l'état actuel des choses, est très peu efficace pour infecter l'homme. La probabilité d'infection d'une personne en contact avec ce virus est vraiment très faible. Sinon, nous aurions eu infiniment plus de cas en Asie depuis le début de la crise.

On peut craindre que, soit par mutation, c'est-à-dire une modification génétique endogène, soit par réassortiment, c'est-à-dire un échange de matériel génétique entre deux souches différentes, ce virus ne se transforme et devienne infectant d'homme à homme. Mais, aucun scientifique ne peut calculer la moindre probabilité que ce phénomène se produise ; par ailleurs, s'il se produisait, nul ne peut dire si le nouveau virus serait aussi pathogène pour l'homme que le virus animal qui a réussi dans quelques cas à passer à l'homme. Nous pourrions avoir un nouveau virus qui apparaisse mais qui soit moins pathogène pour l'homme. La plus grande incertitude demeure sur ce point.

Il est dommage que, depuis deux ans, nos appels répétés n'aient pas été entendus. Si nous avions aidé dès le début des pays comme le Vietnam ou l'Indonésie, où est apparue cette souche, à la contrôler, puis à l'éradiquer, le risque d'une pandémie humaine aurait été écarté. Les investissements qui auraient dû être faits à ce moment-là et que nous préconisions, avec la FAO, auraient été dérisoires en comparaison des ressources qu'il va falloir désormais investir pour éliminer le virus chez l'animal dans une dizaine de pays, et du coût de prévention de la pandémie humaine. Cette analyse a enfin été entendue, mais trop tard : compte tenu de l'ampleur de la maladie chez l'animal, on a parlé, lors de la conférence de Genève - que nous avons organisée en novembre avec la FAO - d'un coût de 500 millions de dollars pour éradiquer l'épizootie dans les pays infectés ou à risque, alors qu'au début, 50 millions auraient suffi pour bloquer le virus dans sa zone d'apparition.

Tout porte à croire que ce type d'événement, tel que l'émergence de nouveaux germes pathogènes, est appelé à se reproduire beaucoup plus que par le passé, par le jeu de la globalisation et de l'accroissement sans précédent de la circulation des marchandises et des personnes, notamment du fait du tourisme. Les germes pathogènes dormants ont ainsi l'opportunité de conquérir de nouveaux territoires, mais aussi de subir des brassages génétiques auxquels ils n'avaient, jusqu'alors, pas accès et qui leur donnent l'opportunité d'acquérir de nouveaux matériels génétiques accroissant leur pouvoir pathogène, qui devient alors de plus en plus « efficace ». Aussi, notre message principal est-il de dire que la communauté internationale doit s'organiser dans le cadre d'une véritable gouvernance sanitaire. Il est de l'intérêt de chacun de veiller à ce que tous les États du monde aient une organisation minimale capable de détecter rapidement tout nouveau phénomène sanitaire, fût-il naturel ou intentionnel - je pense au bioterrorisme -, afin d'être en mesure de réagir. La détection rapide est la clé de la prévention. Encore faut-il que les pouvoirs en place puissent conduire des actions d'organisation et de formation des éleveurs. Le système français des groupements de défense sanitaire, dans lesquels les éleveurs organisent eux-mêmes des actions de formation à l'intention des adhérents, est à cet égard un des meilleurs du monde et je m'efforce de le promouvoir au niveau mondial.

Se pose également le problème du maillage rural vétérinaire, particulièrement dans les zones peu attractives. Dans le monde entier, les vétérinaires sont tentés de déserter les campagnes pour une activité plus lucrative en milieu urbain : il faut stopper cette tendance mondiale. Il est du devoir de la puissance publique de maintenir un réseau minimal dans les campagnes, et de disposer d'un service vétérinaire public capable de faire appliquer les lois. Les textes existants sont en principe satisfaisants ; encore faut-il veiller à leur application.

Certains pays riches peuvent facilement appliquer ces préconisations - c'est une question de volonté politique - mais il n'en est pas de même pour une centaine de pays membres qui n'ont pas les ressources nécessaires pour maintenir un système minimal. Il est de l'intérêt des pays riches, pour se protéger eux-mêmes, de les y aider. Ce message vaut tant pour la grippe aviaire que pour la prévention mondiale des maladies émergentes d'origine animale : 80 % des nouvelles maladies affectant l'homme sont d'origine animale. Il y a donc un lien très fort à établir entre la santé publique et la santé animale dans le nouveau contexte mondial.

(Mme Jacqueline Fraysse remplace Mme Bérangère Poletti à la présidence.)

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur. Votre organisation est très appréciée. Vous nous avez indiqué que la surveillance se passait bien. Mais êtes-vous persuadé que la volonté de transparence de pays comme la Chine ait toujours été réelle ? Certaines informations n'ont-elles pas été communiquées un peu tard ? À vous entendre, les principaux foyers de grippe aviaire auraient été d'ores et déjà éradiqués si votre message avait été entendu il y a deux ans. Comment auriez-vous procédé ? Par un abattage systématique, comme l'a pratiqué Hong Kong il y a quelques années, ou par la vaccination des volailles à grande échelle ? La Chine parle de vacciner cinq milliards de volailles. Est-ce financièrement et techniquement possible ? Pour quelles raisons, enfin, des volailles vaccinées ne pourraient-elles pas être commercialisées ?

M. Pierre HELLIER : Je vous remercie pour ce message parfaitement clair, qui met également en avant le fait que l'actuelle souche est peu infectante pour l'homme à partir de l'animal, confirmant le bien-fondé du raisonnement selon lequel il faut d'abord s'attacher à circonscrire l'épizootie. Si l'on vous avait écouté, cela aurait coûté moins cher, certes. Mais peut-être est-on prêt maintenant à le faire : 500 millions de dollars, c'est finalement peu par comparaison avec les moyens que nos pays consacreront à la prévention de la pandémie humaine. Tant que le virus n'est pas transmissible de l'homme à l'homme, il n'est pas encore trop tard. Faut-il considérer la Chine comme un pays « voyou », pour reprendre votre expression ? Y en a-t-il beaucoup ? Sont-ils dans les zones à risque ?

M. Gérard CHARASSE : Combien dure la période d'incubation du virus ?

M. Gabriel BIANCHERI : Les moyens et mesures que vous aviez préconisés dès l'apparition des foyers restent-ils d'actualité ? D'autres dispositions méritent-elles, à la lumière du recul, d'être recommandées, sachant que tout ce qui pourra être fait contre la maladie animale ne pourra que gêner la diffusion d'un nouveau virus ?

M. Bernard VALLAT : La volonté politique de transparence de la Chine s'est manifestée après l'épisode du SRAS. Jusqu'alors, on ignorait pratiquement tout de la situation chinoise, dissimulée sous une chape d'ignorance.

Nous savons aujourd'hui que la situation sanitaire en Chine n'est pas bonne, en tout cas sur le plan de la santé animale, et les Chinois ont longtemps dissimulé cette situation. Mais la Chine bouge et, surtout, veut devenir un exportateur de produits animaux sur le marché mondial, en commençant par les volailles et les lapins avant de s'attaquer au secteur des porcs. Elle a très bien compris qu'elle ne parviendrait pas à devenir un exportateur important si elle ne faisait pas d'efforts de transparence vis-à-vis de notre organisation.

Nous avons très bien vu cette évolution. Mais si la volonté publique existe, le gros problème, en Chine, reste la décentralisation : par exemple, une nouvelle maladie détectée dans une province ne peut être déclarée à l'administration centrale qu'avec l'autorisation du gouverneur lui-même, qui peut être en déplacement, ce qui implique d'attendre... La France est un des seuls pays au monde à avoir la chance de disposer d'un système de détection centralisé, en l'occurrence les directions départementales des services vétérinaires (DSV), les DSV rapportant directement à la direction générale de l'alimentation (DGAL), au ministère de l'agriculture, qui rapporte à Bruxelles et à l'OIE. Le système des États-Unis est loin d'avoir la même efficacité, du fait de son organisation fédérale, avec un ou deux vétérinaires fédéraux par État, chaque État appliquant sa propre législation en matière de lutte contre les épizooties. Conscients du péril qui pourrait en résulter en cas de menace bioterroriste, les Américains cherchent le moyen de remédier à cette situation. De la même façon, la Chine travaille à un nouveau projet de loi qui donnerait aux services vétérinaires fédéraux beaucoup plus de pouvoirs qu'aujourd'hui par rapport aux gouverneurs. Pour l'instant, il faut compter, en Chine, six jours entre la détection d'un cas et sa déclaration. Il peut se passer beaucoup de chose entre-temps, notamment du côté des exportations de produits animaux contaminés. Cela est très préoccupant pour nous, et nous faisons pression sur la Chine pour qu'elle fasse au plus vite voter ce texte. Nous sommes optimistes car les Chinois ont préparé une déclaration contenant des engagements très forts, à l'occasion de la grande conférence mondiale des bailleurs de fonds destinée à aider les pays pauvres à ventiler les fonds qui leur permettront de contrôler la grippe aviaire ; cette conférence se tiendra à Pékin les 15, 16 et 17 janvier 2006. La Chine est un véritable bouillon de culture, mais les Chinois, tout doucement, prennent les mesures appropriées. Il faudra cependant attendre des années avant qu'ils ne disposent d'un service vétérinaire national de nature à éviter que la Chine ne représente un danger pour le reste du monde...

Il est des pays dont nous ne savons absolument rien : ainsi l'Irak, ou certains pays d'Afrique en proie aux guerres civiles, tels la Somalie, la Sierra Leone, le Liberia. La situation n'est guère satisfaisante, non plus, dans plusieurs Républiques d'Asie centrale : l'Ouzbékistan met souvent un mois à nous envoyer ses rapports... Il y a encore beaucoup à faire au niveau international. Il est de l'intérêt de tous d'aider ces pays et de faire pression sur le plan politique. Pour autant, il n'est pas question de leur imposer quoi que ce soit : toutes les normes publiées par l'OIE pour lutter contre les maladies ont été démocratiquement votées par tous les Etats membres qui ne sauraient, donc, s'y opposer aujourd'hui.

À chaque fois qu'apparaît une souche potentiellement défavorable à la santé animale, voire à la santé publique, l'intérêt général commande d'éliminer le virus. C'est ce qu'ont fait les Japonais et les Coréens lorsque la souche asiatique H5N1 est arrivée chez eux ; en appliquant les méthodes que nous préconisons, ils l'ont éliminé ; même la Malaisie, qui n'est pourtant pas encore un pays très développé, a su éliminer le virus dès son apparition. Le Kazakhstan, ne se sentant pas prêt, nous a immédiatement demandé d'envoyer une équipe afin de les conseiller. Il a constitué un comité interministériel avec nos experts et a parfaitement suivi nos recommandations : ils ont éliminé le virus. De même, la Roumanie et la Turquie ont su réduire au début les foyers au fur et à mesure de leur apparition et s'en débarrasser. Autrement dit, il n'est pas besoin d'être un grand pays riche ; il suffit d'employer les bonnes méthodes, de disposer d'un système de détection précoce avec des éleveurs organisés et dotés d'une formation minimale, de vétérinaires de proximité et de fonds de compensation.

Le fonds de compensation est fondamental. L'éleveur, à plus forte raison s'il est pauvre, doit impérativement être assuré, lorsqu'il déclare la maladie, d'être payé rapidement pour ses bêtes et au juste prix. Chaque heure compte. Si cela n'est pas prévu, l'éleveur dissimulera les volailles mourantes, le virus commencera à se diffuser dans le village et le coût de l'éradication sera multiplié par plus de mille entre l'intervention sur la première ferme infectée et celle sur un département. La gestion du mécanisme de compensation doit rester nationale et impliquer étroitement les ministères des finances et de l'agriculture, sans attendre l'apparition du premier foyer. Il faut que les représentants des éleveurs soient constitués en comité, chargé de définir les modalités de l'indemnisation et associant tous les partenaires - les finances notamment, mais également les forces de l'ordre qui doivent pouvoir prendre des mesures impopulaires, au besoin, afin de bloquer les mouvements de personnes et d'animaux là où apparaît le virus. La réponse doit être absolument interministérielle.

La rapidité de la réponse exige des plans d'urgence préétablis, comme en France, afin que chacun soit à son poste et sache ce qu'il doit faire dès que sera déclenchée la situation d'urgence, soit prêt à circonscrire le foyer pour que le virus ne puisse pas diffuser. C'est la règle d'or.

Quant à la vaccination, elle sert d'outil complémentaire lorsque les lignes de défense ont été enfoncées pour diverses raisons, soit parce que les mesures d'urgence ont été mal appliquées, soit parce que le pays n'était pas prêt. La vaccination est seulement un outil complémentaire lorsque les lignes de défense ont été enfoncées, mais ce n'est pas un outil idéal, aussi doit-elle être considérée comme un dernier recours. Les capacités de production mondiale des vaccins animaux devraient nous permettre de faire face à la crise dans des conditions relativement efficaces ; mais, plutôt qu'une vaccination nationale, nous préconisons, compte tenu de la lourdeur de la procédure - administration par injection, puis injection de rappel selon l'âge de l'animal - une vaccination en anneau autour de la zone infectée.Rien que pour la France, il faudrait vacciner trois milliards d'oiseaux. La Chine a décidé de vacciner l'ensemble de son cheptel ; non seulement je ne pense pas que la capacité de production chinoise suffira, mais il faudra des années pour couvrir le territoire. La Chine dispose d'un million de personnes, pour vacciner par injection individuelle cinq milliards d'oiseaux. Je crois qu'il faudra y affecter des effectifs plus nombreux. De surcroît, les vaccins les plus efficaces contiennent un excipient composé d'une huile minérale en principe non recommandée pour la consommation humaine : il fait l'objet d'une recommandation négative du Codex en termes d'ingestion par l'homme. Aucun gouvernement ne prendra la responsabilité de laisser consommer cette huile, même si les quantités absorbées par l'homme à la suite de la consommation d'animaux vaccinés resteraient limitées... Il faut vingt-huit jours pour que l'organisme vacciné élimine le vaccin, ce qui complique d'autant plus les choses que la vie économique d'une volaille oscille entre trente jours et quatre mois. Donc, en l'état actuel des vaccins disponibles, la vaccination n'est pas l'outil idéal. Nous l'avons très fortement recommandée au Vietnam dans la mesure où c'était la seule façon de préserver les voisins et le reste du monde, mais il faut avoir conscience de ses inconvénients. La règle d'or, c'est d'aider tous les pays du monde à avoir un service public capable de faire appliquer les lois, de leur donner des ressources internationales pour garantir l'indemnisation des éleveurs, et d'envoyer des équipes dans les zones infectées pour abattre les animaux qui ont été en contact avec ceux atteints, afin d'empêcher le virus de s'y maintenir.

M. Gabriel BIANCHERI : Avez-vous connaissance de recherches sur des vaccins administrables par voie orale, notamment avec de l'eau ?

M. Bernard VALLAT : Hors de la Chine, il n'existe que trois fabricants de vaccins. Ils n'ont pas beaucoup investi dans la recherche sur le vaccin buccal : ils savent bien que la meilleure façon de lutter contre la grippe des poulets, c'est de les abattre, et que la vaccination sera utilisée parcimonieusement. Il faudrait faire appel aux ressources publiques si l'on voulait faire du vaccin une arme appropriée. Inversement, dans le cas de la maladie de Newcastle, très proche mais heureusement non zoonotique, tous les éleveurs du monde considèrent que le vaccin est l'arme appropriée ; on n'a aucun mal à trouver des vaccins par voie orale à des coûts tout à fait compétitifs.

M. Pierre HELLIER : Au demeurant, la vaccination ne changera rien au problème de la confiance du consommateur dans ce qu'il mange. Les porteurs sains le restent-ils une fois vaccinés ? Par ailleurs, je voulais vous demander si Taïwan est ou non membre de l'OIE ? Car on pourrait se fier davantage aux déclarations des autorités taïwanaises qu'à celles du gouvernement chinois.

M. Gérard BAPT : J'avais posé la question de la création d'un fonds de compensation à Mme Margaret Chan, de l'OMS, lors de son audition par visio-conférence, en relevant que, plus l'indemnisation sera réduite, moins il y aura de déclarations précoces. Sa réponse a été très rapide et elle m'a renvoyé aux législations nationales qui organisent des prises en charge, au demeurant très inégales... Y aurait-il un moyen de faire adopter, au niveau international, le principe d'une compensation intégrale, afin de tuer dans l'œuf les manifestations épizootiques ?

M. Daniel PREVOST : Que pensez-vous de la prolongation des mesures de confinement des élevages prises par les services vétérinaires et sanitaires dans certains départements français ? Ces décisions vous paraissent-elles justifiées ? Les ventes ont baissé de 20 à 30 % dans certaines régions, particulièrement dans l'Ouest et les volailles labellisées comme les poulets de Loué ou de Janzé connaissent de gros problèmes de commercialisation, à la veille des fêtes de Noël. Je relève qu'une épidémie de maladie de Newcastle, qui s'était déclenchée dans un élevage de pigeons de ma circonscription, a été très rapidement circonscrite.

M. Gérard CHARASSE : Je rappelle ma question sur la durée de la période d'incubation chez les oiseaux migrateurs.

M. Bernard VALLAT : La période d'incubation dure entre deux et trois jours. Si un oiseau vole à 50 km/h pendant quarante-huit heures, il a le temps de parcourir des distances considérables.

Taïwan a adhéré à l'OIE avant la République populaire de Chine ; or, contrairement à l'ONU, notre règlement ne nous permet pas de radier un adhérent. C'est pour nous un problème majeur, les Chinois refusant d'entrer dans une salle de réunion où siège un Taïwanais. Nous sommes obligés de gérer cette affaire délicate au coup par coup en « oubliant » parfois d'inviter Taïwan... L'OMC a pu la régler, Taïwan ayant accepté la dénomination « territoire douanier séparé de Taïwan ». Malheureusement, les Chinois ont refusé notre proposition d'un « territoire sanitaire séparé de Taïwan », ce qui aurait pu ouvrir la voie à une réadhésion de Taïwan à l'OMS ! Toujours est-il que Taïwan est un membre parfaitement régulier de l'OIE et que la Chine participe à nos travaux. Le pis-aller que nous avons trouvé nous permet en tout cas de remplir nos mandats.

S'agissant de la maladie de Newcastle, je pense que si tous les éleveurs français vaccinaient notamment les pigeons et les faisans, le problème ne se poserait, pour ainsi dire, plus. Il faut d'autant plus vacciner que le vaccin est efficace, peu coûteux et facile à administrer. Les défaillances d'éleveurs négligents pénalisent l'économie de départements entiers.

Nous n'avons pas encore été en mesure d'établir une norme mondiale uniformisant les modalités d'indemnisation, du fait des différences entre les règles législatives des pays membres : ainsi, en France, on n'indemnise que pour les animaux vivants que l'on abat ; les animaux déjà morts de la maladie ne sont pas pris en compte. Il est seulement prévu une indemnisation « juste et rapide », à charge pour le législateur de chaque pays d'en définir les modalités. Le sujet est complexe et suscite des débats à n'en plus finir dans chaque pays. Pour notre part, nous poussons pour que l'indemnisation soit la plus élevée et la plus rapide possible.

Les financements que nous-mêmes et la FAO sollicitons pour harmoniser les politiques nationales de lutte contre l'influenza aviaire et améliorer la gouvernance des services vétérinaires ne sont pas très élevés. Nous avons joint nos forces avec la FAO pour créer cinq « structures miroirs » destinées à adapter les politiques aux spécificités des régions. Il faut compter 15 à 20 millions de dollars, hors vaccination, pour améliorer les actions des services vétérinaires d'un État. Quinze à vingt pays ont été pris en compte, pour un total de 500 millions de dollars ; si l'Afrique est contaminée par des oiseaux migrateurs, le devis grimpera très vite.

M. le Rapporteur : Précisément, quel est l'état actuel des services vétérinaires en Afrique ? L'IRD est pour l'instant dans l'expectative, espérant des actions communes... Comment agissez-vous dans les territoires sensibles ?

M. Gabriel BIANCHERI : Les colombophiles sont vent debout et vivent dans la crainte de mesures d'éradication. Leurs petits élevages peuvent atteindre une valeur considérable : un pigeon sorti vainqueur d'une course de mille kilomètres rassemblant vingt mille participants peut valoir des milliers d'euros. Les colombophiles craignent de ne jamais être indemnisés en cas d'éradication et, qui plus est, de perdre des lignées de reproducteurs. Travaux scientifiques à l'appui, ils soutiennent enfin que les pigeons pourraient être résistants au H5N1. Nous subissons une certaine pression...

M. Daniel PREVOST : Le confinement se justifie-t-il ? Les volailles labellisées se nourrissent d'habitude à l'extérieur ; leur enfermement pendant plusieurs mois pose de sérieux problèmes pour l'éleveur.

M. Bernard VALLAT : J'ai été particulièrement impressionné par la qualité de l'avis rendu par l'AFSSA sur la question du confinement. Les mesures prises vont bien au-delà de ses préconisations, que je jugeais suffisantes. Mais chaque pays membre de l'OIE est souverain...

La situation en Afrique est très inégale. Plusieurs pays comme la Namibie, le Botswana, l'Afrique du Sud, disposent de services vétérinaires tout à fait efficaces, à tel point que leur quota d'exportation de viande bovine vers l'Union européenne a été maintenu. Ils répondent aux normes et sont régulièrement inspectés par l'Office alimentaire et vétérinaire, l'OAV. Ils sont donc parfaitement capables, en cas d'infection, d'appliquer les mesures de réaction rapide que nous préconisons. Une trentaine de pays ont bénéficié de très forts appuis de la Commission européenne pour moderniser leurs services vétérinaires. Ils seraient de ce fait beaucoup mieux armés que les autres pour conduire des actions efficaces. Au total, sur une cinquantaine de pays, une trentaine seulement sont capables d'utiliser efficacement les aides extérieures.

Pour les autres, tout reste à créer. Si l'influenza arrivait, on ne pourrait pas compter sur une réaction rapide. Nous ne pourrions que préconiser des vaccinations en anneau pour essayer de contenir le virus et éviter qu'il n'aille dans le reste de l'Afrique, mais le problème de l'infection de l'Europe par des oiseaux migrateurs revenant d'hivernage restera en suspens.

Cela dit, le problème est tellement complexe et aléatoire que personne n'ose se risquer à un avis sur la possibilité de voir apparaître un virus en Europe porté par les migrations venues d'Afrique. Tout ce que l'on peut faire, c'est surveiller les oiseaux en Afrique - des programmes se mettent en place -, essayer de savoir si le virus y circule déjà et édicter des mises en garde à destination de l'Union européenne s'il est détecté en quantités significatives. Cependant, même si le virus arrivait dans l'Union européenne par l'Afrique, les dispositifs actuels, la réglementation communautaire et les législations nationales permettraient de le bloquer très vite, j'en suis sûr. On a vu comment la fièvre aphteuse apparue en France en 2001 dans le Maine-et-Loire a été immédiatement arrêtée en n'abattant que le bétail de deux étables, alors que les Pays-Bas ont dû abattre 300 000 bêtes. Depuis, les autres pays de l'Union ont amélioré leur dispositif. Si le virus arrivait, ce ne serait pas un réel problème.

Les pigeons véhiculent régulièrement des souches de grippe faiblement pathogènes qui ne présentent aucun danger majeur pour la santé publique, voire pour la santé animale. Aucun pigeon n'a été trouvé infecté par la souche asiatique, ce qui laisse à penser que le virus a du mal à contaminer le pigeon - tout comme l'homme ou le porc, du reste, d'ordinaire sensibles à la grippe. Ce qui n'a pas empêché le Vietnam de décréter un temps l'abattage national des pigeons... Outre le fait que la souche n'est pas particulièrement agressive pour le pigeon, la directive européenne permet aux pays membres de vacciner, par dérogation, les oiseaux des parcs zoologiques afin de ne pas avoir à abattre des flamands roses ou autres. Pourquoi ne pas étendre cette dérogation à des pigeons de course de grande valeur ? Ce dossier pourrait être très rapidement présenté à Bruxelles.

M. Gabriel BIANCHERI : À qui faut-il s'adresser ?

M. Bernard VALLAT : À la direction générale de l'alimentation, la DGAL.

M. François GUILLAUME : Quelle que soit la catégorie d'animaux concernés, c'est toujours la même alternative : on procède, soit à la vaccination, soit à l'abattage. La vaccination, même si elle est un peu plus facile à pratiquer sur des bovins, n'en resterait pas moins une action préventive possible si l'on pouvait disposer d'un vaccin buvable.

M. Bernard VALLAT : Il est de fait que le public accepte de moins en moins les abattages massifs d'animaux pour raisons sanitaires, à l'image de ces bûchers aux Royaume-Uni où six millions de bovins et de petits ruminants ont été exterminés pour éradiquer la fièvre aphteuse. Un tel schéma ne se reproduira plus, et c'est bien la raison pour laquelle j'ai insisté sur la nécessité d'une détection et d'une réponse rapides pour éviter un tel massacre ; dans ce cadre, la vaccination, en tant qu'outil sélectif, reste essentielle et nous préconisons de la pratiquer en anneau.

Cela dit, pour que cet outil sélectif devienne parfaitement acceptable, plusieurs obstacles doivent être franchis, à commencer par celui de la réticence du consommateur face à des animaux vaccinés. Dans le cas d'un bovin, il suffit d'attendre le temps nécessaire après la vaccination pour le mettre en marché, le temps que l'excipient soit totalement résorbé. C'est beaucoup moins gérable pour les volailles, compte tenu de leur courte durée de vie économique ; or le temps d'attente est le même puisqu'il s'agit souvent des mêmes excipients. Les multinationales n'ont pas réellement investi dans la vaccination contre l'influenza aviaire, sachant pertinemment qu'elle ne serait jamais qu'un outil de secours et non un outil global. Si vraiment l'on veut des vaccins administrables par voie orale, il faudra mettre les ressources publiques à contribution. Une plate-forme technologique sur la santé animale a été mise en place à Bruxelles, dotée de 50 millions d'euros ; elle pourrait subventionner des multinationales pour qu'elles élaborent des programmes à parité.

M. Gabriel BIANCHERI : Les Pays-Bas supportent de plus en plus mal le coût économique des abattages et poussent au rétablissement de la vaccination dans de nombreux domaines.

M. Bernard VALLAT : Il faut examiner les maladies au cas par cas. Pour les maladies épizootiques à haut pouvoir infectant comme la fièvre aphteuse ou l'influenza aviaire, nous ne préconisons pas la vaccination préventive systématique, mais un dispositif de détection précoce et un programme d'action rapide défini au niveau interministériel, dans le cadre duquel la vaccination sert d'outil de secours. N'oublions pas que le meilleur vaccin ne procure qu'une immunité de six mois contre la fièvre aphteuse ; il faudrait donc revacciner tous les six mois l'ensemble du cheptel, les bovins, mais également les porcs et les moutons, et contre les sept souches en circulation dans le monde ! Or le coût d'un tel vaccin est dix à quinze fois supérieur à celui d'un vaccin monosouche... C'est donc un phénomène très complexe qui ne peut être réduit à une approche générale. Protéger, en les vaccinant, tous les animaux pour ne plus avoir à les abattre, cela ne marche pas. Tout dépend des situations, des maladies mais également de l'offre de vaccins disponibles. Il n'existe pas de modèle prédéfini ; tout cela exige une analyse beaucoup plus complexe.

Mme la Présidente : Monsieur le Directeur général, je vous remercie.


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