Mercredi 14 décembre 2005

- Audition de M. Jean-Roch GAILLET, chef de l'unité de suivi sanitaire de la faune l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS)

(Compte rendu de la réunion du 14 décembre 2005)

Présidence de Mme Bérengère POLETTI, vice-présidente,

puis de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

Mme la Présidente : Nous aimerions que, dans un premier temps, vous nous expliquiez le rôle de l'Office dans le dispositif actuel de prévention de l'épizootie. Nous passerons ensuite aux questions.

M. Jean-Roch GAILLET : Inspecteur de la santé publique vétérinaire, ISPV, au ministère de l'agriculture, j'ai été détaché à l'ONCFS spécifiquement sur ce sujet d'influenza aviaire. Je suis par ailleurs membre titulaire de l'académie vétérinaire de France, qui devrait sans doute émettre prochainement un avis sur cette maladie.

Établissement public à caractère administratif, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage emploie 1.700 personnes. Le gros des troupes - 1.400 agents - est constitué par ceux que l'on appelait les gardes nationaux, aujourd'hui agents techniques ou techniciens de l'environnement. De son côté, la direction des études et de la recherche, composée de 114 chercheurs, regroupe les cinq centres nationaux d'études et de recherche appliquée , le CNERA, et l'unité sanitaire de la faune. Travaillent avec moi, sur l'influenza aviaire, un ISPV, Jean Hars, et le chef du CNERA chargé de l'avifaune migratrice, Jean-Marie Boutin, qui est plus spécifiquement en charge des problèmes migratoires, de l'étude des couloirs et des passages des oiseaux et de leur biologie. Nous sommes tous trois membres du comité d'experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA. C'est donc sous cette double casquette que nous travaillons depuis fin août sur l'influenza aviaire - pour ce qui touche à la seule faune sauvage, s'entend.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Pouvez-vous nous définir précisément ce que vous appelez « faune sauvage » ?

M. Jean-Roch GAILLET : La définition administrative distingue la faune sauvage captive et la faune sauvage non captive, autrement dit tout ce qui vit en liberté, les insectes, les batraciens, les lézards et autres sauropsidés, les oiseaux et mammifères. Le gros de notre travail sur la faune sauvage s'effectue sur les espèces d'oiseaux non captifs, sédentaires ou migrateurs, et sur les mammifères terrestres non captifs, les mammifères marins étant plus spécifiquement traités par le Conservatoire du littoral. Bien que nous n'ayons pas en charge la faune sauvage captive, les agents de l'Office sont très souvent amenés à intervenir sur le poste d'inspection frontalier de Roissy ou dans les oiselleries à des fins d'identification, les compétences disponibles étant assez rares s'agissant de la connaissance des oiseaux protégés par la CITES1 ou la convention de Washington. Mais je précise qu'il ne s'agit que d'interventions à des fins d'identification.

Les actions « influenza aviaire » menées par l'ONCFS se décomposent entre une surveillance dite passive, par le biais du réseau SAGIR, qui consiste à collecter les animaux morts ou gravement malades, et une surveillance active sur des oiseaux collectés par piégeage, à fins de baguage, ou tués à la chasse, donc vivants ou collectés juste après leur mort.

Créé en 1986, le réseau SAGIR, qui a été beaucoup sollicité depuis le mois d'août, collecte en gros 4.000 animaux malades ou morts chaque année, dont environ 15 % d'oiseaux, grâce à des interlocuteurs techniques présents sur le terrain, à raison de deux par départements : un dans chaque fédération départementale des chasseurs et un dans chaque service départemental de l'ONCFS, ce qui témoigne de la collaboration, indispensable, entre les fédérations de chasseurs et l'Office. Les ministres de l'agriculture successifs ont eu beaucoup de chance de pouvoir recourir aux services de ces personnes pour un travail qui, autrement, aurait dû être demandé à la puissance publique. Cette liaison entre l'associatif et le public se passe globalement bien depuis 20 ans. Du point de vue du financement, les fédérations départementales supportent le coût des analyses de base, effectuées dans les laboratoires départementaux, qui sont sous la responsabilité des conseils généraux depuis les lois de décentralisation de 1981 et 1983. Il n'en reste que cinquante-cinq, qui assurent avec compétence leur travail en matière de santé animale - les autres ne s'occupent malheureusement plus que d'hygiène alimentaire ou ont tout simplement disparu.

Les cadavres sont amenés par les interlocuteurs techniques au laboratoire, systématiquement accompagnés d'une fiche SAGIR pré-numérotée, ce qui permet de ne pas perdre d'informations en cours de route. En cas de suspicion d'influenza aviaire, le laboratoire transmettra les prélèvements adéquats auprès d'un des six laboratoires départementaux spécialisés dans la recherche du virus, qui procéderont à un premier screening, le processus se terminant au laboratoire de l'AFSSA à Ploufragan où peuvent être effectuées les analyses finales de typage de virus.

Ensuite, toutes les données produites par les laboratoires départementaux comme par les laboratoires de référence, dont celui de Ploufragan, sont encodées dans une base de données nationale au laboratoire de l'AFSSA-Nancy, dont la dénomination a plusieurs fois changé (laboratoire central de lutte contre la rage, puis centre national d'études vétérinaires). L'exploitation de ces informations permet de répondre à bien des questions - présence de telle maladie dans tel département, par exemple - dont on aurait tort de croire qu'elles n'intéressent que des étudiants thésards. Cette base de données intéresse aussi les gestionnaires du terrain. Toute question émanant d'un député, par exemple si vous voulez savoir quelles maladies circulent dans votre département, recevra une réponse rapide... En revanche, compte tenu de la sensibilité des données sanitaires, cette base de données n'est pas sur Internet ni accessible à tous. Il est heureux que la participation de la Fédération nationale des chasseurs, sous statut associatif, nous dispense d'avoir à communiquer des données qui pourraient donner lieu aux interprétations les plus excessives et à toutes les confusions possibles. Cela dit, nous fournissons tous les éléments souhaités à des organismes tels que France-Nature Environnement ou la Ligue de protection des oiseaux : les seuls blocages sont motivés par les risques que nous ne saurions faire prendre à nos partenaires des filières animales, éleveurs ou transformateurs.

Le réseau SAGIR est financé pour moitié par les fédérations départementales des chasseurs et pour moitié par l'Office de la chasse de la faune sauvage. La gestion est également paritaire.

Plus de 40.000 animaux ont été ainsi encodés dans la base de données ; à raison de plus de cinquante analyses par animal, on imagine la richesse de cette base. Ajoutons que l'on y trouve désormais plus de 10 % d'espèce non chassées, ce qui témoigne de l'état d'esprit positif de nombre de fédérations départementales de chasseurs qui acceptent de financer l'analyse d'un vautour empoisonné ou de toute autre espèce protégée malade ou morte. C'est donc un système qui s'ouvre bien à la faune sauvage « non gibier ».

En cas de suspicion d'influenza aviaire hautement pathogène, nous nous retrouvons dans le cadre d'une maladie officiellement réputée contagieuse et nous nous mettons immédiatement aux ordres de la direction départementale des services vétérinaires, autrement dit sous la tutelle du ministère de l'agriculture, car qui dit maladie contagieuse dit ministère de l'agriculture, tout en continuant à nous occuper de la faune sauvage sur le terrain. Mais depuis 1986, le réseau SAGIR n'a jamais mis à jour un seul cas d'influenza aviaire hautement pathogène.

Une bonne surveillance dépend en premier lieu de la présence sur le terrain. Or, les gens les plus proches du terrain sont, en zone de chasse, les chasseurs et, dans les réserves naturelles, les birdwatchers, les observateurs d'oiseaux qui circulent à toute heure et en toutes saisons dans les réserves en cochant sur leurs calepins les oiseaux qu'ils ont pu voir. Leurs observations complètent utilement les informations du réseau SAGIR pour les zones où il n'y a pas de chasse. Il faut enfin que les fédérations départementales de chasseurs acceptent de supporter le coût des analyses. Nous nous efforçons de limiter le nombre d'analyses en ne collectant que des mortalités significatives, autrement dit les cadavres susceptibles de présenter un intérêt dans les recherches sur l'influenza. Un oiseau trouvé mort au bord d'une route à grande circulation aura toutes les chances d'avoir succombé à une collision avec un véhicule...

En second lieu, jusqu'en août, on s'intéressait principalement aux anatidés, principales victimes de la maladie. Le champ d'investigation a été élargi aux pigeons à la suite de la découverte de cas à l'est de Moscou, puis à l'ensemble des oiseaux après avoir analysé les cas de contamination de la faune domestique - des dindes avaient été touchées lors de l'épizootie de 1999-2000 en Italie. Afin de ne pas saturer le laboratoire de Ploufragan par un trop grand nombre d'analyses, a été mis en place un réseau de premier tri effectué dans six laboratoires départementaux, installations « top niveau » situées dans des départements d'élevage (Ain, Côte d'Or, Côte d'Armor, Touraine, Landes et Loire-Atlantique), qui recevront les oiseaux entiers ou simplement un prélèvement par écouvillonnage - opération simple qui consiste à passer un coton-tige dans le derrière de l'oiseau et éventuellement dans la trachée. Dès qu'il y aura une véritable suspicion d'influenza aviaire, on ne pourra plus passer par Chronopost ou les transporteurs classiques. Il faudra recourir au transport sécurisé, dont le prix est de l'ordre de 1.000 euros, sauf à l'assurer soi-même, en mobilisant pendant une journée un technicien et sa voiture. Le coût devra être pris en charge par le ministère de l'agriculture car on ne peut demander aux fédérations de chasseurs de le supporter.

M. le Rapporteur : Mais le diagnostic sera fait par le laboratoire départemental... Pourquoi les chasseurs devraient-ils supporter un transfert de laboratoire à laboratoire ?

M. Jean-Roch GAILLET : Il ne s'agit pas de diagnostic, mais de suspicion. Si une mortalité massive survient dans un endroit où, à défaut de pouvoir l'imputer à une des causes habituelles - principalement, pour les oiseaux lacustres, le botulisme qui peut survenir en période très chaude et sans vent, propice à la prolifération de la bactérie produisant la toxine - aucune autre affection ne peut être suspectée qu'une peste ou une influenza aviaire, on est immédiatement en situation de suspicion et cette suspicion fait que le transport d'animaux et de cadavres doit immédiatement être sécurisé. Et dans le cas spécifique de l'influenza aviaire, le ministère de l'agriculture sera mis à contribution pour le transport depuis les laboratoires départementaux d'analyses vétérinaires, les LADV, vers les laboratoires de référence ou de screening, transport que l'on ne peut demander aux chasseurs de supporter. N'oublions pas que le but principal est de protéger les élevages. Si l'influenza ne touchait que l'avifaune sauvage non captive, personne ne s'y intéresserait outre mesure : la faune sauvage vit par principe en équilibre avec ses maladies, ses parasites, ses virus, contrairement à nos chiens et nos chats stérilisés, vaccinés, antiparasités, etc. S'il n'y a plus d'équilibre, l'animal sauvage meurt. Le grand public a parfois du mal à le comprendre, mais c'est la vie...

Sur le plan des précautions à prendre, nous avons toujours préconisé, dans le réseau SAGIR, le port de gants pour les ramasseurs d'animaux morts, qui peuvent être porteurs de toutes sortes de maladies, qu'il s'agisse de l'influenza, de la tularémie chez le lièvre ou de l'échinococcose alvéolaire chez le renard. C'est une mesure de protection tout à fait classique.

La surveillance des oiseaux vivants, dite active, a débuté dès 2000 lorsque nous avons mis en place, en association avec le bureau santé animale de la direction générale de l'alimentation, un programme de collecte d'écouvillonnage cloacal sur des oiseaux capturés lors d'opérations de baguage. Entre 2000 et 2005, ont ainsi été relevées plusieurs dizaines de types de virus de l'influenza, tous non pathogènes, c'est-à-dire des souches de virus qui ne rendent pas ou très peu malade, dont personne n'imaginait l'existence jusque-là et dont les oiseaux s'accommodent très bien. Depuis l'agitation autour de la grippe aviaire, on sait très bien quelles souches circulent dans le monde et l'évolution de leur répartition, année après année. À noter que les virus influenza ne sont qu'une des pestes aviaires, l'autre sorte de peste étant due aux virus de la maladie de Newcastle, dont on détecte en gros un foyer par an en France et qui pose un véritable problème chez les pigeons voyageurs - à tel point que leur vaccination est demandée - mais également dans les élevages de faisans. Et comme il s'agit aussi d'une maladie contagieuse, nous avons pris les mesures qui s'imposaient pour circonscrire, puis éradiquer les foyers, ce qui a été le cas. La maladie de Newcastle a, du reste, utilement contribué à développer la surveillance active au jour le jour : la France a ainsi pu fournir à la Commission européenne un schéma très complet sur les virus de l'influenza aviaire circulant dans la faune sauvage, grâce à cette surveillance active qui existait préalablement, alors qu'un pays européen sur deux n'en avait aucune idée et les autres ne disposaient que de quelques éléments seulement. Grâce à la surveillance active, nous avions pris une certaine avance, ce qui nous a permis de calmer le jeu en rappelant que les maladies réputées très contagieuses n'étaient que le fait des virus hautement pathogènes, et que les autres étaient connus et suivis.

Ce qui se passe bien, c'est la surveillance réalisée sur des oiseaux sauvages lors d'opérations de baguage. Un nombre important d'oiseaux a ainsi été prélevé dans le cadre de deux programmes de recherche sur l'épidémiologie de l'influenza aviaire en Camargue, en Loire-Atlantique, mais également dans les Dombes avec l'école nationale vétérinaire de Lyon soutenue par le Conseil régional de Rhône-Alpes, et, dans une moindre mesure, dans la Somme. En revanche, cela « coince » un peu avec les canards appelants. Il était prévu d'en utiliser six cents, mais nous nous heurtons aux interdictions de transport et d'utilisation, dont le bien-fondé a du reste été plusieurs fois contesté par l'AFSSA et le comité d'experts auquel nous participons. L'utilisation des appelants faisait pourtant partie des actions de collecte proposées à Bruxelles.

Signalons enfin que l'ONCFS a un rôle d'expertise auprès de ses deux ministères de tutelles, le ministère de l'agriculture et de la pêche et le ministère de l'écologie et du développement durable ; notre expertise a sans doute été utile dans la détermination des zones dites à risques, où les oiseaux seront le plus susceptibles de revenir au printemps après avoir été, en Afrique, en contact avec des oiseaux migrateurs venant de zones contaminées.

M. le Rapporteur : Je vous remercie pour votre exposé parfaitement clair, serein et intéressant. En tant que responsable scientifique à l'office national de la chasse, que pensez-vous de l'application du principe de précaution ? Certaines décisions de confinement ne vous paraissent-elles pas trop restrictives, sinon prématurées ? Enfin, que préconiseriez-vous en matière de surveillance des zones d'hivernage africaines, qui semble être la prochaine étape des migrateurs ?

M. Jean-Roch GAILLET : Il est clair que ce n'est pas en France que le virus va recombiner et muter. Si pandémie il doit y avoir, elle viendra d'Asie et par avion. Les mesures prises sont logiques par rapport à ce qui peut arriver en avion, mais certainement pas pour ce qui touche à la faune sauvage française. Pour ce qui est des élevages, cela a été chaud en 1999-2000 et en 2003 : sept millions de volailles abattues en Italie, trente millions aux Pays-Bas, et cela a failli s'étendre à la Belgique... Il faut protéger les élevages, et les éleveurs sont des partenaires dans tous nos travaux sur la faune sauvage. Le ministère de l'agriculture a fait son travail et, du reste, a prévu suffisamment de souplesse dans l'application de ses arrêtés pour que tout se passe bien. J'ajouterais que même dans les élevages en plein air, les reproducteurs et une partie des animaux restent enfermés en hiver : le confinement n'est pas trop gênant, beaucoup moins en tout cas qu'au mois d'août. C'est pourquoi, contrairement aux Allemands et aux Hollandais - pour lesquels le confinement, du reste, est plus facile, les installations étant prévues pour des hivers plus rudes -, le ministère de l'agriculture français n'a pas décrété de confinement cet été, ce qui aurait pu tuer nos filières labellisées.

Les mesures prises par le ministère pour les élevages sont bonnes, d'autant qu'elles sont limitées dans le temps et évolutives. Reste que nous n'avions pris aucune mesure de blocage en 2003, hormis sur quelques camions de lisier, alors que la Belgique était menacée. Cette fois-ci, les cas les plus proches sont en Croatie, à deux heures et demi d'avion... Mais soit, il faut les subir : cette maladie, sur le plan agricole, est tellement grave qu'il est logique de faire attention. Lors de l'épisode de peste porcine dans le Bas-Rhin et en Moselle en 2003, tous les élevages de porc ont été bloqués, y compris jusqu'en Bretagne et en Pays de Loire. Il ne faudrait pas que, par manque d'une bonne mesure, la grippe aviaire n'arrive dans nos élevages, bloquant nos exportations de volailles, de produits animaux et même de génétique aviaire.

En revanche, s'agissant de l'interdiction des appelants, décidée par le ministère de l'écologie et du développement durable, la mesure est inutile et même nocive, sachant que l'observation sur les zones de chasses est réalisée par des chasseurs ou des techniciens de fédérations départementales des chasseurs. La première interdiction des appelants, jusqu'au 1er décembre, pouvait se comprendre comme une mesure d'urgence. Mais aucune raison technique ne justifiait de la proroger alors que les migrateurs étaient partis. Je ne suis pas certains que les chasseurs soient disposés, dans ces conditions, à reprendre la surveillance de terrain au printemps. Et, s'agissant de la surveillance active, je me demande quels canards appelants nous allons pouvoir collecter... De surcroît, cette interdiction aurait dû être gérée au même titre que les mesures du ministère de l'agriculture et donc prendre fin à la même date que les périodes migratoires, et non jusqu'à la fermeture de la chasse : c'est inutile et incompréhensible. Les avis que nous avions émis dans le cadre de l'AFSSA comme dans nos réponses à l'occasion de saisines du ministère de l'écologie n'ont pas été suivis, alors même que le comité permanent pour la santé animale de Bruxelles ne réclamait pas l'interdiction des appelants.

Pour ce qui est de l'Afrique, à laquelle j'ai souvent eu l'occasion de m'intéresser dans ma vie professionnelle, notre souci tient au fait que la principale zone d'échange et de possible contamination entre des oiseaux venant des zones infectées et les nôtres se trouve dans la corne de l'Afrique, Soudan ou Tchad, pays où il n'est guère facile de se rendre... En Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, en revanche, les partenariats noués depuis toujours entre la France et des pays comme le Sénégal, la Mauritanie, le Niger ou le Mali continuent de fonctionner et il y a une vraie pression d'observation ; dans d'autres pays, cela marche moins bien. S'il s'y produit une réelle aggravation de la mortalité, nous le saurons. Se pose ensuite un problème de logistique : comment transporte-t-on un cadavre suspecté d'être porteur de l'influenza jusqu'à un laboratoire compétent ? À la limite, il suffit d'envoyer un expert par avion, qui se chargera de faire un paquet totalement sécurisé et de le ramener à l'AFSSA de Ploufragan ou au laboratoire de référence communautaire de la Veterinary laboratory agency, la VLA, l'équivalente de l'AFSSA, à Weybridge, à côté de Londres. Ce n'est pas simple, mais c'est faisable...

M. François GUILLAUME : En vous écoutant, je pense qu'il serait utile d'organiser une réunion contradictoire entre les divers ministères concernés, l'Office de la chasse et les chasseurs... Visiblement, les positions sont contradictoires et certaines consignes, comme l'interdiction des appelants, prises en totale méconnaissance de la réalité du terrain. Vous avez répondu par avance à l'une de mes questions sur les appelants. Sur un autre point, je ne vois que trop ce qui se passera si les Français sont par trop sensibilisés à la nécessité de collecter les oiseaux morts : à chaque fois qu'un de ses administrés apportera un cadavre à la mairie, le maire, plutôt que de l'enterrer discrètement, préférera se retrancher derrière le principe de précaution et l'envoyer au laboratoire où afflueront des oiseaux morts dont l'analyse sera souvent inutile. Vous avez parlé d'un tri ; ne serait-il pas utile de commencer par un inventaire des animaux susceptibles d'être porteurs et de transmettre le virus, par exemple les canards ou les pigeons, au moins sous la forme d'une liste à diffuser aux maires afin qu'ils puissent effectuer un tri préalable ?

M. Jean-Roch GAILLET : Les maires sont en effet souvent mis sous pression à propos de toutes sortes de sujets, et celui-là en fera certainement partie !

Une réunion contradictoire aurait été à l'évidence bienvenue avant la prorogation de l'arrêté. Le ministère de l'agriculture y était tout à fait disposé, tant du côté de la DGAL que du cabinet ; mais du côté du ministère de l'écologie, cela n'a pas suivi.

Depuis 1986, le réseau SAGIR a acquis une certaine expérience en matière de collecte des oiseaux morts. Les trouver n'est finalement pas chose facile. Un oiseau mort n'est pas gros et la prédation est très présente : pour arriver avant le renard, il faut être assez bon... Ce dont nous sommes le plus submergés, ce sont les oiseaux qui ne présentent par avance aucun intérêt - celui qui s'est tué, par exemple, en percutant une vitrine. Mais, sur ce point, il y a eu une évolution du message : on nous dit maintenant qu'il l'a peut-être percutée parce qu'il avait l'influenza aviaire... Un premier tri serait toujours souhaitable : le bon sens existe toujours, même chez un maire d'une commune périurbaine ou urbaine, et la majorité d'entre eux calment le jeu...

M. François GUILLAUME : Mais les maires se méfient, à présent.

M. Jean-Roch GAILLET : De toute façon, nous sommes habitués à collecter, nous le ferons. Les agents techniques de l'ONCFS vont jusqu'à ramasser les cétacés lors d'échouages massifs alors que c'est totalement hors de leur champ de compétences. L'interlocuteur technique jouera le rôle de filtre pour ne pas submerger le laboratoire d'analyses inintéressantes. Dans chaque département, les services vétérinaires reçoivent des listes réactualisées en permanence, et les maires peuvent s'y référer : si des mortalités massives surviennent, le directeur départemental sera forcément amené à s'y intéresser.

S'agissant de l'inventaire des espèces à surveiller davantage, j'aurais dit la même chose que vous jusqu'à la fin août... Si les canards sont clairement des espèces à surveiller, force est de reconnaître que le H5N1 a tué en Croatie des cygnes captifs et le H7N7 en Italie principalement des dindes. Sans parler des pigeons à l'est de Moscou... L'éventail des oiseaux atteints est tel qu'il vaut mieux, en l'état actuel des mortalités, ne pas prendre de risque en écartant délibérément certaines espèces de ces inventaires. Il est plus sage de rester ouvert sur tous les oiseaux, non pas en application du principe de précaution, mais compte tenu du manque de données scientifiques. Les bécasses de Russie, indemnes, survolent la France et s'y posent pour rejoindre les Açores ; si je constatais une mortalité parmi les bécasses, j'aurais énormément de mal à en collecter une centaine, mais je ramasserais tout ce que je trouverais pour ne pas risquer de passer à côté d'un porteur de la maladie - sachant que, pour l'instant, on n'a encore jamais trouvé de H5N1 que sur des oiseaux sauvages morts.

M. Pierre HELLIER : Vous affirmez très clairement que les appelants ne feront jamais courir de risque d'intrusion du H5N1 ni dans les élevages avicoles ni dans les zones humides. J'aimerais en être certain. Si nous en avons réellement besoin comme sentinelles et si, en plus, ils ne font courir aucun risque, cela signifie que l'on s'est visiblement « planté » en les interdisant.

M. Jean-Roch GAILLET : Pour commencer, on n'a pas besoin de tous les appelants pour servir de sentinelles : il suffit de pouvoir en installer en quantité suffisante là où il faut. Ainsi, seule une distribution déterminée par tri statistique est nécessaire : dans le Nord Pas de Calais, en Picardie, il n'y a pas besoin de tous les appelants. Les éléments dont je vous ai fait état sont tirés d'une note préparée par M. Vallance, notre directeur des études et de la recherche, et moi-même, à destination du comité ORNIS du 14 novembre, lequel devait donner un avis au comité permanent CASA du 16 novembre ; mais je reconnais très honnêtement que les données scientifiques croisant appelants et problèmes sanitaires ne sont pas légion. Disons que cette note est l'application d'un bon sens vétérinaire...

M. Pierre HELLIER : C'est tout de même une affirmation forte...

M. Jean-Roch GAILLET : Mais qui reste de bon sens vétérinaire. Si, en revanche, la maladie arrive dans les élevages - c'est toujours par là qu'elle est arrivée -, toutes les mesures obligatoires du ministère de l'agriculture devront immédiatement s'appliquer et la chasse aussi bien que l'utilisation des appelants seront interdites dans les zones infectées comme dans les zones de surveillance ; le jogging et la promenade à cheval seraient aussi interdits ; comme en cas de fièvre aphteuse ou de peste porcine : la zone est bouclée. Là-dessus, il n'y a pas de discussion possible.

M. Pierre HELLIER : Le contact entre les appelants et les migrateurs n'est pas discutable, puisqu'ils ont précisément pour but de faire venir les oiseaux. Si un migrateur infecté est attiré par un appelant, il contaminera le plan d'eau...

M. Jean-Marie LE GUEN, Président, remplace Mme Bérengère POLETTI

M. Jean-Roch GAILLET : Je répondrai sur ce point à titre personnel, puisque je ne participe pas au comité d'experts sur la contamination des eaux. S'agissant de cette contamination par le virus influenza, on n'a rien relevé de ce genre lors des épizooties en Hollande ni en Italie. En revanche, un contact entre un oiseau migrateur malade et un appelant serait parfaitement possible, à ceci près que, pour l'heure, on n'a jamais trouvé d'oiseau migrateur vivant porteur du virus. Et un oiseau migrateur mort ne migre pas...

M. Pierre HELLIER : Il peut être un porteur sain.

M. Jean-Roch GAILLET : Avec le H5N1, il ne peut y avoir de portage sain sur un oiseau sauvage.

M. Pierre HELLIER et M. le Président : Ah bon ?

M. Jean-Roch GAILLET : Avec le H5N1 hautement pathogène, l'oiseau meurt.

M. Pierre HELLIER : Y compris le canard ?

Mme Bérengère POLETTI : Ce n'est pas ce qu'on nous a dit hier...

M. le Président : S'il y a eu des transferts du H5N1 par migrateurs, c'est bien qu'ils ont migré avec le virus, par définition ! C'est une tautologie !

M. Jean-Roch GAILLET : Peut-être, sur des zones très limitées, avec des élevages contaminés à proximité...

M. le Président : Absolument pas, la preuve en a été faite. Pendant très longtemps, ce débat a agité le monde vétérinaire, les uns soutenant que les migrateurs ne pouvaient pas être vecteurs du H5N1, les autres affirmant qu'au contraire, les migrations rendaient la chose possible. Le débat est désormais tranché : les migrations jouent bel et bien un rôle dans cette affaire.

Pour les appelants, le problème n'est pas qu'ils risquent d'être contaminés, mais qu'on les ramène à la ferme où ils pourront contaminer les volailles domestiques. Quant à votre comparaison avec l'Italie et la Hollande, elle n'est absolument pas adaptée : il s'agissait en quelque sorte de foyers sui generis, de mutations locales, alors que, dans le cas présent, nous sommes face à une infection mondiale, une « panzootie », avec des foyers disséminés un peu partout sur la planète et des oiseaux migrateurs d'ores et déjà porteurs avérés. Personne n'est certain qu'il ne se produira pas des attaques tout à la fois subreptices et simultanées. Il ne s'agit pas d'un foyer à un endroit, que l'on contingente et que l'on traite, mais d'une maladie qui se répand partout. Ce n'est pas du tout la même problématique.

M. Jean-Roch GAILLET : Pour une panzootie, elle ne se répand pas très rapidement...

Le contact entre oiseaux migrateurs et appelants est incontestable : c'est le principe même de cette chasse. Le seul risque possible serait celui d'une sorte de « passage de relais » d'oiseau à oiseau. On pourrait effectuer un test en injectant du H5N1 sur des oiseaux en conditions de laboratoire et voir combien de temps ils résistent ; en attendant, le virus n'a jamais été observé que sur des oiseaux migrateurs morts.

Il est, en revanche, un risque dont je veux bien discuter plus avant : celui du propriétaire d'appelants qui possède par ailleurs une basse-cour. De tout temps, et c'est expressément écrit dans le code rural, le mélange d'espèces sauvages et domestiques est interdit. On n'a pas le droit d'avoir des appelants au milieu d'une basse-cour. Cela dit, les difficultés que nous avons eues à répertorier les basses-cours montrent que la surveillance dans ce domaine n'est pas totale.

M. le Président : Nous avons tous en tête l'affaire des douanes britanniques, qui est un gag en soi, où des oiseaux en quarantaine, un perroquet et un serin, bien que séparés, se sont contaminés au H5N1 ! Il y a eu une promiscuité suffisante. Il faut espérer que nos agriculteurs seront plus vigilants que les douaniers britanniques...

M. Gérard DUBRAC : C'est sûr !

M. Jean-Roch GAILLET : Il n'en irait pas différemment au poste d'infection de Roissy : si les animaux mis en quarantaine sont bien isolés de l'extérieur, leur isolement intérieur, entre eux, est loin d'être garanti. Là où les Anglais se sont totalement « plantés », c'est sur le référencement des analyses : ils ont décelé la maladie sur le perroquet du Surinam avant de la découvrir sur les pinsons provenant d'Asie qui l'avaient contaminé ! Au final, tous sont morts...

M. Pierre HELLIER : Cela prouve bien que l'on peut trouver des porteurs pas trop malades.

M. le Président : Pas morts tout de suite, en tout cas.

M. Jean-Roch GAILLET : Mais ils avaient pris l'avion, dans une cage ! Cela n'a rien à voir avec un oiseau migrateur qui doit dépenser une énergie considérable pour voler sur des milliers de kilomètres.

M. le Président : Cette question est désormais réglée sur le plan scientifique : nos autorités vétérinaires elles-mêmes ont été obligées de valider l'hypothèse d'oiseaux migrateurs porteurs du H5N1.

M. Pierre HELLIER : Et contaminants.

M. Gabriel BIANCHERI : Les porteurs sains peuvent être des animaux guéris porteurs du virus ou bien des animaux résistants, mais hébergeant le virus. Le risque tient précisément à l'existence d'animaux qui, bien que ne développant pas la maladie, peuvent servir de véhicule au virus.

M. Jean-Roch GAILLET : Le portage sain du virus H5N1 hautement pathogène, en l'état actuel des connaissances, n'est pas envisageable.

M. le Rapporteur : Et d'un virus faiblement pathogène pouvant devenir hautement pathogène ?

M. Jean-Roch GAILLET : Une mutation est toujours possible, mais ce n'est pas la même chose. Est dit porteur sain un animal transportant le virus dont il ne souffre aucunement.

M. Pierre HELLIER : Reste qu'il existe une possibilité de contamination par les oiseaux migrateurs. Par conséquent, les appelants peuvent être contaminés, et contaminer le reste.

M. le Président : Force est de constater que le consensus au sein du monde vétérinaire n'existe pas. C'est bien dommage.

Monsieur, je vous remercie.

1 Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora - Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction.


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