Mercredi 8 février 2006

- Audition de MM. Bernard GOUGET, Jean-Robert CHEVALLIER et Mme Christine AMMIRATI, représentants de la Fédération hospitalière de France (FHF)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 8 février 2006)

Présidence de Mme Bérengère POLETTI, Vice-Présidente

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Pour évaluer l'état de préparation des établissements hospitaliers à la menace de pandémie, plusieurs d'entre nous se sont rendus dans les hôpitaux de nos circonscriptions, afin de voir quelles dispositions y avaient été prises pour se préparer au risque de grippe aviaire. Je vous poserai d'abord la question de l'organisation de l'hôpital en cas de crise sanitaire majeure. Pensez-vous que l'élaboration de plans de prévention doit se faire avant tout au niveau central, avec des déclinaisons locales, ou qu'il convient de laisser une substantielle marge d'appréciation aux établissements ?

L'urgence fait certes partie intégrante de la culture hospitalière, mais une pandémie grippale grave pose de nouveaux défis dans la mesure où le personnel n'y est plus seulement acteur, mais également, avec sa famille, victime potentielle. Le premier défi à relever sera celui de la mobilisation des personnels. Les mesures annoncées vous paraissent-elles, à cet égard, suffisamment protectrices pour les personnels et leurs familles ?

Le recours à la télémédecine serait un moyen simple d'éviter la contagion. Avez-vous envisagé d'organiser, via Internet, un système de consultation propre à éviter un afflux aux urgences ?

Une des principales difficultés nous semble résider dans l'insuffisante coordination entre la médecine hospitalière, publique ou privée, et la médecine libérale. Qu'en pensez-vous ?

M. Bernard GOUGET : La Fédération hospitalière de France représente l'ensemble de l'hospitalisation publique et des établissements médico-sociaux. Je suis venu accompagné de Mme Christine Ammirati, du CHU d'Amiens, coordonnatrice du pôle d'urgence et SAMU, et de M. Jean-Robert Chevallier, directeur par intérim du centre hospitalier de Blois, mais également directeur des ressources humaines et directeur de la stratégie des affaires médicales.

La FHF a été très tôt impliquée dans la gestion des crises et des risques. Elle a notamment été partie prenante dans l'élaboration des plans blancs dont se sont dotés tous les établissements publics, et dont le plan « grippe aviaire » n'est, finalement, qu'une déclinaison sous forme d'annexe. La montée en puissance de la sensibilisation de nos établissements est effective depuis 2004 et nous avons joué le rôle de promoteurs de la mise en œuvre des plans blancs, par le biais de nos réseaux et d'une série de manifestations.

S'agissant du problème plus spécifique de la pandémie grippale, il est essentiel, avant tout, de bien informer le public, sans l'affoler. Nous travaillons en relation avec le cabinet du ministre de la santé, où j'ai toujours trouvé sur ces sujets une écoute favorable.

La France a fait figure d'exception en mettant en place, la première, un délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, ce qui nous a donné une incontestable avance, sur le plan de la coordination, au niveau européen. Nous entretenons des relations très suivies avec M. Didier Houssin, le délégué interministériel, de même qu'avec le département des urgences sanitaires. De la même façon, la DHOS, dont vous avez déjà auditionné le directeur, nous a très tôt sollicités afin de disposer de référents dans chaque groupe de travail. Nous avons également participé, avec la DGS, à la déclinaison d'une série de fiches de recommandations dans les établissements médico-sociaux auxquels il faudra être particulièrement attentifs, compte tenu des populations fragilisées qu'ils accueillent.

La Fédération hospitalière de France entretient également des contacts réguliers avec les structures nationales de gestion, d'appui et de décision, à commencer par l'Institut de veille sanitaire. Il est essentiel de vérifier au jour le jour la situation sanitaire au plan international : de janvier 2004 au 3 février 2006, 161 cas dûment déclarés ont été recensés, qui ont donné lieu à 86 décès ayant tous reçu une confirmation virologique, sans aucun cas de contamination interhumaine. Nous sommes donc toujours en phase dite 3A.

La FHF s'est également donné les moyens d'assurer une veille au niveau européen, grâce à ses contacts réguliers avec les directions européennes et internationales, plusieurs réseaux de surveillance épidémiologiques, en particulier, et le centre européen de prévention et de contrôle des maladies, inauguré en 2005 ; nous avons également été consultés sur le Règlement sanitaire international.

Grâce à l'encadrement et aux contacts qu'elle a su mettre en place, la FHF bénéficie d'un environnement institutionnel assez favorable. La question est de savoir comment le décliner au niveau national et au niveau local. L'hôpital public se considère comme le fer de lance dans toute démarche de gestion des crises. Capable de mobiliser tant ses personnels que les énergies, il répondra présent dans toute situation de crise grave.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : L'hôpital public a réalisé, durant ces cinq ou six dernières années, d'exceptionnels efforts dans le domaine de la prévention et de la gestion des crises. La DHOS s'est attachée à promouvoir cette thématique que les hôpitaux ont aujourd'hui parfaitement intégrée. L'hôpital apparaît donc beaucoup mieux préparé à une situation de crise qu'il ne l'était voilà cinq ans. L'est-il parfaitement ? Il serait présomptueux de l'affirmer. Il est de fait que chaque établissement dispose désormais d'un plan blanc, c'est-à-dire d'un document de nature à mobiliser des moyens à caractère exceptionnel pour faire face à des situations exceptionnelles. Il est vrai que ces plans blancs sont habituellement déclenchés à l'occasion de circonstances du type accidents de la route, et que l'hôpital public n'a encore jamais été confronté à une pandémie telle que celle envisagée. La question est donc de savoir comment adapter le plan blanc de chaque établissement à la spécificité de la grippe aviaire.

Un point, en particulier, mérite d'être souligné : la durée de la phase épidémique. On estime que la pandémie pourrait se traduire par deux ou trois vagues de douze semaines chacune. Il est impossible de savoir aujourd'hui comment les professionnels et l'organisation hospitalière pourront répondre dans les meilleures conditions, et aussi longtemps. C'est là une inquiétude face à laquelle il est encore difficile d'apporter la moindre assurance.

Pour l'heure, les réflexions de l'hôpital public s'organisent autour de deux champs : la prise en charge des patients atteints de grippe aviaire et la protection des personnels. Le but est de se mettre en situation de garantir que l'ensemble des professionnels hospitaliers pourra travailler dans des conditions de sécurité maximale : les procédures traditionnelles d'isolement, la mise à disposition de masques, etc. sont autant d'aspects d'ores et déjà maîtrisés.

Au-delà de la sécurité des personnels, il faut revenir sur le problème de leur mobilisation. Lorsqu'il s'agit de faire face à un afflux de victimes suite à un accident d'autoroute, par exemple, l'ensemble des professionnels a coutume de se mobiliser instantanément. Jamais on n'en a vu un faire mine de se retirer ou de se désintéresser de la question. Lors de la canicule, beaucoup d'agents sont revenus spontanément de leurs congés, sans même qu'on les rappelle. Mais qu'en sera-t-il douze semaines durant et trois fois de suite ? On peut imaginer qu'il y aura là, fatalement, pour les personnels, un élément de conflit entre des considérations professionnelles et le souci de préserver sa famille. Force est de reconnaître que ce point doit encore être travaillé car, si la mobilisation des personnels sur un mois est totalement acquise, est-elle raisonnablement possible durant trois fois douze semaines ?

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : D'autant qu'en cas de pandémie se posera pour eux le problème de la garde des enfants à la maison, par exemple.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : Exactement. C'est bien pour cela qu'il faut s'attendre à un conflit d'intérêts entre exigences professionnelles et vie familiale. Les personnels ne seront-ils pas amenés à faire des arbitrages différents de ceux qu'ils réalisent lors de mobilisations d'une autre nature ? Ne vont-ils pas vouloir connaître la nature du risque auxquels ils s'exposent en se rendant à l'hôpital, et craindre surtout de mettre la vie de leurs enfants en danger ? Je parle cette fois-ci en tant que DRH : toute la problématique sera de pouvoir, les yeux dans les yeux, garantir aux gens qu'ils ne prendront pas de risques ni pour eux ni pour leur famille, et s'assurer que tel sera bien le cas. Or, à ce jour, ce serait mentir que de le garantir à 100 %. Nous travaillons tous les jours pour parvenir à cet objectif qui nous tient particulièrement à cœur. À côté de la prise en charge des patients, la protection des personnels est l'autre aspect essentiel de la préparation des hôpitaux à la grippe aviaire.

M. le Rapporteur : J'ai visité le centre hospitalier de Chartres, où le plan est bien avancé ; mais, de l'avis même de son directeur, le risque d'absentéisme reste un motif d'inquiétude. Est-on sûr de pouvoir joindre les agents sur leurs portables en cas de besoin ? Vous-mêmes, organisez-vous des rendez-vous réguliers d'information du personnel ? Est-il envisagé d'utiliser le Tamiflu à titre préventif ? Un certain nombre d'hospitaliers nous ont dit constater un manque de coordination entre la médecine hospitalière et la médecine libérale. Avez-vous pu resserrer ce lien dans votre hôpital, de même qu'avec le SAMU, le centre 15, les transporteurs, etc. ?

M. Bernard GOUGET : Les fiches de recommandation ont décliné de façon exhaustive toutes les questions liées au recensement du personnel, aux suppléances et au corps de réserve sanitaire. Subsistent quelques interrogations à propos du taux d'absentéisme, estimé dans certains scénarios à 30 %, voire à 50 %, ce qui amène à s'interroger sur l'évolution de l'organisation du travail au sein des hôpitaux.

Cela dit, il ne faudrait pas que le problème de la grippe aviaire occulte le fait que nos personnels de santé travaillent d'ores et déjà à soigner des pathologies dangereuses ; autrement dit, ils sont habitués à faire face à des risques graves. Il faudra mettre l'accent sur les bonnes pratiques d'hygiène. De nombreux établissements se sont déjà engagés dans la démarche de l'indicateur composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales. Nous avons souhaité appuyer ces actions de formation d'information des personnels auprès notamment de la DHOS ; encore faudra-t-il trouver des financements associés, car tout cela a un coût, et également voir ce qu'il en est dans les petits établissements médico-sociaux qui accueillent des populations âgées, souvent dépendantes et fragilisées. Il ne faudrait pas que ces petits établissements envoient directement les patients vers l'hôpital au risque de créer une obstruction catastrophique. Mme Ammirati vous parlera tout à l'heure des centres 15 et des efforts que nous menons pour que les plans mis en œuvre par l'hôpital public ne soient pas des modèles propriétaires, mais bien des schémas harmonieux et coordonnés au niveau d'un territoire de santé, quitte à les tester segment par segment afin d'en vérifier la complémentarité et d'être sûr d'être en mesure de répondre de façon adaptée le jour où la crise surviendra.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : La problématique de la grippe aviaire sera de savoir comment faire face à un afflux très significatif de victimes, avec beaucoup moins de personnels. Aussi envisageons-nous de déprogrammer très largement les activités médicales et chirurgicales qui peuvent l'être afin de concentrer les moyens là où ils seront les plus utiles.

Pour ce qui est des numéros de téléphone, peut-être serai-je plus optimiste que le rapporteur ; dans mon centre de Blois, qui compte 2 400 salariés, je dispose des 2 400 numéros, fixes et portables : il n'en manque pas un seul et je n'ai jamais vu un professionnel, médecin ou autre, refuser de me donner son numéro de portable pour quelque motif que ce soit, précisément parce que nous nous sommes efforcés ces dernières années de sensibiliser les professionnels à la thématique de la prévention et de la gestion de crise. Nous leur expliquons que si nous leur demandons leur numéro de portable, c'est pour le jour où nous devrons peut-être les mobiliser pour faire face à une situation tout à fait exceptionnelle. Lorsque nous le leur expliquons ainsi, ils n'hésitent pas une seconde.

Notre mission est d'essayer de sensibiliser petit à petit nos personnels à la façon dont l'hôpital devra s'organiser, en explicitant sereinement nos orientations. C'est ce que je faisais hier après-midi dans le cadre des comités techniques d'établissement, où siègent les organisations syndicales : toutes tendances confondues, elles étaient très intéressées. Elles seront bien entendu étroitement associées : nous avons besoin de la contribution de chacun.

M. le Rapporteur : Quelle est leur réponse ? Se sentent-elles impliquées dans votre plan ou le considèrent-elles comme hypothétique ?

M. Jean-Robert CHEVALLIER : À titre individuel, chacun a le droit, et nous le respectons, de penser que cela arrivera ou que cela n'arrivera pas. Mais collectivement, on ne peut s'offrir d'alternative. Lorsque l'on travaille à l'hôpital, on n'a pas le droit de dire : « je ne sais pas. » On est obligé de construire collectivement une réponse et les professionnels sont parfaitement d'accord pour examiner tous les scénarios. Ils restent toutefois dans l'expectative en constatant la multiplicité et la variété des hypothèses, au point que l'on a parfois du mal à répondre à toutes les questions. Ainsi, les modalités d'organisation d'un site de psychiatrie en cas de grippe aviaire n'ont rien à voir avec les dispositions à mettre en œuvre en pédiatrie, en chirurgie ou aux urgences. Le champ à explorer est immense et c'est, pour l'hôpital public, autant de défis à relever.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Les personnels ont-ils juridiquement la possibilité de refuser d'accomplir leur service au motif que leur santé serait gravement exposée ?

M. Jean-Robert CHEVALLIER : Oui. Le droit de retrait est prévu par le code du travail, et celui-ci s'applique à l'hôpital public. Cela dit, si un cuisinier peut refuser de travailler devant une marmite qui fuit, il est plus difficile pour un professionnel de soin d'exprimer ce droit de retrait dans la mesure où la matière est beaucoup plus complexe. Mais si, d'aventure, l'hôpital n'avait pas la possibilité de proposer les masques et les gants nécessaires tout au long des douze semaines pour cause d'épuisement du stock, les professionnels pourraient logiquement être amenés à faire valoir leur droit de retrait, ce qui créerait des difficultés d'une exceptionnelle gravité.

Mme Christine AMMIRATI : L'information des personnels hospitaliers est une nécessité absolue, tant sur ce que l'on sait que sur ce que l'on ne sait pas. Dans mon CHU d'Amiens, nous organisons régulièrement des réunions avec le personnel ; nous en aurons bientôt une avec les « référents plan blanc » de chaque service pour faire le point sur l'état de nos connaissances. Une information régulière est indispensable pour que tout le monde ait le même niveau d'information. Rappelons que bon nombre de personnels de santé sont quotidiennement confrontés à des problèmes infectieux graves et contagieux, sans même parler du purpura fulminans, et ne se posent pas pour autant la question d'une éventuelle contagiosité familiale, tout simplement parce que des mesures-barrières ont été prises, parce qu'ils savent clairement ce que sont ces pathologies. Si nous parvenons à en faire autant pour la grippe aviaire, la mobilisation des agents en sera facilitée.

Cette question de la protection de l'entourage familial, comme toutes les interrogations sur la grippe aviaire, se pose pour tous les personnels, y compris les professionnels libéraux ; j'ai pu le constater hier lors d'une réunion sur la formation des généralistes. La mobilisation de tous les acteurs de santé, publics comme privés, sera fonction de la réponse qu'ils pourront apporter à la question : « Que faire pour les miens ? »

Pour ce qui est de la coordination entre la médecine de ville et l'hôpital, il nous paraît primordial que la régulation des médecins généralistes s'effectue aux côtés de la régulation des médecins hospitaliers au SAMU-Centre 15. Le principe du lieu unique est gage de réussite et a déjà fait la preuve de son efficacité. Dans notre département, les médecins généralistes régulent à nos côtés ; nous avons organisé une formation des libéraux et notre entente est cordiale. Lors de l'épisode du SRAS, c'est un médecin généraliste qui a reçu un appel pour un patient suspect, et c'est précisément parce que nous étions côte à côte que nous avons pu l'isoler et prendre toutes les mesures nécessaires. Il en est de même avec les méningites. Ce qui doit marcher demain doit marcher aujourd'hui et c'est dès à présent que nous devons construire ce maillon ville-hôpital ; or un des points d'ancrage se situe clairement au niveau de la régulation.

Un comité de pilotage a été installé au niveau de chaque département, sous l'égide de la DDASS, comprenant l'URML1, SOS Médecins et les maires, afin de mettre en place des groupes de travail et d'améliorer les relations et la coordination entre la médecine libérale et l'hôpital. Il est prévu un CODAMUPS2 d'ici peu. Les groupes de travail commun doivent réunir tout à la fois le milieu hospitalier et les acteurs de santé libéraux : médecins généralistes, kinés, infirmières, sans oublier les pharmaciens, et les transporteurs sanitaires publics et privés. De l'harmonisation des actions de chacun dépendra la pertinence de la réponse à la crise potentielle de demain.

Cela suppose un tronc de formation identique : nous devons parler le même langage. Nous avons fait parvenir, en décembre, un diaporama à tous les établissements sièges de SAMU et de centres d'enseignement des soins d'urgence - les écoles des SAMU - afin que toute formation sur la grippe aviaire fasse appel à des mots communs, à un langage commun, à une pratique commune. Partir dans tous les sens, avec des conduites à tenir différentes, ne peut qu'être source de rumeurs et de désinformation.

Ce qui m'interpelle enfin, c'est le rôle du citoyen en tant qu'acteur de santé. Le plan pandémie canadien, par exemple, reconnaît clairement le citoyen comme le troisième acteur, à côté des médecins libéraux et de l'hôpital, public ou privé. Le citoyen est, à l'évidence, le troisième maillon de la chaîne, sinon le premier. Il nous paraît important de l'informer peu à peu sur la conduite à tenir. La télémédecine nous a jusqu'à présent servi, dans la régulation, à traiter un certain nombre de cas au téléphone ; désormais, il va falloir que nous soyons partenaires, avec le secteur libéral, mais également avec le citoyen. À l'exemple du Canada, nous avons tout intérêt à inciter chaque citoyen à prendre en charge sa maladie dans ses formes les plus bénignes et à adopter les mesures de protection nécessaires. Si le citoyen ne sait pas ce qu'il doit faire pour, d'abord, ne pas être contaminé, ensuite ne pas contaminer les autres, l'hôpital risque davantage encore d'être dépassé et les médecins libéraux totalement débordés. La première mesure-barrière se situe au niveau du citoyen lui-même.

Une série de problèmes techniques restent à résoudre pour ce qui est de la télémédecine. Premièrement, il faudrait, au-delà des moyens humains, trouver une possibilité technique pour re-router les appels aux centres 15 vers une cellule d'expertise et d'appui en fonction de la demande ; le serveur vocal pourrait être une solution parmi d'autres, qu'il faut en tout cas étudier rapidement. Deuxièmement, nous devrions chercher à utiliser les possibilités de « visio » désormais offertes par les téléphones portables afin de réellement voir le patient, ce rendrait la régulation beaucoup plus pertinente qu'avec un simple échange téléphonique. Cette solution n'est pas techniquement évidente, mais elle serait très intéressante : la télémédecine avec webcam n'est pas toujours évidente, notamment dans le cas de personnes âgées.

Enfin, il nous paraît fondamental de maintenir les réseaux de prise en charge des personnes isolées, en particulier les CLIC3 qui, dans certains départements, ont disparu une fois passée la canicule. C'est dommage : c'était un bon moyen d'assurer la prise en charge à domicile et le lien ville-hôpital.

M. le Rapporteur : Les inquiétudes que nous avons ressenties chez les personnels soignants sont parfaitement compréhensibles : 50 % de cas mortels recensés dans le monde...

M. Gérard BAPT : Surtout chez des jeunes.

M. le Rapporteur : Effectivement. On comprend, dès lors, qu'une mère de famille puisse hésiter à rentrer chez elle après s'être occupée de cinquante ou soixante personnes dans son service... Peut-on imaginer que le personnel reste dormir sur place, sans rentrer chez lui, pendant quelques jours ? Cette solution a-t-elle été proposée par les personnels ou par la direction ?

M. Jean-Robert CHEVALLIER : L'idée de maintenir les personnels sur le site a été envisagée ; nous avons, à Blois, un foyer d'une centaine de chambres à l'école d'infirmières. Les cours étant évidemment interrompus en cas de grippe aviaire, les chambres seraient disponibles. Mais est-il raisonnable d'éloigner quelqu'un de ses enfants douze semaines d'affilée ? Objectivement non.

M. le Rapporteur : Certes, mais ces questions se poseront tôt ou tard.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : La préparation du plan doit s'effectuer au niveau central et au niveau local. Les établissements ont jugé très précieux les travaux réalisés par la DHOS, particulièrement les documents distribués récemment qui sont, pour nous, des guides de réflexions propres à nous faciliter grandement la tâche. À charge pour nous évidemment de décliner ensuite ces orientations générales en fonction de nos spécificités et de notre culture locale.

N'oublions pas que ce défi de la préparation de l'hôpital public à la grippe aviaire nous est lancé alors que le passage à la tarification à l'acte - la T2A - vient totalement révolutionner le fonctionnement hospitalier. Nous sommes en train de construire des hôpitaux autour de pôles d'activité et non plus de services. Tout cela représente beaucoup de sollicitations pour l'ensemble des professionnels, amenés à réfléchir et à faire avancer de concert tous ces projets concomitants.

La communication au plan national sera un élément déterminant si, d'aventure, la pandémie survenait : tout dépendra de la capacité à fournir une information de nature à convaincre les gens de ne pas se précipiter à l'hôpital. Ce sera essentiel dans la mesure où, à notre niveau local, nos moyens de communication en direction de la population se limiteront tout au plus à un article dans le journal local...

M. le Rapporteur : Et ce n'est pas votre rôle !

M. Jean-Robert CHEVALLIER : En effet.

M. Gérard BAPT : Nous avons déjà été alertés sur les problèmes de personnels, de fonctionnement, de budget, etc... dans les hôpitaux. Un dialogue s'est-il établi entre la FHF, le ministère de la santé et la CNAM sur la question des moyens, y compris lorsqu'il s'agit d'épauler le personnel en cas de pandémie durable ?

M. Bernard GOUGET : À chaque fois que le sujet a été abordé, notre ministre nous a assuré que le problème financier n'en était pas un et que les hôpitaux seraient correctement pourvus. Nous pouvons donc lui faire confiance, penser qu'il saura prendre conscience des enjeux et faire en sorte que le système de santé soit suffisamment flexible et adapté pour répondre à la pandémie grippale, et qu'il dispose des moyens associés. Cela dit, le montant de la dotation accordée à l'ensemble des hôpitaux n'est pas sans nous inquiéter.

Vous recevrez bientôt la fédération de l'hospitalisation privée ; rappelons que toutes les fédérations sont présentes au sein des groupes de travail, mais que la FHF y fait figure de moteur. Ce sont les principaux acteurs du secteur public qui ont décliné l'ensemble des fiches de recommandation, certes en coordination et en bonne entente avec leurs partenaires ; il reste que l'hôpital public a joué un rôle véritablement moteur et novateur. La déprogrammation des activités, nous savons faire ; nous avons su répondre, lors d'inondations, au besoin de récupérer les malades des cliniques en situation difficile. Il ne s'agirait pas que l'hôpital public, après s'être comporté de façon plus qu'honorable lors des précédentes catastrophes, se retrouve aujourd'hui pénalisé par la lourdeur du système et que le secteur privé en profite pour récupérer des parts de marché... Nous entendons que la règle du jeu ne nous mette pas en difficulté et que nous puissions répondre, comme nous savons le faire, avec des moyens financiers et humains adaptés.

Le fait que nous soyons venus devant vous accompagnés de représentants de nos centres hospitaliers et de nos CHU traduit la capacité de la FHF à communiquer avec ses unions et ses régions. Nos permanents au siège, nos délégués aux unions et nos délégués régionaux sont constamment informés du degré d'avancement de tous les groupes de travail. Cette communication est à double sens : si elle part des conclusions des groupes de travail, elle est aussi facilitée par les retours d'expérience. Nous avons ainsi mis en place un système d'alerte qui nous permet de savoir si une structure est en retard ou en difficulté pour mettre son plan en œuvre.

Mme Ammirati a parlé des nouveaux outils de communication et des enjeux de la télémédecine. Certains programmes européens ont été engagés sur le thème de l'« e - santé », considérée comme un fer de lance pour améliorer la qualité des soins, la qualité de vie et la performance des systèmes de santé. Malheureusement, la France reste sur ce plan dans une situation très ambiguë et prend un sérieux retard. Nos collègues britanniques et danois ont mis en place des portails santé ; la FHF songe à en faire de même, car c'est un excellent moyen de communication. Nous avons un plan national sur l'amélioration de la qualité de vie et sur la maladie chronique ; des relais d'information et de communication à distance permettraient une meilleure prise en charge de la pathologie et donc une meilleure qualité de vie. Les exemples du Canada ont montré que la mise en réseau amenait une diminution de la mortalité. Nous avons donc tout lieu d'appeler à une montée en puissance de la santé en ligne.

La démarche fédérative, en termes de réseaux, a montré qu'elle fonctionnait. L'hôpital public se mobilise fortement afin d'être prêt. Il reste encore des efforts à faire ; nous avons le temps pour cela et nous pouvons nous féliciter de pouvoir mener un dialogue de qualité, dont cette audition est encore une illustration. En tant qu'élus, vous avez partagé notre ressenti et compris l'importance des problèmes de communication et d'éducation citoyenne, afin que la mobilisation des professionnels aille de pair avec l'information des citoyens qu'il faut à tout prix éviter de paniquer. Il faudra désormais songer à nous tester en organisant des exercices, déclinés segment par segment, à tous les niveaux. Là encore, il faudra encourager la mutualisation des moyens en direction des maisons de retraites, des EHPAD et autres petites structures au personnel réduit. Nous avons encore quelques inquiétudes à ce sujet, en termes de régulation.

S'agissant de la suppléance des personnels, on a parlé du droit de retrait ; n'oublions pas toutefois que les médecins sont, pour ce qui les concerne, astreints à un code de déontologie qui ne reconnaît pas le droit de retrait.

M. le Rapporteur : Vous venez de nous répondre sur les relations entre la FHF et la FHP, la Fédération de l'hospitalisation privée ; comme nous recevrons cette dernière bientôt, nous ne manquerons pas de lui poser les mêmes questions... Il est effectivement prévu que les activités déprogrammées puissent être confiées au secteur concurrentiel ; si j'ai bien compris, cela semble poser problème.

M. Jean-Robert CHEVALLIER : Nous disons simplement que si l'hôpital public doit déprogrammer, l'hôpital privé doit lui aussi déprogrammer.

M. le Rapporteur : Pour éviter tout effet d'aubaine ?

M. Jean-Robert CHEVALLIER : Absolument.

M. le Rapporteur : Il faut garantir de bonnes relations au sein du secteur hospitalier, dès l'instant où l'épidémie concernera tout le monde. Nous prenons bonne note de votre remarque et nous interrogerons la FHP.

M. Bernard GOUGET : Nous en discutons au sein des groupes de travail. Nous devons faire en sorte que l'hôpital public ne se retrouve pas pénalisé au détour de la crise.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Le directeur de l'hôpital de ma ville m'a assuré que son plan blanc était prêt et envisageait même un exercice grandeur nature. Les exercices se dérouleront-ils dans le cadre d'une journée nationale ou seront-ils organisés à l'initiative de chaque établissement ?

Il m'a également posé la question de l'isolement des patients en cas d'afflux massif. Il y a lieu d'en discuter avec les collectivités locales. A-t-on exploré les voies d'une coopération entre les collectivités territoriales et l'hôpital, notamment public ? Les maires devraient d'ores et déjà réfléchir aux locaux qu'ils pourraient éventuellement libérer à proximité des hôpitaux.

Je veux à mon tour insister sur la nécessité de parler aux citoyens, sans pour autant savoir quel sera le moment et la forme les plus appropriés pour éviter tout mouvement de panique. Il y a lieu, en tout cas, d'y réfléchir dès à présent et en toute sérénité. Et lorsque la crise aura éclaté, l'action des médias devra être assortie d'un mode d'emploi. Je sais, pour avoir vécu le drame de Nanterre, combien leur rôle peut être catastrophique : les médias se sont comportés de façon proprement odieuse à l'égard notamment de certaines familles. L'irresponsabilité dont ils font souvent preuve pourrait, dans une situation de crise, devenir excessivement dangereuse. Tout en restant fermement attachée au sacro-saint principe de la liberté d'information, je pense qu'il aurait lieu de réfléchir, avec les autorités sanitaires, à la forme des communiqués afin d'éviter les difficultés liées à des informations contradictoires ou sensationnelles.

M. Jérôme BIGNON : La mission a souhaité que ces auditions soient ouvertes à la presse, et il faut reconnaître que notre coopération a été très positive dans la mesure où elle a su relayer les informations que nous fournissaient nos interlocuteurs, aidant du même coup à l'information citoyenne dont parlait Mme Ammirati. À ce stade de nos travaux, les médias ont su adopter un comportement très mûr et responsable, a fortiori sur un sujet où il est très difficile d'informer sans paniquer. Si les gens comprennent au moins que l'épizootie n'est pas la pandémie, ce sera déjà un gros progrès de fait. Les travaux de notre mission me laissent à cet égard une impression des plus favorables : ils démontrent qu'il est possible de travailler de façon parfaitement transparente, sans prendre de risques et en suivant un schéma moderne et adapté. On ne peut évidemment exclure quelques dérapages, mais le bilan m'apparaît tout à fait positif.

Au niveau local également, j'observe que la presse de la Somme, en tout cas, s'est comportée de la manière la plus clean et la plus responsable qui soit : zéro faute... J'ai par ailleurs été extrêmement frappé par l'attente de nos concitoyens. Apprenant que j'étais membre de la mission et que j'avais visité le CHU d'Amiens à cette occasion, les gens n'ont eu de cesse de m'interroger. Ajoutons que la Somme étant une terre de migration d'oiseaux, les gens ont un niveau de sensibilité peut-être supérieur à la moyenne, et particulièrement dans la circonscription que je représente... De mon côté, je ne leur ai jamais refusé cette information, que j'estime de mon devoir de leur donner. J'ai relevé chez mes concitoyens, premièrement, une extrême attention, deuxièmement, pas la moindre conversation type « café du commerce », troisièmement, une demande de compléments. Beaucoup m'ont suggéré d'organiser des réunions d'informations sur ce sujet. J'ai ressenti une réelle volonté de participation, de transparence, de compréhension d'un phénomène qu'ils jugent, sous l'effet de la réduction médiatique, traité de façon un peu courte. Ils ont besoin qu'on prenne le temps de les informer. Je n'ai pas encore organisé de réunion, mais je crois qu'il serait intéressant de le faire. Je vais essayer de m'y employer : c'est un vrai beau sujet citoyen sur lequel on peut préparer l'opinion publique sur le long terme, tout comme nous devons préparer le couple hôpital public-médecine libérale. Nous résoudrons beaucoup mieux le problème, s'il vient à se présenter, avec un citoyen informé et préparé, et il ne nous le reprochera pas. Mon témoignage est certes très différent de celui de Mme Fraysse mais que je comprends parfaitement, après l'expérience qu'elle a vécue.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Je suis, pour ma part, d'accord avec les deux interventions. La presse a su faire preuve sur cette affaire d'un comportement tout à fait responsable, tant au niveau national qu'au niveau local, mais cela n'a pas toujours été le cas lorsqu'il s'est agi d'un événement majeur ou sensationnel. La survenue d'une pandémie pourrait de la même façon donner lieu à des dérapages.

M. Bernard GOUGET : L'exercice national est toujours programmé pour le mois de mars, comme annoncé par le Premier ministre. Il sera suivi de déclinaisons régionales et départementales. Pour l'heure, chaque établissement est amené à tester le caractère opérationnel de son dispositif.

Pour ce qui est de l'éventuelle organisation de locaux-relais, le maire étant le président du conseil d'administration de l'hôpital public, il est totalement associé à la recherche de solutions en cas de situation dégradée. Le responsable de la cellule dite de gestion des risques et crises est amené à se demander comment, sur un territoire de santé donné, on peut dégager à titre transitoire des locaux de substitution et des structures intermédiaires ; cette question s'intègre exactement dans la même problématique que celle de l'adéquation des personnels susceptibles de prendre le relais.

Pour ce qui est de la communication, un effort a été réalisé au niveau central à travers les différents sites institutionnels, dont Infogrippe. De son côté, la FHF diffuse à l'intention des journalistes un bulletin, L'Essentiel de l'Hôpital, qui paraît toutes les six semaines environ et a pour but de les sensibiliser à des questions d'actualité. Sans chercher à maîtriser l'ensemble de la communication, nous essayons de faire passer des messages à leur juste valeur à travers un réseau de journalistes. En retour, ceux-ci nous sollicitent à chaque fois que se produit un événement pour s'assurer de la validité de leurs informations - cela se passe très bien et nous avons pu le tester en début de semaine à propos des infections nosocomiales. Enfin, dans le cadre de nos manifestations, et notamment Hôpital Expo-Intermédica en mai, nous ménageons un lieu de parole sous la forme d'un plateau multimédia et d'un espace spécifiquement organisé pour le grand public afin d'informer l'ensemble de nos concitoyens.

Mme Christine AMMIRATI : Mme Fraysse a parfaitement raison : lors d'une crise sanitaire, l'interlocuteur de proximité reste le maire, le pharmacien, le médecin, l'infirmière libérale. Il est donc essentiel de donner une information commune à tous les maires, à ceux qui président nos conseils d'administration comme à ceux des petites communes rurales.

Dans le domaine de l'information citoyenne, nous avons été plusieurs à commencer à apposer dans nos salles d'attente - les cliniques privées qui travaillent avec nous en font autant, et SOS médecins le fera bientôt - une affiche incitant dès à présent les patients à mettre un masque et à se laver les mains sitôt qu'ils toussent et ont de la fièvre. Il ne nous paraît pas logique d'attendre que l'épidémie soit là pour commencer l'action d'éducation et d'information. Nous avons donc installé cette affiche dans le hall d'accueil du CHU d'Amiens, les hôtesses d'accueil ont été informées et formées pour rassurer et donner les explications nécessaires et nous en évaluerons l'impact auprès de nos visiteurs. Nous ne nous faisons guère d'illusions : le geste de mettre un masque et de se laver les mains n'est pas encore totalement entré dans la mentalité française... Au Canada, on le dit avec beaucoup moins de fleurs : « Vous toussez et vous avez de la fièvre ? Prenez un masque et lavez-vous les mains ! » Chez nous, cela reste du genre : « Halte à l'infection, merci de demander à l'hôtesse d'accueil... », mais le principe est le même. Il faut commencer dès maintenant pour le faire entrer progressivement dans les mœurs. Il en va exactement de même pour les règles d'hygiène dans les établissements.

Il est difficile d'aller à l'encontre des pratiques habituelles : les gens ont tendance à venir de plus en plus à l'hôpital et surtout aux urgences ; or, en cas de pandémie grippale, il faut surtout qu'ils n'y viennent pas ! D'ores et déjà, nombre de pathologies peuvent être traitées à domicile sans qu'il soit besoin d'encombrer les urgences, mais c'est là une autre réflexion à mener. En tout état de cause, nous ne gagnerons demain que si nous nous préparons aujourd'hui.

M. Bernard GOUGET : Toujours à propos de communication, nous travaillons en étroite collaboration avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'INSEPS, qui publie et met en ligne une série de fiches techniques sur le H5N1, extrêmement claires, didactiques et pédagogiques. C'est là un moyen tout à fait adapté de communication en direction des professionnels comme du grand public. Des efforts similaires s'imposeront, le moment venu, avec d'autres supports de communication. Là encore, des groupes de travail mènent à bien leur tâche en symbiose avec l'ensemble des acteurs.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Madame, Messieurs, nous avons bien senti à quel point vous vous sentiez impliqués dans ce dossier et dans la préparation des centres hospitaliers. Peut-être reste-t-il à resserrer le lien entre l'hôpital public et les acteurs libéraux et privés. Je vous remercie.

1 Union Régionale des Médecins Libéraux.

2 Comité départemental de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires.

3 Centre local d'information et de coordination gérontologique


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