Mercredi 15 février 2006

- Audition de M. Jean-Marie PAULOT, Directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation Nord - Pas-de-Calais, accompagné du docteur Patrick GOLDSTEIN, chef du SAMU du Nord, de Mme Martine DENEU, référent régional grippe aviaire pour l'ARH et le Préfet, et du docteur Marie-Pierre VILLARUBIAS, chargée de mission Urgences

Compte rendu de la réunion du mercredi 15 février 2006

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Mesdames, Messieurs, nous vous remercions de venir nous informer sur l'état de préparation et plus généralement sur les méthodes de l'ARH du Nord - Pas-de-Calais. Notre mission a pour tâche de contrôler l'action gouvernementale, mais également de participer à l'information de nos concitoyens ; c'est pourquoi nos réunions sont publiques.

La première étape de notre réflexion, qui a fait l'objet d'un premier rapport, était axée sur l'évaluation des moyens médicaux dont notre pays devrait disposer pour faire face à un risque éventuel de pandémie. Nos travaux ont ensuite porté sur l'épizootie aviaire, actuellement sous les feux de l'actualité. Ils ne sont pas terminés mais nous abordons concomitamment l'examen du « Plan Pandémie » du Gouvernement dans sa nouvelle version, en nous focalisant dans un premier temps sur la question hospitalière ; plusieurs de nos collègues se sont rendus dans des hôpitaux de leurs circonscriptions pour en évaluer l'état de préparation. C'est dans ce contexte que nous avons souhaité entendre un directeur d'agence régionale de l'hospitalisation.

M. Jean-Marie PAULOT : Trois missions incombent à un directeur d'ARH : premièrement, organiser l'offre de soins publique et privée de façon à répondre aux besoins de santé de la population ; deuxièmement, affecter les ressources budgétaires, tout au moins une partie, aux établissements ; troisièmement, veiller à la qualité et à la sécurité des soins. Le directeur de l'ARH n'a pas de compétences propres en matière de gestion de crise : il met seulement ses compétences à disposition dans le cadre de la cellule de crise que dirige et anime le préfet. En revanche, il lui appartient de veiller, dans sa sphère de compétence, à ce que les hôpitaux soient prêts à faire face à la situation. Je dispose, pour ce faire, des moyens des deux DDASS de la région Nord - Pas-de-Calais.

La région Nord - Pas-de-Calais concentre quatre millions d'habitants sur deux départements. Du fait de cette densité de population, triple de la moyenne nationale, les médecins s'accordent à penser que la propagation de la grippe aviaire y serait probablement plus rapide qu'ailleurs, et encore aggravée par le caractère transfrontalier de la région et son ouverture maritime très forte. Ajoutons que le Nord - Pas-de-Calais est une des régions les plus jeunes de France : 36 % de sa population a moins de vingt-cinq ans.

L'autre caractéristique est sa densité hospitalière et le nombre de grands établissements. Nous disposons de 150 établissements au total, publics et privés, 15 000 lits en médecine, chirurgie et obstétrique, dix-huit services d'urgence enregistrant 850 000 passages par an, vingt-sept équipes SMUR, deux SAMU et un établissement référent pour la zone de défense qui couvre deux régions, le Nord - Pas-de-Calais et la Picardie, le CHRU de Lille.

M. le Président : Vous voulez dire que le CHU d'Amiens est placé sous sa responsabilité ?

M. Jean-Marie PAULOT : L'établissement de référence pour la zone est le CHU de Lille.

M. le Président : Au sens « zone de défense » ou au sens « grippe aviaire » ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Il existe un établissement référent de la zone de défense dans le cadre de la gestion des nouveaux risques - en l'occurrence les risques NRBC- et la grippe aviaire est considérée comme une application particulière du risque biologique. Tout ce qui a trait à la formation des personnels et aux modèles de formation doit émaner de l'établissement référent. Cela dit, nous sommes des gens très pragmatiques et nous nous rencontrons très souvent : Amiénois et Lillois se sont partagés le travail dans leur zone de défense. Plutôt que de parler d'établissement référent de zone, on parlera d'équipes référentes de zone. En termes d'expertise au niveau supra-départemental, les compétences et les moyens des services d'infectiologie d'Amiens, de Lille et même de Tourcoing seront mutualisés. Mais la notion d'établissement référent de zone, y compris en termes d'hospitalisation, est pertinente.

M. le Président : Imaginons que nous soyons en situation de pandémie. Je ne doute pas de l'excellence de la coopération entre Picards et Lillois, que nous vivons fort bien à l'Assemblée ...

Mme Jacqueline FRAYSSE : Parfois, ce n'est pas facile... Mais on se débrouille !

M. le Président : ... mais où est le sommet de la pyramide ? Où iront les cas les plus graves ? À Amiens ou à Lille ? La plate-forme de gestion des cas les plus lourds sera-t-elle collectivisée ? Quelle sera l'approche ?

M. Jean-Marie PAULOT : On applique le principe de subsidiarité : en matière de crise sanitaire, l'autorité compétente est le préfet du département. Subsidiairement, viennent en appui le préfet de région pour apporter des moyens complémentaires, puis le préfet de zone. Lille étant tout à la fois siège de zone, préfecture de région et chef-lieu de département, le préfet Aribaud concentre sur lui l'ensemble de ces compétences et le CHRU de Lille est bien l'établissement de référence pour l'ensemble de la zone.

M. Patrick GOLDSTEIN : Pour ce qui est de l'hospitalisation, soyons clairs : il est hors de question, a fortiori en période de pandémie, d'hospitaliser un habitant de Picardie ailleurs qu'au CHU d'Amiens... De la même manière, les malades du Nord-Pas-de-Calais seront probablement hospitalisés à Lille. Au demeurant, le problème ne se posera pas en ces termes : très rapidement, la mobilisation concernera tous les établissements de santé.

M. le Président : Nous sommes bien d'accord. Mais ne peut-on imaginer qu'il y aura des patients nécessitant des soins plus intensifs que d'autres ? A contrario, à quoi sert la notion même de zone de défense par rapport à la région traditionnelle ? A quoi sert ce concept de zone de défense par rapport aux structures administratives ? Pourquoi ce chevauchement ? Je suis le premier à comprendre l'intérêt de travailler sur la grippe aviaire en gardant un œil sur le NRBC, mais pas au point de les confondre dans l'organisation de la structure : en effet, une chose est d'avoir un attentat à Lille ou ailleurs, autre chose est d'avoir affaire à une pandémie qui sévira sur l'ensemble de la planète...

M. Patrick GOLDSTEIN : Nous sommes totalement d'accord. Il reste qu'il existe une zone de défense en termes de sécurité civile et qu'elle vaut également pour la sécurité sanitaire, avec un établissement référent - pour le laboratoire, par exemple. Un prélèvement fait à Amiens ne va pas systématiquement aller à l'Institut Pasteur à Paris, mais au laboratoire agréé P3 du CHU de Lille.

M. le Président : Il n'y a que vous qui avez un P3 ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Oui. C'est en ce sens que nous parlions de mutualisation. De même pour la formation : on peut envisager une action pédagogique ordonnée et coordonnée sur une zone de défense pour mutualiser les moyens. Mais il n'est pas question d'hospitalisation, de lits disponibles de réanimation ou autre chose de ce genre.

M. le Président : Mais la gestion de crise ? Où est la plate-forme qui fera l'arbitrage sur les malades, par exemple ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Au niveau départemental.

M. Jean-Marie PAULOT : La compétence première appartient au préfet de département.

M. le Président : Si le laboratoire agréé P3 est à Lille, il paraît assez logique que les échantillons et souches prélevés à Amiens aillent à Lille plutôt qu'à Pasteur. Autre chose est le recours à la notion de zone de défense... Ce débat n'est pas neutre.

M. Pierre HELLIER : On peut poser le problème autrement. Imaginons que nous soyons déjà en situation de contamination interhumaine, mais avec très peu de cas en France, sinon pas du tout. Une première suspicion est détectée à Amiens. Que fera-t-on du prélèvement, qui le fera, où ira-t-il ?

M. Jean-Marie PAULOT : Au laboratoire de l'hôpital Calmette à Lille.

M. Pierre HELLIER : Et le prélèvement sera effectué sur place ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Ce problème n'est pas spécifiquement lillois ; il a été abordé à l'occasion d'autres réunions avec la DGS et la DHOS. Si un cas est identifié comme suspect, il y a deux options possibles : soit on envoie une équipe type SMUR pour effectuer le prélèvement nasopharyngé sur place, soit on amène le patient à l'hôpital. Mais ce qu'il faut surtout éviter, c'est de passer à côté d'un cas possible. Aussi a-t-il été décidé de transférer le patient dans le service d'urgence le plus proche, sachant que tous les services d'urgence sont équipés de kits de prélèvement nasopharyngé. Il appartiendrait évidemment au centre 15 de prévenir le service d'urgence concerné, afin que le circuit privilégié d'un patient potentiellement contaminant soit préparé - personnel en nombre réduit et protégé, box isolé. De la même façon, le transporteur, quel qu'il soit - sapeurs pompiers, transporteur sanitaire privé, car si le cas suspect se porte encore très bien, il n'est pas nécessaire d'envoyer une équipe de SMUR -, devra être parfaitement prévenu et protégé. Peu importe que le prélèvement soit effectué à l'hôpital d'Amiens, de Saint-Quentin, de Boulogne ou de Lille : l'essentiel est qu'il arrive, par des circuits prédéterminés, au laboratoire agréé P3 de Lille.

M. Jean-Marie PAULOT : Du fait de notre densité médicale et hospitalière plus faible que la moyenne, les problèmes de disponibilité des ressources médicales en seront d'autant aggravés : la question de renforts à trouver à l'intérieur de la région ou en provenance d'autres régions pourra se poser. Le flux de passage aux urgences est actuellement de 70 000 par mois ; on estime que les entrées supplémentaires générées par une pandémie seront de l'ordre de 30 000 à 40 000.

S'agissant de l'état de préparation, des mesures de sensibilisation et de l'articulation des compétences, les deux CODAMUPS du Nord et du Pas-de-Calais ont été réunis en décembre, à l'initiative des préfets, sur le dossier de la grippe aviaire, avec la participation de l'ARH, en formation élargie avec les pharmaciens, les infirmiers libéraux et les masseurs-kinésithérapeutes, afin que tous les professionnels soient informés de la situation et des mesures préventives à organiser ; des groupes de travail ont été mis en place sur l'articulation ville-hôpital, les transports sanitaires et l'organisation de la réanimation pédiatrique. À noter l'initiative très opportune de l'association des ambulanciers du département du Nord d'organiser un réseau d'ambulances dédiées au transport de malades atteints de grippe aviaire. Enfin, nous avons d'ores et déjà réuni l'ensemble des services d'urgence.

Je passe sur les questions de stocks d'antiviraux et de masques - 4 millions au total...

M. le Président : Je suppose qu'ils sont en proportion des stocks nationaux.

M. Jean-Marie PAULOT : Exactement. Le remboursement par les caisses de sécurité sociale des frais engagés par les hôpitaux est en cours.

M. le Président : Par qui est fait l'acte d'achat ?

M. Jean-Marie PAULOT : L'acte d'achat se fait sur des marchés nationaux, mais ce sont les établissements eux-mêmes qui achètent. Les caisses de sécurité sociale les rembourseront sur présentation des factures.

M. le Président : Autrement dit, chaque établissement achète.

M. Jean-Marie PAULOT : Oui. Et pour ce qui nous concerne, ces sommes sont réparties entre les établissements sièges de services d'urgence.

Les plans blancs avaient été fortement activés à la suite de la canicule de 2003. Tous les établissements publics, de même qu'une bonne moitié des établissements privés ayant un service d'urgence, ont désormais un plan blanc validé par les DDASS. L'annexe biologique est d'ores et déjà réalisée dans six services d'urgence et en cours pour les douze autres. Les établissements ont été relancés par l'ARH afin qu'elle soit en place dans les meilleurs délais. Reste à réunir les cellules de crises pour faire un test en blanc et identifier les zones dites de « basse densité virale » et de « haute densité virale » dans chaque établissement. Enfin, conformément aux textes publiés en décembre dernier, les plans blancs élargis sont en cours d'élaboration à l'initiative des préfets et des DDASS.

Enfin, une action de communication a été entreprise en direction de la médecine de ville. La DDASS du Nord organise le 10 mars une réunion avec l'ensemble des médecins libéraux.

D'une manière générale, le principal problème sera de faire fonctionner l'hôpital en prenant en charge un flux supplémentaire - plus 40 % aux urgences selon les estimations - alors même que ses moyens disponibles, notamment en personnels, seront fortement dégradés. Le rôle opérationnel majeur de « tour de contrôle » sera dévolu au centre 15 qui devra tout à la fois traiter les informations, orienter les malades, faire prévaloir le principe du maintien à domicile en réservant l'hospitalisation aux cas les plus graves et organiser le transport des malades les plus touchés. En pareille occasion, le directeur de l'ARH devra être présent dans la cellule de crise commandée par le préfet, analyser la situation à travers les flux de patients et leur localisation, anticiper les renforcements de moyens en provenance des établissements publics et privés.

M. le Président : En supposant même que l'on en reste à 40 % de flux supplémentaire, le centre 15 aura toutes les chances d'exploser sous les demandes... Il faudra doubler les salles, tripler les lignes, quadrupler le nombre d'opérateurs téléphoniques, gérer les cas graves, mais également les malades autres que les grippés ...

M. Jean-Marie PAULOT : La région Nord-Pas-de-Calais a la chance d'avoir une régulation libérale travaillant aux côtés du SAMU, ce qui nous sera très utile dans l'application du principe du maintien à domicile. Nous avons, de surcroît, constitué un réseau d'hospitalisation à domicile de 600 places, avec une organisation par secteur. Le pilotage est assuré par un médecin coordonnateur en relation constante avec l'hôpital. Cela devrait faciliter la mise en œuvre du principe du maintien à domicile.

M. le Président : Je ne parlais que de l'organisation de la plate-forme téléphonique du centre 15. Cette structure est appelée à jouer un rôle de premier plan. Je reviens de La Réunion, où sévit le chikungunia, et j'ai vu comment l'ARH est amenée à prendre des responsabilités importantes à l'occasion d'une crise de santé publique. Il faut espérer que la médecine libérale sera plus présente si pareille crise se produit en métropole... Votre collègue là-bas a bien du travail ! Comment fonctionne votre centre 15 sur le plan du traitement de l'information ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Je connais bien ce qui se passe à La Réunion où nous venons d'envoyer trois médecins. Il s'agit vraiment d'un modèle expérimental qu'il convient d'analyser de près.

Il est d'abord exclu que le centre 15 centralise tous les appels. Nous sommes tombés d'accord au niveau national pour ne pas mettre en place un numéro spécifique « grippe aviaire ». Autrement dit, on garde tous les numéros : le médecin de famille - s'il décroche encore ! - les pompiers, le 112, SOS Médecins et autres structures de garde. L'idée est d'avoir des réponses coordonnées entre ces différentes structures ; autrement dit, tous ces gens doivent travailler en amont pour apporter les mêmes éléments de réponse, et surtout être interconnectés. Dans le Nord, les pompiers et le SAMU sont totalement interconnectés, et cela fonctionne.

M. le Président : Vous avez de la chance...

M. Patrick GOLDSTEIN : Il est clair en revanche que l'on ne peut songer affronter une crise comme celle-là sans la médecine libérale. La régulation libérale sera essentielle. Il devra être décidé de sa présence dans les centres 15 par voie réglementaire et des décrets régissent d'ores et déjà sa présence au sein de l'hôpital. Mais pour l'instant, elle ne fonctionne que de vingt heures à minuit dans certains endroits alors qu'elle devra tourner vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Mes collègues libéraux, dont je suis solidaire, se heurtent évidemment à une série de difficultés. Le maintien à domicile étant la règle générale, l'essentiel du dispositif reposera sur eux ; encore faudra-t-il assurer une traçabilité des patients restés à domicile et c'est là que le centre 15 jouera son rôle. Mais ils ne pourront pas en même temps être sur le terrain auprès de leurs patients, être responsables de certains secteurs et faire de la régulation... D'où l'idée de la « réserve sanitaire » que l'on pourrait rappeler si besoin était, en affectant à la régulation libérale certains médecins du travail, des médecins de l'assurance maladie ou même certains personnels paramédicaux.

Pour ce qui concerne le centre 15, nous sommes actuellement en train de lister et de rechercher tous les médecins passés et formés dans notre service, afin de pouvoir les rappeler pour utiliser leur expérience de la régulation. Parallèlement, puisque chaque équipe du 15 est composée d'un permanencier et d'un médecin, nous allons proposer aux directions des ressources humaines des hôpitaux de faire un appel aux volontaires parmi le personnel administratif non soignant, autrement dit des secrétaires médicales, et de leur proposer de suivre un séminaire d'une journée pour se former comme auxiliaires de régulation. C'est exactement la démarche que nous avions suivie en matière de risque chimique et terroriste, lorsque nous avions fait appel à des volontaires, tous statuts confondus, au sein de l'hôpital, pour leur apprendre à décontaminer.

Enfin, nous avons reçu des instructions sur la question des lignes disponibles : les autocoms sont-ils adaptés ? Faut-il augmenter le nombre de lignes ? Est-ce possible ? Combien cela va-t-il coûter ? Tous les centres 15 devront très rapidement fournir des réponses techniques, indépendamment des inspections pour vérification de conformité.

M. le Président : De combien, en proportion, faudrait-il augmenter le nombre de vos lignes ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Au minimum de 50 %. J'ai connu deux expériences, dont celle de la Josacine. À vingt-heures-une, nous regardions le journal de Patrick Poivre d'Arvor et nous découvrions cette affaire, comme tout le monde. Cinq minutes plus tard, tous les centres 15 en France étaient saturés, car on prescrivait beaucoup la Josacine à cette époque.

Seconde expérience, plus locale, celle du Coca-Cola. Nous avons une usine près de Dunkerque ; on découvre un jour du mercure dans une boîte de Coca-Cola. Arrive le journal de TF1 ; l'instant d'après, nous étions saturés...

Ces expériences nous ont appris que la pédagogie en amont et la relation avec la presse sont des éléments essentiels. On parle d'information des professionnels de santé, mais il va bien falloir à un moment parler à la population et lui expliquer qu'il n'est pas question d'appeler n'importe qui n'importe comment.

M. le Président : Je vous rejoins totalement, avec le sentiment que l'on est en train de sous-estimer les problèmes de gestion de l'information, et à tous les niveaux, qu'il s'agisse des relations classiques avec les médias ou de l'utilisation des nouvelles technologies. Il ne reste plus qu'à espérer que cela n'arrivera pas ou, si cela arrivait, que vos 50 % de lignes en plus permettront de répondre à la demande... En toute honnêteté, je n'y crois pas du tout ! Pour commencer, les médecins de ville seront sur le terrain à visiter les gens, comme on le leur demandera. Ils ne pourront pas toujours répondre sur leur portable... Ensuite, l'expérience montre, encore aujourd'hui à La Réunion, que les gens ont tendance à se diriger vers l'hôpital, et plus encore dans une région à tradition populaire comme la vôtre. Nous allons devoir affronter un énorme problème de gestion de l'information, dans tous les sens du terme. Vous en avez parfaitement conscience et vous faites beaucoup de choses, mais je crains que cela ne suffise pas - et ce n'est pas spécifique à Lille.

M. Patrick GOLDSTEIN : Il faut clairement prendre en compte cette dimension technique.

M. le Président : Avez-vous la possibilité de rebasculer des appels de coaching sur des plates-formes dédiées ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Le re-routage ne pose aucun problème avec les autocoms modernes. Ils nous permettraient également de nous servir de messages télématiques pour « ligner » un certain nombre de paramètres avant même que l'appel n'arrive. Nous l'avons déjà fait ; le problème est qu'en situation d'urgence, les gens ne l'acceptent pas.

M. le Président : C'est en tout cas un vrai problème sur lequel il va falloir nous pencher.

M. Patrick GOLDSTEIN : Cela dit, nos services d'urgence ont été récemment réaménagés, voire totalement reconstruits dans le cadre du plan hôpital 2007, ce qui pourrait faciliter les choses par rapport à d'autres régions. Mais vous soulevez un problème technique et pratique très lourd.

Quant à la gestion des flux dans les établissements, elle pose d'abord la question de la déprogrammation : elle est, certes, prévue dans le plan et les hôpitaux s'y sont préparés, mais il faudra sans doute aller plus loin, jusqu'au déshébergement. On n'échappera pas à la nécessité d'organiser des exercices dans chaque établissement. Il faudra ensuite penser au renfort du secteur privé.

M. le Président : Auriez-vous déjà techniquement la possibilité d'opérer un dispatching global de lits, qu'il s'agisse d'établissements PSPH1 ou privés au sens strict ?

M. Jean-Marie PAULOT : C'est juridiquement possible par le biais du pouvoir de réquisition du préfet...

M. le Président : Mais avez-vous les informations nécessaires ?

M. Jean-Marie PAULOT : Nous connaissons bien les établissements privés exerçant dans le domaine de l'urgence. Nous en avons plusieurs dans la région, PSPH ou non, dont six UPATOU2 privées. Peut-être est-ce lié à la légendaire solidarité des gens du Nord, mais je n'ai pas trop de craintes sur la volonté du secteur privé de participer. Encore faudra-t-il organiser ces renforts, personne ne connaissant encore précisément les besoins et surtout la durée. Déprogrammer est une chose ; encore faut-il pouvoir reprogrammer ensuite et donc évaluer l'ensemble des conséquences en allant jusqu'au bout de la chaîne.

M. le Président : Certes, mais la déprogrammation est d'ores et déjà prévue dans l'hôpital public. Est-elle envisagée dans le cadre de l'hospitalisation privée ?

M. Jean-Marie PAULOT : Dans les recommandations élaborées par la DHOS en tout cas, cette mesure doit faire partie des réflexions demandées à l'ensemble des services territoriaux. Nous y échapperons d'autant moins dans le Nord-Pas-de-Calais que le poids de l'hospitalisation privée n'y est pas négligeable.

S'agissant de la gestion des personnels en période de crise, les vacations des personnels amenés à soigner les patients atteints de grippe aviaire devront sans doute être allongées et l'organisation des horaires repensée. Le simple passage à l'an 2000 nous avait déjà amenés à prendre des dispositions dérogatoires en matière de gestion des personnels - astreintes, durée des vacations -, assorties de mesures d'indemnisation arrêtées à l'avance. Cette question, quoique d'ores et déjà prévue dans le plan blanc, commence seulement à être évoquée au sein des organismes paritaires, et elle appelle légitimement une réponse.

Il reste deux sujets de préoccupation particulièrement lourds : la réanimation et la réanimation pédiatrique. La région Nord-Pas-de-Calais dispose de 241 lits de réanimation, ce qui donne un ratio particulièrement faible comparé à la moyenne nationale. Nos capacités de réanimation, particulièrement en ces temps de grippe, sont très souvent saturées. En début de pandémie, une première solution consisterait à dédier certaines unités de réanimation à la prise en charge des malades atteints de grippe aviaire ; une deuxième serait d'englober progressivement les unités de surveillance continue et de soins intensifs, ce qui porterait la capacité totale de 241 à 1 000 lits environ. Sera-ce suffisant ? Apparemment, pas du tout. Les premières modélisations, encore grossières, effectuées sur la métropole lilloise montrent qu'avec 250 patients atteints de la grippe aviaire par jour et un taux de réanimation de 5 %, l'ensemble des capacités de réanimation - une centaine de lits environ - serait saturé au bout d'une semaine. Autrement dit, nous avons un réel problème.

M. le Président : Qu'attendez-vous des pouvoirs publics sur cette question ?

M. Jean-Marie PAULOT : Il reste une troisième solution, sur laquelle nous avons commencé à travailler dans les hôpitaux de Lille et de Tourcoing, établissements de référence, qui consisterait à dégrader davantage la qualité de la réanimation en mobilisant les respirateurs et matériels des autres services ; nos capacités en seraient encore augmentées, mais ce ne serait plus du tout la même réanimation. Là encore, la mobilisation des respirateurs et l'acquisition de matériels supplémentaires, apparemment peu disponibles en France, constitue un deuxième goulot d'étranglement technique.

Quant à la réanimation pédiatrique, elle ne compte que seize lits en tout et pour tout, d'ores et déjà totalement saturés : nous avons dix-huit patients... Nous imaginons dans un premier temps basculer une partie des enfants vers la réanimation adultes et sans doute « déspécialiser » l'hôpital Jeanne-de-Flandre du CHRU afin de le transformer en une unité de réanimation pédiatrique plus étendue. Ce qui pose évidemment le problème du matériel, de la taille des lits, etc. La réanimation - pédiatrique comme adulte - reste à nos yeux un problème majeur.

Il nous faut enfin poursuivre nos efforts de communication en direction des personnels hospitaliers comme des médecins de ville, poursuivre les initiatives engagées en décembre pour améliorer l'articulation ville-hôpital, réaliser des exercices dans nos établissements, avec mise sous tension des cellules de crises à travers, notamment, des opérations de déshébergement et de transferts interhospitaliers, voire un exercice transfrontalier avec nos voisins belges.

M. le Président : Je reviens au problème de la réanimation. Quels sont vos besoins ? Sont-ils d'ordre financier, matériel, humain, et comment y faire face dans un laps de temps raisonnable ? Votre stratégie de déploiement et de dégradation paraît des plus judicieuses. Mais quelles lignes directrices allez-vous appliquer, y compris sur le plan éthique ?

M. Jean-Marie PAULOT : La première question est celle des achats de matériels, qu'il faut anticiper. Encore faut-il commencer par recenser les matériels mobilisables dans les autres services et les possibilités de réaffectation, calculer les besoins supplémentaires à couvrir et, surtout, passer les commandes. J'ai observé qu'à La Réunion, le Ministre avait apporté avec lui des matériels de réanimation supplémentaires, notamment des respirateurs. Il faut établir un chiffrage raisonnable et c'est toute l'utilité des exercices.

La deuxième question est assurément celle des personnels, même si les frontières entre spécialités s'atténuent quelque peu en période de crise - en tout cas, nous nous y efforcerons. D'après les calculs approximatifs que nous avons pu faire, la capacité de réanimation sur Lille devrait être multipliée par deux, ce qui implique d'avoir un plus grand nombre d'anesthésistes-réanimateurs. Ce sera assurément une difficulté.

M. Patrick GOLDSTEIN : Le problème éthique est essentiel et est plusieurs fois revenu dans nos discussions. Nous sommes dans une médecine qui n'est plus celle du quotidien et qui s'apparente pratiquement à de la médecine de catastrophe, qui conduit à ce que l'éthique individuelle cède le pas à l'éthique collective. Mais qui décidera ?

M. le Président : Quelle est votre demande ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Il ne peut pas y avoir de différence d'approche entre le Nord de la France, Midi-Pyrénées et le Cantal. Il faudra bien prendre une décision claire et nette pour arrêter les critères d'hospitalisation à un moment donné en fonction de nos possibilités. On le dit, mais de là à passer à l'acte...

M. le Président : Mais souhaitez-vous que cette décision soit prise par vous-même, par un collège médical, par une autorité publique ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Je ne suis qu'un technicien d'appui dans cette affaire... Nous sommes là, me semble-t-il, dans le domaine de la décision citoyenne.

M. le Président : Je le crois aussi.

M. Patrick GOLDSTEIN : En tant que médecins, nous revendiquons nos responsabilités. Mais il arrive un moment où elles doivent être partagées, en particulier avec les citoyens ou leurs représentants.

M. le Président : C'est effectivement très important. Le plan pandémie ne se limite pas à compter les masques...

M. Pierre HELLIER : Le personnel sera à l'évidence inquiet et il faut s'attendre à des réticences légitimes. Souhaite-t-il travailler sous Tamiflu, pris à titre préventif alors même que l'AFSSA le déconseille ?

M. Patrick GOLDSTEIN : Il faut faire très attention à tout ce qui circule sur le Tamiflu ! Je vous renverrais volontiers à une analyse publiée récemment dans le Lancet sur l'efficacité de ce médicament... Encore faudrait-il s'assurer de sa véritable efficacité face à un virus que l'on ne connaît pas encore totalement. Quant à l'utiliser à titre préventif ou prophylactique, l'AFSSA et tous les infectiologues le disent clairement, c'est non, non et non ! Il faut le garder, y compris pour le personnel hospitalier, pour le moment où apparaîtront les premiers signes : je suis au contact de malades, je commence à tousser, je fais de la température, j'ai vingt-quatre heures pour me traiter. Mais surtout pas en traitement préventif.

Sur la question des réticences à aller travailler, les personnels des hôpitaux sont comme tout le monde. Certains ne voudront peut-être pas venir travailler, par crainte pour eux-mêmes, mais surtout pour leur famille. C'est vrai que le personnel hospitalier français est fantastique. Bien sûr, ils voudront venir travailler. Mais ils se poseront la question de savoir s'ils importent un risque en rentrant chez eux, s'ils doivent protéger leur entourage. Faut-il leur donner du Tamiflu, des masques ? Se pose également le problème des mamans : que feront-elles de leurs enfants, sachant que les crèches seront fermées ? Ces questions ne sont pas résolues et elles ne sont pas spécifiques à notre région.

M. Pierre HELLIER : L'inquiétude est légitime : certains personnels nous ont déjà prévenus que, sans Tamiflu, ils auraient beaucoup de réticences à aller travailler. Votre position est certes logique...

M. Patrick GOLDSTEIN : Ma position est rationnelle et scientifique : je ne m'appuie que sur les données actualisées de la science. On sait qu'il ne faut pas donner de Tamiflu à titre préventif ou prophylactique ; on sait même qu'il peut provoquer des effets secondaires. Peut-être faut-il le faire savoir. Comment peut-on imaginer rester dix semaines sous Tamiflu !

M. le Président : Je n'ai pas vu d'indications aussi claires sur l'utilisation du Tamiflu, hormis les recommandations de l'OMS qui remontent à deux ans, et qui s'inscrivent dans un contexte tout à fait particulier de pénurie. Laissons de côté cet aspect de pénurie, quand bien même il doit nécessairement être pris en compte. Le Tamiflu est-il réellement porteur de risques potentiels, résistance et autres ? Il a fort peu d'effets secondaires...

M. Patrick GOLDSTEIN : Il n'est jamais prescrit sur une longue durée.

M. Pierre HELLIER : C'est vrai.

M. Patrick GOLDSTEIN : Au moins conviendrait-il au préalable de s'en assurer, au cas où il devrait être prescrit en traitements de longue durée, ne serait-ce, par exemple, que dans le cas des femmes enceintes, pour lesquelles il est contre-indiqué. Permettez-moi, monsieur le Président, de vous renvoyer à des spécialistes de l'infectiologie, comme François Bricaire, qui sont bien plus compétents que moi : nous n'avons aucune expérience du Tamiflu utilisé sur dix semaines...

M. Pierre HELLIER : En dix semaines, on a le temps de mourir pas mal de fois !

M. Patrick GOLDSTEIN : Je suis d'accord, mais la vraie question est de savoir si cela protégerait pendant dix semaines - et si l'on en aurait assez.

M. Pierre HELLIER : Le problème est de faire en sorte que les professionnels de santé arrivent au travail un tant soi peu sereins. J'ai entendu la même personne m'affirmer à quelques secondes d'intervalle que le Tamiflu ne servait à rien, mais qu'il n'était pas question qu'elle vienne travailler si on ne lui en donnait pas !

M. Patrick GOLDSTEIN : Il nous faut à la fois garantir à tous les professionnels de santé - et sans doute à d'autres - qu'au moindre signe d'alerte, ils seront aussitôt traités par Tamiflu, et insister sur les autres mesures-barrières, à commencer par le port du masque. Nous ne sommes qu'en phase 2, mais l'hôpital ne manque pas de malades susceptibles de transmettre des bactéries ou des virus... Peut-être serait-il judicieux de ne pas attendre la phase 3 pour remettre à l'honneur les mesures basiques de prévention de certains risques collectifs, comme la tuberculose que l'on voit réapparaître chez le personnel hospitalier. Et l'on ne va pas mettre tout le monde sous antibacillaire...

M. Pierre HELLIER : L'idée avait été émise de mettre à disposition de chaque professionnel une boîte scellée, à n'ouvrir qu'en cas de symptômes. Au moins serait-il sûr de ne pas avoir à attendre le médicament...

M. le Président : Le débat sur cette affaire n'est pas clos, mais il a été quelque peu faussé, à l'origine, par la contrainte de la pénurie qui a marqué la réflexion de toutes les autorités de santé publique, en France comme ailleurs, même dans les pays qui ont énormément de moyens. Or, plus tard arrivera la pandémie, moins cette contrainte sera forte. On n'est pas forcément obligés de réfléchir dans un contexte de pénurie.

Nous vous remercions de toutes ces informations, qui prouvent à quel point ces questions vous mobilisent. Combien vous ont-elles pris de temps durant ces derniers mois, monsieur le directeur ?

M. Jean-Marie PAULOT : Signalons que le Ministre, lorsqu'il rencontre chaque mois les directeurs d'ARH, commence généralement son propos introductif en appelant à la mobilisation face à la grippe aviaire... Pour autant, je ne peux pas dire que ce dossier me prend une part très élevée de mon temps. C'est avant tout l'achèvement des schémas régionaux d'organisation sanitaire qui mobilise les directeurs d'ARH en ce moment : tout doit être bouclé pour le 31 mars prochain... Ayant pris mes fonctions en avril 2003, la première crise sanitaire à laquelle j'aie eu à faire face était la canicule - qui s'est, du reste, mieux passée dans le Nord-Pas-de-Calais qu'ailleurs. Depuis, les services ont nettement amélioré leur organisation de gestion de crise. Avant la canicule, les plans blancs n'existaient que sur le papier, sinon dans la tête de certains ; depuis, ils sont devenus une réalité. La gestion de crise est désormais prise en compte à tous les niveaux des services de l'État et des établissements de santé : mi-2005, mille personnes étaient déjà formées au risque NRBC dans notre région, et la préparation des équipes hospitalières est réellement montée en puissance. Nous sommes en tout cas sur la bonne voie d'une préparation à la pandémie.

M. le Président : Mesdames, Messieurs, nous vous remercions.

1 Participant au service public hospitalier.

2 Unité de Proximité, d'Accueil, de Traitement et d'Orientation des Urgences.


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