Mercredi 22 février 2006

- Audition de M. Denis LAMBERT, président de la société L.D.C., et de M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE, directeur de la coopérative des Fermiers de Loué

(Compte rendu de la réunion du mercredi 22 février 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Depuis quatre mois, nous avons eu le temps d'approfondir nos connaissances sur la grippe aviaire. Il n'est donc pas nécessaire de revenir sur les données scientifiques concernant l'actuelle épizootie. Nous préférons que vous nous décriviez les difficultés auxquelles la filière avicole est aujourd'hui confrontée.

M. Denis LAMBERT : Premier groupe avicole français, LDC possède 20 sites en France, quatre en Pologne et deux en Espagne, soit 12 000 salariés dont 10 000 en France, et plus de 3 000 éleveurs. Nos éleveurs, comme ceux de Loué, sont formés depuis quarante ans aux maladies des volailles. Ils savent les détecter, isoler les bêtes malades, les soigner et, s'il le faut, les détruire. Ils sont assistés de plus de 50 techniciens sanitaires et tout un réseau de vétérinaires à plein temps. Nous nous appuyons aussi sur les laboratoires départementaux et les DSV. Le maillage vétérinaire français est, rappelons-le, le meilleur du monde.

Je le dis avec force, il n'y a strictement aucun risque de transmission du virus de l'animal à l'homme par voie alimentaire. Jamais le moindre cas de transmission de ce type n'a été constaté dans le monde ces dernières années. Le virus se transmet par voie respiratoire, via les sécrétions des volailles vivantes, les plumes ou la dispersion des fientes. De surcroît, les sucs gastriques détruisent tout virus présent dans notre alimentation. Enfin, toute cuisson à 70 % élimine le virus.

Il faut également le dire et le redire, le virus H5N1 ne se transmet pas à l'homme, sinon par voie respiratoire et lors de contacts fréquents et prolongés.

M. le Rapporteur : Nous savons déjà tout cela. Le ministre devant bientôt recevoir tous les représentants de la filière avicole, nous aimerions connaître les problèmes spécifiques qu'elle rencontre du fait de cette crise.

M. Denis LAMBERT : Mais les Français sont inquiets !

M. le Président : Lorsque nous avons besoin d'éléments scientifiques, nous nous tournons spontanément vers l'AFSSA plutôt que vers les industriels - et les consommateurs de la même façon ; si vous avez des arguments contradictoires à présenter à l'AFSSA, voyez avec elle... Nous demandons aux industriels de nous parler de problèmes industriels. S'ils nous parlent de problèmes scientifiques, nous avons le sentiment de perdre notre temps...

M. Pierre HELLIER : Comprenez, Messieurs, que nous avons eu tout le temps de nous informer ; nous avons conscience de vos difficultés et nous ne doutons pas de votre capacité à gérer vos élevages dans des conditions sanitaires correctes. Ce que nous aimerions connaître précisément, ce sont vos problèmes...

M. Denis LAMBERT : Nous sommes totalement d'accord avec les avis de l'AFSSA et nous nous empressons de les appliquer. Aucune vie ne peut être sacrifiée au chiffre d'affaires. Je suis donc sensible à l'inquiétude du public et des élus, et favorable à l'application du principe de précaution, même face à un risque non avéré. Encore convient-il, comme, du reste, la loi le prévoit, de l'appliquer de façon proportionnée au risque réel, afin d'éviter des dégâts collatéraux, bien réels, eux, dont les conséquences humaines peuvent être dramatiques ; souvenons-nous que l'épisode de la vache folle avait provoqué trente suicides dans les milieux agricoles.

Bien qu'elle ne porte aucune responsabilité dans cette affaire et que sa production soit parfaitement saine, la filière agricole, après avoir connu une baisse de 20 % ces dernières années, se voit aujourd'hui confrontée à une nouvelle chute de la consommation de 15 à 30 % - peut-être davantage si l'on en croit les chiffres avancés par la grande distribution. Le mouvement s'accélère : la baisse n'était que de 15 % il y a quinze jours. En Italie, la consommation de volaille s'est effondrée de 70 %. Notre filière représente 65 000 emplois ; une baisse de 20 %, c'est 13 000 emplois perdus dans des zones où l'emploi est déjà rare, sans compter les emplois induits, fournisseurs et sous-traitants. Si la chute atteint 40 %, ce seront 35 000 emplois directs et indirects perdus. En termes de coûts, une baisse de 20 % se traduit par une perte de 400 millions d'euros : 200 millions d'euros pour les outils de production et 200 millions d'euros pour le monde agricole. D'ores et déjà, on nous annonce des cessations d'activité chez les producteurs et dans les entreprises de transformation ; c'est, enfin, un coup d'arrêt à notre recherche, alors que la France produit 30 % de la génétique avicole mondiale. Sans parler de la situation catastrophique des accouveurs, déjà contraints à la restructuration et qui se retrouvent à produire des poussins que les abattoirs ne prendront pas.

L'influenza aviaire chez la volaille existe depuis cinquante ans et les professionnels en ont une excellente maîtrise. Jamais une volaille malade n'est commercialisée. De nombreux services de contrôle, professionnels et d'Etat, y veillent. De surcroît, la période d'incubation du H5N1 est très courte : une volaille malade non détectée mourrait très rapidement. Le risque de la voir arriver dans une assiette est quasiment nul. Le H5N1 sévit depuis huit ans en Asie ; s'il devait provoquer une catastrophe humaine, ce serait déjà chose faite. Mais un oiseau sauvage mort en France fait davantage peur que 100 000 volailles au bout du monde...

Les épizooties survenues en Europe ont été très rapidement éradiquées : aux Pays-Bas en 2003, l'influenza aviaire a disparu en moins de trois mois. En 2005, une épidémie de Newcastle, maladie tout aussi contagieuse que l'influenza, a été éradiquée en trois semaines par les services vétérinaires de Loire-Atlantique - preuve de leur efficacité.

On aurait tort de comparer l'influenza aviaire à l'ESB. La vache folle présentait un risque alimentaire réel ; ce n'est pas le cas avec l'influenza aviaire. L'ESB est la résultante de mauvaises pratiques, l'influenza un risque subi. L'ESB s'était traduite par des animaux malades ; pour l'instant, aucune volaille n'est touchée par l'influenza. Qui plus est, la filière bovine est largement subventionnée, alors que les aviculteurs vivent exclusivement du prix que paie le consommateur, et particulièrement pour la volaille labellisée. Pour l'ESB, l'État avait mis en place des moyens considérables : stockage, destruction des farines animales, aides directes aux producteurs, budgets de communication énormes. Pour l'influenza, la filière n'a jusqu'à présent touché aucune aide, alors qu'elle produit des animaux parfaitement sains et qu'elle n'a rien à se reprocher. La baisse de la consommation tient à l'attitude du consommateur, après des annonces répétées de maladies chez les animaux sauvages, aux décisions gouvernementales et aux nouvelles d'Asie. Le public craint une pandémie, dont la probabilité est quasiment nulle, et s'affole à l'idée de trouver des volailles malades dans son assiette, chose pratiquement impossible. Lorsqu'on voit les millions de morts dans le monde provoqués par le paludisme et le sida, ou dans notre pays par le cancer ou l'obésité, on peut légitimement déplorer qu'un risque si faible crée une telle panique.

M. le Président : Nous sommes encore intervenus ce week-end sur les ondes pour répéter qu'il n'y avait effectivement aucun risque pour le consommateur - et ce faisant, nous en prenons nous-même un... Je vous en prie, allez à vos conclusions ! À vous entendre, vous seriez victimes d'un complot généralisé, nous vivrions dans un fantasme généralisé alors qu'il n'y a rigoureusement aucune raison de s'affoler, et loin de présenter le moindre intérêt, le travail de la mission « grippe aviaire » et toute politique en la matière participeraient à cet affolement... Nous avons plutôt l'impression de lutter tous ici pour essayer tout à la fois de maîtriser un problème potentiel de santé publique au niveau mondial, et de défendre une certaine rationalité face aux craintes infondées du consommateur. Ne venez pas nous expliquer qu'il n'y a strictement aucun problème pour, ensuite, réclamer, à juste titre d'ailleurs, des compensations...

M. Denis LAMBERT : Loin de nous l'idée de reprocher aux politiques leur souci d'anticiper, d'appliquer les principes de précaution et de transparence, et d'informer le public. Il faut les en féliciter. Nous sommes solidaires des mesures prises, notamment lorsqu'il s'agit de confinement, de vaccination, de vigilance, de protection de nos personnels comme du consommateur. Je demande seulement que l'on distingue bien l'influenza aviaire et la pandémie grippale. Il faut bannir l'expression de « grippe aviaire », qui crée précisément la confusion. Le risque de transmission par voie alimentaire à l'homme est nul : je sais que vous le dites, mais ce n'est malheureusement pas ce que pensent 20 % des Français. Nos systèmes de production et de surveillance vétérinaire empêchent toute commercialisation de volailles malades, mais on ne le dit pas assez. Je demande aux pouvoirs publics d'appliquer un principe de précaution proportionné aux risques réels, dont il faut, aujourd'hui, reconnaître objectivement la faiblesse. En présentant en fanfare, et de manière répétée, des mesures de précautions extraordinaires, on accrédite l'idée que le risque l'est tout autant. Une conférence interministérielle à grand tapage pour un seul canard mort, n'est-ce pas un peu trop ?

M. le Président : Si vous pensez que le Gouvernement a eu tort de mener telle ou telle action, dites-le nous précisément, et pour quelles raisons.

M. Denis LAMBERT : Je viens de vous le dire...

M. le Président : Non, il faut être précis. On ne peut pas rester dans un halo de récriminations qui tendrait à faire croire que nous serions tous animés de mauvaises intentions à l'endroit de la filière avicole. Ce n'est pas du tout le cas.

M. Denis LAMBERT : Je suis convaincu que vous tous, ici, voulez que notre filière vive. Je vous décris seulement les conséquences d'actions de communication répétées et maladroites. On a beau dire que tout est sous contrôle, que nos services sanitaires sont bons, etc., lorsque l'on convoque sur place sept ministres pour un canard mort, les Français se posent des questions, et les journalistes aussi !

M. le Rapporteur : Vous savez bien que l'on ne pouvait pas cacher la présence d'un canard mort avec un test H5N1 positif, même si c'était le premier !

M. Denis LAMBERT : Et il y en aura peut-être d'autres. Je ne demande pas qu'on cache les choses : je veux simplement qu'on dise et redise clairement que la situation est sous contrôle, que les vétérinaires et les services de l'État font parfaitement leur travail et qu'ils sont capables d'éradiquer cette épizootie comme ils l'ont démontré dans d'autres occasions. Ce n'est pas assez dit.

M. le Président : Vous avez raison de parler de la communication. Mais croyez-vous réellement défendre les intérêts de votre filière en répétant sur les ondes, comme je l'entends depuis deux jours, que la consommation va baisser de 20, 30, 40 % ? Il n'était que d'entendre hier la déclaration de la fédération du commerce et de la distribution... Plus vous insistez sur la baisse de la consommation, plus vous y poussez. Chacun a sa conception de la communication, mais je suis, pour ma part, stupéfait par la façon dont les milieux professionnels croient défendre leurs intérêts. Si le Gouvernement réunit des ministres, c'est parce qu'il y a un choc dans l'opinion, mais également parce qu'il veut montrer qu'il s'occupe de la situation et qu'il la maîtrisera. Actuellement, on passe par un pic, qu'il vous faut, il est vrai, subir. Je comprends parfaitement que vous défendiez vos intérêts économiques, mais je doute que vous y parveniez en répétant à longueur de journée que la baisse est de 20, 30, 40 % et qu'elle sera bientôt de 70 % comme en Italie. Je suis persuadé que, ce faisant, vous incitez le consommateur à ne pas acheter. Cela étant, ce que je dis n'est pas une démonstration scientifique, seulement un jugement subjectif...

M. Denis LAMBERT : Je comprends parfaitement ce que vous venez de dire. Vous remarquerez, d'ailleurs, que notre groupe n'a absolument pas communiqué depuis le début de la crise. C'est la première fois que nous prenons la parole en public, et à votre demande.

M. Jean-Claude FLORY : Nous sommes là pour vous écouter et pour vous soutenir. Nous avons parfaitement conscience des difficultés majeures que traverse actuellement votre filière qui est un des fleurons de l'agro-alimentaire français, à l'image reconnue au plan international. Nous savons que l'enjeu est capital sur le plan de l'économie, de l'emploi, pour nos exportations comme pour notre consommation intérieure.

J'ai vu, hier soir, un reportage télévisé exemplaire à tous égards sur le plan pédagogique, qui expliquait que l'on pouvait consommer en toute sécurité les volailles françaises. La presse nationale comme la presse régionale, et particulièrement depuis qu'a été découvert le premier oiseau infecté, se sont, elles aussi, engagées dans une démarche véritablement pédagogique, alors même que le sujet est propice aux interprétations les plus alarmistes de la part d'un consommateur saturé d'informations les plus diverses. Et voyons les chiffres : la baisse de la consommation de volailles atteint 40 % en Grèce, 70 % en Italie,...

M. Marc LE FUR : Et 90 % en Turquie...

M. Jean-Claude FLORY : ...alors qu'elle reste aux alentours de 25 % en France.

M. le Président : Peut-être nous direz-vous quelle est la part de la grande distribution dans la baisse de la consommation...

M. Jean-Claude FLORY : Certes, c'est déjà énorme, mais la comparaison montre que certaines actions de communications n'ont pas été inutiles. On ne peut pas reprocher à un ministre de se rendre là où le virus a été détecté et de s'exprimer. S'il n'avait pas communiqué sur ce sujet, anticipé sur une problématique de santé animale qui pourrait devenir une problématique de santé humaine, quand bien même le risque reste faible, nos concitoyens n'auraient pas compris.

M. Pierre HELLIER : Je vous connais et je comprends vos angoisses. Sachez que, au sein de cette mission, nous avons toujours dit et répété que nous faisions confiance aux structures d'élevage françaises. Ce que nous aimerions savoir, c'est ce que vous pensez de la vaccination, du confinement. Comment comptez-vous vous y prendre ? Jugez-vous ces mesures réalisables ?

M. Gabriel BIANCHERI : Que pensez-vous de l'utilisation de filets pour protéger les élevages ?

M. Pierre HELLIER : Force est de reconnaître, également, que les médias jouent désormais un rôle tout à fait honnête par rapport à ce qu'il en était au départ. Et pourtant, le risque n'a pas diminué depuis.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous des diverses mesures de précaution prises pour prévenir l'épizootie ? Que pensez-vous des propositions financières avancées par le Gouvernement - et qu'allez-vous réclamer, puisque vous rencontrerez le ministre très bientôt ? Que pensez-vous du comportement de la grande distribution, qui vient de faire état de pertes encore plus importantes - Rungis annonce moins 35 % ? Que pensez-vous enfin de la vaccination, sur laquelle la Commission n'a pas encore donné son accord, mais dont vous semblez partisan ?

M. Denis LAMBERT : Nous avons effectivement remarqué, depuis quinze jours, un véritable changement dans le comportement de la presse qui comprend - enfin - qu'il n'y a aucun risque. Mais je maintiens que la diffusion d'images montrant des vétérinaires avec des masques et des combinaisons n'est pas de nature à rassurer les Français.

Nous sommes favorables à une vaccination préventive généralisée des volailles en France et en Europe - cette décision doit évidemment être prise au niveau européen.

M. le Rapporteur : Quelles volailles ?

M. Denis LAMBERT : Toutes les volailles. Les nôtres, celles qu'on vous vend !

M. le Président : Alors çà, c'est nouveau... Prenez le temps de nous l'expliquer !

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Le virus de l'influenza aviaire n'est pas très compliqué. D'autres virus de maladies de volailles lui ressemblent beaucoup, notamment celui de la maladie de Newcastle, pour laquelle on dispose d'ores et déjà de vaccins efficaces, peu coûteux et utilisés à l'échelle mondiale. Je suis surpris d'entendre que vacciner un canard coûterait 1 euro. Pour lutter contre une maladie à virus, il arrive un moment où il n'y a guère mieux que le vaccin. Le seul problème est de faire admettre, à l'échelle européenne, la vaccination comme un protocole de prévention des maladies des animaux domestiques, afin de ne pas se retrouver interdits d'exportation du jour au lendemain. Bruxelles y travaille ; je ne sais pas quelle sera sa réponse. Sur le plan technique, en recourant au vaccin contre le H5N2, utilisé en Italie il n'y a pas si longtemps et compatible avec le virus H5N1, nous pouvons être certains de disposer de vaccins dans un délai très bref, à plus forte raison si les laboratoires sont assurés d'un marché important, comme on le fait pour la grippe humaine. La vaccination des oiseaux domestiques me paraît le seul moyen de redonner durablement confiance aux consommateurs.

M. le Rapporteur : Quel est le prix d'un vaccin ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : J'ai lu dans la presse qu'il en coûterait 1 euro par canard. Je suppose que l'on y intègre des frais de manipulation des animaux. On vaccine d'ores et déjà les volailles pour toutes sortes de maladies pour dix centimes de franc à un franc la dose. Le vaccin de l'influenza aviaire sera peut-être un peu cher au départ, mais il devrait coûter moins d'un franc par volaille. Les palmipèdes doivent, en principe, recevoir deux injections, mais pour les oiseaux de type gallus, une simple injection suffit, qui peut se pratiquer au couvoir. On vaccine déjà contre la maladie de Marek, la maladie de Gumboro ou la bronchite infectieuse, autant d'affections inconnues du public mais qui provoquent classiquement des épidémies.

L'OIE a recommandé la vaccination dans les zones infectées, et l'AFSSA pour les palmipèdes dans les zones de passage des migrateurs. Pourquoi cette recommandation de l'AFSSA ? Parce qu'il s'agirait d'une très bonne expérimentation pour vérifier que la vaccination fonctionne. L'étape suivante sera la vaccination systématique. Lorsqu'on aura trouvé d'autres cas d'oiseaux sauvages, l'opinion européenne ne tardera pas à évoluer et à se rendre compte que pour protéger les oiseaux domestiques, il faut vacciner.

M. François GUILLAUME : Les contraintes de mise en œuvre de la vaccination contre l'influenza aviaire ne sont-elles pas plus lourdes que pour les maladies de Marek, Newcastle et autres ? Par ailleurs, ne craignez-vous pas les conséquences au niveau commercial ? Certains pays ne manqueront pas d'en tirer argument pour refuser vos exportations...

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Vous avez raison, mais cette question est d'ores et déjà un peu dépassée. Le monde entier contrôle désormais la santé de ses oiseaux sauvages : c'est ainsi que l'on a pu détecter le H5N1 sur un canard des Dombes et ailleurs en Europe. Jamais on n'avait songé à faire de tels contrôles auparavant. Si on l'avait fait il y a dix, quinze ou cinquante ans, on n'aurait pas manqué de trouver des virus d'influenza aviaire sur les oiseaux sauvages, comme on en trouvera demain sur des pigeons ou d'autres espèces, ce qui ne manquera évidemment pas, d'ailleurs, d'affoler les gens.

M. Gabriel BIANCHERI : Bien sûr !

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : La capacité des oiseaux sauvages à constituer un réservoir d'influenza aviaire est évidente. Il s'agit désormais de protéger les oiseaux domestiques. Nous pouvons les manipuler, nous savons les vacciner avec des vaccins atténués, très faciles d'utilisation. Interrogez les laboratoires Merial : ils les diffusent déjà par millions de doses dans les pays étrangers.

Vous avez raison pour l'exportation. Mais à chercher du H5N1 partout dans le monde, on finira par en trouver partout. Les réticences des derniers pays finiront par tomber bientôt.

M. Gabriel BIANCHERI : Je suis d'accord.

M. François GUILLAUME : Même le Brésil ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Les Brésiliens n'avaient pas de fièvre aphteuse et se montraient très suspicieux en la matière : ils en sont aujourd'hui infestés... Ils auront de l'influenza aviaire tôt ou tard.

M. Marc JOULAUD : Cette position favorable à la vaccination vous est-elle propre ou est-elle partagée par l'ensemble de la filière ?

M. le Président : Bonne question !

M. Marc JOULAUD : Vous avez laissé entendre que le confinement par étapes avait eu un effet néfaste en termes de communication, qui s'est ressenti sur la consommation. Ne craignez-vous pas qu'une extension progressive de la vaccination, comme vous le souhaitez, n'ait pas un effet similaire et réduise d'autant le bénéfice escompté,  d'autant que la position de Bruxelles n'est pas encore calée sur le sujet ?

M. le Président : Vous réalisez sans doute que vos déclarations expriment un profond changement par rapport aux données dont nous disposions. Votre prise de position est orthogonale par rapport à celle du Gouvernement et de l'Union européenne. Si je comprends bien, vous considérez que puisque l'endémie va se généraliser, il est préférable d'anticiper : la psychose sera telle, estimez-vous, que la vaccination sera la seule réponse. Cette position est, à nos yeux, radicalement différente, pour ne pas dire explosive, par rapport à ce que nous savions. Est-elle propre à votre entreprise ou peut-on la considérer comme une position syndicale ? Enfin, quid de l'export ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Effectivement, la succession d'annonces n'est pas heureuse. Nous avons particulièrement mal vécu les moments où, contre l'avis de l'AFSSA, on a étendu peu à peu le confinement à de nouveaux départements. La mise en place de la vaccination dans trois départements aura, en revanche, l'intérêt de constituer une expérience de terrain française - tout aviculteur ayant un peu voyagé dans le monde sait que la vaccination connaît des succès, mais parfois des échecs, comme en Chine, lorsque l'approche n'est pas appropriée. Dès 2002, au moment des crises italienne et hollandaise, les Fermiers de Loué avaient envoyé à la DGAL un courrier, resté sans suite, demandant d'étudier au plus vite la question de la vaccination des volailles contre l'influenza aviaire - à l'époque H5N2 -, ne serait-ce que pour limiter les risques économiques et les abattages systématiques.

Quant au problème des exportations qui seraient rendues impossibles à cause de la vaccination, il est déjà là : je suis président d'une société de sélection dont 40 % des ventes se font à l'export et je peux vous dire que nous ne vendons plus de reproducteurs au Japon depuis qu'un canard infecté au H5N1 a été retrouvé dans les Dombes... Toutes les commandes du Japon, mais également de la Corée, ont été annulées. Le problème de la fermeture des frontières est d'ores et déjà posé.

M. Denis LAMBERT : Les grands exportateurs ne sont évidemment pas des ardents défenseurs de la vaccination... C'est pourquoi nous appelons à une décision européenne, voire mondiale. Mais ce sujet ne fait pas consensus au sein de la profession.

Pour ce qui est des aides gouvernementales, les indemnités prévues sont infimes : nos pertes, réelles et démontrables, avoisinent les 200 millions d'euros. Nous proposons de verser les aides qui nous sont proposées sur un fonds qui serait affecté à la communication. L'État et les collectivités territoriales les plus concernées pourraient l'abonder de telle manière que nous puissions rapidement engager des actions de communication sur le thème : « Il faut manger de la volaille »... L'argent serait ainsi mieux utilisé, plutôt que d'être dispersé en petits versements individuels.

M. le Président : Le message devrait être, non pas « Il faut manger de la volaille », mais « Vous pouvez manger de la volaille » !

M. Denis LAMBERT : Vous avez raison !

La gestion de ce fonds devrait être confiée aux professionnels de la filière, sous le contrôle, évidemment, de l'État, des vétérinaires et des scientifiques, et non à des tiers. La communication devra naturellement être ciblée prioritairement vers le grand public, mais également vers les professionnels de la santé.

M. le Rapporteur : Nous songions à proposer au président de l'Assemblée nationale d'organiser un repas de volaille pour tous les parlementaires !

M. Denis LAMBERT : Merci d'y avoir pensé : j'allais précisément vous le suggérer. Et nous offrirons la volaille...

Les thèmes de communication doivent être les suivants : la maladie ne se transmet jamais à l'homme par voie alimentaire ; les poulets qui arrivent dans l'assiette du consommateur sont sains et contrôlés à tous les stades ; toute maladie survenant chez un éleveur est immédiatement détectée et les mesures appropriées aussitôt prises pour éviter toute propagation ; ne pas manger de viande blanche peut être préjudiciable à la santé. Nous proposons également d'ouvrir une négociation entre les professionnels de la filière, les services de l'État et les acteurs de la grande distribution et de la restauration collective, afin de valoriser le produit d'origine France ou Europe.

M. Daniel PRÉVOST : La baisse des exportations ne date pas d'aujourd'hui : elles ont chuté de 24 % depuis 1998... Se pose également le problème des assurances : comment réagissent vos assureurs face à cette situation ? Peut-on enfin craindre une dépréciation du label ?

M. François GUILLAUME : Vous me semblez minimiser le risque commercial. On finira par trouver du H5N1 au Brésil, certes ; mais vous savez aussi bien que moi ce qui se passera. Sitôt que nous vaccinerons, le Brésil, notre grand concurrent en matière d'exportation de volailles, qui nous a dépassés depuis un moment déjà, fermera immédiatement ses frontières, et de nombreux pays avec lui. Le temps de réunir un panel à l'OMC, puis de mettre en œuvre les éventuelles mesures pour rétablir la situation, cela prendra des années. Jamais on ne compensera les pertes subies, et les marchés perdus le resteront. Voyez l'exemple de la fièvre aphteuse ; et pour avoir négocié l'ouverture du marché japonais au porc français, je sais que cela prend des années !

M. Pierre HELLIER : Je ferai, quant à moi, le pari de la vaccination : je crois que vous avez raison. Dans un premier temps, cette mesure pourrait effectivement nous porter préjudice, mais, de toute façon, le coup est déjà parti. Aurais-je davantage confiance dans un poulet vacciné ? Sans doute.

M. Denis LAMBERT : Ils sont déjà vaccinés contre d'autres maladies...

Je suis d'accord sur les risques à l'exportation. Mais il faut bien se rendre compte que, du fait des charges et de la fiscalité, l'exportation n'est plus un métier pour l'aviculture française. Il faut être réaliste : d'ici à cinq ans, il n'y aura plus aucune exportation de poulet français. Tout viendra du Brésil.

M. François GUILLAUME : C'est un autre problème...

M. Denis LAMBERT : C'est pour cela qu'un industriel français s'est installé au Brésil. Nous pouvons encore travailler sur nos marchés locaux. En revanche, il faut une position européenne globale. Les importations du Brésil et des pays tiers atteignent 800 000 tonnes : elles ont été multipliées par cinq en cinq ans, alors que les règles sanitaires au Brésil sont loin d'être aussi draconiennes que les nôtres : par exemple, les volailles brésiliennes sont nourries aux farines de viandes, interdites chez nous. L'interdiction du Nifursol en Europe, suite aux pressions américaines, nous empêche d'élever nos dindes dans de bonnes conditions. Pendant ce temps, les Américains et les Brésiliens utilisent des arsenicaux interdits en Europe depuis trente ans ! Mais de cela, on ne parle pas... D'une manière générale, je suis atterré par la position de l'Europe sur l'aviculture.

M. le Président : Vous ouvrez là un champ d'investigation qui va au-delà de celui de notre mission...

M. Denis LAMBERT : Nous sommes prêts à investir des millions pour préserver nos ressources énergétiques ; mais l'énergie du corps humain, autrement dit l'alimentation, personne ne s'en préoccupe !

M. le Président : Vous avez certainement raison, mais revenons à notre affaire...

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Je précise que la baisse de la consommation ne touche pas tant la volaille de Loué en tant que telle que la volaille entière. Il faut savoir, par ailleurs, que la Thaïlande, quoique frappée depuis longtemps par l'influenza aviaire, exporte librement en Europe de la viande de volaille cuite servant à des préparations culinaires qui se vendent fort bien, et sous des marques françaises très connues ; mais de cela, le consommateur ne se soucie guère...

M. Gabriel BIANCHERI : Tout à fait !

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : On peut, certes, discuter de la vaccination et de ses inconvénients, notamment à l'exportation ; mais dès lors que l'Europe laisse entrer, au motif qu'elle est cuite, de la volaille provenant de pays touchés par l'influenza aviaire, on peut se demander si l'étanchéité des frontières n'est pas à sens unique... M. Guillaume a raison d'appeler à la prudence : c'est pourquoi nous n'envisageons la vaccination que dans le cadre d'une démarche européenne. Si on s'y était pris il y a trois ou quatre ans en écoutant davantage certains professionnels, nous aurions pu éviter la catastrophe que nous subissons aujourd'hui.

M. Gabriel BIANCHERI : Les Hollandais la réclament depuis longtemps...

M. le Président : Et que pensez-vous du rôle de la grande distribution dans cette crise ?

M. Denis LAMBERT : Il ne faut pas forcément la condamner. Les grands distributeurs sont habitués à anticiper les comportements du consommateur : s'ils peuvent vendre de la volaille, ils la mettent en rayon. Qu'ils profitent de la faiblesse du marché, nous le comprenons : ce ne sont pas des enfants de chœur... Mais ils n'hésitent pas à mettre en avant nos produits, à accueillir nos éleveurs pour faire de l'animation et relancer le marché. Reste que les employeurs comme les employés des grandes surfaces sont inquiets depuis que des plans anti-grippe aviaire humaine ont été mis sur pied dans la grande distribution, avec port de masques envisagé, vaccins, etc. Par leur comportement, ils alimentent l'inquiétude générale. En plus, lorsque les grands distributeurs voient un reportage alarmiste à la télévision, ils se disent que les consommateurs le voient aussi et qu'ils ne vendront pas de volailles le lendemain.

M. Gérard DUBRAC : Et ils n'en mettent pas en rayon...

M. Denis LAMBERT : Ils anticipent, mais ce ne sont pas eux les premiers responsables.

M. Gérard DUBRAC : Je ne partage pas ce point de vue : je crois, pour ma part, que la grande distribution a joué un rôle très néfaste dans cette affaire. Il y a un abattoir dans ma commune, qui traite 300 000 poulets par semaine. A onze heures du matin, ceux qui y travaillent ne savent toujours pas la quantité qu'ils doivent abattre... C'est ingérable. Tout simplement parce que la grande distribution anticipe systématiquement : au lieu de mettre dix mètres de rayons, elle en installe deux et les consommateurs sont d'autant moins tentés d'acheter. Les linéaires se sont réduits dans des proportions bien plus fortes que les abattages.

M. Gabriel BIANCHERI : Exact !

M. Denis LAMBERT : Il est vrai que nous travaillons à flux tendus. C'est précisément la raison pour laquelle nous proposons d'organiser une conférence qui rassemblerait, sous la houlette de l'État, les acteurs de la filière et la grande distribution pour parler de ces problèmes.

M. Gérard DUBRAC : Sur le plan de la communication, ce serait certainement plus utile que de s'en prendre à un ministre qui fait son travail sur le terrain... Le problème de l'industriel, c'est de voir comment ses partenaires, en l'occurrence quelques centrales d'achat, se comportent dans leur communication vis-à-vis du grand public. Ne plus proposer un produit, c'est garantir sa perte. Il n'y a qu'à voir dans quelles proportions les linéaires ont diminué. Une telle attitude est coupable.

M. Denis LAMBERT : Les chiffres varient très bizarrement d'un magasin à l'autre. Certains font plus, d'autres beaucoup moins, que la moyenne annoncée. Cela dépend d'abord du directeur et du chef de rayon. Certains vendent même davantage de volaille qu'avant.

M. Marc JOULAUD : À qui aviez-vous adressé votre demande sur la vaccination en 2002 ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : À notre autorité statutaire, la DGAL. Nous savions que cette épidémie d'influenza aviaire ne serait pas la seule.

M. le Président : Je reprends vos propositions : premièrement, vaccination généralisée ; deuxièmement, concentration des aides sur une politique de communication...

M. Denis LAMBERT : Troisièmement, une conférence associant producteurs, distributeurs et dirigeants de la restauration collective : certains restaurants demandent d'enlever la volaille des menus...

M. Marc JOULAUD : La filière a-t-elle des mesures immédiates et concrètes à proposer en matière de fiscalité, d'allégement de charges ou de soutien à l'emploi ?

M. Denis LAMBERT : Nous avons déjà demandé des reports de charges fiscales : les préfets nous ont reçus, et les trésoriers-payeurs généraux ont pris des engagements. Pour ce qui est de l'emploi, nous jouons sur la flexibilité ; tant que nous en resterons à moins 10 ou moins 20 %, nous pourrons éviter les plans sociaux. Encore faut-il rassurer le consommateur en communiquant rapidement et intensivement sur le fait qu'il est sain de manger de la volaille et qu'elle ne représente aucun risque pour la santé. Mais le CIV, le Centre d'information des viandes, s'y est longtemps opposé.

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : On a avancé le chiffre de 6 millions d'euros d'aides - plus exactement cinq millions, et un million accordé au CIV pour assurer la communication, mais TTC : si l'on enlève les 20 % de TVA sur les achats d'espaces publicitaires, on tombe à 800 000 euros... Quant aux 4 millions promis aux aviculteurs, ils ne représenteront guère que 300 ou 400 euros par exploitant : pour des producteurs qui perdent entre cinquante et cent fois plus... Sans oublier l'effet de la règle du cumul maximum d'aides à 3 000 euros par exploitation. L'effet d'annonce risque, au final, d'aboutir à un sentiment d'incompréhension. Voilà pourquoi nous avons pris sur nous d'interpeller tous les groupements de producteurs avicoles, en les invitant à mettre cet argent en commun sur un fonds de communication. Le ministère de l'agriculture n'a pas l'air d'accepter ce qu'il considère comme un détournement de fonds. Mais à moins de 15 ou 20 millions d'euros, on ne pourra jamais faire de communication sur la relance de la consommation de volaille - je sais ce qu'il en coûte aujourd'hui aux Fermiers de Loué.

M. François GUILLAUME : Cet argent ne devrait-il pas plutôt être réservé à des interventions sur le marché pour, éventuellement, dégager des stocks ? Vous avez parlé de la restauration collective. Au moment de l'ESB, les maires ont immédiatement exclu toute viande bovine des menus des cantines scolaires. Ressent-on aujourd'hui le même phénomène ? Sans compter que les morceaux de poulets sont peut-être importés de Thaïlande...

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Les deux principales centrales, SOGERES et SODEXHO, nous ont indiqué que leurs clients leur demandaient de supprimer la volaille des menus. Les budgets de communication devront être de l'ordre de ceux qui ont été consentis pour la vache folle si l'on veut rétablir l'équilibre ; de toute façon, cela coûtera beaucoup moins cher que de licencier 35 000 personnes. D'ailleurs, considérant que la filière était durablement touchée, nous avons décidé de nous-même d'engager un plan de cessation d'activité. Cette décision a étonné la profession. La coopérative des Fermiers de Loué y a investi 3,5 millions d'euros, puisés dans ses réserves, afin de permettre à nos producteurs les plus anciens de partir en préretraite en leur accordant une dotation de 14 000 euros par poulailler arrêté. A ce sujet, je réponds à une question qui a été posée : il n'existe pas d'assurance en la matière, il faut se débrouiller ou disparaître. En arrêtant 10 % du parc de Loué, nous sommes encore loin de ce qu'il va falloir faire. Il ne faut pas avoir peur d'envisager des plans de cessation d'activité : cela n'a rien d'agréable, mais ceux qui resteront n'en seront que plus solides. Nous n'aimerions cependant pas nous retrouver déshabillés si, demain, le ministère décidait de généraliser ce type de mesure, alors que Loué en a pris l'initiative, et sur ses propres fonds...

M. le Président : En fait, vous êtes en train de changer de modèle économique : au-delà du problème de la grippe aviaire, vous cherchez à anticiper une situation que vous jugez inéluctable, en vous concentrant sur le marché national...

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Européen.

M. le Président : ...et européen. Avez-vous bien conscience qu'en prenant cette position sur la vaccination, vous créez un choc national, puis européen, qui sera particulièrement violent ? Si la France vous suivait en décidant la vaccination, ce serait, au moins dans un premier temps, une véritable rupture.

M. Denis LAMBERT : C'est pourquoi, je le répète, nous souhaitons que cette position soit prise par l'Europe, et non par la France seule.

M. le Président : J'entends bien ; mais dès lors que vous aurez ouvert les vannes, dans l'état d'agitation économique qui s'ensuivra, je souhaite bonne chance au Gouvernement pour contenir le flot...

M. Gabriel BIANCHERI : D'autres pays la réclament.

M. le Président : Je ne porte pas de jugement : je constate seulement que nous sommes en train de changer de modèle économique.

Autre sujet : quel est votre sentiment sur le commerce international de poussins et autres oiseaux infectés, comme cela semble avoir été le cas entre pays infectés et pays encore indemnes...

M. Denis LAMBERT : Nous avions prévu de vous parler du Nigeria, où il est prouvé que l'arrivée du H5N1 n'est pas le fait des oiseaux migrateurs...

M. le Président : Ce n'est pas prouvé.

M. Denis LAMBERT : M. Bougrain-Dubourg l'a redit...

M. le Président : Vous le citez, mais seulement quand cela vous arrange !

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : Nous pouvons citer d'autres spécialistes...

M. le Président : Le ministre, que nous entendions juste avant vous, nous a confirmé que ce n'était pas encore prouvé. Restons-en là et développez votre argumentation.

M. Denis LAMBERT : Il existe un commerce d'animaux, particulièrement de poussins vivants, entre la Chine ou d'autres pays et l'Afrique. C'est pourquoi l'on pense que le H5N1est vraisemblablement arrivé en Afrique par les poussins.

M. le Président : Autrement dit, pour parler clairement, vous émettez, en tant qu'industriels, une protestation contre cette forme de commerce... Réclamez-vous un contrôle renforcé ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : La France exporte une quantité considérable de poussins, qu'il s'agisse de dindes, de canards et surtout de reproducteurs - nous détenons 30 % du marché de la génétique aviaire. Il va nous falloir trouver des protocoles au niveau européen évitant la fermeture des frontières. Nous y sommes parvenus avec la maladie de Newcastle, en répondant aux exigences de l'Angleterre qui refusait tout reproducteur issu de grands-parents vaccinés. Il suffira de faire travailler les experts sanitaires européens et français pour trouver le mode de fonctionnement adéquat. Quoi qu'il en soit, on finira tôt ou tard par aller à la vaccination, j'en prends le pari.

M. Gabriel BIANCHERI : Je partage ce jugement.

M. François GUILLAUME : La réduction du potentiel de production par le financement de départs volontaires permettra peut-être de faire face à la diminution de la consommation, mais elle revient à tuer l'avenir... Ne serait-il pas préférable, dans le cadre de vos relations contractuelles, de réduire le potentiel de production, sans organiser de départs, à charge pour l'État de compenser le différentiel entre le prix de revient et le prix de vente, afin de garantir le revenu du producteur, dans l'attente de jours meilleurs ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : La décision que nous avons prise vise justement à préserver l'avenir : en indemnisant les cessations d'activité, nous anticipons sur des départs à la retraite et un « papy-boom » prévisibles, tout en préservant du dépôt de bilan nos plus jeunes adhérents, financièrement les plus fragiles parce qu'en période de remboursement. Autrement dit, les anciens partent un peu plus tôt et les jeunes sont confortés dans leur exploitation grâce au maintien d'un rythme de rotations. Prévoir une indemnisation sur le modèle que vous suggérez n'aurait de sens qu'à partir du moment où nous serions sûrs de retrouver nos niveaux de vente antérieurs ; or, ce ne sera pas le cas. Et quand bien même nous y parviendrions un jour, les éleveurs et les bâtiments les plus anciens ne seraient plus, alors, en activité. Aussi avons-nous préféré investir dès maintenant 3,5 millions d'euros afin de préserver une filière qui croit en l'avenir, plutôt que d'attendre la fin 2006 pour constater que tous les jeunes seront tombés ; s'il ne reste plus que les anciens, la filière aura totalement disparu dans dix ans.

M. Denis LAMBERT : Des aides au stockage - ou au déstockage, car des stocks se sont déjà constitués - nous aideraient évidemment à nous en sortir. S'agissant des échanges d'animaux vivants, je ne puis que suggérer au Gouvernement de renforcer la vigilance dans les aéroports et les gares, tant au niveau des voyageurs qu'à celui des marchandises. Le virus arrivera plus facilement par l'avion que par les oiseaux migrateurs.

M. Gabriel BIANCHERI : Nous sommes bien d'accord.

La petite coopérative d'abattage située près de chez moi demande, elle aussi, des aides au stockage afin de ne pas interrompre son activité. Elle a calculé que si la situation ne se dégradait pas davantage, elle pourrait supporter la crise pour peu qu'on la soulage de ses charges patronales. Elle aussi a anticipé les difficultés à venir : par solidarité, les producteurs les plus anciens ont accepté de ne pas remettre immédiatement de nouvelles unités en production, afin de préserver l'activité des jeunes les plus en difficulté. Autrement dit, même les plus petites structures ont d'ores et déjà pris, en interne, des dispositions qui seraient, au demeurant, parfaitement transposables.

M. le Rapporteur : Le Gouvernement s'oriente vers deux vaccins, l'un classique et l'autre issu des biotechnologies. Avez-vous une préférence particulière ?

M. Yves de LA FOUCHARDIÈRE : J'ai eu l'occasion d'examiner ce dossier de près. Non seulement nous sommes persuadés de l'excellence de notre système vétérinaire, mais nous reconnaissons la totale compétence de l'AFSSA pour émettre des recommandations, tout comme celle de la DGAL et des services départementaux. Si nous avons connaissance, grâce à nos propres réseaux, d'un vaccin présentant un intérêt particulier, nous présenterons nos suggestions, mais nous suivrons, en tout état de cause, la position du ministère.

M. le Président : Faites-vous partie de l'Association nationale des industries alimentaires, l'ANIA ?

M. Denis LAMBERT : Pas directement. Nous sommes adhérents de la FIA, la Fédération des industries avicoles, elle-même membre de l'ANIA.

M. le Président : L'ANIA a, vis-à-vis de l'AFSSA, un discours moins élogieux que le vôtre...

M. Denis LAMBERT : Je ne connais que le poulet, et un peu le secteur traiteur, qui représente 10 % de notre activité. Nous avons toujours approuvé, et aussitôt appliqué, les recommandations de l'AFSSA, en particulier sur le confinement.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.


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