Mercredi 15 mars 2006

- Audition de MM. Gilles BRÜCKER, directeur général de l'Institut national de veille sanitaire (InVS), et Daniel LEVY-BRUHL, expert au département des maladies infectieuses de l'InVS

(Compte rendu de la réunion du mercredi 15 mars 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Dans le cadre de l'examen du « plan Pandémie » auquel elle procède actuellement, notre mission d'information se penche sur les questions de veille et d'alerte sanitaires. Quel est le rôle de l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, à cet égard ? Si une pandémie se produisait, la France ne serait vraisemblablement pas le premier pays touché et il serait possible de freiner la pénétration du virus, mais pas, je crois, de l'empêcher. On se concentre trop, à mon avis, sur la recherche du premier cas français alors qu'il faudrait plutôt travailler sur l'hypothèse d'un grand nombre de cas. Qu'en pensez-vous ?

M. Gilles BRÜCKER : Les choix du plan ont-ils été parfaitement bien dimensionnés ? Compte tenu de la complexité de la question, répondre n'est pas simple.

Jusqu'à présent, 178 cas de personnes atteintes par le virus H5N1 non humanisé, non muté, ont été identifiés dans le monde, avec 98 décès recensés dans sept pays. Mais aucun cas n'a été identifié ni en France ni en Europe et, surtout, jamais une transmission interhumaine n'a été constatée : nous ne sommes donc pas en situation pandémique, alors que le virus H5N1 épizootique voyage depuis deux ans et s'étend. Et, si nous identifions un cas en France, cela ne signifiera pas non plus que la pandémie démarrera.

L'InVS a d'abord eu une fonction d'expertise et d'anticipation, sur la base des données disponibles, s'agissant du risque pandémique à venir. C'est dans ce contexte que nous avons publié, il y a plus d'un an, un document intitulé Préparation à la lutte contre une pandémie grippale, qui prend appui sur une modélisation des données des trois grandes pandémies de 1918, 1957 et 1968. Il envisage une attaque sur 15 à 35 % de la population, soit 9 à 22 millions de personnes touchées, 500 000 à 1 million d'hospitalisations et 90 000 à 200 000 décès possibles. Ce scénario repose sur l'hypothèse d'une absence totale d'intervention des pouvoirs publics, de mesures-barrières, ni d'utilisation d'antiviraux ; il décrit l'histoire naturelle d'une épidémie grippale suivant son cours, sans intervention. Avec les mesures programmées dans le plan, nous ne devrions pas assister à un phénomène d'une telle ampleur.

L'InVS a également analysé les bénéfices attendus des différentes mesures de contrôle possibles, singulièrement l'utilisation des antiviraux, pour traiter les malades ou dans un souci prophylactique, chez les professionnels de santé - des professionnels indispensables au pays en cas de situation pandémique.

Nous avons aussi sérieusement renforcé la surveillance de la grippe saisonnière. La pandémie grippale susceptible de survenir ne serait pas fondamentalement différente d'une épidémie habituelle. L'InVS dispose déjà depuis longtemps d'outils de surveillance pour suivre la progression d'une épidémie grippale mais il a renforcé les réseaux existants, notamment celui des médecins SENTINELLE et des groupements régionaux d'observation de la grippe, les GROG. Ces deux réseaux fournissent des données de nature différente : le réseau SENTINELLE s'intéresse essentiellement aux aspects cliniques ; le réseau GROG assortit sa surveillance clinique de prélèvements en vue de rechercher le virus grippal.

Nous avons considérablement renforcé la surveillance de la mortalité, avec des outils de deux ordres : la surveillance de la mortalité due à la grippe, à travers les DDASS des départements les plus peuplés de chaque région, qui nous font remonter en temps réel le nombre de certificats de décès mentionnant la grippe ; la surveillance de la mortalité en général, en liaison étroite avec l'INSEE, qui nous informe pratiquement en temps réel de la mortalité dans toutes les communes de France informatisées, ce qui représente une couverture de près de 75 % de la mortalité - ce deuxième volet a été mis sur pied après la canicule de 2003.

La surveillance que nous exerçons constitue un outil majeur utilisable en phase pandémique, à plusieurs niveaux : surveillance de la médecine libérale, avec l'aide des généralistes, en particulier les médecins SENTINELLE ; surveillance des urgences hospitalières, qui nous communiquent un relevé quotidien du nombre de passages aux urgences, de la composition de cette population par âge et par sexe et des principaux symptômes constatés. Le diagnostic est principalement d'ordre symptomatique. Certains réseaux de surveillance sont axés sur des pathologies assez spécifiques, comme celui de la bronchiolite, mais ils ne sont pas ancrés dans toutes les structures d'urgence.

Le développement de ce système aboutit à la constitution de bases de données assez volumineuses, ce qui nous impose de faire des choix stratégiques. Le premier objectif consiste à créer des bases de données régionalisées, en travaillant notamment sur des plates-formes régionales, dans une démarche concertée entre les agences régionales d'hospitalisation - les ARH - les DRASS, et les bases régionalisées de l'InVS, les CIRE, cellules interrégionales d'épidémiologie.

Mme Catherine GÉNISSON : Comment transitent les informations ? La communication en temps réel fonctionne-t-elle partout ? Tous les services d'urgence de France y participent-ils ?

M. Gilles BRÜCKER : Pas encore ! Nous ne pouvons pas demander aux urgentistes, par ailleurs accaparés, de remplir des fiches épidémiologiques ; c'est pourquoi nous n'avions pas organisé jusqu'à présent de véritable système de surveillance à partir des urgences. Nous avons choisi de nous servir des systèmes informatisés existants, dans lesquels sont enregistrés les passages aux urgences. Après la canicule 2003, j'ai écrit à tous les hôpitaux pour recenser les différents systèmes de surveillance des passages aux urgences. Leur diversité s'est révélée être un véritable casse-tête pour les informaticiens, et nous avons commencé, modestement, par construire un premier réseau reliant les hôpitaux dont les systèmes étaient compatibles. Ce réseau, qui s'est particulièrement développé en Île-de-France, avec la participation très active de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l'AP-HP, est en cours d'extension. Compte tenu de la mise en place des groupements régionaux de santé publique et des plans régionaux de santé publique, à la suite de la loi de santé publique, il nous a semblé important de dimensionner de véritables réseaux régionaux, qui répondent au plan grippe, mais aussi au plan canicule. Le dispositif n'est pas achevé, mais nous avançons avec les services du ministère de la santé pour que de plus en plus de régions et d'établissements bénéficient de plates-formes.

Nous évaluons la gravité de la situation en suivant les entrées aux urgences, les transferts vers les unités de soins intensifs ainsi que les données de mortalité.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment votre réseau SENTINELLE fonctionne-t-il ? La coexistence avec les GROG est-elle utile ? Ne serait-il pas plus pertinent de constituer un seul réseau en l'étoffant sur tout le territoire ?

M. Gilles BRÜCKER : Le réseau SENTINELLE, qui fonctionne avec des médecins généralistes libéraux, surveille plusieurs pathologies comme la grippe ou la rougeole. Comme d'autres, il fonctionne sur la base du bénévolat des médecins, dont l'implication n'est pas toujours optimale. Il compte, en principe, un nombre de médecins relativement élevé, près d'un millier, mais 200 à 300 d'entre eux assurent des transmissions actives. La couverture du territoire est-elle suffisante pour fonder une vision à peu près claire de la situation ? Les volontaires participent au réseau pendant un an ou deux, après quoi beaucoup se lassent et il faut les remplacer.

M. le Rapporteur : Le réseau SENTINELLE est donc fragile, contrairement au réseau GROG, qui semble présenter une certaine stabilité et donner de bons résultats.

Le bénévolat ayant des limites, ne faut-il pas envisager une indemnisation des médecins volontaires ?

M. Gilles BRÜCKER : Nous soutenons les deux réseaux et nous venons de renforcer notre soutien aux GROG, dont l'apport épidémiologique est majeur en matière de grippe, grâce aux prélèvements réalisés. Le réseau SENTINELLE est peut-être moins avancé dans le diagnostic car il n'effectue pas de prélèvements biologiques mais il présente l'avantage important d'être polyvalent, contrairement aux GROG, focalisés sur les pathologies grippales.

M. Daniel LEVY-BRUHL : Le réseau des GROG est indispensable en cas de pandémie parce qu'une partie de la surveillance sera de nature virologique : la sensibilité du virus aux antiviraux et l'évolution du virus nécessiteront des prélèvements en temps réel.

L'existence de deux réseaux présente également l'avantage de nous permettre de valider chaque semaine les données obtenues.

Le nombre de médecins qui se connectent n'est certes pas très élevé mais le réseau SENTINELLE a eu l'intelligence de garder en mémoire les références des 1 200 praticiens qui y ont participé un jour. Ceux-ci ne veulent peut-être plus s'investir chaque semaine, mais ils resteraient vraisemblablement intéressés par des actions particulières, notamment la surveillance d'un événement exceptionnel, comme le serait une pandémie.

M. Gilles BRÜCKER : Le signalement est une charge de travail supplémentaire. Il faudra par conséquent trouver les moyens d'indemniser les médecins participant à la veille sanitaire, afin de les fidéliser et de rendre l'outil plus efficace.

Mme Catherine GÉNISSON : Le seul critère de l'engagement bénévole et militant suffit-il à établir un échantillon représentatif au niveau national ? Ce manque d'exigence me surprend mais il n'est pas propre à la grippe aviaire.

M. le Président : Ni à l'InVS ! Notre système de santé n'est pas adapté aux objectifs de santé publique. Le volontariat n'est pas une solution au regard des impératifs de la politique de santé publique. Ce qui est nécessaire ne doit pas être volontaire.

M. Gilles BRÜCKER : Toute aide est bienvenue ! L'exigence de qualité et de représentativité est en effet très importante. Nous publions un bulletin hebdomadaire de surveillance de la grippe, comme pour d'autres pathologies, notamment la gastro-entérite aiguë. Malgré les imperfections du système, les données tiennent la route : elles permettent de suivre l'évolution de la situation dans toutes les régions de France et de faire un signalement quand le seuil épidémique est dépassé. L'outil est sûrement perfectible mais, avec le double réseau de SENTINELLE et des GROG, nous pouvons dresser des cartes et assurer un suivi reflétant assez bien la réalité.

M. le Président : Si vous êtes plutôt satisfait de la coexistence de deux réseaux nous, nous continuons à nous interroger.

M. Gilles BRÜCKER : Le champ de surveillance de l'InVS englobe à la fois les pathologies connues et les menaces potentielles. Pour les pathologies que nous connaissons, nous mettons en place un système de surveillance spécifique : les GROG.

M. le Président : Mais les GROG ont vocation à élargir leur périmètre de surveillance.

M. Gilles BRÜCKER : Nous souhaitons renforcer la surveillance effectuée par l'intermédiaire du réseau des médecins libéraux.

J'en viens à la surveillance plus spécifique du virus H5N1, dans ses composantes épizootique et humaine.

L'InVS a mis en place des outils de surveillance et de coopération internationaux : la veille sanitaire ne se conçoit pas sans prendre en compte la dimension internationale, le syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, l'a prouvé. Nous collaborons avec l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, dans le cadre du Global Outbreack Alert Response Network, le GOARN, à travers des missions d'expertises diverses. Nous soutenons aussi des actions de l'OMS en Turquie, en Azerbaïdjan, en Arménie et en Iran, où nous avons envoyé des équipes, notre capacité d'expertise étant connue et appréciée.

Notre soutien à la réflexion européenne passe désormais par l'European Center for Disease Prevention and Control, l'ECDC, fondé il y a un an et demi à Stockholm. L'InVS représente la France au conseil d'administration et au conseil scientifique de cet organisme. Daniel Lévy-Bruhl fait partie du premier groupe d'experts que l'ECDC a mis en place, relatif au risque pandémique.

Nous publions tous les jours les données de la surveillance internationale et nous diffusons un bulletin hebdomadaire décrivant la situation épizootique et répertoriant, pour chacun des pays touchés, le nombre de cas humains et le nombre de décès recensés.

Dans le cadre du plan contre la grippe aviaire, il est capital de définir ce qu'est un cas suspect, afin d'organiser la surveillance et le suivi des signalements. Nous mettons très régulièrement à jour cette définition : il s'agit d'identifier toute personne présentant une symptomatologie compatible avec la maladie, par ailleurs de retour d'un pays où sévit l'épizootie et où des cas humains ont été recensés. Nous analysons tous les cas pour vérifier que la symptomatologie, les dates du voyage et les contacts rendent la contamination possible et justifient des prélèvements et un suivi. Lorsque la situation clinique d'une personne est particulièrement préoccupante, c'est-à-dire lorsqu'un syndrome de détresse respiratoire aiguë est diagnostiqué, dès lors que le malade est passé par un pays touché par l'épizootie, quels qu'aient pu être ses contacts avec les oiseaux, la contamination est considérée comme possible.

Le médecin praticien confronté à une symptomatologie clinique de type grippal chez une personne ayant fréquenté une zone d'épizootie appelle le centre 15, qui prévient l'InVS, joignable vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Nous vérifions alors l'ensemble des données et, si nécessaire, un prélèvement est immédiatement fait.

M. le Rapporteur : À l'InVS, qui reçoit les appels ?

M. Gilles BRÜCKER : Des médecins épidémiologistes d'astreinte, parfaitement au fait des procédures. La veille, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, existe indépendamment de la grippe aviaire. Lorsqu'un seul interlocuteur ne suffit pas pour répondre au flux d'appels, nous en mettons systématiquement deux d'astreinte et, en cas de besoin, nous pouvons encore renforcer le dispositif dans la semaine.

M. le Président : Dans les procédures d'alerte, quelles qu'elles soient, vous êtes donc prévenus avant le DDASS, c'est-à-dire avant la filière étatique.

M. Gilles BRÜCKER : La fonction de base de l'InVS, la fonction épidémiologique, a été récemment renforcée dans son aspect alerte : nous sommes en première ligne. C'est un circuit court, qui va du médecin généraliste au centre 15 puis à l'InVS, avec au bout du fil une personne parfaitement au courant de la problématique.

Mme Catherine GÉNISSON : Je confirme que consigne est donnée aux centres 15 de procéder de la sorte.

Les tableaux cliniques sont fréquemment actualisés. Mais comment les nouvelles versions parviennent-elles aux médecins généralistes ? Je n'ai pas l'impression que l'information descende jusqu'aux acteurs de terrain.

M. Gilles BRÜCKER : Le premier maillon de la surveillance passe forcément par le médecin généraliste, qui établit le constat clinique.

Mme Catherine GÉNISSON : Vos documents existent mais ne sont pas diffusés aussi bien que vous l'imaginez.

M. Gilles BRÜCKER : J'ignore comment ils sont diffusés, mais je puis vous dire qu'une série de documents existent, sans oublier les sites Internet. En tout cas, l'InVS, le 15 mars, avait reçu 265 appels émanant des centres 15, dont 245 concernaient des personnes revenant de zones touchées par le virus H5N1, ce qui nous a conduits à prélever une trentaine d'individus, sans résultat positif à ce jour, vous le savez. L'identification récente d'oiseaux malades sur notre territoire a évidemment provoqué un pic d'appels.

M. le Rapporteur : Sur près de 300 appels, vous effectuez donc une trentaine de prélèvements, soit 10 %. Comment concluez-vous à la nécessité de réaliser un prélèvement ?

M. Gilles BRÜCKER : En discutant avec le médecin régulateur du centre 15, ou, si nécessaire, en prenant directement des renseignements auprès du médecin traitant, nous concluons souvent qu'il n'est pas nécessaire de prélever.

M. le Rapporteur : Ensuite, dans la chaîne de l'alerte, quelles opérations déclenchez-vous ?

M. Gilles BRÜCKER : Nous informons bien entendu la DDASS. Faut-il déclencher l'alerte avant même d'avoir connaissance le résultat du prélèvement ? La question mérite réflexion. Un cas considéré comme possible doit-il être ou non hospitalisé ? Cela ne va pas de soi. D'un point de vue médical, il est préférable que le patient soit hospitalisé mais, au plan strictement épidémiologique, en cas de syndrome fébrile ou grippal modéré, ce n'est pas indispensable tant qu'aucune transmission interhumaine n'a été observée. Le seul critère d'hospitalisation est la sévérité du cas. Compte tenu de l'inquiétude ambiante, la tendance est toutefois à l'isolement, à l'hôpital, pendant les vingt-quatre heures d'attente nécessaires pour avoir le résultat du prélèvement.

M. Gérard BAPT : Vos documents sont sans doute parfaitement rédigés, mais encore faut-il qu'ils parviennent aux praticiens. Or, un médecin m'a confié qu'il s'était senti complètement démuni lorsqu'il avait dû s'interroger sur la nécessité ou pas d'adresser un patient aux urgences. Le président du Conseil de l'Ordre ayant été saisi, les médecins généralistes de Haute-Garonne ont, enfin, tous reçu une information.

Nous avons repéré plusieurs dysfonctionnements dans les hôpitaux de Toulouse. Par exemple, un patient se présente un vendredi soir au CHU de Toulouse, où un prélèvement est effectué et une hospitalisation envisagée jusqu'au lendemain ; toutefois, le médecin de garde de l'InVS, contacté par téléphone, estime, lui, que l'hospitalisation n'est pas nécessaire. Le personnel du CHU ne sait que faire et finit par laisser repartir le patient qui, le lendemain matin, va voir son généraliste. Ce dernier n'a pas été appelé par l'hôpital et ne l'a pas lui-même appelé. Le hiatus entre les documents et la réalité est bien là : sur le plan opérationnel, tout reste à faire.

M. Gilles BRÜCKER : Des marges de progrès existent incontestablement pour améliorer l'appropriation des recommandations par tous les acteurs de terrain mais je n'irais pas jusqu'à parler de dysfonctionnements. Le principe de l'hospitalisation des cas suspects, alors que nous ne sommes pas entrés dans une phase de transmission interhumaine, n'est pas acté.

M. Gérard BAPT : Le service des maladies infectieuses a pour habitude d'hospitaliser les cas suspects, qui sont, certes, rares.

M. Gilles BRÜCKER : Le virus ne se transmettant pas pour l'instant d'homme à homme, il appartient au clinicien de déterminer si le malade doit être hospitalisé. Nous sommes extrêmement attentifs à ne pas aller au-delà de notre métier d'épidémiologiste, afin de ne pas interférer dans le choix des soins, qui relève du médecin traitant et de lui seul : la médecine par téléphone est dangereuse ; nous devons nous contenter d'échanger des informations.

M. le Rapporteur : Nous avons reçu du Conseil national de l'Ordre un petit document, que j'ai lu en détail et que je trouve assez bien fait.

M. Gilles BRÜCKER : Au-delà de ces procédures de signalement, notre articulation avec l'expertise biologique est extrêmement forte. Les agents pathogènes les plus importants sont suivis par les centres nationaux de référence, les CNR, éléments essentiels à la politique de surveillance et d'expertise, dont deux sont compétents en matière de la grippe, l'un pour le nord, l'autre pour le sud du pays. Le travail des épidémiologistes de l'InVS s'imbrique non dans celui de ces biologistes, sur le plan financier et évidemment sur le plan technique ; cette relation est irremplaçable pour la qualité de la surveillance et de l'expertise des maladies infectieuses.

M. le Président : En pleine crise pandémique, qu'apporterait l'InVS pour la gestion de la crise ?

M. Gilles BRÜCKER : Si la pandémie arrivait, la situation pourrait être très évolutive, et la gestion de la situation dépendra de sa gravité, du scénario qui se concrétisera. Le travail de l'InVS consistera à surveiller l'évolution pandémique - comme pour la grippe saisonnière -, à suivre la distribution géographique des cas et sa progression, à analyser la répartition par tranches d'âge et à surveiller différents indicateurs de gravité. Ces données seront extraordinairement importantes pour orienter les décisions politiques concernant la surveillance et le contrôle, ainsi que pour mettre en œuvre des mesures-barrières. Le bon usage des antiviraux et la mise sur pied d'une politique vaccinale nécessiteront une véritable stratégie de pilotage. Et nous assurerons, bien évidemment, un suivi ; nous avons d'ailleurs prévu de renforcer nos moyens. Je rappellerai que pendant les trois mois de l'épidémie de SRAS, il a fallu mobiliser vingt personnes à temps plein au sein du département des maladies infectieuses.

M. le Président : Avez-vous les moyens matériels et humains pour une telle montée en puissance ? Avez-vous reçu, depuis quatre ans, des moyens nouveaux ?

M. Gilles BRÜCKER : Notre difficulté est réelle, face à la grippe aviaire et au chikungunya, mais aussi à la méningite, dans la région de Dieppe, et ailleurs. Avec la place que prend désormais la veille sanitaire dans la politique de santé publique, nous devons tout savoir sur tout, tout le temps, en temps réel.

M. le Président : Avez-vous reçu des renforts budgétaires depuis six mois ?

M. Gilles BRÜCKER : Non. Le dimensionnement de notre dispositif régional n'est pas à la mesure des besoins, puisqu'il existe seulement 16 CIRE, dont certaines sont en outre trop petites - des besoins ont notamment été exprimés pour les CIRE ultramarines. Plus globalement, 150 postes font défaut à l'InVS pour mener à bien ses missions.

Le développement de l'activité de l'InVS depuis trois ans témoigne d'un réel soutien de la part des pouvoirs publics mais l'ampleur des demandes, le renforcement des systèmes d'alerte, la précision et la réactivité attendues requièrent incontestablement un renforcement de nos moyens.

M. le Rapporteur : Les préfets ont demandé aux maires de désigner un correspondant de veille sanitaire avant le 1er avril. Quel pourrait être son rôle ?

M. Gilles BRÜCKER : Je suis très sensible à cette démarche car nous avons besoin de relais de proximité. L'événement de la canicule nous a profondément marqués et l'un de nos soucis est, en effet, de bien identifier les groupes de population vulnérables et exposés. Le réseau des médecins SENTINELLE ne répondra pas à ce besoin de proximité. Cela vaut aussi pour les victimes du chikungunya, maladie assez invalidante qui nécessite une action de proximité au niveau des communes, à condition de disposer d'un dispositif approprié.

M. le Rapporteur : Faut-il aller plus loin, comme à Hongkong, où des citoyens sont chargés de la surveillance de leur quartier ?

M. Gilles BRÜCKER : Je ne sais pas si un tel îlotage serait approprié. Des réponses doivent être apportées mais il est primordial qu'elles garantissent le respect dû aux personnes. Faisons attention au bénévolat non contrôlé, non accompagné, non encadré : la qualité n'est pas toujours au rendez-vous.

M. le Président : Monsieur le Directeur général, je vous remercie.


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