Mercredi 29 mars 2006

- Audition de M. Xavier BERTRAND, Ministre de la santé et des solidarités

(Compte rendu de la réunion du mercredi 29 mars 2006)


Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président :  Monsieur le ministre, nous vous remercions d'être venu devant notre mission pour nous faire part de vos réactions au rapport que nous avons publié au mois de janvier dernier et qui portait sur les moyens médicaux disponibles - antiviraux, vaccins, masques, autres dispositifs médicaux - en cas de pandémie. Le rapporteur, M. Jean-Pierre Door, reviendra sur les interrogations qu'il posait dans ce rapport et sur les recommandations que la mission a formulées. Mais auparavant, je voulais vous inviter à nous faire part de votre jugement sur l'évolution globale de la situation, alors que l'épizootie continue de s'étendre dans le monde.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. L'évolution de la situation montre avant tout que la France a certainement été inspirée en décidant d'améliorer son état de préparation... Le premier plan, présenté en octobre 2004, prévoyait la constitution de stocks de masques et d'antiviraux, et la réservation de vaccins ; depuis le mois de juin 2005, nous avons entrepris non seulement d'améliorer notre préparation, mais surtout de faire en sorte que notre plan ne reste pas de papier, ou sur le papier. La France est certainement l'un des rares pays à être entré aussi loin dans le détail et dans les aspects fonctionnels.

La situation dans le monde, compte tenu de ses nouveaux développements, doit évidemment être prise avec le plus grand sérieux ; et quand bien même l'actualité laisse moins de place à la grippe aviaire, jamais je n'ai ralenti le rythme des réunions et des rencontres sur le sujet. Au-delà même de la situation africaine, les derniers événements en Égypte et en Azerbaïdjan montrent que la contamination de l'oiseau à l'homme continue : nous avons passé le cap des cent décès. J'ai officiellement demandé à l'OMS qu'une étude scientifique et médicale soit réalisée sur un certain nombre de cas, ce qui n'a encore jamais été fait, hormis par le laboratoire Roche Nous avons besoin tout à la fois de comprendre ce qui s'est passé et de savoir comment les patients ont été traités.

M. Jean-Pierre Door, Rapporteur. Le rapport fait état des interrogations que les membres de la mission se sont posées à l'issue d'auditions de fabricants de masques, de médicaments ou de vaccins. Ces questions appellent des réponses.

D'abord, à propos du Tamiflu®, il nous a été dit que l'approvisionnement de certaines matières premières, en particulier l'anis étoilé extrait de la badiane produite en Chine, pourrait poser des problèmes. Certes, il est désormais possible de produire le Tamiflu® par voie chimique, mais nous avons besoin d'avoir toutes assurances sur les possibilités de constitution de stocks à l'échelle française, mais également européenne et mondiale, puisque nous ne sommes pas les seuls à vouloir nous prémunir...

Par ailleurs, on nous a fait remarquer, sur un mode humoristique, que sans poules, il n'y aurait plus d'œufs pour fabriquer des vaccins. La question se pose de la sécurité de l'approvisionnement en œufs - il en faut entre un et quatre pour une dose de vaccin - sauf à utiliser une autre filière de fabrication, du côté des biotechnologies.

En outre, des responsables d'établissements hospitaliers se sont inquiétés de l'état du stock d'antibiotiques destinés à traiter les complications grippales, en particulier les pneumopathies et les insuffisances respiratoires secondaires. Sommes-nous assurés de disposer de quantités suffisantes au niveau tant des services hospitaliers que des pharmacies ?

Enfin, les fabricants de masques nous ont fait part de possibles problèmes d'approvisionnement en matières premières, qu'il s'agisse de textiles ou de dérivés du pétrole. Les stocks pourront-ils être aisément constitués ? Tous les besoins seront-ils satisfaits ? Y a-t-il des problèmes de fabrication ? Conformément à votre plan, les commandes ont été passées, mais la production suivra-t-elle ?

M. le Président. Peut-être pourriez-vous, Monsieur le ministre, nous préciser les quantités d'ores et déjà stockées, les livraisons prévues en 2006 ainsi que l'état des commandes pour le Tamiflu®, les masques, les vaccins et autres équipements.

M. le ministre de la santé et des solidarités. J'ai lu avec intérêt votre rapport, dont j'avais d'ailleurs eu l'occasion de prendre connaissance dans la presse avant même qu'il me soit officiellement transmis... J'ai toujours dit - cela fait la troisième fois que je viens devant vous - que cette mission pouvait être un lieu d'échange et de dialogue. Or j'ai eu le sentiment, en lisant ce premier rapport, que certaines de mes remarques n'avaient visiblement pas été intégrées.

Il faut bien souligner qu'à ce jour, aucun début de pandémie n'a encore été annoncé dans le monde. Même si nous sommes très avance par rapport à bien d'autres pays, nous pouvons et devons améliorer encore notre état de préparation. Nous devons faire preuve d'humilité et nous dire que, tant qu'il sera possible d'améliorer notre plan, nous le ferons. Tous les aspects de la préparation ont-ils été intégrés ? Resterait-il des points que nous aurions oubliés ? Vous connaissez la position exprimée par le Président de la République : aucun obstacle économique et financier ne sera mis à l'amélioration de notre état de préparation. Nous pourrions- mais votre mission est souveraine en la matière - avoir davantage d'échanges entre nous, afin que vous nous fassiez part, avant même la publication de vos rapports, des points sur lesquels vous souhaitez appeler notre attention ou obtenir des réponses plus précises. J'ai le sentiment que nous pourrions progresser dans l'écoute, mais également dans le dialogue et les échanges.

Je voudrais maintenant vous faire part des derniers développements de la situation épidémiologique ; certains événements récents méritent d'être évoqués, même si l'actualité les a peu mis en avant ces derniers temps.

Sur le plan de la santé animale, la France est toujours au niveau 2 B. Les dernières semaines ont été marquées par une progression continue du virus H5N1, tant sur le plan géographique que sur celui des espèces touchées : plusieurs cas de contamination de mammifères ont été recensés. De nouveaux foyers de contamination d'oiseaux domestiques sont apparus en Cisjordanie, en Israël, en Jordanie ; au total, quarante-huit pays - quarante-neuf lorsqu'arrivera la confirmation officielle pour la République tchèque - sont désormais touchés en Asie du Sud-Est, en Asie centrale, en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Sur le continent européen, sept pays sont concernés pour les élevages de volailles, plus quinze autres pour les oiseaux sauvages.

Sur le plan de la santé humaine, le niveau épidémiologique en France reste le même : nous sommes toujours au niveau 3 A du plan gouvernemental - autrement dit, il n'y a pas de transmission interhumaine déclarée. Je prête la plus grande attention à la situation en Azerbaïdjan où viennent d'être observés des cas humains groupés : même si nous sommes toujours en présence d'une contamination de l'oiseau à l'homme, nous tenons à avoir un maximum d'informations scientifiques et cliniques sur ces cas, dont cinq décès. En Égypte, cinq cas humains - dont deux décès - sont, en cours de confirmation par l'OMS : il s'agirait des premiers cas humains sur le continent africain.

Au total, l'OMS recense 186 cas humains dont 105 décès. On note également une accélération du nombre de cas : ces trois derniers mois, quarante-deux cas ont été comptabilisés, soit la moitié de ce qui avait été observé durant toute l'année 2005. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir exactement dans quelles conditions les personnes contaminées ont été prises en charge. D'après des études, encore parcellaires, des laboratoires Roche, il semblerait que des patients mis sous Tamiflu® seulement le quatrième jour aient pu être sauvés. Sur les 105 malades décédés, combien ont été réellement pris en charge avec du Tamiflu® ? Au bout de combien de jours ? Combien n'ont pas fait l'objet d'un traitement approprié ? Voilà pourquoi j'ai demandé à l'OMS, mais également au « Center for disease and prevention » (CDC) de se pencher sur cette question pour obtenir le maximum d'informations.

J'en viens à notre état de préparation. Dès lors que nous n'entendons pas en rester à un plan qui se bornerait à résumer nos moyens de préparation, je sais pertinemment que nous nous exposons à des remarques : comment se fait-il que l'on n'ait pas encore tout fait ou pensé à tout ? Et comme j'entends que tous les acteurs - professionnels de santé, collectivités locales, partenaires sociaux, grandes entreprises, etc. - s'approprient ce plan, il est évident que notre calendrier se doit d'être le plus serré possible, quand bien même nous ne sommes pas en situation de pandémie ni même en présence de cas de transmission interhumaine. Mais je crois préférable de donner à chacun la possibilité de s'approprier le plan, quitte à le remettre en question : sitôt que nous donnerons à 300 000 professionnels de santé des indications sur la conduite à tenir en cas de pandémie, nul doute que certains ne manqueront pas de dire, dans la presse locale ou ailleurs, qu'il faudrait faire autrement. Mais je préfère entendre ces remarques dès maintenant plutôt que le jour où surviendra la pandémie... D'autres pays ont, quant à eux, décidé de se doter de certains niveaux de protection sans communiquer sur le reste : ce faisant, ils s'épargnent cet inconvénient, mais ils s'exposent à bien plus grave si une pandémie venait à éclater. Je suis prêt à essuyer un feu roulant de remarques - pour ne pas dire plus - durant la période qui s'ouvre, et je l'assume ; je préfère répondre à ces questions maintenant plutôt que trop tard.

Parlons maintenant de nos stocks et de leur acheminement - les deux vont désormais de pair. Les masques, je veux le rappeler, constituent la mesure-barrière la plus efficace tant pour limiter la propagation de l'épidémie que pour protéger les professionnels en contact avec les malades. Nous avons commandé 285 millions de masques FFP2 pour les professionnels de santé, libéraux et hospitaliers, ce qui correspond à une moyenne de trois masques par jour pendant quatre-vingt-dix jours pour un million de personnels de santé. À ce jour, le ministère de la santé dispose de 250 millions de masques - FFP2 et chirurgicaux.

Il est une autre piste que je veux explorer : l'idée d'un masque réutilisable, destiné au grand public. Le laboratoire de la direction générale de l'armement rendra d'ici à quelques semaines les résultats de tests pratiqués sur un prototype. S'ils sont positifs, nous pourrions alors constituer un stock national, non pas à la place des masques FFP2 ou chirurgicaux, mais bel et bien en complément des stocks déjà constitués.

L'État a signé des protocoles avec cinq entreprises - Maco-Pharma, Bacou-Dalloz, Deltalyo, Paul Boyé et Thuasne - pour la fabrication de masques FFP2 en France, entre 2006 et 2008, sur la base de commandes minimales, à prix négocié, pour 550 millions d'unités, en plus des commandes passées à l'extérieur. Nous sommes le seul pays en Europe à disposer de telles capacités.

Je vais tenter de répondre précisément à la question technique de M. Le Rapporteur. En dehors des matériaux annexes - élastiques, attaches plastiques, languette nasale -, un masque FFP2 est constitué de deux éléments de tissu : un tissu de soutien dit spun, fait d'un matériau non tissé dérivé du pétrole, et un tissu de filtration dit meltblown, non tissé également mais dont la forte charge électrostatique assure une grande capacité filtrante. Dans un masque classique, deux feuilles de spun encadrent une, deux ou trois feuilles de meltblown. Le spun est un matériau facilement disponible : on le trouve chez 3M-France, BBA FiberwebTM, Dinotis SA, qui en fabriquent notamment pour les couches-culottes et les serviettes hygiéniques : ce n'est donc pas un produit rare. Le meltblown, en revanche, nécessite des unités de productions très spécifiques et complexes. Les quantités de non-tissé nécessaires pour fabriquer 650 millions de masques représentent 0,1 % de la production mondiale pour le spun et 2 % pour le meltblown. Nous ne sommes donc vraiment pas dans une situation de pénurie, contrairement à ce qu'un des acteurs vous a affirmé ; les autres auraient pu vous donner tous apaisements sur ce point.

C'est la raison pour laquelle les protocoles signés entre l'État et les entreprises obligent ces dernières à sécuriser leurs approvisionnements : cela figure noir sur blanc dans les contrats. Comment ? En organisant leurs filières d'approvisionnement, notamment de meltblown, par des accords de fourniture avec des entreprises françaises ou européennes - je ne veux pas avoir de problèmes d'approvisionnement avec une société à l'autre bout du monde - et en constituant des stocks de matière première correspondant à huit à douze semaines de production. De surcroît, nous ne nous contentons pas de l'avoir écrit dans le cahier des charges : ces mesures font l'objet de vérifications directes sur les lieux de production. Cela a déjà été fait notamment chez Maco-Pharma, qui a débuté sa production en début d'année, et où Didier Houssin s'est rendu en personne.

S'agissant plus particulièrement du meltblown, je voudrais aller au-delà de cette capacité de production, car je souhaiterais que les autres pays européens aient la même démarche que nous. À moins qu'ils ne tiennent à installer des unités de fabrication sur leur territoire - c'est leur droit -, je leur ai fait clairement savoir que nous pouvions accroître nos capacités de production, une fois nos propres besoins couverts. Le ministère de l'industrie a identifié plusieurs entreprises produisant du meltblown en France, parmi lesquelles 3M-France et BBA FiberwebTM. Il est impératif pour nous de ne pas manquer de cette matière première, faute de quoi nos commandes resteraient de papier ou sur le papier.

Le 19 janvier dernier, j'ai rencontré les industriels pour préciser les conditions de la pérennisation de cette production de masques. Après la constitution du stock national, il nous faudra prévoir un renouvellement tous les trois ans. Le 22 janvier, j'ai écrit à Markos Kyprianou, le commissaire européen à la santé, pour proposer un partenariat au niveau européen afin que la France puisse fournir - à un tarif préférentiel évidemment, s'agissant d'un enjeu de santé publique - les autres pays de l'Union européenne, ce qui amoindrirait d'autant notre dépendance vis-à-vis des importations d'Asie. Le prochain sommet européen de la santé aura lieu en avril à Vienne : j'ai fait inscrire la question de la grippe aviaire à l'ordre du jour et la France s'emploiera à ce qu'elle revienne dans les débats.

S'agissant des modalités d'approvisionnement, il est entendu que les professionnels doivent pouvoir disposer rapidement et gratuitement de ces équipements - je sais que la question a été évoquée par plusieurs d'entre eux. Il y va de la responsabilité de l'État. Le stock national de masques est actuellement réparti sur tout le territoire dans plus de 750 sites ou établissements de soins, en fonction du nombre de passages aux urgences, en plus de quelques réserves centralisées. Ce stock peut être libéré en quelques heures pour équiper les personnels hospitaliers et les professionnels de santé libéraux. Je demanderai aux préfets de définir les lieux et les modalités de distribution, en concertation avec les élus locaux. Une circulaire que j'ai cosignée avec le ministère de l'intérieur, leur demande de procéder à ce recensement dès maintenant. Dans les mois qui viennent, nous mettrons un certain nombre de masques FFP2 directement à la disposition des professionnels libéraux - et donc, par le fait, à disposition de tous les établissements de santé et plus seulement aux 750 sites dont je viens de parler.

M. le Président. Vous avez cumulé dans vos chiffres les masques FFP2 et les masques chirurgicaux. Leur usage n'étant pas le même, mieux vaudrait les distinguer. « Nous mettrons à disposition », avez-vous dit ; mais pour l'instant, les établissements hospitaliers doivent acheter ces masques, ce qu'ils font du reste dans des proportions assez inégales. Est-ce à dire que vous allez mettre en place un mécanisme d'achat centralisé ? J'ai bien compris que vous visiez essentiellement la médecine libérale et ambulatoire, mais comment tout cela s'articulera-t-il avec la problématique hospitalière ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Le stock de 250 millions de masques d'ores et déjà constitué se décompose en 125 millions de masques FFP2 et 125 millions de masques chirurgicaux. Nous en serons à 220 millions de masques FFP2 pour le mois de mai. Pour les masques chirurgicaux, le rythme de progression devrait nous permettre de dépasser les 500 millions d'unités prévus pour la fin 2006. Autrement dit, sur les 285 millions de masques FFP2 commandés par le ministère de la santé, nous en avons à cette heure 125 millions et très bientôt 200 millions, mais nous examinons si nous n'avons pas intérêt à aller au-delà du chiffre de 285 millions. Les masques sont mis à disposition des établissements ; ceux-ci font l'avance et nous les remboursons ensuite, comme indiqué lors de la première audition.

Quand seront-ils disponibles ? Dès que seraient identifiés des foyers de transmission inter-humaine limitée en France, autrement dit en situation 4 B. Les points de distribution dans les zones concernées seront approvisionnés à partir de stocks départementaux et les professionnels de santé, notamment libéraux, en seront rapidement et gratuitement dotés - de même évidemment que les hospitaliers, qui les auront à disposition dans l'établissement même. Ils n'ont pas à aller les chercher dès maintenant.

En cas de pandémie avérée, c'est-à-dire en situation 5 B ou 6, la distribution des masques, notamment chirurgicaux, serait évidemment généralisée sur l'ensemble du territoire.

Reste une situation où ce dispositif devrait répondre davantage à l'attente des professionnels comme à notre souci de les protéger : je veux parler de l'hypothèse où, avant même que des cas humains ne soient détectés dans une zone donnée, des professionnels de santé exerçant en ville pourraient être en contact avec des cas suspects - une personne revenant d'un pays considéré comme touché, par exemple, et qui présenterait des symptômes. Il serait utile, pour faire face à de telles circonstances, de mettre sans attendre des masques à la disposition des professionnels libéraux, et d'en faire de même dans nos 3 000 établissements de santé et non plus seulement dans les 750 déjà sélectionnés. Pourquoi ne pas le faire dès maintenant ? Parce qu'aucun cas de transmission interhumaine n'a été constaté. Du reste, un patient qui serait porteur du virus ne donnerait pas pour autant lieu à contamination ; mais nous avons intérêt à intégrer cette dimension et à mettre un peu plus tôt les masques à la disposition des personnels médicaux. Aussi ai-je décidé, dans une relation de totale confiance avec eux, de doter chaque professionnel de santé libéral d'un kit de protection, et ce avant l'automne - si l'actualité venait à évoluer, nous accélérions bien évidemment le mouvement. Ce kit comprendra, entre autres, un nombre minimum de masques FFP2 afin qu'il y ait dans chaque cabinet une réserve disponible, avant toute mise en œuvre des procédures de distribution prévues en situations 4 B, 5 B et 6. Sa composition définitive - nombre de masques FFP2, masques chirurgicaux, lunettes et autres - sera arrêtée en concertation avec les représentants des professionnels de santé.

M. le Président. Ce kit présentera un intérêt tout à fait réel, au moins sur le plan psychologique. Il reste que je sens dans votre réponse un certain changement dans la stratégie à mettre en œuvre lors de l'apparition des premiers cas : jusqu'alors très centrée autour des centres 15, elle semble ouvrir la possibilité d'une intervention du praticien libéral. Ces deux stratégies sont-elles appelées à se cumuler ou la seconde va-t-elle chasser la première ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Il s'agit bien d'un cumul, que je suis arrivé à envisager pour en avoir parlé avec les médecins libéraux, mais également à la suite de réunions avec d'autres professionnels. Pourquoi ? Parce que l'on pourrait avoir affaire à un patient directement arrivé au cabinet médical sans savoir ce qu'il a. Autrement dit, il ne sera pas dans la logique du centre 15, laquelle s'inscrit du reste, à ce moment précis, tout à la fois dans l'orientation et dans la régulation. Il peut également arriver qu'un patient, même en pressentant ce qu'il a, n'ait pas le réflexe de contacter le centre 15 et aille directement au cabinet médical. J'imagine ce que cela peut représenter, sur le plan psychologique, pour le personnel dudit cabinet comme pour le praticien... Mieux vaut éviter tout moment d'incertitude sur la conduite à tenir en prévoyant cette deuxième procédure, qui ne remplace pas pour autant la première.

S'agissant du Tamiflu®, un stock national a été constitué et des traitements ont été prépositionnés dans treize hôpitaux répartis sur tout le territoire - 130 000 à la pharmacie centrale de l'AP-HP et 70 000 dans les douze établissements de référence. Précisons, pour répondre à certaines interrogations, que les dispositions nécessaires ont été prises pour les zones du territoire qui sont éloignées géographiquement de ces centres, à savoir la Corse et les DOM-TOM - Guyane, Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Nouvelle-Calédonie et même en Polynésie, bien que les règles sur les compétences dans le domaine de la santé y soient différentes -, ou sont en train de l'être, pour Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon. Les médicaments seront donc prépositionnés sur place au lieu d'être, comme nous l'avions initialement prévu, acheminés au moment où la situation internationale l'exigerait. Pour le cas où des foyers de transmission humaine seraient détectés, mais limités à l'étranger, autrement dit en situation 4 A, nos postes diplomatiques en Asie, en Afrique, en Europe de l'Est et au Moyen-Orient disposent d'ores et déjà de stocks ; par anticipation du passage en situation 4 B, nous prépositionnerions immédiatement un stock de traitements antiviraux chez les grossistes répartiteurs, qui livreraient par la suite les pharmacies d'officine des zones touchées en situation 4B ; ce modèle serait évidemment généralisé à toutes les officines si nous devions passer en situation 5B.

Nous disposons d'ores et déjà de 13,8 millions de traitements de Tamiflu® et 200 000 de Relenza®. Nous avons passé commande de 10 millions de traitements de Tamiflu® supplémentaires.

M. le Président. Pour fin 2006 ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Je vous avais toujours dit que ce serait pour la fin du premier semestre 2007. Mais je peux vous annoncer aujourd'hui, pour l'avoir obtenu de M. Hummer, le président de Roche, que ces 10 millions de traitements seront disponibles dès janvier 2007. Les traitements de Relenza® supplémentaires sont toujours livrables pour la deuxième partie de l'année ; mais, dans notre stratégie, le Relenza® est destiné à être utilisé en plus, à côté, et selon des prescriptions d'utilisation différentes.

Vous avez posé la question de l'acheminement : la badiane, c'est exotique, mais est-on sûr d'en disposer assez ? Nous avions demandé à nos services de renseignements de vérifier si nous étions assurés de sa disponibilité ; mais nous avons décidé en parallèle de recourir à la voie de l'acide shikimique. Un accord industriel a été signé, qui nous intéresse évidemment, mais nous n'y sommes pas partie, entre le laboratoire Roche et la société Sanofi-Aventis qui assurera la production de cet acide. Non seulement nous aurons ce qu'il faut, mais ce sera produit sur le territoire national. À l'autre bout de la chaîne, le conditionnement d'une bonne partie du Tamiflu® sera effectué également en France, dans une usine de Roche qui sera réutilisée à cet effet. Bâle n'est évidemment pas loin, mais ce n'est pas une mauvaise chose qu'une partie de la chaîne de fabrication soit située chez nous. Les capacités de production d'acide shikimique par Sanofi sont très élevées.

M. le Rapporteur. Mais les représentants de Roche vous ont-ils fait part de leurs doutes sur les capacités de production de l'anis étoilé, comme ils l'avaient fait devant nous lors de leur audition ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Quand ?

M. le Rapporteur. En novembre dernier.

M. le ministre de la santé et des solidarités. Le but, lorsque nous passons commande, n'est pas d'être livré à la Saint-Glinglin. Je vous signale au passage que les capacités de production de Roche ne sont pas couvertes par les réservations : il y a quinze jours, 80 millions de traitements étaient disponibles pour des commandes...J'ai immédiatement rapporté cette information au commissaire européen à la santé. Autrement dit, contrairement à ce que laissent entendre certains milieux, Roche se déclare totalement capable de produire et de satisfaire toutes les commandes.

M. le Président. Vous avez parfaitement raison de le souligner, encore que notre mission parlementaire a pu constater qu'il n'y avait pas, en Afrique, un gramme de Tamiflu® disponible ; une bonne partie du monde en est largement dépourvue.

M. le ministre de la santé et des solidarités. Le problème n'est pas tant celui des capacités de production, que de la volonté de commande et de réservation, notablement insuffisante. Du fait du manque de transparence entre les pays européens, il est impossible de savoir exactement qui a quoi. Ajoutons que, depuis la conférence de Pékin - nous aurons l'occasion d'y revenir à Vienne -, nous ne manquons pas de moyens financiers. Encore faut-il que cet argent soit dépensé. Si des pays n'ont pas de Tamiflu®, ce n'est pas faute de capacités de production : Roche est parfaitement à même de les approvisionner.

M. le Président. Vous avez raison d'insister sur ces distorsions incroyables... À croire les dépêches, le Viêt-Nam serait capable de produire du Tamiflu®, par le biais d'un accord de sous-traitance avec Roche ! Comment pouvons-nous nous en assurer compte tenu de l'opacité qui entoure la production, la distribution et la commercialisation du Tamiflu® au plan international ? Nous ne savons pas qui peut produire ni qui a acheté - vous non plus, apparemment -, sans même parler des prix et des conditions commerciales ! On ne peut également que s'étonner de la situation américaine.

M. Alain Claeys. Les informations du ministre sont intéressantes : elles signifient que des capacités de production restent sous-utilisées. D'où viennent les blocages ? Quelles difficultés rencontre-t-on au niveau de l'Union européenne ? Pourquoi l'argent destiné à l'Afrique n'est-il pas débloqué ? Qu'a pu faire la France au niveau de l'OMS ? Peut-on dire enfin qu'il y a un problème de prix ?

M. le Président. Pour l'Afrique, c'est clair !

M. le ministre de la santé et des solidarités. Par qui ont été levés les fonds à Pékin ?

M. le Président. Après la protestation élevée par la mission d'information contre la situation faite à l'Afrique qui n'a pas encore touché un centime de l'argent débloqué lors de la conférence de Pékin - encore n'était-il pas question de Tamiflu®, mais d'écouvillons et d'un peu de pétrole à mettre dans la mobylette pour aller prélever les oiseaux, le représentant de l'Union européenne, sur un ton très sûr, a répondu que les fonds ne seront pas débloqués avant juin. Et je ne vous parle que de petites sommes à consacrer à la surveillance animale et non des problématiques de santé humaine et de pandémie !

M. le ministre de la santé et des solidarités. Cela ne va pas assez vite, je ne cesse de le dire, y compris sur la transparence entre États membres : le commissaire européen lui-même n'arrive pas à savoir qui a quoi... Ce n'est pas faute de le demander : je le réclame à chaque conseil de la santé ! La vraie question, c'est : pourquoi ? La réponse, vous la connaissez : tout le monde n'a pas forcément le niveau de couverture souhaité par l'OMS - 25 % de la population nationale. Les pays concernés n'ont pas de problèmes financiers pour acheter du Tamiflu® ; pourtant, bon nombre n'ont pas encore atteint le taux de 25 % et n'ont parfois même pas encore passé commande. Certes, le fait que nous soyons le seul pays à avoir une capacité de transformer en gélules la poudre de Tamiflu en vrac nous a facilité les choses.

M. le Président. Notre armée, qui maîtrise cette technologie de transformation, s'est déclarée prête à la transférer aux pays qui le demanderaient.

M. le ministre de la santé et des solidarités. À condition que Roche nous y autorise, comme prévu dans l'accord. La Belgique et le Luxembourg seraient intéressés, mais j'entends respecter le contrat que j'ai signé.

Il faut également se souvenir que, si la santé animale est de la compétence propre de l'Union, la santé humaine reste de la compétence de chaque État. L'Europe ne peut avoir en la matière qu'un rôle de coordination et de sensibilisation ; ce n'est pas du tout la même chose. Sur la constitution d'un stock européen, que je n'ai cessé de prôner, les choses avancent ; j'en ai parlé avec mon homologue allemande Ulla Schmidt à plusieurs reprises. Il est bien entendu que ce stock européen viendrait en plus, et non en remplacement, des stocks nationaux que chaque État reste tenu de constituer. Au-delà de la dimension de solidarité, la rapidité du déblocage des stocks n'est pas à la hauteur de la situation. Si un cas de transmission interhumaine était détecté en Afrique, il faudrait immédiatement appliquer une stratégie en anneau. Évidemment, Roche mettrait le produit à disposition de l'OMS qui se transporterait dans la zone ; mais ce serait mieux si nous avions déjà sur place des stocks sécurisés sous la responsabilité de l'OMS : je partage à cet égard votre point de vue.

M. le Président. Si cela éclate à Lagos, ce ne sont pas les quelques stocks de gélules de l'OMS qui suffiront...

M. le ministre de la santé et des solidarités. Je parlais des 3 millions de traitements. Pendant longtemps, l'OMS était persuadée que les premiers cas de transmission interhumaine se produiraient en Asie du Sud-Est, compte tenu de l'ancienneté de la présence du H5N1. Or, je le dis depuis des mois et nous nous rejoignons sur ce point, le principal facteur de risque est en Afrique, du fait de l'état de ses structures sanitaires. Je comptais d'ailleurs vous demander de me faire part de ce que vous avez pu y voir et constater.

Du côté de Roche, la situation a également évolué du fait du développement de la biofermentation dont ils ont compris la nécessité - d'où ce partenariat industriel avec Sanofi. Les stocks supplémentaires de Tamiflu® nous seront livrés à partir de septembre 2006 à raison d'une tonne en septembre, deux tonnes en octobre, une tonne et demi en novembre, deux tonnes et demi en décembre et trois tonnes en janvier 2007. Soit dix tonnes au total, dont nous savons, depuis mon déplacement à Bâle qu'elles seront livrées avec plusieurs mois d'avance sur les prévisions.

S'agissant du Viêt-Nam, des accords ont été passés par Roche avec deux sociétés, mais j'aimerais savoir s'ils portent sur la phase complète de fabrication du Tamiflu ou seulement sur le conditionnement. Très peu d'entreprises dans le monde maîtrisent la phase complète ; je n'en connais qu'une. Je doute que les Vietnamiens en soient capables.

M. le Président. Les Indiens savent-ils le faire ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Je ne suis pas en mesure de vous le dire.

M. le Rapporteur. Et les Chinois ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Un grand groupe mondial basé en France doit y entreprendre les différentes étapes de la fabrication du produit.

M. le Président.  Combien de temps faudrait-il à un industriel pour mettre en œuvre des chaînes de production ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Pour la France en tout cas, le risque est davantage de se voir demander pourquoi elle a tant de Tamiflu®...

M. le Président. Ma question est davantage en rapport avec ce grand groupe français que vous venez d'évoquer...

M. le ministre de la santé et des solidarités. Celui précisément qui vient de signer l'accord sur l'acide shikimique.

M. le Président. Combien de temps lui faut-il pour mettre l'ensemble du produit en production ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. C'est à lui qu'il faut le demander ; je n'ai pas à me poser cette question dans la mesure où la France, entre le Tamiflu® et le Relenza®, a déjà les 25 % requis par l'OMS et sera bientôt très largement au-dessus.

M. le Président. Encore que les dernières publications de Roche disent qu'il faudrait vraisemblablement augmenter les doses pour obtenir les effets thérapeutiques souhaités...

M. le ministre de la santé et des solidarités. C'est bien la raison pour laquelle j'entends aller au-delà de ces 25 %, d'autant que personne ne peut dire ce que serait la virulence du H5N1 muté : peut-être faudra-t-il prendre plus de dix comprimés. D'où l'intérêt que je porte aux études scientifiques sur les décès liés à la grippe aviaire. De surcroît, si quelqu'un tousse, devra-t-on vérifier s'il est porteur de la grippe aviaire ou de la grippe saisonnière ? On ne fera pas d'enquête de police pour vérifier si le patient a été en contact avec des personnes contaminées : ce sera immédiatement Tamiflu® ou Relenza®...

M. Pierre Hellier. À ce propos, est-il prévu d'adjoindre au kit de protection remis aux médecins un nécessaire de prélèvement, pour accélérer le diagnostic ?

M. Jean-Michel Boucheron. On nous a parlé des masques destinés aux professionnels. Qu'est-il prévu pour la population, particulièrement pour les enfants ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Initialement, les masques FFP2 ont été prévus pour tous les acteurs en contact avec les malades. Le masque chirurgical a, quant à lui, une vocation « altruiste », puisqu'il est destiné à être porté par le malade afin de protéger ses proches. Il nous faut réfléchir à la constitution d'un stock de masques pour tout un chacun, dans la limite de nos dotations budgétaires, ne serait-ce que dans un but psychologique. Cela dit, il ne faut pas que ce soit purement psychologique : il faut quelque chose d'efficace. C'est pourquoi je fais tester le plus rapidement possible ce masque en tissu réutilisable, pour savoir s'il protège de quelque chose. Peut-être est-ce une autre doctrine ; je l'assume. Nous devons d'ores et déjà intégrer cette dimension. Peu de pays le font ; l'Angleterre nous observe attentivement. Plusieurs pays considèrent que ces mesures barrières, qui ont montré leur efficacité contre le SRAS en Asie du Sud-Est, pourraient donner les mêmes résultats en cas de pandémie.

Pour ce qui est des enfants, Mme Chang, actuellement à l'OMS et à Hong-Kong à l'époque du SRAS, m'avait expliqué que nous devions prévoir plusieurs formats de masques et surtout des lanières adaptables. En tout état de cause, si un enfant était incapable, en raison de son âge ou de la gêne occasionnée, de supporter un masque, c'est tout le reste de la famille qui devrait en porter. C'est pourquoi je souhaite aller au-delà des 500 millions de masques chirurgicaux à la fin de l'année.

M. le Président. Le masque chez un enfant vise avant tout à éviter les excrétions, non à le protéger. Encore que si la mère ou le père sont malades...

M. le ministre de la santé et des solidarités. Appartenant au monde médical, vous savez que le masque a une vocation avant tout altruiste. Mais ainsi que le suggère M. Boucheron, nous devrions intégrer le besoin de tout un chacun d'avoir un masque pour se rassurer - si tant est que celui-ci soit réellement efficace, ce dont je tiens à m'assurer.

Tous les médecins membres du réseau GROG ont un kit de prélèvement, mais tous nos compatriotes ne choisiront pas pour autant leur médecin traitant parmi les membres de ce réseau... Trois Français sur quatre ont déjà fait leur choix et je ne voudrais pas les obliger à le refaire ! Nous n'avons pas envisagé de donner un kit de prélèvement à chaque praticien ; du reste, personne ne nous l'a demandé. Face à une suspicion, la bonne réponse consiste à orienter vers les services des urgences.

M. le Président.  Nombreux sont ceux, notamment parmi les personnels hospitaliers, qui font une confusion avec la problématique du SRAS, oubliant que nous serons confrontés à une épidémie de masse. Mettre toute notre énergie et notre savoir-faire dans la gestion par le centre 15 du tout premier cas qui arrivera à Roissy, c'est peut-être très intéressant sur le plan scientifique, mais nous risquons plutôt d'avoir à faire face à des pénétrations multiples du virus qui échapperont à tout contrôle par les centres 15.

Vous n'avez pas répondu sur la disponibilité des œufs. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que la technique de la culture sur œufs, par comparaison avec les cultures sur cellules, est totalement archaïque mais reste, à ce jour, la seule, simplement parce que personne, au niveau mondial, n'a voulu investir dans les vaccins depuis quinze ans. Ce qui m'amène à vous interroger sur les actions susceptibles d'accélérer les recherches sur les vaccins et les différentes stratégies de fabrication, mais également sur les antiviraux, sachant que le fait de n'en avoir que deux n'est pas sans poser un problème scientifique... Est-il possible pour la France, pour l'Europe, pour les pays développés, de favoriser des investissements et des politiques de recherche dans ces domaines ? Peut-être pourrez-vous nous dire également un mot sur l'InVS dont le directeur nous a confié récemment qu'il avait besoin de cent cinquante postes...

M. le ministre de la santé et des solidarités. J'ai lu cela avec intérêt, même si je n'en avais pas entendu parler lors de la préparation des budgets...

M. le Président. Le rapport budgétaire n'avait pas chiffré à ce niveau les besoins de l'InVS.

M. le ministre de la santé et des solidarités. Parce qu'il n'avait pas eu vent de telles demandes...

M. le Président. Sans doute.

M. Gérard Bapt. Une polémique s'est développée sur la question des souches virales, que certains chercheurs travaillant en réseau garderaient pour eux.

M. le Président. À Paris même, l'accès aux souches virales fait l'objet de batailles très difficiles... C'est tout le problème des investissements, de la compétition et de l'organisation dans le domaine de la recherche. Les Allemands ont consacré 60 millions d'euros à ce sujet...

M. le ministre de la santé et des solidarités. Dont une grosse part, pour ne pas dire la quasi-totalité, sur la partie animale...

M. le Président. Nous n'avons pas parlé des moyens de diagnostic et de détection rapide de la grippe aviaire, à l'évidence stratégiques.

M. le ministre de la santé et des solidarités. Un laboratoire vient de mettre au point un nouveau test : je suis curieux de savoir le crédit que l'on peut lui porter et quelles sont les perspectives de développement.

Sur la question de la recherche, je ne suis pas le seul pilote à bord ; je ne sais pas si vous avez prévu d'auditionner François Goulard, le ministre de la recherche, sur cette question. Un appel d'offres européen a été lancé le 22 mars, ainsi qu'un autre au niveau national. Avant même leur lancement, j'ai pris la responsabilité de doter tout le réseau Pasteur en Asie du Sud-Est de crédits supplémentaires - 2,6 millions d'euros - pour installer un laboratoire P3 à Phnom Penh et renforcer leurs moyens en matériel et en personnel. Tout est d'ores et déjà mis en œuvre. Mais ce qui m'intéresse là-bas, c'est non seulement le travail conduit sur les souches virales - à Phnom Penh, on travaille sur les souches prélevées sur des porteurs de grippe aviaire décédés -, mais également les recherches conduites sur les nouvelles thérapies et notamment les nouveaux antiviraux. C'est précisément l'objectif poursuivi par l'institut Pasteur de Hong-Kong qui collabore avec la Hong-Kong University, où 120 chercheurs travaillent sur ce sujet.

M. le Rapporteur. Je les ai rencontrés là-bas, et je confirme.

M. le ministre de la santé et des solidarités. Le Professeur Ralf Altmeyer était à Paris il y a quelques jours et m'a confirmé que tout était en place. Une chose est certaine : la nécessité d'un partenariat public-privé. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir à l'occasion de l'appel d'offres complémentaire que nous passons pour obtenir non pas 40 millions de traitements vaccinaux, mais 60 à 63 millions, afin de disposer notamment d'une alternative vaccinale pour les enfants en très bas âge. L'industrie pharmaceutique s'est lancée dans un réel effort de recherche - pour des raisons évidentes.

Pour fabriquer des vaccins, encore faut-il avoir des œufs... Aussi avons-nous introduit dans les cahiers des charges des mesures propres à sécuriser les approvisionnements en œufs dès le stade des couvoirs et des élevages de poulettes pondeuses, en attendant de passer aux cultures cellulaires. La pire des choses serait de ne pas avoir de volailles, ni d'œufs, ni de vaccins.

Les perspectives en matière de culture cellulaire sont intéressantes : certains avancent la date de 2009, d'autres plutôt 2010 ou 2011. À plus court terme, la voie des adjuvants apparaît très prometteuse : les laboratoires Glaxo-Smith-Kline (GSK) notamment ont mis au point des adjuvants de bonne qualité. À noter qu'un partenariat s'est noué entre les entreprises privées du secteur sur cette question, qui ont parfaitement intégré l'enjeu de santé publique, ce dont il faut se réjouir.

M. le Président. Que pensez-vous du vaccin prototype en voie de mise au point ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Nous poursuivons les investigations. Je me suis laissé dire qu'un pays européen s'était engagé dans cette voie sans être encore parvenu, me semble-t-il, à une concrétisation. Des études ont déjà été menées sur le furet ; cela pose, pour commencer, la question d'une double vaccination, dont la dimension psychologique n'est pas toujours facile à intégrer. Nous avons demandé à ceux qui mènent ces études, sitôt qu'ils auront de nouvelles informations, de nous les communiquer.

Pour l'instant, nous confirmerons nos appels d'offres concernant le vaccin pandémique ; plusieurs laboratoires ont d'ores et déjà répondu. Je ne veux pas prendre de risques : nous devons être assurés de la disponibilité du vaccin. Pourquoi voulons-nous aller au-delà des 40 millions de traitements vaccinaux ? Pour augmenter les capacités de production, c'est-à-dire être capable d'avoir davantage de vaccins tous les mois. La quantité d'antiviraux dont nous disposons permettrait déjà de traiter les malades, ce qui rend chez nous d'autant moins cruciale la question de la production des vaccins. Cela ne signifie pas que nous ne nous y intéressions pas : sinon, je ne chercherai pas à commander 63 millions de doses. Ajoutons que Sanofi les produit sur le territoire national, et que les conditions de la reprise de Chiron par Novartis sont pour nous une garantie supplémentaire : je m'en suis entretenu avec M. Vasella, le PDG de Novartis, que j'ai rencontré à Bâle.

Venons-en à l'hôpital. À croire la Fédération hospitalière de France et son président, M. Claude Evin, depuis le 17 janvier 2006, les hôpitaux publics sont prêts. J'ai pour ma part le sentiment que nous devons améliorer leur état de préparation... Et pour ce faire, nous devons nous projeter dans ce que pourrait être le scénario pandémique. Mais j'insiste sur le fait que cela reste de la spéculation. Rappelons également qu'en parlant de l'adaptation du système hospitalier, nous visons les 5 à 10 % de malades qui, selon les estimations de l'InVS, présenteraient des formes graves appelant une prise en charge dans les établissements de santé. Les autres grippés seraient traités à domicile - encore faudra-t-il être certain qu'ils y restent, sans avoir le sentiment d'être ignorés ou isolés-, autrement dit qu'ils seront totalement pris en charge : cela nous a amené à explorer une série d'orientations nouvelles que je vous présenterai et sur lesquelles j'attends votre retour.

Ce à quoi s'ajoute, pour l'hôpital, la nécessité d'appréhender la crise à travers sa dynamique, en prenant en compte l'évolution de l'épidémie et le turn over des malades.

Globalement, il faut distinguer deux phases. Durant la première, qui correspond à la situation d'aujourd'hui jusqu'aux premiers cas de contamination interhumaine, l'hospitalisation est recommandée systématiquement afin d'isoler les suspicions -voire les premiers cas-, de limiter la propagation et surtout de mieux connaître le virus et notamment la réponse du patient aux traitements. Suivra une deuxième phase au cours de laquelle la propagation du virus devient plus importante : les hospitalisations ne concerneraient alors plus que les cas graves, en particulier les complications respiratoires nécessitant une réanimation. Il est important de comprendre qu'il s'agit de deux phénomènes différents et qui ont besoin d'être exposés avec le plus de clarté et de pédagogie possible : jusqu'à un certain stade, on peut et on doit prendre en charge tout le monde à l'hôpital ; mais une fois en phase pandémique, il ne faudra plus admettre à l'hôpital que les cas graves, ce qui implique une gestion particulièrement élaborée au niveau de l'accueil.

Au-delà des problèmes d'isolement et des mesures barrières à mettre en place tout au long de l'épidémie, la question essentielle est celle de la capacité des établissements à absorber un flux croissant de patients infectés. Une série de questions est posée en termes d'organisation mais j'insisterai surtout sur deux aspects particuliers : la réanimation et les urgences.

Nos capacités de réanimation sont actuellement d'un peu plus de 5 700 lits de réanimation adulte, 1 064 lits de réanimation pédiatrique et néonatale et 16 900 lits de soins intensifs, de surveillance et de salles post-interventionnelles pour adultes.

Quels seraient les besoins en cas de pandémie ? Toujours selon les estimations de l'InVS, une pandémie pourrait engendrer, en l'absence de toute intervention et mesures de prévention, entre 9 et 21 millions de malades, entre 500 000 et 1 000 000 hospitalisations et entre 90 000 et 210 000 décès. Avec un traitement curatif par antiviraux de tous les cas - rendu possible par notre stock -, le nombre d'hospitalisations serait considérablement réduit - d'un tiers, estime l'InVS. Autrement dit, il s'agit d'estimations maximalistes, qui ne prennent pas en compte l'impact des antiviraux ni des mesures barrières.

M. Pierre Hellier. Pourquoi traiter tous les cas à l'hôpital durant la première phase ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Pour des raisons d'ordre psychologique vis-à-vis des professionnels de santé libéraux, pour garantir un maximum de prise en charge et pour étudier intégralement les cas cliniques qui se présenteront.

M. le Président. Nous aurons des difficultés considérables à faire admettre que cette maladie, considérée à tort comme gravement mortelle, hautement létale, ne donne pas lieu à hospitalisation une fois l'épidémie enclenchée, après avoir hospitalisé tout le monde durant la première phase... Attendons-nous à un problème de communication majeur ! Nous sommes déjà contraints de tenir un double discours, en insistant d'un côté sur le risque sanitaire pour hausser le niveau de préparation et en rappelant, d'un autre côté, que le taux de létalité, pour insupportable qu'il soit au plan social, n'a rien de dramatique,...

M. le ministre de la santé et des solidarités. C'est encore plus difficile à expliquer...

M. le Président. C'est bien ce que je dis, et il faudra bien arriver à faire passer ces deux messages apparemment contradictoires. C'est précisément dans cette logique que les premiers cas doivent être traités à l'hôpital et les suivants à domicile. Reste que nous aurons le plus grand mal à tenir ce discours et à expliquer cette marche arrière.

M. le ministre de la santé et des solidarités. Que préconisez-vous ?

M. le Président : Ou bien nous parvenons à attraper le tout premier cas débarquant à Roissy et nous restons dans la stratégie SAMU ; ou bien nous nous retrouvons face à des cas disséminés un peu partout sur le territoire, et il vaudrait mieux que les équipes hospitalières dédiées se lancent sur le terrain aux côtés des libéraux...

M. Pierre Hellier. C'est également ce que je crois.

M. le Président. S'il y a aggravation de l'état du malade, il sera légitime de l'hospitaliser ; mais mieux vaut faire passer le message d'une hospitalisation à domicile plutôt que celui d'une hospitalisation apparemment « massive » - entendons-nous bien : soixante, cent, trois ou quatre cents personnes - qui créera un effet d'appel considérable si jamais la vague arrive. Cela dit, ma position mérite certainement critique...

M. le ministre de la santé et des solidarités. Je n'ai pas forcément envie de la critiquer, car nous sommes sur la même ligne. La question est de savoir à quel moment on fait la bascule...

M. le Président. Tant que nous sommes dans la gestion SAMU, un peu cow-boy, autrement dit un « scénario SRAS » qui ne durera guère que quatre jours, nous pouvons continuer sur l'hôpital. Sitôt sortis du scénario SAMU, il faut très rapidement basculer.

M. le ministre de la santé et des solidarités. Justement, je suis pour une bascule la plus rapide possible. Pour l'instant, dans 90 % des cas de suspicion, les patients sont allés directement aux urgences ; il n'y a guère eu qu'un cas où le malade s'est adressé à un praticien libéral. Cette logique de SAMU et d'urgence ne peut se concevoir que dans les tout premiers temps ; sinon, nous aurons le plus grand mal à expliquer pourquoi on accueillait avant à l'hôpital, et plus après... Nous aurons suffisamment d'efforts à déployer sur le plan de la pédagogie pour ne pas avoir à en rajouter d'autres. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il faudra basculer très tôt.

M. le Président. Vous nous avez parlé d'un millier de lits de réanimation pédiatrique et néonatale ; or l'ARH du Nord - Pas-de-Calais nous a dit qu'elle ne disposait que de seize lits en tout et pour tout... Je savais le Nord - Pas-de-Calais mal doté, mais tout de même !

M. le ministre de la santé et des solidarités. La suite devrait vous intéresser...

Les simulations de l'InVS montrent que, selon l'importance des vagues pandémiques, le nombre d'admissions hospitalières hebdomadaires pourrait varier entre 3 400 au tout début de la pandémie et plus de 65 000 au moment du pic - si on réussit à garder à domicile la quasi-totalité des cas, ce qui supposera un gros travail. Ces hospitalisations, toujours selon les modélisations de l'InVS, pourraient se répartir de la manière suivante : 85 % hors réanimation et 15 % en réanimation dont la moitié pourrait nécessiter une ventilation assistée - je me réfère cette fois-ci aux estimations du CDC, de l'Union européenne et de l'InVS, qui ne tiennent pas compte, je le répète, des mesures barrières ni des traitements antiviraux. Cela correspond, au maximum et durant une ou deux semaines, à 10 000 admissions en réanimation dont la moitié sous ventilation assistée. Je compte faire affiner ces estimations afin que nous soyons parfaitement au clair.

Nos capacités de ventilation et de réanimation doivent donc, d'ores et déjà, être multipliées par deux. Aussi proposons-nous d'adapter notre système hospitalier de la manière suivante : pour ce qui concerne les hospitalisations ne nécessitant pas de réanimation, nous sommes en train d'élaborer avec les professionnels du secteur un cahier des charges pour aménager au niveau local des structures intermédiaires - hôtels, voire gymnases et écoles - où pourraient être dispensés soit des soins, soit du suivi médical. Ce cahier des charges sera adressé à chaque préfet afin qu'il organise dans son département la mise en place de ces structures d'ici à l'été 2006. S'il est besoin de l'accélérer au vu de l'actualité internationale, nous le ferons.

Pour ce qui concerne les besoins en réanimation adulte comme pédiatrique, il est possible d'accroître les capacités en déprogrammant certaines activités - mais seulement durant quelques semaines - et en transformant d'autres lits d'hospitalisation, sous réserve de l'acquisition des matériels nécessaires et de la présence de personnels dûment formés. Compte tenu de nos actuelles capacités de réanimation pédiatrique et néonatale et du nombre probablement important d'enfants appelant de tels soins - même si des mesures de protection seront prises en priorité dans les écoles et dans les crèches pour minimiser ce genre de risque -, il sera nécessaire, en cas de pandémie, de prendre en charge les enfants de plus de vingt ou vingt-cinq kilos dans les services de réanimation adulte. D'après certains spécialistes, la chose est possible. Nous n'avons aucune idée de la virulence du virus sur telle ou telle catégorie de la population, mais nous partons du principe, au vu de ce qui s'est passé en Asie du Sud-Est ou en Turquie, que les enfants seraient particulièrement touchés. Même si rien ne dit que ce sera le cas, nous devons intégrer cette dimension.

Il nous faut donc acquérir les équipements nécessaires à l'adaptation de 6 000 lits d'hospitalisation pour une prise en charge de réanimation respiratoire, avec des ventilateurs mixtes adaptés aux adultes comme aux enfants - de plus comme de moins de cinq kilos - le système d'aspiration, le dispositif de monitorage global, le stock de consommables qui va avec - sondes et filtres - ainsi que les produits de santé, pousse-seringues, matériel de perfusion, etc. Enfin, nous nous sommes aperçus qu'en achetant des valves additionnelles, nous pourrions également réutiliser les 2 100 respirateurs Biotox - en espérant ne pas avoir à faire face aux deux menaces en même temps. Il nous faut également renforcer les personnels aptes à la prise en charge de la réanimation, alors même que les matériels de monitorage et de ventilation restent assez méconnus. Les personnels doivent donc être recensés pour être formés : ainsi, la société de médecine d'urgence américaine retient une formation composée d'une journée d'enseignement théorique et d'une journée en immersion. Dès à présent, chaque établissement en France doit, en liaison avec sa DDASS et son ARH, recenser le personnel d'anesthésie et de réanimation en activité dans ses services à ce jour ou ayant exercé durant ces cinq dernières années. Celui-ci pourrait être régulièrement formé afin d'être opérationnel en situation de pandémie.

M. le Président. Irez-vous jusqu'aux externes ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. Nous entrons là dans une autre logique, celle de la mise en place d'un corps de réserve sanitaire, dont il nous faudrait ensuite déterminer la meilleure utilisation : dans les établissements, dans les opérations de tri à l'entrée, et pour renforcer les plates-formes téléphoniques non seulement des centres 15, mais également des services d'assistance médicale à domicile afin d'éviter que les malades restés chez eux ne soient pris de panique et n'aient plus qu'une idée en tête : rejoindre l'hôpital par leurs propres moyens, au risque d'accroître la contamination.

Au-delà du problème de la réanimation, la pandémie imposerait de réorganiser les établissements de santé. Sans entrer dans les aspects de cette réorganisation, détaillés dans des fiches remises aux établissements, j'en rappelle les grands principes. Tous les établissements de santé doivent mettre en place une zone de tri. Où la situer ? L'idée est de réguler l'arrivée spontanée des patients dans l'hôpital - en général aux urgences, mais il faut pouvoir les canaliser aux autres accès. Les patients ne nécessitant pas d'hospitalisation mais dont l'état de santé requiert un suivi médical seraient réorientés vers la médecine libérale ou un service de consultation ad hoc, ce qui suppose la présence de libéraux dans l'enceinte de l'hôpital, suivant la même logique que les maisons médicales de garde. Les malades appelant une hospitalisation seraient dirigés, en fonction de leur état clinique, vers les urgences ou vers les services appropriés.

Pour les établissements dotés d'un service d'urgences, la zone de tri sera située, selon la configuration, en amont ou à la porte du service. Nous veillons à ce que tous les établissements de santé ou médico-sociaux prévoient la mise en place de doubles circuits, avec une zone à forte densité virale, bien identifiée, où toutes les mesures seront prises pour rapidement dispatcher les patients selon leur état, et une zone à faible densité virale où seraient regroupés les patients considérés comme non grippés.

Je souhaite toutefois que nous allions plus loin dans l'investigation. Au-delà des estimations de l'InVS ou du CDC, nous devons intégrer des hypothèses plus alarmistes et imaginer les pires scénarios : on sait que la grippe espagnole a été autrement plus grave que les pandémies de 1957 ou de 1968. Nous y travaillons et je pourrais revenir devant vous pour vous en exposer les détails, qu'il s'agisse des critères de gravité - qui les définit et comment ? -, d'un éventuel recours à d'autres personnels, de la logique des équipes mobiles de coordination et de supervision des patients ou d'autres structures plus légères dans des scénarios d'une exceptionnelle gravité.

M. le Président. Cette partie est très intéressante, mais nous n'y avons pas encore beaucoup travaillé...

M. le Rapporteur. Nous aurons effectivement à revenir sur ce sujet qui sera traité dans notre troisième rapport, mais je suis très heureux de vous entendre évoquer les structures intermédiaires dont on nous a encore parlé dans le CHU que nous visitions à Paris tout à l'heure, comme alternative à l'hospitalisation. Elles auront très probablement un intérêt et les maires sont d'ores et déjà appelés par les préfets à y réfléchir dans leurs communes. En cas de catastrophe sanitaire, les écoles et lycées seront fermés. Ne serait-il pas judicieux de se servir des internats des établissements scolaires ?

M. le ministre de la santé et des solidarités. C'est précisément l'objet du recensement demandé.

M. le Rapporteur. Fort bien. Ces structures intermédiaires me paraissent une bonne réponse à une bonne question.

Je m'interroge aussi sur le rôle des ARH. Quand on n'a affaire qu'à des centres hospitaliers régionaux, les choses ne se passent pas trop mal. Dans la région parisienne en revanche, chaque hôpital semble agir en toute indépendance...

M. le Président. Je suis plutôt d'accord avec l'idée de recourir à des structures intermédiaires, particulièrement en zone urbaine ; reste que cette idée, incontestablement intéressante, mérite d'être bien réfléchie, dans la mesure où elle marque, par rapport à la stratégie jusqu'alors développée dans le « plan Pandémie », un changement notable et dont les conséquences à court et moyen termes seront très lourdes. Nous avons évoqué, tout à l'heure, l'aspect psychologique du problème, avec la difficulté de tenir un discours appelant tout à la fois à la mobilisation et au calme, sachant que la létalité sera sans doute moindre que celle que l'on redoute. Nous discutions ce midi même avec les représentants syndicaux du CHU que nous visitions à Paris : bon nombre de personnels hospitaliers ont dans l'idée qu'ils vont mourir en soignant les malades de la grippe aviaire... D'où la nécessité d'une action pédagogique pour leur faire comprendre que le nombre de morts sera loin d'atteindre les 1 % prévus et qu'il n'est pas question d'aller se faire faucher au champ d'honneur ! Cela dit, il faut agir vite en matière de formation des personnels : si nous voulons que le matériel serve, il faut former ceux qui devront les utiliser.

M. le ministre de la santé et des solidarités. C'est ce que j'ai toujours dit : le problème n'est pas d'avoir le matériel ou les équipements de protection, mais de savoir qui fait quoi. J'ai demandé à ce sujet au délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA) et au directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) de me faire dans les plus brefs délais une synthèse de l'état de mobilisation des personnels hospitaliers dans le cadre de la préparation à la survenue d'une pandémie grippale. La question, à mes yeux essentielle aujourd'hui, est bien celle de la mobilisation, de l'information et de la formation, pour les hospitaliers comme pour les libéraux. Or si, dans bon nombre d'établissements, on a déjà parlé de la grippe aviaire, je crois savoir que, dans d'autres, l'information n'a pas été générale. Aussi ai-je demandé qu'une réunion d'information de l'ensemble du personnel soit organisée dans chaque établissement de santé et qu'un exercice soit très rapidement déclenché au moins dans chaque département. J'ai ainsi demandé au directeur de l'hospitalisation de m'indiquer dans quels délais ce sera possible, mais également dans quelles conditions nous pourrions organiser, selon des modalités à définir dans un cahier des charges standard, un exercice dans chaque établissement, ne serait-ce que pour une demi-journée, voire quelques heures. C'est en conditions réelles que l'on mesure exactement un état de préparation. Je suis parfaitement d'accord avec vous : ce n'est pas le tout de mettre des matériels à disposition, l'enjeu fondamental est humain - formation et information.

Le patron de l'organisation reste le préfet, qui peut évidemment s'adjoindre les services des ARH. En phase pandémique, le Premier ministre peut transférer la conduite opérationnelle au ministre de l'intérieur.

Pour ce qui est de la région Nord - Pas-de-Calais, le nombre de lits de réanimation pédiatrique et néonatale est de soixante-sept, soit seize lits en réanimation pédiatrique et cinquante et un en néonatale.

Venons-en très rapidement aux professionnels libéraux. Un kit de formation et d'information sera adressé à partir de la deuxième quinzaine d'avril à tous les professionnels de santé - soit 380 000 personnes -, en plus des réunions de formation de formateurs qui commenceront début avril. Ce kit comprendra un CD-ROM, un masque chirurgical et un masque FFP2, qu'ils n'avaient jusqu'alors jamais eu l'occasion de manipuler. Ils disposeront d'informations sur la conduite à tenir en cas de pandémie. J'avais déjà écrit aux médecins pour leur expliquer la conduite à adopter en phase interpandémique ; ils ne devraient pas être surpris de recevoir des informations, qu'ils attendent, sur la phase pandémique. Le CD-ROM contiendra trois rubriques : « savoir et se former », « se préparer et agir ensemble » expliquant le rôle de chacun dans une approche très transversale, « s'informer et informer ses patients », sachant que ceux-ci ne manquent jamais d'interroger en premier leur professionnel de santé. Une partie « évaluation » est prévue. J'ai également demandé aux préfets de faire en sorte qu'une réunion d'information de l'ensemble des professionnels de santé soit rapidement organisée dans chaque département.

Nous trouverons toujours quelqu'un qui dira ne pas encore savoir précisément quoi faire ; mais à partir du moment où ce kit d'information sera envoyé, nous effectuerons un suivi régulier afin d'évaluer en permanence le dispositif.

J'aurais voulu, pour terminer, vous poser une question : quel regard portez-vous sur la situation en Afrique, où vous vous êtes rendus il y a quelques jours ?

M. le Président. Sur l'aspect pandémie, c'est assez léger ; nous n'avons pas voulu ennuyer nos interlocuteurs...

M. le ministre de la santé et des solidarités. Léger ?

M. le Président. Il n'y a rien. Pas un gramme de Tamiflu® nulle part, même pas à l'hôpital principal de Dakar. Aussi, plutôt que de parler de plan pandémie, nous nous sommes surtout penchés sur la problématique « grippe aviaire ». Et dans le rapport entre l'animal et l'homme, le problème se situe d'abord au niveau de l'animal : là encore, il n'y a rien... À ceci près qu'il existe des plans de lutte contre l'épizootie aviaire qui semblent bien faits et, particulièrement au Mali, voire au Sénégal, un niveau d'information, de compétences et de volonté politique assez remarquable. Certes, on trouve des équipes de l'IRD et du CIRAD qui travaillent dans les parcs, dans des conditions pas toujours faciles.Mais, en dehors de quelques informations et mesures de surveillances diffusées à la radio, il n'y a rien. A contrario, on sent une réelle conscience du risque. Mais pas un centime pour acheter des écouvillons à prélèvements... On peut souhaiter un laboratoire P3 pour l'Afrique, mais pour l'instant, le problème est de se procurer l'écouvillon et l'essence à mettre dans la mobylette pour aller de Mopti à l'élevage situé à quinze kilomètres. C'est d'autant plus choquant que la bonne volonté, la réactivité, la structuration de la pensée et de l'action sont réelles.

On peut espérer que les migrations ont eu lieu juste avant que l'Afrique de l'Ouest ne soit totalement touchée ; nous sommes pour l'instant épargnés, mais il y aura des allers et retours durant les années à venir et personne ne doute que l'endémie arrivera tôt ou tard, ne serait-ce que par le commerce local : du Nigeria au Niger, du Niger au Mali, du Mali au Sénégal, personne n'imagine pouvoir fermer des milliers de kilomètres de frontières que les gens ont coutume de traverser régulièrement. Partant de là, ces pays attendent de l'aide pour traiter des problématiques de gestion animale, informer, indemniser les paysans pour les bêtes abattues, etc. Il n'y a aucun moyen technique disponible, même pas pour les prélèvements et l'alerte ! De même pour la protection des hommes dans leurs contacts avec les animaux : pas de Tamiflu®, pas de plan d'intervention...

M. le ministre de la santé et des solidarités. Même en matière de règles d'hygiène ? Ils communiquent là-dessus ?

M. le Président. Absolument. Sur le marché de Mopti, les marchands de volailles ont été séparés des autres et sont identifiés par un tablier spécifique. L'information circule, même si l'on peut parfois douter de sa crédibilité. Mais contrairement à ce que l'on pouvait craindre, la prise de conscience du danger est réelle. Même le policier au bord de la route sait très bien de quoi il s'agit lorsque vous lui parlez de grippe aviaire. Le niveau d'information et de prise de conscience de la situation par les responsables politiques et administratifs au Mali et au Sénégal est très bon ; malheureusement, il n'y a que ça ! Quant aux autres pays, je n'en sais rien. Tous les États d'Afrique de l'Ouest, à l'exception de la Côte-d'Ivoire, ont collaboré avec la Banque africaine du développement pour ouvrir un compte commun ; ils y ont même versé chacun une cotisation symbolique. Maintenant, ils attendent le chèque des pays donateurs ; or pas un centime n'a encore été viré sur ce compte commun. Et les procès d'intention qu'on leur fait sur l'utilisation de cet argent relèvent d'un esprit bureaucratique et technocratique invraisemblable : avec seulement 1 million d'euros au Mali et 1 million d'euros au Sénégal pour commencer, ils pourraient acheter l'essence pour leurs mobylettes... Les procédures du « trust fund » de la Banque mondiale et de l'Union européenne sont totalement scandaleuses !

M. le ministre de la santé et des solidarités. Les autorités locales ont-elles officiellement contacté l'OMS et la Banque mondiale ?

M. le Président. Bien sûr, conférences de presse à l'appui. Toutes les procédures ont été respectées. Les pays concernés hésitent à le dire, de peur d'être mal considérés par les bureaucrates du FMI et de la Banque mondiale, mais on y tient tout un discours sur la privatisation des services vétérinaires, à mes yeux particulièrement dangereux. La Banque mondiale ayant enfin compris que l'on ne pouvait plus appeler à la suppression de la santé, de l'éducation et des services vétérinaires, elle est passée au stade supérieur : la privatisation... Imaginez le concept, appliqué en brousse !

Je vous signale enfin qu'il se posera à coup sûr un problème à Dakar. Dans cette presqu'île vivent trois millions de personnes, au milieu desquels vingt mille Français. La problématique que vous nous exposiez tout à l'heure n'est psychologiquement, politiquement, humainement, pas gérable, d'autant que les hôpitaux sont administrés en partie par les Français. Comment faire un tri entre malades et pas malades et Français et pas Français ? C'est rigoureusement impossible. Il faudra être présent à Dakar, avec tout le matériel approprié.

M. le Rapporteur. On m'a également fait part, par téléphone, de la situation au Cameroun. Le Nord, à la frontière du Nigeria et du Tchad, commence à être touché alors que les ethnies qui y vivent élèvent de la volaille... Tout le pays risque d'être rapidement envahi. Il faudrait aussi parler de la Turquie, où la situation est très instable, d'après ce que nous avons pu constater voilà un mois. Or ce pays se trouve à un carrefour dangereux, y compris peut-être en matière de transmission à l'homme.

M. le ministre de la santé et des solidarités. Le ministère des affaires étrangères va dégager en juin 3 millions d'euros de crédits de coopération pour financer des équipes dans les laboratoires légers, des épidémiologistes pour la veille et la formation des services vétérinaires. De mon côté, j'ai demandé à l'Institut Pasteur de me présenter un projet d'ensemble de mise à niveau de son réseau en Afrique, à l'exemple de ce que nous avons fait en Asie. Peut-être le problème s'est-il déplacé ; en tout cas, les informations que vous venez de m'apporter confirment que le risque africain ne doit surtout pas être sous-estimé, c'est le moins que l'on puisse dire !

M. le Président. Monsieur le ministre, nous vous remercions.


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