Mardi 9 mai 2006

- Audition conjointe des organisations syndicales de personnels hospitaliers : CFE-CGC : M. Paul CHAUVOT, CGT : Mme Nadine PRIGENT et M. Christophe PRUDHOMME, UNSA Santé-Sociaux : MM. Jean-Claude BELLOQUE et Frédéric ANCELET

(Compte rendu de la réunion du mercredi 10 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Après s'être penchée sur les moyens médicaux et les matériels nécessaires pour faire face au risque de pandémie, la mission d'information sur la grippe aviaire s'est intéressée à l'épizootie proprement dite. Elle examine maintenant le plan « pandémie » du Gouvernement. Nous travaillons sur la préparation du système de santé dans son ensemble, médecine hospitalière et médecine ambulatoire. Dans ce cadre, nous avons voulu connaître le point de vue des organisations syndicales représentatives des personnels hospitaliers. Quel est votre degré d'information ? Où en est la préparation des établissements ? Quelles sont les réactions des personnels ?

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : Nous souhaitons, en particulier, connaître vos propositions tendant à calmer l'inquiétude que nous avons ressentie au cours de nos visites dans différents établissements.

M. le Président : Les organisations syndicales que nous venons d'entendre, juste avant vous, nous ont fait comprendre que le niveau d'information était très inégal selon les établissements, et parfois même inexistant, que le personnel a, malgré tout, la volonté de participer à l'application des plans locaux de lutte contre la pandémie éventuelle mais que leurs attentes ne sont pas encore clairement formulées. Nous sommes ,par ailleurs, bien conscients de la situation des hôpitaux, en termes de moyens financiers et humains. Au-delà de cette situation, certes très préoccupante mais que nous ne règlerons pas aujourd'hui, comment voyez-vous les choses ?

Mme Nadine PRIGENT : Nous sommes heureux que, six mois après sa création, votre mission d'information aborde le sujet de l'hôpital. Nous avons certes été entendus, ou du moins réunis, le 5 décembre, par la mission interministérielle de lutte contre la grippe aviaire, mais cette démarche nous a semblé de façade.

Certains dispositifs sont mis en place dans les régions, notamment dans les grands centres hospitaliers, et des réunions d'information et de formation ont eu lieu ou sont programmées. En cas de pandémie, notre système de santé sera mis à l'épreuve dans sa globalité, qu'il s'agisse de la médecine de ville, des services d'urgence, du système hospitalier, ou des soins à domicile. Cependant, le plan « grippe aviaire » repose en grande partie sur les SAMU et l'hôpital, dès l'apparition des premiers cas suspects. Par ailleurs, le rapport de l'InVS prévoit qu'en cas d'épidémie, de 500 000 à 1 million de personnes seront hospitalisées, étant précisé que cette modélisation ne prend pas en compte « l'intervention des pouvoirs publics ». Nous nous interrogeons précisément sur le point de savoir quelle serait effectivement cette intervention et quelle serait son incidence réelle car le problème actuel est bien de savoir si l'hôpital sera en mesure de répondre à un afflux de malades, et dans quelles conditions.

La situation actuelle de l'hôpital public se traduit par des tensions majeures en termes de capacité d'hospitalisation, en particulier dans les grandes métropoles, là où le risque de diffusion pandémique est majeur. Nous manquons de lits et de personnels, des postes sont vacants et des services sont fermés par manque de personnels.

Durant l'hiver 2005, alors que le nombre de cas de grippe saisonnière se situait dans une moyenne basse, plusieurs préfets ont été contraints de déclencher des plans blancs face à l'engorgement des hôpitaux. Alors que leurs moyens diminuent, les établissements hospitaliers doivent pallier les carences du système de soins - baisse de la démographie médicale dans certaines régions et réduction de la permanence des soins notamment. L'afflux aux urgences n'est que le miroir grossissant de ces difficultés.

Cette situation est due à trois éléments distincts. Les éléments anciens sont, d'une part, les restructurations hospitalières qui ont fortement diminué les capacités d'accueil depuis quinze ans, avec la fermeture de plus de 150 000 lits, et, d'autre part, la crise démographique du personnel, touchant notamment les infirmières. A ce sujet, ceux qui, jusqu'en 1998, ont fermé des écoles d'infirmières et qui, aujourd'hui encore, continuent de supprimer des lits d'hôpitaux sous couvert de restructuration ou de faux arguments de sécurité portent une bien lourde responsabilité. L'élément nouveau, c'est une décision prise dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale, et qui se traduit par des plans de retour à l'équilibre imposés aux établissements ainsi plongés dans une crise budgétaire grave. Non seulement nous n'avons pas obtenu la reconduction des moyens, mais l'enveloppe 2006 est amputée de 250 millions pour compenser les dépenses 2005, et 560 millions d'économies sont imposés au secteur hospitalier.

La représentation nationale ne peut rester insensible aux risques que fait courir la pérennisation d'une situation budgétaire qui, pour la première fois, va conduire à réaliser l'ajustement des moyens en jouant sur la principale masse variable dans les hôpitaux, les personnels. La Fédération hospitalière de France dit que 23 000 emplois sont menacés, mais notre organisation estime que les compressions d'effectifs concerneront de 25 000 à 40 000 emplois. Les hôpitaux privés participant au service public en sont aux plans de licenciement et de suppressions d'emplois, dont 350 pour le seul hôpital Foch, le plus important d'entre eux.

Cette diminution de moyens survient alors que l'hôpital connaît une crise majeure. La réforme « Hôpital 2007 » peine à se mettre en place et aggrave les dysfonctionnements. Le système de tarification à l'activité montre, comme prévu, ses limites, crée des tensions avec le secteur privé à but lucratif et entraîne une sélection des patients selon des critères de rentabilité. La nouvelle gouvernance se traduit par des luttes de pouvoir entre directeurs et médecins, ainsi qu'entre médecins, et freine toute analyse réelle des évolutions nécessaires pour répondre aux besoins des populations. La cerise sur le gâteau est le dernier rapport sur les plateaux de chirurgie, dont le parti pris et l'analyse indigente ne font pas honneur à son rédacteur. Dans le même temps, la Croix-Rouge a décidé de réorienter ses activités et tente de fermer des centres de santé de proximité, notamment dans les quartiers les plus défavorisés. Ces évolutions auront des conséquences sur les capacités en lits, sur la recherche, sur la formation, sur l'investissement et donc sur la qualité de l'offre de soins. Les admettre, c'est se « tirer une balle dans le pied ».

A tout cela s'ajoutent l'épuisement des personnels, la fuite des jeunes - on constate ainsi un taux très élevé d'abandon des études en fin de première année dans les écoles d'infirmières -, le refus de régulariser la situation des médecins qui ont obtenu leur diplôme hors de l'Union européenne, et enfin le projet de réforme du statut des praticiens hospitaliers, rejeté par les organisations qui représentent 80 % de cette profession et qui est à l'origine de la journée de grève prévue le 11 mai.

Comment mobiliser les hospitaliers dans leur ensemble face au risque sanitaire que représente la grippe aviaire, quand des réformes sont à ce point décrédibilisées, quand les directions des établissements ne savent plus comment envisager le devenir de leur hôpital, quand les personnels sont considérés comme les variables d'ajustement d'une politique comptable aveugle, sans logique de santé publique ?

Il faut être lucide sur l'état de notre système de santé. Crise professionnelle, crise budgétaire, crise démocratique : autant de qualificatifs pour décrire une situation préoccupante et la pandémie, si elle se déclarait, viendrait percuter un quotidien et un accès aux soins déjà dégradés...

Peut-être pensez-vous que je m'écarte du sujet. Je ne le pense pas. En effet, la question est de savoir si l'élément-pivot du service public de santé qu'est l'hôpital dispose des moyens pour remplir sa mission. Nous déclarons avec force que ce n'est pas le cas aujourd'hui et que ce le sera encore moins demain, quelle que soit la crise qui se produira. La première étape à franchir sera celle de cet été. Si nous ne disposons pas des moyens pour assurer la continuité de fonctionnement du service public hospitalier, nous déclarons solennellement que la catastrophe annoncée se produira réellement et qu'il faudra en rechercher les responsables.

Il nous semble toutefois encore temps de rectifier la situation. Aussi, notre organisation demande un moratoire sur toutes les suppressions d'emplois prévues dans le secteur hospitalier et dans les centres de santé, notamment ceux de la Croix-Rouge ; une véritable négociation sur l'emploi, la formation, la résorption de la précarité ; la remise à niveau des budgets hospitaliers, et, enfin, une loi de financement de la sécurité sociale rectificative destinée à accorder des moyens nécessaires aux établissements, à la hauteur de leurs besoins en activité, investissement, modernisation et développement d'activités nouvelles, en emploi et en formation.

Le service public hospitalier n'est pas une machine à produire des soins ; ses missions sont essentielles à la cohésion sociale. Nous pensons que votre mission d'information, dans laquelle les métiers de la santé sont très représentés, avec quinze membres sur trente et même cinq sur six au bureau, sera sensible à nos arguments.

Pour conclure, je paraphraserais un éminent défenseur de la santé publique, le professeur Claude Got : « II y a une forme de malfaisance dans cette situation, témoignant de la discordance entre l'annonce d'une priorité nationale et l'absence de mise à niveau des moyens permettant d'assurer la gestion de cette priorité ».

M. le Président : Si je comprends bien, vous pensez qu'il n'y a donc rien à faire pour préparer notre système de soins à une éventuelle pandémie de grippe aviaire. Notre mission n'est pas la commission des affaires sociales et ne parler que de la situation générale des hôpitaux me paraît hors de propos. Chacune des personnes que nous auditionnons nous adresse un discours particulier, et le vôtre me paraît assez démobilisateur. Il faut en revenir à notre sujet. Je ne pense pas, d'ailleurs, que le fond de votre pensée soit que, s'agissant de la grippe aviaire, il n'y a rien à faire ; mais si c'était le cas, je serais très inquiet et c'est pourtant la conclusion, erronée, que l'on pourrait tirer de votre intervention.

M. Pierre HELLIER : Je suis également attristé et déçu par la teneur de votre discours. C'est de la survie de la population qu'il s'agit, et les organisations syndicales que nous venons d'entendre, juste avant vous, nous ont dit qu'en cas de crise sanitaire, elles ne mettraient pas leurs revendications en avant.

M. Paul CHAUVOT : Je ne m'attarderai pas sur la situation des hôpitaux, que nous connaissons tous, mais rappellerai les problèmes auxquels nous exposerait une pandémie sévère de grippe aviaire et qui nécessiteront une organisation quasi militaire. La CFE-CGC en a recensé quatre.

Les personnels en place seront très sollicités. Il faut donc entreprendre rapidement la formation spécifique des médecins libéraux et créer une réserve sanitaire composée d'étudiants en médecine, de médecins retraités depuis moins de cinq ans, d'infirmières retraitées, ainsi que de militaires chargés de protéger les sites de stockage des médicaments, car il y pourrait y avoir un problème de sécurité si le Tamiflu venait à manquer.

Outre les locaux existants, il conviendra d'utiliser d'autres structures telles que les bâtiments affectés aux colonies de vacances ou les centres de thalassothérapie, réquisitionner les hôtels voisins des grands hôpitaux et, aussi, isoler des entités dédiées à l'intérieur des hôpitaux.

Des moyens techniques de protection seront nécessaires, dont la production doit être assurée, qu'il s'agisse de masques et de tenues pour les personnels, de Tamiflu et, le plus rapidement possible, d'un vaccin.

Enfin, limiter l'épidémie suppose une restriction des déplacements, l'organisation de services minimum, la suppression des réunions, la fermeture des écoles, salles de spectacles, lieux de culte et transports en commun. Il conviendrait de favoriser le télétravail et la télésanté et de prévoir des moyens militaires de décontamination pour les véhicules - il y a, sur ce point, des équipements complets dans des entrepôts qui ne servent à rien et que l'on pourrait utiliser.

M. Jean-Claude BELLOQUE : Je centrerai mon propos sur les inquiétudes des personnels de santé et des professionnels du transport sanitaire et d'urgence. Les agents se posent aussi des questions s'agissant de l'organisation du travail. Les services de soins mais aussi les consultations et les services administratifs pourraient travailler par garde de 24 heures, pour limiter les déplacements et les sorties. S'agissant des assignations de postes et des réquisitions, fera-t-on appel au volontariat ? Quelles seront les contreparties ? Les deux membres d'un couple d'agents hospitaliers parents de jeunes enfants pourront-ils être réquisitionnés (problématique pour la garde des enfants...)? Y aura-t-il une « priorisation » des personnels réquisitionnés en fonction de leur situation familiale ou autre ? Comment la famille sera-t-elle protégée si un membre du personnel contracte la maladie ? Qu'en sera-t-il de l'accès aux équipements de protection ? La grippe aviaire contractée au cours de l'exercice professionnel sera-t-elle reconnue comme maladie professionnelle ? Quelle sera la prise en charge médicale de la famille ? Comment la garde des enfants sera-t-elle assurée ? Si toutes ces questions ne sont pas traitées dès maintenant, le risque existe que des personnels ne se présentent pas à leur poste, bien qu'ils l'aient toujours fait jusqu'à présent en cas de crise sanitaire. Par ailleurs, la formation aurait déjà dû commencer, car elle ne saurait débuter un mois avant le déclenchement de l'épidémie. D'une manière générale, comment l'information sera-t-elle diffusée ? Actuellement, les personnels sont dans l'ignorance, et ils veulent des réponses.

M. le Rapporteur : Est-ce à dire que, jusqu'à présent, l'information n'a pas été diffusée dans les hôpitaux ?

M. Jean-Claude BELLOQUE : Aucune réponse précise n'a été apportée aux interrogations du personnel sur le mode de fonctionnement des services en cas de déclenchement de l'épidémie.

M. Frédéric ANCELET : L'information nationale est transmise par le biais des différentes instances, et l'on nous a ainsi présenté le document qui figure sur le site officiel. Les grands établissements ont défini et fait connaître leur plan, mais ce n'est pas le cas d'autres structures, les maisons de retraite par exemple. Si un cas se déclarait dans un EHPAD, comment le gérer ? Faudrait-il prévoir une mise en quarantaine ? Vers où le malade devrait-il être dirigé ? La formation devrait être généralisée. Or, toute formation a un coût, en temps comme en moyens financiers, que l'on ne peut ignorer, et les établissements n'ont pas toujours les capacités de l'assumer. De plus, non seulement la diffusion de l'information n'a pas lieu, mais cette information évolue constamment. En réalité, les personnels qui sont auprès des patients, notamment dans les maisons de retraite, n'ont pas d'autres informations que celles dont dispose le grand public. Lors de l'épidémie de SRAS, des mesures spécifiques avaient été définies, et il faut penser au même type de procédures. Les grandes structures hospitalières seraient évidemment sollicitées, puisque c'est là que sont les services d'urgence, mais qu'en serait-il des autres ?

M. Christophe PRUDHOMME : Le problème est de savoir aujourd'hui qui fait quoi, quelles sont les priorités de ceux qui dirigent le système hospitalier, et qui le dirige ? Tout ce qui vous a été décrit de la situation des hôpitaux est exact, et la grippe aviaire vient s'ajouter à ces problèmes. C'est dans ce contexte que l'on nous demande de faire de l'information ! On reçoit des notes d'information par des canaux divers : il est fâcheux que la coordination ne soit pas le fait d'une tête unique. M. Didier Houssin, délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, est venu, tout seul, nous présenter son plan. Nous avons demandé comment serait assurée la protection des travailleurs au contact des volailles, puisque c'est ainsi que la contamination peut se faire ; il est apparu qu'il n'y a eu aucune coordination entre le ministère de l'agriculture et celui de la santé. Dans le secteur agro-alimentaire, une note précise que les tenues de protection ne seraient fournies au personnel qu'après l'apparition du premier cas.

M. le Président : Pas dans les élevages, tout de même ?

M. Christophe PRUDHOMME : Qu'on élève un poulet ou qu'on le plume, le risque est le même ! Le problème est double. Il tient, d'une part, à la multiplicité des interlocuteurs, qui traduit le délitement de l'Etat, y compris dans la coordination de la gestion des situations de crise, si bien qu'on ne sait pas qui dirige, d'autre part à la multiplicité des canaux d'information, plus ou moins fiables. Le personnel des maisons de retraite reçoit plus d'informations par les medias que par l'encadrement, ce qui pose un problème de confiance. Il faudrait un canal unique d'informations fiables, car trop d'informations nuit à l'information.

M. le Président : J'entends vos observations légitimes sur le retard de l'information et sur les conséquences néfastes de la pluralité de sources d'informations. Je sais que, dans le milieu hospitalier, certains ont insisté sur le diagnostic et la mise en quarantaine des premiers cas, mais nous nous plaçons aujourd'hui dans l'hypothèse d'une infestation de masse touchant un tiers de la population, avec l'entrée en vigueur d'un plan blanc requérant la mobilisation extraordinaire de tous les personnels hospitaliers. Selon vous, cette mobilisation du personnel aura-t-elle lieu ?

M. Frédéric ANCELET : La grippe aviaire est très médiatisée et elle effraye réellement les professionnels, qui pensent qu'une personne contaminée par le virus est condamnée. Pour autant, lorsque l'éventualité d'un plan blanc est évoquée, le personnel indique qu'il obéira aux ordres qui lui seront donnés. Ils appartiennent au service public de santé et s'ils ne sont pas réquisitionnés, ils se présenteront pour la plupart spontanément, mais ils se demandent néanmoins ce qu'ils devront faire quand ils seront en contact avec un malade contaminé, même si les modes de protection sont connus. En cas de pandémie, bien des infirmières sont prêtes à faire garder leurs enfants par une grand-mère. Mais pour d'autres personnels, les problèmes d'organisation les font réagir ainsi : « Je serai malade, je n'irai pas ».

M. le Rapporteur : On vous dit cela ?

M. Frédéric ANCELET : Oui. C'est pourquoi il est essentiel d'informer les personnels, pour qui, aujourd'hui, « grippe aviaire » signifie « mort ». Il ne faut pas raconter n'importe quoi aux soignants mais leur donner des informations claires et justes et dans un délai approprié, pour ne pas donner le sentiment qu'il faudra courir après l'information : cela susciterait toutes sortes de supputations et pourrait provoquer une absence des personnels.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir ainsi traduit les inquiétudes que vous avez perçues chez les personnels hospitaliers.

M. Christophe PRUDHOMME : La peur existe, mais ce n'est pas le seul problème. Il a été annoncé que seuls viendraient à l'hôpital les malades graves. Qui dit malades graves dit haute technicité. Or, la grippe entraîne une détresse respiratoire : se posera alors le problème de l'insuffisance des capacités de réanimation, d'où une question éthique sur le choix des malades à admettre en réanimation. Nos services sont à peu près dimensionnés pour un fonctionnement normal, même si c'est parfois un peu « limite » dans certaines régions. En cas de pandémie, il y a une forte inquiétude des soignants, notamment en pédiatrie, car le personnel des services spécialisés sait bien que l'on parviendra, au mieux, à doubler le nombre de lits de réanimation, notamment en transformant ce que l'on appelle les services de porte, c'est-à-dire les service d'urgence. Autant dire que les capacités d'accueil seront très réduites. Imaginez ce que serait un triage : « Celui-là, on le laisse mourir », ou « celui-là, on s'en occupe » ; surtout s'il s'agit d'enfants. Cet aspect des choses doit être inclus dans la formation des personnels, qui en reste pour l'instant à l'aspect factuel. Actuellement, entre urgentistes et spécialistes des maladies infectieuses, nous bricolons, il n'y a pas d'autre mot, des séances d'information plutôt que de formation ; mais quand on travaille à flux tendus, comme c'est le cas pour chacun de nous, dégager deux ou trois heures à cette fin est une véritable gageure, surtout en phase de démobilisation sur le sujet. Voilà pourquoi ce que Mme Prigent a exposé tout à l'heure n'était pas mal venu. Lorsque nous réussissons à organiser ces sessions de formation, obligatoires puisqu'elles ont lieu pendant le temps de travail, tout le monde est présent, car le personnel est très motivé.

M. Gérard BAPT : Je n'entrerai pas dans la controverse sur l'insuffisante coordination entre services vétérinaires et services de santé humaine mais, sur le strict plan de l'organisation générale du plan « pandémie », je suis surpris d'entendre dire que l'on ne sait pas qui est le pilote. Le pilote, c'est le préfet, et donc la DRASS, qui a un interlocuteur à la direction de chaque établissement, comme je l'ai constaté au CHU de Toulouse.

M. le Président : Il y a parfois un décalage entre le schéma idéal et la réalité...

M. Gérard BAPT : Il n'empêche que, dans tous les cas, la coordination revient au préfet.

M. Christophe PRUDHOMME : Comme on l'a vu pour le SRAS, du fait des lacunes dans la permanence des soins, il n'y a plus de sécurité sanitaire aux frontières. C'est le SAMU qui l'assure, avec ses propres moyens. D'autre part, de quels moyens disposent les préfets ? Les DDASS ont très peu de moyens pour faire beaucoup de choses. Nos interlocuteurs ont peu de pouvoirs, et ils manquent, eux aussi, de formation et d'information. L'information devrait venir des DRASS mais, je le répète, les canaux d'information sont trop nombreux : des réunions sont organisées par les ARH, le ministère, telle agence ou telle autre, et par M. Didier Houssin, dont l'équipe ne compte que quatre personnes.

M. le Président : Elle a été renforcée depuis.

M. Christophe PRUDHOMME : Qui dirige la préparation des opérations sur le plan national ? Les personnels sont inquiets : faute de stratégie clairement définie, on ne sait pas si l'on devra confiner, si l'on devra rester sur place au cas où l'on aura été au contact de malades contagieux, s'il y aura des hôpitaux dédiés... On ne sait même pas si les horaires de travail seront modifiés... A un moment ou à un autre, il faudra bien trancher !

M. le Président : Nous avons entendu votre message, et nous avons nous-mêmes commencé à parler au ministre de la santé du problème majeur de la stratégie en zone urbaine dense. Mais ce que nous cherchons à faire aujourd'hui, c'est à appréhender la capacité d'adaptation - ou de résilience comme on dit actuellement - du personnel à une crise grave. Avez-vous des demandes spécifiques à formuler sur le statut du personnel? Qu'attendez-vous des pouvoirs publics en termes de garanties et d'éléments de sécurité ? Si la question n'est pas posée maintenant et que des réponses ne lui sont pas apportées avant que la crise se déclare, nous ne pourrons pas affronter le choc.

M. Christophe PRUDHOMME : A ce jour, tout le monde se sent concerné : on ne sait ni si l'on sera requis volontaire, ni s'il faudra confiner le personnel... Rappelons-nous que lorsque le nombre de cas de SRAS a pris de l'ampleur en Chine, on a confiné là-bas des hôpitaux entiers. Ce sont des questions qui se poseront.

M. le Président : J'espère que l'on n'en viendra pas aux méthodes chinoises, avec l'armée montant la garde autour d'hôpitaux en quarantaine... Pour ce qui est des réquisitions éventuelles, je pense qu'on ne pourra s'en tenir au volontariat.

M. Christophe PRUDHOMME : Cela n'a pas été explicitement dit au personnel.

M. le Président : La CGT a-t-elle des demandes particulières concernant la protection du personnel ? Si un plan blanc est déclenché, le personnel devra être présent. Quelle serait l'attitude de la CGT dans ce cas ?

M. Christophe PRUDHOMME : Le personnel répondra aux réquisitions : c'est la loi ! Mais il sera, lui aussi, touché par la maladie, puisque l'on estime à 25 ou 30 % la proportion de la population qui risque d'être contaminée. Dans l'effectif indemne de contagion, on risque de constater la fuite de ceux qui, par peur, disparaîtront dans la nature. Pour éviter une telle fuite, il faut donner aux personnels l'assurance qu'ils bénéficieront de mesures de protection de qualité.

M. le Président : Lesquelles ?

M. Christophe PRUDHOMME : Notre première revendication est que tous les collègues qui travaillent dans les hôpitaux soient au complet à la fin de l'année, à l'unité près. Aujourd'hui, le personnel ayant un contrat à durée déterminée, ou partant en retraite, n'est pas remplacé. C'est pourquoi nous sollicitons une loi de financement de la sécurité sociale rectificative.

M. le Président : Les problèmes sont-ils uniquement liés à des questions d'effectifs ? Ils ne concernent ni le Tamiflu, ni les assurances-décès, ni la protection sanitaire des fonctionnaires hospitaliers, etc. ?

M. Frédéric ANCELET : Notre collègue et nous-mêmes avons déjà évoqué certaines mesures nécessaires de protection des travailleurs et de leurs familles. Les personnels attendent ainsi qu'on leur donne des garanties. Ils veulent savoir quand ils rentreront chez eux s'ils sont réquisitionnés car ils ne vont pas rester trois mois, voire davantage à l'hôpital ! Enfin, il faut leur fournir des moyens de protection garantissant à leurs proches une barrière efficace contre une éventuelle contamination.

M. le Président : Il faut donc des moyens prophylactiques.

M. Frédéric ANCELET : Il faut aussi que soit précisé ce qu'il adviendra si un membre du personnel contracte la maladie et succombe. Comment sa famille sera-t-elle prise en charge ? Ces décès seront-ils considérés comme des accidents du travail, ou consécutifs à une maladie professionnelle ? Sans doute n'est-il pas possible d'apporter pour l'instant de réponses précises à ces questions, mais il faut y réfléchir sérieusement car elles se poseront.

M. le Président : Bien sûr !

Mme Catherine GÉNISSON : Je retiens de vos témoignages qu'il y a encore une grande incertitude dans les plans de préparation à la pandémie, qu'une information venant de sources multiples perd de son efficacité et que des demandes de protection existent mais qu'il est difficile de les formuler précisément car elles dépendent de la manière dont vous devrez travailler. En résumé, le plan doit être plus précis pour que vous puissiez faire part de revendications légitimes. Sur un autre plan, l'épineuse question du triage doit également être abordée. La fonction de médecin trieur sera la pire. S'agissant de la prise en charge en réanimation, se pose un problème non seulement de quantité, mais aussi de qualité des respirateurs. Il faut donc qu'il y ait une commande plus précise en amont du plan. C'est un message que nous devons faire passer.

M. le Président : Nous avions déjà été alertés sur la situation des services de réanimation et singulièrement sur celle, vraiment préoccupante, de la réanimation pédiatrique. Vos propos sont opportuns car c'est une affaire nationale.

M. Paul CHAUVOT : Je comprends mieux maintenant les préoccupations qui vous animent. Je tiens à souligner que l'inquiétude des personnels est aggravée par les medias, qui leur donnent à penser qu'ils risquent leur vie. Il faut revoir l'information. Dans un autre domaine, il faut, tout au moins pour la première vague pandémique, au cours de laquelle il n'y aura pas de vaccin disponible, prévoir des hébergements gratuits dans des hôtels réquisitionnés pour les personnels qui ne voudront pas exposer leur famille au risque de contamination. Enfin, un épidémiologiste m'a dit considérer l'efficacité du Tamiflu comme bien supérieure à celle des masques mais il semble que, comme on en manquera, il sera réservé aux malades les plus graves, et non au personnel.

M. le Président : Cette information est erronée sur le fond et discutable sur le plan de la stratégie.

M. Paul CHAUVOT : Alors, il faut le dire ! L'époque n'est plus celle où le personnel hospitalier était composé de religieuses qui se consacraient à un sacerdoce ! En cas de crise, des vocations se manifesteront à nouveau, mais il faut créer des conditions favorables. Il faut que les gens se sentent utiles à la population.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Les personnels sont des gens consciencieux, qui seront là quand on aura besoin d'eux, comme toujours. La situation terrible dans laquelle se trouvent les hôpitaux crée des tensions et les démotive, mais c'est un autre débat. De ce qui a été dit aujourd'hui, je retiens la nécessité de continuer à travailler avec les organisations syndicales sur l'information du personnel et notamment sur l'évaluation du risque, car la contamination par le virus de la grippe aviaire ne signifie pas la mort. Il faut aussi préciser les exigences formulées, voir s'il convient de traiter à part le cas des femmes seules avec enfants, et définir les préconisations relatives aux réquisitions. Enfin, il ne faut pas se faire d'illusions sur le Tamiflu, qui est un traitement préventif et non curatif, mais le personnel doit avoir du Tamiflu, c'est une priorité. Des masques sont prévus pour les membres du personnel hospitalier qui, parce qu'ils seront en première ligne, doivent bénéficier de ces protections.

M. le Président : C'est la contrepartie de leur engagement dans le service public.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Ce doit être une priorité pour eux comme pour les professionnels de santé libéraux. Il y a là un champ d'action pour les organisations syndicales, mais l'information n'est pas suffisamment remontée des établissements pour que des revendications précises soient formulées. Le représentant de Force Ouvrière a indiqué tout à l'heure que la tension est telle à l'hôpital que l'on s'occupe d'autre chose que de la pandémie éventuelle. Cependant, les organisations syndicales doivent avoir une réflexion plus positive sur la protection du personnel pour qu'il puisse travailler dans des conditions raisonnables et pour limiter les fuites. Du travail reste à faire.

M. le Président : De fait, on ne saurait faire l'impasse sur ce qu'il adviendrait si nous n'étions pas préparés à gérer la crise.

Mme Nadine PRIGENT : La situation actuelle témoigne de la carence des pouvoirs publics à mesurer les risques. Pour avoir travaillé en réanimation, je sais ce que c'est de travailler en temps de crise tout en se protégeant de la maladie. Ce qui comptera, plus que le Tamiflu, ce sont les conditions de travail, une protection efficace contre la contagion et le nombre que nous serons pour nous occuper des malades. A cet égard, je suis dépitée que vous sous-estimiez la situation de l'emploi à l'hôpital. Penser faire revenir des infirmières à la retraite ne suffira pas : on a déjà essayé, et on a essuyé un échec cuisant. Quant à dire au personnel qui travaille déjà en situation tendue qu'il devra travailler plus, cela est difficile. Certes, il faut chercher à donner confiance aux professionnels, mais la démotivation est réelle et les mauvaises conditions de travail expliquent la fuite du personnel qualifié et le fort taux d'abandon dans les écoles d'infirmières. Rien de tout cela ne doit être sous-estimé. La Fédération hospitalière de France dit que 23 000 emplois sont menacés.

M. le Président : Ne croyez pas que nous ne vous écoutons pas, mais on peut avoir des points de vue différents. Même si vous avez raison de dire que ces questions pèsent lourdement, nous ne sommes pas vos interlocuteurs premiers sur ce sujet.

Mme Nadine PRIGENT : Il faudra voir comment reconnaître le travail accompli dans des conditions difficiles par le personnel réquisitionné. Lorsque, à la suite de la canicule, on a voulu donner une prime, elle a été refusée, le personnel concerné expliquant que ce qu'il voulait, c'était des emplois supplémentaires leur permettant de travailler convenablement au quotidien. Des volontaires se présentent toujours quand c'est nécessaire, et il y en a eu encore récemment pour partir en Guyane et à La Réunion quand sévissait une épidémie de dengue. Peut-être les représentants du personnel n'ont-ils pas encore pris la mesure complète des problèmes à traiter mais, quoi qu'il en soit, l'indispensable est de former, de dire la vérité et de ne pas penser que, même si la réquisition est prévue par les textes, on pourra réquisitionner n'importe qui, n'importe comment. Je crois beaucoup à la mobilisation des personnes.

M. Frédéric ANCELET : Il est essentiel d'informer précisément sur le Tamiflu, pour dire que, contrairement à ce que le personnel a entendu, ou cru entendre, dans les medias, c'est une méthode efficace de prévention, et qu'il leur sera distribué.

M. le Président : Je vous rappelle que nous ne sommes pas le Gouvernement mais une mission parlementaire d'information, appelée à faire des recommandations à l'exécutif.

M. Frédéric ANCELET : Puisque vous avez évoqué les mesures de protection souhaitables, je vous apporte notre point de vue. Les personnels ont l'habitude de travailler à flux tendus, et ils trouvent toujours les ressources nécessaires pour donner encore plus dans des situations de crise. Mais ce que nous souhaitons vraiment, c'est que le personnel, doté du matériel adéquat, puisse apporter des soins de qualité. Il faudra donc des masques, des gants, des tabliers, des respirateurs adaptés à la situation en quantité suffisante, car nous ne serons pas là uniquement pour gérer l'afflux des malades et les accueillir : il faudra aussi pouvoir les soigner correctement !

M. Gérard BAPT : Tout le monde semble penser que le risque de pandémie est aujourd'hui écarté parce que l'hiver est fini, alors même que des cas sont encore signalés ici ou là. C'est dire la difficulté d'informer en se gardant à la fois de tout alarmisme et de tout excès d'optimisme. La décision prise par M. Bush de débloquer 2,3 milliards de dollars pour l'exercice 2007 au titre de la protection contre l'éventualité d'une pandémie de grippe aviaire montre que, contrairement à ce qui se dit, la vigilance continue de s'imposer. Mais, au CHU de Toulouse, où il est question de supprimer 200 postes équivalent temps plein de médecins, j'ai le sentiment que rien n'a bougé depuis le lancement du plan « pandémie ».

M. le Président : On a même le sentiment d'un recul. La sensibilité au problème est moins forte qu'au mois de novembre.

M. Christophe PRUDHOMME : J'ai cru comprendre que l'on préconisait désormais la distribution de Tamiflu aux personnes potentiellement exposées.

M. le Président : C'est une piste de réflexion.

M. Christophe PRUDHOMME : Je vous rappelle que pour l'instant, l'accent est mis sur la protection par les masques, le traitement par Tamiflu n'intervenant qu'en seconde ligne. Si la décision devait être prise de distribuer le Tamiflu, il faudra prendre garde à ce qu'elle ne soit pas comprise comme un changement brutal du dispositif de prévention.

M. le Président : Nous avons retenu , de ce que vous nous avez tous dit, que les informations ne sont pas descendues, que les personnels sont davantage informés par les medias que par ce qui devraient être les canaux « normaux », que la formation est lacunaire et la coordination de la préparation à la crise difficile. Il en résulte que le danger mortel est sur-estimé et le risque pandémique sous-évalué, ce qui crée un grave effet de ciseau qui peut faire craindre une perte de confiance et un risque de fuite du personnel si l'épidémie éclate un jour.

Madame, Messieurs, je vous remercie.


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