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No 112
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 juillet 2002.
PROPOSITION DE LOI
tendant à permettre aux couples non mariés
d'
adopter conjointement un enfant.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par Mme Martine BILLARD,
MM. Yves COCHET et NoËl MAMÈRE,
Députés.

Famille.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Il y a quatre ans, la loi Mattei du 5 juillet 1996 a considérablement remanié le droit de l'adoption en France. Mais notre code civil se trouve néanmoins en décalage avec l'évolution des m_urs dans la société française.
Depuis le milieu des années 60, la vie privée des Français a changé. Plus de divorces, moins de mariages, plus de concubinages, de familles monoparentales et de naissances hors mariage.
Cet état de fait amène de nombreux sociologues, comme Irène Thery, à reconnaître qu'un «mouvement de diversification des formes d'organisation familiale» s'est peu à peu imposé.
La famille dite «nucléaire», c'est-à-dire celle réduite à sa plus stricte définition : père, mère et enfant, est en net recul. Ainsi vaut-il mieux parler «des familles» dans leur diversité que de la famille.
Ces évolutions sont clairement ressenties dans la société et le monde universitaire. Cependant, comme le fait remarquer Mme Thery dans son rapport sur le droit de la famille remis au Gouvernement en mai 1998, le droit positif se refuse toujours à accepter ces nouvelles formes d'organisations familiales.
Dans les faits, rien ne s'oppose à ce que les couples de concubins et les partenaires ayant conclu un pacte civil de solidarité puissent fonder une famille en adoptant des enfants puisque la législation de 1966 autorise les personnes célibataires non mariées à être candidates à l'adoption.
En France, les couples homosexuels avec enfants ne représentent qu'une petite réalité et, dans la grande majorité des cas, les couples concernés élèvent des enfants provenant d'une ancienne union hétérosexuelle. Plus rarement, ces couples homosexuels adoptent des enfants, laissant l'un des deux parents accomplir les démarches en tant que célibataire désirant adopter un enfant.
En réalité, malgré la loi de 1966, s'ils bénéficient comme toutes les personnes non mariées du droit d'adopter, les homosexuels se voient souvent refuser l'agrément des services sociaux dès lors qu'ils affirment leur orientation sexuelle lors de l'enquête sociale. Deux récents arrêts du Conseil d'Etat en 1996 et 1997 incitent même les candidats à l'adoption à ne pas faire état de leur homosexualité.
Or, l'article 13 du traité d'Amsterdam ratifié par les pays membres de l'Union européenne, dont la France, stipule que ces pays doivent «combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race, ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle».
De même que le code pénal dans son article 225-1 décrit la discrimination comme «toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leurs origine, de leur sexe [ou] de leurs m_urs».
Bien que les homosexuels soient protégés comme n'importe quels citoyens, ils sont contraints de cacher leur orientation sexuelle pour pouvoir accéder au droit d'adoption.
Aussi, le code civil, et notamment son article 343, est en contradiction avec le code pénal et les textes des Communautés européennes déjà cités. Cet article dispose que «nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux».
Cette disposition va également à l'encontre des principes fondateurs de notre République. La Constitution du 4 octobre 1958, dans son préambule, proclame son attachement aux Droits de l'homme tels qu'ils sont définis par la Déclaration de 1789, dont le premier des articles dispose que «les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits».
L'article 343 et de nombreux autres articles du code civil dénigrent ainsi le droit individuel et fondamental de tout être humain à pouvoir fonder une famille et élever des enfants puisque l'adoption plénière n'est actuellement accordée qu'à une personne et non aux deux personnes qui forment le couple et donc aux parents.
Le maintien de la législation actuelle peut entraîner des situations familiales difficiles et injustes car, au-delà du droit des couples homosexuels et des couples de concubins à adopter des enfants, se pose la question du droit de l'enfant à recevoir une éducation et à vivre dans un environnement stable.
Les concubins sont trop souvent assimilés à ceux qui refusent l'engagement ou la solidarité au profit d'une vision égoïste alors que la seule chose qui les différencie des couples mariés est leur statut juridique.
Rien ne permet d'affirmer qu'un enfant élevé dans une famille dont les parents vivent en concubinage, comme c'est de plus en plus souvent le cas, recevra une moins bonne éducation qu'avec un couple marié.
Selon des sociologues, l'enfant représente justement pour un tel couple la légitimité que leur aurait apporté le mariage.
Ainsi, donner aux couples homosexuels ou au couple de concubins l'accès à l'adoption ne représente en aucune façon un danger pour l'enfant. C'est même lui donner une chance de pouvoir grandir dans un foyer équilibré, comme le docteur Stéphane Nadaud l'a montré dans sa thèse de médecine «Approche psychologique et comportementale des enfants vivant en milieu homoparental», soutenue en novembre 2000 à l'université Victor-Segalen de Bordeaux.
Dans un arrêt rendu public le 26 février 2002, la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg a décidé, à 4 voix contre 3, que les pouvoirs publics peuvent refuser qu'un ou une homosexuel(le) adopte un enfant sans se rendre coupable d'atteinte aux droits de l'homme, ni enfreindre l'interdiction de discrimination. Selon la Cour, «Force est de constater que la communauté scientifique (...) est divisée sur les conséquences éventuelles de l'accueil d'un enfant par un ou des parents homosexuels, compte tenu notamment du nombre restreint d'études scientifiques réalisées sur la question». La France n'est donc pas condamnable sur le fond dans l'affaire Fretté concernant l'adoption d'un enfant par un couple homosexuel, et il est tout à fait regrettable que seuls les juges belge, britannique et autrichien aient condamné la France. Cet arrêt risque, en fait, d'encourager les pratiques discriminatoires et pousse à dissimuler l'homosexualité dans la préparation du projet d'adoption d'un enfant. Un homosexuel peut donc adopter de façon individuelle s'il cache son homosexualité. C'est à ce constat affligeant qu'amène la décision absurde de la Cour.
Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la présente proposition de loi visant à accorder l'adoption aux couples de concubins et aux couples homosexuels.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L'article 343 du code civil est ainsi rédigé :
«Art. 343. - L'adoption peut être demandée par :
«- deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l'un et l'autre de plus de vingt-huit ans;
«- ou par deux partenaires de même sexe ou non, liés par un pacte civil de solidarité depuis plus de deux ans ou âgés l'un et l'autre de plus de vingt-huit ans;
«- ou encore par un couple formé de deux personnes de même sexe ou non vivant en concubinage selon l'article 515-8 du présent code, âgés l'un et l'autre de plus de vingt-huit ans, et qui sont en mesure d'apporter la preuve par une déclaration de concubinage établie auprès du greffe du tribunal de grande instance d'une vie commune d'au moins trois ans.»
Article 2
Dans le deuxième alinéa de l'article 343-1 du même code, après les mots : «si l'adoptant est marié et non séparé de corps», sont insérés les mots : «ou s'il a conclu un pacte civil de solidarité ou a fait la preuve d'une vie en concubinage d'au moins trois ans dans les conditions fixées à l'article 343 du code civil».
Article 3
Le premier alinéa de l'article 346 du même code est ainsi rédigé :
«Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par un couple remplissant les conditions fixés à l'article 343 du code civil.»
Article 4
Le premier alinéa de l'article 357 du même code est ainsi rédigé :
«L'adoption confère à l'enfant le nom de l'adoptant. En cas d'adoption par deux époux, l'enfant prend le nom d'un parent et, en cas d'adoption par deux personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité ou par deux personnes vivant en concubinage dans les conditions fixées à l'article 343 du présent code, le nom de l'enfant est alors constitué par leurs noms accolés ou par l'un d'entre eux seulement.»
Article 5
Après le troisième alinéa de l'article 357 du même code,
il est inséré un quatrième alinéa ainsi rédigé :
«Si l'adoptant est un des deux partenaires ayant conclu un pacte civil de solidarité ou un des deux concubins pour un couple vivant en concubinage selon les conditions fixées à l'article 343 du présent code, le tribunal peut, dans le jugement d'adoption, décider du consentement de l'autre partenaire ou concubin de l'adoptant que le nom de ce dernier sera conféré à l'adopté si cet autre partenaire ou concubin est décédé ou dans l'impossibilité de manifester sa volonté, le tribunal apprécie souverainement après avoir consulté les héritiers desdits partenaires ou concubins ou leurs successibles les plus proches.»
Article 6
Le premier alinéa de l'article 365 du même code est ainsi rédigé :
«L'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint, le partenaire ou le concubin du parent de l'adopté.»
Article 7
Après le premier alinéa de l'article 365 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«Les droits d'autorité parentale sont exercés en commun entre le parent adoptif et le parent d'origine si le parent adopte l'enfant de son concubin ou de son conjoint pacsé.»
Article 8
Avant le premier alinéa de l'article 371 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«Sont définis comme parents la ou les personnes détenant l'autorité parentale; c'est-à-dire le père et la mère qui ont reconnu l'enfant à sa naissance, ou les conjoints, partenaires ou concubins lors de l'adoption. Sont parents ceux envers lesquels une filiation est établie qu'elle soit par reconnaissance ou par adoption. »
Article 9
Le premier alinéa de l'article 372 du même code est ainsi rédigé :
«L'autorité parentale est exercée en commun par les deux parents, qu'ils soient mariés, séparés, en concubinage - selon les dispositions de l'article 515-8 du présent code - ou s'ils ont conclu un pacte civil de solidarité.»
Article 10
Le troisième alinéa de l'article 372 du même code est ainsi rédigé :
« L'autorité parentale pourra néanmoins être exercée en commun en cas de déclaration conjointe des parents devant le greffier en chef du tribunal de grande instance ou sur décision du juge aux affaires familiales. »
Article 11
Dans l'article 373-5 du même code, les mots : «ni père ni mère» sont remplacés par les mots : «aucun des deux parents».
Article 12
Dans les articles 367, 371, 371-2, 371-3, 371-4, 373, 373-1, 373-3, 373-4, 373-5, 374, 375-3, 375-6, 375-7, 376-1, 377, 377-2, 378, 390, 402, 405 et 408 du code civil, les mots : «père et mère» sont remplacés par le mot : «parents».
Article 13
Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application de la présente loi.
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N° 0112 - Proposition de loi permettant aux couples non mariés d'adopter conjointement un enfant (Mme Martine Billard)


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