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N° 176

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er août 2002.

PROPOSITION DE LOI

visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste ou antisémite et à renforcer l'efficacité de la procédure pénale.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Pierre LELLOUCHE,

Député.

Droit pénal.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Une vague d'antisémitisme, sans précédent depuis les années sombres de l'entre-deux-guerres et de l'Occupation, a déferlé sur la France ces 18 derniers mois. Des écoles attaquées, des lieux de culte incendiés, des tombes profanées, des enfants visés au cours d'activités sportives ou dans des bus scolaires, des personnes frappées ou insultées en pleine rue par le seul fait de leur appartenance à la Communauté juive. Le Conseil représentatif des institutions juives de France a dénombré 330 actes d'hostilité commis entre le 9 septembre 2000 et le 20 novembre 2001. Entre le 29 mars et le 17 avril 2002, le phénomène s'est amplifié pour atteindre des proportions alarmantes : près de 400 actes antisémites ont été recensés par les services de police. soixante ans après le départ vers Auschwitz des premiers convois de déportés juifs de France, cette situation est devenue proprement intolérable.

Morales ou physiques, les violences racistes et antisémites offensent non seulement les personnes qui en sont victimes et les communautés dont elles sont membres, mais elles portent aussi atteinte à la cohésion nationale et aux valeurs essentielles de la Nation. Elles sont un outrage à la République et à la France. Elles nuisent enfin gravement à l'image de la France dans le monde, y compris parmi nos alliés et partenaires les plus importants.

Pour lutter contre cette situation intolérable, une volonté politique forte est indispensable. Il est heureux que le Président de la République Jacques Chirac, comme le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, l'aient clairement affirmé : de fait, le niveau des violences semble s'être fortement réduit ces dernières semaines.

Reste que le phénomène peut à tout moment ressurgir. Il s'agit donc de redoubler d'efforts en matière d'intégration et d'éducation des valeurs civiques et de tolérance. Mais il s'agit aussi de faire en sorte que la République soit en mesure de réprimer sans faiblesse de tels actes. La révision de notre arsenal législatif apparaît ici indispensable. Pour l'heure, notre droit vise surtout à sanctionner les discriminations, les provocations à la haine ou à la violence, la propagation de thèses révisionnistes. De même, la sanction des profanations de sépultures a été renforcée ces dernières années dans notre Code pénal (depuis la lamentable affaire de Carpentras).

En revanche - sans doute parce que le problème ne s'était pas posé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale - notre Droit pénal ne sanctionne pas, en tant que telles, les agressions à caractère raciste ou antisémite contre les biens, les personnes et même les lieux de culte.

Ainsi, il n'en «coûte» pas plus d'agresser une personne pour lui voler son portable ou parce qu'elle porte une étoile de David; attaquer une synagogue, une mosquée ou une école confessionnelle constitue pénalement le même délit, dans notre droit actuel, que de s'en prendre à un bien ou à un édifice ordinaire.

L'objet de la présente proposition, sans créer de nouvelles incriminations dans le Code pénal, vise à prendre en compte l'intention raciste et/ou antisémite, et dès lors à aggraver lourdement les peines encourues par les auteurs d'atteintes à la personne humaine et aux biens lorsqu'elles ont un caractère raciste ou antisémite. Ces aggravations de peines sont appelées à s'appliquer aux actes de torture et de barbarie, aux violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, une mutilation, une infirmité permanente ou une incapacité de travail, ainsi qu'aux actes de destruction, dégradation et détérioration de biens.

Il vous est également proposé de sanctionner plus gravement les atteintes aux biens qui sont particulièrement visés parce qu'ils sont autant de symboles de la vie d'une communauté, qu'il s'agisse de lieux de culte, des établissements scolaires ou des moyens de transports utilisés par leurs élèves.

Dans un souci d'efficacité et compte tenu de l'expérience vécue au cours des derniers mois, il vous est enfin proposé d'étendre la procédure de comparution immédiate pour les délits commis par les mineurs ayant atteint l'âge de quinze ans. Cette mesure permettra, de juger rapidement, et sans les remettre préalablement en liberté, des mineurs commettant des actes de violence graves et répétés...

L'ensemble de ces mesures vise à mettre fin à l'impunité quasi générale dont semblent avoir bénéficié les nombreux auteurs de ces actes dans la période récente.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Avant le dernier alinéa de l'article 222-3 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

«Lorsque l'infraction définie à l'article 222-1 a été commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, la peine encourue est portée à trente ans de réclusion criminelle.»

Article 2

Avant le dernier alinéa de l'article 222-8 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

«Lorsque l'infraction définie à l'article 222-7 a été commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, la peine encourue est portée à trente ans de réclusion criminelle.»

Article 3

Avant le dernier alinéa de l'article 222-10 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

«Lorsque l'infraction définie à l'article 222-9 a été commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, la peine encourue est portée à vingt ans de réclusion criminelle.»

Article 4

Avant le dernier alinéa de l'article 222-12 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

«Lorsque l'infraction définie à l'article 222-11 a été commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, les peines encourues sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150000 euros d'amende.»

Article 5

Avant le dernier alinéa de l'article 222-13 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

«Lorsque l'infraction définie au premier alinéa a été commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, la peine encourue est portée à cinq ans d'emprisonnement et à 75000 euros d'amende.»

Article 6

Après le deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

«Lorsque la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui a été commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la personne propriétaire ou utilisatrice de ce bien à une ethnie, une nation, une race ou une religion, les peines encourues sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45000 euros d'amende. Elles sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75000 euros d'amende lorsque ce bien est un lieu de culte, un établissement scolaire ou éducatif ou un véhicule de transport scolaire.»

Article 7

Après le troisième alinéa (2°) de l'article 322-8 du code pénal, il est un alinéa ainsi rédigé :

«3° Lorsqu'elle a été commise, a raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la personne propriétaire ou utilisatrice du bien à une ethnie, une nation, une race ou une religion.»

Article 8

Après le premier alinéa de l'article 322-9 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

«Il en va de même, lorsque la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui a été commise, dans les conditions déterminées à l'article 322-6, à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la personne propriétaire ou utilisatrice du bien, à une ethnie, une nation, une race ou une religion.»

Article 9

I. - A l'article 397-6 du code de procédure pénale, après les mots : «aux mineurs», sont insérés les mots : «de moins de quinze ans».

II. - Dans le septième alinéa de l'article 5 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, après les mots : «le mineur», sont insérés les mots : «de moins de quinze ans».

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N° 0176 - Proposition de loi sur l'aggravation des peines punissant les infractions à caractère raciste ou antisémite (M. Pierre Lellouche)


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