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No 178

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er août 2002.

PROPOSITION DE LOI

tendant à instaurer un système d'indemnisation des citoyens pour les troubles qu'ils subissent du fait de l'implantation d'un ouvrage public nouveau.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Alain MOYNE-BRESSAND,

Député.

Environnement.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La réalisation d'ouvrages publics suscite des oppositions de plus en plus vives, car nos concitoyens ne supportent plus d'être mis devant le fait accompli et de supporter passivement les troubles liés à la réalisation d'ouvrages destinés, paradoxalement, à assurer leur mieux-être.

Ces troubles sont bien entendu de nature diverse et vont de la dégradation de paysages à la gêne née du bruit ou des trépidations, voire même de l'exposition permanente à un risque industriel.

Certains de ces troubles nous concernent tous, comme le saccage irrémédiable de lieux prestigieux, d'autres, en revanche, atteignent dans leur vie quotidienne ceux qui pensaient couler des jours heureux dans la petite propriété, fruit des économies d'une vie devenue aujourd'hui invivable et invendable car proche d'une autoroute ou d'une ligne de train à grande vitesse.

Or, aujourd'hui, ces personnes sont malheureusement démunies de moyens d'action : la jurisprudence, très réticente, ne reconnaît qu'exceptionnellement le droit à l'indemnisation.

La présente proposition de loi vise à indemniser les victimes de nuisances et, ce faisant, à en diminuer le nombre : le surcoût qu'engendreraient des travaux ou des tracés permettant de réduire les nuisances conduit bien souvent en l'état actuel de la réglementation à les écarter. Dès lors qu'entreront en ligne de compte les charges d'indemnisation, l'équilibre sera mieux établi entre les intérêts divergents des constructeurs d'ouvrages publics et des riverains de ces réalisations.

Le dispositif proposé règle les situations à naître soit de la construction soit des extensions d'ouvrages publics en ouvrant aux propriétaires, tenus le cas échéant de réaliser les travaux au profit de leurs locataires, un droit à indemnisation financé par une redevance assise sur les recettes des gestionnaires d'ouvrages publics.

Il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Les dépréciations ou les troubles de jouissance causés par l'implantation d'un ouvrage public à ses riverains ne peuvent être assimilés à des dommages de travaux publics. A ce titre, ils ne relèvent pas de la compétence du juge administratif.

Article 2

Il est institué un système d'indemnisation pour les troubles subis du fait de l'implantation d'un ouvrage public nouveau.

Un ouvrage existant, faisant l'objet d'une extension, est considéré, pour l'application de la présente loi, comme nouveau.

Un décret, pris sur avis des associations de défense de l'environnement, représentatives au niveau national, déterminera par type d'ouvrage public les critères définissant l'extension.

Article 3

I. - Toute personne morale ou physique, propriétaire d'un bien qui subit les troubles visés à l'article 2, peut prétendre au versement d'une indemnité, dont le montant sera, à son choix, fonction soit de la dépréciation du bien, soit de la nature et de l'importance des nuisances.

II. - Lorsque les travaux nécessaires à la réalisation de l'ouvrage entraînent des troubles de caractère anormal, le propriétaire peut prétendre à une indemnisation spécifique pour trouble de jouissance.

III. - Les indemnités ne sont pas dues dès lors que, depuis la déclaration d'utilité publique de l'ouvrage nouveau, une mutation à titre onéreux est intervenue; elles ne peuvent compenser des dépréciations d'une construction ou d'une extension ayant fait l'objet d'un permis de construire postérieurement à cette déclaration d'utilité publique, ni couvrir les troubles de jouissance subis par les occupants de cette construction ou extension.

IV. - Lorsque le bien ayant ouvert droit à l'indemnisation est donné en location, le propriétaire est tenu de procéder ou de faire procéder aux travaux permettant de réduire les nuisances, sans que, toutefois, le coût des travaux excède le montant de l'indemnisation reçue.

Article 4

Il est créé une commission départementale chargée d'instruire les demandes et de fixer le montant des indemnités. Elle est composée du préfet ou de son représentant, d'un délégué des associations de défense de l'environnement localement concernées et d'un membre du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est situé le bien. Le maire de la commune où est implantée le bien, ou son représentant, participe aux travaux de la commission avec voix délibérative.

Le membre du tribunal de grande instance remplit le rôle de président; il a voix prépondérante en cas de partage. Le requérant est entendu et peut être assisté d'un avocat ou d'un conseil de son choix.

Article 5

La commission peut être saisie par les personnes visées à l'article 3 dès le début des travaux dans le cas visé au II de cet article, dans le délai de trois ans suivant la mise en service de l'ouvrage ou de son extension dans le cas visé au I de cet article.

Elle peut se faire assister d'experts désignés d'un commun accord entre les parties.

La commission dispose de deux mois pour rendre sa décision. Elle prend en compte pour la fixation de l'indemnisation, d'une part, les indemnités déjà accordées soit au titre des troubles liés aux travaux soit lors de la mise en service de l'ouvrage ou d'extensions antérieurement réalisées et, d'autre part, les plus-values résultant pour le requérant de la réalisation de l'ouvrage.

Dans le mois suivant la décision, un procès-verbal d'accord ou de désaccord est dressé. Signé par le demandeur, le procès-verbal d'accord est insusceptible de recours et clôt le dossier.

L'indemnité est versée dans les trois mois suivant le procès-verbal d'accord. Passé ce délai, le montant de l'indemnité est majoré d'un intérêt moratoire.

En cas de désaccord, un recours contentieux peut être intenté par le requérant, dans un délai de trois mois à compter de la décision de la commission, devant le tribunal de grande instance du lieu où est situé le bien.

Article 6

Le tribunal de grande instance statue sur le fondement du présent texte, et notamment ses articles 2 et 3.

Si, dans un délai d'un an à compter de la décision définitive, l'indemnité n'a été ni payée ni consignée, le requérant peut demander qu'il soit à nouveau statué sur son montant.

Les décisions rendues en première instance ne sont pas susceptibles d'opposition.

Appel peut être interjeté devant la cour d'appel, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement rendu en application des dispositions précédentes.

La chambre statuant en appel comprend, outre son président, deux assesseurs qui seront choisis par le président de la chambre.

En aucun cas les juges ne pourront avoir connu de l'affaire en première instance.

Le président de la chambre doit demander au représentant du service des domaines tous renseignements propres à l'éclairer.

La chambre doit rendre sa décision par un arrêt motivé.

L'arrêt est notifié par extrait à la requête de la partie la plus diligente. Il pourra être déféré à la Cour de cassation. Les pourvois seront formés, instruits et jugés suivant la procédure prévue à la section 2 du titre II de la loi n° 47-1366 du 23 juillet 1947.

Article 7

Un fonds spécial d'indemnisation des citoyens est créé. Ses ressources proviennent d'un prélèvement, à due concurrence des dépendes d'indemnisation, sur les recettes, de quelque nature qu'elles soient, perçues par les gestionnaires des ouvrages publics entrant dans le champ d'application de la présente loi.

Un décret fixe les conditions d'application du présent article.

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N° 0178 - Proposition de loi sur l'indemnisation des citoyens pour les troubles qu'ils subissent du fait de l'implantation d'un ouvrage public nouveau (M. Alain Moyne-Bressand)


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