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N° 243
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 octobre 2002.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
sur l'approche de l'Union européenne en vue du « cycle du développement » à l'Organisation mondiale du commerce (COM [1999] 331 final/n° E 1285).

(Renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
En application de l'article 151-1 du Règlement,
par M. Jean-Claude LEFORT,
Député.

Organisations internationales.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a entamé un processus de négociations visant à libéraliser le commerce des services qui pourrait mettre en péril l'existence des services publics chez tous les membres de cette organisation.
Depuis le 1er janvier 2000, des négociations visant à « élever progressivement le niveau de libéralisation » des services ont été engagées à l'OMC, conformément à l'article XIX de l'Accord général sur le commerce des services de 1994 (AGCS).
Cet article stipule également que ces «négociations viseront à réduire ou à éliminer les effets défavorables de certaines mesures sur les marchés».
Par ailleurs, le paragraphe 15 de la déclaration ministérielle adoptée le 14 novembre 2001 à Doha (Qatar), qui fixe l'ordre du jour du nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, prévoit que les membres de l'OMC présenteront les demandes initiales d'engagements spécifiques pour les services (les demandes adressées aux autres membres de l'OMC pour que ceux-ci fassent des offres de libéralisation d'un secteur) d'ici au 30 juin 2002 et les offres initiales (les réponses à ces demandes) d'ici au 31 mars 2003.
Ce paragraphe indique, en outre, que les lignes directrices arrêtées le 28 mars 2001 par le conseil général de l'OMC constituent la base sur laquelle il convient de poursuivre les négociations visant à libéraliser les services.
Or, ce texte établit le principe selon lequel aucun secteur ne sera exclu a priori des négociations.
Ce cadre de négociations, en ne prévoyant aucune exception en faveur des services publics, fait planer, de toute évidence, la menace de la libéralisation sur ces services, y compris pour les plus importants d'entre eux, comme la santé ou l'éducation.
De plus, une fois les négociations terminées et l'accord de libéralisation signé, les collectivités publiques seront, en vertu des obligations contenues dans l'AGCS, dessaisies de leur pouvoir de réglementation des services publics. L'article VI de cet accord précise en effet que «dans les secteurs où des engagements spécifiques seront contractés, chaque membre fera en sorte que toutes les mesures d'application générale qui affectent le commerce soient administrées d'une manière raisonnable, objective et impartiale». Comme il convient d'entendre par « mesure » toute mesure «prise par un membre, que ce soit sous forme de loi, de réglementation, de règle, de procédure, de décision, de décision administrative, ou sous toute autre forme» (art. XXVIII de l'accord), toute la législation nationale, et avec elle toute la réglementation prise à tous les niveaux, depuis l'Etat jusqu'aux communes, sera subordonnée aux objectifs de libéralisation négociés à l'OMC.
Cette absence de reconnaissance de la notion de service public par l'OMC est donc dangereuse. Elle résulte directement de l'article 1er de l'AGCS, qui définit le champ d'application de cet accord : celui-ci comprend « tous les services de tous les secteurs, à l'exception des services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental », ces derniers étant définis comme « tout service qui n'est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec plusieurs fournisseurs de services ».
La notion de «services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental», qui ne vise, en fin de compte, que les forces armées ou la justice, ne garantit en rien l'exclusion des services publics du champ des négociations : celle-ci ne peut, en effet, être fondée que sur la reconnaissance par l'OMC des caractères distinctifs du service public.
Sur ce dernier point, l'Assemblée nationale a adopté le 5décembre 2001 une résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et des services de communications électroniques (Texte adopté n° 735), qui « juge nécessaire que, dans le cadre des négociations à l'OMC, l'Union européenne s'attache à promouvoir l'existence des services d'intérêt général » et « obtienne que ces services fassent l'objet d'un accord particulier et qu'en tout état de cause les services non marchands, notamment la santé, l'éducation ou la sécurité publique, soient exclus du champ de l'accord général sur le commerce des services ». Cette résolution définit ainsi les services d'intérêt général : « Tout service assuré, sous le contrôle d'une personne publique, par une personne publique, par une personne morale de droit public ou privé, dans le respect des principes d'égalité, de continuité et de mutabilité, afin d'assurer à tous les citoyens la jouissance des droits sociaux et économiques fondamentaux, tout en contribuant au renforcement de la cohésion sociale et territoriale de l'Union européenne ».
Il convient d'agir rapidement dans ce sens. La défense des services publics à l'OMC est d'autant plus urgente que leur protection au sein de cette organisation ne repose, à l'heure actuelle, que sur la méthode de négociations retenue par l'AGCS, dite des «listes positives», qui permet à tout membre de l'OMC de décider librement ce qu'il propose de libéraliser à ses partenaires. C'est grâce à cette méthode que l'Union européenne, par exemple, n'a pas « offert » de libéraliser les secteurs de la santé, de l'éducation et de la culture à l'OMC.
Mais cette garantie procédurale est largement insuffisante face aux très fortes pressions qui s'exercent - notamment de la part des Etats-Unis - sur les membres de l'OMC, afin que ceux-ci proposent de libéraliser un maximum de services, publics ou non.
L'Union européenne participe aussi à cette offensive, qui vise de nombreux pays en développement : elle a ainsi présenté le 1er juillet 2002 des demandes d'engagements à 109 autres membres de l'OMC, qui concernent 13 secteurs, dont les services de télécommunications, les services postaux, les transports, l'énergie et les services environnementaux.
Ces pressions sont inacceptables : en contraignant les pays en développement membres de l'OMC à libéraliser leurs services, les pays développés obligent ces derniers à déréglementer, voire à privatiser, des services publics qui jouent pourtant un rôle essentiel dans leurs politiques de croissance économique et de réduction des inégalités.
De plus, ces pressions émanent du commissaire en charge du commerce extérieur, M. Pascal Lamy, qui agit en dehors de tout mandat public de négociations sur les services donné par le Conseil de l'Union européenne. Ainsi, le commissaire peut déposer, en toute liberté, des propositions de libéralisation ayant une portée dangereuse pour les services publics, sans être soumis au contrôle politique des instances de l'Union européenne et sans que les représentants du peuple - au niveau national - en soient informés.
L'Union européenne doit mettre fin à une politique qui met en danger la cohésion des sociétés du Sud et contredit les objectifs de la politique de développement exemplaire qu'elle mène par ailleurs.
L'actuelle stratégie de négociations de l'Europe va de plus à l'encontre de la démarche engagée par les Quinze sous la présidence française de l'Union européenne qui vise à promouvoir la reconnaissance du rôle primordial des services publics dans la construction européenne au travers de la déclaration du Conseil européen de Nice sur les services d'intérêt général.
C'est pourquoi l'Union européenne doit demander un moratoire sur les négociations visant à libéraliser le commerce des services à l'OMC, afin de s'assurer qu'aucun service public essentiel ne soit directement ou indirectement remis en cause par les demandes initiales d'engagements présentées par les membres de l'Organisation et d'obtenir de ses partenaires la négociation d'un accord excluant les services publics du champ de l'AGCS.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

L'Assemblée nationale,
- Vu l'article 88-4 de la Constitution,
- Vu la communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen du 8 juillet 1999 relative à l'approche de l'Union européenne en vue du cycle du millénaire de l'Organisation mondiale du commerce (COM [1999] 331 final/n° E 1285),
- Vu l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), auquel sont annexés les différends accords concluant les négociations commerciales du cycle d'Uruguay, notamment l'Accord général sur le commerce de services (AGCS), signé le 15 avril 1994, dont la ratification a été autorisée par la loi n° 94-1137 du 27 décembre 1994 et entré en vigueur le 1er janvier 1995,
- Vu la déclaration ministérielle de l'OMC adoptée par la conférence ministérielle de Doha le 14 novembre 2001,
Considérant que le cadre actuel des négociations multilatérales visant à libéraliser le commerce des services ignore la notion de service public alors même que celui-ci joue un rôle essentiel dans la satisfaction des droits sociaux et économiques fondamentaux des citoyens des pays développés et en développement ;
Considérant que les demandes de libéralisation présentées par les Etats-Unis et l'Union européenne le 1er juillet 2002 portant respectivement sur 12 et 13 secteurs, dont ceux de La Poste, de l'énergie et des services environnementaux, comme la distribution de l'eau, visent directement des services publics essentiels ;
Considérant qu'il est, dans ces conditions, urgent de mettre un terme aux tentatives menées au sein de l'OMC pour démanteler ou privatiser les services publics ;
1. Demande à l'Union européenne d'exiger un moratoire sur le déroulement des négociations de l'OMC visant à libéraliser le commerce des services, afin de s'assurer, d'une part, qu'aucune demande d'engagement spécifique formulée à l'égard d'un membre de l'OMC n'est susceptible de remettre en cause de façon directe ou indirecte l'existence de ces services publics et d'obtenir, d'autre part, un accord de principe sur l'exclusion des services non marchands du champ d'application de l'Accord général sur le commerce des services ;
2. Exige que, dans ce but, le Conseil des ministres de l'Union européenne donne à la Commission européenne un mandat, discuté par les parlements nationaux, sur les négociations visant à libéraliser le commerce des services à l'OMC axé sur la défense des services publics, et lui prescrivant de rendre compte de l'évolution de ces négociations devant le Parlement européen et le Conseil, à charge pour le Gouvernement d'en informer l'Assemblée nationale.
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Proposition de résolution de M  LEFORT sur l'approche de l'Union européenne en vue du « cycle du développement » à l'Organisation mondiale du commerce, n°243.


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