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N° 356
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 novembre 2002.
PROPOSITION DE LOI
établissant le statut du réfractaire
des
Alsaciens et Mosellans.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par MM. Alain MARTY et Céleste LETT,
Députés.

Anciens combattants et victimes de guerre.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Les Alsaciens et Mosellans qui se sont soustraits à l'incorporation forcée dans une formation militaire ou paramilitaire ou qui, ayant été enrôlés, ont déserté relèvent du statut de « Réfractaire », en raison de la loi n° 50-1027 du 22 août 1950 (JO du 24 août 1950, pp. 9046, 9047) et de la loi n° 57-134 du 8 février 1957 (JO du 9 février 1957, pp. 1604, 1605, rectificatif 28 mars 1957, p. 3225).
Ce statut est commun avec les réfractaires des STO. La médaille du réfractaire qui s'y rattache est nettement caractéristique du refus au STO.
Or, la situation en Alsace et Moselle, en pays annexés, a été foncièrement différente de celle des pays occupés; le réfractaire au STO n'est pas identique au réfractaire, insoumis, ou déserteur à l'armée allemande, ni celle des familles ayant favorisé et aidé leurs fils insoumis ou déserteurs.
La loi n° 54-751 du 19 juillet 1957 (JO du 20 juillet 1954, p. 6846) et son décret pour application n° 55-529 du 10 mai 1955 (JO du 13 mai 1955, pp. 4790, 4791) ont étendu aux réfractaires, déserteurs de l'armée allemande et à leurs familles le bénéfice du statut de déporté ou d'interné de la Résistance, s'ils ont été incarcérés dans les camps de concentration ou les prisons reconnus par arrêté du ministre des Anciens Combattants et victimes de la guerre.
La présente proposition de loi a pour objet de régulariser la situation des réfractaires en général, et en particulier celle des réfractaires internés par les autorités américaines et celles des réfractaires incarcérés par les autorités russes.
Il ne faut pas oublier que, de 1940 à 1945, l'autorité allemande a créé intentionnellement dans les départements de l'Est - Moselle, Haut-Rhin, Bas-Rhin - une situation de fait complètement différente de celle des autres départements français occupés.
Pour résoudre d'une façon juste et équitable le problème des déportations et des internements dans ces départements, il faut prendre pour base ces différences de situations voulues par l'Allemagne.
Si l'on tient compte de la situation très particulière créée à la suite de l'annexion, il semble que l'acte de résistance ne puisse recevoir la même définition en Moselle et Alsace qu'à l'intérieur de la France occupée. Il est d'une autre nature, son caractère spécifique ne peut être dégagé qu'à la lumière de la situation existante dans les pays annexés. L'annexion commande des réactions patriotiques différentes de celles que nous avons connues contre l'occupant dans les autres départements français.
Très rapidement, l'annexion de la Moselle et de l'Alsace s'est faite par l'importation des lois allemandes, l'acquisition de facto de la nationalité allemande et l'implantation d'office de l'administration allemande.
D'un côté, c'est la France occupée, ou seule la Wehrmacht a toute puissance; de l'autre côté, les trois départements bien séparés pour briser leurs forces, la Moselle avec la Sarre, et l'Alsace avec le pays de Bade. Ces trois départements ne sont plus territoires ennemis ; ils sont territoires du Reich. Ses habitants ne sont plus des Français ; ils sont des citoyens à qui l'on a octroyé le titre d'Allemand. L'administration militaire est remplacée par l'administration civile. Plus de législation française, plus de code français, plus de jurisprudence française.
De telles conditions sociales et politiques empêchaient la constitution d'un réseau clandestin et rendaient impossible l'acte de résistance qui nécessitait au moins une complicité tacite. Les actes individuels de sabotage équivalaient généralement au suicide.
Il est permis d'affirmer que la désertion et l'insoumission constituent l'acte type de résistance à l'ennemi dans les pays annexés. Néanmoins, cet acte de résistance peut être rattaché aux termes généraux de la loi du 6 août 1948 et au décret d'application du 25 mars 1949.
Le déserteur et l'insoumis savaient suffisamment l'importance de leur refus dont les conséquences s'appliquaient à leur propre personne et à celles de leur famille et ils ne s'engageaient sur cette voie qu'avec la volonté farouche de s'opposer à l'Allemagne, de lutter contre elle.
Devant ces faits, il est donc juste et équitable de qualifier d'acte de résistance et refus de servir l'insoumission ou la désertion de l'armée allemande, ainsi que les familles ayant favorisé les réfractaires bénéficient de la qualité de résistant.
Il est certain que les déserteurs, les réfractaires et leurs familles partageaient, en refusant de servir, la même volonté de résistance à l'Allemagne. La responsabilité familiale inscrite dans la loi devenait un fait social et la reconnaissance de l'acte de résistance dans le cadre de l'article 2, paragraphe 5, du décret du 25 mars 1949 aux déserteurs ou réfractaires semble pouvoir être légalement et en équité étendue à leurs familles dans les hypothèses prévues par les textes.
En résumé, il est prouvé qu'en se soustrayant au service dans la Wehrmarcht et à l'attribution de la nationalité allemande, en s'opposant ainsi à l'annexion de l'Alsace et de la Moselle, ces jeunes ont été traités et poursuivis par les Allemands comme criminels, passibles de la peine de mort, et ont mis gravement en danger leurs familles, menacées des pires sanctions comme la fusillade d'un membre, la déportation des autres et la confiscation de leurs biens.
Aucune indemnité n'a jusqu'à présent été accordée du fait de leur résistance aux réfractaires alsaciens et mosellans qui, tout en ayant été des opposants au régime nazi en Allemagne même, sont des résistants français.
Cette mise à jour est bien tardive compte tenu des personnes concernées, toutes particulièrement âgées. Il est aujourd'hui légitime de leur rendre justice.
C'est pourquoi nous vous invitons donc à adopter la présente loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Dans le chapitre IV du titre II du livre III du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et d'actes de terrorisme, il est inséré, avant l'article L. 296, un article L. 295-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 295-3. - La République française, reconnaissante à ceux qui acceptèrent tous les risques pour lutter contre le potentiel de guerre de l'ennemi, considérant les souffrances et le préjudice que cette attitude courageuse et patriotique leur a occasionnés, à eux et à leurs familles, proclame et détermine le droit à réparation des réfractaires et de ceux qui les ont aidés. »

Article 2

Le 5° de l'article L. 296 du même code est remplacé par les dispositions suivantes :
« Sont également considérées comme réfractaires les personnes suivantes domiciliées dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, annexés de fait :
« 1° les évadés insoumis qui sont ceux qui ont :
« a) soit abandonné leur foyer, alors que, faisant partie des classes mobilisables par les autorités allemandes dans les formations militaires ou paramilitaires allemandes, couraient le risque d'y être incorporées, et se sont soustraits préventivement à leur incorporation ;
« b) soit abandonné leur foyer, pour ne pas répondre à un ordre de mobilisation dans ces formations, ou n'ont pas obtempéré à l'ordre d'appel ;
« 2° les évadés réfractaires qui sont ceux qui, après avoir été incorporés dans les formations militaires ou paramilitaires, se sont évadés de la formation dans laquelle ils ont été incorporés de force ou ont déserté de la formation au cours d'une permission .»

Article 3

L'article L. 172 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 6° Toute personne réfractaire visée au 5° de l'article L. 296, ainsi que les membres de leur famille et autres personnes qui leur ont apporté leur aide pendant leur période d'insoumission. »

Article 4

L'article L. 303 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La période durant laquelle le réfractaire visé en l'article L. 296 5° du code aura dû vivre en insoumission aux ordres de l'autorité ennemie et celle où il a été interné en camp de prisonnier allié sont considérées comme service militaire actif dans l'armée française. »

Article 5

Le 2° de l'article L. 298 du même code est ainsi rédigé :
« 2° A une durée de réfractariat de trois mois pour les réfractaires visés par l'article L. 296 5° ci-dessus. Cette période d'insoumission commence le premier jour de la tentative d'évasion, en fait le premier jour de permission, et se termine pour celui qui n'a pas été interné le jour de la libération de son département : le 10 février 1945 pour le Haut-Rhin, le 15 avril 1945 pour la Moselle et le 15 mai 1945 pour le Bas-Rhin. Cette période se termine pour les internés par les autorités alliées le jour de leur libération et rapatriement. »

Article 6

Après l'article L. 301 du même code, il est inséré un article L. 301 A ainsi rédigé :
« Art. L. 301 A. - Les réfractaires visés au 5° de l'article L. 296 et satisfaisant aux conditions de l'article L. 298 2° et leurs ayants cause bénéficient des pensions d'invalidité et de décès prévues pour les membres de la Résistance au titre II du livre II. »

Article 7

Après l'article L. 253 ter du même code, il est inséré un article L. 253 ter A ainsi rédigé :
« Art. L. 253 ter A. - Toute personne réfractaire visée au 5° de l'article L. 296 a droit au titre de la reconnaissance de la Nation, à la carte et la retraite du combattant du code des pensions militaires d'invalidité et victimes de guerre. Ce droit est subordonné à la condition que la période allant depuis la date de la désertion, ou depuis la date de l'insoumission jusqu'à la libération du département de leur lieu de refuge ou de leur libération du camp de prisonnier allié, en cas d'internement, soit supérieure à trois mois. »

Article 8

Après l'article 253 quater du même code, il est inséré un article L. 253 quater A ainsi rédigé :
« Art. L. 253 quater A. - Les membres de leurs familles et autres personnes qui ont apporté leur aide aux réfractaires visés au 5° de l'article L. 296 pendant leur période d'insoumission, de même que ceux qui leur ont permis l'évasion, les passeurs, ont droit au titre de reconnaissance de la Nation ainsi qu'à la médaille correspondante avec agrafe 1939-1945. »

Article 9

Après l'article L. 273 du même code, il est inséré deux articles L. 273 A et L. 273 B ainsi rédigés :
« Art. L. 273 A. - Le titre d'interné résistant est également attribué aux réfractaires visés au 5° de l'article L. 296 qui ont été incarcérés et internés par les autorités américaines dans des camps de prisonniers de guerre pendant plus de trois mois, ainsi qu'à ceux qui ont déserté vers les Russes et ont été incarcérés en tous lieux de détention situés dans l'espace soviétique ou territoires occupés par les Soviétiques.
« Art. L. 273 B. - Relevant du 2° de l'article 172 et s'être évadé d'une formation de l'armée allemande suivant l'arrêté du 4 mars 1958, le réfractaire visé au 5° de l'article L. 296 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre qui a souscrit avant son incarcération par les autorités américaines un engagement volontaire dans l'armée française ou qui l'a souscrit pendant son incarcération, ou qui l'a manifesté matériellement aux autorités l'ayant incarcéré, ou qui a été libéré et a souscrit un engagement dans l'armée française avant la libération du pays, a droit au titre d'évadé institué par l'arrêté du 10 juillet 1985 et à la médaille d'évadé instituée par le décret n° 56-282 du 7 février 1958. »

Article 10

L'article L. 179 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les infirmités des réfractaires visés au 5° de l'article L. 296 résultant de maladie ou d'aggravation, les intéressés bénéficient de la présomption d'origine sans condition de délai. »

Article 11

L'article L. 177 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mêmes droits sont ouverts aux personnes visées au 6° de l'article 172 pour les maladies contractées ou aggravées pendant leur insoumission ou incarcération. »

Article 12

Après le troisième alinéa de l'article L. 51 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 3° Soit veuves d'un réfractaire visé au 5° de l'article L. 296. »

Article 13

Après l'article L. 304 du même code, il est inséré deux articles L. 304 A et L. 304 B ainsi rédigés :
« Art. L. 304 A. - Il est créé un titre et une carte qui sont attribués aux réfractaires visés au 5° de l'article L. 296, et remplissant les conditions fixées à l'article L. 298-2 :
« a) d'évadé insoumis à l'incorporation de force,
« b) d'évadé réfractaire à l'incorporation de force,
avec mention des dates de désertion et de libération.
« Le titre et la carte seront délivrés à la demande de chaque détenteur de la carte de réfractaire délivrée en application de l'article L. 304.
« Art. L. 304 B. - Un nouvel insigne commun aux deux catégories de réfractaires à l'incorporation de force, dont seuls les rubans différeront, est créé. L'avers de l'insigne comportera le V de la victoire et la croix de Lorraine, le revers la carte de la France avec la délimitation de l'Alsace et la Moselle et un texte : Pro patria. Le ruban pour la médaille des évadés insoumis sera bleu, blanc, rouge, avec liseré or, celui des évadés réfractaires bleu, blanc et rouge. »

Article 14

L'article L. 232 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les incorporés de force faits prisonniers par les troupes soviétiques en tous lieux de détention situés dans l'espace soviétique ou territoires occupés par les Soviétiques bénéficient des mêmes droits. Ceux qui se sont évadés vers les troupes russes ont droit au statut des internés de la Résistance. »

Article 15

Les charges et les pertes de recettes susceptibles de résulter pour l'Etat des dispositions précédentes sont compensées, à due concurrence, par une majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Article 16

Un décret, pris sur proposition du ministre des Finances, du ministre de la Défense, du secrétaire d'Etat à la Défense chargé des Anciens Combattants et victimes de la guerre, fixera les modalités d'application de la présente loi, dans un délai de deux mois à compter de sa promulgation.
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N° 0356 - Proposition de loi  établissant le statut du réfractaire des Alsaciens et Mosellans (M. Alain Marty)


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