Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 406
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 novembre 2002.
PROPOSITION DE LOI

modifiant le code pénal en vue de la mise en place d'une limite d'âge en matière d'emprisonnement
dans les
procédures correctionnelles.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par M. Thierry MARIANI,

Additions de signatures :
MM. Patrick Beaudouin, Charles Cova, Léonce Deprez, Claude Gatignol, Guy Geoffroy, Bruno Gilles, Jean- Jacques Guillet, François Grosdidier, Gérard Hamel, Patrick Herr, Michel Herbillon, Jean-Yves Hugon, Édouard Jacque, Christian Jeanjean, Dominique Juillot, Édouard Landrain, Mme Gabrielle Louis- Carabin, MM. Lionnel Luca, Richard Mallié, Philippe-Armand Martin, Patrice Martin-Lalande, Jacques Masdeu-Arus, Christian Ménard, Daniel Prevost, Jacques Remiller, Daniel Spagnou, Guy Teissier, Christian Vanneste, Jean-Sébastien Vialatte, Gérard Vignoble, Philippe Vitel et Michel Voisin

Députés.

Droit pénal.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
A l'heure actuelle, nos prisons sont pleines.
Il y avait au 1er septembre 2002, dans les prisons françaises, 1683 détenus âgés de plus de 60 ans, dont 411 avaient plus de 70 ans, le doyen étant âgé de 92 ans. (Réponse à la question écrite n° 2491 parue au Journal officiel du 4 novembre 2002.)
La construction de nouveaux centre de détention et de maisons d'arrêt décidée par le nouveau gouvernement permettra de pallier ces carences, mais seulement d'ici à plusieurs années. Or, en la matière, il est urgent d'agir. C'est pourquoi cette proposition de loi vous propose de libérer des places de prison et de faire aussi et par la même occasion un acte humanitaire.
Il ne s'agit pas ici de libérer des détenus dangereux ou des personnes reconnues coupables de complicité de crimes contre l'humanité. Il s'agit de ne plus envoyer en détention les personnes âgées de plus de 73 ans au jour de leur condamnation ayant commis des délits mais n'ayant pas provoqué de graves atteintes à l'ordre public et, de plus, n'étant pas en état de récidive.
Les personnes de plus de 73 ans dont il est question ici ne représentent pas un danger pour la société. En effet, les conditions de cette proposition de loi sont strictes et je tiens à attirer votre attention sur trois points :
1° Cette modification législative est applicable à la seule matière correctionnelle. Les personnes âgées reconnues coupables de crime ne pourront pas en bénéficier. Ainsi, les personnes reconnues coupables de crimes contre l'humanité, pédophilie, etc., crimes pour lesquels la condamnation intervient, trop souvent, plusieurs années après les faits, ne bénéficieront pas de notre clémence.
2° Les délits qui ont entraîné ou entraînent de graves atteintes à l'ordre public sont exclus du champ d'application de cette proposition de loi. En effet, ne pourront pas bénéficier de cette dispense légale de peine les personnes reconnues coupables de violences, d'agressions ou d'atteintes sexuelles, trafic de stupéfiants, terrorisme, association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour une infraction commise en bande organisée.
3° Enfin, les personnes en état de récidive ne pourront pas bénéficier de cette mesure. L'ajout de cette condition permet d'éviter que les délinquants récidivistes profitent d'une disposition qui ne leur est pas destinée. En effet, il s'agit ici de libérer des places de prison en évitant la détention aux personnes condamnées à 73 ans pour la première fois ou à tout le moins jamais condamnées pour des faits graves, puisqu'ils ne sont pas en état de récidive.
De plus, si cette proposition vise à dispenser les personnes âgées d'exécuter une peine de prison, elle n'est pas une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale. En effet, on ne parle ici que de modalité d'exécution de la peine. Les personnes âgées sont des citoyens à part entière et doivent répondre de leurs actes. Les coupables devront en tous les cas s'acquitter des amendes et subir les autres peines complémentaires prononcées par la juridiction de jugement. De plus, les parties civiles devront être valablement indemnisées.
Enfin, en plus du nombre insuffisant de places dans nos prisons, il convient de rappeler que l'emprisonnement est, dans le cas des personnes âgées, une sanction particulièrement inadaptée tant au niveau de la vie quotidienne qu'au niveau des rôles que l'on attribue à la prison. L'administration pénitentiaire elle-même a rappelé ces deux points dans le numéro 10 daté de novembre 2001 des «Cahiers de la démographie pénitentiaire».
Quant à la capacité de l'administration pénitentiaire d'accueillir des personnes âgées, nos prisons ne sont pas, à l'heure actuelle, capables de les accueillir dans la dignité. S'il nous faut punir les coupables, nous ne devons pas franchir la limite de l'intolérable. Il ne s'agit pas de revenir sur la situation des personnes déclarées en fin de vie par deux expertises médicales distinctes qui doivent toutes, à l'instar d'un complice de crimes contre l'humanité, bénéficier d'une suspension de peine. Ce dont il s'agit ici, ce sont les pathologies qui n'engagent pas le pronostic vital ou des personnes âgées dont l'état de santé n'est pas durablement incompatible avec le maintien en détention.
L'âge n'est pas une maladie mais l'âge de 73 ans entraîne des conséquences sur la vie quotidienne. Or, le processus de vieillissement étant lié au mode de vie, force est de constater que le système pénitentiaire se préoccupe peu des questions de régime alimentaire et d'hygiène de vie en détention. En l'absence de prévention médicale suffisante, les personnes âgées détenues sont alors susceptibles de développer des pathologies lourdes risquant de mettre en jeu leur pronostic vital à court ou moyen terme. Pour être clair, l'emprisonnement des personnes âgées ne consiste pas seulement à les priver de liberté pendant un certain laps de temps mais entraîne aussi une réduction de leur espérance de vie, ce qui n'est pas acceptable.
Enfin, la plupart des établissements pénitentiaires sont conçus pour accueillir des détenus jeunes et actifs. Les détenus âgés peuvent être dans l'incapacité de monter des escaliers, de marcher, de parcourir des longues distances. Tout cela contribue au fait qu'un détenu âgé se renferme sur lui-même et se retrouve isolé, isolation qui nuit à sa réinsertion.
Et à propos de réinsertion, qui est - rappelons-le - un des objectifs de la prison, force est de constater que l'administration pénitentiaire n'est pas prévue pour les personnes âgées. Les détenus âgés ne peuvent pas trouver leur place parmi une population pénitentiaire majoritairement jeune et dans un environnement général axé sur le sport, l'action éducative et la formation professionnelle. En effet, les personnes de plus de 73 ans n'ont pas vocation à travailler à leur sortie de prison; elles ont largement dépassé l'âge de la retraite! La formation professionnelle, l'action éducative ne peuvent pas leur être destinées. Quant aux sports, ceux en général pratiqués dans les prisons (football ou sports de combat) ne leur sont pas forcément conseillés, vu leurs âges.
Enfin, comment reconstruire une vie familiale à plus de 73 ans lorsque la prison l'a détruite et que la vie n'aura pas le temps d'effacer cette marque infamante dans l'entourage.
Cette proposition de loi constitue donc une mesure humanitaire que chacun comprendra. D'autre part, le deuxième alinéa de l'article unique de cette proposition de loi vise à mettre en conformité le code de procédure pénale et interdit au juge de décerner mandat d'arrêt ou de dépôt à l'audience.
De plus, en application du chapitre II du titre Ier du livre Ier du code pénal relatif à l'application de la loi pénale dans le temps, il est évident que l'adoption de cette proposition de loi entraînera la libération automatique, le jour de leur 73 ans, des personnes condamnées à des peines d'emprisonnement ferme dans les mêmes conditions que celles de la présente proposition de loi, c'est-à-dire les personnes qui ont commis des délits peu graves et n'étant pas en état de récidive.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

Après l'article 131-3 du code pénal, il est inséré un article 131-3-1 ainsi rédigé :
«Art. 131-3-1. - En matière correctionnelle, toute personne condamnée à une peine d'emprisonnement ferme, âgée de 73 ans révolus au moment du jugement, sera dispensée d'exécuter ladite peine, à condition de ne pas se trouver en état de récidive légale ou d'avoir été reconnu coupable de violences, agressions ou atteintes sexuelles, trafic de stupéfiants, terrorisme, association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour une infraction commise en bande organisée.
«Les mesures prévues aux articles 464-1 et 465 du code de procédure pénale ne pourront s'appliquer à la personne concernée par l'alinéa précédent.»

n° 0406 - Proposition de loi  modifiant le code pénal en vue de la mise en place d'une limite d'âge en matière d'emprisonnement dans les procédures correctionnelles ( M. Thierry Mariani)


© Assemblée nationale