Version PDF
Retour vers le dossier législatif

No 479
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 décembre 2002.
PROPOSITION DE LOI

tendant à modifier les articles 24 bis et 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, modifiée par la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990, de façon à interdire la contestation de la réalité de tous génocides et crimes contre l'humanité.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par M. François ROCHEBLOINE,

Addition de signature :
M. Jean-Claude Lefort
 

Députés.

Droits de l'homme et libertés publiques.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 est issu de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990, adoptée à la suite de la proposition de loi de M. Gayssot.
Il dispose :
«Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis, soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
«Le tribunal pourra en outre ordonner :
«1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal;».
L'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 a pour but d'interdire et de réprimer toute diffusion de la contestation des crimes contre l'humanité tels qu'ils ont été définis par l'accord de Londres du 8 août 1945.
Il s'agit en particulier de sanctionner la propagande révisionniste ou plutôt négationniste qui nie l'existence d'un génocide juif et remet en cause des crimes contre l'humanité en contestant la déportation et l'extermination.
L'intention du législateur a été, à juste raison, de prendre en considération la douleur des témoins encore meurtris de périodes tragiques de l'Histoire. Il s'agit, en particulier, de ne pas permettre à des associations ne présentant aucun caractère scientifique d'ouvrir des polémiques scandaleuses. Quant aux travaux historiques, ils doivent conserver le recul et l'absence d'agressivité qui sont les marques du doute scientifique dont l'exigence est indispensable lorsqu'on touche à des problèmes d'horreur récents.
Il ne s'agit pas d'attribuer aux tribunaux la définition de la vérité historique mais d'empêcher la diffusion de la propagande négationniste qui se dissimule sous des considérations faussement scientifiques.
En application d'une jurisprudence ancienne et constante, il appartient à la justice de vérifier que la déontologie de l'historien est respectée. La liberté ne saurait exclure la responsabilité.
· Depuis la création de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 par la loi du 13 juillet 1990, le législateur a adopté le livre II du nouveau code pénal, en particulier par les lois du 16 décembre 1992 et 19 juillet 1993.
· Depuis le 1er mars 1994, les dispositions définissant les crimes contre l'humanité sont entrées en vigueur.
Le nouveau code pénal dans son article 211-1 définit le génocide et dans ses articles 212-1 et 212-2 les autres crimes, crimes contre l'humanité.
La référence de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 à l'accord de Londres est donc devenue inutile, anachronique et dangereusement limitative.
Si la référence à une disposition internationale était nécessaire quand les définitions des crimes contre l'humanité ne ressortaient pas clairement du droit interne français, il devient inacceptable de ne pas appliquer le droit national avant le droit international lorsque la carence a été comblée.
Le nouveau code pénal établit la permanence de la notion de crime contre l'humanité, l'accord de Londres ne légifère que dans la contingence d'événements achevés.
· Ce que le législateur de 1990 a voulu interdire, c'est la contestation de tous les crimes contre l'humanité. Son intention est à caractère préventif afin de ne pas banaliser les pires horreurs.
Mais, la référence de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 à l'accord de Londres ne permet d'interdire la contestation des crimes contre l'humanité que s'ils ont été commis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Et c'est la raison pour laquelle l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 ne permet l'exercice des droits de la partie civile par les associations que si elles se proposent par leurs statuts «de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés».
C'est ainsi que la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a pu juger à bon droit le 18 novembre 1994, que l'article 24 bis avait «pour effet d'exclure de la protection contre la contestation, instituée par la loi, tous les autres crimes contre l'humanité, comme, en l'espèce, ceux dont a été victime le peuple arménien en 1915».
Parmi les génocides et les autres crimes contre l'humanité, on ne saurait distinguer entre ceux qui mériteraient une protection spéciale et les autres.
La protection qui a, en fait, pour but la prévention, doit donc s'appliquer à tous les crimes contre l'humanité, sans discriminer le moment où ils sont advenus.
C'est l'objet de la présente proposition de loi qu'il vous est demandé de bien vouloir adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifié :
I. - Après le premier alinéa de cet article, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«Seront punis des mêmes peines ceux qui auront contesté tout autre crime contre l'humanité sanctionné par l'application des articles 211-1, 212-1 et 212-2 du code pénal ou par un tribunal international ou reconnu comme tel par une organisation intergouvernementale, quel que soit le lieu ou la date à laquelle le crime a été commis.»
II. - Les trois derniers alinéas de cet article sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
«Le tribunal pourra, en outre, ordonner l'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal.»
Article 2
L'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 précitée est ainsi rédigé :
«Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, qui se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés, ou de défendre les intérêts moraux et la mémoire des victimes des crimes visés ci-après, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi et en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article 24 bis.»

 
N° 0479 - Proposition de loi - interdire la contestation de la réalité de tous génocides et crimes contre l'humanité (Loi du 29 juillet 18881 sur la liberté de la presse) (M. François Rochebloine)


© Assemblée nationale