Version PDF
Retour vers le dossier législatif

No 498
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 décembre 2002.
PROPOSITION DE LOI
visant à modifier le régime
des
prestations familiales à Mayotte.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE

par MM. Mansour KAMARDINE, René ANDRE, Bertho AUDIFAX, Jacques-Alain BENISTI, Patrick BEAUDOUIN, Jean-Claude BEAULIEU, Jean BESSON, Marcel BONNOT, Christine BOUTIN, LoÏc BOUVARD, Ghislain BRAY, Jean-Marc CHAVANNE, Philippe COCHET, Geneviève COLOT, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Jean-Pierre DOOR, Philippe DUBOURG, Léonce DEPREZ, Cécile GALLEZ, Bruno GILLES, Gérard GRIGNON, Edouard JACQUE, Emmanuel HAMELIN, Pierre HELLIER, Pierre HERIAUD, Didier JULIA, Marc LE FUR, Gérard LEONARD, Alain MARTY, Jean MARSAUDON, Christian MENARD, Nadine MORANO, Robert PANDRAUD, Josette PONS, Daniel PREVOST, Didier QUENTIN, Eric RAOULT, Jean ROATTA, Frédéric REISS, Jacques REMILLER, Juliana RIMANE, Daniel SPAGNOU, Christian VANNESTE, Jean-Sébastien VIALATTE, Philippe VITEL et Michel VOISIN,

Additions de signatures :
MM. Jean-Michel Ferrand et Bernard Schreiner

Députés

Outre-mer.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Mayotte occupe une place singulière dans la mise en place de la politique publique de la famille et en particulier du système des prestations familiales.
Les Mahorais ne bénéficient pas de la même protection sociale que celle à laquelle les autres Français ont droit depuis plus d'un demi-siècle.
Cette «exception mahoraise» est d'autant plus choquante qu'elle exclut toute une partie de la population française du bénéfice d'un système essentiel à la dignité des hommes et des femmes qui composent une société moderne.
Les prestations familiales et la protection sociale sont à la base de l'unité et de la solidarité nationale, elles sont intimement liées à l'idéal de justice sociale poursuivi par l'Etat français depuis l'après-guerre.
Tel est l'esprit de l'ordonnance du 4 octobre 1945 prévoyant un réseau coordonné de caisses dont l'exposé des motifs assigne des missions très claires à la sécurité sociale nouvellement créée et en particulier «l'aménagement d'une vaste organisation nationale d'entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu'elle englobe et quant aux risques qu'elle couvre. Le but final à atteindre est la réalisation d'un plan qui couvre l'ensemble de la population du pays contre l'ensemble des facteurs d'insécurité».
Ainsi, dans le prolongement de l'ordonnance du 4 octobre 1945, la loi du 22 mai 1946 devait poser le principe de la généralisation de la sécurité sociale à l'ensemble de la population.
Malgré les très fortes manifestations de son attachement à faire partie intégrante de la France et l'antériorité de son appartenance à la République française qui date de 1841, Mayotte a été durablement écartée du bénéfice de ces législations sociales et de celles qui ont suivies.
L'adoption de la loi statutaire du 11 juillet 2001 a eu pour principal intérêt d'intégrer plus fortement et définitivement la collectivité territoriale de Mayotte au sein de la République française.
Dotée du nouveau statut de collectivité départementale, Mayotte s'inscrit dorénavant dans une logique de droit commun, ce qui implique l'application progressive de textes normatifs.
Dans cette optique, l'ordonnance n° 2002-149 du 7 février 2002 relative à l'extension et la généralisation des prestations familiales et à la protection sociale dans la collectivité départementale de Mayotte aurait dû apporter les correctifs nécessaires destinés à faire bénéficier Mayotte de la législation sociale de droit commun tout en tenant compte de ses spécificités.
Or, cette ordonnance ne répond que partiellement aux attentes que la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte a fait naître.
Sous un intitulé séduisant se cache en réalité un système discriminant en rupture avec nos principes républicains les plus élémentaires et par là même avec les principes fondamentaux qui constituent la base de nos principes constitutionnels.
Les articles 7, 8 et 10 de cette ordonnance plafonnent à trois enfants l'attribution des allocations familiales, de l'allocation de rentrée scolaire et la fixation du barème de l'allocation logement.
Ces dispositions contreviennent de toute évidence au principe d'égalité de traitement et aux droits sociaux au nombre desquels les droits de la famille tiennent une place privilégiée (I).
De plus, elles privent de ses droits une partie de la population française qui en a le plus besoin (II).
Sur le fond, tout d'abord, ces dispositions créent de graves inégalités de traitement entre les citoyens.
Par extension du principe général d'égalité inscrit aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le principe d'égalité de traitement des personnes proscrit en principe toute discrimination.
Par ailleurs, l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 consacre le principe d'égalité en ce qu'il dispose que la France «assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion».
Ce principe revêt une importance toute particulière s'agissant des citoyens français d'outre-mer. Au terme du paragraphe 16 du Préambule de la Constitution de 1946 «La France forme avec les peuples d'outre-mer une union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion».
Seules des considérations motivées par l'intérêt général ou une différence objective et rationnelle de situation peuvent légitimer les dispositions dérogatoires à la législation en vigueur, ce qui n'est pas le cas s'agissant de Mayotte.
Ainsi, après un mouvement jurisprudentiel en faveur de la discrimination positive consacré notamment par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 26 janvier 1995, le maintien de ces dispositions consacrerait une quasi «discrimination négative» puisque des inégalités de droit devraient conduire non pas à rétablir l'égalité mais au contraire à aggraver les inégalités entre deux situations.
Les droits de la famille sont eux aussi profondément remis en cause par ces dispositions en totale contradiction avec les objectifs poursuivis par l'attribution d'allocations familiales.
Le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 affirme que «la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement» et le onzième alinéa dispose que la nation «garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle».
Les dispositions de l'ordonnance du 7 février 2002 mettent en place une politique malthusienne contraire à la liberté fondamentale et inviolable de fonder une famille.
De même, elles créent deux catégories de familles en pénalisant très durement les familles nombreuses mahoraises en les maintenant dans un état de précarité du seul fait du nombre d'enfants alors que la principale raison d'être des allocations familiales repose sur l'aide aux familles nombreuses et constituent en ce sens un soutien à l'égard de ces dernières.
Or, la présente ordonnance est en totale opposition avec cet objectif puisqu'elle est utilisée comme un élément dé découragement.
Enfin, la situation économique, sociale et sanitaire à Mayotte exige des mesures destinées à améliorer l'aide aux personnes en grande précarité, et non l'inverse.
L'ampleur des problèmes sociaux à Mayotte nécessite un effort tout particulier en direction des familles.
Le produit brut par habitant est 10 fois inférieur à celui de la métropole, le taux de chômage est 5 fois plus élevé (les chômeurs ne perçoivent aucune indemnité) et le SMIC représente moins de la moitié du SMIC de métropole alors que les Mahoraises et les Mahorais doivent supporter les surcoûts inhérents à l'insularité.
A cela s'ajoutent des conditions de logement précaires, un réseau d'assainissement quasi inexistant et des infrastructures publiques de première nécessité insuffisantes au regard des besoins de la population.
Tous ces éléments militent en faveur de la suppression des plafonds fixés par le texte critiqué tant ils sont contraires aux principes fondamentaux de notre République.
L'adoption de la présente proposition de loi sera un signal fort pour les Mahorais dont l'attachement à la République française mérite plus que le statut de «citoyen de deuxième zone» qui leur a été implicitement reconnu dans cette ordonnance qu'il convient de réformer.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L'ordonnance n° 2002-149 du 7 février 2002 relative à l'extension et la généralisation des prestations familiales et à la protection sociale dans la collectivité départementale de Mayotte est ainsi modifiée :
1° L'article 7 est ainsi rédigé :
«Les allocations familiales sont dues à partir du deuxième enfant à charge.»
2° Dans le deuxième alinéa de l'article 8, les mots : «dans la limite de trois enfants par allocataire» sont supprimés.
3° Dans le troisième alinéa de l'article 10, les mots : «; le nombre d'enfants pris en compte est limité à trois par allocataire» sont supprimés.
Article 2
Les charges éventuelles qui résulteraient pour les régimes sociaux de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une augmentation des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du CGI.

____________________
N° 0498 - Proposition de loi  visant à modifier le régime des prestations familiales à Mayotte (M. Mansour Kamardine)


© Assemblée nationale