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No 723

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 mars 2003.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

visant à rendre incompatibles les fonctions de membre du
Gouvernement
ou d'un cabinet ministériel avec l'appartenance à la fonction publique.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Hervé NOVELLI, Étienne BLANC, Jacques BOBE, Philippe BRIAND, Bernard BROCHAND, Richard CAZENAVE, Dino CINIERI, Mme GeneviÈve COLOT, MM. Léonce DEPREZ, Jean-Jacques DESCAMPS, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, Gérard DUBRAC, Jean-Claude FLORY, Jean-Michel FOURGOUS, Alain GINESTA, Jean-Pierre GORGES, Mme Arlette GROSSKOST, MM. Gérard HAMEL, Pierre HÉRIAUD, Mansour KAMARDINE, Aimé KERGUERIS, Marc LAFFINEUR, Édouard LANDRAIN, Lionnel LUCA, Philippe-Armand MARTIN, Jacques MASDEU-ARUS, Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Marc REYMANN, André THIEN AH KOON, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Christian VANNESTE, Michel VOISIN et Michel ZUMKELLER,

Députés.

Fonctionnaires et agents publics.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans les gouvernements de la Ve République, la part des ministres issus de la fonction publique est supérieure en moyenne à 50 %. Le Premier Ministre, Lionel Jospin, a battu le précédent record détenu par Michel Rocard : tous les ministres de son dernier gouvernement étaient issus de la fonction publique.

La présente proposition de loi ne porte pas de jugement sur l'action des ministres issus des différentes fonctions publiques; elle vise simplement, au nom de l'égalité républicaine, à restaurer un juste équilibre.

Est-il normal, en effet, que la fonction publique, dont les effectifs représentent le quart de l'emploi en France, accapare l'ensemble des postes ministériels?

Faut-il être membre de la fonction publique pour occuper des fonctions ministérielles?

Cette évolution n'est-elle pas responsable, en partie, du rejet de la politique de la part des citoyens français?

I. - La confusion des genres

En vertu de l'article 20 de la Constitution du 4 octobre 1958, «le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l'administration et de la force armée».

Or, après plus de quarante ans de pratique institutionnelle, force est de constater que c'est l'administration qui dispose du gouvernement et non le contraire. La composition des gouvernements depuis 1958 témoigne du renversement du rapport de force. Sur les seize premiers ministres que la France a connus depuis 1958, treize étaient membres de la fonction publique. En moyenne, plus de la moitié des membres de chaque gouvernement sont des fonctionnaires, le maximum étant atteint par le dernier gouvernement de Lionel Jospin avec 100 % de ministres issus de la fonction publique.

Pour occuper des fonctions ministérielles, le passage par la fonction publique, et si possible par l'ENA, constitue un avantage majeur.

Une sélection toute française par le diplôme et le statut s'est mise en place pour détenir un mandat ou un portefeuille ministériel. Autrefois domaine des professions libérales, principalement avocats et médecins, les fonctions électives ou ministérielles sont majoritairement détenues maintenant par cooptation et grâce à un statut protecteur par les fonctionnaires.

Sous la IIIe République, les fonctionnaires n'étaient pas interdits de postes ministériels, mais ils préféraient, par respect vis-à-vis de leurs fonctions, au préalable démissionner. Ainsi, Léon Blum quitta le Conseil d'Etat. Il faut, à ce titre, souligner que sous la IVe République, le nombre de ministres fonctionnaires ne dépassait pas 50 % du gouvernement, et que le pourcentage de présidents du Conseil issus de la fonction publique était de 33 %.

La séparation entre la fonction publique et la fonction politique était alors considérée comme un progrès. L'élaboration du statut de la fonction publique après la seconde guerre mondiale reposait même sur cette séparation. Le fonctionnaire devait être indépendant du politique. Il représentait la permanence de l'administration. Personne n'imaginait que la sphère du pouvoir serait colonisée par les fonctionnaires.

A la séparation des fonctions succèdent la symbiose et la confusion. La République s'est fonctionnarisée. Le chemin du pouvoir passe par la fonction publique, les cabinets, les mandats électifs et les postes ministériels. Un fonctionnaire qui veut faire de la politique a plus de chance de réussir qu'un salarié de droit privé, et cela d'autant plus qu'il est issu de l'ENA et sorti dans le haut du classement de cette école.

Le succès à un concours passé vers vingt-cinq ans conditionne une carrière; il donne le droit à un passeport à vie pour occuper des fonctions ministérielles sans pour autant en avoir obligatoirement la légitimité.

II. - Une confusion entretenue par le statut

L'article 23 de la Constitution est clair : «Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle.» En vertu de l'article 4 de l'ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution, «le membre du gouvernement titulaire d'un emploi public est remplacé dans ses fonctions et placé en dehors des cadres de l'administration ou du corps auquel il appartient dans les conditions prévues à cet effet par le statut le régissant»,

Si l'interdiction de toute activité professionnelle entraîne la démission d'un salarié de droit privé, elle n'implique qu'une cessation temporaire pour les fonctionnaires. Le statut de la fonction publique accorde de nombreuses facilités pour accéder aux plus hautes fonctions de la sphère du pouvoir.

Puis, lorsqu'il quitte ses fonctions, le ministre issu de la fonction publique réintègre son corps d'origine. Ses droits à la retraite ont couru durant son absence. Seuls ses droits de promotion ont été gelés. En outre, la fonction publique offre de nombreuses «niches» permettant à d'anciens élus de préparer une prochaine élection. Le salarié du secteur privé, même si des dispositifs protecteurs ont été institués, est loin de bénéficier d'un tel régime.

Dans ces conditions, il est malheureusement logique d'aboutir à une surreprésentation des fonctionnaires. A l'avantage technique de la connaissance des rouages de l'Etat s'ajoute un avantage matériel non négligeable.

III. - Une confusion source de dysfonctionnement

Tout ministre issu de la fonction publique n'est pas complètement indépendant vis-à-vis de son administration d'origine ou future. Il en est le représentant et le meilleur avocat car un jour ou l'autre, il peut être amené à la réintégrer.

Par nature, le ministre fonctionnaire est porté à protéger les intérêts du corps dont il est membre; or, par absence de diversité dans la composition du gouvernement, les intérêts des fonctionnaires sont mieux protégés que ceux des salariés du privé ou des professions libérales.

Chaque corps a une tendance naturelle au conservatisme. De ce fait, il n'est guère surprenant que les gouvernements qui se succèdent depuis une dizaine d'années éprouvent les pires difficultés à réformer l'Etat.

Ce dysfonctionnement est renforcé par le rôle joué par les cabinets ministériels, qui, malgré la volonté exprimée régulièrement d'en réduire le poids, jouent un rôle croissant. Qu'un ministre soit entouré de collaborateurs n'est pas gênant en soi, cela est même nécessaire, mais que ses collaborateurs utilisent leur passage dans un cabinet ministériel comme un tremplin aboutit à une politisation de la haute fonction publique et empêche l'instauration d'une gestion moderne et efficace des cadres dirigeants de l'administration. Ce n'est pas la compétence qui prime, c'est le passage en cabinet et le réseau que le fonctionnaire a pu se constituer à ce moment-là.

IV. - Renforcer le régime d'incompatibilité
pour les membres du gouvernement
et des cabinets ministériels

La présente proposition de loi vise à rétablir l'équilibre en obligeant les fonctionnaires qui deviennent ministres ou membres d'un cabinet ministériel à choisir entre l'appartenance à la fonction publique et leurs fonctions.

Les dispositions prévues ci-dessous sont moins contraignantes que celles en vigueur au Royaume-Uni qui rendent totalement incompatibles fonction publique et carrière politique.

Afin de conforter la primauté du politique, pour garantir la séparation entre l'administration et l'exécutif, il convient donc de modifier l'article 4 de l'ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution. Un fonctionnaire nommé membre du gouvernement devra ainsi opter entre son appartenance à la fonction publique ou à l'exécutif.

Par ailleurs, pour restaurer un dialogue entre les responsables des administrations centrales, instituer une gestion des cadres dirigeants de l'administration plus saine et transparente, il convient de limiter le poids des cabinets ministériels qui doivent faciliter le travail quotidien du ministre et non se substituer aux services centraux des ministères. De ce fait, la présente proposition de loi propose d'aligner le régime des membres de cabinets issus de la fonction publique sur celui des ministres.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi organique que je vous demande de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L'article 4 de l'ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la constitution est ainsi rédigé :

«Art. 4. - Le membre du gouvernement titulaire d'un emploi public est remplacé dans ses fonctions.

« Est incompatible avec la fonction de membre du gouvernement l'appartenance à la fonction publique.

« Le membre du gouvernement qui lors de sa nomination se trouve dans le cas d'incompatibilité mentionné ci-dessus doit, dans le mois qui suit son entrée en fonction, choisir entre sa fonction de membre du gouvernement et son appartenance à la fonction publique.

« A défaut d'option dans le délai mentionné ci-dessus, il est réputé démissionnaire de la fonction publique.»

Article 2

Le membre d'un cabinet ministériel titulaire d'un emploi relevant d'un des statuts de la fonction publique doit, dans les six mois après sa nomination publiée au Journal officiel, choisir entre son appartenance à la fonction publique et son appartenance au cabinet ministériel.

A défaut d'option dans le délai mentionné ci-dessus, il est réputé démissionnaire de la fonction publique.

N° 0723 - Proposition de loi  visant à rendre incompatibles les fonctions de membre du Gouvernement ou d'un cabinet ministériel avec l'appartenance à la fonctions publique (M. Hervé Novelli)


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