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N° 1581

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 avril 2004.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur la
dégradation des comptes publics depuis juin 2002,

(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Didier MIGAUD, Augustin BONREPAUX,
Jean-Marc AYRAULT, François HOLLANDE

et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2)

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France connaît une dérive grave et sans précédent de sa situation économique et de ses comptes publics. A son arrivée au pouvoir en 2002, le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait commandé un audit qui chiffrait de manière objective l'état des comptes publics. Le déficit public pour 2002 se chiffrait à 2,6 % du PIB (38 milliards d'euros) dans l'hypothèse la plus pessimiste. La dette publique se situait à 56,8 % fin 2001. Les chiffres définitifs publiés par l'INSEE permettent de mesurer l'ampleur de la dérive à la fin 2003. Le déficit public s'alourdit nettement : il dépasse très largement le critère des 3 % fixé par le Pacte de Stabilité et de Croissance et atteint 64,3 milliards d'euros soit 4,1 % du PIB. La dette publique a également, pour la première fois dans l'histoire, dépassé le seuil de 60 % du PIB fixé par le Traité de Maastricht et atteint 63,7 % (992,1 milliards d'euros) soit un dérapage de près de 7 points par rapport à 2001.

Le bilan économique et social est tout aussi inquiétant. La croissance du Produit Intérieur Brut pour 2003 a été de 0,5 %, soit la progression la plus faible depuis 1993. Le taux de chômage a atteint 9,7 % fin 2003.

Cette dégradation budgétaire est liée à l'insincérité de la prévision de croissance pour 2003 et à la politique économique et budgétaire menée depuis juin 2002. Elle a conduit à l'effondrement des recettes, sans effet bénéfique sur la croissance, à l'explosion des déficits et à une régulation brutale des dépenses. Cette politique a évidemment des conséquences en 2004 qu'il faut mesurer avec précision. Si la prévision de croissance de 1,7 % en 2004 n'est pour l'heure pas remise en cause par les conjoncturistes, plusieurs des paramètres sur lesquels le budget a été construit ont évolué depuis. Par rapport aux estimations du projet de loi de finances pour 2004, le déficit public pour 2003 est supérieur de 0,1 point, la dette de 2,3 points, le déficit de l'Etat est de 61,6 milliards d'euros, soit plus de 2 milliards d'euros de différence avec les estimations initiales. L'exécution du budget 2004 ne pourra qu'être affectée par ces écarts.

Cette situation doit être analysée avec la plus grande urgence. A cette fin, la représentation nationale doit disposer d'un tableau exhaustif, précis et le plus à jour possible de la situation réelle des comptes publics. Il n'est pas acceptable que soit annoncé un plan de régulation portant sur plus de 4 milliards d'euros de crédits initiaux et de 3 milliards de crédits de report de 2003, 4 mois seulement après le vote du budget sans que les parlementaires et l'opinion publique ne puissent disposer d'une évaluation complète et objective de la situation des comptes publics. Quels sont les « aléas » qui justifient selon le Gouvernement une régulation d'une telle ampleur ?

Les enjeux sont énormes.

A court terme, la politique d'austérité dans laquelle s'engage le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin sous la conduite du ministre d'Etat de l'économie et des finances Nicolas Sarkozy, pourrait venir étouffer le retour encore hésitant de la croissance. Le Gouvernement prend en effet le risque de brider ce qui a constitué en 2003, selon l'INSEE, le seul moteur encore effectif de la croissance. L'investissement public, malgré la régulation budgétaire qui pèse sur lui, avec par exemple la remise en cause des engagements dans le cadre des contrats de plan, a en effet eu une contribution légèrement positive. A l'inverse, les échanges extérieurs ont pesé négativement sur la croissance, tout comme l'investissement des entreprises qui a reculé, et la consommation des ménages qui a ralenti. S'y ajoute le risque de fragilisation supplémentaire de la situation de beaucoup de Françaises et de Français en raison de la remise en cause des politiques publiques qui contribuent à la lutte contre la pauvreté et la précarité.

A moyen terme, le Gouvernement prétend s'appuyer sur la situation des comptes sociaux, pour engager une réforme de l'Assurance Maladie dont les contours restent inconnus. Or il refuse d'afficher clairement la frontière entre dégradation conjoncturelle et dégradation structurelle des comptes. Il faut en effet rappeler que les comptes sociaux, qui dégageaient encore une capacité de financement de 4 milliards d'euros en 2001, connaissaient un déficit de 11,1 milliards en 2003.

A plus long terme, le Gouvernement refuse de clarifier la stratégie budgétaire et fiscale qu'il compte mener pour tenter de concilier des objectifs largement contradictoires. Il n'a en effet pas ouvertement renoncé à son engagement d'un retour du déficit public sous la barre des 3 % en 2005, qui représenterait pourtant un ajustement de plus de 0,7 point de PIB (11 milliards d'euros) en 2005 si le déficit pour 2004 parvenait à se limiter à 3,6 % du PIB. En revanche, le Président de la République n'a non seulement toujours pas renoncé à ses engagements en matière notamment de baisses ciblées de l'impôt sur le revenu et de l'ISF qui ont déjà coûté plus de 6 milliards d'euros depuis 2002, mais il y a ajouté de nouvelles promesses concernant un dispositif d'aide aux buralistes (150 millions), aux restaurants (1,5 milliard d'euros) dans l'attente de la baisse encore incertaine du taux de TVA qui leur est applicable (plus de 3 milliards d'euros), et d'un allégement de la taxe professionnelle (2,5 milliards d'euros). La réalisation de ces objectifs ne serait possible qu'au prix d'une remise en cause massive de l'ensemble des politiques publiques, notamment sociales, et de la suppression de toute capacité à agir pour l'Etat.

La demande d'un audit indépendant des comptes publics a pourtant été refusée par le Gouvernement. Alors que Jean-Pierre Raffarin avait présenté cette démarche comme une garantie d'objectivité et de transparence en 2002, le Ministre de l'économie et des finances Nicolas Sarkozy la repousse aujourd'hui au motif qu'elle serait polémique.

Il refuse d'éclairer ses intentions en matière de respect des critères du Pacte de Stabilité et de Croissance, et se contente d'une référence usée à un prétendu héritage, émaillée d'inexactitudes sur les données économiques et budgétaires. Ainsi, après avoir daté l'apparition des déficits publics de 1981, alors que le premier cas remonte à 1975 sous le Gouvernement de Jacques Chirac, il a prétendu que la France serait aujourd'hui le pays présentant le chômage le plus élevé du monde. Même si la dégradation du chômage depuis l'arrivée au pouvoir de la droite est massive, puisque après avoir baissé de 12,2 % à un point bas de 8,6 % entre 1997 et 2002, le chômage est reparti à la hausse et atteint en février 2004 plus de 9,6 %, cette affirmation reste en total décalage avec la réalité (l'Espagne présente actuellement un taux de chômage de 11,4 %).

Cette situation est d'autant plus inacceptable que les organismes indépendants, de même que l'Union européenne, ont publiquement fait connaître leurs doutes sur la crédibilité des perspectives du Gouvernement en matière de comptes publics pour les années 2004 et suivantes.

Face au défaut de sincérité et au refus de transparence manifestés par le Gouvernement et devant ses approximations, la représentation nationale doit être en mesure de disposer d'un tableau de la situation de l'ensemble des comptes publics et des conséquences des choix de politique économique et budgétaire du Gouvernement. La commission des finances, si elle est informée de l'exécution budgétaire, ne dispose pas d'une vision globale lui permettant d'apprécier la situation des comptes locaux et sociaux. La constitution d'une commission d'enquête parlementaire permettrait donc de faire la lumière dans les meilleurs délais sur la dégradation de l'ensemble des comptes publics et leur évolution prévisible.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement, une commission d'enquête de trente membres sur la dégradation des comptes publics depuis juin 2002.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118349-0
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1581 -Proposition de résolution créant une commission d'enquête sur la dégradation des comptes publics depuis juin 2002 (M. Didier Migaud)

1 () Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux-Bacquet, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin (Gers), Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM. Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

2 () MM. Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, François Huwart, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira.


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