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N° 1737

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 juillet 2004.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête sur les
dysfonctionnements
et la justice pénale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Jean-Marc AYRAULT, Christophe CARESCHE,
Jacques FLOCH, Mme Elisabeth GUIGOU,
M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Mme Marylise LEBRANCHU, M. André VALLINI
et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2)

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Des événements récents comme les conclusions de la récente mission d'information sur le traitement de la récidive des infractions pénales ne peuvent que conduire à s'interroger plus avant sur le fonctionnement même de notre justice.

Une politique pénale de plus en plus sévère

Depuis deux ans, le droit pénal s'est considérablement durci. La majorité pénale des mineurs est passée de 13 à 10 ans. L'aggravation des peines encourues pour des petits délits et la banalisation des procédures de comparution immédiate y compris pour des délits complexes punis de 10 ans d'emprisonnement devaient, en apportant des réponses en temps réel, dissuader les délinquants sinon d'agir du moins de récidiver. Or, la mission d'information propose de sanctionner plus sévèrement les récidivistes, ce qui est en soi un aveu inquiétant de l'échec de la politique menée dont personne ne saurait se réjouir.

Une surpopulation carcérale qui s'aggrave

L'effet naturel du tout répressif a été une envolée des condamnations à des peines de prison ferme. 2004 a connu une augmentation sans précédent du nombre des entrées : 87 000, soit une augmentation de 30 %. Au cours des deux dernières années, le nombre des détentions provisoires s'est accru de 36 %.

Les conclusions unanimes des deux commissions d'enquête parlementaire sur les prisons, rendues il y a 4 ans, sont encore dans les mémoires. Depuis, pourtant, la situation s'est encore aggravée avec plus de 64 000 détenus pour 49 000 places au 1er juin ; certaines maisons d'arrêt pour petites et moyennes peines sont occupées à 300 % ! Le Parlement aurait-il crié dans le désert ?

Une délinquance de plus en plus violente

Pour autant, la délinquance la plus grave, notamment le crime organisé, se maintient et globalement tend à devenir de plus en plus violente. La baisse quantitative de la délinquance ordinaire ne saurait masquer ce phénomène.

Dans le même temps, des bavures judiciaires dont l'affaire d'Outreau n'est qu'un exemple récent et spectaculaire, parce que l'affaire était criminelle et que l'accusation portait sur un crime de pédophilie, marquent la difficulté d'un système soumis à la rude épreuve de la pression médiatique et au manque de moyens.

Au quotidien notre système est malade

La présomption d'innocence semble céder trop souvent la place à une présomption de responsabilité. A l'évidence le système a du mal à se démarquer d'une religion de l'aveu, pourtant très archaïque et il reste encore trop souvent acquis, y compris chez de hauts responsables, que la détention provisoire peut être utilement utilisée pour obtenir une preuve majeure qui peut finalement s'avérer ne pas en être une.

Les mécanismes d'individualisation de la peine, en amont de son prononcé, fonctionnent mal ; il convient de se demander pourquoi, par exemple, le recours à la libération conditionnelle est en perte de vitesse. Est-ce faute d'organisation ou parce que l'accompagnement de ces mesures (prévision d'un logement à la sortie, suivi psychologique si nécessaire, contrôle...) manque cruellement ? Pourquoi les peines de réparation sont-elles si peu appliquées à une population sur laquelle elles pourraient avoir un effet salutaire ? Pourquoi le sursis avec ou sans mise à l'épreuve, avec ou sans bracelet électronique, n'est-il guère utilisé ? Pourquoi le travail d'intérêt général est-il tant loué mais si peu prescrit ?

Pourquoi au contraire, par des effets mécaniques, des individus, comme Michel Fourniret, ce tueur condamné en France dès 1966 puis en 1987 pour des délits puis des crimes sexuels, peuvent-ils être relâchés alors qu'ils sont encore dangereux ? A cet égard, et puisque cette criminalité particulière choque à juste titre l'opinion publique, ne serait-il pas temps de faire le point sur le financement et l'application de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles sur laquelle la droite de l'époque ne s'était pas exprimée et qui devait permettre au juge de prononcer des mesures de suivi socio-judiciaire de 20 ans, indépendamment de la durée de la peine privative de liberté ?

Il est temps enfin de faire le compte de ce qui subsiste de l'individualisation de la peine après la condamnation avec 200 juges de l'application des peines pour 68 000 détenus, sans compter les condamnés à des peines privatives de liberté autres que la prison. Que sont devenus les services d'insertion et de probation ? Les associations de réinsertion et d'hébergement ? Quels services attend-on d'eux et quels sont les moyens qui leur sont alloués ?

Enfin la question du foisonnement de fichiers dont certains sont anciens et d'autres plus ou moins récents devra être abordée afin de clarifier leur raison d'être, d'évaluer leur efficacité et leurs coûts, de démontrer leur nécessité au regard de la protection indispensable de la société et de la défense des droits et libertés individuels, d'éviter enfin les doubles emplois.

Le législateur doit connaître les outils en état de marche dont il peut disposer. Il n'est pas assuré que les politiques austères menées depuis deux ans et aggravées encore par des gels de crédits, n'aient pas laissé des traces indélébiles. Sans doute peut-on dire avec le Président de la commission des lois Pascal Clément que « la société est en train de payer ses choix budgétaires » mais, pour autant, il n'est pas certain que, par le simple jeu de recrutements et de financements retrouvés, la justice recouvre la santé.

Alors sans doute, faut-il disposer d'un diagnostic précis, d'un état des lieux fiable avant d'avancer des propositions qui, faute de résultats concrets, ne feraient qu'aggraver, chez tous nos concitoyens, la perte de confiance en leur justice.

C'est cet objectif qui doit être assigné à la commission d'enquête qu'il est proposé de créer.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement, une commission d'enquête de trente membres afin de déterminer les conditions dans lesquelles la justice judiciaire est rendue en France, de relever les faits qui peuvent être considérés comme des carences ou des dysfonctionnements graves au regard des principes de notre droit et des valeurs de notre temps, d'en analyser, outre l'évolution, les causes tant juridiques et fonctionnelles que financières ainsi que les circonstances qui les favorisent afin de dégager les pistes d'une réflexion renouvelée et de faire des propositions concrètes destinées à renforcer la sérénité, l'efficacité et la crédibilité de la justice.

Imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118490-X
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 1737 - Proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault tendant à créer une commission d'enquête sur les dysfonctionnements et la justice pénale

1 () Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux-Bacquet, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin (Gers), Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM.  Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

2 () MM. Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, François Huwart, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira.


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