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N° 1785

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 septembre 2004.

PROPOSITION DE LOI
ORGANIQUE

relative à l'évaluation et au contrôle des politiques publiques,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Alain SUGUENOT

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'article 14 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen pose le principe selon lequel « Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Au XIXe siècle, les premiers acteurs du parlementarisme français en ont tiré les conséquences, en exerçant pleinement leur fonction de contrôle lors du vote du budget.

Ce contrôle était, dès la première moitié du XIXe siècle, éclairé par le rapport annuel de la Cour des comptes conformément à l'article 15 de la déclaration de 1789, disposant que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Créée par Napoléon par la loi impériale du 16 septembre 1807, cette institution a produit dès son origine un document des plus précieux, son rapport annuel. Réservé à la seule lecture de l'Empereur, puis du Roi, ce rapport annuel est distribué aux parlementaires à partir de 1832. Aux termes d'une longue évolution et à la suite de nombreuses révélations sur son contenu par la représentation nationale, il est devenu public à partir de 1938. Il est ainsi devenu un élément du débat public relatif aux comptes de l'Etat et a acquis une véritable dimension politique.

Le constituant de 1958 a tiré les conséquences de cette évolution, en constitutionnalisant cette institution financière. L'alinéa 6 de l'article 47 du texte fondamental dispose en effet que « la Cour des comptes assiste le gouvernement et le Parlement dans le contrôle de l'évaluation des lois de finances ».

Cette mission d'assistance a, depuis 1958, essentiellement reposé sur la remise du rapport au Président de la République. Préparé par un comité composé du Premier Président de la Cour des comptes, du procureur Général, des Présidents de chambre et du rapporteur général, il est le résultat d'un travail d'enquête et de contrôle rigoureux.

Volumineux et imposant, le rapport n'est pourtant pas exhaustif. Il ne comporte que des morceaux choisis du long métrage du gaspillage des deniers publics. Ce rapport a, au cours des dernières décennies, considérablement évolué. Il n'est plus un exercice classique de contrôle de la régularité des opérations financières publiques. Il est devenu un outil critique d'appréciation de l'action des services de l'Etat.

Avec la fin du cycle keynésien des trente glorieuses et l'apparition, au milieu des années 1970, des déficits publics, la nécessité de maîtriser les dépenses publiques, de prélever moins sur la richesse nationale ont entraîné une profonde remise en cause de notre philosophie budgétaire. La loi de finances, véritable budget de moyen, dénuée d'indicateurs de performances et de résultats, est apparue inadaptée. Une nouvelle logique fondée sur la rationalisation des dépenses publiques et la mise en relation des coûts et des performances des politiques publiques s'est progressivement imposée.

Après les premières expériences de rationalisation des choix budgétaires, la thématique de l'évaluation de la dépense publique est devenue une réalité dans les années 1990. Partant de l'idée que la modernisation de l'Etat et le renouveau du service public devait se traduire par une exigence accrue d'efficacité, le Premier Ministre de l'époque, M. Michel Rocard, a fait adopter le 22 janvier 1990 un décret relatif à l'évaluation des politiques publiques. Créant des structures au service de l'exécutif, ce décret a écarté les parlementaires de la démarche évaluative. Il n'en a pas moins constitué un premier pas dans la construction d'une conception française de l'évaluation des politiques publiques.

Le début du septennat de Jacques Chirac est venu confirmer cette orientation, en adoptant cependant une orientation beaucoup plus favorable au Parlement ; deux offices parlementaires d'évaluation étant créés par la loi no 96-517 du 14 juin 1996 ; l'office d'évaluation de la législation et surtout l'office d'évaluation des politiques publiques.

L'expérience de ce dernier office va être utilement mise à profit à partir de 1998 par l'ensemble des parlementaires, toutes tendances politiques confondues. A la suite du rapport du groupe de travail dirigé par le rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée Nationale intitulé « Contrôler réellement, pour dépenser mieux et prélever moins », un nouvel organe de contrôle, la Mission d'Evaluation et de Contrôle, a été créé.

Partant de l'idée qu'un renforcement de l'évaluation du Parlement pouvait donner l'impulsion nécessaire à des réformes plus profondes touchant au fonctionnement même de l'Etat, ces missions, composées de membres de l'ensemble des groupes parlementaires, ont procédé à des investigations approfondies en menant des auditions de gestionnaires publics, en diligentant des contrôles sur place et sur pièces. Depuis 1999, douze rapports ont ainsi été rédigés. Pour mener à bien leurs travaux, les Missions d'Evaluation et de Contrôle ont eu recours à l'expertise de la Cour des comptes, et il convient de souligner que les secteurs ayant fait l'objet d'évaluations avaient, au préalable, fait l'objet de contrôles de la Cour des Comptes lors de la rédaction de son rapport annuel.

La loi organique du 1er août 2001, notre nouvelle constitution financière adoptée grâce à l'action conjointe de MM. Migaud et Lambert, est venue inscrire dans le marbre cette pratique. L'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances dispose en effet que « les commissions des finances de l'Assemblée Nationale et du Sénat suivent et contrôlent l'évaluation des lois de finances et procèdent à l'évaluation de toute question relative aux finances publiques ». Les articles 58 à 60 viennent compléter cet article. La commission des finances de l'Assemblée a clairement demandé aux rapporteurs spéciaux chargés de mener les travaux d'évaluation afin de faire des propositions concrètes en terme de rationalisation de la dépense publique. Les travaux de la Cour de comptes, qui assiste les parlementaires dans l'exercice de cette mission, servent de point de départ à la réflexion des rapporteurs spéciaux en charge des missions d'évaluation et de contrôle.

La loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 a sans conteste marqué un tournant décisif dans notre histoire financière en normalisant les pouvoirs de contrôle et d'évaluation du Parlement. Au demeurant, afin de confirmer cette avancée, il est aujourd'hui nécessaire de faire figurer dans le texte suprême et la loi organique relative aux lois de finances de l'Etat, les principes et outils fondamentaux de l'évaluation des politiques publiques. A cette fin, une proposition de loi constitutionnelle a été déposée le 7 juillet 2004. Elle prévoit la tenue d'un débat parlementaire sur le rapport de la Cour des comptes. Les modalités de ce débat sont fixées par la présente proposition de loi organique.

En outre, depuis 1993, chaque alternance donne lieu à la rédaction d'un audit des finances publiques par deux magistrats de la Cour des comptes. A chaque reprise, ces audits ont révélé des écarts significatifs entre l'autorisation budgétaire initiale et l'exécution de la loi de finances. Au cours de la précédente législature, une polémique s'est également fait jour sur le montant réel des déficits et l'existence de cagnottes fiscales consécutives à la vigueur inattendue de la reprise économique.

Parallèlement, depuis 1994, le Conseil Constitutionnel contrôle la sincérité des lois de finances. Ce contrôle, formel à ses débuts, tend à devenir un contrôle matériel, portant sur la réalité et la pertinence des hypothèses économiques servant de base à la prévision budgétaire gouvernementale. La juridiction constitutionnelle exerce, depuis sa décision 99-424 DC du 29 décembre 1999, un contrôle restreint en vérifiant qu'aucune erreur manifeste ne peut être décelée dans l'évaluation des recettes figurant dans la loi de finances. La loi organique du 1er août 2001 dispose, dans son article 32, que « les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat » et que cette sincérité « s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ». En vertu de cet article, le Conseil constitutionnel vient de renforcer son contrôle de la sincérité du budget de l'Etat en indiquant que « la sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre ».

Mais cette sincérité doit également s'exprimer lors de l'exécution de la loi de finances afin d'en finir avec le mensonge budgétaire. L'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 confie d'ailleurs à la Cour des comptes la mission de certifier « de la régularité et la sincérité et de la fidélité des comptes de l'Etat ».

Afin de donner une portée réelle au principe de sincérité et d'éviter la dissimulation de déficits inavouables ou de surplus fiscaux inavoués, la proposition de loi constitutionnelle du 7 juillet 2004 vise également à instituer, dans notre pratique budgétaire, la réalisation d'un audit annuel des comptes publics suivi d'un débat au Parlement. Le caractère annuel de cet audit permettra un suivi plus professionnel des comptes publics et renforcera la transparence de la politique budgétaire. L'annualité de cette procédure lui permettra d'éviter les inévitables suspicions politiques dont ont fait l'objet les précédents audits réalisés après des échéances électorales passionnées.

Cet audit doit prendre en compte la dimension européenne des finances publiques et confirmer l'attachement de notre pays, à ce que la doctrine économique et financière qualifie de « modèle budgétaire européen » (1).

C'est afin de préciser les conditions de réalisation de cet audit et les modalités de sa discussion parlementaire, que nous déposons cette proposition de loi organique visant à modifier la loi organique du 1er août 2001.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article unique

L'article 58 de loi organique relative aux lois de finances est rédigé comme suit :

« Article 58. - La mission d'assistance du Parlement confié à la cour des comptes par le dernier alinéa de l'article 47 de la Constitution comporte notamment :

« 1° L'obligation de répondre aux demandes d'assistance formulées par le Président et le rapporteur général de la commission chargée des finances de chaque assemblée dans le cadre des missions de contrôle et d'évaluation prévues à l'article 57.

« 2° La réalisation de toute enquête demandée par les commissions de l'Assemblée Nationale ou du Sénat chargées des finances sur la gestion des services ou organisme qu'elle contrôle. Les conclusions de ces enquêtes sont obligatoirement communiquées dans un délai de huit mois après la formulation de la demande à la commission dont elle émane, qui statue sur leur publication ;

« 3° Le dépôt d'un rapport préliminaire conjoint au dépôt du rapport mentionné à l'article 48 relatif aux résultats de l'exécution de l'exercice antérieur ;

« 4° Le dépôt d'un rapport conjoint au dépôt du projet de loi de règlement, relatif aux résultats de l'exécution de l'exercice antérieur et aux comptes associés, qui en particulier, analyse par mission et par programme l'exécution des crédits.

« 5° La certification de la régularité de la sincérité et de la fidélité des comptes de l'Etat. Cette certification est annexée au projet de loi de finances et accompagnée du compte rendu des vérifications opérées ;

« 6° Le dépôt d'un rapport conjoint au dépôt de tout projet de loi de finances sur les mouvements de crédits opérés par voie administrative dont la ratification est demandée dans ledit projet de loi de finances ;

« 7° La communication du rapport annuel au Président de la République. Ce rapport fait l'objet d'un débat sans vote en séance publique. Les thèmes abordés dans le rapport peuvent faire l'objet de Missions d'Evaluation et de Contrôle ;

« 8° Le dépôt d'un audit annuel des comptes publics. Ce rapport d'audit porte sur la situation financière prévisionnelle de l'ensemble des administrations publiques au regard des engagements européens de la France et des valeurs de référence de l'Union Economique et Monétaire. Les services de l'Etat et des experts indépendants peuvent assister la Cour des comptes dans la réalisation de cet audit. La Cour dispose d'un droit de communication des informations détenues par les administrations centrales, les collectivités publiques et les organismes de toute nature appartenant à la catégorie des administrations publiques au sens du Système Européen de Comptabilité SEC 95. L'audit annuel des finances publiques est transmis au parlement et au gouvernement la première semaine de juin et publié. Il est accompagné le cas échéant, des réponses des ministres concernés. Ce rapport fait l'objet d'un débat sans vote en séance publique.

« Les rapports visés aux 3°, 4° et 6° sont le cas échéant, accompagnés des réponses des ministres concernés. »

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118510-8
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1785 - Proposition de loi organique relative à l'évaluation et au contrôle des politiques publiques (Alain Suguenot)

1 () Cf. Fabrice Layer : Les critères budgétaires de convergence de l'UEM : facteurs d'évolutions politiques et institutionnelles de l'Union européenne - Thèse de doctorat - Faculté de Droit de Poitiers - 24 janvier 2002.


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