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N° 2000

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 décembre 2004.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre la tenue de réunions à caractère raciste,
antisémite
ou xénophobe,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Armand JUNG

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La liberté de réunion, permet à tout citoyen de participer à la vie, tant politique qu'économique, de la Cité.

Ce droit fondamental de la personne, consacré par la loi du 30 juin 1881, a été érigé en principe à valeur constitutionnelle.

Composante essentielle de la vie sociale, cette liberté publique est également consacrée par l'ordre juridique international et européen.

L'article 11 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme dispose que « toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association (...). » L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions, que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ».

La liberté de réunion est un élément essentiel de la vie publique, nécessaire à la santé de toute démocratie (CEDH, 26 avril 1991, Ezelin contre France, Série A, numéro 202).

· La Convention Européenne des Droits de l'Homme prévoit que, pour être pleinement protégée, la liberté de réunion doit néanmoins être « pacifique ». La Cour Européenne des Droits de l'Homme de Strasbourg met ainsi à la charge des Etats Parties une obligation positive de protection et de sécurité. Dès lors qu'existe un risque sérieux et objectif d'atteinte aux droits et libertés d'autrui, une ingérence dans la liberté de réunion peut être justifiée (Comm. EDH, Req. n° 8440/78, 16 juillet 1980, Christians against Racism and Facism contre Royaume-Uni). Lesdites restrictions à la liberté de réunion doivent constituer des mesures légitimes et strictement nécessaires au but poursuivi, eu égard aux principes gouvernant tout Etat de Droit.

- Dans un esprit plus général, la Convention Internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée par l'Assemblée Générale de l'Organisation des Nations Unies le 21 décembre 1965, oblige les Etats Parties à « lutter activement contre le racisme et notamment à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d'une autre couleur ou d'une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes ».

- Le Droit Comparé est également une source précieuse d'enseignement et d'inspiration : la liberté de réunion peut être encadrée, en cas d'impérieuse nécessité, afin qu'elle se concilie pleinement avec le respect de la dignité humaine mais aussi avec le principe d'égalité, en particulier.

· La loi allemande sur les associations (Vereinsgesetz), dispose expressément que les associations dont les buts sont contraires à l'idée d'entente entre les peuples sont interdites. Les partis politiques allemands, qui dans leurs buts ou dans l'attitude de leurs adhérents, cherchent à porter atteinte à l'ordre fondamental libre et démocratique, sont déclarés anticonstitutionnels et doivent être dissous. En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale a interdit un rassemblement le 27 janvier 2001, journée de commémoration de l'Holocauste (BVerfG, 26 janvier 2001, DVBI.2001, 558).

· En Autriche, la loi d'Interdiction (Verbotsgesetz), est un texte législatif dont la philosophie est conforme au Traité de Vienne de 1955, qui enjoint à l'Autriche de dissoudre toutes les organisations nationales-socialistes et de sanctionner toutes les activités de ces entités. Il convient de noter que ces dispositions ont fait l'objet d'une adhésion unanime, dès le 8 mai 1945, date de la promulgation de la première version de ce texte. La Loi autrichienne sur les réunions (Versammlungsgesetz) prévoit ainsi que les réunions peuvent être interdites par les autorités si elles poursuivent un objectif mettant en danger la sécurité ou l'intérêt public. Si une telle réunion devait néanmoins se tenir, cette dernière doit être dispersée. La Haute juridiction autrichienne a considéré que l'interdiction d'une réunion pouvait être justifiée, s'il était supposé que des idées nationales-socialistes allaient être exprimées lors de cette réunion, par le biais de la diffusion de chansons ou encore le port de certains emblèmes (VfGH, 28 juin 1979, VfSlg.8610).

· En Droit interne, les articles 23 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse, punissent « la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». La profération de cris et chants séditieux dans des lieux ou des réunions publics est punie d'une peine d'amende prévue pour les contraventions de cinquième classe. S'agissant de la diffamation et de l'injure non publiques, présentant un caractère raciste ou discriminatoire, les articles R. 624-3 et R. 624-4 du code pénal prévoient une peine d'amende prévue pour les contraventions de quatrième classe.

Nonobstant l'existence de cet arsenal juridique, notre pays est en proie à de sérieuses difficultés, au regard de la mise en œuvre de la liberté de réunion, consacrée par la loi du 30 juin 1881.

Afin de contourner les législations européennes évoquées plus haut, des néonazis originaires de toute l'Europe, organisent malheureusement des réunions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe sur notre territoire, en particulier dans des régions frontalières, comme l'Alsace.

En effet, lors de mise à disposition de salles communales par les maires, les organisateurs de ces groupements ont argué de la mise en œuvre d'événements culturels ou sportifs, alors que dans les faits, il s'est avéré que l'objet et la finalité même de ces réunions ont été de faire l'apologie des crimes contre l'humanité perpétrés sous le IIIe Reich, au sens du Statut du Tribunal Militaire International de Nuremberg.

Force est de constater que certains individus, animés par des intentions résolument racistes, organisent en toute impunité, des rassemblements néonazis qui représentent, en tant que tels, des atteintes intolérables aux valeurs républicaines.

L'état actuel de notre législation montre ainsi ses limites, au regard de la répression des actes racistes, antisémites et xénophobes. Si les maires sont investis d'un pouvoir général de police en cas de trouble à l'ordre public, ils se trouvent néanmoins désemparés face à l'organisation de telles réunions, ayant pour objet de provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

La présente proposition de loi vise à renforcer les moyens d'action des pouvoirs publics en apportant des aménagements, nécessaires et légitimes, à la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion et à la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse.

Il est ainsi proposé de « lutter contre la tenue de réunions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe », afin de conférer notamment plein effet utile aux engagements internationaux et européens pris par notre pays.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Les articles 2 et 3 de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, sont rétablis dans la rédaction suivante :

« Art. 2. - Est contraire à l'ordre public l'organisation de toute réunion ayant pour objet de provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »

« Art. 3. - Lorsque des indices sérieux laissent supposer que l'organisation d'une réunion présentant les caractéristiques énumérées à l'article précédent pourrait avoir lieu, elle peut faire l'objet de mesures de surveillance et de contrôle appropriées, voire d'une interdiction si la réalité de son objet contraire à l'ordre public est établie. »

Article 2

Dans le dernier alinéa de l'article 8 de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, après les mots : « aux prescriptions des articles », sont insérées les références : « 2, 3, ».

Article 3

L'article 9 de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion est ainsi modifié :

I. - Le dernier alinéa est complété par les mots : « ou si sont tenus des propos à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, ou si sont arborés ou déployés des insignes ou emblèmes présentant ce caractère ».

II. - Cet article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le droit de dissolution peut également être exercé à la demande du maire ou de son adjoint en cas de constatation du flagrant délit de tenue d'une réunion contraire à l'ordre public en application de l'article 2 de la présente loi ».

Article 4

L'article 10 de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion est complété par les mots : « , notamment dans le cas d'organisation d'une réunion à caractère raciste, antisémite ou xénophobe ou de participation active à une telle réunion ».

Article 5

Dans les premier et huitième alinéas de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le montant : « 45 000 euros » est remplacé par le montant « 100 000 euros ».

Article 6

L'article 25 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 25. - L'interdiction du territoire français peut être prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-30 du code pénal, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable de l'une des infractions définies aux articles 23, 24 et 24 bis. »

Article 7

Les conditions d'application de la présente loi seront précisées par décret en Conseil d'Etat.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118888-3
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 2000 - Proposition de loi de M. Armand Jung visant à lutter contre la tenue de réunions à caractère raciste antisémite ou xénophobe


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