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N° 906

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur les causes économiques et financières de la disparitition d'AIR LIB

Président

M. Patrick OLLIER

Rapporteur

M. Charles de COURSON

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

(1ère partie)

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Entreprises

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission

1ère partie

Mardi 1er avril 2003 :

- M. Serge Monnin, secrétaire du comité d'entreprise, MM. Gilles Nicoli et Geoffroy Lamade, délégués syndicaux (CFDT)

- MM. Jean-Christophe Bandler et M. Laurent Duhayer, délégués syndicaux (CFTC) et M. Hugues Lafosse-Marin, délégué syndical (UNAC)

- Mme Sofia Termignon et M. Philippe Termignon, délégués syndicaux (SNPNC)

Mercredi 2 avril 2003 :

- M. Paul Fourier, délégué syndical (CGT)

- M. Didier Petit, délégué syndical (ALTER), M. Claude Bonan, expert-comptable et Me François Levasseur, avocat

2ème partie

- MM. Jean-Claude Jouffroy et Dominique David, directeur de cabinet et conseil spécial du Secrétaire d'Etat aux Transports et à la Mer

Mardi 8 avril :

- MM. Jean-Baptiste Massignon et Philippe Leroy, secrétaire général et secrétaire général adjoint du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI)

- M. Marc Rochet, ancien président-directeur général d'Air Liberté

- M. Michel Wachenheim, directeur général de l'aviation civile et Mme Danièle Bénadon, directrice des transports aériens

3ème partie

Mardi 15 avril :

- M. Hubert Lafont, conciliateur

- M. Didier Bréchemier, senior manager, M. Laurent Derivery, directeur et M. Frédéric Fouchet, senior consultant du Cabinet KPMG

Mercredi 16 avril :

- M. Christian Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil

Mardi 29 avril :

- MM. Gilles Ricono et Patrick Amar, ancien directeur de cabinet et ancien conseiller technique de M. Jean-Claude Gayssot

4ème partie

- MM. Luc Marty et Pierre Sardet, cabinet Mazars et Guérard

- M. Noël Forgeard, directeur exécutif d'Airbus et M. Claude Brandès, directeur financier d'Airbus

- M. Jean-Cyril Spinetta, président-directeur général d'Air France

Mercredi 30 avril :

- Me Yves Léonzi, avocat de la SAS Holco et d'Air Lib

- M. Christian Paris, pilote de ligne

5ème partie

Mercredi 7 mai :

- MM. Pierre Chassigneux, président, Hubert du Mesnil, directeur général et Attilio Zanichelli, fondé de pouvoir, d'Aéroports de Paris

- M. François Bachelet, ancien président du directoire d'Air Lib

Mercredi 14 mai :

- M. Jean-Charles Corbet, ancien président d'Air Lib et président d'Holco

Mercredi 21 mai :

- M. Laurent Fabius, ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

6ème partie

- M. Bruno Bézard, ancien conseiller pour les affaires économiques et financières au cabinet de M. Lionel Jospin

- MM. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et Gille de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer

Mardi 27 mai :

- M. Jean-Charles Corbet, ancien président d'Air Lib et président d'Holco

7ème partie

Mercredi 28 mai :

- M. Jean-Claude Gayssot, ancien ministre de l'équipement, des transports et du logement

- M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer

Mercredi 4juin :

- M. Pascal Perri, directeur de cabinet de M. Jean-Charles Corbet

Audition de MM. Serge Monnin, secrétaire du comité d'entreprise et délégué syndical de la CFDT et MM. Gilles Nicoli et Geoffroy Lamade, délégués syndicaux CFDT

Procès-verbal de la séance du mardi 1er avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Mes chers collègues, pour notre première audition nous recevons M. Serge Monnin, secrétaire du comité d'entreprise d'Air Lib et délégué syndical CFDT et MM. Gilles Nicoli et Geoffroy Lamade, délégués syndicaux CFDT. Messieurs, nous avons estimé qu'il convenait de donner la parole, en premier lieu, suite à la disparition d'Air Lib, aux représentants des salariés et en tout premier lieu à la CFDT, majoritaire au comité d'entreprise. Nous entendrons donc, aujourd'hui et demain, les délégués de cinq autres syndicats.

Messieurs, je vous propose de vous laisser la parole pour un exposé liminaire, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Gilles NICOLI : Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les députés, vous avez l'intention de recevoir l'ensemble des organisations syndicales - vous en recevez entre aujourd'hui et demain sur onze organisations existantes au sein de l'entreprise - mais il me semble important que le comité d'entreprise soit associé à votre travail d'enquête, car c'est lui qui a la personnalité morale à l'égard des salariés. Il m'apparaît donc nécessaire que le comité d'entreprise soit entendu en tant que tel, ainsi que ses experts qui ont travaillé avec lui depuis de nombreuses années et qui pourront certainement vous apporter beaucoup plus d'informations techniques que nous ne sommes en mesure de vous fournir.

C'est la raison pour laquelle je prendrai la parole aujourd'hui, car il ne nous semble pas utile de mettre Serge Monnin en porte-à-faux entre ses deux rôles - délégué syndical et secrétaire du comité d'entreprise. Bien entendu, il interviendra en son nom propre, mais il est difficile pour nous aujourd'hui de dire que nous intervenons au nom du comité d'entreprise car aucune délibération du comité d'entreprise n'a été faite dans ce sens.

Je brosserai tout d'abord un historique de la situation d'Air Lib, car nous sommes convaincus qu'il y a eu une succession d'erreurs mal comprises qui nous ont emmenés dans un entonnoir.

L'ouverture à la concurrence date des années 90 et c'est bien une volonté politique qui a permis aux sociétés de se créer - avec des aides de banques d'Etat : Banque Rivaud, Crédit Lyonnais, etc. Nous étions donc, à cette époque, dans une situation de concurrence formidable mais l'année 1992 a vu cette concurrence bloquée par une aide qui a été donnée à Air France et des interdits politiques qui ont été imposés à Air Liberté et AOM. Par ailleurs, TAT, détenue à 35 % par Air France, a été vendue à la Caisse des dépôts, puis aux Anglais de British Airways par obligation et sur décision de Bruxelles.

En 1996, nous avons assisté au dépôt de bilan d'Air Liberté qui a été repris par British Airways. Air Liberté appartenait à la Banque Rivaud et AOM, qui appartenait au Crédit Lyonnais, a été obligée, après la faillite de cette banque, de trouver un acquéreur à travers le CDR. Ce sont des données qu'il convient de ne pas oublier, car si l'on veut étudier ce dossier au fond, il est indispensable de reprendre les faits au début.

En 1999, AOM a été rachetée par Swissair et Marine Wendel, par l'intermédiaire de sa filiale Taitbout dont le président est M. Seillière. Une étude de Wenger Plattner, sur Swissair, et la chronique des événements de 1996 à 1997 démontrent que ce rachat d'AOM a été réalisé de manière illicite par rapport aux règlements de Bruxelles. En effet, il s'agissait d'une entreprise non communautaire - Swissair - qui se retrouvait leader dans le domaine du transport aérien et leader d'une compagnie aérienne française.

Je signale qu'à cette époque la Direction générale de l'aviation civile et les ministères connaissaient cette opération et que rien n'a été entrepris pour revenir sur une situation illicite, malgré les demandes répétées des représentants des salariés.

En mai 2000, Swissair et Marine Wendel rachètent Air Liberté. Du mois de janvier au mois de mai, les représentants des salariés n'ont jamais été informés de cette vente par British Airways. Nous savions que deux opérateurs étaient intéressés : d'une part, Marine Wendel-Swissair, d'autre part, Air France. Bercy et Bruxelles interdisent à Air France de reprendre Air Liberté au nom de la concurrence et de la répartition des slots d'Orly, c'est donc Swissair qui nous rachète contre notre volonté, puisque nous estimions que la proposition la plus intéressante pour les salariés, et la plus opérationnellement viable, était le rachat par Air France. Malheureusement, la volonté politique était de faire un deuxième pôle aérien français, qui n'avait aucune chance de concurrencer Air France et qui était donc déjà en grande difficulté avant de commencer.

Je rappelle que parmi les conditions de reprise, le tribunal de Créteil, qui était chargé du redressement judiciaire d'Air Liberté en 1996, avait ordonné à Swissair-Marine Wendel de recapitaliser la nouvelle entreprise de 2 milliards de francs. Nous étions au début du mois de juillet 2000, mais cette recapitalisation n'a pas été faite immédiatement : si 1 milliard a été payé par Swissair dès le mois de juillet, le second milliard n'a été versé par Marine Wendel qu'en décembre, là aussi avec un montage douteux - bien que je ne sois pas en état de vous le démontrer - passant par une banque italienne, revenant à Marine Wendel par une espèce de changeur de monnaies luxembourgeois.

Cela est très important, car rien ne peut se faire sans cette recapitalisation : or celle-ci se termine en décembre 2000. Ce qui veut dire que de juin à décembre 2000, rien n'a pu être entrepris : pas de rapprochement concret entre AOM et Air Liberté, pas de demande de slots, pas de demande de licences d'exploitation, pas de mariage en fin de compte. Nous nous trouvions donc dans une situation qui ne nous permettait pas d'exercer notre métier dans de bonnes conditions.

Le 19 juin 2001, Swissair-Marine Wendel déposent le bilan. A cette époque, l'entreprise perd 500 millions de francs par mois, payés par les Suisses et non pas Marine Wendel. Swissair décide donc d'abandonner ses parts de participation, entre autres dans Sabena, Air Liberté, AOM, Air Littoral et dans d'autres entreprises.

Nous avions assisté aux assemblées générales suisses, et nous avions obtenu de M. Corti, président de Swissair, pour le redémarrage de cette nouvelle société AOM-Air Liberté, 2 milliards de francs. Or le 16 et le 27 juillet, dates des procédures, la somme est tombée à 1,5 milliard de francs. Tout cela parce que M. Rochet, qui était à l'époque président d'AOM-Air Liberté, a fait une proposition - illégale puisqu'il était l'auteur du dépôt de bilan - de 1,4 milliard de francs, probablement en accord avec son actionnaire suisse ; mais cela, je ne puis vous le démontrer. Jean-Charles Corbet a donc fait une proposition de rachat à 1,4 milliard. Je dois dire, pour l'avoir vécu, que le ministère de l'époque a accepté cette proposition en précisant - puisque le projet était à 1,8 milliard - qu'il s'arrangerait pour obtenir, dans les meilleurs délais, les 400 millions manquants. Cette entreprise partait donc déjà handicapée.

M. le Président : Qui a dit cela ?

M. Gilles NICOLI : Il s'agissait d'une proposition verbale faite au ministère.

M. le Président : Avant la décision du tribunal ?

M. Gilles NICOLI : Il s'agissait d'un engagement verbal du ministère. M. Corbet, à cette époque, se posait la question de savoir s'il continuait avec un projet estimé à 1,8 milliard en le diminuant pour l'ajuster à 1,4 milliard de francs ou s'il abandonnait. Car, dans son esprit et également dans le nôtre, les Suisses s'étant engagés à 2 milliards de francs, nous n'étions pas prêts à accepter un projet diminué de 0,4 milliard de francs.

M. le Rapporteur : Avez-vous entendu cette promesse et celle-ci a été donnée par qui ?

M. Gilles NICOLI : Par les conseillers du ministre. On était tous réunis avec MM. Ricono et Amar, je crois ; je ne sais plus exactement. Il fallait trouver une solution ; je pense qu'il y en avait d'autres possibles en matière de recapitalisation, mais il s'agissait d'explorations très lointaines. Il y avait également des possibilités de participation dans les DOM... La possibilité existait donc en partant d'1,4 milliard d'arriver à 1,8 milliard. Mais nous n'avions pas prévu les attentats du 11 septembre. Je vous rappelle que l'entreprise perdait depuis trois mois 500 millions de francs par mois ! C'était une gabegie incroyable !

M. le Président : Je crois qu'il y avait, à cette époque, trois propositions qui étaient faites au niveau du tribunal. Qu'est-ce qui vous a conduit, en tant que syndicalistes, à soutenir la proposition de M. Corbet après les discussions au ministère ? Et à quelle date tout cela s'était-il passé : avant ou après le jugement ?

M. Gilles NICOLI : Le jugement a été très long. Il y a eu plusieurs étapes. Tout d'abord, la reprise du passif, puis le redressement judiciaire, et enfin, la reprise sans participation au passif. Cela s'est donc passé à cette période, entre le 1er juin et le 31 juillet.

M. le Rapporteur : Juste avant la décision du tribunal ?

M. Gilles NICOLI : Oui. Nous avons discuté très franchement avec le ministère et l'ensemble des repreneurs. En France, pour réussir un projet aérien, il est indispensable d'avoir la force du ministère de tutelle de son côté. Nous avions la volonté de sauver l'entreprise, nous devions donc construire un projet commun.

Pourquoi avons-nous choisi Holco et non Rochet ? Parce que le projet Rochet n'était plus crédible aux yeux des salariés qui étaient unanimement contre lui. Il y a eu trois périodes Rochet : la période faste d'AOM, où Rochet était président ; celle où il a repris TAT pour British Airways et Air Liberté ; enfin, celle où il est intervenu comme sauveur pour le compte des Suisses, en février 2001. Mais son rôle, dans cette dernière période, était de liquider l'entreprise. Il n'était donc plus crédible, voire même hors jeu juridiquement du fait de sa position de mandataire ayant déposé le bilan ; c'est ce que nous a dit le président du tribunal de commerce de Créteil.

M. le Rapporteur : Le projet Rochet était donc, selon vous, inacceptable en termes social et juridique.

M. Gilles NICOLI : Tout à fait. Le deuxième dossier, le dossier FIDEI, n'était pas non plus crédible ; il reprenait d'ailleurs des données du plan Rochet. La troisième solution était le plan Corbet qui avait trouvé un soutien auprès des représentants des salariés et du ministère. C'est la raison pour laquelle nous pensions pouvoir y arriver. Mais la décision appartenait au président du tribunal de commerce de Créteil. Ce fut une séance très dure, mais si c'était à refaire, je le referais.

M. le Président : Je comprends qu'il est délicat de faire un tel choix, mais nous aimerions savoir quels critères vous ont amenés à choisir l'offre de M. Corbet, en termes d'investissement. En ce qui concerne les garanties d'investissement, quels éléments M. Corbet a-t-il apportés ? Avez-vous entendu parler d'investisseurs ? Qui étaient-ils et comment ont-ils été désignés, et y avait-il des éléments probants de leur volonté d'investir ?

M. Serge MONNIN : Je vais vous répondre car cette question concerne, au premier chef, le comité d'entreprise. Le jugement du 27 juillet fait clairement référence à la position et au soutien du comité d'entreprise sur le choix d'une offre. Nous devions trouver une offre - et aucune n'était malheureusement satisfaisante - et il s'agissait d'une alternative à la liquidation. Il faut comprendre les choses complexes et quelque peu romanesques que nous avons vécues au comité d'entreprise et au tribunal.

Les offres de Rochet et de FIDEI étaient à l'origine une seule et même offre : FIDEI soutenait un projet élaboré par M. Rochet. Il y a eu une dissension au sein des partenaires, l'avocat de FIDEI est donc venu au tribunal avec un élément de paper board déplié pour prouver qu'il avait été fait par M. Rochet. Cela nous a semblé totalement indécent compte tenu de l'enjeu. L'offre de Rochet et de FIDEI était totalement décrédibilisée par la façon dont elle s'est délitée toute seule : FIDEI n'avait aucune compétence dans le domaine aérien et M. Rochet, juridiquement, n'était pas en mesure, en tant que dirigeant, de présenter une offre. Sans compter que socialement, cette offre était inacceptable.

Aucune des offres ne présentait d'investisseurs, celle de M. Corbet pas plus que les autres, et aucun appui financier n'était crédible. Le seul élément, c'est que M. Corbet se présentait avec l'appui d'une grande banque canadienne - que nous ne connaissons pas - qui nous a présenté une lettre d'évidence de fonds à hauteur de 80 millions de francs. Il était donc le seul à mettre de l'argent sur la table. FIDEI était prête, quant à elle, à mettre 100 millions de francs à l'issue du processus, c'est-à-dire une fois qu'il aurait touché les 2 milliards des Suisses.

Nous savions donc qu'il n'y avait pas d'investisseur derrière ces différents projets, mais nous croyions à la possibilité de construire, à côté d'Air France, un projet aérien solide. Malheureusement il y a eu les attentats du 11 septembre.

M. le Président : Vous confirmez donc bien l'existence d'une lettre d'évidence de fonds présentée par la CIBC canadienne ; mais il ne s'agissait pas d'un engagement financier.

Avez-vous entendu parler de ce pôle d'investisseurs de 80 millions de francs ? M. Corbet en a-t-il parlé au cours de vos discussions ?

M. Serge MONNIN : Non. De mémoire, il n'y avait aucun investisseur derrière M. Corbet.

M. Gilles NICOLI : Il était prévu que des investisseurs arrivent le plus tôt possible, mais il n'y avait rien de concret. Il est difficile, dans le transport aérien, de trouver des investisseurs ; vous en avez la démonstration aujourd'hui.

M. le Président : Avez-vous entendu parler d'un accord « actions contre salaire »  que M. Corbet aurait proposé à hauteur de 240 millions de francs, je crois ?

M. Serge MONNIN : Cela est complexe, mais je n'ai pas entendu parler de ce chiffre. Il est vrai que cette offre de M. Corbet est intervenue d'une manière progressive. C'est un ancien pilote de TAT qui l'a introduite : M. Jean Immediato, membre du SNPL comme M. Corbet, l'a présenté au comité d'entreprise. Pendant, très longtemps, cela ne nous paraissait pas crédible, mais au fur et à mesure des rencontres, nous avons appris que cela était appuyé par les fonds Concorde qui ont fait la participation capitalistique des navigants techniques chez Air France. Nous avons rencontré toutes les équipes, or pour ce qui concerne FIDEI nous n'avons rencontré que deux personnes : MM. Delepoule et son acolyte, qui est intervenu très peu de temps après pour le rachat de Moulinex, un domaine qu'il ne devait pas mieux connaître que celui de l'aérien. Cela explique aussi la façon dont on choisit une offre. M. Rochet avait la compétence technique, mais pas FIDEI. Les personnes qui s'occupaient du projet de M. Corbet connaissaient le métier.

Par ailleurs, M. Corbet était entouré d'une équipe, avec M. Bachelet, qui venait d'Air France Cargo, des personnes de la DRH, Pierre-Yves Lagarde, que nous avons rencontré pour discuter, avant même que l'on prenne position en tant que syndicat. Ces gens connaissaient bien le domaine aérien. Nous avons eu des discussions approfondies sur les moyens d'harmoniser les conditions de travail, de salaire, de classification entre les personnels d'AOM et d'Air Liberté. Nous nous sommes mis d'accord sur les grandes lignes, en ce qui concerne le personnel au sol, et du côté des navigants, notamment des pilotes, nous étions convenu d'une charte. Dans cette charte, se trouvait en effet une proposition, pour les pilotes, de réduction de 10 % du salaire contre une montée au capital de 34 %.

M. le Président : Cette charte a-t-elle été respectée ?

M. Gilles NICOLI : Non, mais l'accord n'a été respecté par aucune des parties.

M. le Rapporteur : L'accord a été signé ?

M. Gilles NICOLI : Il s'agissait d'une charte qui avait été signée entre les deux parties avant le passage au tribunal, et qui devait être suivie d'un accord sur une baisse de 10 % de salaire contre 34 % d'actions pour l'ensemble du personnel. Mais au mois de septembre 2002, nous discutions encore de ces 34 % d'actions et de la manière de conclure cet accord.

M. Serge MONNIN : Dernièrement, des réunions ont été organisées au sein du comité d'entreprise à travers la commission économique, auxquelles Pierre-Yves Lagarde, qui était un consultant de M. Corbet, a participé. Cette charte était un engagement mutuel, mais la reprise d'une entreprise, dans les conditions que l'on vient de décrire, ne peut être menée qu'avec la bonne volonté de chacun.

M. Xavier de ROUX : Je voudrais remettre les masses financières à plat, afin de comprendre comment tout cela pouvait tenir debout. Vous nous avez dit tout à l'heure que l'entreprise perdait 500 millions de francs par mois, ce qui veut dire que l'apport de Swissair de 2 milliards de francs représentait quatre mois de perte. Ce qui n'est pas grand-chose.

M. Gilles NICOLI : Swissair, avant de donner 1 franc, a fait signer aux représentants des salariés une clause de non attaque - ce qui est illégal. Nous avons signé, car nous n'avions pas le choix.

M. Xavier de ROUX : Je souhaiterais aller au bout de ma question. 500 millions de pertes par mois pendant quatre mois correspond à l'apport de 2 milliards des Suisses. Il y avait donc cette première contribution en capital - qui risquait d'être mangée rapidement - et un apport bancaire de la banque canadienne. Mais comment les apports bancaires étaient-ils garantis ?

M. Serge MONNIN : Il n'est pas tout à fait juste de dire que les 2 milliards de francs représentaient quatre mois de survie de l'entreprise, car 1 400 personnes ont été licenciées à ce moment-là. Le business plan accepté par les Suisses devait générer un certain nombre d'économies. On ne repartait donc pas avec 500 millions de francs de pertes par mois.

En ce qui concerne les garanties, il convient d'être clair, une lettre d'évidence de fonds n'est pas une garantie. Il n'y avait donc aucune garantie financière dans ce plan et le tribunal de commerce a d'ailleurs fait remarquer qu'aucun des plans ne répondait à des conditions favorables en termes de financement. Nous avons donc pris position en toute connaissance de cause ; le travail restait à faire après le rachat. La condition sine qua non à la réussite du plan était de trouver ensuite des investisseurs.

Les Suisses devaient nous verser non pas 2 milliards de francs mais 1,5 milliard. En réalité, ils n'ont versé qu'1,050 milliard, somme que nous allions grignoter jusqu'à ce que nous tombions dans un trou à moins de trouver un investisseur. C'était la règle du jeu et nous la connaissions. Par ailleurs, nous ne pouvions pas prévoir les attentats du 11 septembre.

La décision du comité d'entreprise, à l'époque, était la bonne. Il s'agissait d'un enjeu considérable au niveau social et ce plan me paraissait - et me paraît toujours - crédible sur le plan économique. Je trouve terrible ce qui arrive à notre compagnie aérienne, car je reste persuadé qu'elle a sa place à côté d'Air France, en proposant un produit complémentaire. Nous l'avons tenté. Quel que soit le jugement que l'on peut porter sur IMCA ou Virgin, qui sont des industriels de premier ordre, ces sociétés y ont cru comme nous. Cela conforte la décision que l'on a prise à ce moment-là.

M. Gilles NICOLI : Les résultats d'août, septembre et octobre 2001 - avec le 11 septembre entre-temps - ont été une perte de moins de 500 millions. S'il n'y avait pas eu le 11 septembre, ces pertes auraient peut-être été de 250 ou 300 millions et nous pouvions repartir au mois d'avril, avec la saison été toujours plus favorable pour le transport aérien.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué tout à l'heure le problème de l'intervention éventuelle du fonds commun de placement Concorde. M. Corbet vous a-t-il parlé d'une négociation avancée avec ce fonds commun, qui aurait pu intervenir dans la reprise d'Air Liberté à hauteur d'1 milliard de francs ? Connaissiez-vous ce fonds et sa solidité financière ? Ce problème a-t-il été évoqué lors des discussions préalables ?

M. Gilles NICOLI : Avec nous, non. Je sais que le fonds Concorde existe et qu'il est lié à Air France, mais il n'a jamais été question qu'il entre dans le capital d'Air Liberté.

M. le Rapporteur : Certaines personnes ont prétendu que des promesses avaient été faites en ce sens.

M. Serge MONNIN : Nous n'en avons jamais entendu parler.

M. Gilles NICOLI : M. Corbet nous a été présenté comme le président du fonds Concorde, mais cela s'est arrêté là.

M. le Président : M. Immediato, lors des discussions qu'il a eues avec vous, ne vous a jamais laissé penser que le fonds de placement pouvait intervenir ?

M. Serge MONNIN : A aucun moment. Il s'est appuyé sur le savoir-faire qui avait été développé à l'époque par M. Corbet, mais à aucun moment il n'a été question d'établir un lien capitalistique ou autre avec le fonds Concorde. Sinon, nous aurions cherché à rencontrer des représentants du fonds.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit que la fameuse charte avait été signée par tout le monde mais qu'elle n'avait pas été appliquée par les parties, M. Corbet n'ayant pas tenu ses engagements. Sur quel point portait le non-respect de l'accord de la part de M. Corbet ?

M. Gilles NICOLI : Il était en effet question d'une charte dans le plan qui a été présenté au tribunal. Si elle n'a pas été signée par tout le monde, elle l'a été par une majorité de représentants syndicaux PNT et il était question d'un échange salaire contre actions.

Pour les autres personnels - personnel au sol, etc - rien n'a été avancé à ce moment-là car nous étions davantage dans le cadre de la reprise de notre entreprise, du maintien de notre outil de travail. Nous pensions que nous disposions d'un bel outil de travail qui avait été mal utilisé et que l'on pouvait construire autre chose à côté d'Air France.

M. le Rapporteur : C'est sur ce point que M. Corbet n'a pas respecté son engagement ?

M. Gilles NICOLI : Je n'ai pas dit cela. Je vous ai dit que les engagements n'avaient pas été tenus par les deux parties. Je ne saurais vous dire quelle partie en est responsable.

M. le Rapporteur : Quelles mesures ont-elles été prises ? La baisse de 10 % des salaires des pilotes contre 34 % des actions pour l'ensemble des salariés ? Le blocage des rémunérations du personnel navigant commercial ? L'harmonisation des statuts ? Pouvez-vous nous dire ce qui a été mis en œuvre ?

M. Gilles NICOLI : L'harmonisation des statuts, au niveau du personnel au sol. Le dernier accord a été signé pour une application au 1er août 2002.

M. le Rapporteur : Cette harmonisation s'est-elle faite à la hausse ou à la baisse par rapport à la masse préexistante ?

M. Gilles NICOLI : A la hausse. Mais je vous rappelle qu'il s'agit du personnel au sol chez qui les écarts sont minimes et qui touchait un salaire en dessous de celui du marché. Les cinq premiers coefficients conventionnels sont en dessous du Smic. A l'époque d'Air Liberté, un salaire était constitué avec le 13e mois : on le divisait par 12 et l'on faisait un mois de salaire. Les plus hauts salaires, eux, n'ont pas été remontés.

M. le Rapporteur : L'harmonisation portait donc, en gros, sur 5 % à 7 % ?

M. Gilles NICOLI : A peu près, oui.

M. le Président : Après quelques mois, le tribunal a accordé l'autorisation du transfert d'actifs. Quelle a été la réaction de votre syndicat par rapport à ce transfert d'actifs ? D'autres syndicats ont-ils protesté de manière forte et négative ou tout le monde l'a-t-il accepté ?

M. Gilles NICOLI : Au mois d'août, Swissair n'avait pas payé et Air Lib était en location-gérance chez Holco, après convention entre Holco et les administrateurs, ce qui était un montage très compliqué. Nous étions donc très favorables à ce que les actifs soient restitués à l'entreprise et je ne me souviens pas que quiconque ait protesté.

M. le Président : Je vous demande si vous aviez protesté contre la décision du tribunal, de septembre, d'accepter que les actifs soient transférés dans les filiales à l'étranger ?

M. Gilles NICOLI : Non.

M. le Président : D'autres syndicats ont-ils protesté ?

M. Gilles NICOLI : Je ne pense pas. Pas à cette époque. Mais beaucoup plus tard, effectivement, certains ont protesté.

M. Serge MONNIN : Le transfert d'actifs s'est fait, mais la visibilité du comité d'entreprise - du fait de la loi - s'arrête aux frontières de notre entreprise. Sous la présidence de M. Rochet nous étions au sein d'une entreprise dont les avions, la maintenance technique et un certain nombre d'autres activités étaient déjà transférées à l'extérieur. Nous n'avions pas la possibilité de constater le transfert, mais à notre connaissance il s'est fait plutôt en simplifiant la structure de l'ensemble de la holding.

Il y avait plus d'avions à l'époque - et de types différents - qui se trouvaient dans des filiales, selon les avantages fiscaux, en Hollande ou ailleurs. Le transfert - une fois chez Holco - s'est fait dans le sens d'une simplification de la structure du groupe. Malheureusement, la loi ne nous donne pas le droit d'aller voir chez Holco comment est constitué le capital.

M. le Rapporteur : On nous a dit qu'en février dernier la direction d'Air Lib avait remis au comité d'entreprise une note d'information sur l'utilisation des fonds versés par Swissair. Confirmez-vous cette information, et pouvez-vous nous fournir une copie de cette note, et si oui, qu'y a-t-il dedans ?

M. Serge MONNIN : Nous avons eu des éléments d'information à plusieurs reprises, mais avant février ; j'ai retrouvé un procès-verbal du comité d'entreprise où M. Bachelet évoquait la façon dont la somme avait été utilisée. Avec beaucoup d'incertitudes apparemment puisque, étant dirigeant d'entreprise et non pas représentant des actionnaires, il se limitait dans ses propos, volontairement ou non.

Nous avions le sentiment que cette somme - le milliard versé par les Suisses - était davantage due aux salariés qu'à M. Corbet, sachant bien qu'il n'y avait pas que les salariés d'Air Liberté et d'AOM à faire vivre, mais qu'il y avait aussi un certain nombre de filiales. Pour des raisons fiscales, il n'était pas question de rapatrier les avions dans Air Lib ; nous avions donc conscience qu'il y avait un montage capitalistique complexe. Certaines fonctions étaient externalisées, telles que la restauration, la maintenance et il existait des filiales d'assistance aux Antilles. La structure était forcément complexe. Nous l'acceptions mais nous ne fermions pas les yeux.

C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à avoir une vue plus large que celle que nous accordent les prérogatives d'un comité d'entreprise, et nous avons commencé, avec difficulté il est vrai, à obtenir des informations.

Je ne sais pas si c'était en février, mais les gens de Secafi Alpha ont eu connaissance dernièrement des rapports établis par KPMG et Mazars qui sont intervenus avant que l'Etat ne délivre le prêt FDES et que Francis Mer accepte que l'on continue à ne pas payer les charges sociales. Sur ce point, il convient d'interroger nos experts, car je n'ai jamais eu ces rapports en main ; ils ont été remis à titre confidentiel à nos experts et à l'avocat du comité.

M. le Président : Vous n'avez pas la note d'information de février denier ?

M. Serge MONNIN : De mémoire, il s'agissait d'une note faite sur la base de ces rapports.

M. le Rapporteur : Une note aurait été remise par la direction d'Air Lib au comité d'entreprise.

M. Gilles NICOLI : Effectivement, une note a été remise au comité, et certainement en février 2002, car il s'agit du dernier versement qu'Holco a effectué à l'entreprise Air Lib, et le montant des sommes restituées doit être d'environ 670 millions de francs.

M. le Président : Pourriez-vous nous transmettre cette note ?

M. le Rapporteur : Avez-vous commencé à vous inquiéter au vu de ces chiffres ?

M. Serge MONNIN : Nous vous transmettrons cette note, si nous la retrouvons. Mais j'ai l'impression qu'il s'agit d'une note réalisée par Secafi Alpha au vu du rapport Mazars ; elle a fait beaucoup de bruit, car elle a été diffusée dans la presse presque immédiatement.

M. le Président : Non, je pense qu'il s'agit plutôt de la note dont parlait M. Nicoli.

M. Serge MONNIN : Je voudrais finir sur la réaction que nous avons pu avoir à l'époque. Secafi Alpha se posait un certain nombre de questions sur les sommes qui pouvaient rester dans certaines filiales, notamment dans la filiale Mermoz - où se trouvaient les avions - et Holco Lux - filiale financière. Mermoz disposait de 14 millions d'euros et SECAFI ALPHA se demandait s'il s'agissait d'une réserve de maintenance qui avait été, ou non, consommée ; Holco Lux, elle, disposait de 5 millions. Nous nous sommes intéressés à cela, mais il ne s'agissait pas de sommes qui pouvaient sauver l'entreprise, or le rôle du comité d'entreprise est l'intérêt des salariés et la sauvegarde de l'entreprise.

Quant à savoir si la réserve de maintenance a été ou non utilisée, la question est posée ; Secafi Alpha s'en occupe, mais cela ne remettra pas en cause la vie de l'entreprise. Ils ont été très clairs : les sommes restant chez Holco ne peuvent en aucun cas peser sur l'avenir de l'entreprise. Que certains s'en préoccupent pour taquiner Corbet c'est une chose, mais, pour un comité d'entreprise, rien n'est pire que ce type d'insinuations quand on cherche un investisseur.

M. le Rapporteur : Le 10 mars dernier, des experts-comptables mandatés par le comité d'entreprise ont remis un rapport soulignant des zones d'ombre dans les comptes d'Holco et ses filiales.

M. Serge MONNIN : C'est faux, le rapport ne souligne pas de zones d'ombre mais pose des questions.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous préciser les conditions dans lesquelles le comité d'entreprise a décidé de mandater des experts-comptables ainsi que le contenu de ce rapport, et, s'il existe, pouvez-vous nous en fournir une copie ?

M. Serge MONNIN : Je pense que vous faites référence au gros rapport que j'ai là qui s'intitule « Projet de rapport sur la situation de l'entreprise ». Ce rapport est récent, il m'a été remis il y a deux mois peut-être ; il porte sur l'exercice clos le 31 mars 2002 et procède à l'examen des comptes tel que défini par la loi.

Conscients de la situation particulière dans laquelle nous nous trouvions, nous les avons mandatés sur l'examen des comptes d'une manière élargie afin qu'ils aient accès à tous les éléments d'information concernant notre situation. Ce rapport soulève donc un certain nombre de points qui ne sont pas éclaircis, mais je ne pense pas, de mémoire, que l'on puisse parler de zones d'ombre.

M. le Président : Des points qui ne sont pas éclaircis, cela s'appelle des zones d'ombre.

M. Jean-Claude LEFORT : Monsieur le rapporteur, de qui parlez-vous lorsque vous dites «on nous a dit»...

M. le Rapporteur : Tout simplement de la presse. J'ai posé la question de savoir si le comité d'entreprise a mandaté des experts-comptables, la réponse est oui. A la question «y a-t-il des zones d'ombre ?», M. Monnin m'a répondu : « non, mais il y a des choses à éclaircir ».

M. Serge MONNIN : Je réagissais au terme « souligne des zones d'ombre », car ce n'était pas la substance de ce rapport. Mais bien entendu, plus que jamais, dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, il existe des interrogations que le comité d'entreprise doit creuser. On est dans une situation de reprise extrêmement complexe.

M. le Rapporteur : Le comité d'entreprise a-t-il examiné ce rapport ?

M. Serge MONNIN : Nous n'avons pas le rapport final, celui-ci est un projet de rapport et à ma connaissance il n'y a pas eu de rapport sur l'examen des comptes. Mais ce projet de rapport nous l'avons lu, il porte sur les comptes clos en février 2002 ; ce n'est plus d'actualité compte tenu de la situation de l'entreprise.

M. Xavier de ROUX : Je ne parviens pas à me retrouver dans les masses financières nécessaires à la reprise de l'entreprise. Vous nous disiez tout à l'heure, Monsieur Monnin, que les 14 millions d'euros de la filiale Mermoz n'avaient pas d'influence sur la situation de l'entreprise. Que voulez-vous dire par là ?

M. Serge MONNIN : D'après Secafi Alpha, il se pourrait que ces 14 millions d'euros non « identifiés » représentent une réserve de maintenance dont on ne sait pas ce qui a été consommé. Bien entendu, s'il reste 14 millions d'euros, cela représente une somme importante qui permet de payer, par exemple, une période de redressement judiciaire. Encore que le jugement du 17 février, alors que M. Corbet disait qu'il avait les moyens de payer une période de redressement judiciaire, s'appuie expressément sur le fait que l'on n'avait plus de licence d'exploitation pour justifier la liquidation. On voit donc bien, dans ce jugement, que ce n'est pas la somme qui restait en caisse - qui permettait de payer un mois d'exploitation - qui a motivé la liquidation.

M. Xavier de ROUX : Ce que vous dites est important : restait-il, oui ou non, des réserves ? Un certain nombre d'engagements ont été pris à l'égard des créanciers ; vous dites qu'il y avait des réserves dont on ignorait le montant.

M. Serge MONNIN : Je ne sais pas s'il y avait des réserves.

M. Xavier de ROUX : Ces 14 millions constituaient probablement une réserve.

M. Serge MONNIN : Je ne sais pas s'ils ont été consommés. Cela dépasse les prérogatives du comité d'entreprise.

M. Gilles NICOLI : 14 millions de réserve pour les visites d'avions, ce n'est pas aussi important qu'on pourrait le penser. Car dès que l'on a fini de payer une visite, il convient de mettre de l'argent de côté pour la prochaine. Mais là, l'argent se trouve dans une filiale qui n'est pas celle de notre entreprise, nous ne pouvons donc pas en connaître le montant.

M. le Président : Je voudrais poser une question sur les fonds publics qui ont été versés à l'entreprise, le prêt FDES, puis sur le premier moratoire et le second, à savoir 120 ou 130 millions d'euros. Comment l'entreprise a-t-elle vécu l'arrivée de ces fonds publics et, selon vous, comment ont-ils été utilisés compte tenu de l'organisation des filiales ?

M. Gilles NICOLI : Le 2 octobre, les Suisses font faillite et il nous manque 60 millions d'euros. L'idée du GIE fiscal est alors émise, qui d'ailleurs devait déjà avoir germé dans l'esprit des politiques, M. Ricono et les autres, au moment de la reprise. Ce GIE fiscal a été fait pour l'achat de deux A340 de Flightlease, filiale de Swissair, qui avait versé 54 millions d'euros en déposit à Airbus. Il y a donc eu une négociation entre Airbus, le Gouvernement et Holco pour le déposit qui, d'après nos informations, devait servir de réserve pour Air Lib. Plus tard, cette somme a disparu.

M. le Président : Pourquoi le GIE n'a-t-il pas été constitué à ce moment-là ?

M. Gilles NICOLI : Pour des raisons bancaires, des histoires qui nous dépassent. Tout le monde était d'accord ; il aurait dû être fait avant le mois de décembre.

M. Serge MONNIN : Il ne s'est pas fait parce que des informations ont paru dans la presse : notamment l'intervention éventuelle de la Caisse des dépôts qui avait été évoquée au comité d'entreprise. Malheureusement, le lendemain, cette information a été publiée dans la presse ; la Caisse des dépôts - en tout cas d'après M. Corbet - se serait retirée à cause de cela et le montage est tombé à l'eau.

M. Gilles NICOLI : La situation fin décembre 2001 est la suivante : le GIE n'a pas été monté, les Suisses n'ont pas versé les 60 millions d'euros. Nous sommes de nouveau en grande difficulté de trésorerie et il convient de trouver une solution. Or de nombreuses autres entreprises ont été aidées après le 11 septembre, en particulier aux Etats-Unis ; nous, on nous a fait un prêt FDES de 30,5 millions d'euros.

Ce prêt était conditionné au GIE fiscal qui devait se faire, si possible, avant les élections. 15 millions d'euros ont été versés le 9 janvier 2002, le reste devant l'être le 17 février en même temps que les 5 millions d'euros que devait verser Holco à Air Lib. Toutes les sommes publiques sont versées non pas à Holco mais à Air Lib ; nous sommes là dans une situation beaucoup plus claire que pour le versement de la contribution de Swissair pour laquelle on n'a pas toutes les données.

Le prêt FDES est accordé après un audit réalisé par Mazars et il prévoit le montage indispensable du GIE. Il était prévu, en février 2002, de monter une SEM avec les collectivités locales, notamment de la Réunion et de Martinique, qui devait représenter 30 millions de francs. Ils devaient rentrer dans le capital, participer au conseil d'administration afin que la voix des DOM puisse être entendue dans notre compagnie.

Tout est gelé en avril, pendant la période électorale. Le GIE n'est toujours pas monté. Fin mai, tout est à refaire, les accords ne sont plus les mêmes. En outre, les médias nous enfoncent et des messages ne passent pas bien, notamment celui de notre ministre qui déclare, fin juin : «Nous allons siffler la fin de la récré pour Air Lib» ! Cette déclaration a eu des effets désastreux sur notre clientèle et donc sur nos finances.

M. le Président : Trois conditions étaient requises pour la création de ce GIE en juillet 2002 : l'autorisation du Trésor, la nécessité de trouver des investisseurs et l'achat de deux avions, ceux qui ont ensuite été vendus à Air Tahiti Nui. Le Trésor ayant donné son accord, pourquoi ce GIE n'a-t-il pas été créé ?

M. Gilles NICOLI : Je ne suis pas dans le secret des dieux ! Une des conditions était la nécessité d'un investisseur ; or, je vous l'ai dit, dans ce secteur d'activité, il est très difficile d'en trouver. C'est certainement là que se situe la faiblesse de ce dossier. Par ailleurs, nous avons été enfoncés par les médias : comment voulez-vous trouver un investisseur dans un tel contexte ?

Mme Odile SAUGUES : Mes questions s'adressent à MM. Nicoli et Lamade, les représentants du syndicat CFDT.

Lors de l'annulation de la licence d'exploitation d'Air Lib, vous avez déclaré, Monsieur Nicoli, que la responsabilité incombait au seul ministre des transports. Quels sont les éléments qui vous ont conduits à formuler ce jugement ?

Sur le site de la CFDT, un article consacré à Air Lib a été mis en ligne le 13 février dernier. On y lit notamment que le gouvernement aurait provoqué la disparition d'Air Lib pour des raisons politiques et favorisé d'autres solutions plus à sa convenance. Comment vous êtes-vous faits cette opinion et que pensez-vous de la redistribution des slots d'Air Lib ?

Enfin, quelle est votre appréciation sur les promesses de reclassement des 1 000 salariés d'Air Lib par Air France ? Comment avez-vous accueilli cette annonce et quel bilan pouvez-vous faire des reclassements précédents ?

M. Gilles NICOLI : J'essaie depuis le début de notre entretien de démontrer qu'il s'agit d'un dossier politique. Le transport aérien est un sujet très politique, la France est un petit territoire, la concurrence est difficile à mettre en place. Le ministère Gayssot voulait éviter la privatisation d'Air France ; il était intéressant, pour ce ministère, d'avoir une compagnie qui soit présente et assure une concurrence. En revanche, le nouveau ministère veut privatiser Air France et dans ce contexte, les annonces faites depuis le mois de juin - je vous en ai cité une tout à l'heure - ont eu un effet dramatique sur notre entreprise. Je vous rappelle également que pendant les vacances de M. Chirac, au mois d'août à la Réunion, des annonces ont été faites, notamment sur la compagnie et reprises par les journaux locaux : «Air Lib est mort».

Ensuite, l'idée de la constitution d'une compagnie DOM, dans un secteur d'activités qui s'écroulait aux Antilles, a été émise. Il y avait certainement des choses à faire, mais certainement pas de tuer la compagnie qui a toujours travaillé avec les DOM. La SEM, créée par les collectivités locales de la Réunion, a renforcé Air Austral, nous privant encore de capitaux !

Je suis membre du Conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM), et lors du dernier Conseil, j'ai démontré qu'il existait un repreneur potentiel : IMCA. Ce n'était peut-être pas le bon, certes, mais il y avait toutes les chances que cela puisse marcher à condition de donner du temps au temps. Les discussions se sont mal engagées : le GIE n'a pas pu se faire et les Airbus ont été achetés par Tahiti Nui. Je suis persuadé qu'il y a eu une volonté de nous détruire. Des ultimatums tombaient chaque jour menaçant de nous retirer notre licence d'exploitation. Comment voulez-vous reconstruire une société dans de telles conditions ?

En ce qui concerne la redistribution des slots, c'est encore pire ! La CMA/CGM soit le plus grand armateur français, une société solide, et Virgin Express, une compagnie à bas coûts qui, en revanche, ne me convient pas, veulent reprendre Air Lib. Or la liquidation est prononcée alors que le redressement aurait créé de meilleures conditions pour les repreneurs. En effet, ils ne veulent reprendre que 1 000 salariés ; la liquidation de l'entreprise les oblige à gérer 1 500 contentieux. Ils se retrouvent avec l'obligation de reprendre 2 500 salariés. Un contexte juridique doit donc être mis en place ; malheureusement les slots sont redistribués par le Cohor.

J'en reviens à ma première impression. En 2001, AOM-Air Liberté et Air Littoral représentaient 60 000 slots ; hier ils n'en avaient plus que 45 000. Or ces 45 000 ont été saupoudrés entre plusieurs compagnies, l'une d'entre elles a reçu cinq slots pour Toulouse : deux vols le matin, deux vols le soir, un vol en milieu de journée ; alors qu'Air Lib assurait dix vols.

M. le Président : Notre commission enquête sur les événements intervenus avant la liquidation, Monsieur Nicoli.

M. Gilles NICOLI : Cela explique pourtant beaucoup de choses.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance des salaires des dirigeants d'Air Lib - de MM. Perri, Bachelet, Corbet - d'Air Lib entre le 1er août 2001 et le 31 mars 2002 ?

M. Serge MONNIN : Non.

M. Gilles NICOLI : J'ai eu connaissance des salaires des membres du Comité exécutif c'est-à-dire des directeurs généraux de l'entreprise - récemment d'ailleurs - car en tant que représentant des salariés, j'ai signé les états.

M. le Président : Entre le 1re août 2001 et le 31 mars 2002, M. Corbet a perçu 1 million d'euros ; M. Perri, 139 000 euros ; M. Bachelet, licencié le 15 février, 541 000 euros.

Avez-vous des appréciations à formuler sur les honoraires qui ont été versés au cabinet Léonzi et à la banque CIBC ?

M. Gilles NICOLI : Oui, nous avons un élément quant à la banque CIBC. Cette banque s'est présentée avec une lettre d'évidence de fonds de 80 millions. J'ai rencontré ses dirigeants pour la première fois au mois de juin, et je pense qu'elle avait pour mission de trouver des investisseurs pour le compte de M. Corbet. Au moment de la rupture du contrat, un dédit a été payé, d'un montant de 8 millions d'euros.

M. le Président : Vous nous avez dit que les investisseurs annoncés ne sont jamais arrivés.

M. Serge MONNIN : Je dirais non pas « annoncés » mais « attendus ».

M. le Président : Ce n'est pas exactement les informations que nous avons. La CIBC semble avoir touché plus de 8 millions d'euros d'honoraires pour des recherches d'investisseurs. Cela ne vous a pas interpellé ?

M. Serge MONNIN : Si, bien entendu ! Notamment en ce qui concerne les honoraires de la CIBC. S'agissant des salaires des patrons en France, j'ai une opinion personnelle qui dépasse le cadre du débat.

M. le Président : On peut penser la même chose sur ce sujet.

M. Serge MONNIN : La seule prestation que nous connaissions de la CIBC a été la lettre d'évidence de fonds de 80 millions de francs ! Nous nous sommes évidemment posé des questions et nos experts nous ont expliqué que le seul moyen de les payer était d'anticiper sur le résultat de leur mission. Apparemment, ce type de mission est extrêmement coûteux. Je suis agent d'enregistrement à Orly, le milieu financier n'est pas mon domaine, je ne sais donc pas combien une banque monnaye ce type de prestation.

M. le Président : Visiblement, très cher ! Et les honoraires de Maître Léonzi : 3 millions d'euros ?

M. Gilles NICOLI : C'est à vérifier, mais quoi qu'il en soit, il n'est pas le seul ; vous devriez trouver des cabinets anglo-saxons, suisses et belges. Mais je ne peux pas vous en dire plus. Vous nous posez des questions relatives aux fonds Holco, or en tant que représentants des salariés d'Air Lib, nous ne possédons que les chiffres de la filiale Air Lib.

M. le Président : Notre souci est de savoir comment divers canaux ont pu irriguer les filiales dont vous parlez. Nous aimerions donc savoir comme cela s'est passé, dans quelles conditions et dans quel intérêt pour les salariés.

Les personnes qui ont réagi sur ces transferts de fonds ont été déboutées par le tribunal de Paris au prétexte qu'elles n'avaient pas à connaître des problèmes d'Holco.

M. Gilles NICOLI : Ce qui a été versé par les Suisses, l'a été, selon nous, pour l'ensemble des salariés. Cela est important et nous ne l'avons jamais perdu de vue.

M. Serge MONNIN : Parmi les salariés concernés, il ne faut pas oublier les 600 salariés des filiales, dont 200 ou 300 chez Air Lib Technics.

M. Alain GOURIOU : Lorsque British Airways a décidé de s'en séparer, aviez-vous connaissance de la situation économique et financière d'Air Liberté ? Cette société avait-elle encore les moyens de vivre et d'assurer à la fois les services aériens et de maintenir l'ensemble du personnel ?

Lorsque Marine Wendel Swissair a repris la société, un audit a-t-il été demandé, la situation des comptes a-t-elle été arrêtée, ce qui lui aurait permis de reprendre Air Liberté en connaissance de cause ?

M. Gilles NICOLI : British Airways était déjà en difficulté. Air Liberté, qui avait pratiquement atteint l'équilibre a de nouveau plongé début 2000 à cause de l'augmentation du prix du pétrole. Certes, la société ne pouvait pas vivre seule, mais ses comptes était pratiquement équilibrés, au niveau de moins 300 millions de francs. Ce sont les longs courriers qui nous posaient problème.

S'agissant de votre seconde question, un audit avait démarré de façon secrète, puisque lorsque nous posions des questions à ce sujet, la direction nous répondait par la négative, nous assurant que British Airways était toujours notre patron. En réalité, l'audit avait commencé en janvier 2000 et pris fin à travers un accord, le 4 mai 2000. C'était le cabinet Mac Kinzey qui travaillait pour Swissair.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu des doutes quant à la capacité de M. Corbet de redresser Air Lib, et si oui, à partir de quand ?

Enfin, pensez-vous que les fonds publics ont été bien utilisés ?

M. Gilles NICOLI : S'agissant des fonds publics, il n'y a aucun mystère : 30,5 millions de prêt FDES et 120 millions d'euros avec la dette publique. Or les charges sociales sont d'environ 10 millions par mois. Les fonds publics ont été versés à partir de janvier 2002 et l'entreprise s'est arrêtée de tourner le 17 février 2003. On peut donc en conclure que les fonds publics ont permis, selon moi, de payer les charges sociales. Je ne pense pas que ces fonds soient partis ailleurs. Je pense donc que les fonds publics ont été dépensés correctement.

Par ailleurs, les medias ont eu un rôle important alors que la compagnie se redressait. Avant le 1er avril 2002, les pertes de la société sont très importantes, mais, après le lancement d'Air Lib Express et d'Air Antilles Express, le chiffre d'affaires est remonté à 58 millions en août et septembre 2002. Il est redescendu en octobre, après les premiers articles de presse, à 40 millions, puis à 35 et enfin à 30 millions.

M. Serge MONNIN : S'agissant de la capacité de M. Corbet à reprendre l'entreprise, je ne puis vous répondre. Nous avons vécu des situations inimaginables. Moi-même, je viens d'une compagnie qui a déposé son bilan en 1996, nous avons été rachetés par British Airways, puis nous avons fusionné avec TAT ; British Airways s'est « cassée la figure » ; nous sommes restés longtemps à chercher une solution ; nous avons été vendus aux Suisses alors que les salariés avaient manifesté pour aller chez Air France, non par souci de leur confort, mais parce que cette solution leur paraissait plus viable que la gestion désastreuse qui s'est mise en place à partir de mai 2000. Lorsque M. Corbet est arrivé, l'entreprise était dans un état désastreux : il n'y avait plus un passager, plus un outil de commercialisation. Le yield, c'est-à-dire la gestion des recettes, était parti à Zurich ! L'entreprise était détruite. Nous ne pouvions donc pas penser que Corbet allait la sauver.

Tout le chemin parcouru avec Corbet a été semé d'embûches. Dire que le conducteur était mauvais alors que la route était désastreuse, c'est trop facile. En réalité, nous avons des doutes, non pas sur les capacités de M. Corbet, mais sur la façon dont est organisé le secteur aérien. Les hommes politiques sont-ils capables d'avoir une réflexion sur le secteur aérien qui tienne la route ? Le dirigeant va-t-il savoir trouver des investisseurs ? Telles sont les questions que nous nous posons.

M. le Président : Je voudrais préciser la question du rapporteur. Trois plans de reprise ont été proposés ; n'avez-vous jamais eu de doutes de voir arriver les investisseurs promis ? Un repreneur, quel qu'il soit, qui propose un plan, doit trouver des investisseurs qui s'engagent à verser des fonds, autrement le tribunal de commerce ne peut l'accepter, ni le gouvernement, ni vous. On ne peut pas accepter un plan qui n'existe pas. Avez-vous donc eu des doutes sur l'arrivée de ces investisseurs ?

M. Serge MONNIN : Tous les éléments que je vous ai livrés étaient liés à l'arrivée d'un investisseur. Les relations sociales dans une entreprise déterminent la facilité à trouver des investisseurs, tout comme des événements comme le 11 septembre. Bien entendu, nous avons toujours douté. Et pas simplement sur la capacité de M. Corbet à trouver un investisseur que je ne suis pas en mesure de juger.

M. le Président : Je comprends très bien, je dis simplement qu'un plan de redressement a été conçu dans le cabinet du ministre - vous l'avez dit vous-même en citant MM. Ricono et Amar. Nous les auditionnerons et je présume qu'ils auront une réponse à nous apporter. Je n'imagine pas qu'ils aient soutenu ou proposé un plan sans avoir la certitude de l'apport d'investissements. Car nous avons l'impression depuis le début de cet entretien que les investisseurs n'ont toujours été que virtuels !

M. Gilles NICOLI : La situation était difficile, il fallait redresser l'entreprise ; mais pour faire venir les investisseurs, l'entreprise doit d'abord être redressée. La première partie du plan a été conçue, me semble-t-il, par l'ancien gouvernement et par M. Corbet, à travers le GIE. Si l'entreprise avait été remise sur les rails, je pense sincèrement qu'il était possible de trouver un investisseur. Et c'est le pari que nous avons fait. Malheureusement, une série de difficultés est survenue - le 11 septembre, le non paiement des Suisses, et le fait qu'il n'existe aucun investisseur sur le marché, comme l'a expérimenté l'actuel gouvernement.

M. le Président : Messieurs, nous sommes obligés d'interrompre cette audition, mais nous aurons l'occasion de nous revoir. Je vous remercie.

Audition de MM. Jean-Christophe Bandler et Laurent Duhayer,
délégués syndicaux CFTC
et M. Hugues Lafosse-Marin, délégué syndical UNAC

Procès-verbal de la séance du mardi 1er avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons MM. Jean-Christophe Bandler et Laurent Duhayer délégués syndicaux CFTC et M. Hugues Lafosse-Marin, délégué syndical UNAC.

Je vous laisse immédiatement la parole pour nous présenter un exposé liminaire, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les députés, je me présente : Hugues Lafosse-Marin, j'étais commandant de bord à Air Lib et je suis issu de la compagnie AOM.

Mon exposé est composé en deux parties : d'une part, les événements d'avant août 2001, et, d'autre part, l'après-2001, à savoir la décision du tribunal de commerce de Créteil de donner à Holco les rênes de la Compagnie.

Avant août 2001, la Compagnie était composée de deux entités : d'une part, AOM-les Antilles, spécialisée dans le long courrier, et d'autre part, Air Liberté, spécialisée dans le moyen courrier, mais faisant également un peu de long courrier vers les territoires et départements d'outre-mer. Aujourd'hui, nous constatons que ce qui a été défait est en train de se remonter dans chaque département, à la fois sur le long et le moyen courrier. Nous avions un réseau Paris-Nice, Paris-Marseille, et potentiellement, il y avait matière à développer un second pôle.

Je ne reviendrai pas sur les choix incompréhensibles qui ont été faits, je m'attarderai sur les événements d'août 2001, date à laquelle nous aurions encore pu sauver la société. Le tribunal de commerce de Créteil donne les rênes à Holco, détenue à 99,9 % par Jean-Charles Corbet ; dès les premiers mois nous comprenons que nous allons droit dans le mur, car aucune gestion - ni sociale ni économique - n'est mise en place.

Il est vrai que nous avions vécu trois fusions entre Air Liberté, TAT et AOM, qui ont débouché sur un amalgame ; mais le travail d'harmonisation n'a jamais été fait par Air Lib. Par exemple les pilotes avaient, pour les mêmes tâches, trois contrats différents et trois rémunérations différentes.

Pour emporter la décision du tribunal, Jean-Charles Corbet avait enjolivé son plan de reprise, notamment au niveau social, en s'engageant à embaucher plus de personnes malgré le business plan. Finalement, pendant plus de 8 mois, une vingtaine de pilotes ont été payés à rester chez eux.

M. le Rapporteur : Combien y avait-il de pilotes ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Sur Fokker 100, ils étaient une centaine et M. Corbet en a repris 21 alors que cet avion n'existait plus. Ces 21 pilotes sont restés chez eux, pendant une petite année, faute de recevoir une formation, tout en étant rémunérés. Nous avons alerté la direction par le biais du comité d'entreprise, dont j'étais élu, lui faisant remarquer que la masse salariale était en train de partir en fumée. Nous n'avons obtenu aucune réponse.

On nous annonce ensuite que le low-cost sera l'avenir de la Compagnie et un projet nous est présenté seulement au bout de cinq mois. Entre-temps, les avions volaient vides : deux ou trois passagers sur Nice, Marseille, une vingtaine sur les Antilles. Une véritable catastrophe lorsqu'on sait que l'heure de vol d'un Airbus 340 coûte 75 000 francs.

M. le Président : Pourquoi les avions étaient-ils vides ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : S'agissant du long courrier, il aurait fallu redonner une dynamique commerciale à un nom ; les voyageurs savaient qu'AOM et Air Liberté avaient déposé le bilan, mais vous avez beau changer de nom, l'entité est la même et ils le savent. Or rien n'a été fait en ce sens.

Quant au moyen courrier, nous avons attendu cinq mois avant d'instaurer le low-cost ; les avions se sont alors remplis. Remplir un avion n'est pas un problème, gagner de l'argent est plus difficile ; or vous ne pouvez pas gagner de l'argent en lançant des prix d'appel à 29 euros. L'heure de vol d'un MD83 étant de 40 000 francs, avec de tels tarifs, il faut remplir l'avion à plus de 100 % pour faire des bénéfices.

Par ailleurs, si vous prenez les exemples de ce qui se fait de mieux en low-cost en Europe, à savoir par des compagnies comme Easyjet et Ryanair, vous constatez que les ratios de personnel sont de l'ordre de quatre personnels navigants pour un personnel sol. Le low-cost suppose en effet des économies de personnel au sol, via la sous-traitance notamment. Nous, nous étions à un rapport de un pour un. Or on ne peut pas faire du low-cost avec un tel ratio. Le comité d'entreprise a donc, à nouveau, alerté la direction sans obtenir de réponse. La compagnie s'enfonce ; elle a 1 milliard de francs de dettes, lorsque le «sauveur» arrive : M. Erik de Vlieger.

Je voudrais ajouter que se trouvaient dans l'équipe de M. Corbet trois hommes importants : le président du directoire M. Bachelet, le directeur financier M. Bardi et une personne du conseil d'administration d'Holco, M. Moreau ; tous ont démissionné en décembre 2001. Nous avons appris par la suite que M. Bachelet était partisan d'un dépôt de bilan en décembre 2001, soit trois ou quatre mois après la décision du tribunal de commerce. Nous sentions que quelque chose n'allait pas, mais nous n'avions aucune réponse à nos questions.

Arrive donc M. de Vlieger, président d'IMCA, société dont le siège social est aux Pays-Bas. Je faisais partie de la délégation qui est allée rencontrer ce monsieur ; nous avons vu un homme d'affaires qui n'avait qu'une carte à jouer, la sienne, à savoir récupérer les créneaux horaires à Orly, et éventuellement un contrat avec Airbus pour l'achat d'Airbus moyen courrier, qu'il comptait d'ailleurs, mettre non pas dans la Compagnie mais dans une filiale : Mermoz Hollande. Il souhaitait donc simplement, selon moi, récupérer la vingtaine d'appareils moyen courrier afin de les louer partout en Europe et ne se souciait pas de l'avenir d'Air Lib.

Je voudrais maintenant évoquer l'omniprésence de certaines personnes à Air Lib, émanant directement d'Air France, notamment M. Christian Paris, commandant de bord à Air France, porte-parole du SNPL. Il était toujours là, en soutien, lorsque M. Corbet était en difficulté. Je l'ai croisé à différentes reprises, alors qu'officiellement, il n'apparaissait sur aucun organigramme de la Compagnie.

M. le Président : Est-il vrai, à votre connaissance, qu'il disposait d'un bureau à Air Lib ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Le bureau de M. Corbet se situait au troisième étage et était entouré de deux autres bureaux, dépourvus de noms, dont j'ai vu M. Paris sortir souvent, notamment pour faire signer un papier à M. Corbet.

Lorsque l'UNAC a voulu attaquer Holco au motif que les actifs avaient été transférés à l'étranger - action pour laquelle nous avons été déboutés non pas sur le fond, mais sur la forme, ne disposant pas de la qualité pour attaquer Holco -, M. Paris était au côté de M. Corbet sur les bancs du tribunal de commerce de Paris. Il était là tout le temps.

M. le Rapporteur : Quelle est la fonction officielle de M. Christian Paris à Air Lib et que fait-il dans la vie ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Il est commandant de bord à Air France, membre du conseil d'administration d'Air France, au titre des fonds Concorde. Lorsque M. Corbet était président du SNPL-Air France, la fameuse grève de 1998 pendant la Coupe du monde avait débouché sur la création des fonds Concorde ; c'est-à-dire des fonds alimentés par l'échange salaire/actions des pilotes. M. Paris est aujourd'hui le président de ce fonds.

M. le Président : M. Corbet en était le président lorsqu'il est arrivé à Air Lib.

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Nous ne l'avons jamais su. Nous avions posé la question, mais personne ne nous a répondu. M. Corbet ne fait plus partie des effectifs d'Air France depuis le mois d'octobre 2002 seulement, alors qu'il avait toujours dit qu'il avait démissionné.

M. le Rapporteur : M. Paris est salarié d'Air France ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Tout à fait, il est commandant de bord, navigant et membre du conseil d'administration d'Air France.

M. Xavier de ROUX : M. Corbet a été salarié d'Air France jusqu'à quelle date ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Je ne pense pas qu'il était salarié d'Air France lorsqu'il était à Air Lib ; il devait être mis à disposition sous une forme ou une autre : congé sans solde, congé sabbatique ou congé pour création d'entreprise, je l'ignore. Mais il faisait toujours partie des effectifs d'Air France.

M. le Rapporteur : Il était payé ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Je ne sais pas, mais j'en doute.

M. le Rapporteur : Vous dites que dans ce dossier, il y avait une omniprésence d'Air France, et pour le prouver, vous nous dites que M. Paris était toujours là. Quelles étaient les relations entre M. Paris et Air France ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Je vais vous citer un exemple. Lorsque le 1er avril 2002 les pilotes d'Air Lib se sont mis en grève pour différentes raisons, M. Paris était dans les locaux. Nous avons débattu du bien-fondé de ce mouvement à la veille du lancement de la low-cost et M. Paris nous a montré un fax de M. Spinetta, président d'Air France parlant de l'alignement des tarifs d'Air France sur Air Lib. Il se plaisait d'ailleurs à dire qu'il était régulièrement en contact avec M. Spinetta.

Je parle de l'omniprésence de M. Paris, commandant de bord d'Air France, membre du conseil d'administration d'Air France et gestionnaire des fonds Concorde ; ce qui fait beaucoup.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous affirmer que M. Paris influençait en faveur des intérêts d'Air France ?

M. Jean-Christophe BANDLER : J'ai vu M. Paris dans les locaux d'Air Lib et il me disait qu'il était là pour défendre les intérêts d'Air France.

M. Xavier de ROUX : Quels étaient les intérêts d'Air France, selon vous ?

Mme Arlette GROSSKOST : Il était administrateur d'Air France, mais à quel titre ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Je ne connais pas les statuts d'Air France. M. Paris siégeait au conseil d'administration d'Air France au titre des 8 % que représentent les fonds Concorde dans le capital de la compagnie.

M. Jean-Christophe BANDLER : Je pense qu'il y a beaucoup de questions que vous devriez poser à M. Paris lui-même.

Je voulais apporter deux précisions quant à la présence de M. Paris. Je l'ai vu moi aussi, à l'occasion de photos qui étaient affichées et qu'il avait enlevées. Il m'a agressé verbalement et quasi physiquement devant témoin, et j'ai pu voir qu'il rentrait dans le bureau de M. Corbet comme s'il était chez lui, qu'il faisait la bise à la secrétaire et prenait des affaires.

M. le Président : Comment une personne administrateur d'Air France, rémunérée en tant que pilote d'Air France peut-elle avoir en même temps un rôle aussi important à Air Lib ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Il existe un site Internet, Radio-cockpit, créé par M. Antoine Hayem. Il a récupéré de nombreux documents sur tout ce qui se passe à Air Lib et détiendrait un document attestant que M. Paris avait lui-même négocié pour Air Lib la vente du secteur long courrier en décembre 2001 auprès de tiers car il était déjà question, à l'époque de M. Bachelet, de séparer le long courrier du moyen. M. Paris leur aurait donné comme prix de vente 50 millions de francs. Ensuite, ils auraient changé d'avis sur les options à prendre pour la gestion de la compagnie. Ces documents existeraient.

M. le Président : Vous nous dites donc qu'Air France était omniprésente. Qui a conçu le programme Air Lib ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Selon nous, il s'agit de M. Bruno Matheu, d'Air France. En août 2001, lorsqu'il a fallu faire repartir l'activité commerciale, notamment sur le long courrier et les DOM, pour avoir de la trésorerie rapidement, le code-share - c'est-à-dire l'échange de passagers - s'est instauré entre Air Lib et Air France au départ de Charles de Gaulle. C'était une ineptie qui n'a d'ailleurs pas duré car Air Lib, qui était déjà à cette époque une compagnie plus que vacillante, n'avait pas besoin d'aller s'engager dans des frais de structures à Charles de Gaulle où il fallait amener les avions et les équipages, la maintenance se faisant à Orly. Ils se sont aperçus au bout de quelques mois que cela coûtait beaucoup plus cher que ça ne rapportait d'argent.

Bien entendu, vous ne trouverez aucun document attestant que M. Matheu ait conçu le programme d'Air Lib, mais c'est ce qui s'est toujours dit.

M. le Rapporteur : Qui est M. Matheu ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Un directeur d'Air France responsable du réseau, me semble-t-il, qui prend les options de développement ou non d'Air France sur telle ou telle destination.

M. le Rapporteur : Un membre de la direction ? Comment pouvez-vous affirmer qu'il a réalisé le plan ? C'est une rumeur ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Je vous l'ai dit, aucun document ne peut l'attester ; ce sont des bruits de couloirs. Chez nous, personne n'était capable d'élaborer un programme car toutes les personnes compétentes étaient parties.

M. Xavier de ROUX : Vous parlez de M. Matheu, mais vous l'avez vu à Air Lib ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Non. M. Matheu a été un acteur du dossier dans la mesure où il avait son mot à dire quand le code-share a été mis en place, quant au nombre de dessertes au départ de Charles de Gaulle par rapport à Orly, les heures de dessertes, etc. Par exemple, lorsque le code-share est arrivé, l'horaire d'AOM et d'Air Lib pour La Réunion est passé à Air France et Air Lib effectuait les vols de jour. Cela s'est donc négocié avec Air France.

M. Xavier de ROUX : M. Matheu était donc l'interlocuteur d'Air France à l'égard d'Air Lib.

M. le Président : Avez-vous connaissance du rôle de Mme Michèle Barre, qui était à la direction d'Air France et qui aurait participé à la mise en place du programme avec M. Mattheu ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Non, je ne connais pas ce nom.

M. le Rapporteur : Vous nous avez parlé de M. Christian Paris. A votre connaissance, il était rémunéré pour faire ce qu'il faisait ?

M. Jean-Christophe BANDLER : S'il était rémunéré, c'était plutôt par Holco.

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Une journaliste de France 2, Mme Leroy, a demandé aux dirigeants d'Holco combien de salariés ils avaient. Ils ont répondu quatre. Or, à notre connaissance, il n'y en a que trois.

M. Jean-Christophe BANDLER : M. Léonzi, au cours des réunions du comité d'entreprise, nous a donné trois noms de salariés, mais il en a donné quatre à la presse, différents de ces trois là.

M. le Rapporteur : Est-ce à dire que votre hypothèse serait que peut-être M. Paris aurait été rémunéré par Holco ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Je n'ose pas y penser !

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Cela aurait été très imprudent et M. Paris est loin d'être bête.

M. Jean-Christophe BANDLER : Vous n'êtes pas sans savoir qu'il existait d'autres sources de financement dans les filiales hollandaise et luxembourgeoise.

M. le Président : Etes-vous informé des positions de M. Paris par rapport à la direction d'Air France concernant la complaisance que pouvait avoir Air France à l'égard d'Air Lib et la privatisation d'Air France ? Apparemment, il était favorable à la privatisation d'Air France, en tant que président de syndicat, mais contre en tant que « conseiller » d'Air Lib.

M. Jean-Christophe BANDLER : Je ne connais que les propos de M. Asseline à ce sujet là. Il m'a en effet indiqué, au moment du bras de fer entre l'Etat et Air Lib, que plus on approcherait de la privatisation d'Air France plus la chute d'Air Lib serait difficile, voire impossible.

Mme Odile SAUGUES : Je souhaiterais poser une question au représentant de la CFTC. Une accusation a été portée dans un communiqué de votre organisation syndicale, et je souhaiterais en savoir un peu plus. Votre organisation a écrit dans un communiqué du 19 février dernier : « A Metaleurop, Air Lib et dans de nombreuses entreprises que nous signalent les élus CFTC, on voit apparaître une délinquance nouvelle au plus haut niveau de l'entreprise. » Qui était visé ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Il s'agit d'un communiqué de la confédération, je vous propose de leur poser la question directement. Je ne représente qu'une petite partie de la CFTC.

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur le déroulement des événements depuis juillet 2001 jusqu'à ce jour. Un peu avant juillet 2001, quelle était la position de votre organisation sur les trois projets présentés au tribunal de commerce ?

M. Jean-Christophe BANDLER : En juillet 2001, nous pensions que le plan de M. Corbet n'était pas financé.

Au travers des réunions que nous avions, à la fois chez M. Gayssot et en comité d'entreprise, nous avons compris qu'il s'agissait d'un plan préparé à l'avance en petit comité qui était bien organisé pour aboutir. 

M. le Président : A quelle époque ont eu lieu ces réunions ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Au cours de l'été 2001, à l'époque où M. Rochet, avec lequel j'avais signé les accords d'harmonisation, était concurrent de M. Corbet. Pour reprendre l'entreprise, ce dernier agissait sur tous les leviers qui lui tombaient sous la main, dont le ministère, grâce aux relations qu'il avait avec un certain syndicat, syndicat dont je voudrais vous parler.

Monsieur le Président, j'ai des documents, mais avec ces problèmes de confidentialité - on se croirait à Berlin-ouest - je ne sais pas ce qu'il faut donner et à qui.

M. le Président : Vous nous les remettrez.

M. Jean-Christophe BANDLER : Vu la manière dont la prise de pouvoir a été effectuée, il était évident qu'il existait une liaison entre la CFDT et Holco. C'est quelque chose que j'ai ressenti au ministère, au cours des réunions que nous avons faites avec M. Gayssot, les représentants de la CFDT étant les intervenants directs. Je voudrais vous lire une citation que j'ai tirée d'un comité d'entreprise du 14 novembre 2002 alors qu'Air Lib était en pleine période de redressement. M. Monnin, secrétaire du comité et rédacteur du compte rendu, a déclaré : «De mon point de vue, le droit d'alerte pour le comité d'entreprise constitue aujourd'hui un boulet de plomb».

Je passe rapidement là-dessus, ce n'est pas très intéressant. Vous pensez avoir, avec la CFDT, un syndicat très représentatif, et il l'est certainement, mais il convient de savoir que les élections d'entreprise, en juin 2002, se sont déroulées d'une façon bizarre. L'élection de M. Nicoli a eu lieu sans signature de la liste d'émargement ; elle était surveillée non par les personnes les plus jeune et plus âgée du collège électoral, comme le veut l'usage, mais par Mme Nicoli, salariée de la DRH. La CFDT est allée ensuite, avec la direction, faire un recours devant le tribunal administratif, après mon assignation au tribunal d'instance, pour demander qu'il y ait non pas trois collèges mais cinq ; ils ont également demandé un sursis à statuer - ce qui était très bien joué - qu'ils ont obtenu. Les élections sont donc pour l'instant suspendues.

Tout cela pour vous dire que l'on peut se poser quelques questions. Mon sentiment est que les élections avaient été préparées par la direction d'Air Lib et la CFDT pour reprendre le pouvoir à l'intérieur de l'entreprise. Leur première action, lors du comité d'entreprise du 14 novembre, a été de contrer M. Bonan, l'expert-comptable choisi par le comité d'entreprise précédent dans l'exercice du droit d'alerte, et Me Levasseur. Par la suite, ils l'ont joué plus finement en changeant d'expert. Une annulation du droit d'alerte en pleine période de conciliation était un acte grave et nous les aurions attaqués ; ils ont donc congédié M. Bonan et l'ont remplacé par le cabinet Secafi Alpha.

M. le Président : Vous parliez de Mme Nicoli à propos de l'organisation des élections. S'agit-il de l'épouse de M. Nicoli ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Oui.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Je voudrais attirer votre attention, Monsieur le Président, sur la nécessité de rester dans le cadre de la commission d'enquête et ces éléments me semblent très éloignés de nos travaux. Ce qui nous intéresse est de savoir ce que pensent les représentants syndicaux de la faillite d'Air Lib, dans sa dimension économique et financière.

M. Xavier de ROUX : Je me permets de ne pas partager l'opinion de mon collègue, car il me semble que de savoir comment et dans quel cadre se situe cette affaire est important ainsi que d'en connaître les acteurs.

Mme Odile SAUGUES : Messieurs, quelle est votre représentativité, sur le plan syndical ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Monsieur le Président, je pensais que nous avions organisé la séance en deux parties : notre exposé liminaire, puis vos questions. Or je n'ai pas fini mon exposé.

M. le Président : Je vous en prie, Monsieur Bandler, poursuivez votre exposé.

M. Jean-Christophe BANDLER : Je vous remercie.

Je suis bientôt chômeur - nous sommes 3 000 - et je pense que savoir comment le droit d'alerte a été supprimé est une question importante.

Je viens d'apprendre, ce midi, par un membre de la direction de l'époque, que M. Pierre-Yves Lagarde, qui fait partie des premiers intervenants de M. Corbet, a été payé 8 millions de francs pour des services que nous n'avons pas bien vus.

M. le Rapporteur : Qui est ce monsieur ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Il s'agit d'un consultant que nous avons vu au début des interventions du cabinet de M. Léonzi.

M. Laurent DUHAYER : M. Lagarde a en fait managé, pendant la période de reprise, la partie sociale du plan. Il était conseiller en ressources humaines pour le projet de reprise de M. Corbet.

M. Jean-Christophe BANDLER : M. Asseline, directeur du centre de formation, a été qualifié, dans une période concomitante à la période de conciliation judiciaire, sur un appareil de type Airbus A320. Il convient tout de même de savoir que cette qualification coûte entre 300 000 et 400 000 francs et que nous-mêmes nous ne l'avons pas ; or nous serions contents de l'avoir car nous pourrions, de ce fait, peut-être retrouver du travail, comme M. Asseline, selon les rumeurs.

Selon les rumeurs au comité d'entreprise, il apparaîtrait également que sa qualification aurait été payée par Holco bien que cela n'apparaisse pas dans les comptes rendus du comité qui reconnaissent simplement que M. Asseline a été qualifié. On peut se demander comment le comité d'entreprise d'Air Lib a été informé de cette qualification.

M. le Président : Quel est le rapport de la qualification de M. Asseline avec les problèmes d'Air Lib ?

M. Jean-Christophe BANDLER : On m'a dit que de dépenser une telle somme au cours d'une période de conciliation pouvait s'appeler de l'abus de biens sociaux. Si nous ne sommes pas ici pour soulever ces questions, je me demande pourquoi nous sommes là. Effectivement, ce sont des points de détail, de l'ordre de 300 000 ou 400 000 francs...

M. Corbet parlait de cet avion, un Airbus 320, comme un avion école. Toujours pendant la période de conciliation judiciaire. Eh bien il s'agit d'un avion école luxueux pour une entreprise de ce type !

Autre avion école : le A340. Je change de sujet, je parle de M. Frochot qui était le directeur des opérations en vol. Ce monsieur avait toutes les qualifications et grâce à cela il va retrouver du travail. Il était chef, il devait donc être qualifié sur tous les avions de la Compagnie. C'est ironique, bien entendu ! Nous vous avons parlé des sous-effectifs qui existaient sur le A340, vous avez vu des témoignages dans différentes émissions de télévision au cours desquelles les pilotes disaient eux-mêmes qu'ils auraient dû être licenciés. Or, pendant ce temps, on qualifie un pilote. L'effectif était prévu pour cinq appareils A340 et il y en avait plus que deux ; il y avait donc un sureffectif énorme.

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Pour deux appareils, les chiffres standards d'une compagnie normale, notamment pour l'A340 destiné à La Réunion, est de six équipages par avion, soit 24 pilotes : or ils étaient 77 ! En effet, le secteur avait été dimensionné pour quatre ou cinq avions qui ne sont jamais arrivés. Il y a donc eu, pendant 18 mois, un sureffectif d'environ 40 pilotes d'Airbus 340 payés à ne rien faire. Il s'agissait de pilotes qui étaient obligés de repartir au bout de 3 mois au simulateur pour s'entraîner à atterrir.

M. le Président : Vous êtes donc en train de dénoncer les dysfonctionnements de la société.

M. Jean-Christophe BANDLER : Qualifier M. Frochot sur un Airbus 340 était quelque chose d'indispensable ! Peu de temps après, nous apprenons qu'il doit refaire sa qualification sur un MD80, soit un avion plus ancien qui ne permet pas de retrouver du travail, car l'on avait besoin de sa présence sur ce type d'appareil pour lequel on manquait d'instructeurs. Je vous rappelle que tout cela se passe en période de conciliation judiciaire et que l'on paie à M. Frochot une qualification dont la compagnie n'a aucun besoin vu le sureffectif tragique, alors qu'on a besoin de lui sur MD80.

En ce qui concerne la gestion, je voudrais confirmer les propos de M. Lafosse-Marin. Après la démission du directeur financier, nous n'avons pas eu de directeur pendant un an. J'ai vu M. Nicoli s'offusquer en comité d'entreprise qu'on ne faisait jamais d'études d'ouverture de ligne. Personnellement je n'ai jamais vu d'études d'ouverture de ligne se faire. On ouvrait les lignes sans étude de marché.

M. le Président : Avez-vous des informations précises sur les lignes ouvertes sur Tripoli et l'Algérie ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Aucune étude de marché n'a été réalisée.

M. Hugues LAFOSSE-MARTIN : Le cabinet Secafi Alpha avait été mandaté par le comité d'entreprise, celui d'avant avril 2002, qui avait déclenché le droit d'alerte, et son rapport avait laissé entendre qu'il existait un potentiel sur l'Algérie, ce qui s'est avéré. Malheureusement, le module mis sur la ligne n'était pas le bon ; ça n'était pas du MD83 qu'il fallait mettre. En revanche, l'ouverture d'une ligne sur Tripoli était un non sens. Ils nous promettaient 12 000 passagers par an ; or les rares rotations qui ont été effectuées l'ont été avec deux ou trois passagers. Tripoli n'est pas une destination touristique, il n'y avait donc pas matière à ouvrir cette ligne.

Il a été dit en comité d'entreprise, mais cela n'apparaît pas dans le compte rendu, qu'éventuellement des investisseurs libyens seraient susceptibles de s'intéresser à notre Compagnie. D'où la raison de l'ouverture de cette ligne. C'est pour cette raison aussi que le fils de M. Kadhafi a affrété un MD83 de chez nous pour revenir de Paris.

M. le Président : Je suis allé à Tripoli il y a 15 jours et j'ai posé des questions aux personnes de l'ambassade, notamment au conseiller du commerce extérieur. Il m'a indiqué qu'il était impossible, à Tripoli, de trouver des billets pour la ligne Air Lib, sauf au comptoir au moment du vol, car aucun système de commercialisation n'existait.

M. Jean-Christophe BANDLER : J'ai en effet entendu parler d'un groupe d'une quarantaine de personnes qui voulaient y aller et qui ne pouvaient pas avoir de billets !

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Il y a deux façons de se rendre à Tripoli, par Air Italia et par Lufthansa. Mais le problème est récurrent, notamment sur l'Algérie. Avant que l'on ait une agence commerciale capable de vendre des billets Air Lib en Algérie, il a fallu quelques mois, alors que la ligne était déjà ouverte. Nous vendions des allers-retours au départ de Paris, mais au départ d'Alger, il a fallu attendre quelques mois.

M. le Président : Vous êtes en train de nous expliquer comment, dans ce secteur particulier, ça ne marchait pas.

M. Jean-Christophe BANDLER : Nous sommes toujours en période de conciliation judiciaire et les membres du comité de direction nous confirment, au comité d'entreprise - évidemment je n'en ai pas retrouvé la trace dans les comptes rendus - avoir reçu des sommes, dont la rumeur disait qu'elles pouvaient être importantes.

M. le Président : Pouvez-vous préciser vos propos ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Des rumeurs - nous ne retrouverons pas cela dans les comptes rendus du comité d'entreprise - disaient que 5 ou 6 personnes de la compagnie auraient touché des sommes d'environ 250 000 francs, pendant la période de conciliation judiciaire. M. Bruno Calderini nous a répondu, sans préciser la somme, qu'il avait à son grand regret bien tardivement reçu une telle somme, ainsi que d'autres membres du comité exécutif.

M. le Président : Pour quel motif cet argent leur a-t-il été remis ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Je pense que c'était pour la bonne gestion de l'entreprise !

M. le Président : Il s'agissait d'une prime ?

M. Hugues LAFOSSE-MARTIN : Les 5 membres du comité exécutif ont reçu une prime de 30 000 euros pour le zèle avec lequel ils ont développé le low-cost.

Il est difficile d'obtenir des preuves, mais lorsque la liquidation a été prononcée, la direction a demandé au responsable des paies de rouvrir la paie de janvier pour intégrer ces primes et les faire apparaître comme un élément comptable, chose qui n'avait pas été faite avant. Je tiens cette information de la personne qui s'est chargée, le 15 février, d'accomplir cet exercice. Il s'agit d'une information que vous pourrez obtenir auprès des liquidateurs.

M. Jean-Christophe BANDLER : Vous n'êtes pas sans savoir que M. Corbet avait trouvé une source très intelligente d'économies : le personnel navigant faisait le ménage dans les avions à la place des entreprises habituelles et en échange, il avait l'autorisation de vendre les boissons et sandwiches au noir et de garder ces revenus. Je vous cite un extrait du comité d'entreprise du 12 juin 2002 : nous posons la question au DRH de l'entreprise : «Comment M. Corbet a-t-il pu prendre le risque de laisser ses salariés percevoir de l'argent au noir. Que risquent ces derniers, que risque l'entreprise ?». Il nous a répondu : «Notre entreprise court le risque, comme son personnel, de faire l'objet de redressements fiscaux et sociaux. Mais ce sujet sera traité le plus rapidement possible dans les meilleures configurations possibles pour l'entreprise».

M. le Rapporteur : En tant que pilotes, avez-vous constaté de telles pratiques ?

M. Laurent DUHAYER : Je suis chef du personnel navigant commercial, je suis rentré à Air Liberté le 21 mars 1988, à la création de l'entreprise, et j'ai suivi les différents bouleversements de cette société jusqu'au dépôt de bilan, puisque j'ai été licencié hier.

J'ai pris, depuis un an et demi, mes distances avec la société Air Lib, puisque M. Corbet, dès son arrivé aux affaires, a cru bon me mettre dans un placard. J'avoue devant vous avoir été rémunéré depuis un an et demi à ne rien faire. Des actions ont été intentées aux prud'hommes, mais la justice est longue et sereine, et l'affaire va certainement trouver son épilogue avec le dépôt de bilan de la société.

En tant qu'ancien responsable du personnel navigant commercial, je peux évidemment attester et témoigner que depuis le lancement d'Air Lib Express, M. Corbet a donné la recette de ce que l'on appelle les ventes à bord au personnel navigant. Les produits étaient achetés par Air Lib et la recette était gardée et partagée par le personnel. Cela s'appelle du paiement au noir sur lequel la société ne paie pas de charges sociales. Pendant huit mois, cette pratique a donc eu lieu sur le secteur moyen courrier, et une partie du personnel a été rémunérée au noir ; les pilotes ne faisaient pas partie de ce trafic.

Cela peut faire sourire, mais sachez tout de même que chaque personne concernée percevait au noir entre 4 000 et 6 000 francs par mois ; 300 ou 400 personnes touchant entre 4 000 et 6 000 francs par mois pendant huit ou neuf mois, voyez combien cela peut faire !

M. Jean-Marc ROUBAUD : Je voudrais revenir sur la déclaration de M. Lafosse-Marin concernant M. Paris. Vous parlez de son omniprésence, de ses conseils et vous pensez qu'il était en mission commandée pour couler Air Lib.

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Non, absolument pas. Je dis simplement qu'il y avait deux acteurs : d'un côté M. Corbet qui a hérité de la deuxième compagnie française, par une décision du tribunal de commerce, et de l'autre son meilleur ami, ami d'enfance, de l'ENAC comme lui, joueur de rugby comme lui, porte-parole du syndicat national des pilotes de ligne d'Air France et membre du conseil d'administration d'Air France. Deux acteurs majeurs qui sont capables de nuire à Air France comme de lui apporter beaucoup. Je fais partie de ceux qui pensent qu'Air France avait plus à perdre avec la disparition d'Air Lib. Et je crois savoir qu'au sein même d'Air France, il y avait les pro et les anti-Air Lib ; a priori les anti-Air Lib ont eu le dernier mot.

Je sais simplement qu'une personne d'Air France qui avait de grandes responsabilités syndicales, un pouvoir de nuisance tout à fait particulier, avec la puissance du SNPL au sein de la compagnie nationale, était souvent à Air Lib lorsqu'il y avait des problèmes.

M. le Rapporteur : Aviez-vous pris position sur les trois projets de reprise ? Et quelle était celle de la CFTC ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Je connaissais le projet de Rochet et de Corbet. Si mes souvenirs sont bons, j'avais clairement exprimé ma position en faveur de Rochet.

M. Laurent DUHAYER : La CFTC avait pris position pour le projet de Marc Rochet, projet financé avec des actionnaires crédibles qui se proposaient de reprendre cette société.

Ce projet avait le défaut d'être moins attractif quant au volume de personnels repris, mais posait clairement le problème de la refonte de tous les accords d'entreprise pour repartir sur des bases que l'on qualifiera de saines. Alors que le projet Corbet était de reprendre le plus de monde possible afin d'avoir plus de poids auprès du tribunal et d'obtenir le soutien des syndicats.

M. Jean-Christophe BANDLER : Je peux reprendre une de mes déclarations, citée par une dépêche AFP du 26 juillet 2001. Il s'agit d'une prise de position franche de ma part : «L'accord proposé par M. Rochet dans le cadre de son projet de reprise est indispensable pour la survie de l'entreprise car il homogénéise les conditions de travail des salariés issus des compagnies AOM et Air Liberté. Le syndicat ne souscrira en revanche jamais au projet Corbet qu'il qualifie d'ignominie». 

M. le Président : Les pilotes étaient partagés, car M. Jean Immediato, délégué des pilotes SNPL, avait l'air assez favorable au projet Corbet.

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : J'étais à l'époque secrétaire du comité d'entreprise et les deux projets qui se faisaient concurrence étaient ceux de MM. Corbet et Rochet. M. Corbet a toujours affirmé que M. Immédiato était venu le chercher en faisant valoir leurs accointances au sein du SNPL.

Comme le disait M. Duhayer, ce que tout le monde voulait entendre a été dit par M. Corbet ; il affirmait qu'il allait reprendre le maximum de personnes et que tout allait bien se passer. M. Rochet, lui, taillait dans le vif en disant que les pilotes et le personnel navigant commercial étaient trop payés et que 30 % du personnel ne serait pas repris. Les représentants syndicaux ont eu un choix à faire entre la peste et le choléra.

M. Jean-Pierre GORGES : M. Paris était-il déjà omniprésent ?

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Absolument pas. L'équipe de M. Corbet était constituée de lui-même, de M. Immediato, de Me Léonzi, de M. Lagarde et de la fameuse CIBC.

M. le Président : Comment jugez-vous le rôle de cette banque qui a perçu des honoraires extrêmement élevés ? Elle devait amener des investisseurs, mais à notre connaissance il n'y en a eu aucun.

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Pour les avoir rencontrés à différentes occasions - ils n'étaient jamais plus de quatre à Paris -, ils se sont toujours présentés non pas comme des investisseurs mais comme une banque d'affaires chargée de ramener des investisseurs. Investisseurs que l'on n'a jamais vus. La banque a facturé - vous trouverez ces informations dans le rapport Mazars, dans le chapitre «analyse des flux de la trésorerie versés par Swissair » - 9,135 millions d'euros pour un petit mois de travail. A l'issue de la reprise de la compagnie par Holco et Corbet, nous ne les avons plus vus.

M. Jean-Christophe BANDLER : Je vais compléter ces propos, mais vous aurez le détail demain avec M. Bonan. Un avocat du cabinet Léonzi nous a produit une facture de la CIBC qui, paraît-il, n'était pas valable fiscalement, et qui était de l'ordre de 7 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Je pose deux questions à toutes les organisations syndicales, mais vous avez répondu à la première qui était : à partir de quand avez-vous eu des doutes sur la capacité de gestion ? Vous, c'était d'entrée de jeu, avant même que le tribunal ne se prononce.

Ma seconde question est la suivante : les fonds publics, selon vous, ont-ils été bien utilisés soit au total, environ, 130 millions ?

M. Jean-Christophe BANDLER : Un milliard de francs ont été dépensés pour que 3 500 personnes se retrouvent au chômage. Je pourrais faire l'avocat du diable en vous expliquant que, dans le cadre du moratoire, telle somme a été dépensée de telle manière, que le prêt FDES a bien été utilisé, etc.

Nous avons entendu M. Corbet dire, dans certaines émissions, qu'il lui restait encore 5 millions d'euros à Holco Lux. Que fait cet argent au Luxembourg ? Il a également dit qu'il allait rapatrier les 14 millions d'euros de Mermoz Hollande, qui depuis a été revendue sans qu'il le sache à une société anonyme ? J'ai évoqué de petites sommes, certes 400 000 francs par ci, 400 000 francs par là, pour favoriser tel ou tel camarade.

Non, les fonds publics ont été dépensés sans aucune mesure et sans aucune gestion.

M. Hugues LAFOSSE-MARIN : Quand vous donnez 130 millions à un chef d'entreprise, le personnel est en droit d'attendre des mesures drastiques pour restructurer l'entreprise. Or les organisations syndicales sont montées au créneau pour tenter de limiter les dégâts ; alors qu'il s'agissait de la logique d'une gestion d'entreprise. Nous n'avons pas vu ces 130 millions, rien n'a été fait, le mal n'a pas été pris à la racine.

Le cabinet Secafi Alpha nous a même dit qu'il fallait non pas restructurer, mais structurer. Des décisions ont été prises dans tous les sens, mais rien n'a été fait. Non, ces fonds publics n'ont pas été bien utilisés.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Philippe Termignon et de Mme Sofia Termignon,
délégués syndicaux SNPNC

Procès-verbal de la séance du 1er avril 2002

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Monsieur et Madame Termignon, vous êtes tous deux délégués syndicaux affiliés au SNPC, syndicat qui représente le personnel navigant commercial.

La commission va procéder à votre audition.

Mme Sofia TERMIGNON : Lorsque Holco a repris les sociétés AOM et Air Liberté le 1er août 2001, la situation financière n'était guère brillante, voire désastreuse, dans la mesure où les prédécesseurs avaient laissé deux entreprises déficitaires. Je ne reviens pas longuement sur le sujet ; c'est un autre débat, mais peut-être l'aurons-nous si vous le souhaitez.

Depuis le début de la reprise d'Air Liberté-AOM par Jean-Charles Corbet, en tant que membres du comité d'entreprise - à l'époque, je n'étais pas élue contrairement à mon époux, mais représentante syndicale ; nous n'avons jamais obtenu d'éléments clairs sur la situation financière d'Air Lib.

M. le Président : De quelle période parlez-vous ?

Mme Sofia TERMIGNON : Depuis le début, depuis la reprise par Holco-Jean-Charles Corbet des entreprises AOM-Air Liberté le 1er août et dès le premier comité d'entreprise au mois de septembre, nous avons toujours posé la question de la situation financière de l'entreprise. Nous n'avons jamais eu de réponse à cette question.

M. le Président : Vous nous dites que, depuis le début, vous n'avez jamais eu de précisions sur la situation financière.

Mme Sofia TERMIGNON : En effet. La question était pourtant toujours inscrite à l'ordre du jour du comité d'entreprise. Vous pouvez reprendre les différents procès-verbaux depuis la cession de l'entreprise : le sujet était récurrent et revenait à chaque réunion.

M. le Président : Les syndicats n'ont pas tous la même appréciation de la situation.

Mme Sofia TERMIGNON : Je le sais. Mais nous n'avons pas dû tous avoir les mêmes informations. C'est ce que je constate aujourd'hui. Des informations nous font défaut.

Le document tant attendu n'est arrivé qu'au mois de janvier dernier. Je ne me souviens pas de la date exacte, mais je crois me souvenir qu'en janvier dernier un document analysant les flux de la trésorerie versée par Swissair à Jean-Charles Corbet-Holco a été livré. On y découvre les sommes assez élevées affectées à des filiales créées par Jean-Charles Corbet, en l'occurrence Mermoz Hollande à hauteur de 12,2 millions d'euros et Holco-Lux à hauteur de 5 millions d'euros.

On nous avait déjà parlé de l'existence de ces filiales. Mes collègues ont dû vous parler du droit d'alerte que nous avions voté précisément lors d'un comité d'entreprise. A défaut de recevoir des réponses claires, nous avions été dans l'obligation de recourir au droit d'alerte pour obtenir certaines précisions et nommer un expert-comptable qui avait toutes les connaissances financières et économiques pour réaliser l'analyse. Je ne puis vous livrer la date exacte...

M. Philippe TERMIGNON : C'était au mois de juin 2002.

Mme Sofia TERMIGNON : Je suis en possession de documents ; je pourrais vous les donner tout à l'heure.

M. le Président : Vous avez eu recours au droit d'alerte au mois de juin ?

Mme Sofia TERMIGNON : Oui, nous avons voté un droit d'alerte. M. Bonan, expert-comptable, a été nommé, mais il n'a pu obtenir tous les documents nécessaires. Par ailleurs, à l'issue des élections professionnelles, le nouveau comité a réexaminé l'exercice de ce droit d'alerte.

M. le Président : A quelle date ?

M. Philippe TERMIGNON : Octobre-novembre 2002. La majorité du comité d'entreprise avait changé, l'expert ne disposait que de peu de documents et devait le faire valoir en justice. Nous n'avions pas non plus de retour sur son action.

M. le Président : Qui avait le retour ?

M. Philippe TERMIGNON : Personne.

Mme Sofia TERMIGNON : Il ne disposait pas d'éléments suffisants pour nous apporter des éclaircissements. Etant confrontés pour la première fois à ce type de procédure, nous ne savions pas réellement comment elle devait se dérouler. Nous attendions des informations de M. Bonan, qui ne venaient pas, mais il était lui-même en attente. Plusieurs échanges de courrier avec la direction d'Air Lib font état des attentes de M. Bonan.

Je souhaiterais ouvrir une petite parenthèse sur le droit d'alerte et le rapport de M. Bonan. Il a demandé une situation comptable de l'entreprise, dont le comité d'entreprise doit normalement disposer au premier exercice. Nous aurions dû avoir une première situation au 31 mars 2002. La réglementation fiscale oblige précisément l'entreprise à déposer cette déclaration fiscale correspondante, au plus tard le 30 juin. A l'époque, cela n'avait pas été fait. Et ce qui m'étonne, c'est que cela n'a alerté personne, ni Me Lafont, à l'époque mandataire ad hoc nommé par le tribunal de commerce, ni les différents cabinets d'audit mis en place, en l'occurrence le cabinet Mazars, qui intervenait pour le compte du CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle) et le Cabinet KPMG pour le compte de la Direction générale de l'aviation civile. Aujourd'hui, nous nous posons beaucoup de questions. Comment se fait-il que personne n'ait été alerté par cette défaillance ? Je referme la parenthèse.

Nous avons par conséquent voté le droit d'alerte, car nous n'arrivions pas à obtenir des informations qui nous étaient dues en tant que membres du comité d'entreprise et parce que nous avions besoin de l'avis d'un expert économique et financier.

M. le Président : A quel moment le comité d'entreprise a-t-il commis cet expert ?

M. Philippe TERMIGNON : Au mois de mai-juin. L'expertise a duré six mois.

M. le Président : Quand les élections ont-elles eu lieu ?

Mme Sofia TERMIGNON : En juillet. Elles ont été retardées, car, pour avoir des élections professionnelles correctement tenues, nous avons rencontré les pires difficultés, dans la mesure où les avis des organisations syndicales au sein de l'entreprise étaient très disparates. Il fut donc très difficile de tenir ces élections.

M. le Président : Autrement dit, si je comprends bien, vous faisiez partie du comité d'entreprise.

Mme Sofia TERMIGNON : J'étais représentante syndicale.

M. le Président : En juin 2002, le comité d'entreprise, soucieux d'avoir les comptes de l'entreprise et à force de les demander s'est inquiété. Il a voté un droit d'alerte et a commis un expert pour obtenir ces comptes.

Mme Sofia TERMIGNON : Tout à fait.

M. le Président : A ce moment-là, le comité d'entreprise était-il unanime ?

Mme Sofia TERMIGNON : Non, mais le personnel navigant avait la majorité. La décision avait été prise à l'initiative du personnel navigant.

M. le Rapporteur : Qui avait voté pour, qui avait voté contre ?

Mme Sofia TERMIGNON : Le SPNC avait voté pour.

M. le Rapporteur : Avec quels autres syndicats ?

M. Philippe TERMIGNON : Tous les autres, excepté la CFDT.

M. le Rapporteur : Tous les syndicats, sauf la CFDT qui s'est abstenue ou qui a voté contre ?

Mme Sofia TERMIGNON : Je ne saurais vous le dire aujourd'hui.

M. le Président : La CFDT a gagné les élections qui ont eu lieu en juillet.

Mme Sofia TERMIGNON : Ils sont devenus majoritaires.

M. le Président : Le nouveau comité d'entreprise a donc annulé le droit d'alerte ?

Mme Sofia TERMIGNON : Non.

M. Philippe TERMIGNON : Le précédent comité d'entreprise avait initié cette procédure. En prenant la majorité...

Mme Sofia TERMIGNON : Nous ne l'avons pas annulé. Nous avons demandé simplement que M. Bonan soit remplacé.

M. Philippe TERMIGNON : Cela a pris du temps. Ils se sont dits qu'une fois lancée, la procédure irait à son terme. Mais, en fin de compte, la procédure végétait et nous n'avions aucun retour de M. Bonan.

M. le Président : M. Bonan tardait à donner ses conclusions.

M. Philippe TERMIGNON : Parce qu'il n'avait pas non plus d'informations. C'est le chat qui se mord la queue : il ne pouvait établir son compte rendu, nous n'obtenions pas d'informations.

M. le Président : M. Bonan a-t-il expliqué pourquoi il n'obtenait pas les informations ?

M. Philippe TERMIGNON : L'entreprise ne lui fournissait pas la documentation nécessaire.

M. le Rapporteur : Par la suite, le comité d'entreprise a changé d'expert.

Mme Sofia TERMIGNON : Le droit d'alerte a été maintenu, mais a démis M. Bonan de sa mission.

M. le Rapporteur : Qui a-t-il donc choisi ?

Mme Sofia TERMIGNON : Dans des délais brefs, il fallait trouver un autre expert prenant la suite. Finalement, il est arrivé tout ce qui fut rapporté par la presse au sujet d'Air Lib. Les préoccupations furent telles de part et d'autre que nous ne sommes pas revenus sur le droit d'alerte ni sur la nomination d'un autre expert.

M. le Rapporteur : Comment avait été choisi M. Bonan ? Par le comité d'entreprise ? Etait-il connu de certains membres du comité ? Appartenait-il à l'entreprise ?

M. Philippe TERMIGNON : Il me semble qu'il était connu de M. Petit.

Mme Sofia TERMIGNON : Du syndicat Alter. M. Petit l'avait introduit parce qu'il le connaissait.

M. le Président : Peut-on dire qu'à l'issue de toutes ces péripéties, vous arrivez au récent dépôt de bilan sans avoir eu connaissance des comptes de la société ?

Mme Sofia TERMIGNON : Un document, non daté et sans caractère officiel, nous a été remis par Maître Léonzi, conseil de Jean-Charles Corbet. On y découvre les flux de la trésorerie versés par Swissair sur la base des éléments transmis par Maître Léonzi. Il fut remis le 13 février 2003. C'est le seul document que nous avons eu ; je pense que vous devez également l'avoir aussi.

M. le Président : Vous nous le communiquerez.

Mme Sofia TERMIGNON : Bien sûr. De toute façon, ce n'était pas confidentiel, puisque la presse l'a eu !

M. le Président : Avant d'avoir en mains ce document, vous ignoriez que Holco-Lux et Mermoz Hollande étaient dépositaires de certains fonds.

Mme Sofia TERMIGNON : Nous l'avons découvert grâce à M. Bonan. La découverte de la création de filiales a fait partie du peu d'éléments que M. Bonan a pu nous fournir.

M. le Président : Vers le mois de juin 2002.

M. Philippe TERMIGNON : Je ne sais plus ; c'était un peu après l'été. Nous avons eu connaissance de ces deux filiales sans en connaître le contenu. Nous avons supposé que l'une d'elles avait hérité d'un certain nombre d'avions.

M. le Président : Aucun autre syndicat, aucune autre organisation n'avait connaissance de ces filiales ?

Mme Sofia TERMIGNON : Il ne me semble pas.

M. Philippe TERMIGNON : Officiellement, non.

M. le Rapporteur : Vous faites tous deux partie du personnel navigant commercial. Pouvez-vous nous confirmer les propos de vos collègues de la CFTC, selon lesquels il existait des pratiques assez étranges : le personnel navigant était autorisé à vendre des boissons, des sandwichs, achetés par la compagnie, le personnel navigant commercial se partageant le fruit de la vente pour améliorer sa rémunération. Avez-vous constaté ces faits ?

M. Philippe TERMIGNON : Chez Air Lib, les choses se sont toujours faites rapidement et un peu à contresens. Un jour, l'entreprise a décidé de faire du low fare. Parallèlement à la négociation de l'harmonisation des statuts (les accords des ex-Air Liberté arrivant à échéance) le produit low fare a été lancé très rapidement. Nous ignorions les méthodes de services qui seraient pratiquées dans l'avion. La problématique des ventes a été évoquée deux jours avant son lancement. C'est là que la direction a décidé de commencer ainsi et que l'on verrait par la suite. C'est un chantier resté inabouti. Il aurait fallu trouver une solution, mettre cela aux normes. C'est un chantier qui n'a pas été entrepris.

M. le Rapporteur : Concrètement, en tant que personnel navigant commercial pouvant vendre des produits achetés par la compagnie, que faisiez-vous de la recette ?

Mme Sofia TERMIGNON : Elle était partagée entre tous les membres de l'équipage, hors le personnel navigant technique, c'est-à-dire les pilotes.

M. le Rapporteur : En qualité de représentants du personnel, n'avez-vous pas fait remarquer qu'il s'agissait de travail au noir ...? Et que l'on courait à la catastrophe ?

Mme Sofia TERMIGNON : Si, si.

M. le Rapporteur : La direction n'a-t-elle pas réagi ?

Mme Sofia TERMIGNON : Le sujet a été débattu dans le cadre de deux comités d'entreprise avec une solution : on attendait une autorisation de Bercy.

M. le Rapporteur : Vous vous partagiez les recettes ?

Mme Sofia TERMIGNON : En attendant de trouver la solution.

M. Philippe TERMIGNON : On nous a opposé la situation des ouvreuses dans les cinémas qui bénéficient d'un système fiscal particulier.

Mme Sofia TERMIGNON : C'est ce qu'il était envisagé de mettre en place.

M. Philippe TERMIGNON : Ils attendaient le feu vert de l'Etat, si ce n'est de Bercy.

M. le Président : A ma connaissance, les hôtesses d'accueil dans les cinémas vendent des produits qu'elles achètent. Lorsque les produits sont achetés par la société, c'est tout à fait autre chose.

Mme Sofia TERMIGNON : Les produits étaient mis à disposition par l'entreprise.

M. le Rapporteur : En tant que personnel navigant commercial, quelle appréciation portez-vous sur la gestion commerciale, sur la gestion de la compagnie à travers ce que vous avez vu et vécu ?

M. Philippe TERMIGNON : Le comité d'entreprise est une instance consultative. C'est là où il peut y avoir débat. Or, il n'y a jamais eu débat dans cette entreprise. C'était un peu une dictature.

Lors de l'ouverture d'une ligne sur l'Algérie, des personnels ne souhaitaient pas s'y rendre. Au début, M. François Bachelet a consenti une formule de volontariat. Un peu plus tard, la Compagnie a souhaité ouvrir une ligne sur Tripoli qui a un passé très sulfureux dans le domaine du terrorisme aérien. Nous avons renouvelé notre demande qui a suscité une opposition radicale. Pour beaucoup de choses c'était l'imposition.

M. le Président : Vous avez parlé de dictature : de qui ?

M. Philippe TERMIGNON : De la direction, représentée par M. Corbet.

Mme Sofia TERMIGNON : Il y a eu une perte de confiance. Lorsque Jean-Charles Corbet a repris Air Liberté-AOM, beaucoup de gens y croyaient, puisque, socialement, son offre de reprise était la moins pénalisante pour les salariés. On y croyait donc. Au fur et à mesure, la perte de confiance fut totale ; c'est lui qui a créé ce climat. Nous avons totalement perdu confiance en lui.

Mon mari a évoqué le problème de l'ouverture de lignes vers l'Algérie et Tripoli. Les accords avec les personnels d'ex-Air Liberté et d'ex-AOM n'étant pas les mêmes, il fallait trouver une procédure d'harmonisation. Nous n'y sommes jamais parvenus, car, à chaque fois, les représentants de la direction revenaient avec des propositions différentes. La situation se répétait sans cesse. La distorsion de traitement et des statuts des personnels d'ex-Air Liberté et d'ex-AOM ne pouvait entraîner qu'une fusion ratée. La fusion ne s'est, à mon sens, jamais réellement faite. Cela fait partie de la mauvaise gestion.

M. le Président : N'y a-t-il pas eu harmonisation ?

Mme Sofia TERMIGNON : Par la force des choses, dans la mesure où les accords des personnels d'ex-Air Liberté sont arrivés à échéance. Lorsque nous avons été pris en location-gérance au bout de quinze mois, on nous a alors appliqué les accords d'ex-AOM.

Nous n'avons donc jamais pu négocier d'harmonisation entre nos accords et ceux d'AOM.

M. le Président : Je ne comprends pas. Un syndicat nous a indiqué qu'il y avait eu harmonisation au niveau du personnel.

Mme Sofia TERMIGNON : Pour le personnel au sol, alors que je me limite au personnel navigant.

M. le Président : Pour le personnel au sol, l'harmonisation a eu lieu, non pour le personnel navigant.

Mme Sofia TERMIGNON : On nous a imposé les accords existants pour les salariés de ex-AOM. Nous n'avons jamais négocié.

M. le Président : N'y a-t-il pas eu d'accord entre la direction et les syndicats ?

Mme Sofia TERMIGNON : Seulement sur une grille de salaires identique que les ex-AOM et les ex-Air Liberté ont signée. Nous étions alors en novembre 2000.

M. le Rapporteur : Quelle avait été la position du SNPNC lors de la décision du tribunal ? Etiez-vous pour la solution de reprise par M. Corbet ? Avez-vous appuyé cette solution ? Etiez-vous neutres ?

M. Philippe TERMIGNON : J'étais alors membre du comité d'entreprise. Nous avions voté pour la reprise par Holco. Sur la proposition de Marc Rochet, nous nous étions abstenus. De toute manière, la reprise par M. Rochet n'était pas possible, lui-même ayant déposé le bilan. Nous nous étions également abstenus sur la proposition de FIDEI.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas totalement répondu à la question : quelle est votre perception, en tant que syndicat, de la gestion de l'entreprise entre début août, date de la reprise, jusqu'au dépôt de bilan et la liquidation ?

M. Philippe TERMIGNON : Sur la gestion pratique de l'entreprise consistant à changer de cap, quand tout se passe bien, tout le monde est content ; en l'occurrence, on s'aperçoit que c'est un désastre. Des décisions ont peut-être été prises qui n'étaient pas les bonnes. Quant à la gestion financière, même si l'on nous a livré des comptes, à Air Lib, c'était assez flou sans compter que Air Lib était une branche de Holco. On sait tous que l'argent des Suisses a atterri chez Holco qui l'a ensuite ventilé en fonction des besoins des filiales. Nous étions tous au courant du chèque des Suisses, c'est là que l'on a fait des additions, des soustractions et qu'on s'est dit qu'il en manquait peut-être.

Mme Sofia TERMIGNON : J'estime que des fautes de gestion énormes ont été commises par Jean-Charles Corbet, notre président-directeur général, ne serait-ce que socialement - reportez-vous à ce que je vous ai dit tout à l'heure. Ce n'est pas un détail. Sans même parler de l'aspect financier, qui pour nous a été occulte, l'aspect social a été vraiment très mal géré.

M. le Rapporteur : De fortes tensions divisaient-elles les syndicats ? Initialement, avez-vous voté pour la solution Corbet ?

Mme Sofia TERMIGNON : Seule la CFTC a voté contre.

M. le Rapporteur : Quand avez-vous commencé à éprouver des doutes sur la bonne gestion de l'entreprise ?

Mme Sofia TERMIGNON : A partir du moment où fut attribué à une ex-déléguée syndicale CGT, Nathalie Cohen, un poste de directrice du personnel navigant commercial, sachant que cette personne était membre fondateur de la SDTA (Société de développement du transport aérien) regroupant exclusivement des salariés d'AOM. Elle était également secrétaire du comité d'entreprise. Elle a « atterri » du jour au lendemain à la direction du personnel navigant commercial alors que nous avions déjà un directeur PNC, présent, aussi bien du côté d'AOM que d'Air Liberté. C'était une première erreur. J'ai rencontré M. Corbet avec mon époux pour l'alerter sur ce point, car la situation avait été mal ressentie par l'ensemble du personnel navigant. Au début, il a bien voulu nous écouter, mais, dans la mesure où M. Bachelet était à l'époque président du directoire, M. Corbet n'intervenant qu'à titre d'actionnaire, M. Bachelet n'a pas souhaité démettre cette personne de ses fonctions, puisqu'elle venait d'être nommée. Nathalie Cohen était également déléguée syndicale CGT.

Fusionner deux populations totalement différentes - les ex-AOM et les ex-Air Liberté - et mettre à la tête du personnel navigant commercial une personne issue d'AOM, d'autant plus déléguée syndicale et membre fondateur de la SDTA dont le principe consistait essentiellement à la sauvegarde des emplois AOM et rejetait totalement la fusion avec les salariés d'Air Liberté a été une première erreur de Jean-Charles Corbet.

M. le Rapporteur : Quelle était la compétence de Mme Cohen ?

Mme Sofia TERMIGNON : Elle était chef de cabine principale.

M. le Rapporteur : Elle était donc opérationnelle.

Mme Sofia TERMIGNON : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Avait-elle une expérience dans le domaine de la gestion du personnel ?

Mme Sofia TERMIGNON : Absolument pas, comme du reste la plupart des directeurs qui ont « atterri » chez Air Lib à un moment donné.

M. le Rapporteur : Avez-vous d'autres exemples à nous citer ?

Mme Sofia TERMIGNON : Non, c'est le seul que je puisse mettre en avant, puisque nous l'avons vécu. Nous avons essayé de trouver une solution, une bonne solution. Nous n'avons pas réussi. L'aboutissement est là. La démonstration c'est que les négociations n'ont jamais avancé.

M. le Rapporteur : Un des objets de notre commission d'enquête est de répondre à la question : quelle a été l'utilisation des fonds publics ? Il y a eu un prêt du FDES de 30,5 millions d'euros et puis un moratoire en matière fiscale et de cotisations sociales.

Je vous pose la question comme je l'ai posée aux deux autres organisations syndicales auditionnées cet après-midi : pensez-vous que les fonds publics ont été bien utilisés ?

M. Philippe TERMIGNON : L'Etat n'est intervenu que dans un deuxième temps, la première grosse rentrée d'argent venant des Suisses. Jusqu'au mois de janvier 2003, nous ne savions pas ce qu'il en était de cet argent. Quant à la réponse sur les crédits qui ont suivi, donnez-la nous !... Dès lors que la première ventilation a été floue, l'argent qui a suivi n'a pu s'inscrire que dans le même registre.

M. le Président : Tout au long des démarches, depuis le début de la reprise par M. Corbet jusqu'à la fin, avez-vous eu connaissance des investisseurs promis au départ et que l'on n'a, semble-t-il, pas vus ?

M. Philippe TERMIGNON : Secret !

Mme Sofia TERMIGNON : Depuis le début, M. Corbet recherchait des investisseurs ; mais hormis M. Erik de Vlieger, PDG du groupe IMCA, nous n'avons jamais eu écho de quelque investisseur que ce soit. Il était réellement à la recherche d'investisseurs potentiels, mais aucun ne fut confirmé.

M. le Président : S'agissant d'IMCA, nous interrogerons les personnes concernées, mais M. de Vlieger a indiqué lui-même qu'il n'avait jamais formulé de telles promesses.

M. Philippe TERMIGNON : Je crois qu'ils ne sont pas tombés d'accord.

Mme Sofia TERMIGNON : Sans doute. Je le découvre ! Et cela selon M. de Vlieger ?

M. le Président : M. de Vlieger a prétendu ne pas connaître le plan de financement.

Mme Sofia TERMIGNON : Cela me semble étrange. M. de Vlieger est venu nous en parler !

M. Philippe TERMIGNON : Je les ai vus à la télévision dans le cabinet de Maître Léonzi. Ils ont dû s'entendre sur un accord.

M. le Président : A quelle date cela se situait-il ? Le plan définitif a été proposé le 20 novembre 2002.

M. Philippe TERMIGNON : C'était à cette date là. Je les ai vus à la télévision dans le cabinet de M. Léonzi, tous les deux souriants, ils avaient dû s'entendre sur quelque chose.

M. le Président : Vous situez-vous en novembre 2002 ou en janvier ?

M. Philippe TERMIGNON : En décembre, entre les deux. M. de Vlieger devait-il s'engager à bloquer de l'argent ou non ? D'après ce que j'ai lu dans la presse, il me semble qu'ils se soient entendus sur une répartition d'avions.

M. le Président : Selon les informations dont nous disposons, qui restent à confirmer - nous interrogerons les personnes responsables pour cela -, on n'a jamais vu les 150 millions d'euros d'investissement d'IMCA destinés à l'acquisition de nouveaux avions.

Mme Sofia TERMIGNON : Nous n'avons jamais été destinataires de documents officiels. Nous avons entendu M. de Vlieger lors d'une réunion de comité d'entreprise.

M. le Président : Il était prévu 50 millions d'euros de trésorerie - à confirmer - plus des paiements courants, lesquels étaient également à confirmer. Rien ne l'a jamais été.

Mme Sofia TERMIGNON : Oui, nous avons toujours été au courant : rien n'a jamais été confirmé par un document officiel.

M. de Vlieger a fait deux interventions lors de deux comités d'entreprise. La première fois, il a claqué la porte et il est reparti.

Vos propos m'étonnent un peu. Mais il est vrai qu'il n'y a jamais eu de documents officiels signés, présentés en tant que tels.

M. le Président : Il serait intéressant de rencontrer M. de Vlieger.

On nous a beaucoup parlé du rôle d'Air France dans tout ce qui s'est passé. Avez-vous eu le sentiment que la direction d'Air France était très présente dans les débats, par personnes interposées ? Avez-vous quelque chose à dire sur le rôle de M. Paris ?

M. Philippe TERMIGNON : M. Paris a des fonctions à Air France. Nous l'avons souvent croisé à Air Lib.

Mme Sofia TERMIGNON : Très souvent.

M. le Président : Où cela ?

Mme Sofia TERMIGNON : A Air Lib, bâtiment 363.

M. le Président : Il dit n'avoir aucun rapport avec Air Lib.

Mme Sofia TERMIGNON : Peut-être, mais il était très souvent là.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qu'il y faisait ?

Mme Sofia TERMIGNON : Je l'ignore. Il venait certainement voir M. Corbet. Il faudrait lui demander car nous n'avons, pour notre part, jamais pu le savoir.

M. le Rapporteur : Vous êtes-vous entretenus avec lui ?

Mme Sofia TERMIGNON : Une de mes collègues de la CGT a essayé de rencontrer M. Paris. Je crois qu'elle a eu un court entretien avec lui, mais il a rapidement coupé court ; il a même été très en colère. Cela s'est arrêté là.

Nous n'avons jamais eu d'éclaircissements sur la présence de M. Paris au sein d'Air Lib.

M. le Président : Cela fait la seconde fois que l'on nous dit qu'il se met fortement en colère.

Mme Sofia TERMIGNON : Ma collègue vous le confirmera, puisque c'est elle qui a eu cette altercation avec M. Paris.

M. le Président : Nous lui demanderons. Je vous remercie.

Audition de M. Paul Fourier, délégué syndical (CGT)

Procès-verbal de la séance du 2 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur Fourier, vous avez la parole.

M. Paul FOURIER : J'ai préparé un mémorandum des différents dossiers sur lesquels nous avons travaillé ces dernières semaines. J'ai vu que la commission d'enquête portait sur les raisons économiques et financières de la débâcle d'Air Lib. Nous nous sommes également interrogés sur ce qui s'est passé dans cette entreprise. J'ai listé ces interrogations qui ne sont pas nouvelles. Nous en sommes souvent restés au stade des questions parce que, malheureusement, nous n'avons pas des pouvoirs d'investigation extrêmement forts et que nous pouvons seulement travailler sur la base des documents que l'on a eus en notre possession au fur et à mesure de la vie de l'entreprise.

Je vais vous citer les points sur lesquels nous nous interrogeons. Nous avons été obligés de travailler sur des documents qui, pour la plupart, étaient clôturés au 31 mars 2002, c'est-à-dire sur une période assez limitée de la vie de l'entreprise. En particulier, sur la dernière année, nous n'avons pratiquement aucune indication supplémentaire, ce qui est un véritable problème. En tout cas, ce travail nous a permis de poser un certain nombre de questions.

J'évoquerai d'abord la question des filiales et je traiterai ensuite les autres aspects. Vous avez vu qu'il y a un montage un peu particulier d'une holding avec de nombreuses filiales. Certaines sont recensées en particulier dans le rapport Mazars ; d'autres ne sont pas recensées, ce qui est d'ailleurs curieux. Dès que nous avons eu connaissance de la liste de ces filiales, c'est-à-dire dès le début du premier trimestre de l'année 2002, nous nous sommes interrogés sur certaines que nous ne connaissions pas, en l'occurrence Holco Lux et Mermoz. Nous connaissions déjà les filiales productives.

M. le Président : Quand avez-vous eu connaissance de l'existence de ces filiales ?

M. Paul FOURIER : Je pense que cela devait être en février ou en mars. Il faudrait consulter les procès-verbaux des comités d'entreprise.

M. le Président : Jusqu'en mars 2002, vous ne saviez pas qu'il existait des filiales d'Air Lib à l'étranger ?

M. Paul FOURIER : Absolument.

Nous avons découvert cela un peu par hasard parce que des documents avaient été remis de manière confidentielle à des membres du comité d'entreprise. Il se trouve que, refusant cette règle permanente de la paranoïa et de la confidentialité de M. Corbet, nous avions refusé d'accepter cette règle de confidentialité parce que nous estimions que le comité d'entreprise n'était pas tenu à tout bout de champ de le faire. Nous avons appris par l'un de nos collègues qui l'avait signée et qui avait consulté le document, l'arrivée de filiales qui s'appelaient Holco Lux et Mermoz. Nous nous sommes dès le début interrogés sur l'intérêt d'aller délocaliser des filiales au Luxembourg, en Hollande et en Irlande.

Pourquoi avait-on mis de la trésorerie dans ces filiales ? Pourquoi ces filiales existaient-elles ? On nous a dit que c'était pour des raisons fiscales. D'ailleurs, je crois me rappeler -il faudrait vérifier cela avec les procès-verbaux des séances du comité d'entreprise-, qu'un membre de la direction -je crois que c'était Me Léonzi, l'avocat de M. Corbet- nous a expliqué que c'était pour défiscaliser des avions et que, en cela, ils avaient été -je ne me rappelle plus du terme exact- conseillés, semble-t-il, par le Gouvernement pour domicilier ces avions dans des paradis fiscaux, ce qui nous avait quand même un peu surpris.

M. le Président : On vous a dit qui avait donné ce conseil ?

M. Paul FOURIER : Je ne me rappelle plus si c'était vraiment un conseil, mais en tout cas, on nous a bien confirmé que c'était en coordination avec le ministère des finances de l'époque. C'est vrai que cela nous avait surpris. Je suis un citoyen naïf ...

M. Gilbert GANTIER : A quelle époque ?

M. Paul FOURIER : Cela doit remonter à février ou mars 2002.

M. le Président : Au premier trimestre ?

M. Paul FOURIER : Oui, mais je vérifierai dans les procès-verbaux des réunions du comité d'entreprise.

Etant un citoyen un peu naïf, je m'étais étonné qu'un gouvernement propose à une entreprise d'aller défiscaliser des avions. Il n'y a pas très longtemps, au cours de l'émission Capital sur M6, M. Corbet a dit que toutes les compagnies aériennes faisaient cela et que c'était quelque chose de tout à fait normal. Tant mieux, si je puis dire, si c'est la règle de fonctionnement normal des compagnies aériennes dans ce pays. Je vous avoue que nous avons été surpris quand nous l'avons appris.

Évidemment, il y avait cette histoire de filiale Mermoz, et en particulier, nous avions constaté qu'il y avait, semble-t-il, de la trésorerie dans cette filiale. Nous avons eu ensuite la confirmation par le biais du rapport Mazars qu'il y avait - je n'ai plus les chiffres - 11 ou 12 millions d'euros. Il semblerait que ces fonds étaient destinés à la maintenance des avions domiciliés dans cette filiale Mermoz. Or, il apparaît aussi dans le rapport Mazars que l'on n'est pas certain que cette trésorerie ait été utilisée à cela. En l'occurrence, on ne comprend pas très bien qui a payé la maintenance des avions, si c'est la filiale Mermoz ou la filiale Air Lib. Cela nous a amenés à nous demander pourquoi il y avait de la trésorerie dans les filiales, et si cela ne servait à rien, pourquoi elle y restait et à quoi elle servait.

Et encore, la filiale Mermoz se justifiait d'un point de vue aéronautique. Plus problématique ...

M. le Président : Excusez-moi, je n'ai pas l'organigramme d'Holco sous les yeux. Il y a une filiale qui est chargée de la maintenance des avions ?

M. Paul FOURIER : Oui, c'est Air Lib Technics.

M. le Président : C'est Air Lib Technics SAS qui, normalement, doit s'occuper de la maintenance des avions ?

M. Paul FOURIER : Absolument.

M. le Président : Alors pourquoi avoir transféré 12 millions d'euros en Hollande pour faire la même chose que Air Lib Technics qui était domiciliée à Paris ?

M. Paul FOURIER : Je crois comprendre que Mermoz était juste la filiale de domiciliation des avions. En revanche, la maintenance était - je pense - assurée par l'autre filiale qui est Air Lib Technics. Normalement, si je comprends bien le circuit organisé, Mermoz aurait dû payer à la filiale Air Lib Technics probablement le montant de la maintenance des avions. C'est ainsi que je peux comprendre le montage tel qu'il avait été fait. Or, je ne suis pas sûr effectivement que ce soit Mermoz qui ait payé Air Lib Technics et je me demande si ce n'est par Air Lib elle-même, c'est-à-dire la compagnie aérienne productive qui a payé.

D'ailleurs, on a pu constater que souvent, la compagnie aérienne avait tendance à payer et malheureusement, à peu recevoir. C'est un peu le problème et c'est peut-être aussi une des raisons pour lesquelles cette compagnie a été liquidée, sachant que dans le même temps, on avait des filiales dans lesquelles il restait de l'argent. Nous n'avons pas les comptes aujourd'hui, mais, semble-t-il, il reste de l'argent dans des filiales.

M. le Président : Quand vous dites que la compagnie payait plus qu'elle ne recevait, à quoi pensez-vous en dehors de Mermoz ?

M. Paul FOURIER : Je n'ai pas en tête exactement l'ensemble du dossier. Je vous donne un exemple qui me vient tout de suite à l'esprit : les frais de management, ce qu'on appelle les management fees. Holco, la holding de tête, envoyait son président et son staff dans Air Lib pour y travailler et facturait à la compagnie Air Lib un certain nombre de frais de management non négligeables. Je peux retrouver les chiffres car j'ai le rapport dans mon sac.

M. le Rapporteur : Étaient-ils rémunérés en tant que conseils ?

M. Paul FOURIER : Je ne saurais vous le dire d'un point de vue juridique. Je ne pense pas qu'ils l'étaient en tant que conseils, mais on m'a expliqué que cela se faisait couramment dans les holdings, c'est-à-dire que la filiale paie à la holding des frais de management.

M. le Président : Nous en prenons note et allons en chercher les raisons. Si je comprends bien, Air Lib appartenait à 100 % à M. Corbet ?

M. Paul FOURIER : Absolument.

M. le Président : Holco appartenait à 100 % à M. Corbet ?

M. Paul FOURIER : Absolument.

M. le Président : Donc, vous êtes en train de dire que M. Corbet envoyait un staff technique de Holco qui faisait bénéficier Air Lib de ses conseils ou de son travail et que Air Lib payait à ces gens-là des honoraires.

M. Paul FOURIER : Absolument. A mon avis, c'est le cas de M. Corbet lui-même.

M. Xavier de ROUX : M. Corbet était salarié d'Holco. Il n'était salarié d'Air Lib à aucun titre ?

M. Paul FOURIER : Je suis sûr que c'était le cas jusqu'en janvier ou février 2002, c'est-à-dire jusqu'au moment où il était président du conseil de surveillance. A l'époque, le dispositif comportait un directoire et un conseil de surveillance. A ce moment-là, effectivement, M. Corbet n'était pas salarié d'Air Lib. Ensuite, il est devenu président de la compagnie après le départ de M. Bachelet. J'imagine qu'en tant que président, il aurait dû logiquement être salarié d'Air Lib.

M. Gilbert GANTIER : Quand M. Bachelet est-il parti ?

M. Paul FOURIER : M. Bachelet a dû partir à peu près à la même période, c'est-à-dire février-mars 2002. Cela peut se retrouver parce que son départ a été assez ubuesque.

J'en viens aux autres filiales, en particulier à celle qui nous a posé véritablement problème dans sa finalité. Je suis issu d'une compagnie aérienne qui s'appelait Air Liberté. Donc, j'imagine que lorsqu'on reprend une compagnie aérienne après un plan de cession, c'est pour faire de l'aérien. Cela me paraissait plutôt logique. Or, nous avons vu apparaître une filiale qui s'appelait Holco Lux. Il n'y a pas très longtemps, nous nous sommes procuré ses statuts.

Nous avons découvert que cette filiale était destinée, je cite : « à prendre des participations sous quelque forme que ce soit dans des entreprises ou sociétés luxembourgeoises ou étrangères au Luxembourg ». C'est un peu surprenant, surtout dans le cadre d'une entreprise qui allait quand même très mal. Je vous rappelle que, dès décembre 2001, c'est-à-dire 5 mois après la reprise, Air Lib mettait déjà à l'ordre du jour du comité d'entreprise : « possible dépôt de bilan ». Les convocations du comité d'entreprise démontraient que cette entreprise n'allait pas forcément mieux qu'auparavant alors qu'un milliard venant de Swissair avait été dépensé et que des filiales avaient été créées, disposant de fonds pour faire d'autres choses que de l'aérien. Cela me paraît quand même ubuesque parce que pour nous, la priorité était quand même de sauver la compagnie aérienne et d'assurer son activité.

M. le Président : Hier, des représentants syndicaux nous ont dit que le niveau de ces fonds n'était pas tel qu'il aurait permis de soutenir l'activité de la société. Je ne vais pas dire que ce niveau était négligeable, mais c'est ce que j'ai retenu de ce qui a été dit. N'est-ce pas votre avis ?

M. Paul FOURIER : Si l'on estime que quelques millions d'euros sont des sommes négligeables, je veux bien. On peut, bien sûr, considérer que c'est négligeable compte tenu de l'ardoise qu'a laissée Air Lib aujourd'hui. C'est évident.

Quoi qu'il en soit, je pense que dans la logique d'un redressement d'entreprise, il aurait été normal que tout l'argent issu en particulier de Swissair aille dans la filiale productive qui s'appelait Air Lib. Deux millions d'euros par-ci, douze millions par-là, cela fait quand même près de 100 millions de francs. Je ne considère pas que ces sommes soient particulièrement négligeables. Surtout quand on voit à quoi cela servait ! Holco Lux a pris une participation dans une société qui s'appelait I.P. Bus qui, semble-t-il, était destinée à la formation des pilotes. Cela a fait l'objet d'ailleurs d'une question en comité d'entreprise par ma collègue Sylvie Guillou-Faure.

Quand on a appris la possibilité pour Holco Lux de faire de la formation de pilotes, Sylvie Guillou-Faure a posé la question en disant : « Si l'on comprend bien, vous pourriez, à un moment donné, fermer la compagnie aérienne et garder votre filiale de formation des pilotes qui pourra être utilisée par n'importe quelle autre compagnie aérienne ». Effectivement, la réponse de la direction avait été claire. Ils avaient dit : « Oui, juridiquement, c'est tout à fait possible qu'à un moment donné, on ne garde que cette filiale ou que telle ou telle filiale et que la compagnie aérienne ait disparu ».

Pour cette raison, dès le début, nous les avons suspectés de vouloir mettre sinon de l'argent, en tout cas de l'activité de côté pour assurer un avenir à cette holding au-delà de la compagnie aérienne.

M. le Président : Vous dites « la direction ». Vous souvenez-vous de l'auteur de cette déclaration ?

M. Paul FOURIER : Je crois qu'il s'agit de Me Léonzi. Il s'exprime beaucoup en comité d'entreprise. C'est l'avocat de M. Corbet.

M. le Président : Me Léonzi s'exprime en tant que représentant de la direction au comité d'entreprise ?

M. Paul FOURIER : Oui. Me Léonzi est effectivement invité régulièrement au comité d'entreprise et en général, c'est lui qui parle sur ces questions-là.

Il existe également une filiale à propos de laquelle on ne sait rien, d'autant plus qu'elle n'apparaît pas dans le rapport Mazars, c'est Air Lib Finances.

Nous nous posons vraiment des questions sur Air Lib Finances parce que c'est visiblement un dispositif qui existait dans l'ancienne Air Lib. C'est quelque chose qui est destiné à utiliser l'argent de la compagnie. C'est quelque chose d'assez classique, probablement, qui prend des participations. Quoi qu'il en soit, cela ne figure pas dans les organigrammes et on aurait lu dans un article de La Tribune, il n'y a pas très longtemps, qu'en plus, cette filiale détenait des avions. J'avoue que je n'ai aucune information là-dessus.

J'en viens justement aux avions. C'est un vrai problème. Comme ces avions ont été mis dans des filiales, certains chez Mermoz et peut-être certains chez Air Lib Finances, ceci impliquait donc que les avions étaient loués à la compagnie aérienne.

La question s'était déjà posée au moment où la Sabena s'est retournée contre Swissair : à savoir le principe des loyers des avions. On a toujours tendance à se demander si les loyers pratiqués par une filiale à l'égard de la compagnie aérienne sont bien des loyers du marché, sachant que nos avions ne sont pas d'une jeunesse éclatante. Ce sont quand même des MD 80, des DC 10, des avions qui, aujourd'hui, ne sont plus fabriqués et pour lesquels il reste juste de la maintenance. McDonell Douglas a été avalé par Boeing, il n'y a donc plus d'espoir de revoir ces avions un jour sur le marché à l'état neuf.

Nous nous sommes donc interrogés sur les loyers des avions, mais je n'ai pas d'indication particulière sur ce point.

M. le Président : D'après vos informations, qui louait les avions à qui ?

M. Paul FOURIER : Normalement, la logique aurait voulu que ce soit Mermoz qui loue les avions à Air Lib. Maintenant, il faudrait effectivement vérifier dans le rapport en question si l'argent n'a pas été encaissé en fait par Holco. J'ai un doute là-dessus.

Mme Odile SAUGUES : Le verbe louer fonctionne dans les deux sens. Pourriez-vous me repréciser le sens de cette location.

M. Paul FOURIER : C'est la compagnie aérienne qui exploite les avions et Mermoz qui les détient. C'est donc bien Mermoz qui loue ses avions à la compagnie aérienne pour qu'elle les exploite.

M. Xavier de ROUX : Mermoz est le propriétaire, Air Lib le locataire.

M. le Président : D'après ce qui nous a été dit hier, Mermoz a fait l'objet d'un transfert de crédit venant de Swissair, d'après ce que nous avons compris, aux environs de 12,2 millions d'euros. Cette société, ensuite, a reçu des actifs, notamment des avions, 7 ou 8 venant d'Air Lib. Ces avions sont allés de France en Hollande. Cette société avec ses 12 millions d'euros a garanti ces fameux avions qui, ensuite, ont été loués par cette société-là, propriété à 100 % de M. Corbet, à Air Lib, aussi propriété à 100 % de M. Corbet, en France.

M. Paul FOURIER : Oui, tout à fait.

M. le Président : Pour 10 millions d'euros par an en location. Voilà, madame Saugues, le sens de la location.

M. le Rapporteur : Monsieur Fourier, vous avez parlé d'une société qui s'appelle Air Lib Finances. Etes-vous sûr qu'elle existe ?

M. Paul FOURIER : Oui, je suis sûr qu'elle existe parce que nous en avons trouvé la trace sur Internet avec un statut déposé. Malheureusement, je ne suis pas sûr d'avoir la pièce sur moi. Je me rappelle que le dirigeant de cette filiale est M. Pascal Perri.

Il faut bien rechercher là où l'on peut. Nous avions recherché sur Internet les différentes filiales. Nous avions trouvé Air Lib Finances avec un dirigeant, M. Pascal Perri. D'ailleurs, lorsque vous cliquez sur Pascal Perri, vous vous apercevez qu'il était également dirigeant d'une société immobilière créée fin 2001 à Charleville-Mézières. Nous avons pensé que, probablement, les nouveaux salaires de M. Perri lui permettaient de se lancer dans l'immobilier parallèlement. Excusez-moi de faire cette remarque, mais quand on découvre certaines choses, on a du mal à l'accepter.

A propos des avions, il y a évidemment le gros problème de savoir qui est propriétaire aujourd'hui des avions de Mermoz. On a vu la situation absolument ubuesque de M. Corbet disant qu'il s'était fait voler une filiale avec ses avions. Là, franchement, je suis consterné. De plus, on sait très bien que l'architecte de la holding Corbet est Me Léonzi. Pour l'avoir vu travailler, il n'a pas l'air d'être un amateur. En tout cas, il a été à même de construire une holding avec des filiales et des fonds ayant transité à droite et à gauche. Que l'on ne vienne pas me dire que pour des prétextes de traduction en néerlandais, il s'est fait voler une filiale avec les avions et les fonds qui vont avec. Tous les salariés étaient médusés lorsqu'ils l'ont appris. Nous verrons bien. La justice a été saisie de cette affaire. A mon avis, cela risque de faire rire les juges.

Un des gros problèmes de la saisie de la justice par M. Corbet aujourd'hui est le principe de l'inaliénabilité des filiales et des avions pendant deux ans. C'est quelque chose qui nous a aussi interpellés lorsque nous avons appris que M. de Vlieger serait peut-être devenu propriétaire des avions. Je vous rappelle que le jugement du tribunal de commerce d'août 2001 avait spécifié que les filiales et tout ce qui allait avec, en particulier les avions, étaient inaliénables, ne pouvaient être cédés sans l'accord du tribunal de commerce pendant deux ans. Cette période allant d'août 2001 à août 2003, si M. Corbet a cédé les avions, ce n'est pas conforme au jugement du tribunal de commerce de cette époque. Cela nous paraît évident, et c'est une des raisons pour lesquelles nous l'avions interpellé, y compris d'ailleurs en assemblée générale il n'y a pas très longtemps.

M. Jean DIEBOLD : Sait-on où sont les avions, physiquement ? Car un avion ne disparaît pas ainsi. Si l'on sait où ils sont, par définition, ces avions ont des livrets de bord les identifiant, des plaquettes les identifiant avec des numéros de série. Par ailleurs, ces avions sont toujours assurés.

M. le Président : Monsieur Diebold, nous poserons ces questions lorsque nous recevrons les dirigeants d'Air Lib, car, bien entendu, c'est à eux qu'il faut les poser.

M. Jean DIEBOLD : D'accord.

M. le Président : Effectivement, c'est une question très intéressante à poser. Mais laissons M. Fourier terminer son exposé.

M. Paul FOURIER : Ensuite, nous nous étions interrogés sur les chiffres apparus, en particulier ceux fournis par le cabinet Léonzi entre la cessation de la licence et la liquidation, courant février de cette année.

Le cabinet Léonzi avait fini par transmettre une liste donnant le décompte des fonds venant de Swissair. Certaines lignes nous avaient quand même interpellés, particulièrement celle des cabinets d'avocats.

A propos des avocats, des cabinets de conseil, des frais de personnel ainsi que de la CIBC, la première question que nous nous étions posée était de savoir si cela correspondait au prix du marché. Il semble fondé de se demander si, effectivement, Me Léonzi en tant qu'avocat était rémunéré au tarif d'un avocat d'affaires. Nous avons pu constater simplement qu'il avait perçu sur la période de 8 mois considérée 4,163 millions d'euros, soit environ 30 millions de francs. Je ne suis pas un spécialiste des cabinets d'avocats d'affaires. Je pense que chacun pourra juger si ce sont les tarifs ou non des cabinets d'avocats.

Cela nous avait un peu surpris. D'autant que, si vous avez suivi les aventures d'Air Lib dans les dernières semaines, mais aussi avant, Me Léonzi avait une tendance à se porter en justice pour tout et n'importe quoi. En tout cas, c'est le sentiment que nous avons eu.

Dès qu'il se passait quelque chose, Me Léonzi déposait une plainte à droite, à gauche, attaquait, etc.

Nous avons pu constater que Me Léonzi travaillait beaucoup. C'était probablement l'un des salariés qui travaillait le plus dans cette entreprise. En particulier, il était tout le temps sollicité pour aller attaquer, pour monter des dossiers et probablement pour avoir les honoraires correspondants à ces dossiers. C'est effectivement une des questions que l'on s'est posée. Je n'ai pas la réponse. En tout cas, on l'a vu beaucoup intervenir dans différentes cours.

M. Xavier de ROUX : Combien de temps a duré la mission de Me Léonzi ?

M. Paul FOURIER : Elle a commencé au moment de la reprise. Nous avons vu apparaître Me Léonzi en avril ou mai 2001, c'est-à-dire au moment où M. Corbet a présenté son plan de reprise. Me Léonzi travaille toujours pour M. Corbet à l'heure qu'il est.

M. le Président : Le montant des honoraires dont nous avons connaissance porte sur 8 mois.

J'aimerais qu'à la fin de votre exposé, vous apportiez l'information que nous attendons également de la part de votre syndicat, sur le jugement que vous avez porté au début de l'affaire sur le plan de reprise. Que vous terminiez par cela pour que nous puissions vous interroger sur ce sujet.

M. Paul FOURIER : Nous avons eu les mêmes interrogations sur les cabinets de conseil dans l'entreprise. Nous en avons vu apparaître beaucoup. Nous n'en connaissons pas forcément le détail. Je peux juste en citer deux qui sont les gens qui ont travaillé avec nous : Pierre-Yves Lagarde qui s'est occupé en particulier du plan de licenciement de 2001 et qui est réapparu il n'y a pas très longtemps pour retravailler sur l'actionnariat salarié à trois jours de l'arrêt de la licence. Il était un peu tard, mais je crois que c'est parce que les pilotes commençaient à s'énerver de ne pas avoir leurs 34 % d'actionnariat.

Nous savons que sont aussi intervenus dans l'entreprise des gens qui se sont occupés du nouveau système d'exploitation pour les personnels navigants, ce qu'on appelle le système on-off. Vous vous rappelez peut-être que M. de Vlieger avait accusé mon organisation syndicale de ne pas avoir signé les accords sur ce système, ce qui l'empêchait de rentrer dans l'entreprise et de formaliser son achat. C'était l'une des raisons qu'il avait données. Nous croyons savoir qu'effectivement, les consultants s'en étaient occupés.

Au bout du compte, on a pu recenser 5,5 millions d'euros d'honoraires de cabinets de conseil dans l'entreprise. C'est un des chiffres figurant dans l'analyse du rapport Mazars. Je peux vous le transmettre.

M. le Président : Nous avons ce rapport.

M. Paul FOURIER : S'agissant du personnel intérimaire, nous nous sommes posés des questions. C'est le cas pour M. Asseline, ancien pilote d'Air France, qui a été intégré dans l'entreprise au début en tant qu'intérimaire et, semble-t-il, à des tarifs très intéressants. Par ailleurs, sauf erreur de ma part, quand vous êtes intérimaire, certaines primes s'ajoutent à votre salaire. Je pense que ce sont des primes de précarité.

Je comprends qu'il y ait des intérimaires au passage ou au trafic à Orly pour des pics d'activité, mais il est arrivé probablement en tant qu'ami de M. Corbet et probablement aussi pour s'occuper de la formation des pilotes, peut-être même dans le cadre d'I.P. Bus. En tout cas, c'est que nous avons entendu dire.

Autre point d'interrogation : la CIBC, banque canadienne qui a, semble-t-il, assisté M. Corbet au moment de la reprise, a touché 9,135 millions d'euros. En comité d'entreprise, M. Corbet nous a dit qu'ils avaient beaucoup travaillé, mais à notre connaissance, on n'a jamais vu la valeur ajoutée qui a été apportée par la banque canadienne CIBC. En tout cas, légitimement, on pouvait se demander pourquoi verser des honoraires aussi importants à une banque qui, somme toute, n'avait pas apporté d'investisseurs alors que c'était sa mission.

J'en viens aux frais de personnel de Holco. D'un point de vue moral, nous avons été très choqués de voir que le personnel de Holco - d'après SECAFI ALPHA, il s'agit de 4 personnes et d'une indemnité de licenciement - avait reçu 2,63 millions d'euros en 8 mois, soit 17 millions de francs. On peut lire dans le Canard Enchaîné - je ne sais pas si ses sources sont bonnes - qu'en arrivant, M. Corbet s'est octroyé une prime défiscalisée de 750 000 euros. Cela va dans le sens des remarques que j'avais faites auparavant sur cette entreprise en difficulté : de l'argent part dans des filiales et des salaires exorbitants sont versés...

En tant que syndicalistes, nous nous situons sur le plan moral et cela nous avait particulièrement choqués.

Un autre point : le droit d'alerte. Certaines questions que l'on se pose aujourd'hui sur Holco Lux, sur Mermoz, sur la rentabilité des lignes, nous les avions posées lors d'un droit d'alerte déclenché en avril 2002 parce que nous nous demandions comment l'entreprise fonctionnait.

M. le Président : Dans quelles conditions ce droit d'alerte a-t-il été déclenché ? Hier, vos collègues d'autres syndicats nous en ont parlé. On a le sentiment qu'il a été déclenché à la demande d'organisations syndicales et qu'ensuite, il a été abandonné à la demande d'autres organisations syndicales par le comité d'entreprise à la suite des élections professionnelles survenues entre-temps.

M. Paul FOURIER : Oui, absolument.

Comme nous ne recevions aucune réponse sur un certain nombre de questions importantes, une des possibilités ouvertes au comité d'entreprise était de déclencher un droit d'alerte qui oblige, en quelque sorte, la direction à répondre à ces questions. Il est vrai qu'avant les élections, avec une autre majorité, nous avons déclenché le droit d'alerte.

M. le Président : A quelle période ?

M. Paul FOURIER : En avril 2002.

Il y avait une petite difficulté dans cette entreprise. C'est un secret de polichinelle, mais un syndicat fort, d'ailleurs le syndicat majoritaire de cette entreprise, a été quand même assez proche de M. Corbet pendant tous ces mois. Nous avions cru comprendre que ce syndicat s'opposait en particulier à la mise en place du droit d'alerte. D'ailleurs, nous l'avons très bien compris par le biais du vote, puisque, quand le droit d'alerte est venu à l'ordre du jour du comité d'entreprise, ce syndicat s'y est opposé. Le droit d'alerte a quand même été mis en place.

Didier Petit, que vous entendrez après moi, pourra vous donner plus d'informations, d'autant plus qu'il est accompagné de Claude Bonan, l'expert-comptable qui a travaillé sur le droit d'alerte. Je pense qu'il vous donnera plus d'informations là-dessus.

Après les élections, le comité d'entreprise a essayé de faire abandonner le droit d'alerte, ce qui n'est pas possible juridiquement. Ensuite, il y a eu des problèmes avec M. Bonan et, d'après ce que nous croyons savoir, ils ont fini par changer d'expert-comptable.

En bref, le droit d'alerte a été sinon abandonné, en tout cas jeté aux oubliettes sans que nous ayons forcément toutes les réponses que nous en attendions. C'est quand même assez problématique parce que cela fait partie de nos prérogatives.

M. le Président : Êtes-vous en train de dire au nom de la CGT que la nouvelle majorité a fait en sorte d'étouffer le droit d'alerte en changeant d'expert et en allongeant la durée de l'étude ? Est-ce votre sentiment ?

M. Paul FOURIER : C'est le sentiment que nous avions puisqu'il a été conforté par le vote justement de ces élus au moment du droit d'alerte. Nous savions donc que ces élus étaient opposés à la mise en œuvre du droit d'alerte. Cela n'a pas été une surprise de voir qu'une fois la majorité changée, la procédure a été infléchie et que M. Bonan a eu maille à partir avec le secrétaire du comité d'entreprise.

M. Bonan n'est pas forcément quelqu'un de toujours très adroit dans sa façon de s'exprimer, mais des lettres recommandées ont été envoyées de part et d'autre. Au bout du compte, oui, je pense que la nouvelle majorité a fait le choix d'abandonner le droit d'alerte.

Un membre de la direction m'a raconté que, le jour où le droit d'alerte avait été voté en comité d'entreprise, le chef de la délégation de la fameuse organisation syndicale ...

M. le Président : Pouvez-vous nous dire son nom ?

M. Paul FOURIER : La raison pour laquelle j'hésite à donner les noms, c'est que cette anecdote m'a été racontée et que je n'étais donc pas moi-même témoin de la scène.

On m'a raconté que M. Nicoli se serait fait sermonner par M. Corbet pour ne pas avoir été capable de s'opposer à la mise en œuvre du droit d'alerte par le comité d'entreprise. Voilà l'anecdote que l'on m'a racontée.

M. le Rapporteur : Qui vous l'a racontée ?

M. Paul FOURIER : C'était un membre de la DRH.

M. le Président : Vous ne souhaitez pas citer son nom ?

M. Paul FOURIER : Non, je préfère ne pas le citer.

M. Xavier de ROUX : Vous avez cité M. Nicoli. Quelle est la fonction de l'épouse de M. Nicoli au sein de la société ?

M. Paul FOURIER : Je ne me suis pas intéressé à la fonction de Mme Nicoli. Ce que je sais, c'est qu'elle a eu, semble-t-il, une promotion après l'arrivée de M. Corbet. Elle a été nommée à la DRH, d'après ce que j'ai compris, mais je ne connais pas sa fonction exacte.

Nous nous sommes posés également des questions à propos des gens qui se sont promenés dans cette entreprise et dont nous ne savions pas trop qui ils étaient. Des consultants ? Des salariés ? Des salariés d'Air Lib ou des salariés d'Holco ? Nous ne savions pas trop.

Je vais citer quelqu'un avec qui beaucoup de syndicalistes ont eu maille à partir : M. Christian Paris, pilote d'Air France, membre du conseil d'administration d'Air France, visiblement grand ami de Jean-Charles Corbet et qui a été beaucoup vu dans l'entreprise à divers titres. D'ailleurs, je l'ai eu plusieurs fois au téléphone, y compris parfois pour des menaces.

M. le Président : Des menaces de quel ordre ?

M. Paul FOURIER : Comme c'était sur mon portable et que malheureusement, je ne sais pas comment enregistrer les messages, j'avais retranscris la chose car c'était assez drôle. M. Paris me disait que j'étais un menteur, un manipulateur. C'était l'époque où je préconisais un rapprochement d'Air Lib avec Air France. En gros, il m'avait dit : « De toute façon, les salariés d'Air Lib, tant que je serai chez Air France, ne rentreront jamais chez Air France ».

J'ai eu d'autres altercations avec lui. En particulier, un jour, M. Paris m'a appelé pour me dire que l'AFP avait un document confidentiel que je leur aurais fourni. J'ai appelé l'AFP pour leur demander de m'informer de cette histoire. L'AFP m'a confirmé qu'ils n'avaient pas ce document. En gros, M. Paris me disait : « Tu as fourni un document à l'AFP, et donc on va t'attaquer pour violation de la confidentialité des débats du comité d'entreprise, etc. »

M. Paris est quand même assez coutumier de ces faits.

M. le Président : Vous parlez du comité d'entreprise d'Air Lib ?

M. Paul FOURIER : Oui.

M. le Président : Parce que M. Paris participait au comité d'entreprise d'Air Lib ?

M. Paul FOURIER : Non, il n'y participait pas physiquement, mais visiblement, il était très au courant de ce qui s'y passait. En tout cas, c'est lui qui m'a appelé sur ce point-là.

M. le Rapporteur : Quel était le rôle de M. Christian Paris ?

M. Paul FOURIER : Je ne sais pas.

M. le Rapporteur : Quelles relations avez-vous eues avec lui ?

M. Paul FOURIER : M. Paris, après la reprise, a appelé un certain nombre de syndicalistes, dont moi, pour nous raconter ce qui se passait dans l'entreprise, nous expliquer qu'il fallait faire en sorte que l'entreprise fonctionne bien. Donc, il ne fallait pas trop faire le syndicaliste.

Bref, ce sont des choses qui peuvent être légitimes. C'est-à-dire que M. Paris appelait pour calmer un peu le jeu. A chaque fois que je l'ai eu, il expliquait qu'il était à la recherche d'investisseurs. Peut-être qu'il assurait la liaison entre M. Corbet et la compagnie nationale Air France puisqu'il y a eu quand même des accords de code share conclus entre Air Lib et Air France.

M. le Rapporteur : D'après ce que vous savez, quelle était la fonction de M. Paris au sein d'Air Lib ou du groupe Holco ?

M. Paul FOURIER : Je n'en ai aucune idée puisque, lorsque nous lui avons posé la question, il nous a toujours répondu qu'il était là à titre amical et gracieux pour conseiller M. Corbet, mais qu'il n'avait aucune fonction officielle dans l'entreprise. C'est ce qu'il nous a dit. Je ne pense pas qu'il était salarié de l'entreprise.

M. le Président : Pas de fonction, mais un grand rôle ?

M. Paul FOURIER : Visiblement un rôle puisqu'il était très présent.

Mme Odile SAUGUES : Je souhaiterais poser plusieurs questions. Puis-je les poser maintenant ou après, monsieur le Président ?

M. le Président : Portent-elles sur M. Paris ?

Mme Odile SAUGUES : Non.

M. le Président : Monsieur Fourier, achevez votre exposé et ensuite, nous passerons aux questions.

M. Paul FOURIER : La dernière chose que j'avais à dire a trait aux liens entre Air Lib et Air France. Comme je vous le disais, un partenariat s'est établi entre Air Lib et Air France, en particulier par le biais d'un code share sur les Antilles. A mon avis, c'était une très bonne chose puisque nous avons toujours plaidé plutôt pour la complémentarité et pour que les compagnies puissent, plutôt que de mener des luttes fratricides à coup de guerre des prix, avoir une politique plus intelligente.

Or, Air Lib est une petite compagnie et nous avions déjà connu le cas avec Air Liberté et AOM, nous avons eu le sentiment que M. Corbet a pris l'initiative d'envenimer les relations avec Air France. Cela nous a d'autant plus surpris qu'à notre avis, Air Lib n'avait pas les moyens de le faire.

Je vais vous dire pourquoi, à un moment donné, nous avons été amenés à nous poser ces questions.

Chacun peut avoir sa stratégie. Nous l'avions fait à l'époque d'Air Liberté en sachant que nous étions soutenus par British Airways qui est un concurrent reconnu d'Air France et qui pouvait se permettre d'affronter, y compris financièrement, frontalement, la compagnie nationale Air France. Or, à aucun moment, Air Lib n'a eu les moyens d'affronter financièrement la compagnie nationale Air France. On l'a vu quand ils ont demandé les droits sur l'Afrique au Conseil supérieur de l'aviation marchande alors que l'on savait très bien qu'il était extrêmement délicat d'aller sur ce terrain.

Le problème était de savoir si M. Corbet avait comme objectif de garder cette compagnie aérienne et de lui donner les moyens de se développer ou de survivre ou si à un moment donné, on irait au conflit qui allait tuer l'entreprise. C'est vraiment la question que nous nous sommes posée.

La dernière question que je pose est la suivante : est-ce qu'à un moment donné, M. Corbet est allé à la liquidation de cette entreprise de manière contrainte ou y est allé de manière voulue ? J'ai toujours en tête les propos de M. de Robien, de M. Bussereau, les ministres en exercice, nous racontant la fameuse nuit de l'arrêt de la licence. J'ai tendance à les croire sur ce point alors que je ne suis pas forcément un camarade de jeu des ministres actuels et que mon étiquette ne plaide pas forcément dans ce sens-là. Ils nous ont dit : on a accordé à M. Corbet les lignes sur l'Afrique, on lui a accordé un certain nombre de choses. L'avis du CSAM était clair : la licence était donnée si l'investisseur arrivait, si M. de Vlieger arrivait.

Or, au dernier moment, M. de Vlieger a rajouté une condition suspensive supplémentaire qui était l'achat d'Airbus au même prix qu'EasyJet. Effectivement, cela posait un problème à la compagnie Airbus parce qu'elle n'avait pas forcément à négocier de cette façon. On s'est aperçu qu'en fait, les négociations avaient échoué là-dessus. On peut se demander si M. de Vlieger ou si M. Corbet n'ont pas décidé de faire échouer ces négociations pour liquider cette entreprise.

M. le Président : Vous venez de dire très clairement que vous avez le sentiment au fond de vous-même que l'on peut avoir des doutes - je suis prudent - quant à la volonté de M. Corbet d'éviter la liquidation d'Air Lib en raison des surenchères de dernière minute.

M. Paul FOURIER : C'est assez difficile de comprendre ce que M. Corbet a voulu faire pendant les dernières semaines, y compris avec le dernier repreneur, CGM Virgin. M. Nicoli, hier, en assemblée générale, nous a expliqué qu'en quelque sorte, CGM Virgin aurait joué la liquidation. La CGM aurait estimé qu'il était plus facile de récupérer un morceau de l'entreprise après la liquidation qu'avant. Donc, on peut se demander si la liquidation était utile et dans quel cadre.

Le problème est que cela fait apparaître d'autres choses. Je vous rappelle qu'il y a quand même 2 500 chômeurs aujourd'hui. En attendant la liquidation, cela permet aussi de faire payer les indemnités de licenciement à la collectivité publique plutôt qu'à l'entreprise elle-même. Ce sont des sommes non négligeables.

M. le Président : Nous pouvons maintenant passer aux questions. Je vous propose de les regrouper. Monsieur Fourier, vous voudrez bien noter les questions et y répondre ensuite, car je présume qu'elles vont se recouper, d'une manière globale.

Mme Odile SAUGUES : Effectivement, je pense qu'il convient de noter les questions parce qu'hier, je n'ai pas pu poser toutes mes questions, et surtout, je n'ai pas eu de réponse à toutes. Or, il est important que nous puissions poser les questions sur lesquelles il est intéressant d'entendre quelques réponses. Sinon, ce n'est pas la peine d'être là.

Avant de revenir sur la fin de ce qui s'est passé ces derniers jours, je voudrais revenir sur la période de la reprise par M. Corbet. Seize projets concurrents se sont affrontés, ce qui paraît quand même important. Quels regards avez-vous portés sur ces projets de reprise ? M. Corbet, à cette période-là, vous est-il apparu fiable ?

Une autre question en découle : pensez-vous qu'il y a la place pour un autre pôle aérien à côté d'Air France ? C'est une question que chaque élu peut se poser.

Les organisations syndicales ont, semble-t-il, divergé dans le jugement qu'elles ont porté sur cette reprise. Au comité d'entreprise du mois d'août 2001, comment avez-vous accueilli le plan social qui a donné lieu quand même à 1 405 licenciements dont 750 départs volontaires ?

Pour ce qui est de la période plus récente, d'une manière générale, on a remis en cause la crédibilité du plan de reprise présenté par M. de Vlieger et la fiabilité de cet investisseur. C'était une position des organisations syndicales. Confirmez-vous la divergence entre les positions syndicales sur ce point ?

Vous avez déclaré par ailleurs à l'Humanité, je vous cite : « On a l'impression d'avoir affaire à une bande de requins qui viennent se servir sur la bête et que les Aeris, les compagnies d'outre-mer, les EasyJet et Ryanair attendront qu'on soit mort pour grossir sur la dépouille d'Air Lib ». Pouvez-vous nous en dire davantage et nous dire ce que vous entendiez par là, même si, on croit le comprendre.

Je voudrais aussi vous poser une dernière question : Air Lib était-elle vraiment structurée pour pouvoir faire du low cost ? Y avait-il une possibilité de trouver un créneau dans ce type de fonctionnement du transport aérien ?

M. Xavier de ROUX : Avez-vous le sentiment que M. Paris agissait comme une sorte d'associé, informel, de M. Corbet ou avez-vous le sentiment qu'il pouvait représenter d'autres intérêts que les siens propres ?

Lorsque Me Léonzi intervenait au comité d'entreprise, le faisait-il sur des points de droit ou sur la marche générale de l'entreprise ?

M. Gilbert GANTIER : Que veut dire Holco ? Quand ce groupe Holco a-t-il été créé ? Est-ce lié au départ de M. Bachelet ? Parce que c'est M. Corbet, personne physique, qui en est le président. Est-ce au moment du départ de M. Bachelet que Holco a été créé ?

M. le Rapporteur : Certaines de mes questions se recoupent avec celles qui viennent d'être posées.

Première question : quelle a été la position de votre organisation syndicale en mai-juin 2001 lors du choix par le tribunal de commerce de la solution Holco alors qu'il y avait deux autres solutions ?

Deuxième question : vous avez dit tout à l'heure que la CFDT avait été assez proche de la direction. Pourriez-vous être plus précis ? En effet, nous avons auditionné trois organisations syndicales hier. Deux d'entre elles nous ont dit des choses assez précises d'après lesquelles, par exemple, il y avait eu des avancements faits pour « tenir » certaines personnes. A cette occasion, l'un de vos collègues, M. Laurent Duhayer, délégué de la CFTC, nous a dit qu'il y avait eu aussi des tentatives « d'avoir de bonnes relations avec la CGT » en promouvant une dame, dont ils nous ont donné le nom, Mme Cohen. Elle appartenait, semble-t-il, à votre organisation syndicale et elle a remplacé d'ailleurs M. Laurent Duhayer pour s'occuper du personnel PNC. Ceci a-t-il été fait dans le cadre des pressions, des menaces que vous avez évoquées tout à l'heure et dont vous avez fait l'objet ? Cela faisait-il partie d'une stratégie concertée pour circonvenir la CGT afin qu'elle adopte une attitude plus compréhensive ?

Troisième question : les relations avec Air France. Certains de vos collègues nous ont dit que M. Paris s'était présenté comme le porteur des intérêts d'Air France. Nous vérifierons, bien entendu, avec M. Spinetta si c'est exact. Ils ont ajouté qu'au fond, il souhaitait que la compagnie soit peu compétitive, mais pas forcément qu'elle meure.

Quatrième question : quel jugement portez-vous sur la façon dont l'entreprise a été gérée par M. Corbet et son groupe ?

Question subsidiaire : à partir de quand - puisque vous avez voté pour la solution Corbet - avez-vous commencé à avoir des doutes sur la gestion de la compagnie ?

Enfin, étiez-vous au courant des pratiques concernant le personnel navigant commercial qui vendait, avec l'accord de la direction, des sandwiches et des boissons pour se rémunérer et qui se partageait uniquement entre le personnel navigant commercial et non entre le personnel navigant technique, les recettes des ventes dans les avions ? Vos collègues syndicaux nous ont dit que cela représentait en moyenne 3 000 à 4 000 francs par mois de salaires, non déclarés, sans impôts, etc.

M. Jean-Claude LEFORT : Je crois, sauf erreur de ma part, qu'il y a eu en 1999 une offre de reprise d'Air Lib par Air France. Avez-vous été informé de cette proposition et pourquoi a-t-elle capoté ?

M. Paul FOURIER : Je vais essayer de répondre en faisant la synthèse des questions posées.

A propos de la position de mon organisation syndicale au moment de la reprise, il faut savoir que le processus de reprise de l'entreprise en 2001 a été très long et extrêmement douloureux pour tout le monde. Je vous rappelle que les difficultés ont commencé en janvier 2001, puisque c'est le moment où Swissair a annoncé qu'ils allaient faire défaut et qu'ils allaient se débarrasser de l'entreprise. Cela s'est clôturé en août 2001. Cela a fait quand même 7 mois de manifestations, de rencontres avec des parlementaires, avec des ministres, etc. Cela n'a pas été simple.

Lorsque nous avons vu arriver des projets de reprise, naturellement, nous avions tendance à les accueillir avec bienveillance parce qu'il s'agissait quand même de l'avenir, à l'époque, d'environ 4 000 personnes, si je me rappelle bien.

Moi, je me rappellerai toujours le jour où effectivement, nous avons eu l'exposé, en tout cas la première présentation des seize candidats repreneurs. Vous me dites seize, je crois me rappeler que c'était cela environ. Je me rappelle également l'avis du comité d'entreprise ce jour-là disant que certains candidats étaient franchement fantaisistes et que même ceux qui sortaient du lot ne tenaient pas franchement la route. Les procès-verbaux du comité d'entreprise l'attestent.

Après, trois propositions se sont dégagées ou plutôt d'abord deux avant que M. Rochet ne vienne présenter son projet dans un deuxième temps. Il ne l'a pas présenté tout de suite. Il l'a présenté en fait en coordination avec la MAAF.

Il se trouve que sur ces trois, nous avons considéré que aucun ne tenait franchement la route. Je vous l'avoue. C'était notre sentiment. Mais quand une branche se présente, on la saisit. Et d'ailleurs, vous aurez remarqué que les salariés d'Air Lib ont encore essayé de saisir la branche CGM Virgin il n'y a pas très longtemps. Hier, les gens pleuraient parce que CGM Virgin était parti.

Nous avions le choix entre ces trois-là. Nous avions le sentiment - après je vous donnerai mon sentiment non seulement sur la façon dont nous l'avons vécu à l'époque, mais sur la façon dont nous le jugeons aujourd'hui - que le projet FIDEI était un projet plus financier qu'aéronautique. Effectivement, nous nous demandions - d'ailleurs nous aurions bien fait de nous poser la question pour tout le monde - si, en gros, ils ne venaient pas pour mettre le grappin sur des actifs, sur le milliard des Suisses puisque les Suisses étaient censés mettre 1,4 milliard si je me souviens bien...

Donc, c'était une vraie question. Nous ne voulions pas voir arriver des gens qui allaient, en gros, prendre l'argent et puis disparaître dans la nature.

Donc, nous nous sommes interrogés sur FIDEI, et également sur Corbet naturellement, mais peut-être avec un peu moins de lucidité, dirais-je.

Pour décrire ce qu'il se passait du côté de M. Rochet, il faut revenir un peu sur l'histoire. M. Rochet était -je vous l'avoue- détesté par une bonne partie des salariés et de leurs représentants, c'est-à-dire les organisations syndicales. Nous avions eu maille à partir avec lui. Dans la période allant du départ de Swissair jusqu'à la reprise, il est arrivé avec des projets qui nous paraissaient extrêmement déstructurants pour la compagnie.

Nous nous étions donc affrontés dès le début avec M. Rochet. C'est vrai qu'en quelque sorte, cela disqualifiait M. Rochet à nos yeux. Je dois vous avouer que je ne porterais pas forcément le même jugement aujourd'hui.

M. Corbet, lui, nous a fait aussi une très belle danse du ventre. Il nous a dit qu'il apportait les meilleures garanties sociales, il nous a fait des promesses sur les statuts ; il nous a dit qu'il faudrait faire des efforts de productivité - il y a des papiers qui en attestent -, mais qu'il ne toucherait pas à certaines choses etc. Je crois - je vais faire un peu d'humour - qu'il n'est pas un ancien syndicaliste pour rien et qu'il a su nous séduire.

Je crois que c'est en grande partie sur ce discours que, au bout d'un moment, nous avons choisi le projet Corbet. Je ne suis pas sûr que cela soit sur des critères purement économiques, purement financiers et purement en raison de la solidité du projet Corbet. C'est en tout cas mon sentiment aujourd'hui.

Nous sommes de petites équipes syndicales. Au terme d'un processus de huit mois de manifestations, de démarches au Sénat, à l'Assemblée nationale, dans les ministères etc., je ne suis pas complètement persuadé que nous n'ayons pas été quand même un peu manipulés, purement et simplement, y compris jusqu'au dernier jour.

Je me rappellerai toujours avoir déposé un préavis de grève en disant : « Si M. Rochet arrive dans l'entreprise ce soir, on est en grève demain ». Donc, c'était un acte pour montrer notre hostilité au projet Rochet. Mais c'est vrai qu'aussi, c'était fait largement sur la base de la fatigue, de l'énervement, du stress etc. Il faut aussi l'analyser dans cette optique.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas fait l'objet de pressions au moment de la reprise ? Par exemple, M. Rochet ou M. Corbet ont-ils pris contact avec vous ?

M. Paul FOURIER : Tout le monde a pris contact avec nous. A vrai dire, non. M. Rochet n'a pas vraiment pris contact avec nous. D'abord, parce que c'est un homme que nous connaissions plutôt bien. Les rapports étaient donc francs dans l'hostilité générale.

M. le Président : Peut-être trop francs.

M. Paul FOURIER : Voilà. Par contre, M. Corbet, comme FIDEI d'ailleurs, sont entrés en contact avec nous pour nous expliquer leurs projets. Je tiens à vous assurer que ces contacts n'ont jamais dépassé les pratiques normales. Ils consistaient à inviter une organisation syndicale pour lui montrer le projet, en gros pour nous séduire.

M. le Président : Il n'y a pas eu de menace disant que si vous ne faisiez pas cela, attention...

M. Paul FOURIER : Non, nous n'avons jamais eu de choses de cet ordre.

M. le Président : A ce moment-là, puisque vous parlez de ce point précis, y a-t-il eu des réunions organisées avec des représentants de l'Etat pour pousser vers une solution ou vers une autre solution ? Soit au ministère, soit au cabinet du ministre, je ne sais pas. Pouvait-on avoir l'impression qu'il y avait des positions convergentes entre l'Etat et, éventuellement, les syndicats et les organisations professionnelles ?

M. Paul FOURIER : A l'époque, j'ai eu le sentiment - c'est toujours un peu difficile parce que cela se base simplement sur des sentiments - que le ministère de l'époque, en fait le ministre Gayssot qui s'était occupé du dossier à l'époque, a plus suivi les organisations syndicales qu'il ne les a précédées.

A un moment donné, nous disions par exemple que nous ne voulions pas de Rochet. J'ai le sentiment - c'est le sentiment que nous avions à l'époque - que si le ministre devait intervenir dans le dossier, il n'interviendrait pas pour le dossier Rochet par exemple.

Il est vrai que l'on a senti que FIDEI et Corbet tenaient la corde, y compris d'ailleurs au ministère. C'est la seule chose que je peux dire parce qu'au-delà de ça...

M. le Rapporteur : Avez-vous participé à des réunions au ministère et à quel niveau sur la discussion du plan de reprise ?

M. Paul FOURIER : Il faudrait que je retrouve mes notes de l'époque, mais oui, nous avons participé à plusieurs réunions au ministère, soit avec M. Gayssot, soit avec M. Ricono, M. Lostis, c'est-à-dire l'équipe du ministère.

M. le Rapporteur : Votre sentiment était-il que le ministère avait une préférence pour l'un des trois, poussait plutôt l'un que l'autre ?

M. Paul FOURIER : Non.

M. le Rapporteur : Parce que vous nous avez dit que vous aviez plutôt le sentiment que le ministère suivait.

M. Paul FOURIER : Oui, c'est le sentiment que j'ai eu. En même temps, c'est peut-être par aveuglement que nous avions tendance à penser que c'est parce que nous avions émis un choix que le ministère s'y rangeait. En tout cas, c'était notre sentiment à l'époque. C'est-à-dire que c'était plutôt le ministère qui nous écoutait et qui avait tendance à pencher pour le projet pour lequel on penchait.

Il faudrait que je relise mes notes de l'époque. L'histoire a été particulièrement fournie depuis.

M. le Président : Monsieur Fourier, si vous voulez bien répondre aux autres questions.

M. Paul FOURIER : Après, je reviendrai sur les questions purement syndicales de Mme Saugues sur l'existence d'un deuxième pôle aérien français.

M. le Président : Et puis les divergences entre les syndicats sur l'affaire IMCA. Mme Saugues vous a interrogé là-dessus.

M. Paul FOURIER : Oui.

M. le Président : Et vos déclarations sur les requins.

M. Jean-Paul LEFORT : Dans l'Humanité.

M. Paul FOURIER : Vous avez de drôles de lectures.

M. le Président : C'est M. Lefort qui le lit tous les jours, ce n'est pas nous.

M. Paul FOURIER : A propos des gens qui étaient susceptibles d'investir d'une manière générale, on peut dire qu'il y avait d'un côté les vrais investisseurs et de l'autre côté, ceux que l'on a pu qualifier de requins, c'est-à-dire ceux qui n'étaient pas des investisseurs, mais qui attendaient les slots.

M. le Président : Mais où sont les investisseurs ? Est-ce qu'à un certain moment vous avez vu les investisseurs qui ont été promis dès le départ par M. Corbet ?

M. Paul FOURIER : Non. On nous a parlé, si je me rappelle bien, du Club Med. Je crois même avoir retrouvé un document d'août 2001 disant que le Club Med avait été approché. Je vous réponds à partir de souvenirs. Ce n'est donc pas forcément très clair. Nous avons entendu divers noms, mais ce n'était que des rumeurs. Des vrais investisseurs, nous n'en avons pas vu arriver.

De toute façon, je pense que Me Léonzi, si vous le recevez, vous expliquera aussi toute l'architecture qui était la sienne. C'est-à-dire qu'il y avait toute une histoire de GIE fiscal, des gens qui allaient rentrer dans le GIE fiscal par la base des avions, etc. C'est un peu compliqué.

M. le Président : Qui étaient ces gens ? Nous avons posé la question à plusieurs reprises hier. Le tribunal de commerce a organisé une reprise sur la base annoncée d'investisseurs à hauteur de plusieurs milliards d'investissement. Or, nous n'avons pas, jusqu'à présent, la preuve qu'un seul investisseur soit venu. La question est : comment a-t-on pu donner cet avantage à une reprise sans avoir la certitude que les investisseurs annoncés étaient bien là ?

M. Rochet a fait des promesses financières. Je ne sais pas s'il était capable de les tenir. FIDEI a fait aussi des promesses financières et M. Corbet également. Or, à l'évidence, à moins que vous nous disiez le contraire, on n'a pas vu arriver le moindre investisseur. Le confirmez-vous ?

M. Paul FOURIER : Oui, absolument. Il se trouve qu'une bonne excuse est intervenue entre-temps - c'est triste de dire cela pour un événement aussi tragique -, mais il y a eu le 11 septembre.

Juillet-août 2001 et 11 septembre 2001, cela a été proche. En tout cas, M. Corbet nous a dit que la CIBC était là pour chercher des investisseurs. En gros, le 11 septembre a servi d'excuse, véritable ou non - je ne sais pas -, pour dire que les investisseurs n'allaient pas investir dans le transport aérien dans l'état où il se trouvait.

En tout cas, nous n'avons jamais vu arriver le moindre petit bout d'un investisseur dans cette entreprise. C'est clair.

Après, il y a eu l'épisode IMCA-de Vlieger. Mais le problème est que M. de Vlieger ne nous a pas paru très sérieux. D'ailleurs, nous en avons eu confirmation. Je ne pense pas que M. de Vlieger lui-même soit en cause ; je pense que c'est un industriel tout à fait sérieux, reconnu en Hollande. Il a des entreprises qui sont certainement très sérieuses en Hollande ; mais c'est plutôt le sérieux de sa démarche dans ce cas précis qui est en cause.

M. le Président : Il est dans l'immobilier.

M. Paul FOURIER : Oui, dans l'immobilier, dans les chantiers navals et les machines à coudre. Il est dans l'aérien également puisqu'il est propriétaire ...

M. le Président : ... de compagnies aériennes.

M. Paul FOURIER : Nous nous interrogeons à ce propos. Il semble que la compagnie Sky Europe vienne d'avoir quelques créneaux d'Air Lib sur Bratislava. Nous nous demandons si M. de Vlieger n'est pas derrière.

Nous n'avons pas la confirmation, mais nous nous posons la question parce qu'à un moment donné, il avait parlé d'une compagnie de ce genre. Hier, nous avons cherché la réponse à cela.

Sur M. de Vlieger, en fait, nous avons eu un peu la confirmation que la démarche n'avait pas l'air très sérieuse. Je ne sais pas si vous avez reçu M. Béquet ou M. Lafosse-Marin, je crois qu'il y était.

M. le Président : M. Lafosse-Marin, oui.

M. Paul FOURIER : Ils ont rencontré M. de Vlieger en Hollande qui, d'après le compte rendu qu'ils en ont fait, était un peu étonné de la démarche de M. Corbet lui-même. C'est-à-dire que M. Corbet disait chercher un investisseur et au moment où M. de Vlieger dit qu'il peut investir dans l'entreprise, il n'a plus de nouvelles de M. Corbet. Plus personne ne l'appelle pendant des semaines. Il s'étonne donc de cette compagnie qui cherche des investisseurs, mais qui ne semble pas très pressée de le voir arriver.

Au bout du compte, nous nous sommes interrogés sur l'honnêteté de la démarche. Lorsque l'on veut avoir un investisseur, tant qu'à faire, on l'invite à déjeuner, on le bichonne et on le fait rentrer dans l'entreprise. On ne le laisse pas sans nouvelles pendant des semaines.

Je vous conseille d'interroger à ce sujet M. Béquet ou M. Lafosse-Marin qui ont vu directement M. de Vlieger.

Par ailleurs, à propos des achats d'Airbus. IMCA a rajouté des conditions suspensives au fur et à mesure. C'est quand même le meilleur moyen de faire capoter un projet de reprise. Ils ont accusé deux organisations syndicales de ne pas avoir signé le protocole. Je rappelle que le code du travail ne demande pas l'unanimité pour signer les accords d'entreprise. Pour être délégué syndical depuis longtemps, je sais qu'il suffit d'avoir l'accord d'une organisation syndicale pour qu'un accord d'entreprise soit valable. M. de Vlieger avait dit que cela ne marchait pas à cause de la CGT. Ensuite, il y a eu l'histoire des Airbus.

Madame Odile Saugues m'a demandé également comment nous avions accueilli le plan social d'août 2001.

De la même façon, il faut se resituer dans le cadre général, c'est-à-dire 8 mois de luttes pour essayer de trouver une solution et qui avaient permis une reprise que nous approuvions et soutenions. Je crois qu'il fallait aller jusqu'au bout de la démarche et, effectivement, ce plan de reprise comportait entre 1 400 et 1 500 licenciements.

D'ailleurs - je vous fais une confidence - on me l'a reproché dans ma propre organisation syndicale puisque c'est moi qui ai rédigé l'accord portant sur les critères de licenciement pour les personnels navigants.

En effet, parmi les personnels navigants commerciaux, des volontaires voulaient partir parce que des portes s'ouvraient chez Air France, mais d'autres ne voulaient pas partir. Nous savions très bien que l'application de la loi risquait de laisser dans l'entreprise des gens voulant partir et d'en faire sortir des gens qui souhaitaient rester.

Mme Odile SAUGUES : Ils avaient senti la lame du couperet.

M. Paul FOURIER : Le principe, pour nous, était de mettre en adéquation les départs avec la liste des gens qui voulaient partir et de garder ceux qui voulaient rester. C'est aussi cela faire du social, madame Saugues que de faire en sorte que les gens voulant rester dans l'entreprise puissent y rester. Ceux qui voulaient partir ont reçu des indemnités de licenciement, je vous le rappelle.

A l'époque, c'est vrai que nous avons participé à la définition du plan de licenciement. Je ne vais pas vous dire qu'un plan de licenciement me fait plaisir, mais par contre, je vous dirai que dans la mesure où l'on nous a accusé souvent d'être une organisation syndicale non constructive dans l'entreprise, je crois que nous avons montré à plusieurs reprises que nous étions à même de faire ce genre de travail que, d'ailleurs, la nouvelle équipe Bachelet-Corbet refusait de faire. Ils se sont totalement mis en dehors de cela en disant que le plan social ne les concernait pas eux, mais les organisations syndicales et que cela se passait avec les AGS. Ils nous ont jeté dans la nature avec charge aux élus des comités d'entreprise et aux délégués syndicaux de le gérer.

M. le Président : Vous êtes en train de dire que M. Corbet ne s'est pas impliqué dans l'élaboration du plan social qui était aussi un des objets de la reprise, qu'il ne s'en est pas occupé, n'a pas pris ses responsabilités à ce niveau et qu'il s'en est déchargé sur les organisations syndicales.

M. le Rapporteur : Il a été géré par des organisations syndicales. C'est ce que vous dites ?

M. Paul FOURIER : En fait, il a indiqué le périmètre de son entreprise en désignant ce qu'il souhaitait ou pas garder. Je me rappelle avoir eu un échange particulièrement vif avec François Bachelet sur le principe de la réservation de Paris. Il y avait une réservation à Paris et une à Tours. Nous considérions que les deux étaient utiles. Dans le plan Corbet, la réservation de Paris était totalement supprimée et le personnel licencié.

Les postes à supprimer étaient définis par le projet Corbet, mais l'application des licenciements qui en découlaient, n'était pas l'affaire de M. Corbet ni de M. Bachelet. M. Corbet a délégué Pierre-Yves Lagarde pour s'occuper de ce dossier ; il a été notre interlocuteur représentant la Direction.

M. le Rapporteur : Qui est Pierre-Yves Lagarde ?

M. Paul FOURIER : Un consultant.

M. le Président : Il n'était pas membre de l'entreprise.

M. Paul FOURIER : A ma connaissance, non. Il a toujours déclaré être un consultant extérieur à l'entreprise.

M. le Président : Pouvez-vous répondre aux dernières questions posées ?

M. Paul FOURIER : Mme Odile Saugues me demandait également si Air Lib était structurée pour faire du low cost. Je ne pense pas compte tenu d'une flotte non homogène, vieillissante, de statuts de personnels divers et variés, du code du travail français qui, à mon avis, n'est pas forcément très conforme à l'optique des low cost anglo-saxonnes qui ont tendance à niveler par le bas. J'ai tendance à penser que non.

Je vous rappelle que dans le low fare comme dans le low cost, il y a aussi beaucoup de marketing. Lorsque l'on annonce un billet à 29 €, c'est joli, mais ça ne sera pas forcément le prix réel. Le développement des low fare par Air Lib a été tout autant une opération marketing qu'une opération vraiment de mise à niveau low cost.

M. de Roux m'a posé une question difficile sur le rôle de M. Paris. Lorsque vous voyez apparaître ce que j'appellerais des éminences grises, vous avez beaucoup de mal à comprendre ce qu'elles font là. C'est un peu le sentiment que nous avons eu à propos de M. Paris. J'ai cru comprendre, d'après ce que M. Paris disait, et si je me rappelle bien nos quelques discussions, d'une part qu'il était là pour rechercher des investisseurs...

M. le Président : Lui aussi ?

M. Paul FOURIER : Oui. Je crois me rappeler que c'est ce qu'il avait dit. Et d'autre part, effectivement pour assurer le contact avec la compagnie nationale Air France. C'est ce que j'ai cru comprendre.

M. le Président : Pourquoi ? Était-il cadre de la compagnie nationale Air France ?

M. Paul FOURIER : Il était surtout membre du conseil d'administration.

M. le Président : Au titre du syndicat des pilotes ?

M. Paul FOURIER : Oui, c'est pour cela que nous ne comprenons toujours pas le rôle de M. Paris. Il a tellement de casquettes. En général, les pilotes ont une casquette, lui en a un certain nombre sur la tête.

M. le Président : Nous allons l'auditionner.

Mme Odile SAUGUES : Il me semble qu'au travers du travail de M. Paris et de son rôle, il faut se poser la question du rôle d'Air France.

M. le Président : Oui, nous allons nous la poser.

M. Paul FOURIER : D'autant plus, je le dis pour ceux qui n'ont pas vu le magazine Capital sur M6, que M. Corbet a dit qu'il était en mission commandée pour Air France. Il l'a dit. Vous m'avez demandé si Me Léonzi intervenait uniquement sur les questions de droit ou sur la marche générale de l'entreprise. J'ai tendance à dire qu'il intervenait évidemment sur les questions de droit, mais également sur tous les projets futurs d'investissements, sur les projets de GIE fiscal, sur le prêt FDES accordé par le gouvernement. Donc oui, pour moi, Me Léonzi intervenait sur la stratégie future de l'entreprise. C'est d'ailleurs lui qui, à mon avis, intervenait de la manière la plus pointue sur ces sujets. C'était bien Me Léonzi.

M. le Président : M. Gantier avait posé une question.

M. Paul FOURIER : Holco signifie : « Holding Corbet ».

M. le Président : Selon nos informations, ce n'est pas exactement cela. M. Corbet aurait dit un jour au cours d'une réunion qu'il était heureux de découvrir que cela pouvait vouloir dire « Holding Corbet ». Je ne me souviens plus de la signification d'origine, peut-être que M. Léonzi nous la donnera. Cela veut peut-être dire « corporate ».

Passons là-dessus, ce sont des questions sémantiques qui ne sont pas très importantes.

Avez-vous répondu à toutes les questions ?

M. Paul FOURIER : Je vous ai donné la position de mon organisation syndicale sur le projet Holco.

Sur les bonnes relations que l'on aurait essayé d'avoir avec la CGT, en particulier la nomination de Mme Cohen Lévy, je vais vous raconter comment cela s'est passé. Lorsqu elle est devenue directrice du personnel navigant commercial de l'entreprise, Mme Cohen Lévy n'était plus membre de la CGT puisqu'elle en avait été exclue.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous expliquer dans quelles conditions elle a été exclue ?

M. Paul FOURIER : Une association s'était créée dans l'entreprise s'appelant la SDTA (société de développement du transport aérien) au moment du projet de reprise. Elle était destinée, semble-t-il, à porter principalement les intérêts des salariés d'AOM. Vous savez qu'il y avait deux entités : AOM et Air Liberté. En particulier, cette SDTA se battait pour que les Airbus A340 soient conservés car c'étaient des avions d'AOM et donc, des pilotes d'AOM.

Cela ne correspondait pas à notre optique de la reprise et, en tout cas, de l'intérêt des salariés. Nous considérions que les salariés devaient être traités équitablement, qu'ils viennent d'AOM ou d'Air Liberté.

Nous avons découvert que Mme Cohen était l'une des dirigeantes de la SDTA, cela nous a choqués car l'action de la SDTA ne correspondait pas forcément à ce que nous essayions d'obtenir, c'est-à-dire que cela soit fait dans l'intérêt de tout le monde. Ensuite, on a découvert que Mme Cohen, semble-t-il, ou que la SDTA était en contact étroit avec M. Rochet à propos du projet de reprise. Des relations sont possibles entre les organisations syndicales et les dirigeants d'entreprise comme ceux dont nous parlions précédemment, mais dans ce cas précis cela ne nous a pas paru très clair. En tout cas, c'était moins clair que la position des investisseurs vis-à-vis de nous. A ce moment-là, nous avons demandé à Mme Cohen de ne plus travailler dans notre syndicat parce qu'elle ne représentait pas nos valeurs. Donc, Mme Cohen est sortie de notre syndicat...

M. le Rapporteur : Quand ?

M. Paul FOURIER : Je pense que cela devait être en mai ou en juin 2001.

M. le Rapporteur : Au moment de la reprise.

M. Paul FOURIER : Avant la reprise. Oui. Il est exact que Mme Cohen a été propulsée directrice.

M. le Rapporteur : Puisque vous l'avez bien connue, avait-elle les compétences pour diriger le personnel navigant commercial ? Ils nous ont dit qu'ils avaient été suffoqués par cette nomination. Partagez-vous le sentiment de vos collègues de la CFTC ?

M. Paul FOURIER : Je crois que tout le monde a été suffoqué par la nomination de Mme Cohen. Depuis, elle n'a pas démérité particulièrement. J'ai de bonnes relations avec Mme Cohen et cela se passe bien.

Mais nous avions vraiment le sentiment qu'il fallait appâter des poissons syndicaux ou ex-syndicaux. Par exemple, la CFDT avait son bureau à côté de celui de M. Corbet. Autre exemple, Sylvie Guillou Faure, ma collègue de la CGT, m'a dit que lors d'une discussion avec M. Corbet au moment de la reprise - je ne sais plus si c'était bien avec M. Corbet, il faudrait demander éventuellement à Mme Faure -, il lui aurait dit qu'elle ferait une bonne directrice. Comme ce n'est pas le genre de Sylvie, elle l'a renvoyé dans ses buts en lui disant qu'il aurait fort à faire avec elle. A l'époque, elle l'avait interprété comme étant un hameçon qu'on lui tendait ; si elle l'avait saisi, cela aurait peut-être pu aller plus loin.

M. le Président : Décidément, les patrons ne changeront pas, même quand ce sont des syndicalistes qui deviennent patrons.

M. le Rapporteur : Ce sont les pires.

M. Paul FOURIER : Surtout quand ils sont syndicalistes.

M. le Président : Je n'osais pas le dire.

M. Paul FOURIER : Ai-je répondu à toutes les questions ?

M. le Rapporteur : Pas tout à fait. A partir de quand avez-vous commencé à douter, à dire qu'ils vous conduisaient dans le mur ?

M. Paul FOURIER : Il faudrait relire les procès-verbaux du comité d'entreprise. C'est souvent ce qu'il y a de plus révélateur. Nos interventions reflètent en général ce que l'on pense à un moment donné.

De toute façon, les relations avec l'équipe Corbet se sont dégradées extrêmement rapidement, ne serait-ce que par la gestion du plan social de 2001. Nous avons vu qu'il nous faisait faire le « sale boulot ». On nous avait promis des choses claires, c'est-à-dire du dialogue social, des négociations et cela n'arrivait pas. Les relations se sont vraiment dégradées dès novembre-décembre 2001.

Quand avons-nous vraiment douté de la capacité de M. Corbet à remettre à flot cette entreprise ? C'était à peu près à la même date car en décembre 2001, le point « possible dépôt de bilan de l'entreprise » a été mis à l'ordre du jour du comité d'entreprise. Nous nous sommes demandés comment le milliard de francs versé par les Suisses avait pu être absorbé en l'espace de trois mois. Cela nous a interpellés. A partir de là, nous nous sommes demandés où il nous emmenait.

M. le Rapporteur : Question terminale : il y a eu -on ne sait pas très bien- 120 ou 130 millions d'euros de fonds publics, dont le prêt du FDES. Quelle appréciation portez-vous, en tant qu'organisation syndicale, sur la bonne utilisation des fonds publics ?

M. Paul FOURIER : A propos du prêt FDES, la direction vous expliquera qu'il n'était pour elle qu'un des morceaux du dispositif de l'entreprise. Il y avait outre le prêt FDES, le GIE fiscal, l'avion que Air Tahiti leur a pris etc.

En tout cas, comme je le disais à propos des filiales, que l'on aille demander 30 millions d'euros au gouvernement alors qu'il y en avait 15 qui dormaient dans une filiale, me paraît surprenant.

M. le Président : Vous parlez de Mermoz ?

M. Paul FOURIER : De Mermoz et d'Holco Lux et peut-être même d'Air Lib Finances, je ne sais pas.

Ensuite, il y a eu un plan de management avec un système low fare. Mais la stratégie de M. Corbet était problématique, en particulier au moment où il a rompu les relations stratégiques avec Air France. En rompant ces relations, on savait très bien que les conditions iraient en s'aggravant.

Il est sûr que le business plan indiquait qu'il continuerait à y avoir des pertes. Il n'est donc pas illogique que ces pertes se soient produites. Par contre, ce qui est plus choquant, c'est que M. Corbet n'ait pas payé toutes les charges qui étaient les siennes. Je suis dans une entreprise et je considère que quand les recettes doivent faire vivre l'entreprise, si d'autres entreprises n'ont pas les recettes qui leur sont dues, c'est aussi des manques à gagner. Ceci était un véritable problème. En quelque sorte, il faisait une dette envers l'Etat, par entreprise interposée. C'était vraiment choquant.

Par ailleurs, je suis dans une organisation syndicale où l'on aime bien que les choses soient tranchées. Donc, quand une entreprise est publique, elle bénéficie de fonds publics. Cela ne nous paraît pas aberrant. Cela nous paraît même une bonne idée d'avoir des entreprises publiques, y compris des compagnies aériennes. De l'autre côté, si l'entreprise est privée, elle trouve des investisseurs privés et elle ne va pas réclamer à tout bout champ de l'argent à l'Etat. En tout cas, elle ne menace pas les ministres les uns après les autres.

Je n'ai pas une sympathie particulière pour M. de Robien ou M. Bussereau. Mais l'on ne doit pas menacer les ministres parce que ceux-là ne mettent pas d'argent dans la coupelle d'Air Lib en permanence.

M. le Rapporteur : Vous voulez dire par là que le paradoxe de la situation est qu'Air France étant une entreprise publique n'avait pas un sou d'argent public alors qu'Air Lib était privée et avait de l'argent public.

M. Paul FOURIER : Oui, c'est un des paradoxes. Surtout, cela me surprend beaucoup que M. Corbet - c'était peut-être dû à son passage chez Air France - qu'il ait à ce point, en permanence, y compris avec des mots assez durs, dit qu'il fallait de l'argent pour notre entreprise privée et que le gouvernement était vraiment très méchant.

D'ailleurs, c'est un des propos que l'on a surtout retrouvé dans la bouche de la CFDT.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas répondu à l'une de mes questions qui était votre appréciation sur la gestion par Corbet de l'entreprise. En un mot, vous diriez : « bonne gestion, médiocre, très mauvaise... »

M. Paul FOURIER : Je dirais qu'il a probablement eu des bonnes idées. Le low fare était sûrement une bonne idée marketing en particulier. Mais, globalement, tout cela ne tenait pas la route. D'abord, c'est parti dans tous les sens. Ensuite, l'ensemble du processus pénalisait d'un côté ce qui pouvait être bon de l'autre, en particulier sur les DOM.

Sur la Libye par exemple, c'est un véritable mystère. Ils se sont battus pour faire ouvrir une ligne sur la Libye. Ensuite, il y avait trois passagers dans chaque avion. Alors, de tels business plan...

M. le Président : Pour l'anecdote, monsieur Fourier, je suis allé en Libye il y a trois semaines. J'y ai rencontré des personnes qui m'ont raconté que, pendant un mois, ils n'ont jamais pu avoir un billet d'Air Lib, car il n'y avait aucun service de commercialisation. La seule possibilité était d'aller au comptoir au moment du départ pour avoir le billet sur place sans aucune possibilité de réservation. Dans ces conditions, comment auraient-ils pu prendre des billets ?

Là, vraiment, il y avait une carence commerciale absolument extraordinaire. Cela a été confirmé par ailleurs pour l'Algérie aussi.

M. Paul FOURIER : Oui, sur l'Algérie, il y a eu effectivement le même problème, semble-t-il, avec les agences Khalifa.

M. le Président : Ce n'est pas forcément la preuve d'une bonne gestion.

M. Paul FOURIER : Tout à fait.

M. le Président : Vous avez parlé de Khalifa...

M. Paul FOURIER : Nous avons cru comprendre que l'ouverture de l'Algérie s'était faite en coordination avec Khalifa Airways.

A propos des investisseurs, la rumeur a longtemps couru que Khalifa ou Khalifa Bank allait être notre investisseur. Cela ne s'est jamais concrétisé.

Il a été évoqué également la difficulté de rapatrier les fonds, les recettes faites en Algérie dans ces agences.

M. le Rapporteur : A propos du partage des recettes des ventes à bord entre le personnel navigant commercial, vous n'avez pas répondu à ma question. Étiez-vous au courant ?

M. Paul FOURIER : Absolument. Il y a des procès-verbaux de comités d'entreprise que je tiens à votre disposition. Le low fare a été lancé le 1er avril. On nous a expliqué alors, à propos du commissionnement, que la marchandise rentrait sans inventaire et que le personnel n'avait qu'à la vendre et se mettre toute la recette dans la poche. On m'a raconté des anecdotes assez ubuesques à ce sujet.

M. le Rapporteur : Le personnel a accepté ?

M. le Président : M. Gouriou souhaite intervenir.

M. Alain GOURIOU : J'ai été voyageur sur Air Lib pendant la précédente législature. J'ai pris l'avion d'Air Lib toutes les semaines, aller-retour. J'ai donc vu se dégrader les services commerciaux à bord.

Au début, quand vous partiez le matin de bonne heure, on vous servait un petit-déjeuner. Et puis, le soir, quand vous rentriez, vous aviez un sandwich. J'ai vu disparaître le tout. Il n'y avait plus ni petit-déjeuner, ni sandwich, ni journaux, ni rien. C'était un peu spartiate. Pour autant, on partait, on arrivait, ce qui était l'essentiel.

Je n'ai jamais vu vendre quoi que ce soit à bord sur Air Lib. On ne m'a jamais réclamé un centime pour quoi que ce soit. Cela existait peut-être sur certaines lignes, mais il faudrait que vous nous précisiez lesquelles.

M. Paul FOURIER : D'avril 2002 à la fermeture après l'arrêt de la licence, le système low fare a fonctionné sur Nice, Toulouse, Perpignan, Lourdes et Tarbes, enfin l'ensemble des lignes radiales au départ de Paris. Ensuite, ce système a été étendu aux Antilles avec plus ou moins de succès. Les autres lignes internationales n'étaient pas touchées. Pour cela, je pourrai vous donner l'information.

Effectivement, les sandwiches et les boissons étaient payants.

M. le Président : Sur les lignes Nice, Perpignan, Toulouse ?

M. Paul FOURIER : Oui, en tout cas, les grandes radiales au départ de Paris.

M. le Président : Avez-vous pris ces lignes, monsieur Gouriou ?

M. Alain GOURIOU : Je parle de ma ligne : Paris-Lannion.

M. Paul FOURIER : Sur le régional, le low fare n'a pas été mis en place.

Quand nous avons vu arriver ce procédé, nous nous sommes élevés contre. Les procès-verbaux du comité d'entreprise témoignent que nous disons oui au commissionnement, mais pas dans ces conditions-là. Nous avons dit que d'un point de vue fiscal, cela poserait d'énormes problèmes au personnel parce que beaucoup seraient tentés de ne pas déclarer cet argent « au noir ».

Nous avons donc interpellé, y compris en comité d'entreprise, la direction sur ce sujet. Il nous a été répondu que l'on ne savait pas faire autrement, et que l'on essayerait de régulariser tout cela. Cela n'a jamais été fait.

Je crois que M. Lefort voulait que je réponde à sa question rapidement. Je lui réponds donc rapidement...

M. le Président : Je souhaiterais que vous nous donniez les photocopies des procès verbaux dont vous avez parlé. Pas forcément aujourd'hui, vous pouvez nous les envoyer. Il est important que nous les ayons.

M. Paul FOURIER : M. Lefort a demandé s'il y avait eu une offre de reprise par Air France de la compagnie Air Liberté en 1999.

Oui, effectivement, il y a eu une proposition de reprise d'Air France, à l'époque où Swissair nous a repris. L'étude a été assez loin puisqu'elle aurait été évoquée en conseil d'administration d'Air France avec un business plan sur les lignes d'Air Liberté. On nous a dit qu'en gros, la Direction de la concurrence de Bercy avait empêché la chose de se faire parce que l'affaire présentait beaucoup trop d'inconvénients pour la compagnie Air France. Elle l'obligeait à abandonner beaucoup trop de lignes par rapport aux gains que cela pouvait apporter.

C'est ce que l'on nous a donné comme information.

M. le Président : Merci, en tout cas, pour la clarté de votre exposé et pour tous les documents que vous voudrez nous transmettre.

Audition de MM. Didier Petit, délégué syndical (ALTER),
Claude Bonan, expert-comptable, et
Me François Levasseur, avocat

Procès-verbal de la séance du 2 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Monsieur Petit. Nous souhaitons que vous nous disiez ce que vous avez à dire sur le processus de reprise, sur la gestion de l'entreprise et sur les travaux réalisés à la demande du comité d'entreprise par M. Bonan. Au fur et à mesure de votre propos, forcément des questions seront posées.

Ensuite, M. Bonan parlera aussi pour une dizaine de minutes. Enfin, Me Levasseur interviendra puisqu'il a, je crois, quelque chose à nous dire.

M. Didier PETIT : J'ai ici un dossier de pièces que je vous communiquerai à la fin de cette audition, dossier que je détaillerai pendant mon intervention. J'ai aussi l'ensemble des disquettes informatiques des procès-verbaux du comité d'entreprise. Je ne les ai pas avec moi, mais je peux vous les communiquer si cela vous intéresse.

M. le Président : La réponse est oui, monsieur Petit, et je vous en remercie.

M. Didier PETIT : Je vais vous donner quelques appréciations personnelles sur la période qui va du 1er août 2001 au 10 janvier 2002, en tant que représentant syndical au comité d'entreprise d'Air Lib.

Une chose évidente que vous avez remarquée : il n'y a jamais eu d'investisseur dans la compagnie Air Lib. Détail fondamental : la CIBC, banque mandatée par M. Corbet, aurait reçu 9 millions d'euros pour trouver des investisseurs. Cette banque n'a jamais trouvé d'investisseur et le seul investissement de trésorerie qu'il y ait eu a été le prêt FDES. C'est quelque chose de très curieux pour une compagnie aérienne qui se voulait être le deuxième pôle aérien français.

Suite à cela, pendant cette période du 1er août 2001 au 10 janvier 2002, nous n'avons pas vu de projet d'entreprise, nous n'avons pas vu de plan de restructuration visant une rentabilité économique. Il y avait un sureffectif connu sur l'Airbus 340, 76 pilotes de mémoire, un long courrier qui ne démarrait pas puisqu'il a fallu faire un code share avec Air France et mettre une base à Charles de Gaulle qui s'est révélée être une catastrophe économique.

Nous, en tant qu'acteurs sociaux et représentants syndicaux, nous avons vu arriver deux ordres du jour -celui du 18 décembre et celui du 28 décembre. Celui du 18 décembre dit : « information et consultation éventuelle du comité d'entreprise sur la marche générale de l'entreprise et conséquences éventuelles pouvant entraîner la nécessité d'un dépôt de bilan.»

M. le Président : Le 18 décembre ?

M. Didier PETIT : Le 18 décembre 2001. On est à peine trois mois et demi après le démarrage de cette société et l'on nous donne déjà un ordre du jour sur la nécessité d'un dépôt de bilan !

L'ordre du jour du 28 décembre 2001 précise à peu près la même chose en son point 3 : « éventuelle consultation du comité d'entreprise sur un éventuel dépôt de bilan. »

Au comité d'entreprise du 28 décembre, M. Bachelet, directeur général, annonce : « nous avons épuisé notre trésorerie, nous aurions dû être en cessation de paiement dès ce soir. » On peut dire que d'ores et déjà la compagnie Air Lib avait vécu.

Tout ce qui va suivre, à partir du mois de janvier 2002, hormis l'arrivée de cette trésorerie, ne sera qu'une lutte contre l'impossible rentabilité, une forme de dégradation, de mort lente.

Au comité d'entreprise du 4 janvier 2002, M. Corbet précise que pour rendre l'entreprise pérenne sur le long terme, il faut 400 millions de francs de fonds propres, 400 millions de francs d'emprunts et 350 millions de francs de gains de productivité. Et plus loin, il dit : « nous sommes en trésorerie nulle à partir de ce jour. »

Tous les procès-verbaux que je cite seront communiqués à la commission.

Dans le même temps, le 9 janvier 2002, le tribunal de commerce de Créteil -vous le saviez- avait nommé un mandataire ad hoc, Me Lafont, dans le cadre de la loi de 1984 sur la prévention et le règlement des difficultés des entreprises.

On reçoit le premier versement du prêt FDES de 30 millions d'euros dans le même temps, à un jour près, et ce dans le but de restructurer l'entreprise. On est donc dans une entreprise qui est quasiment en dépôt de bilan et en cessation de paiement ; on apporte 30 millions d'euros, soit près de 200 millions de francs, afin qu'elle puisse redémarrer.

Il est évident que ce montant n'est absolument pas calibré pour un redémarrage d'entreprise et que l'on est plus dans une logique de survie de l'entreprise et de maintien de l'emploi. Ces 200 millions de francs auraient déjà dû préparer un plan social ou préparer une suite, une transformation de cette entreprise, ce qui n'a jamais été fait.

A un an près, on est exactement dans la situation où l'on est aujourd'hui. C'est-à-dire que si l'on n'avait pas eu ces 200 millions de francs, la liquidation aurait été prononcée dans les mêmes termes.

Que faisait le juge commissaire à l'exécution du plan ? C'est la question que je me pose. L'audit Mazars intervient à ce moment-là. Pourquoi n'a-t-il pas insisté sur la difficulté de cette entreprise ? Je ne sais pas, je ne connais pas l'audit Mazars.

L'Etat a-t-il été abusé sur le montant nécessaire à cette restructuration ? Je ne sais. En tout cas, aucun projet de restructuration n'a été réalisé et finalisé à l'exception d'une vague présentation d'un projet de gain de productivité au comité d'entreprise qui n'a donné aucune suite. Mais aucun projet n'a été finalisé.

Pendant ce temps, que faisaient les organisations syndicales ? Je passe à un deuxième point qui est la réactivité syndicale à cela.

M. le Président : Excusez-moi, vous avez parlé du commissaire chargé du plan de liquidation. Qui était-ce ?

M. Didier PETIT : Le juge commissaire à l'exécution du plan était M. Rousselin.

M. le Président : C'est le président du tribunal de commerce.

M. Didier PETIT : C'est le Président Rousselin qui avait été nommé lors jugement du 27 juillet 2001.

M. le Président : A l'époque, il était juge commissaire, il n'était pas président.

M. Didier PETIT : Exactement.

M. le Président : Depuis, il est président. C'est la même personne.

M. Didier PETIT : C'est la même.

Que font les organisations syndicales, juste après tout cela ? Elles sont quand même conscientes, en temps et en heure, de la difficulté de l'entreprise et de ce qu'il faudrait réaliser pour qu'elle survive. Elles ne restent pas inactives.

Le syndicat de pilotes que je représente est un syndicat corporatiste qui a quand même des alliances avec d'autres syndicats. Que fait-il ? Le 22 mars, lors de la présentation par Corbet d'un énième business plan, il demande tout simplement des comptes et des informations économiques vérifiables. Il demande surtout un ordre du jour avec un droit d'alerte, avec la possibilité de mettre en route un droit d'alerte et de faire nommer un expert-comptable.

A cet instant, on n'a pas de comptabilité analytique, on n'a plus de comptes, même quelques informations, depuis octobre 2001. C'est très important : on n'a pas de comptes après que l'on nous ait annoncé qu'il y aurait pu y avoir un éventuel dépôt de bilan !

Nous avons alors été obligés de faire une sommation interpellative à la suite de ce comité d'entreprise du 22 mars 2002 pour pouvoir avoir l'ordre du jour. Le 12 avril 2002, le tribunal de grande instance de Créteil, en référé, a tout simplement prononcé la validation et l'exécution de l'ordre du jour.

Le 29 avril, un droit d'alerte est voté, M. Bonan est nommé expert-comptable et tout un ensemble de réponses aux questions qui avaient été présentées lors de ce comité d'entreprise est défini. Je vous ai communiqué l'ensemble de ces réponses, c'est-à-dire le texte donné par la direction à ce moment-là.

Un élément important concernant ces textes : des documents auraient normalement dû être transmis au comité d'entreprise, dont la fameuse facture de la CIBC. Ce dernier document ne l'a jamais été, alors qu'il avait été précisé que ce document aurait dû l'être.

M. le Président : Vous ne l'avez toujours pas eu ?

M. Didier PETIT : Non, nous ne l'avons pas eu. Détail important : juste avant le 29 avril, nous avions eu la possibilité d'avoir accès à certains documents en préparation de ce droit d'alerte et nous avions eu la possibilité de voir une facture. On nous a montré une facture d'Holco. C'est très important.

M. le Président : L'avez-vous ?

M. Didier PETIT : Non, elle devait être communiquée au comité d'entreprise avec le droit d'alerte.

M. le Président : C'était une facture issue de Holco ?

M. Didier PETIT : Une facture à Holco de la CIBC.

Mme Arlette GROSSKOST : Quel en était le libellé ?

M. Didier PETIT :  Je vais vous montrer comment on travaille à Air Lib. (Agitant un papier)Voilà la facture ! Voilà comment on montre les informations à Air Lib.

M. le Président : Personne à ce moment-là ne demande à la voir ?

M. Didier PETIT : Si, nous la voyons.

M. le Président : Personne ne demande à la saisir ?

M. Didier PETIT : Nous la voyons, nous essayons quand même de l'avoir.

M. Claude BONAN : J'ai assisté à cette réunion, j'ai eu la facture entre les mains quinze secondes. Dans cette facture, le libellé commençait par : "Honoraires de nos différentes interventions", puis suivait une liste de motifs : "Premier motif : recherche de financement pour votre opération" et puis divers autres motifs dont j'ai oublié le détail. En gros, cela n'avait aucun caractère d'une facture réelle. Simplement, il y en avait pour 50 millions de francs ; 9,135 millions de dollars.

M. Gilbert GANTIER : Ce n'est pas la peine de vous demander si vous avez eu une photocopie de cette facture.

M. Claude BONAN : Non, nullement.

Mme Arlette GROSSKOST : Et pas d'ordre de mission ?

M. Claude BONAN : Non plus !

M. le Président : Je vous rassure : nous allons nous faire transmettre les pièces. Il n'y a aucun problème, nous aurons cette facture.

M. Didier PETIT : Bravo ! Bon courage !

M. Claude BONAN : Vous avez des brouettes de documents à faire saisir !

M. Didier PETIT : Le droit d'alerte avait pour principal objet l'information sur la ventilation de l'argent des Suisses, les investisseurs, la banque CIBC, les comptes de l'entreprise et le plan d'entreprise 2003 que l'on n'avait jamais reçu sous une forme finalisée.

Surtout, ce droit d'alerte a permis une chose fondamentale dont nous sommes très contents : la découverte des filiales étrangères. Le 29 avril 2002, pour la première fois M. Corbet et Me Léonzi, dont nous parlerons tout à l'heure, ont prononcé les mots de Holco Lux et de Mermoz Hollande et Irlande. Cela figure au procès verbal du comité d'entreprise.

De quoi se rend-on compte à ce moment-là ? Qu'une séparation des actifs a été faite sans information du comité d'entreprise, puisque Mermoz Hollande et Holco Lux ont été créées bien avant le 29 avril 2002. Nous nous rendons compte que toutes les informations économiques étaient annoncées sans qu'il soit possible de les vérifier. C'est cela le point fondamental de ce droit d'alerte.

Les réponses données aux questions posées par le comité d'entreprise ne sont jamais étayées. On vous dit que c'est ainsi, que cela a déjà été communiqué. Où ? Quand ? Comment ? On ne sait pas. Je ne vous en ferai pas la lecture ici.

Petit détail à propos de la CFDT que vous avez reçue : il faut savoir qu'elle s'est opposée à un ordre du jour d'une séance du comité d'entreprise qui prévoyait de demander un droit d'alerte. Ils ont voté contre. La CFDT s'est opposée fermement au vote de ce droit d'alerte qui a été adopté à une voix près, 8 voix pour et 7 voix contre. Il est très important de le dire : parmi les organismes syndicaux, la CFDT a été à ce moment-là l'allié objectif de M. Corbet. Je ne sais pas pour quelle raison. Moi, j'ai reçu le bâton -je vais vous l'expliquer-, peut-être ont-ils reçu la carotte.

M. le Président : Que voulez-vous dire précisément ?

M. Didier PETIT : C'est une question qu'il faudrait leur poser. Vous les avez peut-être déjà auditionnés. Quand je dis que j'ai reçu le bâton, c'est que j'ai été attaqué en représentativité pour que mon syndicat soit dissout ou n'existe plus. Peut être que si l'on donne du bâton à l'un, on donne une carotte à l'autre. On peut se poser la question.

M. le Président : Vous n'avez pas d'élément de preuve permettant de montrer l'avantage que la CFDT a pu en tirer.

M. Didier PETIT : C'est une image. La carotte doit être bien pourrie aujourd'hui, après une liquidation de 3 200 personnes !

M. le Rapporteur : Pour être précis, visez-vous ce qu'a évoqué une autre organisation syndicale, à savoir une promotion dont aurait bénéficié l'épouse de l'un des membres de la CFDT à l'époque ?

M. Didier PETIT : Absolument pas. Je ne rentre pas dans ce débat.

M. le Rapporteur : Visez-vous d'autres choses, comme ce qui s'est passé lors des élections ?

M. Didier PETIT : Quand je dis que certains ont eu le bâton et d'autres la carotte, c'est une supposition et une interrogation que je soulève. Si j'ai eu le bâton, peut-être que d'autres ont eu la carotte.

Dernier point important : les pistes de ce qui pourrait être apparenté à des détournements d'actifs. Cela concerne Holco Lux, un peu la gestion d'Air Lib, et peut-être celle d'Holco parce que l'on n'a aucune information sur Holco.

Vous avez sans doute l'ensemble des jugements des tribunaux de commerce sur la reprise. Le jugement du 6 août du tribunal de commerce de Créteil précise que la contribution financière de Swissair dans l'annexe 1 de ce jugement a pour objet : « ... le financement de la restructuration et de l'activité de la ou des structures de reprise des actifs faisant l'objet du plan de cession ». Cela veut dire que la contribution financière avait pour objet le financement de la restructuration.

Le jugement du 13 septembre 2001 du tribunal de commerce de Créteil précise : « par ces motifs, dit que la société Holco bénéficie d'une faculté de substitution au profit de toute entité créée pour les besoins de la reprise. »

Il faut bien mettre en parallèle ces deux éléments : l'un, la contribution financière de Swissair, qui a pour objet le financement de la restructuration, et l'autre, toute entité créée pour les besoins de la reprise.

Je me pose la question suivante sur la création d'Holco Lux -dont je vous ai apporté les statuts-en février 2002 : pour quels besoins de la reprise des actifs cette entité a-t-elle été créée ? Je n'ai pas la réponse.

Il faudrait voir les comptes d'Holco Lux et le rapport Mazars. Secafi Alpha, le deuxième expert du comité d'entreprise, nous a donné des informations sur le rapport Mazars que Me Léonzi lui a transmis. Je ne sais pas si vous allez auditionner ces experts, mais c'est très important.

M. le Président : Je vous rassure, nous allons les auditionner.

M. Didier PETIT : Très bien ! Ils ont lu le rapport Mazars dans le détail. Il y a, paraît-il, un très long passage sur Holco Lux. J'aimerais que l'on m'explique pourquoi cette entité Holco Lux a été créée dans le même temps que le prêt FDES arrivait.

Il y a là une vraie question de fond, une supposition : Corbet n'a-t-il pas utilisé le prêt FDES pour ne pas intervenir en tant qu'actionnaire, pour avoir prétexte à ne pas intervenir en tant qu'actionnaire principal dans Air Lib ? N'a-t-il pas organisé Holco par rapport à la gestion de ce prêt FDES à sa manière ?

La cession globale du 27 juillet 2001 donnait bien l'ensemble des actifs AOM-Air Liberté à Corbet. Pourquoi Corbet a-t-il eu la ferme volonté de séparer constamment les actifs, de ne jamais en informer les organisations syndicales ni les représentants du personnel, si ce n'est aux forceps par un droit d'alerte violent qui a été une bataille sans nom ? C'est la question de fond que nous nous posons.

En quoi le financement d'Holco Lux pouvait-il servir la restructuration d'Air Lib ? C'est une question de fond. Holco Lux - 5 millions d'euros - société de portefeuille, sans personnel et sans gestion d'actifs. Que s'est-il passé ? Aujourd'hui, il y a une liquidation. Holco Lux reste vivante et M. Corbet en est le seul propriétaire.

M. le Président : De Mermoz aussi.

M. Didier PETIT : Non, Mermoz UA avait les avions.

M. le Président : M. Corbet est propriétaire de Mermoz UA aussi. Nous sommes bien d'accord là-dessus.

M. Didier PETIT : Oui, tout à fait.

Deux derniers points : le rapport Mazars évoque des primes au personnel. A ce sujet, un article du Canard Enchaîné d'aujourd'hui reprend dans le détail l'affaire des primes qui auraient été données aux personnels dans Holco. Ces primes, pour un montant supérieur à 1,2 million d'euros, auraient été données entre août 2001 et le 31 mars 2002.

Holco, c'est quatre personnes d'après ce que l'on en sait. En réalité, on ne connaît toujours pas l'effectif total d'Holco ; le turn-over y est visiblement important.

M. le Rapporteur : Vous parlez d'Holco Lux ?

M. Didier PETIT : Non, de Holco.

M. le Rapporteur : Quelles sont ces personnes ?

M. Didier PETIT : D'après les informations dont nous disposons, il s'agirait de M. Corbet et de M. Bachelet.

M. le Rapporteur : Et les deux autres ?

M. Didier PETIT : Je n'ai que le nombre, je n'ai pas les noms.

Un dernier détail sur l'embauche de M. Michel Asseline, en tant qu'adjoint, au directeur des opérations en vol, en février 2002 : il n'y a eu absolument aucune transparence sur le financement de sa qualification Airbus 320 au sein de la compagnie Air Lib. J'ai posé plusieurs fois la question au comité d'entreprise. Ce monsieur était un cadre au sol, il n'était pas pilote et il a bénéficié d'une qualification Airbus 320, qui est coûteuse et qui n'est pas attribuée n'importe comment.

Pourquoi donner cette qualification soi-disant pour un futur projet de mise en ligne d'un Airbus A320 dans le cadre du développement de la flotte tout Airbus ? Ce monsieur n'était pas pilote au sein de la compagnie, il n'avait jamais été embauché comme pilote.

M. le Président : On nous a indiqué qu'il y avait un sureffectif de pilotes. Vous le confirmez ?

M. Didier PETIT : Tout à fait. Je le confirme.

M. le Président : N'est-il pas possible pour des pilotes de A340 de piloter des A320 ?

M. Didier PETIT : Tout à fait, c'est quasiment la même qualification. Vous avez de bonnes questions à poser à M. Corbet si vous le voyez.

M. le Président : Nous le verrons, mais plus tard.

M. Didier PETIT : Je terminerai en rappelant que M. Corbet avait deux casquettes : il était président d'Holco et président d'Air Lib. Il ne pouvait pas nier, il ne pouvait pas être inconscient que tout ce qu'il avait fait au sein d'Holco était organisé, prémédité -le mot est peut-être un peu fort- et que sa gestion d'Air Lib était différenciée par rapport à sa gestion d'Holco.

Je vous livre encore un élément : vous lirez dans le procès verbal du 29 avril 2002 la réponse qu'il fait quand on lui demande ce qu'il ferait si demain Air Lib rencontrait des difficultés. Il répond clairement : « Non, je n'investirai pas ce que j'ai mis dans Holco dans Air Lib". C'est-à-dire que dès le 29 avril 2002, il y a quasiment un an, M. Corbet avait déjà fait la séparation des pouvoirs et celle des intérêts. Il avait bien séparé Air Lib d'Holco.

M. le Président : D'après vos informations, les fonds versés à Holco venaient bien de fonds dus à Air Lib.

M. Didier PETIT : Oui, ces fonds, normalement, devaient assurer la pérennité et le maintien de l'emploi dans le plan de cession.

M. Xavier de ROUX : Le prêt FDES est-il versé à Air Lib ou à Holco ?

M. Didier PETIT : Il est versé à Air Lib. Il n'y a pas de doute !

Je vous ai laissé le jugement du tribunal d'instance de Longjumeau sur ma représentativité. Il est évident que si l'on a un discours qui dérange, on est écarté. M. Corbet a été condamné à 600 euros de dommages et intérêts, ma représentativité a été confirmée. Cela a obligé certaines organisations syndicales à se consacrer à leur défense plutôt que de se concentrer sur d'autres affaires. Cela s'est passé en novembre 2002.

Avant de passer la parole à M. Bonan, je dirai à cette commission que la fin d'Air Lib sonne la fin de carrière des pilotes. Notre organisation syndicale ne retiendra aucune circonstance atténuante à propos de la gestion des dirigeants d'Air Lib et se portera partie civile dans toute action pénale qui pourrait être envisagée contre M. Corbet. Nous y sommes profondément déterminés.

M. Xavier de ROUX : A titre informatif, M. Corbet soutient que le comité d'entreprise était totalement informé grâce au cabinet Secafi Alpha, expert du comité d'entreprise, qui avait émis un rapport très détaillé démontrant qu'il disposait de tous les éléments sur la gestion d'Air Lib.

M. le Président : De quand ce rapport date-t-il ?

M. Xavier de ROUX : Ce rapport doit être d'août 2002, d'après ce que dit M. Corbet.

M. le Président : Vous confirmez que le comité d'entreprise n'était pas du tout informé des comptes de la société ?

M. Didier PETIT : Je préférerais que cette question soit posée à M. Bonan, l'expert-comptable. En tout cas, il n'y avait aucune comptabilité analytique depuis octobre 2001.

M. le Président : Monsieur Bonan, vous avez la parole. Dans votre exposé, nous souhaiterions que vous nous expliquiez dans quelles conditions vous avez été commis en tant qu'expert-comptable, comment vous avez pu exercer cette mission, jusqu'à quand, comment on vous a facilité la mission pour qu'elle soit la plus efficace possible, et enfin, vos conclusions.

M. Claude BONAN : Monsieur le Président, mesdames et messieurs, je suis très heureux de venir devant votre commission. Au préalable, je voudrais préciser que je n'aurais pas dû être devant cette commission si l'on avait lancé une commission du même type lorsque Francis Lagarde a détourné 450 millions de francs dans une affaire identique, montée par le cabinet Vargas, cabinet d'avocats, qui est celui qui a été choisi par M. Corbet quand il a monté sa propre société !

M. le Président : Pouvez-vous donner plus de précisions sur les dates ?

M. Claude BONAN : La faillite d'EAS (Europe Aéro Services) date de janvier 1993. Après avoir été repris en décembre 1991, EAS a fait faillite au bout de deux ans, dans quasiment les mêmes conditions, avec une séparation d'actifs qui a permis à M. Lagarde d'empocher 450 millions de francs. M. Lagarde a été condamné par le tribunal correctionnel de Perpignan, à une peine de deux ans de prison, peine confirmée par la cour d'appel à deux ans de prison dont un an avec sursis. Il a ensuite déposé un pourvoi en cassation qui a été rejeté par la Cour de cassation. Huit ans après, il n'a toujours pas purgé sa peine et circule librement. Le procureur de Montpellier prétend qu'il n'est pas possible d'arrêter M. Lagarde qui aurait déménagé et que l'on ne sait pas où il habite, alors que M. Lagarde habite chez son frère, 6, rue Bizet à Paris.

M. le Président : Quel rapport ce monsieur Lagarde a-t-il avec Air Lib ?

M. Claude BONAN : C'est exactement le même montage financier qui a été mis en place ; il a fait exactement la même faillite.

M. le Président : C'est le même Lagarde... ?

M. Didier PETIT : Ce n'est pas le même.

M. le Président : Vous démontrez une situation similaire.

M. Claude BONAN : Oui, absolument.

M. le Président : ...mais ce monsieur Lagarde n'a rien à voir avec le Lagarde que l'on voit apparaître dans Air Liberté, en tant qu'expert.

M. Claude BONAN : Non, cela n'a rien à voir avec cet expert. Par contre, on voit apparaître M. Lagarde dans une société s'appelant EAS Industrie...

M. le Président : Excusez-moi, cela n'a rien à voir avec Air Lib tout cela.

M. Claude BONAN : Non, cela n'a rien à voir directement.

M. le Président : M. Corbet n'est pas mêlé à EAS ?

M. Claude BONAN : Non, bien sûr que non. Je voulais faire ce préambule pour vous dire que la situation a été montée par le même cabinet d'avocats, dans lequel travaillait Me Léonzi qui s'est ensuite mis à son compte.

M. le Président : Ah ! Commencez par nous dire cela !

M. Claude BONAN : Me Vargas était le conseil de M. Francis Lagarde, il avait suivi toutes ses opérations. C'est lui qui a monté l'opération pour M. Corbet. Dans le cabinet Vargas travaillait Me Léonzi qui suivait le dossier ; il s'est mis à son compte dès que l'opération s'est faite. Me Léonzi a créé son cabinet le 2 juillet 2001 et l'opération s'est faite le 27 juillet 2001.

M. le Président : Maintenant, nous avons compris, monsieur Bonan.

M. Claude BONAN : Vous comprenez pourquoi je parle de cela.

Ce préambule étant terminé -je pourrai y revenir plus longuement si vous le souhaitez-, sachez aussi que cette opération est une mauvaise application de la justice et qu'il est inacceptable que le pourvoi en cassation ayant été rejeté, ce monsieur soit toujours en liberté.

En ce qui me concerne, j'ai été désigné expert du comité d'entreprise dans le cadre d'une procédure d'alerte le 29 avril 2002. Quelques jours plus tôt, le 24, j'avais participé à la fameuse réunion que j'ai évoquée tout à l'heure, au cours de laquelle certains syndicats ont été reçus par Me Christophe Wilhelm pour avoir connaissance d'un certain nombre de documents dans le cadre des explications que donnait la direction aux questions posées par le comité d'entreprise. Il y avait une vingtaine de questions et quelques pièces devaient être présentées, dont la fameuse facture dont on a parlé, ainsi qu'une feuille présentant le détail de l'utilisation du 1,2 milliard de francs versés par Swissair à Holco.

J'ai été désigné le 29 avril, je n'ai pas pu prendre ma mission avant le 12 mai. C'est-à-dire que du 29 avril au 12 mai, j'ai eu des discussions téléphoniques avec M. Corbet pour qu'il m'accorde un rendez-vous. Il m'a accordé mon premier rendez-vous le 12 mai. Au cours de l'entretien, je lui ai posé des questions sur la réorganisation du groupe et sur son organisation. Je lui ai demandé des informations sur Holco. Il m'a répondu : "Sur Holco, je ne vous donnerai rien du tout."

Je lui ai dit que c'était la structure qui avait reçu les actifs d'Air Liberté. Il m'a répondu que j'étais mandaté par le comité d'entreprise d'Air Liberté qui est une filiale d'Holco et que je n'avais pas à demander quoi que ce soit sur Holco. Il a ajouté qu'il ne me donnerait rien, qu'il me montrerait éventuellement une facture ou deux de Holco à Air Liberté si tant est que j'aie besoin d'avoir accès à ces documents, mais qu'autrement, je n'aurais jamais accès à quoi que ce soit.

Par ailleurs, dans le cadre de ma mission, j'ai demandé à ce qu'un certain nombre de documents me soient donnés, des documents juridiques. Il m'a dit qu'il me donnerait les documents juridiques et qu'il demanderait à Me Léonzi qui était présent de m'en faire le commentaire. Me Léonzi devait prendre rendez-vous avec moi. J'ai refusé parce que je pense que c'est à l'expert d'organiser sa mission comme il le souhaite, et notamment de travailler sur documents plutôt que sur commentaires. J'ai donc demandé à ce que les documents me soient remis en me disant que j'étais assez grand garçon pour lire les documents et savoir ce qui m'intéressait.

M. le Président : Avez-vous eu les documents ?

M. Claude BONAN : Oui, j'ai eu un certain nombre de documents juridiques. Je les ai eus au début du mois de juin car les choses ont traîné.

Début juin, je n'avais toujours pas de local. Je voulais avoir un bureau dans lequel je puisse entreposer les documents que l'on me remettait et dans lequel je voulais me rendre pour travailler régulièrement, tous les jours s'il le fallait, avec mes collaborateurs dans l'entreprise. Nous avons pu avoir ce bureau vers le 14 ou le 15 juin et nous avons eu accès à quelques documents d'ordre comptable, comme la balance générale, mais nous n'avons pas pu avoir d'interlocuteur. M. Thierry Dervieux, le directeur financier, venant d'arriver le 1er mai, n'avait pas eu le temps de se mettre au courant des dossiers et il refusait de venir discuter avec moi parce qu'il n'avait pas eu le temps de prendre la mesure de son poste, ce que je conçois fort bien.

Il se trouve que le directeur financier a changé juste au moment où je suis arrivé ; ce n'est pas un point tout à fait neutre parce que le fait d'avoir changé le directeur financier alors que le précédent venait d'Air Liberté et connaissait bien la société, c'était quand même une opération faite délibérément pour m'empêcher d'avoir un interlocuteur normal. Quelqu'un qui arrivait ne pouvait pas me donner les informations que je demandais.

Ensuite, j'ai eu quelques difficultés à avoir tel ou tel document précis que je demandais. J'ai donc pris la décision, avec mon avocat, de demander les documents par voie judiciaire. Je les ai demandés le 25 juin 2002 et le 9 juillet, nous avons eu la séance du référé. Elle me donnait totale satisfaction et disait que sous astreinte, la société devait me donner tous les documents.

M. le Président : Pouvez-vous répéter la date ?

M. Claude BONAN : Le 9 juillet. Ma demande était du 25 juin, le 9 juillet j'ai obtenu une décision extrêmement favorable, décision qui a extrêmement surpris un auteur bien connu, spécialiste du droit social, Maurice Cohen. Il a dit qu'il avait l'intention de publier cette décision qu'on lui avait donnée pour la mettre dans la prochaine édition de son livre. En effet, cette décision fait jurisprudence car c'est la première fois qu'un expert-comptable demandait des documents par voie judiciaire.

Je n'ai pas eu de documents. Ce n'est pas parce que j'avais cette décision que j'ai eu les documents. J'ai donc attendu le mois de juillet ; ensuite, c'était les vacances et je me suis dit que ce n'était pas le moment...

M. le Président : Excusez-moi. Qui vous répondait qu'il ne voulait pas vous donner les documents ?

M. Claude BONAN : M. Corbet ou M. Dervieux, le directeur financier, ou M. Calderini, le directeur des relations humaines.

M. le Président : Que vous disaient-ils ?

M. Claude BONAN : La direction ne veut pas vous donner ces documents.

M. le Président : M. Corbet lui-même disait : « Je ne veux pas... » ?

M. le Rapporteur : Par oral ?

M. Claude BONAN : Verbalement, bien sûr.

M. le Rapporteur : Malgré la décision de justice !?

M. Claude BONAN : Malgré la décision de justice, je n'ai rien eu.

Après le 12 septembre, je demande au tribunal une liquidation d'astreinte. Le tribunal, le 12 septembre, au lieu de se prononcer sur le siège pour une liquidation d'astreinte, ce qui est l'habitude dans toutes les liquidations d'astreinte, se « gratte la tête » pour savoir si effectivement l'astreinte est justifiée sous prétexte que le comité d'entreprise qui n'avait rien à voir avec l'opération est intervenu pour dire qu'il n'était pas d'accord, qu'il voulait avoir accès au dossier. Accès au dossier de quoi ?

M. Xavier de ROUX : C'était devant quel tribunal ?

M. Claude BONAN : Le tribunal de grande instance de Créteil. Je précise qu'entre-temps, cela devait être vers le 9 ou le 10 juin, des élections avaient eu lieu au comité d'entreprise, provoquant un changement de majorité.

La CFDT, ayant obtenu la majorité, avait envie de contrôler ma mission. En l'occurrence, elle prenait prétexte de ce que le comité d'entreprise n'avait pas eu le temps d'avoir accès aux documents alors que les documents en cause étaient ceux visés par le jugement du 9 juillet qu'on ne m'avait toujours pas transmis. C'était donc extrêmement simple. Pourtant, le tribunal a mis cela en délibéré pour réfléchir. Le premier délibéré est fixé au 3 octobre. Le 3 octobre, il ne se passe rien. Le délibéré est reporté au 20 octobre. Le 20 octobre, il ne se passe rien. Le délibéré est reporté au mois de novembre. Et ce n'est que le 29 novembre...

M. le Président : Est-ce toujours vous qui allez au tribunal, monsieur Bonan ?

M. Claude BONAN : Oui, bien sûr.

M. le Président : C'est toujours vous qui faites les demandes. Que se passe-t-il avec le comité d'entreprise pendant ce temps ?

M. Claude BONAN : Le comité d'entreprise ne me soutient pas, c'est clair.

J'arrive le 29 novembre devant le tribunal qui me donne satisfaction. Nous avons la décision du tribunal qui n'est rendue que le 2 décembre. C'est-à-dire que je n'ai que le 2 décembre ce que l'on appelle l'exécution d'astreinte. J'obtiens une astreinte de 10 000 euros. C'est très bien, mais l'astreinte.

M. Gilbert GANTIER : L'astreinte ne vous donne pas les documents.

M. Claude BONAN : Bien sûr, l'astreinte, ce n'est pas les documents. Les documents, je ne les ai jamais eus.

Il faut savoir que c'est à ce moment-là, le 25 novembre, que le comité d'entreprise a décidé de me démettre de mes fonctions.

M. le Président : Sous quel prétexte ?

M. Claude BONAN : Sous le prétexte que ma mission gênait l'entreprise. Vous comprenez, quand on demande des documents, cela perturbe l'entreprise.

Donc, je n'ai jamais pu exécuter ma mission normalement. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé.

Entre septembre et octobre, et même novembre, j'ai, pratiquement toutes les semaines, obtenu de la direction de pouvoir m'entretenir avec différents cadres de l'entreprise pour avoir une idée de ce qui se passait. J'ai vu un certain nombre de services. J'ai fait des comptes rendus extrêmement précis sur ce qui se passait.

Je peux vous préciser une chose : le 12 octobre, devant le tribunal de Créteil, Me Hubert Lafont, mandataire ad hoc, est venu dire quelque chose qui m'a particulièrement étonné. Il a dit : « Vous comprenez, nous sommes en négociations très importantes avec des investisseurs, ce n'est pas le moment que l'expert-comptable du comité d'entreprise vienne perturber ces négociations ».

M. le Rapporteur : Qui était Me Lafont ?

M. Claude BONAN : Me Hubert Lafont, le mandataire ad hoc, s'est mêlé de cela. Il est venu spécialement.

Pour déplacer Me Hubert Lafont qui est un mandataire judiciaire très occupé, pour qu'il vienne perdre une matinée à Créteil, il fallait que l'affaire soit très importante pour lui.

M. le Président : C'était quel jour ?

M. Claude BONAN : Le 12 septembre.

M. le Président : Le 12 septembre ? Pouvez-vous nous transmettre les comptes rendus ?

M. Xavier de ROUX : Le 12 septembre, Me Lafont se promène !?

M. Claude BONAN : Bien sûr, je vais vous donner tout cela. Je vais vous remettre les jugements et vous aurez tout ce qu'il faut pour apprécier.

M. le Président : Et les comptes rendus des entretiens avec les cadres dont vous avez parlé tout à l'heure.

M. Claude BONAN : Je vous en ai apporté un, mais je pourrai vous en donner d'autres. Je vous en ai apporté un qui me paraît extrêmement intéressant et pittoresque.

M. le Président : Lorsque Me Lafont a traité de cette perturbation que vous provoquiez dans les relations avec les investisseurs, éventuellement avez-vous eu à ce moment-là par lui ou par d'autres connaissance des investisseurs avec qui ils étaient en contact ?

M. Claude BONAN : C'est confidentiel, secret. Il n'a même pas voulu le dire au tribunal. Il n'a même pas dit : « Chut ! C'est M. Machin. ». Il a dit : « On ne peut pas vous le dire. Ce sont des investisseurs très importants et si leurs noms étaient évoqués, ne serait-ce qu'en filigrane, ce serait immédiatement la rupture des négociations ». Ce n'était pas sérieux !

M. le Président : Deuxième question : est-ce sur ce prétexte que le comité d'entreprise ensuite vous a relevé de votre mission ou sur un autre prétexte ?

M. Claude BONAN : Le prétexte de mon relèvement est clairement le fait que je perturbais l'entreprise en demandant des documents. Point !

M. le Président : C'est le prétexte qui était écrit dans le...

M. Claude BONAN : Oui, dans le procès verbal du comité d'entreprise.

M. le Rapporteur : Qui a été voté à l'unanimité du comité d'entreprise ?

M. Claude BONAN : C'est une délibération qui a été votée au comité d'entreprise. Oui, bien sûr.

M. le Rapporteur : Qui a voté pour ? Qui a voté contre ?

M. Claude BONAN : La CFDT qui avait juste la majorité a voté pour et l'on s'est retrouvé à 6 contre 5.

M. le Rapporteur : Et tous les autres syndicats ont voté contre ?

M. Claude BONAN : J'espère que tous les autres syndicats ont voté contre !

M. Didier PETIT : Le comité d'entreprise est composé de 9 membres. La CFDT a une forte représentativité. Elle a 5 membres, elle a la majorité.

M. Claude BONAN : Cela a fait 5 contre 4.

M. Didier PETIT : Non, il y a eu une abstention ; il y a eu un fort vote des autres syndicats contre le changement d'expert. De mémoire, je crois qu'il y a eu 7 ou 8 votes pour changer d'expert. En effet, le problème était posé différemment ; il était posé sur le maintien du droit d'alerte et le changement de l'expert. Et c'est ce vote-là qui a été validé.

M. le Président : D'accord.

M. Jean-Louis IDIART : Quelle était la majorité précédente au comité d'entreprise ?

M. Claude BONAN : Vous savez que ma nomination s'était faite à 5 contre 4.

M. Jean-Louis IDIART : Oui, mais quelle était la majorité précédente ?

M. Didier PETIT : La majorité précédente était floue parce qu'elle résultait de la réunion des comités d'entreprise d'AOM et d'Air Liberté ; les instances ont été fusionnées pour pouvoir donner lieu à un nouveau comité d'entreprise. Et ce nouveau comité d'entreprise n'est arrivé qu'au mois de juin 2002.

Si vous m'accordez une seconde, j'ai un procès-verbal, je vais vous donner cela précisément.

M. le Président : Vous nous le donnerez. Monsieur Bonan, continuez !

M. Claude BONAN : Vous m'avez demandé ce qu'étaient les entretiens que j'avais avec les différents services. Je vous ai amené le compte rendu d'une page d'un entretien avec M. Patrice Berthaud, directeur du commissariat hôtelier, c'est-à-dire directeur du service qui s'occupe de l'approvisionnement des avions en nourriture, en présence de Mme Brigitte Droumaguet, directrice des opérations au sol, sa supérieure hiérarchique directe, et de M. Francis Gisselman, directeur général adjoint de l'exploitation.

J'étais systématiquement sous la tutelle d'un directeur général adjoint. Donc, M. Gisselman intervenait de temps en temps quand c'était dans son domaine d'activité, quand c'était dans le domaine financier, c'était M. Dervieux, quand c'était dans le domaine des relations humaines, c'était M. Calderini.

Le compte rendu en question parle de l'approvisionnement en nourriture de Air Lib Express. Le coût de l'opération, pour un budget de 12 mois, est passé à 20 millions de francs en budget annuel, soit 3 millions d'euros, soit 250 000 euros par mois. Il y a eu une grande discussion à propos du fait que la recette était abandonnée par la compagnie au personnel navigant commercial.

Ce personnel avait donc une très bonne motivation pour récupérer l'encaissement des clients. Surtout, cela leur permettait d'avoir une bonne motivation aussi pour faire le ménage en fin de vol. Grâce à cela, ils ont pu faire des économies importantes sur les frais d'entretien.

L'inconvénient de cette opération est que -je n'ai pas manqué de le faire remarquer aux dirigeants- c'était en fait de l'argent qui n'était pas déclaré fiscalement, ce n'était pas de l'argent qui payait des charges sociales ; c'était, à mon avis, quelque chose de tout à fait illégal. On m'a dit de ne pas m'inquiéter car, sur ce sujet, les plus hautes autorités de l'Etat étaient au courant. Selon eux, ils avaient un accord avec la Direction du travail qui était en train de chercher comment habiller cela et un accord avec la Direction générale des impôts pour qu'il n'y ait pas de poursuite contre le personnel qui allait encaisser de l'argent.

J'ai fait remarquer que cela me paraissait étonnant, que j'aimerais bien avoir ces documents prouvant ce que l'on me disait. On m'a dit que l'on me donnerait ces documents. Ces documents, bien entendu, je ne les ai jamais eus.

M. le Président : Est-ce que l'on vous a cité à ce moment-là qui, au niveau des services de l'Etat, avait pris cet engagement ?

M. Claude BONAN : Non, on m'a dit la Direction générale des impôts, la Direction nationale du travail. Cela ne veut rien dire.

On m'a dit qu'en plus, les cabinets des différents ministres en question étaient au courant, ce que je ne peux pas accepter. Cela me paraît tout à fait inconcevable.

M. le Président : C'est farfelu.

M. Claude BONAN : Bien sûr, c'est totalement farfelu.

J'ai fait un petit calcul d'apothicaire et je me suis aperçu que cela représentait 1,625 million d'euros à partager entre 380 personnes.

M. le Rapporteur : Pour combien de temps ?

M. Claude BONAN : Pour 5 mois. D'avril à août.

M. le Président : Combien de PNC ?

M. Claude BONAN : 380. Cela faisait une recette moyenne de 4 270 € sur 5 mois, c'est-à-dire de 854 € par mois par personne. En sachant que ces personnes sont payées en moyenne 1 200 € ou 1 300 €, vous voyez le pourcentage de la rémunération.

M. Xavier de ROUX : Cela représente 40 %.

M. Claude BONAN : Non, cela fait plus que 40 %, cela fait au moins 60 % de revenus supplémentaires au noir. Vous pensez bien que les gens ne peuvent pas y être insensibles. Cela permet d'acheter le calme syndical.

Je vous signale que cette disposition a été mise en place au 1er avril 2002, c'est-à-dire au moment où il y avait une menace de grève du personnel navigant commercial qui ne voulait pas entrer dans le jeu d'Air Lib Express. Air Lib Express a été mis en place au mois d'avril 2002 et c'est à cette période que l'on a demandé aux gens de faire le ménage à la fin des opérations de vol pour que la rotation suivante puisse se faire rapidement et que l'on n'ait pas besoin de faire venir une équipe de ménage, ce qui prend toujours plus de temps.

Après chaque entretien, je faisais toujours un compte rendu que j'envoyais au directeur général adjoint qui y avait assisté pour lui demander si je m'étais trompé.

J'ai envoyé ce compte rendu à M. Gisselman et évidemment, cela n'a pas dû lui faire très plaisir. Mais dans mon compte rendu, je ne parlais pas de l'aspect réglementaire ni de l'aspect fiscal. Je disais simplement que je m'étonnais du rapport de la somme donnée par rapport à la rémunération des gens. Je m'interrogeais aussi sur les coefficients multiplicateurs, parce que, compte tenu des tarifs qu'ils pratiquaient, je me demandais à qui profitait la différence.

M. Xavier de ROUX : La différence entre quoi et quoi ?

M. Claude BONAN : Entre le prix d'achat et le prix de vente.

Je me suis posé la question. Je me suis dit que cela représentait quand même une masse importante et qu'il faudrait que l'on me donne des explications.

M. le Rapporteur : Monsieur Bonan, vous voulez dire par-là que votre calcul était fondé sur l'hypothèse que le prix de vente était égal au prix d'achat ?

M. Claude BONAN : Non. Mon calcul se basait sur un prix de vente, fonction d'un tarif que j'avais.

M. le Rapporteur : Vous avez donc basé vos calculs sur le prix de vente.

M. Claude BONAN : Sur le tarif, oui.

M. le Rapporteur : Il y avait un tarif ?

M. Claude BONAN : Oui.

M. Marcel DEHOUX : Soyez clair là-dessus. Vous parlez de coefficient multiplicateur ?

M. Claude BONAN : Si l'on dit que la recette est faite au prix de vente à bord, on arrive à ces 854 € par mois. Si l'on dit que ce n'est pas fait au prix de vente, effectivement, on a des chiffres beaucoup moins forts. Mais je ne vois pas pourquoi on pourrait considérer que la recette n'est pas faite au prix de vente.

M. le Rapporteur : Mais le coefficient que vous avez pu recalculer, puisque vous aviez le montant des achats, de quel ordre était-il ? De 2 ?

M. Claude BONAN : Non, j'ai calculé le coefficient par rapport au tarif.

M. le Rapporteur : Le rapport entre le tarif officiel divisé par les coûts d'achats de la compagnie...

M. Claude BONAN : Oui, c'est cela.

M. le Rapporteur : ... quel était leur ordre de grandeur ?

M. Claude BONAN : C'est de 2,5 à 4. Il faut savoir que les prix sont très variables selon qu'il s'agit de boissons ou de sandwiches. En fait, ce qui rapportait le plus, c'était les sandwiches.

M. le Président : Passons sur les sandwiches ! On est en train de se perdre dans votre enquête.

M. Claude BONAN : Je vous remets cette pièce.

M. le Président : C'est simplement le relevé de certaines pratiques.

M. Claude BONAN : Cette pratique est tout à fait détestable.

M. le Rapporteur : Allons au but. Vous avez travaillé pendant 6 à 7 mois. Quelles sont les conclusions de vos travaux ?

M. Claude BONAN : J'ai fait des conclusions dans ce que l'on appelle un rapport intérimaire que je vous remets là.

M. Claude BONAN : Elles sont extrêmement simples. On m'a mis un maximum de bâtons dans les roues et je n'ai pas pu avoir d'informations, ne serait-ce que sur la situation comptable. On me dit qu'il n'y a pas de situation comptable autre que du 1er août au 31 octobre 2001, c'est-à-dire sur 4 mois.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas de comptes ?

M. Claude BONAN : On me dit qu'il n'y a pas de comptabilité utilisable. Comme je fais remarquer que l'on ne peut pas prétendre gérer une compagnie aérienne sans rien, on me répond qu'il y a quand même des « trucs », des documents qui ne sont pas des documents puisque ce sont des écrans informatiques dont on n'a pas de trace, qu'on voit au jour le jour et sur lesquels on ne peut pas intervenir puisque l'on ne conserve pas d'archives...

M. le Président : Attendez, vous êtes en train de nous dire, et vous parlez sous serment, que « on vous a dit ». Qui entendez-vous par « on » ?

M. Claude BONAN : Le directeur financier, M. Dervieux.

M. le Président : M. Dervieux vous a dit : « Air Lib ne dispose pas de comptabilité ».

M. Claude BONAN : Absolument.

M. le Président : Il vous a dit cela ?

M. Claude BONAN : Il m'a dit qu'il ne disposait absolument pas d'une comptabilité normale. Il ne pouvait pas me sortir d'état comptable, ni de bilan comptable.

M. le Rapporteur : Il y avait un grand livre ?

M. Claude BONAN : Oui, il y avait un grand livre et une balance, sauf que rien n'était à jour.

M. le Rapporteur : Mais les balances n'étaient pas tenues ?

M. Claude BONAN : Elles n'étaient pas à jour. C'est-à-dire que quand vous étiez au mois d'avril 2002, la dernière balance était au 30 novembre 2001.

M. Xavier de ROUX : Soyons précis. La question est de savoir s'il y avait une comptabilité ou si vous n'aviez pas accès à cette comptabilité.

M. Claude BONAN : Non, je n'avais pas accès à cette comptabilité. C'était certain. Par contre, ils m'ont prétendu qu'il n'y en avait pas.

M. Xavier de ROUX : Voilà une réponse.

M. Claude BONAN : Non, mais ils me l'ont prétendu.

M. Xavier de ROUX : Vous n'avez pas eu accès à cette comptabilité parce qu'ils ont prétendu qu'il n'y en avait pas.

M. Claude BONAN : Ce que je n'ai pas cru une seule seconde.

Mme Arlette GROSSKOST : Quand les comptes étaient-ils normalement clôturés ?

M. Claude BONAN : Les comptes sont clôturés au 31 mars.

M. le Président : Poursuivez pour les conclusions.

M. Claude BONAN : Je suis désolé de vous faire sourire, messieurs, mais malheureusement, c'est comme cela.

M. Xavier de ROUX : Nous ne sourions pas, nous essayons d'être précis.

Mme Odile SAUGUES : Ce n'est pas que l'on ait envie de sourire, mais on a entendu parlé d'un grand livre, et puis après, on nous dit qu'il n'y a plus de comptes. C'est un peu confus. Pardonnez-nous.

M. Claude BONAN : Excusez-moi, mais simplement, on peut avoir un grand livre à n'importe quel moment, mais s'il n'est pas à jour, ce n'est pas un grand livre utile.

M. le Président : Vous nous dites que le document que l'on vous a montré au niveau du grand livre était un document qui n'était pas à jour quand on vous l'a montré.

M. Claude BONAN : Bien sûr.

M. le Président : Avec quel décalage ? Vous l'avez dit tout à l'heure.

M. Claude BONAN : On m'a donné celui du mois de novembre au mois de juin 2002. Cela faisait 7 mois.

Mme Odile SAUGUES : Vous l'avez vu ?

M. Claude BONAN : Oui.

M. le Président : M. Bonan nous dit, madame Saugues, qu'on a refusé de lui donner les éléments comptables en disant qu'il n'y avait pas de comptabilité susceptible d'être montrée. En revanche, on lui a montré le grand livre qui, lui, n'était pas à jour de 6 mois. C'est ce que vous dites ?

M. Claude BONAN : Oui. En gros, il avait 6 mois de retard.

M. le Président : Mais le grand livre n'est pas la seule expression d'une comptabilité à jour. C'est un élément.

M. Claude BONAN : Attendez ! Aucune comptabilité n'est à jour si son grand livre n'est pas à jour.

M. le Président : Oui, c'est exact. Mais le grand livre n'est pas la seule pièce de la comptabilité.

M. Claude BONAN : On peut montrer les factures.

M. le Président : C'est la pièce qui fait foi.

M. Claude BONAN : Mais, on me montre des factures éparses. Donc, quand on me les montre, je ne sais pas si elles sont comptabilisées ou non.

M. le Président : C'est clair. Avancez, monsieur Bonan.

M. le Rapporteur : Vous n'avez eu accès à aucune pièce comptable ? Des pièces justificatives ?

M. Claude BONAN : Aucune, c'est peut-être excessif. On m'a montré quelques factures.

M. le Rapporteur : De quoi ?

M. Claude BONAN : J'ai demandé à voir les factures de location des appareils. J'en ai vu quatre sur un appareil particulier qui était un Airbus.

M. le Rapporteur : Qu'avez-vous constaté sur ces factures ?

M. Claude BONAN : Elles étaient tout à fait normales. Il n'y avait rien à redire.

Quand vous êtes dans une entreprise normalement gérée, quand vous demandez les factures de location d'avions, on vous donne la pile de factures et on vous donne toutes les pièces. On ne vous donne pas une pièce par-ci, une pièce par-là.

Quand je demandais des documents, j'avais les documents parce que je les voyais sur le bureau de M. Dervieux. Je lui disais : « Vous avez une facture de location d'avion, j'aimerais bien la voir ».

M. le Président : Poursuivez dans vos conclusions.

M. Claude BONAN : J'ai obtenu la position de trésorerie au 30 juin 2002. La position de trésorerie qui m'a été présentée est un document qui paraissait bien fait, mais qui a été fait à ma demande le 2 juillet parce qu'on m'a sorti l'état informatique qui était encore dans l'ordinateur, ce jour-là. Et on me l'a sorti en disant qu'on me donne cela, mais l'on ne pourrait pas me le redonner la semaine suivante, parce que ce ne serait pas le même. Et celui-là n'était pas archivé.

Cette absence d'archives m'a beaucoup surpris.

M. le Président : Ce sont toutes vos conclusions ?

M. Claude BONAN : Ensuite, il y a les demandes d'étalement des règlements. C'est-à-dire que la société n'a pas payé en temps et en heure un certain nombre de prestations. Donc, j'ai demandé à voir l'état des retards. Soi-disant, à l'égard d'Aéroports de Paris (ADP), il y avait 6 échéances de retard entre le 17 juillet et le 17 décembre 2002.

Quand j'ai demandé les courriers avec ADP, on m'a dit qu'il n'y en avait pas. Ou, en tout cas, on n'a pas voulu me les remettre. Même chose à l'égard de la Direction générale de l'aviation civile, il y avait 12 échéances mensuelles qui n'avaient pas été payées du 20 septembre 2002 au 20 août 2003, parce que cela se paye d'avance.

M. le Rapporteur : Vous parlez sans doute du FIATA ?

M. le Président : Nous connaissons la période pendant laquelle les charges n'ont pas été payées, que ce soit à l'égard d'ADP, de l'URSSAF, ou d'autres.

Avez-vous, à un moment donné, vu dans la comptabilité trace de virement d'Air Lib vers une filiale étrangère ou vice versa ?

M. Claude BONAN : Je n'ai jamais eu accès à ces documents et ce n'est pas faute de les avoir demandés.

M. le Président : Non, mais je vous pose la question.

M. Claude BONAN : Je suis très précis. Je n'ai pas eu accès à ces documents.

M. le Président : Avez-vous posé des questions à ce sujet-là ?

M. Claude BONAN : Bien sûr !

M. le Président : Et que vous a-t-on répondu ?

M. Claude BONAN : Circulez, il n'y a rien à voir !

M. le Président : Merci.

M. Claude BONAN : Je me suis étonné que la balance clients fournie fut un document fantaisiste, parce qu'il y avait plusieurs pages 3, plusieurs pages 5. Ce n'est pas acceptable. Pour une balance clients, de la première à la dernière page, tout est numéroté. Il n'y a pas plusieurs fois la même chose et il n'y a pas non plus plusieurs fois le même nom de client à plusieurs pages d'intervalle.

Cela m'a donc paru extrêmement grave. De toute façon, je dirais que n'importe quel expert-comptable, le plus mauvais soit-il, rejetterait une balance clients présentée de la sorte.

M. le Président : Votre conclusion est que la comptabilité que l'on vous a transmise ou les éléments que l'on vous a transmis...

M. Claude BONAN : Les rares éléments de comptabilité.

M. le Président : ... n'étaient pas lisibles.

M. Claude BONAN : Non, ils étaient carrément faux.

Mme Arlette GROSSKOST : Pas fiables.

M. Claude BONAN : Non, ils étaient faux. On m'a donné des documents incomplets. Une balance clients, cela ne peut qu'être complet.

M. le Président : Voulez-vous dire par-là, monsieur Bonan, que vous avez le sentiment -je ne veux pas influencer votre réponse- que ces documents étaient fabriqués pour votre usage ?

M. Claude BONAN : Non, pas du tout. Ils n'ont pas été faits pour moi, mais on m'a montré des documents qui étaient reconstitués et qui n'avaient aucun sens. La balance clients par exemple, c'était vraiment n'importe quoi. On n'a donc pas voulu me donner les vrais documents. Je ne sais pas pourquoi.

M. Xavier de ROUX : Vous maintenez le terme de faux ? Vous avez dit que ce sont des faux documents.

M. Claude BONAN : Non, ce ne sont pas des faux documents, ce sont des documents extraits de la comptabilité -je le veux bien-, mais ils ne sont pas faux, ils sont incomplets.

M. Frédéric SOULIER : C'est une comptabilité de circonstance.

M. Claude BONAN : Si vous voulez. Je dirais que ce sont des documents ne prouvant rien. Cela veut dire que ce sont des photocopies que l'on a prises à droite et à gauche, mais n'ayant aucune cohérence comptable.

M. le Président : Nous avons compris, monsieur Bonan, sur ce plan-là. Peut-être qu'éventuellement, nous vous appellerons encore à préciser les choses lorsque nous aurons poursuivi un peu plus loin notre enquête.

Avez-vous d'autres choses à dire sur la conclusion ?

M. Claude BONAN : Il me reste quatre points.

Dossier d'appel d'offres : j'ai demandé à ce que me soient communiquées les réponses aux dossiers d'appel d'offres. On m'a dit qu'il n'y avait aucun dossier d'appel d'offres puisque toutes les sociétés qui intervenaient étaient des filiales de Holco. Il n'y avait donc pas d'appel d'offres.

Je veux bien que dans un groupe, on privilégie les sociétés qui sont dans le même groupe, mais normalement, dans une société, même si l'on travaille au sein d'un groupe, on doit avoir un appel d'offres pour se rendre compte du niveau de la prestation que l'on obtient. Or, ils n'ont pas fait ne serait-ce que cela.

M. le Président : Qui vous a fait cette réponse ? M. Dervieux ?

M. Claude BONAN : M. Dervieux, oui, bien sûr.

Les rapports des commissaires aux comptes : j'ai demandé à ce qu'on me les remette. On m'a dit qu'ils n'avaient pas été établis. Il est probable que le 17 juillet 2002 les commissaires n'avaient pas encore établi le rapport du 31 mars 2002. Mais normalement, les comptes auraient dû être présentés le 30 juin. Il n'y a pas eu de respect du délai légal et on ne m'a même pas justifié d'avoir fait une demande au tribunal pour repousser la date d'échéance de l'assemblée générale. C'est-à-dire que cette démarche simple n'aurait pas été faite, ce que je ne peux croire !

J'ai demandé à voir les dossiers des contentieux et Me Léonzi m'a envoyé un bout de papier avec une liste de 13 contentieux. Je n'ai jamais pu avoir aucune autre information sur les contentieux.

Voilà l'essentiel de mon rapport. Celui-ci n'était pas glorieux, je sais bien, mais c'est ainsi. On n'a pas voulu me donner les documents, bien que l'on ait accepté en traînant les pieds de me recevoir, de faire semblant d'accepter de me parler, mais tout juste, du bout des lèvres.

M. le Rapporteur : Monsieur Bonan, qui étaient les commissaires aux comptes de l'entreprise ?

M. Claude BONAN : Je les ai rencontrés. Je n'ai pas leurs noms de mémoire, mais ils sont faciles à retrouver. Je les ai rencontrés tous les deux. Ils m'ont dit que comme j'étais l'expert-comptable du comité d'entreprise, je devais comprendre que déontologiquement, ils ne pouvaient rien me dire, ils ne pouvaient absolument pas avoir la moindre discussion avec moi sur quoi que ce soit. Je leur ai répondu que, quand même, ils avaient une situation de pré-alerte et je leur ai demandé s'ils avaient lancé la procédure d'alerte. Ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas me parler de cela, car c'était leur secret professionnel.

Ils m'ont donc opposé le secret professionnel le plus absolu. Or, je vous rappelle que la loi dit que le secret professionnel du commissaire aux comptes ne peut pas être opposé à l'expert-comptable du comité d'entreprise.

M. le Rapporteur : Mais vous ne leur avez pas demandé s'ils avaient une mission continue ?

M. Claude BONAN : Bien sûr. Je leur ai demandé s'ils avaient déclenché la procédure d'alerte. Ils m'ont dit que non. Or, il était manifeste, au moment où j'ai été nommé, que la procédure d'alerte aurait déjà dû être lancée depuis le CE du 18/12/2001, au moins.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous transmettre les noms de ces deux commissaires aux comptes ?

M. Claude BONAN : Oui, sans problème.

M. le Rapporteur : Ils n'ont jamais saisi le procureur ?

M. Claude BONAN : Ils ne m'ont pas dit l'avoir fait. C'est tout. Moi, je leur ai demandé s'ils l'avaient fait. Ils m'ont répondu que c'était leur secret professionnel.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous fournir leurs noms ?

M. Claude BONAN : Sans problème. Je vous donnerai leurs noms, leurs téléphones.

Mme Odile SAUGUES : Vous avez parlé de M. Asseline. Nous avions cru comprendre lors d'autres auditions que c'était un pilote et qu'il avait redemandé une formation et que celle-ci avait été payée par Air Lib.

M. Didier PETIT : M. Asseline a été embauché comme cadre sol, comme adjoint au chef pilote. Chez nous, cela s'appelle le directeur des opérations en vol. Il était salarié Air Lib. Nous avons appris que M. Asseline était en train de faire une qualification Airbus A320. M. Asseline est un ancien pilote commandant de bord à Air France. Qui a payé ? Nous n'avons eu aucune information. Les questions que nous avons posées au sujet du financement de cette qualification pour un personnel sol, un cadre sol, nous semblaient quand même de circonstance. Nous n'avons jamais eu de réponse.

Mme Odile SAUGUES : C'est simplement ceci qui vous paraît être une anomalie ?

M. Didier PETIT : Madame, je vais essayer d'être plus simple. Nous sommes dans une entreprise où il y a des pilotes. On demande au chauffeur de bus de faire une qualification Airbus. On paie au chauffeur de bus une qualification Airbus. Il y a là quelque chose d'anormal. C'est un cadre sol. De plus, ce monsieur a 58 ans.

M. le Rapporteur : Monsieur Petit, cette affaire a été soulevée par d'autres de vos collègues, hier. Simplement, nous leur avons posé la question : pourquoi la direction d'Air Lib, d'après vous, a-t-elle fait cela ?

M. Didier PETIT : M. Asseline et M. Corbet se connaissaient car ils ont tous deux milité au sein du SNPL Air France...

M. le Rapporteur : Selon votre thèse, c'est un coup de main qu'il aurait donné à cette personne ?

M. Didier PETIT : Si vous voulez, j'essaie d'être le plus froid possible. Il pourrait peut-être arriver un jour que des révélations - que je n'ai pas - concernant certains financements pourraient avoir des conséquences pour les gens dont je parle.

J'essaie donc d'être le plus sincère possible. J'étais acteur social, représentant syndical. J'ai demandé comment il se faisait que quelqu'un embauché en février 2002 puisse bénéficier d'une qualification alors qu'il était personnel sol et que cette qualification n'apparaisse pas dans les comptes de formations ou n'apparaisse pas dans les budgets ?

M. le Président : On a bien compris votre réponse. Les personnes que nous avons auditionnées ont dit, depuis déjà deux jours, qu'il y avait un certain nombre de dysfonctionnements, qui confinent à des erreurs de gestion ou à des gaspillages inutiles qui ensuite, bien sûr, peuvent expliquer un certain nombre de raisons qui ont conduit au dépôt de bilan.

Je présume que des gouttes d'eau peuvent finir par faire un verre lorsqu'on les met toutes dans le même verre.

M. Didier PETIT : C'est tout à fait cela. Si vous permettez une demi-seconde, le directeur des opérations en vol qui s'appelait M. Frochot a eu une promotion sur Airbus A340 où le sureffectif était notoire depuis la reprise. Il y avait 76 pilotes.

M. le Président : Il y en avait 76, c'est cela.

M. Didier PETIT : M. Frochot qui était sur un autre type d'appareil s'est vu promu sur ce type d'avion...

M. le Président : Alors qu'il y avait 76 pilotes au sol.

M. Didier PETIT : ... et qu'il n'a fait que très peu de vols, peut-être une quinzaine en tout.

M. le Président : Cela s'appelle effectivement de la gestion... 

Me Levasseur, vous m'avez adressé un courrier que j'ai sous les yeux. Je vous passe donc la parole.

Me François LEVASSEUR : Monsieur le Président, j'ai été sollicité par Didier Petit pour l'accompagner devant vous, car je l'ai accompagné pendant le temps d'existence d'Air Lib. Cela ne me semblait pas poser de problème. J'ai dû me rapprocher tout de même de mes instances ordinales et on m'a fait un tableau très restrictif de mes obligations relatives au secret professionnel.

Je pourrais vous donner lecture des décisions de justice mais vous les avez déjà et je ne vais pas vous les commenter. Je voudrais simplement rappeler les différentes phases.

Il y a eu une première phase que j'appellerai la phase de dépeçage qui va du 27 juillet au 18 décembre 2001 où l'on annonce le dépôt de bilan. Il y a ensuite une deuxième phase où les représentants du personnel tous azimuts - car j'ai représenté aussi bien FO, la CFTC, la CGT, Alter Air Lib et des syndicats catégoriels - se sont inquiétés et ont voulu déclencher le droit d'alerte.

Cette deuxième phase est une véritable guerre judiciaire, une véritable guerre juridique. Le nerf de la guerre, on voit dans le Canard Enchaîné de ce matin où il était quand on y lit le montant des honoraires payés par Holco. Il n'empêche que dans cette affaire, dans ce combat, ce n'est pas Goliath qui l'a emporté et on a obtenu le droit d'alerte.

La phase suivante, le mouvement suivant, ce fut l'opposition virulente faite à l'exercice du droit d'alerte pendant la mission de M. Bonan, avec un adversaire qui a l'art et la manière de manier la confusion. Alentours, autour, contours et pourtours sont pour eux synonymes. Ils essayent toujours de vous faire prendre l'un pour l'autre.

Au mois de juin, après les nouvelles élections professionnelles, on s'appuie sur une centrale syndicale et l'on essaye de tuer. C'est vraiment le mot que l'on doit employer, quand on demande à faire juger que des syndicats n'ont pas d'existence légale, quand on demande l'annulation des désignations de délégués syndicaux ou de représentants syndicaux. Il s'agit bien de tuer la personne civile, de faire un constat de décès de la personne civile.

Évidemment, pendant cette phase qui va commencer en août 2002, devant le tribunal d'instance de Longjumeau, et qui va se poursuivre jusqu'à fin novembre 2002, pendant que les syndicats sont obligés de puiser dans leurs forces vives et dans leur petite cagnotte pour se défendre de tout cela, ils ne peuvent plus intervenir et soutenir régulièrement dans les comités d'entreprise l'expert-comptable du comité d'entreprise.

Je pense, sur ces simples observations, être en parfaite règle avec mon obligation de secret professionnel.

M. le Président : Puis-je vous interrompre ?

Une question qui n'a rien à voir avec le secret professionnel. La représentativité de M. Petit a été contestée par qui ? Par la CFDT ?

Me François LEVASSEUR : Non, elle a été contestée par Air Lib.

M. le Président : Par la direction.

Me François LEVASSEUR : Air Lib a engagé 10 actions contre 10 représentants syndicaux.

M. le Président : Quels autres syndicats ont-ils été également attaqués pour non représentativité ?

Me François LEVASSEUR : Vous avez les cotes du tribunal, le rôle avec les numéros de rôle et les demandeurs et les défendeurs. Vous avez les extraits qui m'ont été remis par le Greffe et que j'avais remis à mes clients à ce moment-là.

M. le Rapporteur : Ont-ils contesté la représentativité de tous les syndicats ou seulement de certains d'entre eux ?

Me François LEVASSEUR : De certains syndicats...

M. le Rapporteur : Lesquels ?

Me François LEVASSEUR : ... et de certains représentants syndicaux. Vous les avez au dossier.

M. le Président : C'est clair. Vous avez dit qu'ils étaient au dossier, merci.

Me François LEVASSEUR : Dernière chose que je peux faire sans trahir le secret professionnel puisque c'est en tant que public que j'ai assisté à l'audience de la cour d'appel l'autre jour où l'on disait au président d'audience qu'il y avait encore un nouvel investisseur « secret », « confidentiel », pas « secret Défense » mais presque, et qu'on ne pouvait pas le révéler en audience publique, même au président, mais qu'on allait voir ce que l'on allait voir.

Cette partie d'esbroufe a marché, tout de même, et l'on a tenté de la faire marcher encore le mois dernier devant la cour d'appel. Et là, j'étais spectateur, je peux donc donner mon sentiment de spectateur.

M. le Rapporteur : Avez-vous autre chose qui pourrait être utile à la commission d'enquête et qui respecte votre secret professionnel ?

Me François LEVASSEUR : J'étais dans les procédures pour le secrétaire CGT du comité d'entreprise et pour le secrétaire FO du comité d'entreprise. Je suis même intervenu aux côtés de l'expert pour rédiger la sommation interpellative qui a été faite d'avoir à lui communiquer des documents que le comité d'entreprise de l'époque attendait. Pratiquement, il n'y a rien dont je puisse parler qui ne soit relié à l'un des dossiers sur lesquels je suis intervenu.

Je le regrette, mais j'ai voulu en venant aujourd'hui marquer à la fois le respect et le soutien que j'apporte à votre commission, l'intérêt que je porte à ses travaux en souhaitant qu'ils puissent aboutir le plus rapidement possible car le temps qui passe, en matière judiciaire, peut laisser passer les échéances. Je pense notamment au délai de 18 mois qui s'applique en cas de procédure collective, à l'intérieur duquel on peut annuler toutes les opérations qui ont été faites sans avoir à le motiver autrement que par le fait de la période suspecte.

Il est clair que la période suspecte dans cette affaire a commencé dès le jugement d'envoi en possession d'Holco.

M. le Président : Il est clair, Maître, que notre commission est bien décidée à aller jusqu'au bout de son enquête. Elle est bien décidée aussi à utiliser tous les moyens que la loi lui donne. Je suis bien décidé avec le rapporteur à les mettre en œuvre et je trouve imprudents les propos tenus hier soir au retour d'une audition par certains représentants de syndicats qui mettent en doute et notre volonté et notre capacité à aboutir. Je trouve qu'ils ont été imprudents.

Me François LEVASSEUR : Quand je monte dans un avion, monsieur le Président, je fais toujours confiance au pilote, et aujourd'hui, c'est vous.

M. le Président : Nous sommes plusieurs à tenir la barre.

M. Marcel BONNOT : Si j'ai bien compris, vous nous avez dit qu'une dizaine d'actions avaient été intentées contre les syndicats. Il s'agit là de l'exercice d'un droit. Il ne s'agissait pas d'une entrave à la liberté syndicale au sein de l'entreprise.

Me François LEVASSEUR : J'ai simplement dit que, pendant que les syndicats étaient occupés à se défendre dans ces instances qui ont traîné pendant trois mois, ils ne pouvaient être à la fois au four et au moulin et ils ne pouvaient plus soutenir comme il aurait fallu et ils ne pouvaient plus analyser ou réclamer comme ils auraient dû pouvoir le faire les documents qu'ils auraient pu analyser. Ils ont simplement -la meilleure défense c'est l'attaque- été attaqués dans leur substance vitale, dans leur mandat et dans leur existence même puisque, de certains d'entre eux - c'était le cas d'Alter Air Lib -, on est venu dire qu'ils n'avaient pas d'existence légale.

M. Marcel BONNOT : J'ai noté qu'avait été nommé un mandataire ad hoc. Aux termes de la loi, le mandataire ad hoc doit, dans un délai très court, référer au président de la juridiction sur le fait de savoir si l'entité est en état de cessation de paiement ou non. Si elle est en état de cessation de paiement, le mandataire ad hoc ne peut plus continuer sa mission.

M. le Président : Très bonne question.

M. Claude BONAN : Il engage sa responsabilité pénale.

M. le Président : Avez-vous été informé que le mandataire ad hoc ait pu dire quoi que ce soit sur ce plan-là ?

M. Claude BONAN : Non, parce que Me Lafont est intervenu au mois de septembre pour dire qu'il fallait négocier, qu'il n'y avait pas de problème, que tout allait bien.

M. le Président : Monsieur Bonnot, nous recevrons Me Lafont et vous aurez tout loisir à ce moment-là de lui poser les bonnes questions que vous venez de poser.

M. Marcel BONNOT : Une simple observation pour M. Bonan qui s'insurgeait sur le fait que, lorsqu'il est allé demander la liquidation de son astreinte, la décision n'ait pas été rendue sur le siège. Je peux vous dire qu'elle l'est rarement, parce que la juridiction du fond a la possibilité soit de réduire en fonction des éléments qui lui sont fournis la demande de liquidation d'astreinte, soit même de la supprimer complètement.

M. Claude BONAN : En l'occurrence, le simple calcul donnait trois millions d'euros ; ils m'ont accordé 10 000 euros. C'est tout à fait négligeable. Mais de toute façon, ce n'est pas pour un problème d'argent que je suis allé pour l'astreinte. Moi, je voulais mes documents.

Je n'ai pas réussi à vous parler d'un problème connexe, mais qui est très lié à cette opération, c'est de vous dire pourquoi la banque CIBC a été choisie par M. Corbet. M. Corbet n'a pas choisi la banque CIBC par hasard. C'est la banque d'Air France et du SNPL. Il faut savoir que le SNPL avait intérêt à ce que M. Corbet réussisse et Air France également. Sachez que si les 50 millions de francs sont allés à la CIBC, ce n'est peut-être pas innocent. Je dirais que c'était un moyen de financer une caisse noire pour l'avenir ou pour permettre de protéger M. Corbet.

M. le Rapporteur : Quand vous parlez de caisse noire, que voulez-vous viser ?

M. Claude BONAN : Encaisser 50 millions de francs pour présenter des investisseurs que l'on ne trouve pas me paraît absolument inconcevable.

Le 27 juillet 2001, Aurel-Leven a présenté sa garantie pour la reprise de 80 millions de francs. Le 13 septembre, c'est-à-dire le jour du deuxième jugement, ils ont reçu un fax de M. Corbet demandant d'arrêter la garantie et d'envoyer la facture pour le mois et demi de garantie. La facture représentait un montant de 460 000 francs, soit un intérêt de 5,2 % par an.

La garantie des 80 millions a été largement payée de son côté. Il n'y avait donc aucune raison que la CIBC encaisse quoi que ce soit pour avoir présenté Aurel-Leven, entreprise française bien connue que n'importe quelle banque française est capable de trouver toute seule.

M. Marcel BONNOT : Quand cela s'est-il passé ?

M. Claude BONAN : A la reprise, entre le 27 juillet et le 13 septembre 2001.

La grande question était qu'il fallait obtenir le 13 septembre 2001 la ventilation des actifs, c'est-à-dire la substitution des autres sociétés, pour obtenir les actifs. Une fois qu'il l'a obtenue, c'était terminé. Une fois que le plan de Me Vargas était exécuté, c'était fini.

Mme Arlette GROSSKOST : Une petite question : y avait-il d'autres relations financières entre Air Lib et Air France, notamment dans le cas du code share ? Y a-t-il eu des abandons de créance à ce niveau-là ?

M. Claude BONAN : Dans le cadre du pool, il y avait des relations entre Air France et Air Lib, mais contrairement à ce que vous pouvez imaginer, c'était de l'argent pris dans la caisse d'Air Lib pour payer le financement du pool, et non pas l'inverse.

En fait, le pool du code share a profité à Air France. Personne ne le contredit. Dans les comptes, cela se voit à peu près. A chaque fois que l'on m'en a parlé, on m'a dit que cela avait largement profité à Air France (à près de 70 %).

Mme Arlette GROSSKOST : Qui a été payé.

M. Claude BONAN : Oui, bien sûr. Il s'agit d'argent qui est bien sorti de la caisse d'Air Lib.

M. le Président : Cela aussi nous a été indiqué.

M. Claude BONAN : Et pas des petites sommes d'après ce que l'on m'a dit.

M. le Président : Nous verrons cela dans le détail avec les responsables d'Air France.

M. Claude BONAN : Oui, j'espère que vous interrogerez les responsables d'Air France. Ce qui serait intéressant, c'est que vous interrogiez tous les responsables d'Air France travaillant chez Air Lib.

J'ai pris l'annuaire de téléphone, j'ai coché les quatre anciens responsables d'Air France travaillant chez Air Lib.

M. le Président : Pouvez-vous citer leur nom ?

M. Claude BONAN : Corbet, Perri, Gisselman et Repaci.

M. le Président : Pourquoi ? Corbet et Perri sont-ils encore salariés par Air France ?

M. Claude BONAN : Non, c'étaient des anciens salariés d'Air France.

M. le Président : D'accord.

M. Claude BONAN : Je vous parle des anciens salariés d'Air France. Il y avait Bardi et...

M. le Président : Vous pourriez rajouter Paris qui lui...

M. Claude BONAN : Non, lui n'est pas payé.

M. le Président : Oui, mais il était influent.

M. Claude BONAN : Pour Christian Paris, je n'ai pas la preuve, mais je serais très heureux de l'avoir.

Si ce que des journalistes racontent est vrai - ce que je ne sais pas -, ils prétendent avoir vu des documents prouvant que Christian Paris est salarié d'Holco. Je veux bien, mais je n'ai toujours pas la preuve.

Me François LEVASSEUR : Je suis un peu frustré de ne pas avoir beaucoup parlé. Je souhaite donner une explication technique au niveau de la liquidation de l'astreinte.

Il faut bien comprendre que le problème pour les magistrats n'a pas été simple, car Air Lib a appelé en intervention forcée le comité d'entreprise. Alors, c'est un peu l'Auguste qui appelle le clown blanc, en l'espèce. Il a donc appelé en intervention forcée le comité d'entreprise. Ce dernier a posé la question suivante au magistrat en disant : l'expert du comité d'entreprise étant l'expert du comité d'entreprise comme son nom l'indique, nous demandons que la liquidation de l'astreinte soit faite au bénéfice du comité d'entreprise et non pas au bénéfice de l'expert.

Je comprends que devant ce sophisme, le magistrat ait tourné un peu sa cervelle sous sa toque et sa plume dans sa main avant de pondre la décision qu'il a pondue.

Il y a donc eu, là encore, un argument qui était complètement fallacieux, très innovant, et qui a joué sur le calendrier. Car, toujours, on joue la montre.

M. le Président : Je crois qu'il faut en arrêter là notre audition. Si d'aventure, nous avons besoin de vous entendre à nouveau, nous nous permettrons de vous reconvoquer.

N° 906 - Rapport : commission d'enquête : Air Lib (M. Charles de Courson

suite des auditions


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