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N°1018 (2ème partie)

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juillet 2003

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et l'évaluation de leur efficacité

Président
M. Edouard LANDRAIN,

Rapporteur
M. Christophe PRIOU,
Députés
.
--

TOME I

RAPPORT

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Transports par eau.

La commission d'enquête sur l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et l'évaluation de leur efficacité, est composée de : M. Edouard LANDRAIN, Président ; MM. Jean-Pierre DUFAU et Jean LASSALLE, Vices-Présidents ; MM. Bernard DEFLESSELLES et Daniel PAUL, Secrétaires ; M. Christophe PRIOU, Rapporteur ; MM. Jean-Yves BESSELAT, Maxime BONO, Gilles COCQUEMPOT, Jean-Pierre DECOOL, Michel DELEBARRE, Léonce DEPREZ, Éric DIARD, Mme Marie-Hélène des ESGAULX, MM. Jean GRENET, Louis GUÉDON, Michel HUNAULT, Christian JEANJEAN, Aimé KERGUERIS, Mme Marguerite LAMOUR, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Jean-Yves Le DRIAN, Jacques LE GUEN, Jean-Louis LÉONARD, Claude LETEURTRE, Christophe MASSE, Didier QUENTIN, Mme Hélène TANGUY, MM. Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Alain VIDALIES.

S O M M A I R E

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Pages

première partie : Le naufrage du Prestige et la pollution des cÔtes espagnoles et françaises : le retour de l'inadmissible, trois ans après l'Erika

deuxième partie : Des évolutions réelles, malgré une apparence d'immobilisme 55

I.- Depuis l'Erika : des avancées significatives, mais qui n'ont pu toutes être pleinement mises en œuvre 55

A .- Au plan national 55

1 .- Les règles et l'organisation 55

2.- Les problèmes de contrôle des navires 1717

3 .- Une meilleure connaissance du trafic maritime 3030

4.- Un code de déontologie pour le transport des produits pétroliers 4242

B.- Le renforcement de la coopération bilatérale et multilatérale 4444

1.- Des accords bilatéraux et multilatéraux couvrant l'ensemble des façades maritimes françaises, dès avant l'Erika 4545

2.- D'opportunes avancées décidées en Méditerranée et en Manche depuis l'Erika 4848

C.- Au plan communautaire : un « Oil Pollution Act » européen ? 4949

1.- La référence incontournable à l'exemple américain ? 5050

2.- Les deux paquets Erika I et II 5757

D.- L'OMI et les normes de sécurité maritime 6969

1.- Les décisions de l'OMI, expressions d'un consensus 6969

2.- Un contrôle défaillant de l'application des conventions 7070

3.- Quelques exemples de normes négociées au sein de l'OMI 7171

II.- Une forte accélération consécutive a la catastrophe du Prestige 7575

A.- Au plan national : un sursaut particulièrement marqué 7575

1.- Les mesures opérationnelles adoptées sous l'effet de la crise du Prestige 7676

2.- L'évolution des règles 9191

B.- Au plan communautaire : un réel dynamisme 9898

1.- L'engagement d'actions concrètes nouvelles 9999

2.- Des initiatives en vue d'une application accélérée des mesures Erika I et II 101101

3.- L'adoption d'un calendrier de retrait des navires à simple coque plus rigoureux et l'interdiction du transport de fioul lourd dans des navires à simple coque 104104

4.- Une proposition ambitieuse : l'instauration de sanctions pénales au niveau communautaire pour les pollutions maritimes issues de navires 105105

5.- Le contrôle du niveau de formation des gens de mer, aux modalités de mise en œuvre complexes 108108

6.- La volonté d'intervenir de manière plus déterminante au sein de l'OMI 109109

c.- Au plan international : un rythme plus lent 110110

1.- Les groupes de travail en cours 112112

2.- La conférence diplomatique de l'OMI de mai 2003 114114

troisième partie : Quelles perspectives souhaitables et réalistes ?

quatrième partie : le régime international de responsabilité et d'indemnisation doit contribuer à améliorer la sécurité maritime


 

DEUXIÈME PARTIE : DES ÉVOLUTIONS RÉELLES, MALGRÉ UNE APPARENCE D'IMMOBILISME

Contrairement à l'opinion sans doute la plus répandue parmi nos concitoyens, selon laquelle l'occurrence d'un nouveau sinistre pétrolier affectant le littoral français témoigne d'une inanité des pouvoirs publics en matière de sécurité des transports maritimes, beaucoup a été fait, en particulier depuis le naufrage de l'Erika, devant nos propres côtes. Des initiatives nombreuses et complémentaires ont été prises, à tous les niveaux : national, bilatéral avec nos voisins, communautaire, et aussi international, quoique sans doute à un moindre degré.

Mais force est de constater que, trois ans après l'Erika, la passion réformatrice de la sécurité maritime avait quelque peu fini par retomber, et que c'est, malheureusement, un nouveau naufrage, -celui du Prestige-, un peu plus éloigné de la France mais touchant néanmoins une grande partie du littoral atlantique, qui a lancé un second train de mesures, aux différents niveaux d'intervention possibles.

I.- DEPUIS L'ERIKA : DES AVANCÉES SIGNIFICATIVES, MAIS QUI N'ONT PU TOUTES ÊTRE PLEINEMENT MISES EN œUVRE

A .- AU PLAN NATIONAL

1 .- Les règles et l'organisation

a) La nouvelle organisation des pouvoirs maritimes : préfet maritime et Secrétariat général de la mer

Le naufrage de l'Erika a révélé de multiples lacunes dans l'organisation des services maritimes de l'Etat. Un long travail de réflexion a été mené qui, même s'il n'a pas abouti à des bouleversements dans les structures administratives, a permis des améliorations notables pour l'efficacité de la politique de sécurité maritime. Cette démarche n'est d'ailleurs pas encore achevée, certaines évolutions ayant été annoncées lors du dernier Comité interministériel de la mer d'avril 2003 et d'autres, à l'état de prémisse, devraient encore faire l'objet de consultations, notamment dans le cadre de la préparation des futurs projets de lois de décentralisation.

Malgré l'étendue de son domaine maritime, qui s'étend sur plusieurs continents, et l'importance de ses façades littorales, la France n'a jamais connu de grand ministère de la Mer de plein exercice qui aurait sous sa responsabilité l'administration civile des Affaires maritimes, mais aussi des prérogatives militaires avec la tutelle de la Marine nationale. Depuis plusieurs décennies, différents départements ministériels concourent à la définition de la politique maritime française et à la sauvegarde du littoral.

C'est pourquoi est apparue la nécessité de créer un organisme de mission, placé directement auprès du Premier ministre, pour donner une vision globale et réellement interministérielle à la politique maritime. C'est ainsi que le décret n°95-1232 du 22 novembre 1995 a créé un comité interministériel de la mer et un Secrétariat général de la mer.

Parmi les attributions conférées par ce texte au Secrétariat général de la mer, il convient de souligner l'importance de son rôle de coordination, défini par l'article 4 du décret précité :

« Le Secrétariat général de la mer est chargé des attributions suivantes :

I. - Il prépare les délibérations du comité interministériel de la mer et veille à l'exécution des décisions prises ;

Il anime et coordonne les travaux d'élaboration de la politique du gouvernement en matière maritime. Il propose les décisions qui en découlent et s'assure de la mise en œuvre de la politique arrêtée.

II. - Il exerce une mission de contrôle, d'évaluation et de prospective en matière de politique maritime ;

Il participe, pour ce qui intéresse les activités maritimes, aux travaux du Commissariat général du Plan ;

Il est associé à l'élaboration des politiques publiques concernant la mer et le littoral ;

En liaison avec les ministères intéressés, il assure la coordination des études sur l'évolution de la politique maritime ;

Il participe aux travaux des instances et comités qui connaissent des problèmes maritimes.

III. - Sous l'autorité directe du Premier ministre, et en liaison avec les ministères et organismes compétents, le Secrétariat général de la mer veille à l'échelon central à la coordination des actions de l'Etat en mer. Il étudie et propose les mesures qui tendent à améliorer l'efficacité de ces actions.

Le secrétaire général de la mer anime et coordonne, sous l'autorité du Premier ministre, l'action des préfets maritimes dans l'exercice des attributions qu'ils tiennent du décret du 9 mars 1978 susvisé ainsi que celle des délégués du gouvernement exerçant les mêmes attributions outre-mer ;

Il participe aux actions générales d'information relatives à la sécurité en mer.

IV. - Il assure la coordination du suivi des textes relatifs à la mer et en propose les adaptations nécessaires, compte tenu de l'évolution du droit international et communautaire en cette matière.

V. - Il établit chaque année un rapport au Premier ministre sur la politique maritime et sur la coordination des actions de l'Etat en mer. »

Il semble paradoxal que, lors de la création de cette structure de coordination interministérielle, et alors qu'avait été conférée au secrétaire général de la mer une mission d'animation et de coordination de l'action des préfets maritimes, aucun changement n'ait été apporté au décret n°78-272 du 9 mars 1978, relatif à l'organisation des actions de l'Etat en mer qui définit le rôle du Préfet maritime.

Longtemps le Secrétariat général de la mer semble avoir surtout consisté en une cellule de réflexion prospective sur la politique maritime, dont le rôle essentiel était de préparer les délibérations du Comité interministériel de la mer et de veiller à l'exécution des décisions prises dans ce cadre. Sur le plan opérationnel, ses attributions étaient très limitées, comme l'a souligné la précédente Commission d'enquête parlementaire sur l'Erika.

Le précédent secrétaire général déplorait d'ailleurs le fait de dépendre directement du Premier ministre, car il constatait que les sujets maritimes étaient éclatés au niveau des membres du cabinet de celui-ci, les attributions respectives des conseillers étant cloisonnées sur le même schéma que les compétences des départements ministériels. Il regrettait qu'il n'existât point de vision horizontale sur les problèmes de la mer (cf. l'audition de M. Paul Roncière, du 15 février 2000).

Suite au naufrage de l'Erika, deux circulaires ont réorganisé la lutte antipollution et ont conféré au Secrétariat général de la mer un rôle plus opérationnel. Mais il est incontestable qu'au-delà des données réglementaires, une évolution des comportements peut être constatée, qui a permis d'améliorer la coordination de l'action de différentes administrations qui, jusque là, semblaient très jalouses de leurs prérogatives respectives.

M. Jean-René Garnier, actuel secrétaire général de la mer a témoigné de l'évolution de sa fonction et des progrès réalisés depuis la crise de l'Erika. C'est ainsi qu'il a déclaré : 

« Les conditions dans lesquelles s'est déroulée la gestion de la crise du Prestige ont été très différentes de celles que mon collègue Roncière a pu évoquer s'agissant de l'Erika, ceci d'ailleurs grâce aux conclusions tirées de la gestion de la crise consécutive à son naufrage.

(...) Le dispositif d'information a fonctionné dès le premier jour. Cela signifie que les conclusions de mon prédécesseur quant à la circulation de l'information ont été très largement corrigées puisque les informations ont parfaitement circulé et que la coordination, notamment en premier lieu avec les préfets maritimes, a été constante, avec un dispositif de suivi rapidement mis en place. »

Pour montrer le rôle de coordination joué par le Secrétariat général de la mer, il a pris l'exemple de la publication d'un document unique sur la dérive des nappes d'hydrocarbures :

« Dans les quelques jours qui ont suivi, un de nos collaborateurs, ingénieur hydrographe, a été chargé de rassembler tous les services -Météo France, le SHOM, le CEDRE et la Marine nationale- afin de croiser les idées sur l'analyse des circuits et les dérives de pollution. Ce faisant, il n'existait qu'un document qui faisait l'objet d'un consensus de l'ensemble de ceux qui étudiaient les dérives. Ce document a d'ailleurs été régulièrement publié, dans un souci de transparence.

Au contraire, au moment du naufrage de l'Erika, il est certain que les différentes administrations avaient des avis quelque peu divergents sur la question, peut-être pas sur le fond mais en tout cas sur le mode de publication. Il suffit d'un décalage de vingt-quatre heures pour que cela apparaisse incohérent.

Pour notre part, nous avons veillé à avoir un document précis sur l'évolution de la dérive des nappes, ce qui nous permettait d'anticiper autant que faire se peut les décisions et de les préparer, en profitant de l'«avantage» du fait que le navire avait coulé à 1 500 kilomètres de nos côtes. »

Comme le confirme le témoignage de M. Frémont déjà cité, le Secrétariat général de la mer a joué un rôle d'interface très utile entre les services opérationnels locaux et le cabinet du Premier ministre qui, à la différence de l'Erika, n'a pas eu à instruire directement certains dossiers, ce rôle étant rempli par les collaborateurs de M. Garnier. C'est ainsi que ce dernier a décrit cette fonction d'interface :

« S'agissant de la coordination au niveau central, dès le début de ces opérations, le secrétaire général de la mer a assuré, par des réunions périodiques, la coordination des actions, en liaison avec Matignon.

Nous fonctionnions sur un régime simple : le mardi avait lieu une réunion présidée par moi-même ou le secrétaire général adjoint de la mer, avec tous les services concernés par la gestion de la crise. Le vendredi était organisée une réunion à Matignon pour le suivi et la validation des décisions prises, qu'elles soient de nature technique ou financière, puisqu'il fallait alimenter le financement des plans POLMAR-terre.

On peut donc affirmer que les structures de coopération ont bien fonctionné au niveau local, autour du préfet maritime, et au niveau national, autour du secrétaire général de la mer. »

L'autorité avec laquelle l'équipe de M. Garnier a géré la crise du Prestige a conforté l'utilité de cette structure légère dont le rôle a failli être remis en cause au début de l'année 2002, et dont la justification n'était pas évidente avec la création lors du premier gouvernement Raffarin, d'un Secrétariat d'Etat à la mer autonome.

Lors de son audition, M. Garnier a souligné que le positionnement du Secrétariat général de la mer avait été renforcé et que la préparation du Comité interministériel de la mer d'avril 2003 avait permis de démontrer une bonne coopération des différents départements ministériels intéressés.

En revanche, il a indiqué que la gestion de la crise du Prestige avait révélé la nécessité de faire évoluer les missions du préfet maritime. C'est ainsi qu'il a déclaré :

« S'agissant de la coordination locale, il y a lieu de constater aujourd'hui que l'organisation de la gestion de ce territoire particulier qu'est notre mer n'a guère évolué depuis le décret de 1978 qui a créé les préfets maritimes. Ce décret s'inspirait fortement de la situation du préfet de département. Mais depuis cette date, le rôle et le pouvoir de coordination des préfets de département ont eux-mêmes fait l'objet d'un certain nombre de textes, notamment en 1982 et 1983, après la réforme de décentralisation et en 1992 après la loi sur la déconcentration et la charte de la déconcentration. Par ailleurs, ils feront également l'objet prochainement d'un certain nombre de nouvelles décisions, dans le cadre de la mise en œuvre de la future décentralisation.

En revanche, au niveau maritime, nous sommes restés dans un système encore trop parcellisé, tant pour l'action administrative que pour la gestion quotidienne de l'espace maritime. D'où la demande faite par le Conseil des ministres du 4 décembre 2002 d'élaborer un schéma cohérent de l'organisation administrative et de l'action de l'Etat en mer autour des préfets maritimes, à la fois pour la gestion de l'espace maritime au jour le jour, dans ses fonctions de police, et pour la gestion administrative, de façon à ce que les préfets maritimes soient mieux associés à un certain nombre de décisions susceptibles de créer des « conflits d'usage ». »

Le dernier Comité interministériel de la mer du 29 avril 2003 a pris acte de cette nécessité de faire évoluer l'organisation des missions régaliennes de l'Etat en mer.

Il a été annoncé qu'un nouveau décret serait pris pour mettre en œuvre ces orientations. En outre, un schéma directeur des moyens qui participent à l'action de l'Etat en mer sera défini par une instruction du Premier ministre prenant en compte les spécificités de chaque façade maritime métropolitaine ; les moyens nautiques concourant à cette action porteront une marque distinctive commune ; un arrêté interministériel établira la liste des missions en mer incombant à l'Etat, et les responsables de ces missions; le rôle des conférences maritimes sera élargi ; enfin, l'action de l'Etat en mer sera inscrite dans le cadre général de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

S'il est indéniable qu'une redéfinition des missions du préfet maritime doive intervenir, la diversité des positions des interlocuteurs de la Commission démontre qu'un consensus ne s'est pas encore dégagé sur la meilleure organisation possible. Certains ont souligné que le préfet maritime devait avoir sous son autorité, de manière permanente, l'ensemble des moyens d'intervention en mer relevant de différentes administrations comme la Marine nationale, les gendarmeries nationale et maritime, les Affaires maritimes, les Douanes, alors qu'aujourd'hui cette coordination des moyens n'est prévue qu'en cas de crise.

Organiser les moyens de surveillance et de lutte contre la pollution maritime autour du préfet maritime permettrait une meilleure optimisation des moyens, voire de supprimer certains coûts résultant de la coexistence sur un même site de moyens nautiques d'administrations diverses, alors qu'au contraire il faudrait les regrouper pour leur donner une meilleure taille critique.

Pour M. Garnier cette évolution dans l'organisation de l'action de l'Etat en mer est naturelle car elle correspond à un mouvement de déconcentration qui a déjà été opéré dans l'administration « terrestre ».

Lors de son audition il a déclaré : « ... à terre, il y a un patron qui, dans le cadre de la déconcentration, coordonne l'ensemble des services de l'Etat. En mer, ce devrait être le même schéma. En s'appuyant sur le même principe de la loi de 1992 -déconcentration en faveur d'un responsable unique-, le représentant de l'Etat à terre est le préfet et, en mer, le préfet maritime. »

Mais d'autres interlocuteurs ont fait remarquer que cette réforme, loin d'être économe en moyens, risquerait au contraire de conduire à multiplier les équipements, les administrations ayant des missions spécifiques, comme les Douanes par exemple, pouvant refuser de mettre l'ensemble de leurs moyens à disposition du préfet maritime.

Le mouvement de décentralisation risque de venir compliquer cette réorganisation, car de nombreux élus locaux ne comprennent pas qu'aucune procédure de concertation n'existe dès lors que la puissance publique intervient en mer, alors qu'ils travaillent de concert avec les administrations terrestres dans l'aménagement du littoral. Le dernier Comité interministériel de la mer a d'ailleurs décidé de constituer un groupe de travail sous l'autorité du Secrétariat général de la mer pour examiner tout d'abord la question de la délimitation du territoire des collectivités territoriales en mer et ensuite aborder la question de la valorisation socio-économique de la bande côtière pour déterminer les pouvoirs respectifs des élus et du préfet maritime, par exemple pour l'installation d'éoliennes en mer.

Comme l'a suggéré M. Jacques Gheerbrant lors d'une table ronde à la préfecture maritime de Brest, le 10 avril 2003, réunissant les différents responsables administratifs chargés des questions maritimes et une délégation de parlementaires de la Commission d'enquête, il conviendrait de donner une nouvelle dimension à la Conférence maritime régionale qui, selon les termes du décret de 1978 précité, est constituée des seuls « représentants des administrations exerçant des actions en mer » alors qu'elle devrait être un outil de concertation ouvert aux élus littoraux. Il a d'ailleurs expliqué qu'il avait anticipé cette évolution et a déclaré :

« Je conçois ces conférences plutôt comme des occasions d'établir des contacts avec les gens qui importent, notamment les élus et les responsables administratifs, et de faire leur connaissance dans des circonstances normales, de façon utile pour la suite en cas de crise. »

b) La refonte des plans POLMAR mer et terre

Les expériences successives et rapprochées dans le temps des accidents maritimes majeurs que furent les naufrages de l'Erika, de l'Ievoli Sun, du Prestige et enfin du Tricolor ont révélé des carences dans la préparation et l'organisation des plans d'urgence pour faire face aux catastrophes maritimes et réparer les conséquences des pollutions ainsi générées.

Le Premier ministre a publié deux circulaires -les instructions du 2 Avril 2001 et du 4 Mars 2002-, pour réorganiser l'intervention des pouvoirs publics en cas d'accidents maritimes majeurs.

Avant d'analyser le contenu de ces deux circulaires, il convient de saluer l'avancée que représente leur publication. Elles traduisent en effet un effort méthodologique considérable pour traiter efficacement les accidents maritimes majeurs et clarifient les tâches et les responsabilités respectives de chaque administration intervenante pour l'élaboration et la mise en œuvre des plans POLMAR dans leurs volets maritime et terrestre.

Cet effort de clarification de l'action de l'Etat peut d'ailleurs être considéré comme une des retombées positives de la précédente Commission parlementaire sur l'Erika, qui avait souligné l'imprécision de la circulaire du 17 décembre 1997, laquelle fixait alors la doctrine administrative relative aux plans POLMAR.

· Le secrétaire général de la mer doit veiller à la mobilisation préventive des administrations compétentes

L'instruction du 4 mars 2002 souligne l'importance du caractère interministériel des mesures pour prévenir les pollutions accidentelles et pour disposer de plans d'urgence opérationnels. Elle attribue donc au secrétaire général à la mer la mission d'animer et de coordonner l'action des différents départements ministériels chargés de l'élaboration et de la mise en œuvre des mesures de prévention et de préparation à la lutte.

Le secrétaire général à la mer doit veiller à ce que des personnels entraînés et des matériels adaptés soient mobilisables rapidement en cas de nécessité. La circulaire comporte des développements détaillés sur la nécessité de disposer d'un organisme national référent scientifique pour l'étude des produits polluants et les méthodes de traitement des pollutions, en l'occurrence le CEDRE.

L'instruction précitée précise bien que les plans POLMAR sont élaborés et tenus à jour par chaque autorité directement responsable de la conduite des opérations, en l'occurrence le préfet maritime et les préfets de départements, mais c'est au secrétaire général de la mer qu'elle assigne la mission de veiller au respect de l'application de cette instruction et lui confère des responsabilités opérationnelles lorsque le plan POLMAR est déclenché, car « il suit pour le compte du Premier ministre l'ensemble des opérations menées pour combattre les pollutions et s'assure de la prise des mesures visant à diminuer l'impact et les conséquences des pollutions. »

· Des prérogatives accrues pour le préfet de zone de défense chargé de la cohérence des actions terrestres et maritimes

La gestion de plusieurs sinistres majeurs a montré l'utilité de disposer d'une autorité administrative qui coordonne les initiatives des services placés en première ligne pour procéder aux opérations de dépollution. Lors du naufrage de l'Erika, ce n'est qu'après plusieurs mois et en raison de l'extension de la pollution à plusieurs départements que le préfet de la zone de défense Ouest a été désigné comme autorité coordinatrice pour l'allocation des moyens en personnels et en matériels. Mais, progressivement, sous la pression des événements, c'est le préfet de zone qui a élaboré un plan de nettoyage systématique, son rôle allant bien au-delà d'une simple coordination.

Lors du naufrage de l'Ievoli Sun, le gouvernement a mis en œuvre immédiatement une coordination zonale alors même que la pollution n'avait pas atteint les côtes. A posteriori, cette intervention zonale est apparue quelque peu disproportionnée, car la pollution s'est limitée au seul département de la Manche, mais la procédure a montré son efficacité pour disposer rapidement d'analyses scientifiques sur les effets potentiels des produits en cause. Surtout, elle a permis une maîtrise beaucoup plus efficace de la communication.

Ces pratiques administratives s'étant révélées positives, la fonction du préfet de zone de défense a été officialisée dès l'instruction de 2001, en lui attribuant la mission d'assurer la liaison entre l'échelon local et l'échelon national pour l'ensemble des questions qui ne relevaient pas de la compétence du préfet maritime. Au plan local, la circulaire prévoyait qu'il était systématiquement associé à l'élaboration des plans de secours dans leur volet terrestre et maritime, et qu'il devait veiller à la cohérence du volet terrestre des plans départementaux dans sa zone de responsabilité. Les prérogatives du préfet de zone en matière de sécurité civile ont été renforcées ultérieurement par le décret n° 2002-84 du 16 janvier 2002 relatif aux pouvoirs des préfets de zone et par la circulaire du Premier ministre du 4 mars 2002.

Aux termes de ce décret, dans le domaine de la sécurité civile, le préfet de zone prépare et met en œuvre l'ensemble des mesures de prévention, de protection des biens et de l'environnement dans le cadre de la zone. Il coordonne l'élaboration des plans départementaux et s'assure de leur exécution.

Plus spécifiquement, lorsque des opérations terrestres liées à une pollution maritime sont engagées, le préfet de zone établit la synthèse des informations, coordonne l'action à terre et s'assure de la cohérence des actions terrestres et maritimes.

Enfin, lorsqu'un événement nécessite la gestion simultanée de moyens en mer et à terre, le préfet de zone délègue au sein de l'état-major du préfet maritime un ou plusieurs membres de l'état-major de zone et, de même, le préfet maritime délègue un ou plusieurs de ses subordonnés au sein de l'état-major de zone.

· Un dispositif complété en mars 2002

Le nouveau dispositif réglementaire a été encore complété par plusieurs textes nouveaux : la circulaire du Premier ministre du 4 mars 2002 relative à la mise en vigueur d'instructions traitant de la lutte contre les pollutions accidentelles du milieu marin et de l'établissement des plans de secours à naufragés, assortie de trois instructions du même jour sur la lutte contre la pollution du milieu marin, le fonds d'intervention contre les pollutions accidentelles et l'établissement des plans de secours à naufragés en cas de sinistre majeur sur un navire à passagers.

Cette circulaire met l'accent sur la coordination du dispositif au niveau interministériel et dans le ressort de la zone de défense.

Il faut tout d'abord noter l'automaticité de la prise en charge par le préfet de la zone de défense de la coordination de l'ensemble des opérations dès lors qu'un plan POLMAR-mer et qu'un ou plusieurs plans POLMAR-terre ont été déclenchés.

Dans le cas du Prestige, il n'y a pas eu besoin de décision préliminaire et expresse du gouvernement pour ce faire. Le préfet de la zone de défense Sud-ouest a de surcroît eu compétence sur l'intégralité du littoral touché, ce qui n'aurait pas été le cas avant la suppression en 2000 de deux zones de défense, dont l'une, celle du Centre-ouest (dont le chef-lieu est Orléans), était compétente jusqu'en Charente-Maritime.

En revanche, le volet financier de la gestion de la crise a fait l'objet d'une décision interministérielle particulière qui a consisté à confier au préfet de zone, et à lui seul, la gestion des fonds POLMAR, comme ordonnateur secondaire. Il s'agit là d'une avancée intéressante, quand on sait qu'au moment de l'élaboration du décret du 16 janvier 2002, plusieurs ministères s'étaient opposés avec succès à l'obtention par les préfets de zone de la compétence d'ordonnateur secondaire.

Le rôle spécifique de coordination du préfet de zone comprend maintenant essentiellement trois aspects :

- dans la préparation des plans POLMAR, il doit veiller à la continuité de l'action dans les situations d'interface mer-terre, l'organisation des interventions sur la frange littorale posant souvent des problèmes délicats de compétences entre la préfecture maritime et la préfecture départementale. La circulaire précise d'ailleurs que les plans doivent comporter des mesures spécifiques relatives à l'action dans la frange littorale, c'est-à-dire que cette zone potentiellement partagée, ou, a contrario, déclinée, soit correctement prise en compte. Outre son rôle de coordination des administrations intervenantes dans la gestion d'un sinistre maritime, le préfet de zone a aussi pour mission de vérifier que les procédures de concertation avec les élus locaux, prévues dans les plans, sont bien respectées lorsqu'une crise survient, de sorte que les plans de secours communaux ou intercommunaux soient compatibles avec le plan POLMAR départemental ;

lors du déclenchement d'un plan POLMAR, le rôle du préfet de zone de défense n'est pas de diriger les interventions opérationnelles, mais de veiller à la cohérence des actions menées par les différents préfets et la préfecture maritime, avec le souci de répartir au mieux les moyens disponibles, et, au besoin, de rechercher des moyens d'intervention supplémentaires auprès des instances communautaires ou dans le cadre de la coopération internationale avec les pays limitrophes ;

- c'est en matière de communication que son rôle de coordination s'avère crucial pour permettre une gestion aussi sereine que possible de la crise maritime, comme l'avait relevé, pour critiquer son insuffisance, la précédente Commission d'enquête sur l'Erika. La Commission d'enquête a pu constater l'efficacité et l'utilité du nouveau dispositif de coordination de la communication. La circulaire indique ainsi très précisément que les autorités maritimes et le préfet de zone de défense agissent de concert afin d'unifier le message des administrations de l'Etat luttant contre la pollution. Pour parvenir à cet objectif en temps de crise, il est recommandé au préfet de zone de définir préalablement un plan de communication opérationnel avec le préfet maritime.

L'aggiornamento des textes, on le voit, n'a pas pour effet de remettre en cause les responsabilités premières des préfets de département qui, au plus près du terrain, conservent la mission essentielle de définir et de mettre en œuvre, en liaison avec leurs interlocuteurs habituels élus et de la société civile, les priorités d'action dans la lutte contre la pollution et ses conséquences. Il permet en revanche d'améliorer la réponse des pouvoirs publics face à des catastrophes de grande ampleur, portant sur un territoire plus étendu que le département.

· L'obligation d'exercices réguliers pour vérifier la validité des plans POLMAR

La circulaire de 2002 insiste sur la nécessité de mettre à jour les plans POLMAR existants pour qu'ils intègrent les nouvelles préconisations des instructions de 2001 et 2002, et demande que des « exercices réalistes » soient organisés régulièrement afin d'évaluer l'efficacité des dispositifs de sauvetage et de traitement des pollutions. La circulaire de 2001 comporte pour sa part des indications précises sur la fréquence souhaitable d'organisation des exercices, et sur le recensement périodique des moyens à disposition (moyens humains, logistique et structures de coordination interadministrations).

Les ministres chargés de la mer et de la sécurité civile doivent veiller au respect de la fréquence des exercices et prévoir les crédits suffisants, mais il revient aussi au secrétaire général de la mer de réaliser un bilan annuel d'évaluation des moyens existants et de proposer les adaptations nécessaires pour que les plans POLMAR restent crédibles.

· Les administrations disposent aujourd'hui d'une méthodologie efficace pour élaborer des plans POLMAR mais la mobilisation est inégale pour actualiser les plans existants

Les deux circulaires précitées ont permis incontestablement de clarifier le contenu des plans et les rôles respectifs de chacun. Il faut mentionner aussi l'excellent outil pratique que constitue le guide de révision des plans POLMAR-terre réalisé par le CEDRE en collaboration avec les quatre ministères intéressés : le ministère chargé des transports et de la mer, le ministère de l'Intérieur, le ministère de l'Economie et des finances et le ministère de l'Ecologie.

Proposé dans sa version initiale en 1998, il contient un schéma type pour élaborer un plan POLMAR, afin de rechercher l'homogénéité minimale nécessaire d'un département à l'autre, et de faciliter la rédaction.

Mais ce manuel avait également un objectif beaucoup plus ambitieux, consistant à inciter à la constitution de groupes de travail qui rassemblent les diverses parties prenantes locales pour rédiger les annexes techniques du plan. Ces annexes portent sur des éléments très concrets qui requièrent, à tout le moins, une consultation des différents partenaires locaux.

Ces annexes techniques portent par exemple sur :

- un inventaire hiérarchisé des zones sensibles à protéger en priorité ;

- un plan de nettoyage du littoral et des zones situées à l'interface mer/terre ;

- un plan de gestion des matériaux pollués et polluants récupérés ;

- un plan d'accueil des bénévoles ;

- l'organisation du bilan environnemental ;

- la constitution d'un réseau de laboratoires et d'experts locaux compétents, etc.

Ce travail de fond n'a cependant pas, semble-t-il, encore permis d'actualiser régulièrement les plans POLMAR qui, pour certains départements, sont encore très anciens, notamment en Seine-Maritime, dans l'Eure, la Somme ou les Alpes-maritimes -pourtant susceptibles de devoir un jour subir un sinistre-, voire n'existent pas, notamment en Normandie.

2.- Les problèmes de contrôle des navires

Il convient de rappeler, en premier lieu, que les navires font l'objet de deux types de contrôles. L'Etat du pavillon a la responsabilité de délivrer aux navires qui sont immatriculés sur son registre les certificats statutaires prévus par les conventions internationales qui visent à vérifier que le navire est en état de naviguer. Selon les Etats, ce travail de contrôle est directement exercé par les autorités maritimes de l'Etat, ou délégué à une société de classification.

L'autre type de contrôle, dit contrôle par l'Etat du port, vise à vérifier que les navires étrangers faisant escale dans un port français respectent les normes internationales et communautaires de sécurité.

Les inspecteurs français de sécurité des navires exercent cette double fonction : inspecteur de l'Etat du pavillon, pour les navires sous pavillon français, et inspecteur de l'Etat du port. L'acquisition de la première compétence conditionne l'obtention de la seconde, d'un point de vue technique et réglementaire.

Sur le plan de la mission de contrôle de l'Etat du port, et en raison des déficiences des inspections par certains Etats du pavillon -trop nombreux-, les Etats du port ont décidé d'unir leurs efforts pour améliorer le respect des normes internationales et la sécurité du transport maritime. Les contrôles des Etats du port portent le plus souvent sur les conditions de sécurité et les moyens techniques et de navigation, et concerneront à l'avenir de plus en plus le contrôle des équipages et le respect de la convention STCW relative à la classification des équipages et de l'encadrement du navire.

Au niveau européen, cette initiative a abouti à la signature du Mémorandum de Paris (dit Paris MOU- Memorandum of understanding on port state control) en 1982. Il réunit aujourd'hui les 13 Etats côtiers de l'Union européenne, auxquels se sont joints la Croatie, la Norvège, la Pologne, la Russie, l'Islande et le Canada. Il rassemble donc 19 pays.

Les Etats parties au Mémorandum de Paris s'engagent à effectuer un nombre d'inspections par an correspondant à 25% du nombre estimé de navires de commerce entrés dans leurs ports.

a) Les difficultés de recrutement d'inspecteurs de la sécurité des navires ont longtemps compromis le respect du taux de contrôle obligatoire

La France a rencontré des difficultés de recrutement des inspecteurs pour la sécurité des navires depuis plusieurs années, leur nombre ayant même diminué entre 1994 et 1998.

Cette pénurie d'inspecteurs s'explique par plusieurs facteurs, notamment une rémunération insuffisamment attractive et des conditions de recrutement beaucoup plus rigides que par le passé. En effet, avant l'application de la loi du 11 janvier 1984 modifiée relative au statut de la fonction publique, il était possible de recruter ces inspecteurs par voie contractuelle parmi d'anciens navigants, alors que, depuis, ces inspecteurs doivent être des fonctionnaires titulaires recrutés sur concours de la fonction publique.

M. Christian Serradji, directeur des Affaires maritimes et des gens de mer a expliqué, lors de son audition, les multiples facteurs qui avaient conduit la France à afficher le très mauvais résultat (9,63%) obtenus en terme de taux de contrôle pour l'année 2001, mais il a tenu à souligner que la France faisait tout son possible pour respecter ses engagements.

C'est ainsi qu'il a déclaré :

« Le deuxième secteur concerne le contrôle de l'Etat du port, pour lequel la France serait la plus mauvaise élève de l'Europe. J'ose vous dire que ce n'est pas vrai. Tout d'abord, nous avons annoncé nous-mêmes à l'Europe que notre taux de contrôle ne s'élevait qu'à 9%, en raison de problèmes pratiques incontournables.

En 1980, après le naufrage de l'Amoco Cadiz, cent contractuels, anciens de la marine marchande, avaient été recrutés : ils avaient tous le même âge et ont donc commencé à partir à la retraite au même moment. Entre-temps, la rénovation du statut de la fonction publique a interdit le recrutement de contractuels pour remplir des fonctions normalement assumées par des fonctionnaires titulaires. Il est donc devenu impossible de recruter et d'employer des contractuels pour les contrôles.

Depuis 1994, j'ai signalé à mes autorités les problèmes posés par la démographie des inspecteurs. En 1997, j'ai été entendu par mon ministre, M. Gayssot, sur ce point, et un concours exceptionnel de recrutement de huit postes a été ouvert. Mais cela a mis dix-huit mois pour se réaliser. Nous n'avons eu que trois candidats, dont un seul admis. Deuxième échec.

Nous avons tenté ensuite de recruter par détachement de personnels de la Marine nationale ou d'ingénieurs de la construction navale de la DGA, donc des fonctionnaires. Nous avons là aussi rencontré un certain nombre de difficultés, mais j'ai continué à réclamer le doublement des inspecteurs.

Je considère que le naufrage de l'Erika a eu le mérite de pousser le gouvernement à s'engager, dans le cadre du Comité interministériel de la mer de février 2000, à doubler le nombre d'inspecteurs. Ce programme de doublement est achevé dans le budget 2003. Mais en l'absence de création nette de postes budgétaires, des emplois ont dû être transformés. J'ai ainsi dû proposer de supprimer des emplois à caractère administratif pour les transformer en emplois d'inspecteurs de sécurité. »

Les tableaux statistiques ci-après reflètent la mauvaise situation de la France au regard de ses homologues européens, mais le tableau décrivant l'évolution du nombre d'inspecteurs de sécurité des navires (ISN) depuis 1994 permet de constater qu'un redressement réel est en cours.

Tableau des effectifs d'ISN et d'experts vacataires
au 31 décembre de chaque année

1994

1998

1999

2000

2001

2002

2003(*)

2004(*)

2005(*)

2006(*)

ISN MOU

70

62

54

50

52

58

69

80

110

130

ISN TOTAL

(affectés dans les centres)

75

67

70

83

96

113

124

130

130

130

ISN en

formation 1ère année

2

12

11

11

17

21

18

8

6

10

Experts vacataires

46

75

1996

Reprise recrute-ment des OCTAAM

Arrêt de la chute des effectifs

­

Echec du concours exception-nel :

8 postes ouverts

1 lauréat

­

Recrute-ment de six contrac-tuels ISN

­

Recrutement de 2 contrac-tuels ISN

- 16 postes d'ISN à la LFI 2001

­

34 postes d'ISN LFI 2002

­

4 postes d'ISN LFI 2003

Mise en place

Experts vacataires

Rétablisse-ment de la proportion ISN en centres

ISN/MOU

Retour à la situation de 1990

Source : DAMGM (*) prévisions

Efforts des Etats du mémorandum en taux de contrôle
par référence à la cible de 25%, en 2001

graphique

Indicateurs du taux de contrôle de l'Etat du port
par les Etats membres du Mémorandum de Paris, en 2001

graphique

(Source : Rapport du Mémorandum de Paris 2001)

D'un étiage de 50 inspecteurs habilités pour les contrôles dits MOU en 2000, les effectifs sont passés à 58 à la fin 2002 et devraient atteindre 130 en 2006. S'y ajoutent, en 2003, les 46 experts vacataires (cf. tableau ci-avant).

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports et à la mer, a confirmé ce redressement :

« Sur ce point, nous sommes partis d'une situation qui était mauvaise. Je ne mets nullement en cause le gouvernement précédent, qui a embauché des inspecteurs ; encore fallait-il les former. Au fur et à mesure des budgets, les nouveaux recrutés arrivent, sont formés, se mettent au travail. Nous sommes entrés dans une période où, sur douze mois glissants, nous atteignons un taux de près de 26% des navires contrôlés. »

Il a également expliqué que la politique de recrutement initiée en 2001 commençait à porter ses fruits et que le recours à des personnels en retraite, anciens officiers navigants fraîchement retraités, dénommés « experts vacataires », et, sous une forme plus familière, les « papis », avait permis de disposer tout de suite d'un volant d'inspecteurs opérationnels. Il a ainsi donné quelques repères sur les recrutements récents :

« Sur le recrutement des inspecteurs, nous avons ouvert aujourd'hui 54 nouveaux postes d'inspecteurs titulaires, puisque les lois de finances 2001, 2002 et 2003 ont permis leur recrutement et leur formation. Nous avons donc doublé le nombre des titulaires (54 + 54). C'est un niveau acceptable. Ils sont augmentés d'une quarantaine d'experts vacataires qui travaillent sur l'ensemble des grandes places portuaires françaises. Nous n'avons pas eu de difficultés à les recruter ; le bouche-à-oreille a bien fonctionné. Le message a été porté par les gens des Affaires maritimes sur place, les associations maritimes -les anciens marins, l'Institut français de la mer, les pensionnés de la Marine marchande- et repris par l'ensemble des publications que lisent les gens de la mer : Le Marin, Le Journal de la marine marchande... 

Nous avons procédé à un choix : parmi une centaine de candidats, nous en avons sélectionné 72, sur lesquels il en est resté 40, car certains n'étaient pas habitués aux salaires, toujours mesurés, de l'Etat. Il ne s'agit pas des salaires du secteur privé. Mais ceux qui sont restés travaillent avec beaucoup de cœur et d'efficacité. »

b) Les missions des inspecteurs des navires se sont focalisées sur les contrôles de l'Etat du port

Au-delà de cet effort de recrutement, un processus de réorganisation a été mené pour permettre aux inspecteurs de se concentrer sur les contrôles de l'Etat du port, quitte à devoir réduire leur implication dans d'autres missions comme, par exemple, la supervision des examens pour les permis de navigation de plaisance.

Afin de redéployer les inspecteurs vers le contrôle des navires à risques, il a été décidé de réduire le nombre d'opérations de mise en service de navires français construits dans les chantiers étrangers. En fin d'année, la même décision a été prise pour les mises en service de rouliers et de transports à passagers. En effet, ces opérations demandent beaucoup de temps pour les inspecteurs, qui doivent se rendre sur le chantier à différentes étapes de la construction des navires. Ces visites sont, de plus, coûteuses en frais de déplacement.

Une nouvelle organisation des centres de sécurité des navires a été mise en place, avec l'obligation d'atteindre un objectif de résultat.

Il convient toutefois de noter que les centres de sécurité des navires ont dû renoncer à exercer certaines de leurs missions qui traitent directement de la sécurité maritime. C'est ainsi que M. Didier Beaudoin, directeur du Groupe des écoles des Affaires maritimes, a regretté, lors d'une audition à l'école Diderot, à Nantes, que faute d'effectifs suffisants les bateaux de pêche aient été beaucoup moins surveillés :

« Il y a quelques années, a été volontairement réduit, par manque d'inspecteurs, le nombre des visites de certains navires de petite pêche ou de culture marine. Pourtant, c'est la sécurité au quotidien qui est en jeu pour les gens de la mer. L'arrivée sur le marché de nouveaux inspecteurs permettra de rétablir un niveau correct d'inspections tant pour le Mémorandum de Paris que pour les autres inspections, dites nationales, qui sont importantes pour la sécurité et la prévention des risques professionnels maritimes. Je vous rappelle le titre exact du métier : inspecteur de sécurité des navires et prévention des risques professionnels maritimes ».

Cependant, malgré ces efforts quantitatifs, des incertitudes demeurent sur l'étendue des missions de ces inspecteurs, qui ont vu leur domaine d'intervention s'élargir encore avec les mesures dites de Malaga, destinées à contrôler certains pétroliers anciens de plus de quinze ans, et avec la création d'une zone de protection écologique en Méditerranée.

Lors des auditions menées par la Commission, plusieurs inspecteurs ont fait part de leurs inquiétudes car ils ne disposaient pas des moyens matériels suffisants pour mener à bien leurs missions. M. Bernard Lecomte, directeur régional des Affaires maritimes de la Région PACA, a pour sa part souligné l'ampleur des tâches à accomplir avec des moyens matériels en constante régression :

« Pour autant, l'avenir n'est pas évident parce que, si nous réalisons des contrôles de navires étrangers, il faut aussi prendre en compte l'accroissement des obligations qui sont les nôtres, l'introduction de la notion de contrôle renforcé sur certains types de navires, comme les chimiquiers ou les vraquiers, liée à une appréciation du risque plus ou moins importante, pour lesquels nous avons l'obligation de contrôler 95% des navires qui feront escale chez nous. Cette obligation se surajoute à celles qui nous étaient déjà dévolues.

Il nous faudra donc répondre aux besoins, d'autant que l'application du code ISPS sur la sûreté nécessitera encore davantage de contrôles de la part de nos inspecteurs sur les navires. Ils devront faire des investigations supplémentaires pour délivrer les certificats sur les questions de sûreté puisque, je le rappelle, le code sur les problèmes de sûreté a été intégré dans la convention SOLAS qui sert de base au travail de nos inspecteurs lors du contrôle de la sécurité des navires. 

Nous sommes donc toujours en train de courir après les moyens. En effet, ceux-ci sont adaptés à un certain nombre de missions, puis on accroît les missions et le temps que de nouveaux moyens permettant d'y répondre arrivent, les missions ont encore augmenté. A l'heure actuelle et avec ce qui se profile, nous n'avons vraiment pas de personnel en trop. »

Et il concluait en lançant ce cri d'alarme : « A l'heure actuelle, nous avons un budget de fonctionnement pour l'ensemble des Affaires maritimes. Comme dans toutes les administrations, celui-ci est amputé

de 30%1, sachant que la configuration budgétaire de notre administration ici, au niveau méditerranéen, c'est-à-dire la répartition entre les frais fixes et les autres, fait qu'une réduction de crédits de fonctionnement de 30%, mathématiquement, va générer une réduction d'activité de l'ordre de 70%.

Aujourd'hui, je ne sais pas comment nous allons pouvoir faire fonctionner le service...(...) Nous essayerons de maintenir les missions de contrôle des navires étrangers, des navires à passagers et des navires de pêche. Mais je faillirais à ma mission et à mes responsabilités si je ne vous parlais pas du risque de ne pouvoir assumer nos missions. »

c) Un effort spécifique pour élargir le vivier de recrutement des inspecteurs et pour améliorer leur formation

Lors du déplacement d'une délégation de la Commission d'enquête à l'école de la Marine marchande de Nantes, où sont formés les futurs inspecteurs, les membres de la délégation ont été frappés de l'effort pédagogique entrepris pour donner aux élèves issus de l'université une formation de bonne qualité avec des périodes d'embarquement sur des navires de la Marine marchande, afin de leur permettre d'acquérir une culture maritime opérationnelle.

Il faut d'ailleurs se réjouir que dans ce cursus soient mélangés des élèves sortant de l'université avec des praticiens anciens navigants, qui trouvent dans cette fonction d'inspecteur une évolution de carrière, s'agissant des postes de techniciens de la Marine marchande ou de la Marine nationale.

Il convient, à cet égard, de préciser que les inspecteurs de sécurité des navires relèvent de trois corps :

- le corps des administrateurs des Affaires maritimes. Les élèves inspecteurs originaires de ce corps sont d'anciens navigants de la Marine marchande et de la Marine nationale ;

- le corps des officiers du corps technique et administratif des Affaires maritimes (OCTAAM). Ce corps est composé d'une branche administrative et d'une branche technique. Les cadres techniques sont également d'origine Marine marchande ou Marine nationale et ont une expérience professionnelle de plus de dix ans en moyenne ;

- le corps des inspecteurs des Affaires maritime, corps civil comparable aux corps ministériels d'attachés. Les cadres de ce corps sont issus principalement de l'université.

Jusqu'en 2000, les jeunes inspecteurs des Affaires maritimes et les OCTAAM étaient formés à Bordeaux au sein du centre de formation des Affaires maritimes (CIDAM). Une réforme en profondeur de toute la formation technique a été entreprise en 2000 et 2001. Un enseignement rénové est désormais dispensé depuis septembre 2001 à Nantes, au sein de l'unité de formation à la sécurité maritime (UFSM), implantée sur le site de l'école nationale de la Marine marchande, afin de faire bénéficier les élèves inspecteurs des équipements techniques de l'école, comme par exemple des simulateurs de navigation.

Les représentants de l'école de Nantes ont insisté sur l'importance donnée à la maîtrise de l'anglais au cours du cursus, car les contacts avec les équipages étrangers se font toujours dans cette langue, l'ensemble de la réglementation maritime internationale étant aussi rédigée en anglais.

Les élèves universitaires accèdent à cette fonction par concours de la fonction publique de niveau bac+3. En moyenne, 5 à 7 places sont offertes, sauf en 2001, 2002, 2003 où les promotions étaient de 12 à 15, en conséquence de la création de postes budgétaires. Quant à ceux issus des corps d'officiers du corps technique (OCTAAM), ils y accèdent par un concours interne de niveau bac+2.

Un effort notable a été fait pour donner à ces élèves une formation de qualité. La scolarité pour les deux corps est de 18 mois. Les 12 premiers mois, correspondant à une année scolaire, sont consacrés notamment à l'étude technique du navire. La scolarité comprend aussi de nombreux stages, dont deux mois d'embarquement à la mer. Les six derniers mois sont destinés à l'étude et à la compréhension de la réglementation maritime. Cette dernière partie fonde la reconnaissance de la qualité d'inspecteur de sécurité des navires au titre du décret de novembre 1987 relatif au contrôle des navires.

La réforme a renforcé la formation technique, en modernisant les contenus pédagogiques pour les adapter aux nouvelles exigences du métier d'inspecteur. Il s'agissait aussi de mieux organiser les 18 mois de scolarité en respectant une cohérence de l'enseignement -découvrir le navire avant d'aborder la réglementation maritime- et surtout de s'implanter au sein d'une structure déjà tournée vers le maritime, capable d'apporter un soutien pédagogique de qualité. En outre, le projet d'ouverture de l'UFSM à l'international devrait se concrétiser rapidement avec le projet d'accueil de stagiaires koweïtiens.

Au bout de deux ans de fonctionnement, le bilan qualitatif est positif. La qualité de l'enseignement et son organisation sur les 18 mois sont reconnus.

Après cette formation, l'ensemble des inspecteurs des Affaires maritimes est affecté dans un des 15 centres de sécurité des navires. Ils y exercent les fonctions de contrôle et d'inspection des navires de l'Etat du pavillon. Au bout de deux ans d'expérience, ils peuvent être habilités à exercer les missions de contrôle de l'Etat du port. Ce délai est réduit à un an pour les inspecteurs anciens navigants.

Les OCTAAM suivent la même orientation. Toutefois, certains d'entre eux sont dirigés vers les CROSS, comme coordonnateurs de missions de sauvetage. L'ensemble des OCTAAM reçoit une formation complémentaire leur permettant d'exercer de telles fonctions.

Dans le cadre de l'enseignement rénové, il sera possible pour les administrateurs des Affaires maritimes de suivre le cursus d'inspecteur en complétant la formation généraliste délivrée à Bordeaux par un module technique et réglementaire.

Cet effort pédagogique s'est traduit par des dépenses budgétaires conséquentes : la création récente de l'UFSM et la mise en place de la nouvelle pédagogie a entraîné un surcoût des formations. Cependant, cette évolution des budgets aura une tendance à la baisse dès 2005, compte tenu des effectifs plus faibles en formation initiale. Le gouvernement a augmenté, sur trois ans, les effectifs d'inspecteurs de 54 postes. Les agents recrutés sur ces postes se forment depuis 2000.

Les dépenses, quoique modestes, ont cependant plus que doublé entre 2000 et les prévisions pour 2003, attestant d'un réel effort financier dans le sens de l'amélioration de la formation, qualitativement et quantitativement.

Dépenses en faveur de l'UFSM

(en euros)

2000

2001

2002

2003

montant

160 000

200 000

280 000

338 000

Source : DAMGM

d) Une méthodologie du contrôle qui doit demeurer évolutive

Compte tenu du très grand nombre de navires qui font escale dans les ports européens, il était impossible de procéder à un contrôle exhaustif. Des critères d'inspection ont peu à peu été définis, de manière coordonnée au niveau européen.

C'est tout d'abord le Mémorandum d'entente de Paris qui a défini les critères de ciblage prévus pour le contrôle par l'Etat du port. Ces règles ont été entièrement reprises dans la directive européenne 95/21/CE, modifiée, dite « contrôle par l'Etat du port », et transposées en droit français dans la division 150 annexée à l'arrêté du 23 novembre 1987, modifié, relatif à la sécurité des navires.

Les critères de ciblage constituent une manière objective de repérer les navires potentiellement dangereux, mais la surveillance de la navigation permet de détecter beaucoup plus concrètement les navires sous-normes. C'est pourquoi les inspections sont décidées en combinant deux types de critères : les signalements, à partir d'informations émanant des professionnels de la mer ou des services chargés de la surveillance des côtes, et les facteurs de ciblage qui permettent de déterminer parmi les bateaux en escale ceux qui seront inspectés.

Habituellement, priorité est donnée aux inspections demandées à la suite d'un signalement. Les sources de signalement sont multiples, comme par exemple les centres de régulation du trafic maritime (tels que les CROSS), les autorités maritimes étrangères, les pilotes maritimes, les officiers de port... Mais ce sont les centres de sécurité des navires qui déterminent si l'information reçue est suffisamment probante pour déclencher une inspection. Certaines inspections sont aussi décidées à la suite d'une plainte de l'équipage ou d'un événement de mer et elles ne se déroulent pas toutes lorsque le bateau est en escale au port : elles peuvent aussi intervenir en mer avec un hélitreuillage des inspecteurs.

Pour déterminer les facteurs de risques sur un bateau, les autorités maritimes ont élaboré une méthode prenant en compte de multiples paramètres pour déterminer un coefficient de risque qui est géré par le système Sirenac, outil informatique mis au point par les Etats signataires du Mémorandum de Paris.

Les navires sont donc inspectés suivant l'ordre indiqué par le facteur de ciblage fourni par le système Sirenac. Ce facteur prend en compte différents éléments énumérés à la section 1.2 de l'annexe 1 du Mémorandum. Il est régulièrement réactualisé dans le temps et en fonction du résultat des inspections. Il tient compte notamment de la période écoulée entre deux inspections, de la société de classification, du pavillon, du type de déficiences enregistrées lors des inspections précédentes, de l'immobilisation, du type et de l'âge du navire.

Enfin, conformément aux nouvelles dispositions communautaires, les navires suivants font l'objet d'inspections renforcées (une inspection au moins tous les 12 mois) :

- navires citernes pour gaz et produits chimiques de plus de 10 ans ;

- vraquiers de plus de 12 ans ;

- pétroliers d'une jauge brute supérieure à 3 000 tonnes et de plus de 15 ans ;

- navires à passagers de plus de 15 ans.

La directive 2001/106/CE du 19 décembre 2001, qui a été transposée en droit français par l'arrêté ministériel du 11 mars 2003 et qui renforce les prérogatives de contrôle de l'Etat du port, prévoit en outre :

- de permettre le bannissement des ports européens des navires qui ont été inscrits sur une « liste noire » car battant pavillon d'Etats considérés comme à hauts risques ou ayant été détenus à plusieurs reprises pour mauvais entretien ;

- d'autoriser la détention à quai de navires défectueux jusqu'à leur remise en état ;

- d'instituer un système d'échanges d'information entre les centres d'inspection des Etats membres, notamment avec le fichier Equasis (cf. infra).

Même si des progrès notables ont été réalisés pour faire porter l'essentiel des contrôles sur les navires à risques, il n'en demeure pas moins que les contrôles réalisés sont faits de manière très empirique, chaque inspecteur appliquant en partie sa propre démarche.

Sans nier l'importance de l'intuition du professionnel du contrôle, il conviendrait d'harmoniser aussi complètement que possible les méthodes de contrôle, au moins au niveau français, et de disposer d'effectifs suffisants pour préparer utilement les contrôles sur les navires par une analyse préalable des informations documentaires sur les navires, qui décrivent l'historique des réparations, des changements de classe... afin de mieux connaître les spécificités du navire contrôlé.

Lors de leur audition, les inspecteurs de sécurité des navires ont tous insisté sur les limites du contrôle de l'Etat du port et sur la diversité des pratiques. M. Philippe Vinot, chef du centre régional de sécurité de Marseille, a ainsi indiqué :

« La visite, c'est cela : un contrôle documentaire et un contrôle visuel. Nous ne sommes pas tenus, normalement, si le bateau paraît en bon état, de faire les contrôles opérationnels. Nous avons cependant la possibilité de le faire et, sur l'imprimé du Mémorandum, il nous est demandé de cocher les cases du contrôle opérationnel.

Donc, la visite visuelle consiste en un examen de la coque et de certains endroits du pont, en général. Il est rare -du moins pas systématique- que nous puissions descendre dans les cales. S'il s'agit d'un tanker, nous n'allons pas dans les citernes, c'est clair. (...)

De la même manière, nous faisons une inspection visuelle de la machine. A titre personnel, je commence déjà par vérifier tout ce qui concerne la sécurité du personnel, c'est-à-dire que les échappées de secours sont bien visibles, accessibles, bien éclairées et fléchées, puis, je vérifie le matériel de sécurité de la machine.

Ensuite, c'est là qu'intervient le flair de l'inspecteur lié à son expérience. Si certains éléments ne paraissent pas sûrs, on décide de demander des contrôles opérationnels. Je ne le fais pas de manière systématique. Certains le font. Par exemple, il en est qui demandent systématiquement des essais des pompes d'incendie et de secours. Ce n'est pas prévu dans le Mémorandum, même s'il est prévu que l'on puisse le demander. »

Quelle que soit l'importance du contrôle de l'Etat du port, il ne faut cependant pas en exagérer la portée. En effet, ces contrôles se limitent souvent à l'examen des documents du navire et à son état général apparent. Lorsque le navire est en opération commerciale, les inspecteurs de l'Etat du port ne peuvent pas procéder à l'examen des structures, citernes ou ballasts. Seuls les contrôles en cale sèche par les sociétés de classification permettent de déceler les défaillances au niveau des structures.

De plus, les contrôles de l'Etat du port dépendent de l'autorité de chacun des Etats membres de l'Union européenne. A plusieurs reprises, la Commission européenne s'est inquiétée du manque de rigueur des contrôles dans certains ports européens : ce laxisme risque, en effet, de créer des zones de non-droit et de favoriser des détournements de trafic au bénéfice des ports les moins exigeants en matière de sécurité maritime.

La Commission d'enquête préconisera donc que l'Agence européenne de sécurité maritime s'attache à harmoniser les méthodes de contrôles au sein de l'Union et contribue à la formation d'une culture commune de contrôle parmi les inspecteurs, en organisant des échanges de personnels d'inspection entre Etats membres.

e) Une nouvelle organisation du contrôle du travail maritime

L'article L742-2 du code du travail prévoit un corps d'inspection du travail spécifique pour les marins de commerce, de pêche et de plaisance. Ce sont des fonctionnaires relevant des directions départementales des Affaires maritimes qui assument ces fonctions d'inspecteurs du travail maritime.

Il paraît logique de confier à des spécialistes du secteur maritime le contrôle de l'application de la législation du travail sur les navires, car le droit du travail maritime est dérogatoire au droit commun par bien des aspects.

Le décret n°99-489 du 7 juin 1999 précise les missions de l'inspection du travail maritime, qui sont similaires à l'inspecteur du travail « généraliste ». Le texte prévoit néanmoins une particularité spécifique au secteur maritime : il organise une étroite synergie entre l'inspection du travail maritime et le centre de sécurité des navires, notamment pour la prévention des risques professionnels. Il est ainsi précisé que le chef du centre de sécurité des navires transmet à l'inspection du travail maritime toute information relative à des violations du droit du travail relevées lors des inspections menées dans le cadre du contrôle de l'Etat du port.

Initiée par ce décret, cette étroite collaboration s'est trouvée renforcée par l'arrêté du 13 décembre 2002, qui permet aux inspecteurs maritimes d'apporter leur expertise aux inspecteurs de sécurité des navires lorsqu'ils contrôlent les conditions de travail et la sécurité des gens de mer à bord des navires étrangers.

Il convient de souligner que la compétence des inspecteurs du travail se limitait au contrôle de l'application de la législation du travail sur les bateaux battant pavillon français, jusqu'à la parution de cet arrêté qui est une transposition de la directive 1999/95/CE du 13 décembre 1999 relative à l'application des dispositions sur la durée du travail des gens de mer à bord de navires faisant escale dans des ports de la Communauté.

Beaucoup reste encore à faire pour rendre opérationnels les services de l'inspection du travail maritime. Alors que quinze services ont été créés sur l'ensemble du territoire national en 2001, il n'y a à ce jour que dix agents en poste et certains postes proposés sont restés vacants. Lors d'un déplacement de la délégation de la Commission à Marseille, l'inspecteur du travail rencontré a insisté sur la variété de ses missions, qu'il assume seul avec l'aide d'un adjoint pour l'ensemble des ports des départements du Var et des Bouches du Rhône !

3 .- Une meilleure connaissance du trafic maritime

a) Le développement marqué des outils d'informations : l'apport reconnu des bases de données

Afin d'informer les utilisateurs des navires, de faciliter les contrôles et d'accroître la transparence dans le secteur maritime, plusieurs bases de données privées et publiques ont été constituées. Elles demeurent cependant trop fragmentaires pour permettre une connaissance complète des caractéristiques commerciales et techniques des bateaux. Le recoupement des informations qu'elles contiennent s'avère particulièrement délicat, aussi bien pour des raisons techniques que pour des raisons « politiques ». C'est pourquoi la France, en coopération avec la Commission européenne, a pris l'initiative du système Equasis, destiné à réunir dans une seule base de données des informations qui étaient jusqu'alors trop dispersées.

Plusieurs bases de données relatives à la Marine marchande sont actuellement gérées par des opérateurs privés comme la « Lloyd's List Register », « MRC Investigations » et il est ainsi possible d'obtenir des informations sur les navires marchands, leur armateur, leur gestionnaire nautique et leurs caractéristiques commerciales. Mais ces fichiers ne sont accessibles que sur abonnement.

Deux banques de données spécifiques ont également été constituées afin de regrouper des informations relatives, d'une part, aux pétroliers et, d'autre part, aux chimiquiers. Créée en 1993, la base « Ship Inspection Report Exchange » ou SIRE réunit des informations sur l'état des navires pétroliers et les procédures d'inspection auxquelles ils ont été soumis. Elle est gérée par « l'Oil Companies International Marine Forum » (OCIMF), qui collecte ces données auprès des compagnies pétrolières, dont les inspecteurs réalisent plusieurs milliers de « vetting » chaque année. Il convient toutefois de souligner que les rapports de visite dont le résultat est publié par SIRE n'établissent pas d'évaluation des navires, mais fournissent seulement un état descriptif du navire, consultable par les compagnies pétrolières, à charge pour chaque utilisateur de tirer des enseignements de ces informations pour évaluer la qualité des navires.

La base de données du « Chemical Distribution Institute » (CDI) regroupe, quant à elle, des éléments relatifs à la sécurité des navires qui transportent des produits nocifs ou dangereux. Elle est alimentée grâce aux résultats des visites techniques et des inspections de navires, et peut être consultée par les membres du CDI (sociétés appartenant à l'industrie chimique et armateurs indépendants transportant des produits chimiques).

· Le système Sirenac

La première tentative de créer une base de données publique relative à la sécurité maritime est déjà relativement ancienne, puisqu'elle a été mise en place peu de temps après la signature du Mémorandum d'entente de Paris sur le contrôle des navires.

Cette base de données dite « système informatique relatif aux navires contrôlés », ou Sirenac, a pour objectif de centraliser les informations recueillies lors des inspections réalisées dans le cadre du contrôle de l'Etat du port et d'assurer l'information des inspecteurs sur ces contrôles. La mission première de Sirenac consiste donc à fournir une aide opérationnelle aux inspecteurs afin de déterminer les navires à inspecter en priorité, cette base de données publiant pour chaque navire son coefficient de ciblage, les principales observations des inspections précédentes faites par d'autres Etats parties au Mémorandum et, naturellement, les caractéristiques techniques du navire.

Le système Sirenac est accessible en temps réel pour les inspecteurs des navires, qui peuvent actualiser les données sur les navires inspectés, et est à la disposition de l'ensemble des autorités maritimes, telles que les CROSS, pour leur permettre de mieux connaître le trafic maritime.

Précisons que cette base de données est très riche puisqu'elle est alimentée par le « Lloyd's Register Fairplay » pour les données techniques sur les navires et qu'elle intègre les résultats de 18 000 inspections annuelles en moyenne.

La direction des Affaires maritimes et des gens de mer a conçu le premier prototype informatique, et a été chargée par la suite par les autorités politiques du Mémorandum de Paris d'assurer la modernisation de cet outil, qui a dû intégrer les nouvelles normes de contrôle.

Sa dernière version informatique appelée Sirenac 2000 a été mise en exploitation en février 2003 et permettra la connexion d'équipements « nomades » (ordinateurs portables associés à la téléphonie mobile) afin d'offrir aux inspecteurs, durant leurs actions de contrôle, une assistance informatique.

Lors de son audition M. Christian Serradji, directeur de la DAMGM, a insisté sur l'amélioration constante de cet outil, qui peut contribuer en outre à mettre en place une méthodologie commune de contrôle entre pays européens :

« Utilisons Sirenac, que mes services ont totalement modifié pour essayer d'homogénéiser les contrôles. Dans ce système, nous avons également élaboré un guide pour que les inspections faites par des Russes ou des Français soient basées sur les mêmes critères et opérées dans les mêmes conditions, avec un enregistrement immédiat pour éviter les falsifications. Avec Sirenac 2000, il ne sera plus possible pour un inspecteur tenté par la facilité de modifier la réalité de son enquête. »

M. Serradji ajoutait cependant une remarque qui relativisait les progrès techniques effectués :

«  Je rappelle que nous avons mis en place les systèmes Equasis et Sirenac, mais là encore, dotons-nous des moyens pour les développer ! Nous avons inventé le système Sirenac, qui permet aux inspecteurs d'enregistrer sur ordinateur portable les informations relevées sur le bateau et de les transférer immédiatement au système de banque de données basé à Saint-Malo. Mais la France est le seul pays qui n'utilise pas les portables ! C'est grave et démotivant pour les personnels, surtout lorsqu'ils apprennent comment cela se passe ailleurs. »

· Le système Equasis

La nécessité d'améliorer la transparence des informations relatives à la sécurité des navires a été mise en évidence après la campagne « quality shipping campaign » lancée en 1997 par le Royaume-Uni et relayée par l'Union européenne. C'est pourquoi la Commission européenne et la France ont décidé de coopérer pour développer un système d'information chargé de collecter des informations sur la sécurité des navires et de les mettre à disposition gratuitement sur internet.

L'« European quality shipping information system » ou Equasis a été formalisé, en mai 2002, par un accord interadministrations signé par la France, la Commission européenne, Singapour, le Japon, le Royaume-Uni, l'Espagne et la Garde-côtes américaine.

Les signataires du Mémorandum constituent le comité directeur de la base de données et donnent des indications sur les orientations de celle-ci. L'OMI -qui n'a pas signé le texte précité- dispose cependant d'un siège d'observateur à côté des sept signataires. Un comité éditorial s'intéresse au contenu de la base, dont le fonctionnement est assuré par le Département des systèmes d'information (DSI) de la direction des Affaires maritimes et des gens de mer.

La base de donnée, consultable sur internet, rassemble et diffuse en continu les données les plus récentes sur l'état des navires, l'historique des inspections, les défectuosités et les noms des navires retenus au port au cours des trois années antérieures. Chaque navire enregistré est identifié par son numéro d'immatriculation OMI, son nom et son indicatif d'appel. La base de données précise également le pavillon, ainsi que des éléments sur son management.

Equasis ne crée aucune donnée, ni ne porte de jugement de valeur sur la qualité des bateaux. Elle a seulement pour objectif de diffuser le maximum d'informations permettant à chaque acteur du secteur maritime de se forger une opinion sur les risques potentiels de tel ou tel navire.

Progressivement, la base a enrichi ses sources d'informations, qui proviennent actuellement de 35 partenaires publics et privés. Outre des données acquises auprès du « Lloyd's Register of Shipping » pour une période couvrant les trois dernières années, elles émanent des comités des mémorandums maritimes (Paris, « Coast guards » et Tokyo), de l'Association internationale des sociétés de classification (IACS) et des « P&I Clubs ». Les compagnies pétrolières acceptent d'y faire figurer des informations provenant des « vetting ». Certaines organisations professionnelles sont aussi associées, comme l'association Intertanko et la Fédération des syndicats du transport (ITF), laquelle fournit des indications sur les accords relatifs aux conditions de travail passés à bord des navires.

Certaines négociations se poursuivent notamment pour associer plus étroitement les sociétés de classification, mais des problèmes juridiques assez complexes ne sont pas encore résolus. En effet, le dossier de la société de classification est considéré comme un élément contractuel relevant de la confidentialité entre la société et l'armement, et ne peut être communiqué à personne sans l'autorisation de l'armateur. C'est ce qui a fait dire au sénateur Henri de Richemont, lors de son audition, que la base Equasis était encore incomplète, car : « En fait, les éléments fondamentaux sur l'état du navire restent confidentiels. » Il a d'ailleurs rappelé qu'il avait proposé « d'interdire l'entrée dans les ports européens aux navires dont les armateurs n'ont pas accepté de communiquer le contenu du dossier de la société de classification à la société Equasis. »

La base de données Equasis a permis une diffusion d'informations beaucoup plus large des données relatives aux navires que celle opérée par le fichier Sirenac. Son audience croissante prouve qu'elle répondait à une nécessité pour les professionnels du transport maritime. Actuellement la base contient des informations sur 70 000 navires et elle est consultée par 5 000 utilisateurs différents chaque mois.

Au cours des auditions, les différents interlocuteurs se sont félicités du progrès représenté par Equasis, qui a permis à tous les acteurs du monde maritime, sur la base d'une démarche volontaire, de mettre en commun des informations pour faire progresser la culture de sécurité maritime et lutter contre les navires sous-normes.

M. Conti, directeur des assurances transports à la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), s'est montré un des plus ardents défenseurs d'Equasis, qui a permis aux assureurs de mieux appréhender les risques potentiels des navires assurés. A ce propos, il a souligné :

«... la connaissance du risque est notre principal rôle dans la sécurité maritime : plus notre connaissance est grande, mieux nous pouvons exploiter la base de données Equasis dont nous n'avons pas parlé, mais qui est infiniment précieuse et qui rencontre un succès tel qu'elle est souvent saturée. Il faut savoir que les assureurs sont, avec les affréteurs, les premiers à l'utiliser, puisque leurs consultations représentent 36% de l'ensemble des consultations du système.

Nous sommes très favorables à tout ce qui ira dans le sens d'une amélioration de la connaissance et de l'accès à l'information des opérateurs du marché. »

· Le projet Trafic 2000 et le système communautaire de suivi du trafic maritime

Anticipant l'entrée en vigueur des dispositions de la directive communautaire 2002/59 du 27 juin 2002 relative à la mise en place d'un système communautaire de suivi, de contrôle et d'information du trafic maritime, la France a mis au point un prototype pour contrôler la navigation des bâtiments transportant des substances dangereuses le long du littoral, ceci afin de mieux évaluer les risques présentés par les bateaux faisant escale dans les ports et d'organiser les secours en toute connaissance de cause, en cas d'avarie ou d'accident.

Pour atteindre cet objectif, il fallait que les postes de contrôle de navigation, les CROSS, puissent posséder des informations sur les bâtiments qui apparaissent sur leurs écrans radars.

Dans une phase expérimentale, c'est le port du Havre qui a accepté de transmettre ses bases de données au centre de surveillance de Jobourg. Celui-ci les a traitées et retransmises aux centres de surveillance de la navigation d'Ouessant et du Cap Gris-Nez. Cette première phase est maintenant terminée et une procédure de marché public est en cours pour généraliser le système qui devrait être opérationnel à l'été 2004.

Le projet Trafic 2000 permettra donc de mettre à disposition des autorités maritimes et des CROSS une information immédiate et actualisée en temps réel, permettant une évaluation précise de la menace.

A ce jour, l'ensemble des informations intéressant la sécurité maritime est disponible auprès de différents acteurs qui les recherchent et les organisent selon des procédures répondant à des logiques d'intérêts particuliers.

Les données disponibles sont donc disparates, hétérogènes et d'un usage opérationnel encore faible, leur fiabilité et leur disponibilité ne faisant l'objet d'aucune spécification générale. Elles sont actuellement réparties comme suit :

- données sur les mouvements des navires (provenant des CROSS, des sémaphores, et des ports) ;

- données sur les normes techniques de sécurité des navires (dans les bases de données Sirenac et Equasis) ;

- données sur les cargaisons des navires (provenant des ports) ;

- données sur les accidents maritimes ou rejets polluants (provenant des CROSS et des sémaphores de la Marine nationale).

Le système permettra d'accéder en temps réel, à partir d'un pupitre unique, à la disposition des autorités maritimes (CROSS, préfectures maritimes), aux informations relatives :

- à tout navire (caractéristiques, cargaison, historique, gestion des déchets, standards de sécurité, infractions aux règlements de navigation maritime, incidents...) ;

- aux mouvements des navires (présence des navires en temps réel, position d'un navire particulier, présence des navires à une date donnée).

Le système, basé sur la technologie internet sécurisée, sera alimenté en continu par les observations et les données des acteurs maritimes, permettant ainsi d'assurer un accès permanent à une information actualisée, et d'améliorer la gestion des infrastructures portuaires.

Le système Trafic 2000, en organisant une surveillance en temps réel des mouvements de navires transitant le long des côtes françaises et européennes, permettra en effet aux autorités portuaires d'estimer très précisément les heures d'arrivée des navires dans les approches portuaires et garantira ainsi une meilleure gestion des infrastructures (emplacements à quai, zones d'attente) et des services portuaires (remorquage, pilotage, lamanage, manutention).

Ce projet de suivi du trafic maritime a vivement intéressé la Commission européenne, qui a lancé, au printemps 2002, un projet similaire dénommé Safeseanet et visant, à l'échelle européenne, à mettre en place un réseau d'échange d'informations de sécurité maritime.

La Commission européenne a entrepris cette démarche avant l'entrée en vigueur de la directive précitée sur le suivi du trafic maritime, afin de parvenir en 2004 à un système opérationnel dans un cadre homogène et standardisé pour l'ensemble des Etats membres. Cet outil permettra de connecter les systèmes de gestion de l'information de sécurité maritime des Etats membres, par l'intermédiaire d'un réseau télématique sécurisé.

En effet les informations qui seront échangées dans ce cadre portent sur les données dont les directives européennes imposent déjà l'échange et qui peuvent se décomposer ainsi :

- les informations sur les mouvements de navires dans les eaux européennes ;

- les informations concernant la sécurité intrinsèque des navires ;

- les informations sur les accidents ou situations anormales ;

- les informations sur la gestion des déchets des navires et les pollutions.

La France disposant déjà d'un système prototype de suivi des navires, la Commission européenne l'a encouragée à poursuivre la mise au point de ce projet, et elle a décidé d'accorder à la DAMGM, par une convention en date du 10 octobre 2001, une subvention d'un montant total de 130 000 euros pour le développement de la plate-forme d'information sur le trafic maritime Trafic 2000.

La Commission d'enquête se félicite du rôle pionnier joué par la France dans la mise au point d'un système œuvrant pour la transparence du trafic maritime.

Ces outils télématiques sophistiqués ne contribueront toutefois à améliorer efficacement la sécurité maritime que si le réseau d'appareil de surveillance du littoral est lui-même rénové.

b) Un premier renforcement des sanctions pénales

Le choc émotionnel provoqué par les grandes marées noires a permis une meilleure connaissance des pollutions marines et ces recherches ont mis en évidence que les dégazages sauvages et les déballastages provoquaient une pollution beaucoup plus pernicieuse des milieux marins que les pollutions accidentelles. Ainsi M. Christian Buchet estime, dans son ouvrage « Les voyous de la mer », qu'en moyenne les rejets illicites représentent une pollution mondiale de 1,8 million de tonnes d'hydrocarbures, soit 12 fois plus que la pollution résultant des naufrages.

C'est pourquoi le législateur, sous la pression d'une opinion publique traumatisée par les premières grandes marées noires, a pris conscience de la nécessité de réprimer avec vigueur les rejets illicites et volontaires en mer.

C'est la convention MARPOL 73/78 qui fixe le principe de l'interdiction des rejets d'hydrocarbures à la mer lorsqu'ils dépassent une certaine teneur de concentration d'hydrocarbures. Dans certaines zones particulièrement sensibles comme la Méditerranée, les rejets sont en revanche strictement interdits.

Une première loi du 5 juillet 1983 a organisé la répression des infractions définies par la convention MARPOL, aujourd'hui codifiées dans le code de l'environnement aux articles L.218-10 à L.218-31.

L'émotion suscitée par le naufrage de l'Erika, bien qu'ayant conduit à une pollution accidentelle et non délibérée, a conduit à renforcer la répression des rejets volontaires d'hydrocarbures à la mer et a conduit à l'adoption de la loi n° 380-2001 du 3 mai 2001 dite loi Le Bris, du nom du parlementaire à l'origine de ce texte.

Cette loi accroît de manière significative le quantum des peines et prévoit par exemple des amendes pouvant aller jusqu'à 600 000 euros et des peines de prison qui peuvent aller jusqu'à 4 ans, mais qui ne sont applicables qu'aux capitaines français.

En effet, en application de l'article 230 de la convention du droit de la mer dite de Montego Bay, qui figure aujourd'hui à l'article L.218-30 du code de l'environnement, dès lors que le responsable pénal est une personne étrangère et que l'infraction a été commise hors de nos eaux territoriales, c'est-à-dire en ZEE ou en zone de protection écologique (ZPE), les peines pouvant être prononcées ne peuvent être que pécuniaires.

Comme l'a souligné Mme Marjorie Obadia, magistrat chargé au ministère de la justice du droit pénal spécialisé de l'environnement, cette loi fut surtout particulièrement novatrice en ce qu'elle a permis de mettre en cause la responsabilité de l'armateur, alors qu'auparavant seul le capitaine pouvait être inculpé :

« Le deuxième aspect renforçant considérablement cette répression dans un sens utile pour l'efficacité de la loi pénale est l'élargissement du champ des responsables pénaux à toute personne autre que le capitaine ou le responsable à bord qui exerce, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire.

Le monde maritime étant un monde complexe au regard des multiples acteurs du secteur commercial maritime, cela permet au juge recherchant les éventuelles responsabilités pénales de ne pas s'arrêter à la personne du propriétaire ou de l'armateur. Dès lors qu'il établit l'existence d'une faute, il peut aller rechercher toute personne, y compris une société de classification, un affréteur, dont il pourrait prouver qu'elle a joué un rôle dans le contrôle et la gestion de la marche du navire et qu'elle a contribué à l'infraction de pollution marine.

Cet élargissement des responsabilités pénales, tant au niveau des responsables -personne morale ou physique-, de la liste des responsables pénaux que de l'extension du délit qui peut être un délit de commission ou d'omission, a sensiblement renforcé l'arsenal pénal. »

Cette loi a aussi introduit une mesure qui s'avère très dissuasive à l'encontre des armateurs peu scrupuleux car elle permet une pénalisation financière immédiate en autorisant l'immobilisation du bateau aux frais de l'armateur et le versement d'une caution en contrepartie de la levée de l'immobilisation du navire.

M. François Nicot, procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Brest, devenu l'un des trois tribunaux spécialisés en matière de dommages maritimes, a insisté sur l'importance d'une demande systématique de caution, à titre de garantie financière, afin de sauvegarder les droits de la justice française qui risque, une fois le jugement prononcé, d'avoir beaucoup de mal à le faire exécuter auprès d'un Etat étranger. Or l'exécution des jugements, notamment dans leur dimension financière, constitue la condition sine qua non d'un effet réellement dissuasif à l'égard des acteurs du transport maritime.

C'est ainsi que M. Nicot a présenté les avantages du recours à la caution :

« Cet article [L.218-30 du code de l'environnement] est extrêmement précieux pour l'efficacité judiciaire car une fois que le navire est arrivé dans le port qui lui a été désigné, un cautionnement est fixé par le procureur. Une fois ce cautionnement payé, le navire peut reprendre sa route. Mais nous avons, dès lors que le cautionnement a été payé, une garantie pour l'avenir. Cela, c'est le principe efficace qui consiste à faire payer d'abord et à discuter ensuite.

A partir du moment où l'on a payé et que l'on a cette garantie financière, l'autorité judiciaire va avoir tout le temps nécessaire pour que le processus judiciaire se déroule normalement. De mon point de vue, cet article constitue vraiment un outil incontournable pour lutter contre le sentiment d'impunité que j'indiquais à l'instant. »

Même s'il n'est pas toujours facile d'appliquer cette procédure, surtout lorsque le bateau pris en flagrant délit de déversements de rejets illicites refuse d'être dérouté vers un port français, il n'en demeure pas moins que cette procédure doit être utilisée systématiquement même si, pour ce faire, le procureur doit demander au préfet maritime de décider l'ordre de déroutement du navire en infraction, avec recours à la force si nécessaire.

Le recours à la caution présente aussi l'avantage de pouvoir accorder des dommages et intérêts aux parties civiles, en général des associations de défense de l'environnement, qui pourront ainsi être certaines de percevoir une indemnisation.

Le procureur a donc souhaité la généralisation de cette procédure de versement de caution car elle lui paraît être la seule solution pour parvenir, en cas de pollution volontaire issue d'un navire étranger, à une véritable exécution des sanctions.

Il tirait ainsi un bilan très positif du recours systématique à cette procédure :

« L'expérience que j'en ai est, encore une fois, restreinte, mais chaque fois que j'ai eu l'occasion de le faire, j'ai appliqué les dispositions de l'article L.218-30 et je dois me louer des résultats que j'ai obtenus. J'observe d'ailleurs que les cautionnements sont payés avec une vitesse impressionnante. Mais j'ai bien conscience qu'immobiliser un navire marchand pendant plusieurs jours dans un port représente un coût économique tout à fait considérable. C'est quelque chose qui est bien compris par les armateurs et éventuellement aussi par les compagnies d'assurances. »

Au plan de la procédure, la loi Le Bris a été à l'origine de la création de juridictions du littoral maritime spécialisées. Ces dernières ont été instituées par un décret du 11 février 2002.

L'objectif principal était le rapprochement, dans le souci d'une meilleure efficacité de l'action pénale et d'une meilleure coordination, des préfectures maritimes et des juridictions pénales. C'est pourquoi a été créé le tribunal de Brest pour le littoral atlantique, le tribunal du Havre pour la Manche et la Mer du Nord et celui de Marseille pour la Méditerranée.

Les compétences de ces juridictions spécialisées se limitent cependant aux pollutions commises dans les eaux territoriales, sachant que le tribunal de grande instance de Paris conserve la compétence juridictionnelle pour toutes les infractions commises en ZEE et pour les infractions commises en haute mer par les navires étrangers.

Lors de son audition, l'amiral Gheerbrant a cité des chiffres qui démontrent l'ampleur de la tâche qui reste à accomplir en matière de lutte contre les déchets illicites. En effet, il indiquait, par une image frappante, que sur 100 navires qui dégazaient de manière sauvage, 10 étaient repérés et un seul était condamné en raison des difficultés à relever des infractions en flagrant délit, mais surtout du fait de la difficulté à administrer des preuves qui soient considérées comme probantes par la justice. Le tableau ci-après confirme cette présentation résumée par le préfet maritime.

Rapports de Pollutions - Années 2000 / 2001 / 2002

(Hydrocarbures hors Erika et Prestige)

Années

Polrep2 confirmés

Hydrocarbures identifiés

Sources connues (hydrocarbures / total)

PV signalés transmis

Condamnations documentées

2000

282

119

39/62

15

8

2001

325

120

39/60

12

5

2002

297

122

28/44

5

1

Source : CEDRE

Notes :

1. Polrep : dans les sources connues de pollution par hydrocarbures, il existe parfois plusieurs Polrep pour une même source (10% des cas en 2001).

2. PV : Le CEDRE n'a pas copie des PV et ne connaît leur existence que lorsque le Polrep correspondant signale qu'un PV a été transmis : ainsi, pour 5 PV signalés transmis, qui apparaissent dans ce tableau, le Secrétariat général de la mer enregistre 20 PV produits suite à l'instruction du Premier ministre du 15/7/2002.

3. Condamnations : compte tenu des délais liés aux affaires, le nombre de condamnations est encore susceptible d'augmenter pour 2001 et 2002.

Le bilan des condamnations pénales pour dégazages illicites

Le niveau des condamnations s'est accru après l'Erika pour atteindre le maximum possible de 150 000 euros, avant que la loi ne multiplie ce montant par quatre. Depuis, il n'y a pas de jugement ayant dépassé les 150 000 euros (cf. annexe 3), bien que la loi permette d'aller jusqu'à 600 000 euros. On notera toutefois que, désormais, les armateurs sont associés au paiement de l'amende, à hauteur de 50 à 90% du montant, et que l'intervention des associations comme parties plaignantes lors des jugements conduit à une plus grande publicité autour de ceux-ci.

Sur ces trois dernières années, le nombre de déversements illicites constaté à partir des rapports de pollution de l'observation aérienne est en moyenne de 300, dont 40% sont identifiés comme étant des hydrocarbures. L'identification du pollueur potentiel est possible dans 23 à 33% des cas et aboutit à un procès-verbal dans environ 10% des cas où les hydrocarbures ont été identifiés. Lorsque les PV sont transmis, le taux de condamnations évolue dans le temps pour se situer au-delà de 50%, deux ans après les faits. L'absence de retour d'information sur l'ensemble des condamnations jusqu'à fin 2002 permet de penser que des cas de condamnations ont pu y échapper sur les années 2000 et 2001. Les recherches ont permis de documenter 12 condamnations prononcées en 2002 pour 923 000 euros d'amendes pour des pollutions intervenues de 2000 à 2002. En comparaison, il y avait eu 9 condamnations totalisant 457 000 euros d'amendes sur la période 1996-2001.

Source : CEDRE

Il convient cependant de nuancer ce propos pessimiste, car la jurisprudence a évolué considérablement ces dernières années et la justice admet désormais comme probantes des photographies, y compris numériques, montrant des traînées d'hydrocarbures à proximité d'un navire.

M. François Nicot a insisté sur cette évolution de la position des juges, qui aujourd'hui peuvent prononcer des condamnations sur la base de faisceaux d'indices alors qu'auparavant ils exigeaient des prélèvements permettant de démontrer que les rejets illicites étaient bien de même nature que le carburant du navire incriminé.

C'est ainsi qu'il a déclaré :

« La preuve en droit français se fait par tout moyen. Je le dis à mes interlocuteurs marins : tous les moyens sont admissibles devant le juge français. L'important, par rapport aux constatations techniques qui sont faites, c'est que le juge ait des explications de ces constatations techniques. Et chaque fois que les explications sont données à l'audience, les enquêteurs et le parquet emportent la conviction du juge. (...)

La photographie est une preuve essentielle et toutes les objections qui peuvent être faites tombent lorsque les techniciens sont présents et qu'ils font cet effort d'explication. »

Il demeure, naturellement, en revanche, la difficulté à repérer les navires en faute, au milieu de l'immensité de l'océan, en particulier lorsqu'ils opèrent de nuit. Dans ce cas, de surcroît, les photographies infrarouges ne permettent pas encore d'obtenir leur condamnation de manière systématique.

4.- Un code de déontologie pour le transport des produits pétroliers

Le 10 février 2000, l'ensemble des professionnels impliqués dans le transport de produits pétroliers a signé une sorte de code unilatéral de déontologie intitulée « Charte de la sécurité des produits pétroliers », aux termes de laquelle ils s'engageaient à adopter volontairement des règles favorables à une meilleure sécurité maritime, tout en souscrivant à l'idée que la réglementation européenne et internationale en matière de sécurité maritime devait être renforcée.

Cette Charte a été signée par les compagnies pétrolières, le Comité central des armateurs français, les chargeurs et le Bureau VERITAS en présence de M. Gayssot, alors ministre de l'Equipement et des transports. Elle prévoyait de multiples engagements très positifs pour la sécurité du transport des hydrocarbures.

Parmi les engagements pris, il convient de citer celui des affréteurs de ne plus recourir à des navires à simple coque d'ici 2008 et de n'utiliser des navires de plus de 15 ans qu'à la condition qu'ils aient fait l'objet d'une inspection approfondie et que les résultats de ce contrôle soient consignés sur la base SIRE.

De même, la charte prévoyait des obligations renforcées pour les contrôles de sécurité, notamment pour les navires de plus de 15 ans, avec une inspection approfondie en cale sèche tous les 2 ans et demi au lieu de tous les 5 ans. Dans le même esprit, des contrôles périodiques sur les citernes à ballast étaient imposés dès cette ancienneté, alors que la réglementation ne l'imposait qu'à compter de 20 ans.

Pour favoriser une meilleure transparence dans la gestion et la propriété des navires, les affréteurs s'engageaient à ne pas recourir à des navires ayant changé fréquemment de propriétaires ou de sociétés de classification et, au cas où ils seraient amenés à affréter de tels navires, il était prévu que l'armateur mette à disposition de l'affréteur tout le dossier de la société de classification, ainsi que les certificats concernant le programme renforcé d'inspection.

De même, certaines dispositions concernaient les sociétés de classification qui s'engageaient, en cas d'accident, à fournir à l'Etat côtier le dossier technique du navire et à favoriser des inspections communes avec les inspecteurs de l'Etat du port et de l'Etat du pavillon.

Concernant les équipages, les signataires de la Charte se sont engagés à ne recourir qu'à des sociétés de main-d'œuvre respectant les conventions de l'OIT et les normes internationales relatives aux qualifications et au temps de travail.

La charte comportait également une clause indiquant que les signataires s'obligeaient à recourir à des bateaux battant pavillon de pays « appliquant effectivement » les conventions de l'OMI et de l'OIT, afin de lutter contre les pavillons de libre immatriculation.

S'agissant des règles essentielles relatives au régime de responsabilité, les signataires prenaient l'engagement de recourir à des compagnies d'assurances présentant toute garantie de solvabilité et de soutenir les négociations internationales tendant à augmenter les plafonds de responsabilité et d'indemnisation des conventions CLC et FIPOL.

Selon les informations communiquées par le secrétariat d'Etat aux Transports et à la mer, cette charte a modifié le comportement des compagnies pétrolières qui ont, par exemple, fait figurer dans leurs contrats d'affrètement une clause de résiliation automatique au cas où un navire aurait été affrété en violation des critères fixés par la Charte.

L'application de cette Charte aurait conduit à une réduction significative, de l'ordre de 25% pour l'Europe du Nord et de 50% pour la Méditerranée, des navires susceptibles d'être affrétés par les compagnies pétrolières.

Il convient de remarquer que certains professionnels ont souligné les limites d'une telle démarche volontaire, qui ne permet pas d'assainir en profondeur le transport maritime, car seuls les grands opérateurs acceptent d'appliquer ce code de déontologie.

C'est ainsi que M. Bertrand Thouilin, directeur du transport maritime du groupe TotalFinaElf, a déclaré :

« (...) nous respectons scrupuleusement les engagements contenus dans la Charte sur la sécurité des transports maritimes pétroliers du 10 février 2000, dite « Charte Gayssot ». Nous l'appliquons en France mais aussi partout dans le monde.....

A propos de l'accident du Prestige, la Commission européenne avait suggéré que les principales compagnies pétrolières adoptent un mode de conduite volontaire, sur le modèle de la Charte Gayssot. Nous avons rencontré à plusieurs reprises les services de la Commission à qui nous avons expliqué que ce n'était sans doute pas, dans le contexte actuel, la meilleure approche.

Depuis trois ans, les principales compagnies pétrolières, les majors, ont suivi à peu près la même politique et ont renforcé leurs critères d'acceptation des navires. Elles n'ont pas été suivies par tous les opérateurs et, comme l'a montré le naufrage du Prestige, tous les opérateurs n'adoptent pas les mêmes critères en matière de sécurité. C'est notamment le cas de certains « traders » indépendants. Or, nous n'avons aucun pouvoir sur ces « traders » et nous ne pouvons les forcer à nous suivre. »

Selon lui, la sécurité maritime se serait plutôt dégradée depuis l'Erika car, sur de nombreux segments de marché, il existe aujourd'hui deux marchés de l'affrètement, d'une part, le marché des bateaux acceptés par les majors et d'autre part, le marché des navires sans approbation ou avec des approbations très limitées.

Sur ces marchés, le prix du transport n'est pas le même. C'est ainsi que toutes les compagnies pétrolières ont perdu des marchés très importants au profit de « traders » indépendants, tout simplement parce que les bateaux qu'elles pouvaient utiliser étaient trop chers par rapport à la concurrence, ce phénomène étant patent pour le trafic en Méditerranée.

Il a conclu son propos en indiquant qu'il fallait plutôt privilégier la voie de la réglementation et mettre en place un système de sécurité applicable à tous.

B.- LE RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION BILATÉRALE ET MULTILATÉRALE

Au cours des dernières décennies, de nombreux instruments juridiques de coopération internationale ont été mis en place en matière de lutte contre les pollutions maritimes, afin de développer la coopération technique et scientifique entre les pays riverains et de mettre en œuvre des dispositifs d'assistance mutuelle. L'ensemble des façades maritimes françaises est actuellement couvert par de tels mécanismes, qui ont prouvé leur efficacité à plusieurs reprises.

Cependant, après la survenance de l'Erika, ces dispositifs ont paru perfectibles, notamment en Manche et en Méditerranée : ils ont été opportunément complétés par le co-affrètement d'un remorqueur en Manche par la France et le Royaume-Uni, décidé en 2001, ainsi que par la signature du Lion-Plan entre la France et l'Espagne pour la Méditerranée en 2002.

1.- Des accords bilatéraux et multilatéraux couvrant l'ensemble des façades maritimes françaises, dès avant l'Erika

a) Une coopération bien établie sur les façades de la Manche et de la Mer du Nord

C'est en Manche et en Mer du Nord que les premiers dispositifs de coopération ont été mis en œuvre, ce qui s'explique sans doute par la très forte densité du trafic dans ces zones maritimes et par leur configuration particulière.

Les côtes des différents Etats sont en effet très proches, notamment en Manche. De surcroît, la diffusion des pollutions est particulièrement favorisée par la force des courants s'exerçant dans ces zones. Ainsi que l'indiquait le préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord, M. Pinon : « Les courants remplissent et vident cette zone deux fois par jour, par un mouvement d'essuie-glace qui a pour effet de diriger les polluants éventuels vers l'Europe du Nord. » Cet état de fait rend d'autant plus nécessaire la coopération entre les Etats riverains, puisque le traitement d'une pollution en Manche ou en Mer du Nord dans l'un des Etats peut avoir des incidences directes et rapides sur les côtes avoisinantes.

Pour la Manche, la France et le Royaume-Uni ont conclu un plan d'intervention, le Manche-Plan, qui est entré en vigueur en 1978. Aux termes de cet accord, les autorités françaises et britanniques peuvent décider d'agir conjointement en cas de pollution et appliquent dans ce cas les dispositions du plan, qui organisent les responsabilités respectives des deux Etats et définissent les procédures de coopération, permettant à chacun des deux Etats de mettre tous ses moyens à la disposition de l'autre. Le préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord, M. Pinon, a indiqué à la Commission que ce dispositif avait notamment été mis en œuvre lors du naufrage du chimiquier Ievoli Sun et du « car carrier » Tricolor.

On notera qu'au-delà de ce dispositif, la France et le Royaume-Uni coopèrent très étroitement de façon quotidienne, notamment par l'échange constant d'informations, en temps réel, entre les CROSS français et leurs homologues anglais, déjà relevé par la précédente Commission d'enquête.

Concernant la Mer du Nord, les Etats riverains ont signé en 1983 un nouvel accord de Bonn, faisant suite au premier accord conclu en 1969, lequel avait été signé après le naufrage du Torrey Canyon. Ce dispositif a pour objectif d'assurer une coopération réciproque dans la lutte contre la pollution. Sont membres de cet accord la France, l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède, ainsi que l'Union européenne.

L'accord prévoit notamment que les Etats parties se communiquent toutes les informations dont ils disposent sur la présence en mer d'hydrocarbures ou d'autres substances dangereuses. De plus, aux termes de l'article 7 de la convention, les Etats s'engagent à se porter mutuellement assistance. Cette disposition a notamment été mise en œuvre de façon très efficace lors de l'affaire de l'Erika.

b) Un accord plus récent dans le Golfe de Gascogne

La couverture de la façade atlantique française par un dispositif de coopération est intervenue plus tardivement : en effet, ce n'est qu'en novembre 1999 qu'a été conclu un accord entre la France et l'Espagne pour cette zone, le Biscaye-Plan. Cette convention d'assistance mutuelle entre les deux Etats a notamment été signée à la suite de l'expérience des pollutions du Franz Hals à Biarritz et du Capetan Tzannis à Anglet en 1997, et faisait suite à un accord de collaboration entre la SASEMAR, société nationale espagnole de sauvetage et de sécurité maritime, et le CEDRE.

Le Biscaye-Plan prévoit la désignation à l'avance d'une autorité chargée de coordonner l'action conjointe et les modalités opérationnelles de leur collaboration.

Cette convention a malheureusement connu une première application très rapidement après sa signature, puisqu'elle a été mise en œuvre lors du sinistre de l'Erika, le 12 décembre 1999. Elle a également été déclenchée à la suite du naufrage du Prestige. Dans le premier cas, la coopération a été réalisée au profit de la France, et deux navires de la SASEMAR et des officiers de liaison espagnols ont participé activement aux opérations en mer menées au large des côtes bretonnes. Dans le second, le mécanisme d'assistance a joué dans les deux sens, puisqu'au fil de la dérive des pollutions, des navires des deux Etats sont intervenus en Espagne puis en France, sous l'autorité de l'un ou de l'autre des responsables de la lutte en mer selon la zone concernée.

Ces deux crises ont confirmé l'intérêt de cet accord bilatéral d'assistance mutuelle, qu'un simple appel téléphonique confirmé par fax ou par courrier électronique a suffi à mettre en œuvre. L'ensemble des interlocuteurs de la Commission, aussi bien français qu'espagnols, a tenu à souligner son bon fonctionnement.

On notera enfin qu'un accord a été conclu le 14 décembre 1999 entre les CROSS français et leurs homologues espagnols, qui prévoit l'échange de toutes les informations dont ils disposent en temps réel : actuellement, une information en provenance du CROSS Gris-Nez en Manche est aussitôt transmise à Cap Finisterre, pour aller jusqu'à Gibraltar et Tarifa.

c) Une couverture de la Méditerranée moins aboutie

Une coopération régionale a été instaurée dès 1976, par l'adoption d'une convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution, dite convention de Barcelone, complétée par un protocole sur la coopération dans la lutte contre la pollution marine en cas d'urgence.

C'est ce protocole qui constitue la base juridique de l'organisation actuelle de la coopération en Méditerranée. Dans ce cadre, a été créé un centre régional, le REMPEC (Centre régional méditerranéen pour l'intervention d'urgence contre la pollution marine accidentelle), chargé d'assister les Etats méditerranéens dans le renforcement de leurs capacités d'intervention : installé à Malte, il met notamment en œuvre des exercices et fournit des informations techniques aux Etats. Il dispose cependant de moyens relativement limités.

Au-delà de ce dispositif multilatéral, qui reste peu opérationnel, la France a conclu avec l'Italie un accord spécifique de coopération : les autorités françaises, italiennes et monégasques ont en effet signé en 1973 l'accord Ramoge, couvrant la zone s'étendant de Marseille à La Spezia et incluant la Corse et la Sardaigne. Il établit une coopération scientifique, technique et administrative pour la protection du littoral.

Les limites de cet accord ayant été mises en évidence lors du naufrage du pétrolier chypriote Haven, en 1991, il a été complété par le plan Ramogepol, signé en 1993. Ce plan fixe les conditions d'une intervention commune en cas de pollution, et prévoit notamment des rencontres régulières entre les autorités des trois pays ainsi que la mise en œuvre d'exercices de simulation de lutte. Ont été notamment organisés des exercices antipollution à Gênes en 2000 et en Corse en 2001.

La coopération en Méditerranée se heurte cependant à deux limites principales, dont l'une vient d'être levée. Tout d'abord, les moyens de remorquage et de dépollution présents sur cette zone sont relativement réduits : le seul remorqueur à forte puissance présent en Méditerranée est le Mérou, affrété par la Marine française, ce qui est nettement insuffisant. Ensuite, il n'existait pas pour la Méditerranée d'équivalent à l'accord franco-espagnol Biscaye-Plan pour l'Atlantique : cette lacune a été comblée en juillet 2002, par la signature du Lion-Plan.

2.- D'opportunes avancées décidées en Méditerranée et en Manche depuis l'Erika

a) La signature du Lion-Plan en 2002

La signature d'un accord franco-espagnol pour la Méditerranée constitue une avancée tout à fait bienvenue dans l'amélioration de la sécurité maritime en Méditerranée. A cet égard, la précédente Commission d'enquête avait estimé particulièrement nécessaire que cet accord, encore en préparation en 2000, soit conclu au plus vite.

C'est chose faite depuis le 22 juillet 2002 : la préfecture maritime de Méditerranée et la SASEMAR espagnole ont signé le protocole de coopération intitulé Lion-Plan, qui prévoit, dans l'hypothèse d'un sinistre, la mise à disposition réciproque des moyens de lutte contre la pollution de chaque Etat. Cet accord est destiné à améliorer l'interopérabilité des moyens espagnols et français par la définition de procédures d'intervention communes et coordonnées, la programmation régulière d'exercices et la tenue à jour d'une liste commune des capacités disponibles en matière de lutte contre les pollutions. On notera que cet accord innove, en contractualisant les concours des deux pays non seulement en matière de lutte contre les pollutions, mais aussi pour le sauvetage en mer.

Est notamment prévu dans le cadre de cet accord l'organisation d'un exercice franco-espagnol majeur au cours de l'année 2003 : un accident concernant un pétrolier devrait être simulé à l'automne prochain, et permettra opportunément, pour la France, de tester la capacité respective des plans POLMAR-mer et POLMAR-terre à organiser la lutte contre la pollution.

b) Le co-affrètement d'un remorqueur en Manche par la France et le Royaume-Uni

A la suite de l'Erika, la France et le Royaume-Uni ont considérablement amélioré leur collaboration, en instituant l'affrètement en commun d'un remorqueur de forte puissance en Manche à partir du 1er avril 2001.

Cette décision a été prise à l'issue du Comité interministériel de la mer, en février 2000. En effet, il est apparu que les moyens de remorquage étaient insuffisants en Manche : si le préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord disposait d'un remorqueur basé à Cherbourg, l'Abeille-Languedoc, la couverture de la zone du Pas-de-Calais était moins bien assurée. Le Royaume-Uni y affrétait certes un remorqueur, mais seulement durant six mois, lors de la période estivale. Ce choix n'était qu'une demi-mesure, car si l'été connaît davantage de trafic, notamment de voyageurs, l'hiver se caractérise par des conditions météorologiques beaucoup plus difficiles.

Les autorités françaises et britanniques ont donc décidé de co-affréter un remorqueur, la France prenant à sa charge les six mois restants. Les deux pays disposent donc en permanence, depuis le 1er avril 2001, d'un remorqueur commun, l'Anglian Monarch, dont la puissance est supérieure à celle de l'Abeille-Flandre. Un officier français de liaison est à son bord, afin d'éviter tout problème de communication. Ce remorqueur, qui patrouille entre Douvres, Calais et Boulogne, est prêt à intervenir sur demande des CROSS français et de leurs homologues britanniques.

L'amiral Pinon, préfet maritime de la zone compétente, a souligné l'intérêt de cette collaboration franco-britannique, qui est une conséquence directe de la crise de l'Erika.

C.- AU PLAN COMMUNAUTAIRE : UN « OIL POLLUTION ACT » EUROPÉEN ?

A la suite de la pollution de l'Erika, la Commission européenne a fait preuve d'une grande réactivité et a proposé l'adoption de deux séries de mesures, baptisées « paquets Erika I et II », et visant à renforcer les dispositions applicables dans l'Union européenne, selon une terminologie typiquement communautaire, en matière de sécurité maritime.

Cette approche régionale est indispensable pour compléter l'action des différents Etats membres, dont la portée est nécessairement limitée par leur poids moindre et par la configuration géographique européenne : ainsi que le soulignait M. Théobald, délégué général de la Chambre syndicale des constructeurs de navire : « Le bon niveau d'intervention nous semble être l'Union européenne. En effet, certaines mesures peuvent être nationales, mais elles sont limitées de par la géographie même. On a dit que les navires dangereux devaient passer à 300 milles de nos côtes. Cette mesure est positive et a permis d'écarter des navires en mauvais état. Cependant, l'application de cette disposition aboutirait à ce qu'en Manche les navires se retrouvent au coeur du Royaume-Uni ! En revanche, l'Union européenne, qui constitue une entité difficilement contournable car il est difficile pour un navire de ne jamais faire escale dans un de ses ports, nous paraît être le bon échelon. »

La démarche européenne, répondant à la nécessité de prendre au plus vite des mesures effectives, intervient en complément des réglementations adoptées par l'OMI : elle se justifie notamment par la difficulté de parvenir rapidement à des décisions faisant l'objet d'un consensus parmi les Etats membres de cette organisation internationale, dont la réactivité est pour le moins perfectible.

La réaction de l'Union européenne a été mise en parallèle avec celle des Etats-Unis, qui, en 1990, à la suite de la catastrophe de l'Exxon Valdez, s'étaient affranchis du cadre de l'OMI et avaient mis en place de façon unilatérale une réglementation nationale très contraignante, l'« Oil Pollution Act » (OPA). Si une telle comparaison rencontre certaines limites, elle n'est pas sans pertinence, au regard des importantes mesures prises par l'Union.

1.- La référence incontournable à l'exemple américain ?

L'« Oil Pollution Act », adopté à l'unanimité en 1990 par le Congrès américain, constitue une référence obligée en matière de sécurité maritime et est souvent considérée comme un modèle à suivre, en raison de son caractère rigoureux et de son efficacité : le nombre de pollutions ayant affecté les côtes américaines a en effet été fortement réduit depuis son application.

L'adoption de cette législation résulte de la prise de conscience, après le sinistre majeur du pétrolier Exxon Valdez en 1989 sur les côtes de l'Alaska, de l'insuffisance des moyens et des crédits fédéraux américains pour traiter de tels déversements. Les autorités américaines ont alors préféré recourir à une réglementation nationale unilatérale, doutant de la capacité de l'OMI à faire rapidement adopter et appliquer des mesures suffisamment efficaces.

Cette approche unilatérale a été fortement critiquée. Cependant, la puissance économique et commerciale des Etats-Unis rendait cette destination incontournable et ne permettait pas aux autres pays et à leurs amateurs d'ignorer les règles qu'ils édictaient.

a) Des dispositions rigoureuses

L'OPA intervient dans plusieurs domaines : la responsabilité en matière de dommages par pollution, les standards de construction, l'exploitation et la maintenance du navire ainsi que la prévention et le nettoyage de la pollution. Elle a vocation à s'appliquer à toute pollution survenant dans les eaux territoriales et la zone économique exclusive des Etats-Unis.

· Un régime de responsabilité spécifique

Les Etats-Unis n'adhèrent pas aux conventions internationales CLC et FIPOL, qui portent sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par hydrocarbures et sur le fonds d'indemnisation pour ces mêmes dommages. L'OPA met donc en place un dispositif propre, en instaurant un régime de responsabilité sans faute pesant sur les propriétaires de navires, sur les opérateurs et les affréteurs « coque nue ». La législation fédérale ne prévoit aucune responsabilité à la charge du propriétaire de la cargaison, à l'instar de la convention CLC.

La spécificité du régime de responsabilité de l'OPA réside dans le fait qu'elle met fin au principe de la limitation de la responsabilité de l'armateur, qui constitue le fondement de la convention CLC : si l'OPA a reconnu cette possibilité au niveau fédéral, elle permet en revanche à chaque Etat américain de laisser subsister un mécanisme différent. La plupart des Etats côtiers ont saisi cette occasion pour mettre en place un dispositif législatif prévoyant une réparation illimitée des dommages de pollution. Cette mesure constitue une contrainte très importante pour les armateurs et garantit un plus grand souci de sécurité de leur part.

Par ailleurs, l'OPA met en place un fonds d'indemnisation, l'« Oil Pollution Spill Liability Trust Fund » (OPSLTF), destiné à dédommager les victimes pour les dommages qui n'ont pu être indemnisés. Le plafond de ce fonds, qui a été alimenté par une taxe sur les barils de pétrole jusqu'en 1994 et a atteint un niveau suffisant depuis, s'établit à un milliard de dollars, alors que le plafond du FIPOL atteint à ce jour 171 millions d'euros seulement3.

On relèvera enfin que l'OPA prévoit une indemnisation étendue des dommages écologiques : un plafond spécifique, d'un montant de 500 millions de dollars par accident, a été institué à cet effet. A cet égard, la prise en compte des dommages à l'environnement par la convention CLC est beaucoup plus restrictive.

· Des mesures contraignantes

Au régime de responsabilité propre instauré par l'OPA, s'ajoutent des mesures rigoureuses, dans plusieurs domaines :

- les navires désirant entrer dans un port américain ont l'obligation de se signaler 24 heures auparavant afin de permettre leur contrôle a priori. La loi permet aux autorités américaines de vérifier si un navire étranger respecte les standards requis en matière d'entretien, de compétence et de qualification du navire, et le cas échéant de refuser l'entrée du navire dans un port américain. Les contrôles déjà existants ont par ailleurs été intensifiés depuis l'adoption de l'OPA ;

- afin de prévenir le risque d'insolvabilité d'un armateur lors d'une éventuelle pollution, l'OPA prévoit que tout propriétaire d'un navire de plus de 300 tonnes à destination d'un port sous juridiction américaine doit prouver qu'il est financièrement capable de faire face à la responsabilité maximale calculée pour ce type de navire. Sur justification, l'administration compétente, le « National Pollution Funds Center » (NPFC) délivre alors au propriétaire un certificat de responsabilité financière (COFR), sans lequel l'entrée dans les eaux territoriales de leur navire leur est interdite. Ce dispositif, qui existait déjà depuis 1971 mais a été renforcé par l'OPA, permet de réaliser une sélection des navires -les navires sous-normes ayant des difficultés à trouver des compagnies d'assurances acceptant de leur fournir de telles attestations- et a fait la preuve de son efficacité ;

- tout navire transportant du pétrole dans les eaux américaines, quel que soit son pavillon, est contraint de prévoir un plan d'action de lutte contre la pollution (« Vessel Response Plan » ou VRP) et d'être équipé d'un matériel de récupération ;

- l'OPA comprend des dispositions relatives aux normes de construction des navires, en imposant l'obligation pour les pétroliers d'être équipés d'une double coque. Il prévoit un calendrier de mise en conformité et de retrait progressif des navires à simple coque. L'introduction de la double coque par l'OPA est cependant une mesure contestée : beaucoup estiment qu'elle présente également des risques spécifiques, et qu'elle ne constitue nullement une panacée.

b) Le rôle central des « coast guards »

L'application de l'« Oil Pollution Act » repose pour une large part sur l'administration des « coast guards », qui fut fondée dès 1915 afin de lutter contre la contrebande. Ses compétences ont été beaucoup accrues depuis et les « coast guards » se sont vus confier, notamment par l'OPA, l'ensemble des missions de sécurité maritime et de lutte contre la pollution.

Les « coast guards » assument en effet les missions suivantes : la recherche et l'assistance en mer, la sûreté maritime et la sécurité des ports, les opérations de maintien de la loi maritime (incluant également la lutte contre la drogue et l'immigration clandestine), la protection de l'environnement marin et les opérations d'aide à la navigation.

Pour ce faire, la garde-côtes américaine coordonne la recherche et l'assistance aux personnes en détresse dans le cadre du plan national « Search and Rescue » (SAR). Elle met en œuvre les lois fédérales sur les navires battant pavillon américain en haute mer et sur tous les navires présents dans les eaux territoriales américaines. A ce titre, elle effectue des contrôles sur documents et des inspections physiques de navires. Elle participe également à la lutte contre les pollutions, en étant partie prenante du développement des plans de lutte contre la pollution et en entretenant la force d'intervention nationale : elle répond quotidiennement à 34 pollutions pétrolières ou chimiques en moyenne. Elle réalise également des enquêtes sur les accidents maritimes. Enfin, au titre de l'aide à la navigation, elle fournit des services de radionavigation et entretient les dispositifs d'aide à la navigation, tels que les phares et les bouées.

Pour assurer l'ensemble de ces tâches, l'administration des « coast guards » intervient directement et s'appuie également sur les autres administrations, notamment des Etats fédérés, en les coordonnant ; elle a également recours à un large réseau de sociétés privées agréées pour le nettoyage des pollutions.

Cette administration dispose d'importants moyens humains et matériels : le corps des « coast guards », qui constitue l'une des cinq forces armées des Etats-Unis et relève donc d'un statut militaire, compte 35 000 hommes d'active, 5 600 civils, 8 000 réservistes et 32 000 auxiliaires. Il détient des moyens modernes et nombreux, comprenant notamment 211 aéronefs, 230 navires et 1 400 embarcations. On relèvera enfin que le « National Pollution Funds Center » et le « Oil Pollution Spill Liability Trust Fund » font partie de cette administration. Les « coast guards » sont entièrement financés par le gouvernement fédéral et leur budget annuel s'élève à environ 5,2 milliards de dollars.

Sont cependant apparues en 2003 des incertitudes sur l'exécution par les « coast guards » de leurs missions de sécurité maritime : en effet, à la suite des événements du 11 septembre 2001, depuis mi-février 2003, ces derniers sont intégrés dans un grand ministère de la sûreté nationale, lequel a été créé par le « Homeland Security Act » et regroupe toutes les administrations et agences en charge de la sûreté du territoire américain. Malgré les dispositions de la loi visant à préserver les missions de sécurité et de sauvetage, il est à craindre que sous l'autorité de ce ministère, la priorité accordée à la lutte contre le terrorisme conduise les « coast guards » à délaisser quelque peu leurs missions de sécurité maritime, ainsi que le décrivent deux rapports récents du « General Accounting Office ».

c) Les limites de ce dispositif

· Une efficacité reconnue

Depuis l'adoption de l'« Oil Pollution Act », les Etats-Unis n'ont plus connu de catastrophes de l'ampleur de celle de l'Exxon Valdez. Le volume de déversements d'hydrocarbures a été drastiquement réduit, passant de 7,915 millions de gallons en 1990 à 1,431 en 2000.

Evolution des déversements d'hydrocarbures ayant affecté les eaux américaines par année depuis 1985

1985

1990

1995

1996

1997

1998

1999

2000

Nombre d'incidents constatés

6 169

8 177

9 038

9 335

8 624

8 315

8 539

8 354

Quantités d'hydrocarbures déversées

(en gallons)

8 436 248

7 915 007

2 638 229

3 117 831

942 574

885 303

1 172 449

1 431 370

Source : Site internet de l'Administration des « coast-guards »

Ces résultats très positifs confirment la validité des orientations de cette loi, et l'OPA est généralement considéré aux Etats-Unis comme un succès.

Il a incontestablement renforcé les dispositifs de prévention, de contrôle et d'intervention, et la concentration de l'ensemble des missions de lutte contre la pollution sous la responsabilité des « coast guards », bien structurés et dotés de moyens importants, est sans nul doute un facteur d'efficacité. Le renforcement des contrôles techniques et l'augmentation de la responsabilité des propriétaires de navires ont eu pour effet de dissuader les navires « à risque » de fréquenter les ports américains. Sur ce point, les « coast guards » estiment que le nombre de navires étrangers fréquentant les Etats-Unis a diminué depuis l'OPA alors que le trafic maritime mondial a augmenté dans l'intervalle.

· Des aspects moins favorables

Pour autant, le dispositif américain n'est pas exempt de critiques. En premier lieu, l'introduction généralisée de la double coque prévue par l'OPA ne fait pas l'unanimité, même si l'Union européenne a finalement souhaité suivre la même voie. Cette mesure a été prise sous une forte pression médiatique et publique américaine. M. Vallat, armateur et président de l'Institut français de la mer, a indiqué sur ce point : « Les hommes politiques (...) avaient estimé qu'il fallait que les bateaux soient équipés de double coque. Dès lors que l'opinion publique et les « greens » se sont emparés du débat, la mesure n'était plus négociable. »

Cette mesure présente certes des points positifs, et permet notamment un fort rajeunissement des flottes. Cependant, toutes les personnes auditionnées par la Commission ont souligné les inconvénients de la double coque, qui entraîne notamment une moindre stabilité du navire, un entretien plus complexe, pouvant engendrer des risques d'explosion dans la zone comprise entre les deux coques, ou encore le sauvetage plus difficile en cas de rupture de la paroi interne.

Au-delà de ces risques techniques, son plus gros défaut réside sans doute dans le fait qu'elle aboutit à instaurer une obligation de conception, au lieu d'une obligation de moyens, et qu'elle empêche ainsi toute innovation technique alternative. On rappellera à cet égard que les autorités américaines ont toujours refusé le modèle de pétrolier à pont intermédiaire conçu par l'Europe, baptisé E3 -européen, écologique et économique-, qui ne présente pas les inconvénients d'une double coque étroite.

De plus, si le système américain renforce la responsabilité des propriétaires de navires, il ne fait peser aucune responsabilité solidaire sur l'affréteur, ce qui faciliterait le recouvrement des indemnisations des dommages. Ce point a été mis en exergue avec force par M. Vallat : « A la suite de l'Exxon Valdez, en effet, qui a coûté à Exxon de 4 à 5 milliards de dollars, sans compter la baisse importante de chiffre d'affaires connue par ce groupe, les compagnies pétrolières sont allées, avec leurs dollars, faire du lobbying au Congrès pour qu'il publie un texte qui, contrairement à ce que tout le monde croit, déresponsabilise les compagnies américaines en concentrant la responsabilité sur l'armateur ». Cependant, il convient de souligner que la législation américaine ne se différencie pas de la convention CLC sur ce point.

Enfin, la forte amélioration de la sécurité maritime constatée depuis 1990 a été obtenue pour partie aux dépens des autres pays : en effet, les navires « à risque » sont dissuadés de se rendre aux Etats-Unis mais ne sont pas pour autant retirés de la navigation : ils sont utilisés dans les autres régions du monde, où les contrôles sont moins rigoureux. L'application de l'« Oil Pollution Act » a donc abouti à un détournement de trafic des navires sous-normes vers les autres Etats, et en premier lieu vers l'Europe. L'approche unilatérale adoptée par les Etats-Unis relève donc d'une logique non coopérative.

· Un système difficilement transposable

L'efficacité d'une telle réglementation s'explique largement par la configuration géographique des Etats-Unis, qui sont pour l'essentiel un point d'arrivée et de départ des navires : les Etats-Unis peuvent donc contrôler aisément les navires entrant dans leurs eaux territoriales.

Il n'en est pas de même pour l'Europe, qui constitue également une zone de transit maritime : il lui est beaucoup plus difficile de contrôler les navires naviguant au large de ses côtes et ne faisant pas nécessairement escale dans un port européen. Il serait donc illusoire de chercher à transposer tel quel le système américain en Europe, en espérant obtenir les mêmes résultats.

M. Delcroix, de la société AXA, a indiqué sur ce point : « On a tendance à comparer ce qui se passe sur les côtes de l'Amérique du Nord et ce qui se passe sur les côtes de l'Europe occidentale. Or, les flux de marchandises ne sont pas les mêmes et les routes ne sont pas les mêmes : en Europe, à la différence des Etats-Unis, les routes maritimes sont des routes côtières. En outre, les Américains ont le pouvoir absolu sur leurs côtes dans la mesure où ils contrôlent tout le trafic, ce qui n'est pas le cas autour de l'Europe où nous avons affaire à des passages encore soumis à des conventions internationales du droit de la mer : la Mer Noire, Gibraltar, le Channel, etc.... et on peut remonter jusqu'au Skagerrak pour rentrer dans la Baltique ... Bref, les configurations géographiques, les dispositions politiques et le volume des flux rendent les situations difficilement comparables ! »

· La nécessité de ne pas mythifier l'OPA

Si l'OPA a sans nul doute porté ses fruits et prouvé son efficacité, il est souvent présenté, notamment par les médias, comme un modèle. Certains de nos interlocuteurs ont cependant tenu à souligner que le système américain ne devait pas être considéré comme une référence absolue, et que sur certains points, les dispositions françaises et européennes étaient aussi efficaces. Il faut donc se garder de toute approche simpliste.

Le directeur des Affaires maritimes, M. Serradji, s'est montré particulièrement affirmatif sur ce point, estimant qu'il ne fallait pas surestimer l'étendue des compétences des « coast guards », notamment en matière de contrôles : « les « coast guards » américains m'ont dit eux-mêmes que, en France, les Affaires maritimes et leurs patrouilleurs détenaient plus de pouvoirs qu'eux. Les « coast guards » américains n'effectuent ni le contrôle de la sécurité des navires -ils ne vérifient que du papier ; pour le reste, d'autres inspecteurs interviennent- ni celui du « marin heureux », c'est-à-dire l'inspection du travail.

Au contraire, mes inspecteurs montent sur le bateau pour faire ces contrôles. Les « coast guards » considèrent, dans le cadre des compétences de la DAMGM, que j'ai plus de pouvoir qu'eux, puisque je m'occupe non seulement du marin depuis l'école jusqu'à la retraite mais aussi de tous les systèmes de sécurité (surveillants, signalisation, sauvetage, balisage). »

De même, les professionnels entendus par la Commission ont tenu à tempérer les appréciations généralement très favorables portées sur l'OPA, en rappelant que cette réglementation n'interdisait pas complètement les navires à simple coque, notamment pour aller fournir en pétrole des terminaux « off-shore », situés en dehors des eaux territoriales, et que le Prestige avait été autorisé à entrer dans les eaux américaines. M. Thouilin, directeur du transport maritime de Total, a ainsi souligné : « Il faut, sur le premier point, faire très attention à ce que contient l'OPA américain, qui n'interdit pas les navires à simple coque. Le Prestige avait l'autorisation d'aller décharger aux Etats-Unis ; il avait été approuvé par les « coast guards ». Aujourd'hui, beaucoup de navires à simple coque transportent du fioul depuis l'Europe vers les Etats-Unis. J'ai vu dans la presse aujourd'hui que le public a l'impression qu'aux Etats-Unis, l'interdiction du double coque pour le fioul lourd est déjà mise en place. C'est faux ! »

De même, M. Karsenti, président du Conseil des chargeurs maritimes, a précisé que les Etats-Unis constituent actuellement la première destination des navires à simple coque. Il a également indiqué que l'OPA comporte des dispositifs dérogatoires, qui réduisent la portée de certaines de ses mesures : « Par ailleurs, il faut bien voir que l'OPA s'applique aux ports américains, mais ne s'applique pas à un terminal particulier, celui de Louisiane, ni aux zones de déchargement et de transbordement qui sont, c'est vrai, un peu éloignées des côtes américaines, mais qui sont quand même dans les eaux américaines. Là, vous pouvez envoyer tous les navires à simple coque de la plus mauvaise qualité qui soit. (...)

On a dit beaucoup de bien de l'OPA américaine ; ce sont de bonnes mesures, mais selon moi, il n'y est pas écrit ce que l'on prétend qu'il s'y trouve ! »

2.- Les deux paquets Erika I et II

Si le système de l'OPA est longtemps apparu comme une référence pour les pays européens, c'est notamment en raison des lacunes incontestables de leurs propres réglementations, tant nationales que communautaires.

De fait, l'Europe n'est intervenue en matière de sécurité maritime de manière significative qu'à partir de 1992, date à laquelle ce secteur est devenu une politique commune. La règle de l'unanimité, qui constituait un frein à l'adoption de mesures ambitieuses -comme l'ont d'ailleurs montré les suites données à la catastrophe de l'Amoco Cadiz- a alors cédé la place à la règle de la majorité qualifiée. Plusieurs règlements et directives ont ensuite été adoptés, notamment dans le domaine du contrôle des navires par l'Etat du port ou des sociétés de classifications.

Mais c'est à la suite de l'Erika que la politique communautaire de sécurité maritime a pris un tournant décisif : l'arsenal législatif a été considérablement renforcé, par l'adoption de deux trains de mesures, baptisés paquets Erika I et II. Il convient ici de souligner le rôle moteur joué par la France dans ce processus : les autorités françaises ont en effet présenté à la Commission européenne un mémorandum sur le renforcement de la sécurité maritime en 2000, dont de nombreuses préconisations ont été reprises dans les paquets Erika I et II.

De fait, le fossé longtemps dénoncé entre les réglementations américaines et européennes a été considérablement réduit. Il serait donc injuste d'accuser l'Union européenne d'immobilisme, ainsi que cela a été souvent fait après le Prestige.

Le rapport « De l'Erika au Prestige : la politique européenne de la sécurité maritime contrariée » de MM. Guy Lengagne et Didier Quentin, déposé par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne le 4 mars dernier, met ainsi en exergue l'ampleur des mesures adoptées par l'Union et la nécessité de soutenir son action. Le lecteur pourra s'y référer utilement. Les deux co-rapporteurs4 ont, au-delà de ce premier rapport, reçu pour mandat de suivre l'action communautaire dans le domaine de la sécurité maritime pour toute la durée de la législature.

a) Une première série de mesures, destinée à renforcer la législation existante (Erika I)

Le 21 mars 2000, soit trois mois après le naufrage de l'Erika, la Commission européenne a adopté une Communication sur la sécurité maritime du transport pétrolier, décrivant une stratégie globale, assortie de plusieurs propositions concrètes : ce premier train de mesures avait pour objectif de combler les lacunes les plus patentes de la législation communautaire.

· Le renforcement du contrôle de l'Etat du port

Afin de pallier l'insuffisance des contrôles effectués par les Etats du pavillon sur leurs navires, les Etats côtiers ont cherché à inspecter les navires faisant escale dans leurs ports, en se fondant sur le principe de droit maritime selon lequel les navires de commerce étrangers sont soumis à la juridiction de tout Etat côtier lorsqu'ils se trouvent dans ses eaux territoriales et dans ses ports.

En Europe, ce contrôle s'exerce dans le cadre du Mémorandum de Paris de 1982, aux termes duquel les principaux Etats européens s'engagent à inspecter chaque année au moins 25% des navires étrangers faisant escale dans ses ports.

La directive 95/21/CE a intégré, en les améliorant, les mécanismes du Mémorandum dans le cadre communautaire, en les rendant uniformes et obligatoires pour tous les Etats membres.

Cependant, l'application de cette directive a fait l'objet de plusieurs critiques, portant notamment sur le non-respect par certains Etats du seuil de 25% et sur l'insuffisante rigueur des contrôles effectués.

Taux d'inspections réalisées par les Etats membres de l'Union européenne en vertu du contrôle par l'Etat du port en 2001

Etats membres

Taux d'inspection (en %)

Allemagne

21.78

Belgique

29

Danemark

25.50

Espagne

30.28

France

9.63

Grèce

28.13

Irlande

21.05

Italie

43.54

Pays-Bas

23.47

Portugal

28.45

Royaume-Uni

27.89

Suède

23.09

Source : Commission européenne

La directive 2001/106/CE a donc été adoptée le 19 décembre 2001 afin de modifier le texte précédent, en améliorant et en renforçant le régime d'inspections. Elle prévoit notamment l'obligation pour les Etats membres d'inspecter certaines catégories de navires présentant des risques importants : ces derniers devront en outre être soumis à une vérification renforcée d'une série d'éléments vitaux.

De plus, la directive impose aux Etats membres de refuser l'accès à leurs ports des navires ayant été immobilisés dans un port à deux reprises au cours des deux années précédentes en raison de leur mauvaise condition et battant pavillon de complaisance, en se fondant sur une liste noire qui sera publiée par la Commission européenne5.

· L'encadrement plus rigoureux des activités des sociétés de classification

Le rôle des sociétés de classification dans le contrôle des navires est, on le sait, absolument fondamental. Elles sont notamment les seules à pouvoir contrôler véritablement l'état de structure des navires, lors de leurs visites régulières.

Néanmoins, il leur est reproché une application parfois peu rigoureuse des réglementations en vigueur, résultant du fait qu'elles exercent une activité commerciale soumise à la concurrence et qu'elles pourraient être incitées à se montrer moins strictes dans leurs contrôles afin de s'attirer les faveurs des armateurs. De plus, leur double activité de certification et de classification des navires peut être génératrice de conflits d'intérêts, donc de risques.

C'est pour répondre à ces déficiences que la directive 2001/105/CE du 19 décembre 2001 a modifié la précédente directive du 22 novembre 1994 relative aux sociétés de classification, afin d'instituer un cadre plus contraignant et davantage harmonisé.

La précédente directive avait institué un système communautaire d'agrément des sociétés de classification : seules les sociétés agréées sur cette base peuvent exercer leur activité pour le compte des Etats membres. M. Bernard Anne, directeur de la division Marine du Bureau VERITAS France, a précisé les modalités de l'attribution de cet agrément : « Vous avez mentionné la question de la reconnaissance par l'Union européenne. Cette reconnaissance est déjà mise en œuvre : nous sommes actuellement agréés au niveau de l'Union européenne. Cela s'est fait jusqu'à présent par le biais des Etats. En effet, un Etat membre peut proposer à l'agrément européen toute société de classification de son choix qu'il estime pouvoir présenter. C'est comme cela que certaines sociétés non européennes sont malgré tout présentées et agréées à Bruxelles. Une fois agréés, nous sommes par ailleurs déjà audités par la DG-TREN, ainsi que par le pavillon qui nous a introduits. »

La directive 2001/105/CE complète cette disposition en introduisant une procédure de suspension et de retrait de l'agrément par la Commission, si cette dernière constate que les sociétés ne respectent pas les règles communautaires en vigueur. De plus, la directive prévoit que les organismes agréés doivent répondre à des critères qualitatifs plus stricts sur certains points.

Elle procède également à l'harmonisation des conditions de la responsabilité financière de la société agréée : sa responsabilité est illimitée en cas d'omission volontaire ou de négligence grave et des plafonds de responsabilité sont fixés selon la gravité de l'action fautive par négligence de la société.

· L'accélération du retrait des pétroliers à simple coque

L'Union européenne a instauré, par le règlement du 18 février 2002, un calendrier spécifique d'élimination des navires à simple coque entrant dans les ports de ses Etats membres ou battant pavillon de ces mêmes Etats.

Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'« Oil Pollution Act » avait en effet imposé l'usage obligatoire de la double coque pour les nouveaux pétroliers et prévu un calendrier progressif de retrait des navires à simple coque. Cette mesure unilatérale avait poussé l'OMI à réagir : en 1993, la convention MARPOL avait été amendée et avait prévu un plan de retrait des pétroliers à simple coque, moins contraignant cependant que celui de l'OPA. Puis, par une résolution du 27 avril 2001, le calendrier d'élimination a été rendu plus rigoureux.

C'est pourquoi le règlement du 18 février 2002, directement applicable, établit un calendrier de retrait, selon les différentes catégories de navires, s'imposant aux Etats membres et correspondant aux dernières évolutions de la réglementation de l'OMI.

Présentation des critères définissant les différentes catégories de navires

Catégorie 1: les pétroliers à simple coque dits « pré-MARPOL », à savoir les transporteurs de pétrole brut d'une capacité égale ou supérieure à 20 000 tonnes de port en lourd et les transporteurs de produits pétroliers d'une capacité égale ou supérieure à 30 000 tonnes de port en lourd non équipés de citernes à ballast séparé dans des localisations défensives (SBT/PL). Ce sont les plus anciens et ceux qui présentent le plus de risques. Ils ont été généralement construits avant 1982.

Catégorie 2 : elle comprend les pétroliers à simple coque « MARPOL » qui ont la même taille que ceux de la catégorie 1, mais qui sont équipés de SBT/PL. Généralement construits entre 1982 et 1996.

Catégorie 3 : elle comprend les pétroliers à simple coque de taille inférieure aux limites des catégories 1 et 2, mais d'une capacité supérieure à 5 000 tonnes de port en lourd. Ces pétroliers plus petits sont souvent utilisés en trafic régional.

Les dates ultimes pour l'exploitation des pétroliers entrant dans les ports relevant de la juridiction d'un Etat membre et des pétroliers battant pavillon d'un Etat membre ont été fixées à 2007 pour les pétroliers de catégorie 1 et à 2015 pour ceux de catégorie 2 et 3. D'autre part, le règlement impose des limites d'âge comprises entre 26 et 30 ans pour les pétroliers à simple coque en fonction de leur catégorie et de leur année de construction.

Calendrier comparatif de retrait des pétroliers
à simple coque tel que prévu en 2002

 

Etats-Unis
(OPA 90)

International
(MARPOL)

Union européenne

Catégorie 1 : Pétroliers à simple coque, taille « MARPOL », sans citerne protectrice

2010

2007

2007

Catégorie 2 : Pétroliers à simple coque, taille « MARPOL », avec protection partielle de la zone des citernes de cargaison

2010/2015

2015

2015

Catégorie 3 : Pétroliers à simple coque au-dessous de la taille « MARPOL » (moins de 20 000 tpl)

2015

2015

2015

(Source : Commission européenne)

b) Une deuxième vague de dispositions, davantage axée sur une action à long terme (Erika II)

A la première série de mesures, a succédé en décembre 2000 un second train de dispositions, destiné à apporter des réponses de plus long terme aux insuffisances constatées.

· Le renforcement de la surveillance du trafic dans les eaux européennes et la problématique des lieux de refuge

La directive 93/75/CE du 13 septembre 1993 avait mis en place un système d'information des autorités compétentes sur les navires transportant des marchandises dangereuses ou polluantes à destination des ports des Etats membres, ainsi que sur les incidents survenus en mer.

Or la Commission a estimé que cette directive présentait des lacunes, notamment liées au manque de dispositions précises visant à en faire respecter les dispositions.

Pour remédier aux carences constatées, la directive 2002/59/CE, adoptée le 27 juin 2002, a prévu plusieurs dispositions. Tout d'abord, elle impose une obligation de signalement -au moins 24 heures à l'avance- à tout navire faisant route vers un port d'un Etat membre.

Elle prévoit également que, conformément à une norme adoptée par l'OMI en 2000, tout navire faisant escale dans un port européen doit être équipé d'un transpondeur. Elle prévoit un calendrier précis d'introduction de ce système s'échelonnant jusqu'au 1er juillet 2007, et disposant notamment que tous les navires construits à partir du 1er juillet 2002 doivent en être impérativement pourvus. Ces transpondeurs -également dits AIS (système d'identification automatique)- doivent permettre d'améliorer l'identification et le suivi des navires le long des côtes européennes. La directive prévoit également la mise en place d'un système enregistreur de données (VDR) sur tous les navires, qui constitue l'équivalent d'une boîte noire, sur le modèle des avions. Un calendrier détermine les dates limites d'équipement des navires, en fonction des différentes catégories, et s'étend jusqu'au 1er janvier 2008.

Le système de notification prévu par la précédente directive concernant les navires transportant des marchandises maritimes dangereuses ou polluantes est amélioré afin de mieux exploiter les informations relatives aux cargaisons.

L'ensemble de ces mesures est destiné à renforcer la surveillance des bateaux naviguant dans les eaux européennes, avec une attention particulière pour les navires transportant des produits dangereux ou polluants.

Enfin, une des dispositions de cette directive a trait à la question extrêmement délicate des lieux de refuge, qui a revêtu une importance particulière après la crise du Prestige, faisant l'objet de controverses et de débats tant en Espagne qu'en France.

La directive prévoit en effet d'instaurer un cadre juridique pour l'accueil des navires en détresse dans les eaux territoriales des Etats membres. Elle demande à ces derniers d'établir des plans à cet effet ; ces plans doivent comporter toutes les informations utiles permettant aux responsables opérationnels de prendre une décision, telles que les capacités d'accueil des ports et les contraintes particulières liées à la configuration de la zone ou à sa vulnérabilité écologique. L'établissement de tels plans est sans nul doute délicat, au vu des enjeux multiples associés à l'accueil de navires transportant des marchandises dangereuses et susceptibles de polluer gravement une zone déterminée.

· Le renforcement de la coordination de l'action des Etats membres : la création de l'Agence européenne de sécurité maritime

Au-delà de l'édiction de dispositions communautaires, il est apparu nécessaire de mettre en place un organisme spécialement consacré aux questions de sécurité maritime, chargé de renforcer et d'harmoniser les règles et pratiques en vigueur dans ce domaine. C'est à cette fin que le règlement du 27 juin 2002 a créé l'Agence européenne de sécurité maritime (AESM), dont la mise en place opérationnelle ne devait intervenir, à l'origine, qu' au deuxième semestre 2003.

M. Vallat, président de l'Institut français de la mer, a tenu à souligner le rôle joué par cet Institut pour impulser la création de l'Agence : « L'Institut français de la mer est pour beaucoup dans la création de l'Agence européenne de sécurité maritime, puisque nous avons été les premiers à appeler à sa mise en place après l'Erika et, à ma connaissance, le seul organisme à suivre le dossier à Bruxelles et à solliciter régulièrement les autorités précédentes, nationales ou européennes, pour que cette agence voit le jour. »

L'ensemble des personnes auditionnées par la Commission d'enquête s'est d'ailleurs félicité de la création d'une telle Agence et attend beaucoup de sa mise en place.

Aux termes du règlement en vigueur, l'AESM est destinée à assumer un double rôle de conseil et de contrôle auprès de la Commission :

- au titre de sa mission de conseil et d'expertise, le règlement lui assigne la tâche de fournir à la Commission des avis scientifiques et techniques en matière de sécurité maritime et de prévention de la pollution, afin de l'assister dans l'élaboration de la législation, dans le contrôle de sa mise en œuvre et dans l'évaluation de l'efficacité des mesures en vigueur. L'Agence ne dispose donc pas d'un pouvoir de régulation autonome mais peut proposer des améliorations de la réglementation sur la base d'un mandat de la Commission. Elle est également chargée d'élaborer une méthode d'enquête commune sur les accidents maritimes et de participer à la mise en place du système européen d'information sur le trafic maritime ;

- au titre de sa mission de contrôle, l'AESM doit contribuer au renforcement du régime d'inspection par l'Etat du port et au contrôle des sociétés de classification reconnues au niveau européen. Il est également prévu que les représentants de l'Agence effectuent des inspections dans les Etats membres pour s'assurer du bon fonctionnement du système communautaire.

Organisme autonome placé sous l'autorité de la Commission, cette Agence doit travailler en étroite collaboration avec les Etats membres.

· La volonté d'instaurer un mécanisme d'indemnisation supplémentaire des victimes

La Commission a constaté les difficultés des victimes de catastrophes maritimes à être indemnisées dans des conditions satisfaisantes dans le cadre du fonds international FIPOL, et a relevé que cette carence s'explique notamment par l'insuffisance des crédits prévus au regard du coût effectif des sinistres. C'est pourquoi elle a proposé un projet de règlement portant création d'un fonds communautaire d'indemnisation pour les dommages de pollution, appelé fonds COPE : il compléterait, à concurrence d'un plafond global d'un milliard d'euros -égal à celui prévu par l'OPA-, l'indemnisation des victimes en cas de dépassements du plafond en vigueur, lequel s'établit à 171 millions d'euros à ce jour.

A la différence du Parlement européen, qui s'était prononcé le 14 juin 2001, le Conseil n'a pas arrêté de position commune sur cette proposition et a renvoyé aux négociations sur la réforme du FIPOL dans le cadre de l'OMI. Cette proposition est donc restée en suspens (cf infra).

c) Des dispositions complémentaires sur la formation des gens de mer et la lutte contre les dégazages et les déballastages illicites

En sus des deux séries de mesures présentées plus haut, l'Union européenne a adopté des dispositions relatives à la formation des gens de mer et à la lutte contre les rejets illicites de substances polluantes, qui constituent une forme de pollution moins connue que les déversements d'hydrocarbures à la suite d'accidents, mais in fine bien plus importante.

· La formation des gens de mer

Le facteur humain constitue un élément fondamental de la sécurité maritime : il suffit pour s'en convaincre de rappeler que 80% des accidents maritimes résultent d'une défaillance humaine. Un bateau répondant aux critères de sécurité les plus draconiens peut se révéler dangereux s'il est conduit par un équipage mal formé ou trop réduit.

C'est pourquoi plusieurs textes juridiques internationaux, tels que des conventions de l'OIT et de l'OMI (notamment les textes STCW de 1995 sur les normes de formation et de délivrance des brevets et SOLAS de 1974 sur la sauvegarde de la vie humaine en mer), réglementent la formation des gens de mer et leurs conditions de travail. Cependant, compte tenu des difficultés du contrôle de leur application -malheureusement inhérentes à tout dispositif international- l'Union européenne a jugé utile après l'Erika de compléter ces dispositions par un nouveau texte communautaire, faisant suite aux directives 94/58/CE et 98/35/CE sur le même sujet, et fixant pour objectif d'établir un niveau minimal de formation des marins pour tous les Etats membres.

La directive 2001/25/CE reprend donc les dispositions des textes précédents en les renforçant. S'appliquant aux gens de mer servant les navires de commerce et battant pavillon des Etats membres, elle détermine les normes minimales de leur formation et de la délivrance de leurs brevets, en se basant sur les normes approuvées par la convention STCW. De plus, elle prévoit une procédure de reconnaissance des brevets et certificats d'aptitude délivrés par des Etats non-membres de l'Union européenne.

· La lutte contre les dégazages et déballastages

La directive 2000/59/CE traite de la question des déballastages et dégazages, sources de pollutions maritimes considérables, bien que moins emblématiques que les marées noires. On estime en effet que les déballastages et dégazages représentent près de 90% des pollutions maritimes.

Le déballastage est l'opération consistant à se séparer du ballast avant que le navire ne commence à charger sa cargaison : il conduit à déverser dans les ports ou en mer des matériaux solides présents en suspension dans les eaux de ballasts. Quant au dégazage, il désigne dans le vocabulaire actuel le fait pour un navire de laisser dans son sillage une traînée irisée résultant de la présence d'hydrocarbures. Ces deux opérations aboutissent donc à des rejets en mer de substances polluantes, qui sont prohibés par les réglementations internationales mais n'en restent pas moins malheureusement très fréquents.

La directive du 19 juin 1995 déjà évoquée sur le contrôle de l'Etat du port abordait déjà cette question, en posant que les navires qui constituent une menace pour le milieu marin n'étaient pas autorisés à appareiller.

Cependant, les dispositions prévues n'étant pas suffisamment contraignantes, la directive 2000/59/CE du 27 novembre 2000 sur les installations de réception portuaires des déchets d'exploitation des navires et des résidus de cargaison, vise à les renforcer, en imposant aux capitaines de navires faisant escale dans les ports des Etats membres de déposer tous les déchets d'exploitation des navires dans une installation portuaire, moyennant le paiement d'une redevance. A ce titre, les Etats membres doivent assurer la fourniture d'installations spécifiques adaptées à l'importance du port et aux catégories des navires y faisant escale. Chaque port doit élaborer un plan de réception et de traitement des déchets.

Ces dernières dispositions sont particulièrement importantes, car elles conditionnent la réalisation de la première : les navires peuvent être contraints de procéder à des déballastages faute d'installations appropriées, suffisamment nombreuses et ne perturbant pas exagérément les contraintes d'exploitation des navires, qui imposent des escales de plus en plus courtes.

Une mission conjointe du Conseil Général des Ponts et Chaussées et de l'Inspection Générale de l'Environnement a été chargée en novembre 2000 par les deux ministres de faire un état des lieux des installations de réception existantes dans les ports et préconiser les mesures à prendre. Cette mission, dont les membres ont fait le tour de la plupart des ports métropolitains continentaux, a conclu que, pour l'essentiel, des moyens de récupération publics ou privés, fixes ou mobiles, existent pour répondre aux obligations souscrites par la France d'abord par la ratification de la convention MARPOL, ensuite par l'adoption de la directive 2000/59.

d) Une action forte, qui s'est cependant heurtée à des réticences de la part des Etats membres

L'exposé des deux paquets Erika I et II illustre le dynamisme et la volonté de l'Union européenne de renforcer la sécurité maritime et de mieux protéger les eaux et littoraux européens.

C'est à ce titre que certains ont pu dire que l'Europe avait mis en place, après l'Erika, un véritable « OPA européen » : les mesures proposées, notamment relatives au contrôle de l'Etat du port, au retrait des pétroliers à simple coque et au fonds d'indemnisation envisagé, se rapprochent en effet fortement du dispositif américain.

Cependant, à la suite du sinistre du Prestige, beaucoup ont, a contrario, fait le procès de l'Union européenne, arguant qu'elle n'aurait rien fait depuis l'Erika pour prévenir la survenance de telles catastrophes. Ces critiques sont pour le moins injustes, au regard de l'ampleur des dispositions adoptées.

Sur ce point, le Rapporteur de la précédente Commission d'enquête, M. Le Drian, a tenu à indiquer : « Les dispositions prises par l'Union européenne en mars et décembre 2000 dans le cadre des paquets Erika 1 et 2 sont de bonnes dispositions. Il est de bon ton d'affirmer que l'Europe n'a rien fait, que l'Europe ne fait rien, que l'Europe est incapable. En fait, l'Europe a agi, et vite. La grande difficulté tient dans la non-applicabilité du dispositif lors du Prestige. »

En effet, la plupart des mesures adoptées par l'Union européenne n'étaient pas encore entrées en vigueur lorsqu'est survenu le naufrage du Prestige.

Pour autant, ce constat met davantage en cause l'action des Etats membres que celle de la Commission : sauf exceptions, les Etats ne se sont guère pressés pour transposer les dispositions communautaires dans leur propre législation.

L'échéance de transposition des directives relatives au contrôle de l'Etat du port et aux sociétés de classification était fixée au 22 juillet 2003 ; pour la directive portant sur la surveillance du trafic, elle était prévue pour février 2004. Cependant, lors du Conseil européen de Nice en décembre 2000, les Etats membres avaient été invités à mettre en œuvre de façon anticipée les dispositions du paquet Erika I. Cette exhortation est restée lettre morte pour la plupart des Etats : en mars 2003, la Commission européenne indiquait que le processus de transposition de ces mesures était loin d'être achevé dans la plupart des Etats et que seuls trois pays -l'Allemagne, le Danemark et l'Espagne- l'avaient réalisé à cette date.

Par ailleurs, l'application des dispositions communautaires par les Etats membres n'est pas toujours satisfaisante, ainsi que l'illustre l'exemple du contrôle de l'Etat du port. La France et l'Irlande ont ainsi été poursuivies devant la Cour de Justice des Communautés Européennes en juin 2002 en raison de leur non-respect du seuil minimal de 25% fixé par la directive 95/21/CE.

Enfin, les Etats membres, s'exprimant lors des conseils des transports successifs, ont fait montre d'un volontarisme moindre que la Commission, notamment en ce qui concerne le calendrier de retrait des pétroliers à simple coque. Sur ce point, le Conseil a préféré adopter le calendrier préconisé par le Parlement européen, moins ambitieux que celui présenté par la Commission. Alors que la Commission proposait initialement un retrait définitif pour les pétroliers de catégorie 1, 2 et 3 respectivement en 2005, 2010 et 2015, le calendrier finalement adopté prévoit une élimination des pétroliers en 2007 pour ceux de catégorie 1 et en 2015 pour ceux de catégorie 2 et 3. De même, les limites d'âge des pétroliers proposées par la Commission oscillaient entre 23 et 30 ans : en définitive, elles sont comprises entre 26 et 30 ans.

La Commission européenne n'a pu, en conséquence, que souligner que si le calendrier qu'elle avait présenté à l'origine avait été retenu, le Prestige, âgé de 26 ans, aurait été interdit de naviguer dans les eaux européennes dès le 1er septembre 2002, alors qu'en application de la législation alors en vigueur, il ne devait être retiré qu'en 2005. Cet argument doit cependant être quelque peu relativisé, puisque le navire transitait au large des côtes européennes et n'a pas fait escale dans un port européen : il n'aurait donc pu être empêché de naviguer que lorsqu'il a été, un temps, rapproché de la côte espagnole.

Cependant, cet exemple illustre les réticences de certains Etats devant les propositions très allantes de la Commission européenne. A cet égard, le rapport précité de MM. Lengagne et Quentin présente de façon particulièrement éclairante la frilosité des Etats membres lors des discussions de certaines directives des paquets Erika I et II, et tout particulièrement celle relative au contrôle de l'Etat du port.

D.- L'OMI ET LES NORMES DE SÉCURITÉ MARITIME

L'Organisation maritime internationale, institution spécialisée des Nations-Unies chargée d'élaborer des dispositions relatives à la sécurité en mer, regroupe aujourd'hui 162 Etats dont les intérêts maritimes sont, par nature, très divergents.

Son organe dirigeant, le Conseil, qui regroupe 40 Etats membres élus par l'Assemblée, est composé de plusieurs collèges pour veiller à une représentation équitable des pays qui ne sont pas tous de grandes puissances maritimes, les pays détenteurs des flottes importantes n'ayant pas les mêmes préoccupations que ceux qui sont avant tout des Etats littoraux très vulnérables en cas de pollution majeure. Un autre collège a pour fonction spécifique d'assurer une répartition géographique équilibrée des membres du Conseil.

1.- Les décisions de l'OMI, expressions d'un consensus

La Commission d'enquête tient à dénoncer une idée fausse qui est très largement répandue, selon laquelle les droits de vote à l'OMI seraient proportionnels au tonnage de la flotte marchande immatriculée dans les pays, alors que chaque Etat membre dispose d'une voix lors des votes.

Il paraît important de démentir cette contre-vérité car elle sert souvent de justification à l'idée que les Etats européens ne peuvent avoir aucune influence à l'OMI, compte tenu de la faiblesse de leur flotte immatriculée sous pavillon national.

En réalité, même si l'adoption des normes internationales au sein de l'OMI suit un processus de discussion généralement long, il n'en demeure pas moins que des Etats déterminés peuvent demander à ce que les Etats membres examinent leurs propositions de réforme dans des délais rapides, comme le prouve, par exemple, l'examen dès le 14 juillet prochain par le Comité de la protection du milieu marin de l'OMI de la proposition des pays européens et de la Commission européenne de transposer, au niveau international, les décisions communautaires relatives à l'élimination accélérée des pétroliers à simple coque.

Depuis sa création, l'OMI a permis la signature d'une quarantaine de conventions mais a surtout contribué à élaborer une doctrine très riche sur différentes questions maritimes. Ces quelques 800 recueils de règles et de recommandations n'ont pas de portée contraignante mais ils servent de référence et ont souvent été intégrés dans les législations nationales.

L'OMI est également une instance internationale où peuvent s'exprimer tous les acteurs du monde maritime car, au-delà des Etats membres, une cinquantaine d'organisations -dont la Commission européenne-, disposent d'un statut d'observateur et peuvent donc influer sur les débats, les grandes décisions étant prises par consensus sans recours au vote.

2.- Un contrôle défaillant de l'application des conventions

L'OMI a souvent été accusée d'immobilisme, ce qui paraît excessif, au regard du nombre de textes adoptés. Il serait plus exact de dire que l'OMI est une institution trop impuissante. En effet, elle ne dispose d'aucun pouvoir pour inciter les Etats à ratifier les conventions qui ont fait l'objet d'un consensus, mais surtout elle n'est dotée d'aucun pouvoir pour contrôler l'application de ses propres conventions, et encore moins d'un pouvoir de police pour sanctionner leur violation.

Lors de la journée mondiale de la Mer de 2002, l'OMI a fait valoir que la plupart des accidents de navigation maritime, les pertes en vies humaines et la pollution qui en découlent ne résultent pas d'une insuffisance de réglementation au niveau mondial, mais sont la conséquence directe de l'inefficacité des mesures prises par l'Etat du pavillon pour faire appliquer les règles en vigueur. Pour prévenir les accidents de navigation, il semblerait donc qu'il faille, non pas adopter davantage de règles, mais plutôt veiller à ce que les règles existantes soient effectivement appliquées.

Le précédent secrétaire général de l'OMI, M. William O'Neill, a souligné devant la délégation de la Commission d'enquête qu'une plus grande sécurité de la navigation supposait que tous les agents du secteur de la navigation se préoccupent réellement de sécurité. Mais la pleine application des règles et règlements en vigueur ne peut être obtenue que si tous ceux qui participent au fonctionnement des navires sont convaincus de la nécessité d'appliquer ces règles et règlements et se montrent en pratique déterminés à le faire.

Cette déclaration témoigne d'une réelle évolution de l'OMI, qui est aujourd'hui beaucoup plus impliquée dans une politique de sécurité maritime.

Longtemps viscéralement attachée à la liberté des mers et donc opposée à toute décision qui limiterait la liberté de navigation, l'OMI a évolué, suite aux grandes marées noires et à face à l'opacité grandissante des acteurs du monde maritime, lesquels ont recours à de multiples sociétés écrans ou à des « traders » pour se dédouaner de toute responsabilité.

On peut ainsi citer quelques acquis indéniables négociés au sein de l'OMI.

3.- Quelques exemples de normes négociées au sein de l'OMI

a) Le retrait progressif des pétroliers à simple coque

L'OMI a tout d'abord adopté un plan de retrait progressif des pétroliers à simple coque, décidé par la résolution du 27 avril 2001. Le calendrier établi pour accélérer l'abandon progressif des navires à simple coque, qui a été adopté, après la catastrophe de l'Erika, sous la forme d'une révision de la règle 13G de l'annexe I de MARPOL 73/78, est entré en vigueur le 1er septembre 2002 en même temps que le système d'évaluation de l'état du navire (CAS), qui constitue une procédure d'inspection renforcée spécialement élaborée pour détecter les faiblesses structurelles des pétroliers à simple coque.

Cette inspection, effectuée tous les deux ans et demi par l'Etat du pavillon, en pratique par la société de classification agissant par délégation, vise à vérifier l'intégrité structurelle du pétrolier et à évaluer la qualité des travaux d'entretien qui ont été faits sur ces pétroliers. Une base de données informatisée a été mise en place pour regrouper les informations concernant les déclarations de conformité pour les pétroliers qui ont satisfait aux exigences du système d'évaluation.

Ces dispositions pourraient cependant être modifiées, puisque les Etats membres de l'Union européenne ont obtenu que des discussions s'engagent à l'OMI en juillet prochain pour accélérer encore le retrait des navires à simple coque et pour que le système d'évaluation de l'état du navire soit appliqué, à partir de 2005, à tous les pétroliers qui ont plus de 15 ans, y compris aux petits bâtiments de moins de 20 000 tonnes.

Ecart entre la nouvelle et l'ancienne réglementation

 

Ancienne réglementation

Nouvelle réglementation

Catégorie 1 : Pétroliers à simple coque, taille « MARPOL », sans citerne protectrice

2007/2012

2007

Catégorie 2 : Pétroliers à simple coque, taille « MARPOL », avec protection partielle de la zone des citernes de cargaison

2026

2015

Catégorie 3 : Pétroliers à simple coque au-dessous de la taille « MARPOL » (moins de 20 000 tpl)

Aucune échéance

Source : OMI

b) La sécurisation des vraquiers

L'OMI a aussi adopté des mesures pour sécuriser les vraquiers. La perte de 116 vraquiers et de 618 vies humaines au cours des 10 dernières années, ainsi que les récentes études sur la sécurité des vraquiers, ont montré la nécessité de prendre de nouvelles mesures pour renforcer la sécurité.

Dans cette perspective, l'OMI a modifié le chapitre XII de la convention SOLAS en décembre 2002 pour y introduire de nouvelles dispositions concernant l'installation de systèmes d'alerte de niveau élevé et de systèmes de surveillance des niveaux sur tous les vraquiers avant le 1er juillet 2004, indépendamment de la date de construction.

A compter du 1er juillet 2002, les nouveaux navires doivent répondre aux normes énoncées dans le chapitre V révisé de la convention SOLAS, qui imposent l'installation de systèmes et de matériels de navigation, tels que le système mondial de navigation par satellite (GNSS), le système électronique de visualisation des cartes marines (ECDIS), le système d'identification automatique (AIS) et l'enregistreur des données de voyage (VDR).

c) La généralisation de l'AIS

En outre, du fait des amendements adoptés à la Conférence SOLAS en décembre 2002, les pétroliers et les navires de moins de 50 000 tonnes brutes, autres que les bateaux de transport de passagers, devront obligatoirement être équipés d'un système d'identification automatique au plus tard le 31 décembre 2004. Cette dernière décision est très importante pour la sécurité maritime car la généralisation de l'AIS facilitera la mise en place, dans les zones sensibles, de procédures de suivi de trafic. Aujourd'hui, les services de surveillance du littoral doivent demander aux navires de s'identifier eux-mêmes spontanément.

d) Les normes sociales applicables aux équipages

L'OMI a aussi entrepris un travail de longue haleine pour tenter d'améliorer les conditions de travail des équipages. Le rapport de la Commission d'enquête sur l'Erika avait déjà longuement insisté sur l'importance des erreurs humaines, souvent consécutives à une fatigue excessive, à une formation insuffisante, à des effectifs trop faibles et à des difficultés de communication claire dans une langue commune pour des équipages souvent plurinationaux. Ces difficultés ont de nouveau été confirmées lors des auditions devant la Commission, que ce soit par les représentants des capitaines, dirigeants de l'AFCAN (Association française des capitaines de navires), ou par le préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord, l'Amiral Pinon.

Or les instruments que les Etats du pavillon doivent prendre en considération, lorsqu'ils légifèrent en matière d'effectifs, de pratiques, des conditions de travail et de la formation des équipages, sont indiqués dans la convention SOLAS (normes en matière d'effectifs), les instruments de l'OIT (normes de travail) et la convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (convention STCW relative aux normes de formation). Aussi a-t-il été décidé de mettre en place un groupe de travail commun avec l'OIT pour traiter, notamment mais pas seulement, des problèmes très douloureux posés par les marins abandonnés. Cette question doit être impérativement réglée, y compris pour ses incidences potentielles en matière de sécurité. En effet, l'exigence légitime d'une caution financière systématique et élevée en cas, par exemple, de déballastage illicite, peut conduire l'armateur à abandonner purement et simplement son bateau et l'équipage qui le conduit, ce qui ne règlerait rien.

Pour sa part, l'OMI a continué de s'employer à faire en sorte que soient appliquées les normes minimales énoncées dans les amendements apportés en 1995 à la convention STCW de 1978. Selon le comité de la sécurité maritime, 108 Etats sur les 144 qui sont actuellement parties à la convention lui ont communiqué des informations permettant de confirmer qu'ils ont donné pleinement effet aux dispositions pertinentes de la convention STCW. En l'occurrence, depuis 1997, c'est à un sous-comité (sous-comité FSI) de l'OMI que revient la mission de vérifier les méthodes de gestion, de formation et les conditions de délivrance des brevets appliquées par les Etats signataires de la convention STCW. C'est l'unique convention pour laquelle l'OMI dispose d'un pouvoir de contrôle sur les Etats Membres, avec comme sanction possible l'impossibilité pour les Etats concernés de voir la qualité de leurs marins reconnue au plan international.

Le nombre total de gens de mer à l'échelle mondiale est estimé à 1 227 000, dont 404 000 officiers et 823 000 hommes d'équipage, venant d'un nombre relativement réduit de pays fournisseurs de main-d'oeuvre. Selon un rapport établi récemment par le BIT, des variations considérables dans les conditions de vie et de travail subsistent entre des navires qui battent des pavillons différents, et les gens de mer non domiciliés sont victimes de discrimination.

Etant donné que seulement 28% des Etats de libre immatriculation -qui ont en général tendance à employer des non-nationaux- disposent d'une législation nationale qui protège les gens de mer non-nationaux, les pays fournisseurs de main-d'oeuvre ne peuvent pas assurer la protection légale de leurs gens de mer qui travaillent sur des navires battant pavillon étranger. L'OIT et l'OMI en ont conclu qu'il était nécessaire de revoir et de mieux appliquer la réglementation aux niveaux national et international pour protéger les gens de mer. En outre, l'OMI a noté l'absence de réglementations nationales pour veiller à l'application du droit pénal à bord des navires et s'emploie à rassembler des informations sur la pratique et le droit national des Etats.

Le rapport du BIT a été examiné en mai 2002, lors d'une réunion tripartite composée d'experts sur les conditions de travail et de vie des gens de mer à bord de navires immatriculés sur les registres internationaux. Au cours des discussions, on a fait valoir que le « lien substantiel » entre l'État du pavillon et le navire, qui est requis au paragraphe 91 de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, était fondamental en matière de travail décent en mer. Par ailleurs, les Etats du pavillon dont la législation nationale ne couvre pas les gens de mer non domiciliés ne s'acquittent pas des obligations qui leur incombent en vertu de l'article 94 de la convention. Les experts ont estimé qu'il y aurait lieu d'envisager de mettre en place un mécanisme permettant de déterminer dans quelle mesure les Etats du pavillon appliquent les instruments de l'OIT.

Les experts ont souligné l'importance d'un certain nombre de principes et de droits, notamment les suivants :

- l'Etat du pavillon doit assumer l'entière responsabilité du respect des droits des gens de mer en service à bord des navires battant son pavillon ;

- chaque Etat doit disposer des moyens d'imposer des conditions de vie et de travail décentes sur les navires battant son pavillon, où qu'ils se trouvent dans le monde ;

- chaque Etat doit disposer des mécanismes nécessaires au contrôle des conditions de vie et de travail sur les navires visitant ses ports, conformément aux instruments internationaux en vigueur ;

- chaque Etat doit instaurer des procédures simples et peu onéreuses permettant à tous les gens de mer, quels que soient leur nationalité ou leur domicile, d'introduire facilement des recours pour violation de la législation nationale régissant les conditions de vie et de travail ou pour non-respect d'un contrat d'emploi ou d'une convention.

II.- UNE FORTE ACCÉLÉRATION CONSÉCUTIVE A LA CATASTROPHE DU PRESTIGE

A.- AU PLAN NATIONAL : UN SURSAUT PARTICULIÈREMENT MARQUÉ

La catastrophe du Prestige a provoqué un véritable électrochoc chez nos concitoyens et pour les autorités publiques, qui ont soudainement réalisé que certains engagements solennels pris après le naufrage du Prestige n'avaient pas été tenus. Il convenait donc montrer que la sécurité n'avait jamais cessé d'être une priorité nationale.

C'est ce qui justifie que certaines mesures spectaculaires nouvelles aient été prises dans l'urgence pour défendre le littoral français. Pour autant, il restera évidemment du chemin à parcourir.

Même si la France ne possède pas une flotte marchande importante, elle peut jouer un rôle décisif pour l'adoption de mesures favorables à la sécurité maritime, tant au niveau communautaire qu'au sein de l'OMI. Mais pour ne pas perdre toute crédibilité, encore faut-il qu'elle soit irréprochable dans l'application des mesures qu'elle a elle-même prônées, et qu'elle montre une véritable détermination pour appliquer dès que possible les mesures de régulation du trafic maritime.

1.- Les mesures opérationnelles adoptées sous l'effet de la crise du Prestige

a) Les accords de Malaga et leur mise en œuvre immédiate : le premier bilan de l'éloignement des navires

Face aux critiques acerbes de l'opinion publique sur l'impuissance des autorités publiques lors de la dérive du Prestige, les autorités françaises et espagnoles ont arrêté, lors du sommet de Malaga le 26 novembre 2002, des mesures applicables immédiatement pour éloigner des zones côtières les navires sous-normes, potentiellement dangereux pour l'environnement marin et pour le littoral.

Comme l'a fort bien expliqué l'amiral Jean-François Cot, adjoint du secrétaire général de la mer, ces mesures visaient à stopper la progression préoccupante du trafic de bateaux suspects en transit au large de nos côtes et qui, ne faisant pas escale dans un port européen, ne peuvent faire l'objet d'aucun contrôle au titre de l'Etat du port.

Aux termes de l'accord de Malaga, dont le Portugal a également appliqué les dispositions, les parties sont convenues d'une mesure d'effet immédiat pour contrôler les navires dangereux du même type que le Prestige, c'est-à-dire les pétroliers de plus de quinze ans à simple coque, transportant du fioul lourd ou du goudron et dépourvus de dispositifs de mesures de niveau et de pression des hydrocarbures dans les soutes permettant de détecter si le bâtiment est en surcharge.

Dorénavant, les armateurs et affréteurs de ce type de navires se présentant à l'entrée de la ZEE de la France et de l'Espagne doivent obligatoirement fournir toutes les informations requises concernant l'Etat du pavillon, la nature exacte de la cargaison, la société de classification, les contrôles effectués sur le navire dans le port de départ avant l'appareillage et l'ensemble des opérateurs concernés par l'application commerciale. En cas de doute, il peut être procédé à une inspection en mer par des contrôleurs de l'Etat côtier, et le navire peut être refoulé.

Les autorités étaient conscientes de la fragilité de la base juridique de ces dispositions, mais comme l'a souligné M. Jean-François Cot :

« Certes, ces dispositions ne se fondaient pas sur le droit international puisque, par exemple, la Manche est un détroit international avec liberté de passage.

Toutefois, dans l'urgence et compte tenu des contraintes des procédures actuelles, que ce soit en matière communautaire ou plus encore au sein de l'Organisation maritime internationale, nous ne pouvions pas attendre. »

Il convient néanmoins d'indiquer que le droit de la mer permet à l'Etat côtier de prendre dans la zone économique exclusive certaines mesures de contrôle de la navigation pour protéger l'environnement marin.

En application de l'article 55 de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay : « la zone économique exclusive est une zone située au-delà de la mer territoriale et adjacente à celle-ci, soumise au régime particulier établi par la présente partie, en vertu duquel les droits et la juridiction de l'Etat côtier et les libertés des autres Etats sont gouvernés par les dispositions pertinentes de la convention. »

La ZEE peut, en vertu de l'article 57 de la convention, s'étendre jusqu'à 200 milles des lignes de base -soit sur 188 milles pour les Etats qui ont établi une mer territoriale. Plusieurs dispositions de la convention précisent les droits et les obligations de l'Etat côtier dans la ZEE.

Ainsi, l'article 56, dans son premier paragraphe, alinéa b, point iii, reconnaît à l'Etat côtier juridiction en ce qui concerne « la protection et la préservation du milieu marin. »

Quant à l'article 220 de la convention, il précise les pouvoirs que l'Etat côtier peut exercer, lorsqu'il a de sérieuses raisons de penser qu'un navire naviguant dans sa ZEE a commis une infraction aux règles et normes internationales. Cet article dispose que cette infraction peut revêtir la forme de rejets importants dans le milieu marin, qui y ont causé ou risquent d'y causer une pollution notable, ou encore celle de rejets qui ont causé ou risquent de causer des dommages importants au littoral ou aux intérêts connexes de l'Etat côtier ou à toutes ressources de sa mer littorale ou de sa ZEE.

Dans le premier cas, l'Etat côtier peut procéder à l'inspection matérielle du navire. Dans le second cas, il peut « notamment ordonner l'immobilisation du navire conformément à son droit interne. »

Dans le cadre de l'accord franco-espagnol de Malaga, c'est l'article 56 de la convention qui a été invoqué, en vue de limiter le transit dans la zone des 200 milles des pétroliers à simple coque transportant du fioul lourd.

Le premier bilan de ces mesures est largement positif, selon l'appréciation portée par plusieurs interlocuteurs de la Commission.

Selon M. Jean-François Cot, le détournement de trafic s'est fait sans difficulté, mais il faudrait sans doute compléter ces mesures pour rendre impossible le trafic en Manche de ces mêmes navires suspects :

« Depuis le début de l'opération, entre fin novembre et la date arrêtée du 7 mars, nous avons contrôlé trente-deux bâtiments, c'est-à-dire que trente-deux bâtiments ont pour la plupart été priés de quitter la zone économique française. Il convient toutefois de noter que, quand ils se présentent en venant du Nord, ils ne sont pas forcés de passer dans la zone économique française et qu'ils peuvent longer les côtes britanniques. C'est d'ailleurs ce qu'ils font le plus souvent, sans trop de difficultés. Nous veillons simplement à ce qu'ensuite, quand ils prennent la direction du Sud, s'ils vont en Méditerranée par exemple, ils s'éloignent à plus de 200 milles de nos côtes et des côtes espagnoles. (...)

Depuis le début des opérations, nous avons contrôlé et dérouté une bonne moitié de ces trente-deux navires qui, pour la plupart, ont accepté sans trop de difficultés, sauf ce navire grec (Enalios Titan) sur lequel nous avons envoyé une équipe d'évaluation. Cela lui a montré notre détermination. Certes, il n'est pas question de menacer de couler un tel bâtiment, mais de l'inciter fortement à quitter la zone, ce qu'il fait en général quand il voit arriver à la verticale un hélicoptère SuperFrelon avec une équipe déterminée, notamment un inspecteur de la sécurité des navires. »

Le premier bilan apporte des informations intéressantes, comme par exemple l'origine des navires considérés comme suspects : deux tiers de ces navires avaient une origine européenne, avec cependant une forte proportion (de 25% !) de bateaux battant pavillon maltais et, dans une moindre mesure, chypriote. Les pavillons de libre immatriculation, incluant Malte, le Libéria, les Bahamas et Chypre, représentent une part importante, de l'ordre de deux tiers, du total des navires considérés comme « à risque ». La très grande majorité (28 sur 32) effectuait une navigation descendante, donc en zone anglaise.

Bilan des mesures d'exclusion des navires « Malaga » traités
par la préfecture maritime Manche-Mer du Nord

Etat du pavillon

Nombre de navires éloignés

Au 7/3/2003

Nombre de navires éloignés

Au 15/6/2003

Malte

8

13

Libéria

8

9

Norvège

3

4

Bahamas

2

5

Chypre

2

4

Grèce

2

2

Suède

2

2

Russie

1

1

Pays-Bas

1

3

Luxembourg

1

1

Italie

1

1

France

1

1

Lituanie

0

1

Royaume-Uni

0

1

Total

32

49

Source : Préfecture maritime de la Manche-Mer du Nord

Le bilan au 15 juin, pour la même zone, traduit une répartition sensiblement analogue. A cette date, 49 mesures d'éloignement ont été prises, et se sont traduites par 12 mises en demeure formelles, 4 demandes de ne pas entrer dans la ZEE, 2 demandes de contrôles par l'Etat du port. Parmi les 49 navires concernés, les deux tiers arboraient un pavillon d'un Etat-membre de l'Union européenne (11) -dont un français-, ou candidat à l'adhésion (22).

Ces différentes données concernent uniquement la préfecture maritime de la Manche-Mer du Nord, mais la préfecture maritime de l'Atlantique a, naturellement, également eu à prendre le même type de mesures d'éloignement.

Ces mesures semblent avoir eu une influence notable sur la qualité de la flotte qui croise au large des eaux européennes, en incitant notamment les exportateurs russes et baltes à modifier leur pratique d'affrètement. Cette appréciation, d'ordre qualitatif, est certes difficile à quantifier, mais M. Jean-François Cot a souhaité souligner le fait suivant :

« Nous avons constaté qu'en Baltique, les exportateurs russes, au sens large, avaient conservé des bateaux plus récents et déplacé les bateaux plus anciens, dans un premier temps, vers la mer Noire et, dans un deuxième temps, vers les pays d'Extrême-Orient et le Golfe Persique. A cet égard, les mesures de Malaga ont certainement apporté une amélioration..... Il me semble que nous sommes donc sur la bonne voie, mais il faut néanmoins se méfier des effets secondaires sur les autres régions du monde. »

Nous aborderons dans la troisième partie du rapport les possibilités de doter la Manche d'un statut de Zone particulièrement vulnérable, ce qui permettrait d'éviter tout trafic de pétrolier vétuste dans le chenal de la Manche, où un sinistre majeur aurait des conséquences catastrophiques compte tenu de la densité de l'habitat et de la présence à terre de nombreuses usines à risques classées SEVESO.

b) Le redressement remarquable du taux de contrôle de l'Etat du port en France

Le contrôle de l'Etat du port a, en France, après le choc du Prestige -qui n'a jamais, dans son voyage, accosté dans un port français et n'aurait donc pas pu y subir un tel contrôle- connu un sursaut réellement spectaculaire : alors que le taux de contrôle ne s'élevait qu'à 15% en septembre 2002, il a bondi à 30,8% à la fin décembre 2002, avec des moyens pourtant relativement inchangés.

EVOLUTION DU TAUX MENSUEL DE CONTRÔLE DE L'ETAT DU PORT EN FRANCE

graphique
Source : DAMGM

Ces chiffres, pour importants qu'ils soient, ne doivent pas faire oublier le travail de longue haleine, mené depuis plusieurs années, pour permettre le recrutement durable d'inspecteurs qualifiés.

Au-delà de l'objectif quantitatif d'un taux moyen de contrôle 25%, il faut aussi s'interroger sur la qualité de ces inspections.

Comme le soulignait M. Christian Serradji : « La politique de contrôle s'évalue par le nombre de contrôles effectivement faits mais aussi par leur qualité, qui inclut les déficiences reconnues, les détentions de navires et le nombre de navires bannis. C'est le premier point. Le deuxième est que les mêmes inspecteurs ont pour premier devoir, avant le contrôle de l'Etat du port, de réaliser celui de l'Etat du pavillon. Notre contrôle concerne les bateaux de pêche, de plaisance et de commerce.

Pour ce qui est de l'Etat du pavillon français, les Mémorandums de Paris, de Tokyo, ou des Caraïbes soulignent que les bateaux battant pavillon français sont les moins retenus dans le monde. »

Précisons toutefois sur ce point que, pour la France, le taux de détention des navires suite à des inspections dans le cadre du Mémorandum de Paris s'élevait à 12,3% en 2001, contre une moyenne de 9% pour l'ensemble des pays signataires.

évolution du taux mensuel de détention des navires contrôlés

graphique
Source : DAMGM

La Commission d'enquête est bien consciente que le sursaut provoqué par le Prestige sera difficile à maintenir car les mesures de Malaga vont encore accroître les besoins en inspecteurs expérimentés. De plus, de fortes variations saisonnières doivent être gérées avec un effectif constant d'inspecteurs, car, à la belle saison, les navires à passagers, beaucoup plus nombreux, nécessitent un volant supérieur d'inspecteurs pour maintenir un taux d'inspection acceptable.

Selon M. Serradji, le renforcement de la politique de sécurité maritime décidée en décembre 2002 au niveau communautaire et l'application des mesures Malaga vont rendre indispensables des recrutements supplémentaires. Lors de son audition, il a observé :

« Si j'ajoute à ces demandes les principes de Malaga, ce sont dix-huit postes d'inspecteurs qui sont nécessaires pour l'évaluation des navires, inspecteurs qui doivent être formés à l'héliportage sur les navires. Evaluation ne veut pas dire simple inspection. Ces gens doivent avoir déjà une grande expérience et être capables d'évaluer à l'oeil le comportement du navire en pleine mer. Ces contrôles sont effectués in situ. Pour ces inspections d'évaluation, j'ai utilisé des personnes ayant déjà une grande expérience. C'est ainsi que nous pouvons jouer notre rôle, selon les voeux du Président de la République. »

c) Les moyens de traiter la lutte contre la pollution à terre : coordination par le préfet de zone de défense, moyens financiers adaptés

Une des réussites incontestables de la gestion de la crise du Prestige réside dans le rôle de coordination joué par le préfet de zone de défense. Le renforcement des pouvoirs du préfet de zone prévus par l'instruction de 2002 a ainsi montré toute sa pertinence.

Rappelons en effet que l'instruction cadre du 2 avril 2001 puis l'instruction générale du 4 mars 2002 renforcent fortement les compétences du préfet de zone dans la gestion de la crise, ce qui constitue une amélioration indéniable en matière d'articulation des opérations terrestres :

- le premier texte attribue au préfet de zone la mission d'assurer la liaison entre l'échelon local et l'échelon national pour l'ensemble des questions qui ne relevaient pas de la compétence du préfet maritime ;

- le second texte prévoit l'automaticité de la prise en charge par le préfet de la zone de défense de la coordination de l'ensemble des opérations dès lors qu'un plan POLMAR-mer et qu'un ou plusieurs plans POLMAR-terre ont été déclenchés.

Dans la gestion de la crise, le rôle de coordination du préfet de zone est allé au-delà des principes fixés par les textes réglementaires initiaux, notamment pour la gestion financière des mesures antipollution, qui a fait l'objet d'un décret spécifique, faisant du préfet de zone l'ordonnateur secondaire des crédits.

En effet, l'instruction du 4 mars 2002 relative au fonds d'intervention contre les pollutions accidentelles prévoyait que le fonds était géré par le ministre chargé de l'Environnement et que les préfets intéressés adressaient au ministre une évaluation des crédits nécessaires avec une programmation de leur emploi.

Lors de la crise du Prestige, M. Christian Frémont a été désigné coordonnateur de la cellule financière POLMAR de la zone de défense et, à ce titre, ordonnateur secondaire, fonction qui n'était pas prévue par la circulaire de mars 2002.

Au cours de son audition M. Frémont a fait part de cette expérience très positive :

« Sur le plan financier, le ministère des Finances a décidé, de manière tout à fait originale, de déléguer, à partir du 20 février, les crédits du fonds d'intervention POLMAR au préfet de zone, qui les a utilisés lui-même. Cela signifie que toutes les factures émanant des collectivités territoriales, notamment concernant le nettoyage des plages, étaient adressées aux services de la préfecture d'Aquitaine. Comme, par ailleurs, le ministère des Finances m'avait autorisé à utiliser une procédure comptable extrêmement simplifiée, nous sommes parvenus à un résultat inhabituel. En effet, les factures présentées par les maires étaient payées en général dans un délai de quarante-huit heures, ce qui a permis de faire baisser la tension au plan local et de travailler de manière très efficace. »

Durant la crise, les préfets de départements ont conservé leurs missions traditionnelles de centralisation des remboursements et d'appréciation de leur éligibilité, mais le préfet de zone a pu trancher les cas litigieux et parvenir à une doctrine homogène pour tous les départements de la zone, pour la détermination des dépenses remboursables au titre de la lutte contre la pollution.

Les élus locaux entendus par la Commission d'enquête ont été quasi unanimes pour se féliciter de cette cellule financière qui a permis, après un début de crise très difficile pour les élus locaux, qui ne savaient pas à quelle hauteur l'Etat pourrait financer la dépollution, d'être remboursés dans des délais satisfaisants. En un mot, cette cellule centralisée auprès du préfet de zone a permis une simplification considérable dans les procédures de remboursement aux collectivités locales.

Cette centralisation au niveau zonal a permis aussi de mieux maîtriser le niveau des fonds publics engagés. Le préfet de zone a d'ailleurs regretté de n'avoir pu jouer un rôle en amont pour la coordination des moyens. Il a ainsi constaté :

« La coordination des moyens a été décidée courant janvier. Auparavant, beaucoup d'achats de prévention avaient été faits par les préfets, dont peu se sont révélés réellement utiles car c'est quand la crise a été là que nous avons identifié les besoins. Je suis tout à fait convaincu que l'on peut améliorer le dispositif en donnant à la préfecture de zone la responsabilité de l'achat des matériels nécessaires. A charge pour elle ensuite de les répartir immédiatement en cas d'arrivée de pollution. Des économies auraient été possibles si l'organisation actuelle avait été anticipée. Si j'avais pu centraliser les moyens de prévention dès le début, j'aurais dépensé moins d'argent que cela a été fait »

Mme Bernadette Malgorn, préfète de la zone de défense Ouest a, quant à elle, souligné l'intérêt d'une gestion financière quelque peu détachée des pressions du terrain :

« Sans savoir quelle région a la palme de l'économie, nous avons assez vite « affiché la couleur ». Notamment par rapport à certains de mes collègues préfets de département qui ont été soumis à des pressions, j'avais indiqué dès le début -à partir du moment où j'ai été désignée ordonnateur secondaire des crédits- que concernant les moyens mobilisés -puisqu'il a été prévu que les collectivités locales pourraient recruter des personnels pour traiter la pollution-, qu'il appartenait au préfet de département, en relation avec moi, de faire « démarrer le chronomètre », afin que l'on sache où l'on va et que les personnels en question travaillent à la mission de dépollution et non pas à autre chose. C'est l'un des intérêts de la déconcentration zonale des crédits, que de permettre une telle gestion préventive. »

Une autre leçon très positive de la crise du Prestige a été la maîtrise et la transparence de l'information. A ce titre, la doctrine administrative devra veiller à garder trace de l'organisation mise en place pour la crise du Prestige en matière de cellule de communication unique, car elle a permis une information adaptée de la population, des élus et de l'opinion.

Mme Malgorn a aussi souligné l'acquis du Prestige en matière de transparence de l'information :

«Il faut constater, à l'occasion de l'affaire du Prestige, notamment par rapport au cas de l'Erika, que l'information a été donnée en temps réel et de manière transparente, de façon uniforme et ouverte vers le grand public. Par rapport à certaines disparités d'informations observées lors des catastrophes précédentes, cette fois-ci, il faut noter le regroupement des compétences entre l'IFREMER, le SHOM, Météo France, le CEDRE et les services des préfectures maritimes et départementales qui ont aussi leur système d'observation, tels que la gendarmerie, etc. Tout cela fait l'objet d'une cartographie commune qui est mise en ligne et que l'on peut observer par internet de façon directe. »

d) Le lancement de la mission sur les zones de refuge

Pour respecter les engagements communautaires, selon lesquels les Etats membres devaient anticiper la mise en œuvre de la directive 2002/59/CE du 27 juin 2002 relative au suivi des navires et, pour ce faire, établir des plans d'accueil pour les navires en détresse dans des zones de refuge, les ministres chargés de l'Environnement et de la Mer ont confié à trois inspecteurs généraux une mission interministérielle pour proposer une méthodologie permettant de recenser les lieux de refuge potentiels du littoral français.

Au cours de leur audition, les trois inspecteurs généraux, qui n'ont pas encore remis leur rapport, ont donné quelques indications sur les caractéristiques des zones de refuge.

Ils ont notamment insisté sur le fait que leur rapport ne publierait pas une liste de lieux de refuge mais définirait une méthode pour évaluer les possibilités existantes selon chaque type de menace (pollution chimique, incendie, risque de marée noire...). L'objectif a donc été d'aider les autorités maritimes et terrestres à évaluer au mieux le danger représenté par un navire en difficulté.

Voici comment M. Pierre Roussel, secrétaire général de l'Inspection générale de l'Environnement, a résumé la démarche de la mission :

« Dans cette perspective, quels moyens faut-il donner, et de quels moyens dispose déjà cette autorité maritime pour apprécier la situation ? De quelles expertises supplémentaires doit-elle pouvoir disposer ou mobiliser instantanément ?

Ensuite, le fait de prendre cette décision suppose -et c'est une composante importante du plan- d'avoir préétabli une typologie des lieux de refuge possibles, une caractérisation de ces différents lieux, qui ne sont pas nécessairement des ports, mais qui peuvent être des rades abritées ou tout autre lieu, sachant que le fait d'amener le navire à terre n'est pas forcément la moins mauvaise solution.

Il convient d'apprécier la situation initiale, il conviendra de l'apprécier tout au long de son évolution, et ensuite, il faudra choisir la solution. Actuellement, instruction a été donnée aux préfets maritimes de préparer cette typologie des lieux de refuge possibles, port ou non, de façon à ce qu'ils aient toujours à leur disposition tel ou tel lieu capable d'accueillir tel ou tel type de navire.

Si la décision finale de recourir à un lieu de refuge est prise, il faudra revenir, premièrement, sur le processus de décision et, deuxièmement, sur la discussion entre les autorités maritimes et les autorités portuaires afin de savoir comment leur permettre de construire ensemble cette solution.

A partir du moment où la décision est prise, il faut amener le bateau au lieu de refuge avec, dans ce cas, une définition claire des pouvoirs juridiques de l'autorité qui a pris cette décision.

Après mûre réflexion, nous avons proposé que cette décision, compte tenu de son caractère politique global et de l'énormité des enjeux qui en découlent, qui peuvent se compter en milliards d'euros, relève d'une autorité politique et il semblerait que le gouvernement s'oriente vers le choix du ministre chargé des ports. »

Les inspecteurs ont insisté sur une difficulté juridique que la problématique des lieux de refuge exigera de résoudre. Dans l'ordre juridique actuel, lors de la prise de décision de faire entrer dans un port un navire en difficulté, deux autorités risquent d'être en conflit : le préfet maritime a le pouvoir de détourner un navire en danger pour limiter les risques de naufrage ou de pollution, mais l'autorité portuaire tient du code des ports la capacité d'apprécier si elle peut ou non laisser entrer un navire dans un port, en veillant à la préservation des intérêts et de la sûreté du port.

Actuellement, une solution a été trouvée à ce conflit de pouvoirs, mais cette instruction sera insuffisante en cas de généralisation de la procédure des lieux de refuge, car rien n'est dit sur les capacités d'expertise à mettre en œuvre avant la prise de décision par le préfet maritime.

En effet, M. Roger Bosc, inspecteur général des Affaires maritimes, a rappelé :

« Nous avons en France un véritable problème puisque nous avons le choc de deux responsabilités qui se heurtent. Ce problème s'est déjà posé depuis plusieurs années et a été résolu au cas par cas, mais il a donné lieu le 2 avril 2002 à une instruction du Premier ministre qui anticipe sur le plan que nous sommes en train de proposer et qui prévoit la façon dont l'autorité maritime d'une part, le préfet et l'autorité portuaire d'autre part, doivent se concerter face à un problème de navire en difficulté, pour dégager ensemble la meilleure solution possible -accueil du navire ou pas accueil du navire.

En cas de non-accord, un arbitrage a été prévu par l'instruction de 2002 du Premier ministre, arbitrage confié au directeur du Transport maritime, des ports et du littoral. C'est cette instruction qui est en arrière-plan de nos réflexions, qui a été très utilisée et qui ne sera pas du tout infirmée mais confortée, complétée et précisée sur le problème de l'arbitrage entre les deux pouvoirs que nous avons plus spécialement traité. »

Les Etats européens doivent transmettre à la Commission européenne un premier document sur les lieux de refuge pour le 1er juillet 2003. Un des points les plus complexes sera de déterminer le régime de responsabilité applicable au port qui accepte d'accueillir le navire en difficulté et selon quelles modalités il pourra être indemnisé des dommages de pollutions causés par le remorquage du bateau.

Il semble pour l'instant prématuré de confier à l'Agence européenne de sécurité maritime une responsabilité décisionnelle pour la désignation des lieux de refuge ; en revanche, elle pourrait apporter un appui technique précieux pour l'évaluation des équipements portuaires nécessaires pour traiter des pollutions ou des navires endommagés.

e) La modification du rail d'Ouessant : simplifier pour mieux garantir

Le dispositif de séparation de trafic tel qu'il existait pour le rail d'Ouessant ne paraissait plus adapté à l'évolution du trafic maritime et comportait un facteur de risque supplémentaire. En effet, il conduisait à un croisement des routes maritimes, qui nécessitait donc de multiples manœuvres anti-collisions particulièrement risquées dans une zone très fréquentée, où circulent des navires à grande vitesse comme des bâtiments de très grand gabarit peu manoeuvrants.

Lors de son audition, l'amiral Gheerbrant présentait ainsi les caractéristiques de cette zone :

« Le contexte, vous le connaissez, c'est d'abord la zone de concentration du trafic maritime d'Ouessant avec 150 à 200 bateaux par jour et, pour mémoire, le passage quotidien de 300 000 tonnes d'hydrocarbures et de 150 000 tonnes de produits chimiques ou gaz. La zone est aussi caractérisée par une météo que j'appelle vigoureuse, avec plus de 30 nœuds de vent pendant 30% du temps et une mer formée, au moins pendant la période hivernale. C'est une zone d'intense activité économique avec 4 000 unités de pêche, tous pays confondus, et 15 000 marins qui en vivent, et une zone, en particulier en été, de forte activité de loisirs avec environ 1 500 manifestations nautiques dans ma zone de responsabilité. »

Rappel du dispositif applicable jusqu'au 30 avril 2003 :

Le dispositif de séparation de trafic est géré par le service de trafic maritime d'Ouessant, implanté au CROSS Corsen et il relève donc du ministère de l'Equipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer.

Dans son ancienne configuration, il était composé de trois voies de trafic, dont une, la plus au large, était obligatoire pour les navires transportant des hydrocarbures et des produits chimiques en vrac. Ces navires n'étaient pas autorisés à emprunter la voie montante la plus proche de la terre.

Ces dispositions avaient été prises à la suite du naufrage de l'Amoco Cadiz, afin d'éloigner les navires transportant les marchandises les plus polluantes, tout en laissant la possibilité aux autres navires de se rapprocher suffisamment de la côte pour confirmer leur position en vue, ou à portée radar de terre.

Cette organisation du trafic, la plus satisfaisante à l'époque, avait pour effet de provoquer le croisement des navires « montant » par la voie du large avec les navires « descendant ».

La nouvelle configuration mise en place depuis le 1er mai 2003 :

La navigation par satellite a supprimé le besoin impératif pour les navires de recaler leur position en vue de terre, avant d'entrer en Manche ou d'en sortir. La modification du dispositif a été proposée à la suite des conclusions d'une étude réalisée en 2000 sur la circulation maritime en Manche. Cette étude a identifié des points de convergence et de croisement de routes maritimes délicats. La modification du dispositif permet de supprimer ces zones à risques en instaurant des routes maritimes mieux adaptées.

Le nouveau dispositif se compose comme suit, conformément aux recommandations de l'OMI sur les dispositifs de séparation du trafic :

- deux voies de circulation séparées par une zone dite « de séparation » interdite à la navigation ; la voie la plus proche d'Ouessant, à 24 milles, est la voie montante réservée aux navires entrant dans la Manche, la voie la plus éloignée (34 milles d'Ouessant) étant la voie descendante pour les navires sortant de la Manche ;

- une zone de séparation intermédiaire interdite à la navigation, sauf navigation traversière, large de 12 milles ;

- une route à double sens réservée aux navires en transit entre le Golfe de Gascogne et le Golfe Anglo-normand et ne transportant ni hydrocarbures ni cargaisons chimiques toxiques en vrac ;

- une zone de navigation côtière, réservée aux voiliers et aux autres navires de moins de 20 mètres. Cette zone est contiguë à Ouessant. Elle s'étend vers le large jusqu'à une distance de 2 milles de la voie à double sens.

Un long travail de concertation a été fait au préalable avec les professionnels et avec les élus locaux pour expliquer les enjeux de cette modification.

Au plan juridique, la modification de la séparation de trafic dans le rail d'Ouessant a été approuvée, sans modification, par le Comité de la sécurité maritime de l'OMI en décembre 2002. Ce changement de configuration des routes maritimes nécessitait également des actions de sensibilisation et d'information des navigants susceptibles d'emprunter le dispositif, en particulier dans la période encadrant l'entrée en vigueur du dispositif rénové.

Le maximum de mesures d'information a été pris pour faciliter une entrée en application sans danger. On peut notamment indiquer, au-delà des mesures d'information classiques, qu'un officier du CROSS Corsen a été détaché auprès du centre de surveillance côtier de Finisterre (Espagne) afin de coordonner les actions d'information des autorités françaises et espagnoles.

L'entrée en vigueur du nouveau dispositif s'est faite sans accident ni incident, ce qui en a démontré l'efficacité. Seuls quelques navires qui s'engageaient dans les anciennes voies de circulation ont été rappelés à l'ordre par le CROSS Corsen et ont obtempéré sans difficulté. Depuis lors, le CROSS Corsen n'a signalé aucun problème dans l'application par les navires des nouvelles règles de circulation.

Ce nouveau dispositif est par ailleurs complété par un système de compte-rendu obligatoire, dont une présentation succincte montre tout l'intérêt, et ouvre une voie pragmatique vers un contrôle plus affirmé de la navigation maritime dans ces zones très fréquentées.

Ainsi, ce dispositif impose aux navires transitant dans la Manche de se signaler aux autorités de surveillance maritime. Ce système est exploité par le service de trafic maritime (STM) de Jobourg, qui, depuis 1983, assure la surveillance de la navigation dans le dispositif de séparation de trafic (D.S.T) des Casquets et de ses abords. Il complète ainsi les systèmes mis en place à Ouessant et dans le Pas-de-Calais et renforce ainsi le dispositif général de surveillance et de prévention des accidents maritimes en Manche. Le service de trafic maritime transmet ensuite les informations recueillies aux autres services de surveillance du trafic en Manche, les CROSS Corsen et Gris-Nez.

Ce dispositif permet d'accroître notablement la sécurité et l'efficacité de la navigation ainsi que la protection de l'environnement dans et à proximité du D.S.T des Casquets. En effet, le signalement obligatoire permet d'éviter les situations à risque que peuvent provoquer des navires non identifiés qui adoptent des routes erratiques, voire dangereuses, stoppent dans un flux de trafic suite à une avarie, ou dont le comportement peut donner lieu à confusion, en l'absence d'information.

Le taux d'identification des navires avant l'instauration du compte-rendu était d'environ 40% d'un trafic journalier d'environ 300 navires. L'instauration d'un système de comptes-rendus obligatoires a permis d'améliorer très sensiblement ce taux, qui atteint environ 98% du trafic identifié.

Le compte-rendu exigé comporte des renseignements jugés indispensables, comme le nom du navire, son indicatif d'appel ou son numéro OMI, sa position, sa route et sa vitesse. Lorsqu'ils reçoivent un message de compte-rendu de position, les opérateurs du STM s'efforcent de corréler la position du navire avec les éléments dont ils disposent, à partir notamment des échos radar à la position indiquée. Ce dispositif permet donc aux opérateurs du STM de confirmer la position du navire, d'effectuer un suivi radar efficace et d'entrer en communication avec le navire pour lui apporter, le cas échéant, les informations pertinentes pour sa propre sécurité. De fait, le nombre d'infractions aux règles de navigation est sensiblement réduit par une meilleure prévention.

Par ailleurs, l'efficacité du CROSS de Jobourg, associé au STM, en est elle-même sensiblement améliorée car le CROSS peut désormais établir beaucoup plus rapidement une situation des navires sur zone en cas d'opération de recherche et de sauvetage.

En outre, conformément aux dispositions des conventions SOLAS et MARPOL, les navires doivent signaler les informations relatives aux défectuosités, avaries, défaillances ou restrictions ainsi que, le cas échéant, les informations relatives aux pollutions et aux pertes de cargaison.

Ces dispositifs complémentaires représentent un véritable progrès pour la sécurisation du trafic en Manche, mais ils ne peuvent à court terme être généralisés pour parvenir à un véritable suivi du trafic maritime sans discontinuité le long du littoral.

A ce sujet, l'amiral Gheerbrant a été très clair :

« Vous m'avez interrogé sur la possibilité d'assurer un suivi du trafic maritime. Il ne faut pas se leurrer, actuellement très peu de zones sont couvertes par la surveillance radar. Aujourd'hui, c'est le cas du dispositif de séparation du trafic d'Ouessant. C'est également le cas devant le Cotentin et dans le Pas-de-Calais. Entre les deux, il y a des « trous ». Les Affaires maritimes ont un autre projet en liaison avec les Britanniques consistant à implanter plusieurs radars pour essayer d'aller le plus vite possible vers la surveillance continue de la Manche, depuis Ouessant jusqu'au Pas-de-Calais. »

Abordant la question des évolutions technologiques qui faciliteront le suivi du trafic maritime, il a souligné qu'un long chemin restait à parcourir :

« Le satellite est un autre projet en cours (...) : l'AIS pour « Automatic Identification System », c'est-à-dire système automatique d'identification, prévu en deux générations. L'AIS, tel qu'il est envisagé, ressemble à ce qui existe sur les avions. La première génération d'AIS fonctionnera sous fréquence VHF, donc avec une portée relativement faible et, en plus, aura un caractère en partie non obligatoire. Cette première génération est en cours de généralisation et a été avalisée par l'OMI, mais n'est pas satisfaisante pour un suivi global de la navigation. En revanche, la deuxième génération d'AIS par satellite devrait permettre de connaître, à tout moment et en tous points, la position de tout bateau sur toutes les mers du globe. Les normes fonctionnelles de l'AIS ne sont cependant pas encore fixées par l'OMI et le calendrier ne l'est pas non plus. C'est donc du long terme. »

2.- L'évolution des règles

a) L'adoption de la zone de protection écologique en Méditerranée et la poursuite du renforcement des mesures de répression des dégazages illicites

Le Conseil interministériel de la mer du 28 février 2000 avait décidé de créer une zone de protection écologique en Méditerranée, en concertation avec les Etats voisins et la Commission européenne, avec l'objectif de donner à la France une compétence juridictionnelle en matière de répression des rejets illicites en mer.

La loi n°2003-346 du 15 avril 2003 a instauré cette zone de protection écologique en Méditerranée, après une navette parlementaire rapide et consensuelle.

Il convient de rappeler qu'aucun Etat riverain de la Méditerranée n'a jamais institué de zone économique exclusive, par l'effet d'une sorte de statu quo diplomatique destiné à éviter la multiplication des litiges, notamment sur les questions de pêche. De ce fait, au-delà des eaux territoriales, le régime devient immédiatement celui de la haute mer : la surveillance et la police de la navigation maritime ne peuvent y être exercées par l'Etat côtier. Or la règle générale est que les actes des navires en haute mer sont de la compétence de l'Etat du pavillon.

Cette situation rendait impossible, au-delà de nos eaux territoriales, l'application aux navires étrangers de la loi du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires, codifiée dans le code de l'environnement et modifiée par la loi du 3 mai 2001.

La zone de protection écologique est une déclinaison particulière de la zone économique exclusive, excluant tout ce qui est de nature à occasionner un conflit diplomatique avec les pays voisins. Il sera donc possible d'y mettre en œuvre une politique d'exclusion des bateaux sous-normes transportant des matières dangereuses, à l'instar de ce qui est pratiqué depuis le début de l'année sur la façade atlantique.

Les autorités françaises exerceront les seules compétences prévues par le 1b de l'article 56 de la convention de Montego Bay, qui reconnaît à l'Etat côtier juridiction en ce qui concerne notamment la protection et la préservation du milieu marin. La France se garde naturellement d'afficher toute prétention quant à l'exercice des droits souverains aux fins d'exploration, d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, tant minérales que vivantes. Le régime de la pêche n'est donc aucunement modifié ; pour les navires étrangers, la pêche continuera à se pratiquer comme en haute mer.

Comme la zone économique, la zone de protection écologique sera créée et délimitée par un décret en Conseil d'Etat. Celui-ci est déjà en préparation, afin que l'ensemble du dispositif entre en vigueur avant l'été prochain. Des négociations sont déjà en cours avec les pays méditerranéens et il convient de préciser que l'Espagne a créé en 1997 une zone de protection des pêches.

Si la convention de Montego Bay ouvre, en principe, la possibilité d'une extension de juridiction jusqu'à 200 milles des côtes, la géographie de la Méditerranée ne permettra pas, en pratique, d'aller aussi loin. La largeur de la ZPE sera de l'ordre de 60 à 80 milles nautiques, ce qui représente une multiplication par six ou sept de l'espace marin sous juridiction française. Actuellement, les trois quarts des actes de pollution délibérés constatés se produisent en dehors de nos eaux territoriales et ne sont passibles de sanctions de notre part que si les navires coupables battent pavillon français.

La disposition essentielle de la nouvelle loi étend les dispositions répressives applicables dans les eaux territoriales et en zone économique exclusive à la ZPE. L'article L 218-21 du code de l'environnement permet de réprimer les rejets illicites des navires. Ces infractions sont sanctionnées d'une peine de quatre ans de prison et de 600 000 euros d'amende. Ainsi, les pouvoirs publics se seront-ils au moins donnés les moyens juridiques de mettre fin au sentiment actuel d'impunité que peuvent ressentir certains capitaines peu scrupuleux, mais il convient de préciser que, dans la ZPE, seules les peines d'amende sont applicables en raison des dispositions de la convention de Montego Bay.

Cette loi parachève aussi la réforme des tribunaux entamée en 2001 par la loi Le Bris du 3 mai 2001 précitée, qui a créé des pôles de compétence « pollution marine » au sein de tribunaux du littoral maritime spécialisés : on rappellera que pour la Méditerranée, c'est le tribunal de grande instance de Marseille qui a été désigné à cet effet, pour le littoral atlantique et pour la Manche et la Mer du Nord, il s'agit respectivement du tribunal de Brest et du tribunal du Havre6.

La loi du 3 mai 2001 confiait à ces juridictions spécialisées la répression des pollutions commises dans les seules eaux territoriales, le tribunal de grande instance de Paris conservant la compétence juridictionnelle pour toutes les infractions commises en ZEE et en haute mer. La loi portant création de la ZPE étend la compétence des tribunaux spécialisés aux rejets illicites commis en ZPE -c'est alors le tribunal de Marseille qui est compétent- ainsi qu'en zone économique exclusive.

Ces juridictions spécialisées auront donc désormais une compétence exclusive pour le jugement de toutes les infractions de pollution marine, qu'elles aient eu lieu dans les eaux territoriales, dans la zone économique exclusive ou dans la ZPE. Seul le jugement des infractions commises par les capitaines des navires français se trouvant hors des espaces maritimes sous juridiction française restera de la compétence du tribunal de grande instance de Paris, en application du droit de l'Etat du pavillon en haute mer.

Cette réforme judiciaire constitue donc un élément déterminant du dispositif de la répression des rejets illicites en mer, et devrait être poursuivie prochainement.

En effet, le projet de loi du Garde des Sceaux intitulé « Adapter la justice aux évolutions de la criminalité », qui a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 23 mai 2003, prévoit de créer dans le code de procédure pénale ces juridictions spécialisées du littoral -Le Havre, Brest, Marseille et l'outre-mer- et étend à nouveau leur compétence : elles seront désormais chargées de l'instruction de ces affaires et non plus seulement de leur jugement. Leur autorité sera aussi accrue vis-à-vis des autorités chargées de la répression de ces infractions -Affaires maritimes, Douanes, Marine nationale...-, pour pouvoir prévoir une meilleure coordination entre les autorités chargées du pouvoir de police judiciaire et l'autorité judiciaire elle-même, dès l'enquête de flagrant délit.

En raison de la difficulté d'appréhender les responsabilités respectives des différents intermédiaires dans le transport maritime et des enjeux économiques énormes, l'Assemblée nationale a adopté un amendement opérant une distinction entre les pollutions volontaires et les pollutions involontaires, c'est-à-dire résultant d'accidents.

Pour les pollutions volontaires, on reste sur le principe des tribunaux du littoral maritime spécialisés, qui seront à même de juger les dégazages et déballastages, qu'ils soient commis en ZEE ou en ZPE. En revanche, pour les pollutions accidentelles, l'Assemblée nationale a opéré un retour à la compétence du tribunal de grande instance de Paris, qui dispose des capacités et du savoir-faire des commissions rogatoires internationales et des investigations financières vers des Etats du pavillon, qui sont rarement des Etats européens et qui ne sont pas toujours très allants en matière de coopération judiciaire internationale. Le tribunal de Paris a, au titre de son pôle économique et financier, une capacité supérieure à instruire des dossiers aussi complexes.

Un des éléments essentiels de ce projet de loi consiste dans le durcissement de la répression des infractions, par l'augmentation des seuils et des quantum de peines, ainsi que le montre le tableau comparatif suivant.

Comparaison des sanctions prévues par le projet de loi
en cours de discussion

Types de navires

Sanctions actuelles

Sanctions prévues par le projet de loi

Navires-citernes de plus de 150 tonneaux et navires autres de plus de 500 tonneaux

4 ans d'emprisonnement

600 000 euros d'amende

10 ans d'emprisonnement

1 million d'euros ou 2/3 de la valeur de la cargaison transportée ou du fret

Navires-citernes de moins de 150 tonneaux et navires autres de moins de 500 tonneaux et dont la puissance de propulsion est supérieure à 150 kW

2 ans d'emprisonnement

180 000 euros d'amende

5 ans d'emprisonnement

500 000 euros

Autres navires

6 000 euros d'amende

récidive : 12 000 euros et
1 an d'emprisonnement

3 ans d'emprisonnement

200 000 euros

Source : Secrétariat d'Etat aux Transports et à la mer

De plus, le projet de loi introduit la possibilité, pour le tribunal, de prononcer des peines complémentaires à l'encontre des personnes physiques coupables des infractions de rejets volontaires ou accidentels de produits polluants. Ces peines incluent notamment l'interdiction d'exercer l'activité professionnelle à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise et la confiscation du navire ayant été à l'origine de la pollution.

Ce projet de loi tend donc à considérablement renforcer la répression des rejets illicites de pollutions, par l'application de sanctions plus élevées ainsi que par la modification de la répartition des compétences juridictionnelles des différents tribunaux.

La Commission d'enquête tient à saluer le vote de la loi portant création de la zone de protection écologique, qui permettra de protéger le patrimoine maritime méditerranéen, et souhaite l'adoption définitive du projet de loi relatif aux évolutions de la criminalité dans les plus courts délais.

b) Une certaine accélération des transpositions des textes communautaires

La précédente Commission d'enquête sur l'Erika avait déploré la lenteur de la France à transposer les textes communautaires, pour l'élaboration desquels le gouvernement français s'est d'ailleurs fortement mobilisé.Trois ans après, force est cependant de constater que des progrès restent encore à faire.

Lors de son audition, M. Jean-Yves le Drian soulignait les retards considérables constatés chez tous les Etats européens pour transposer rapidement les textes communautaires :

« Il est de bon ton d'affirmer que l'Europe n'a rien fait, que l'Europe ne fait rien, que l'Europe est incapable. En fait, l'Europe a agi, et vite. La grande difficulté tient dans la non-applicabilité du dispositif qui, aujourd'hui encore, n'a pas été transposé dans les droits nationaux : pas chez nous et pas chez nos partenaires non plus ! Si nous avions appliqué le dispositif prévu à la suite de l'Erika pour le Prestige et en considérant les Etats Baltes intégrés, le Prestige n'aurait pas pu quitter le port !

Nous sommes dans une situation invraisemblable : en effet, les services de la Commission européenne ou ceux de l'administration maritime française ont diffusé un mémoire pour montrer où nous étions rendus sur la transposition des orientations de l'Union européenne en droit français. Nous n'avons guère avancé. Ce n'est pas mieux dans les autres pays.

A ma connaissance, seuls le Danemark et l'Allemagne ont transposé le premier paquet des dispositions européennes alors qu'au Conseil des chefs d'Etats à Nice en décembre 2000, une déclaration solennelle des chefs d'Etats demandait à chacun des gouvernements de faire vite. La même demande fut renouvelée à Copenhague en décembre 2002. Il y a là une angoisse par rapport aux délais de transposition. Je ne sais quelle initiative il conviendrait de prendre. Faudrait-il nous-mêmes montrer l'exemple et suggérer aux autres de nous suivre ? Normalement, c'est au 1er juillet 2003 que doivent entrer en application les directives de mars 2000. Il est temps d'inscrire ce point à notre ordre du jour parlementaire. Si nous n'appliquons pas les textes européens, nous ne pouvons nous plaindre que l'Europe ne fasse rien. »

Cette appréciation doit toutefois être sans doute sensiblement nuancée. En premier lieu, il convient de préciser que la transposition des directives européennes ne se traduit pas forcément par le vote d'une disposition législative dans l'ordre juridique français, certaines dispositions pouvant faire l'objet de simples textes réglementaires si elles ne relèvent pas de domaines qui doivent être encadrés par une loi (cf. annexe 4).

Par ailleurs, M. Dominique Bussereau déclarait devant la Commission d'enquête, le 4 mars dernier, à propos du calendrier de transposition des directives communautaires :

«  Nous avons trois cas de retard, qui s'échelonnent d'un à neuf mois. Les directives sont transposées actuellement à 90% et nous espérons que cette transposition sera terminée en avril 2003. Les derniers textes de transposition sont pour l'heure soumis à l'examen du Conseil d'Etat. Nous devrions en voir rapidement la fin.

Pour la transposition des directives européennes pour lesquelles nous ne sommes pas en retard, celles du paquet Erika II, nous allons accélérer le dispositif suite à l'engagement des chefs d'Etat et de gouvernement pris à Copenhague. »

La Commission d'enquête tient à rappeler les engagements pris il y a quelques mois par M. Dominique Bussereau quant aux délais de transposition des directives communautaires, engagement qu'elle ne peut qu'approuver. Elle espère vivement que le retard sera comblé, alors que la France vient encore le 13 mai dernier de recevoir un avis motivé de la Commission pour notre retard dans la transposition de la directive 2000/59 relative aux installations de réception portuaires pour les déchets d'exploitation des navires, texte que nous aurions dû intégrer en droit interne depuis décembre 2002.

c) L'ajournement de la ratification des conventions de l'OIT par la France

S'il est un domaine où les retards de ratification ont des conséquences très dommageables pour la sécurité maritime, c'est bien dans celui des normes sociales applicables aux équipages de navires battant pavillon extra-communautaire, car les inspecteurs de la sécurité des navires ne disposent aujourd'hui que de très peu de sources normatives pour sanctionner les armateurs qui imposent à leurs équipages des conditions de travail mettant en cause la sécurité.

Comme l'a souligné M. Bernard Lecomte, directeur régional des Affaires maritimes, il serait indispensable que la France ratifie la convention OIT 180 pour donner toute leur efficacité aux contrôles de l'Etat du port :

« Nous intervenons dans le cadre juridique du Mémorandum de Paris. Très prochainement, la convention OIT 180, relative à la durée du travail, fera partie des normes internationales que nous pourrons opposer à un navire étranger. Si l'on constate que le commandant n'a pas dormi depuis 48 heures, une des mesures que l'on peut exiger est que le commandant ait un temps de repos minimum avant que son navire ne reprenne la mer. En fait, il n'y a pas de réelle sanction financière mais le fait de retarder un navire est encore la meilleure des sanctions financières, c'est clair.

Actuellement, la seule convention applicable dans le cadre du Mémorandum de Paris est la convention 147 qui ne concerne que les normes d'habitabilité et d'hygiène sur les navires. Cela permet, si nous constatons qu'il n'y pas d'eau chaude dans les cabines, par exemple, de bloquer le navire. Mais les possibilités de bloquer un navire sur des questions de normes de travail et de normes sociales ou de fatigabilité, sont assez réduites, bien plus que sur des points techniques. »

Lors de son audition, M. Serradji déplorait les retards récurrents pour ratifier les conventions de l'OIT en matière de droit du travail maritime, mais il ne proposait pas de solutions pour surmonter ce blocage :

« Enfin, la France doit ratifier, dans des délais rapides, les conventions sur le travail maritime qu'elle n'a pas encore ratifiées. Je suis désolé de vous dire que, depuis 1997, à chaque programme gouvernemental de l'ancien gouvernement -et n'y voyez de ma part aucune critique d'ordre politique, ce n'est ni mon rôle, ni mon intention, car je crains que cela ne continue ensuite de la même façon- quand il s'agit de fixer le programme gouvernemental, la priorité n'est pas la ratification des conventions sur le travail maritime.

Chaque fois que ce sujet a été proposé, il a été barré. La France crie haut et fort qu'il faut s'occuper des conditions de travail maritime, mais elle est également mise en cause en raison de ces ratifications en souffrance, y compris par la Commission européenne. Nous ne sommes pas seulement attaqués sur la question du contrôle de l'Etat du port, mais aussi sur celle des conventions de l'OIT sur le bien-être des gens de mer. »

La Commission d'enquête regrette l'incident de pure procédure, due à la présentation du projet de loi par le gouvernement, qui a conduit la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale à demander l'ajournement du projet de loi n°453 portant sur la ratification de plusieurs conventions de l'OIT relatives aux conditions de travail des gens de mer.

En effet, le projet de loi de ratification demandait au Parlement d'autoriser la ratification de six conventions (n°163 concernant le bien-être des gens de mer, n°178 concernant l'inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer, n°179 concernant le recrutement et le placement des gens de mer, n°180 concernant la durée du travail des gens de mer et les effectifs de navires, et protocole relatif à la convention n° 147 concernant les normes minima à observer sur les navires marchands) dans le cadre d'un projet de loi unique.

M. Guy Lengagne, Rapporteur de ce projet de loi, a expliqué que, ce projet, tel qu'il était présenté, soulevait des difficultés juridiques dans la mesure où il autorisait la ratification de plusieurs conventions internationales, alors que la pratique, de même que l'article 128 du règlement de l'Assemblée nationale, prévoient que de tels projets de loi ne concernent qu'un seul traité ou accord international.

Il a donc estimé que la combinaison de cette curiosité juridique et de l'impossibilité pour les parlementaires d'amender, qui résulte également de l'article 128 précité, reviendrait à limiter excessivement les possibilités pour l'Assemblée nationale de se prononcer sur chacune des conventions.

Il a donc demandé à la commission des Affaires étrangères d'adopter une demande d'ajournement ainsi motivée :

« L'Assemblée nationale est saisie d'un projet de loi autorisant la ratification de six conventions de l'Organisation internationale du Travail (OIT). L'utilisation de cette procédure inhabituelle, combinée à l'impossibilité d'amender les projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation de conventions internationales, empêche l'Assemblée nationale d'exercer pleinement son pouvoir d'autorisation en la matière. Elle décide en conséquence d'ajourner le projet de loi (n° 453) ».

Certes, cette décision est sans conséquence pour le droit du travail applicable aux marins en France et sur les navires français. Elle constitue néanmoins un signal peu positif en direction des autres Etats moins avancés, dont la ratification est particulièrement attendue.

B.- AU PLAN COMMUNAUTAIRE : UN RÉEL DYNAMISME

L'Union européenne avait réagi avec détermination dès après la catastrophe de l'Erika, adoptant un ensemble de mesures ambitieuses, les paquets Erika I et II. A la suite du naufrage du Prestige, l'Union a pourtant été mise au banc des accusés : d'aucuns ont argué que l'Europe n'avait pas tiré les leçons de l'Erika et n'avait rien fait pour lutter contre la survenance de tels sinistres. Comme on l'a vu plus haut, si l'action de l'Union est sans doute perfectible, ce procès en immobilisme est pour le moins injuste, d'autant que le soutien des Etats membres aux mesures communautaires adoptées a été inégal.

Constatant que la mise en œuvre de ces dispositions s'est heurtée à des difficultés et reconnaissant qu'elles devaient être complétées, l'Union a fait preuve à nouveau de volontarisme à la suite du naufrage du Prestige. Très rapidement, elle a proposé des initiatives fortes afin de compléter l'arsenal législatif communautaire, qui laissait apparaître certaines lacunes, tout en présentant des propositions auprès de l'OMI, enceinte incontournable mais peu réactive.

M. Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports et à la mer, a tenu à saluer la réaction de l'Europe après le Prestige : « Je dois dire que la crise très grave du Prestige a montré une Europe forte et unie. La Commission -peut-être Mme de Palacio a-t-elle un intérêt particulier sur ce sujet- a été extrêmement active. L'Europe a bien réagi mais il faut poursuivre cet effort. »

Dès le 3 décembre 2002, la Commission a adopté une Communication sur le transport maritime, comprenant plusieurs propositions et orientations, lesquelles ont été soumises au Conseil européen, au Conseil des ministres et au Parlement européen, et poursuivent l'œuvre engagée avec les paquets Erika I et II. Il convient de saluer ici le travail considérable réalisé par les services de la Commission, dans des délais très courts.

Par la suite, lors des deux conseils des ministres des Transports suivants, les 5 et 6 décembre 2002, puis les 27 et 28 mars 2003, des avancées importantes ont été obtenues : plusieurs propositions de la Commission ont été avalisées. Dans l'intervalle, le Conseil européen de Copenhague, les 12 et 13 décembre 2002, a pleinement soutenu les mesures présentées par la Commission.

1.- L'engagement d'actions concrètes nouvelles

a) La publication d'une liste noire de navires

A la communication du 3 décembre 2002, la Commission a joint une liste noire indicative des navires qui auraient été bannis si les nouvelles dispositions communautaires de la directive 2001/106/CE sur le contrôle de l'Etat du port, faisant partie du paquet Erika I, avaient été en vigueur durant la période comprise entre le 1er décembre 1999 et le 1er décembre 2002. Pour établir ce document, elle s'est fondée sur les informations publiées dans le cadre du Mémorandum de Paris.

Cette liste comporte 66 navires, immatriculés par 13 pavillons différents. On relèvera notamment que 26 des bateaux mis à l'index battent pavillon turc, 12 celui de Saint-Vincent-et-Grenadines et 9 celui du Cambodge. Sont également précisés l'âge du navire, le nombre de ses détentions dans les ports et le degré de risque qu'il représente.

La publication d'une telle liste a pour objectif de lancer un avertissement aux armateurs de ces navires et aux Etats qui les immatriculent, afin qu'ils prennent les mesures nécessaires pour remédier aux carences constatées. Cette initiative intervient notamment dans la perspective de l'application imminente de la directive précédemment évoquée, en juillet 2003 -échéance fixée pour sa transposition par les Etats membres. De plus, en mettant à l'index certains navires particulièrement dangereux, cette liste tend à dissuader les compagnies pétrolières de les affréter.

M. Vallat, président de l'Institut français de la mer, a tenu à souligner son intérêt et a relevé son caractère dissuasif: « Quant à la liste noire de la Commission, j'y crois énormément. La Commission a bien eu raison de le faire, d'autant qu'elle a été injustement traitée après le Prestige. (...) Dès lors qu'il existe une liste noire, il devient très difficile d'affréter un navire qui y figure. » 

b) L'engagement de discussions avec les compagnies pétrolières, aux résultats cependant peu concluants

Le conseil des Transports du 6 décembre 2002 avait appelé les Etats membres à conclure des accords avec leurs industries respectives afin d'améliorer la qualité des transports. Il avait également invité la Commission à développer un tel accord.

A cet effet, la Commission a mené depuis décembre 2002 des discussions avec les sociétés pétrolières européennes, avec pour objectif de définir un code de bonne conduite.

Lors du déplacement d'une délégation de la Commission d'enquête à Bruxelles, M. Lamoureux, directeur de la Direction générale transport et énergie (DGTREN) à la Commission européenne, a indiqué que celle-ci avait demandé aux compagnies pétrolières de s'engager unilatéralement à ne pas affréter des navires ne respectant pas les règles communautaires actuellement en discussion, c'est-à-dire d'appliquer ces règles par anticipation, avant que le processus législatif ne soit achevé. De surcroît, un tel accord aurait présenté l'avantage d'étendre de fait le champ des normes communautaires : en effet, ces dernières ne s'appliquent qu'aux navires entrant dans les ports communautaires, et non à ceux transitant dans les zones économiques exclusives des Etats membres.

Cependant, la Commission était dépourvue de moyens juridiques pour contraindre les compagnies pétrolières. Ces dernières ont exprimé de fortes réticences à s'engager sur un accord volontaire et ont préféré être soumises à la réglementation communautaire, arguant d'éventuels risques de distorsion de concurrence avec des compagnies des Etats tiers.

Si cet argument peut se justifier d'un strict point de vue économique, il ne prend guère en compte les préoccupations de sécurité. Il est regrettable qu'aucun accord n'ait pu être obtenu sur ce point, notamment au vu des résultats satisfaisants obtenus par la Charte sur la sécurité des transports maritimes pétroliers, conclue en France en février 2000.

c) Le développement d'un réseau communautaire de suivi du trafic

La Commission a entamé les travaux nécessaires pour la mise en place d'un système communautaire de suivi du trafic maritime, baptisé « Safeseanet » : cette initiative a été prise avant même l'échéance de la transposition de la directive sur cette question, fixée en février 2004, qui impose aux Etats membres des obligations en la matière.

L'objectif de « Safeseanet » est le développement d'une plateforme européenne d'échange d'informations sur la sécurité maritime entre les Etats membres, ainsi qu'entre ces derniers et la Commission européenne.

A cet effet, il prévoit la création d'une base de données européenne et d'un réseau télématique sécurisé d'échange des informations entre les Etats membres. Cette base de données est destinée à intégrer les informations fournies en temps réel par les transpondeurs des navires et doit permettre aux autorités opérationnelles de connaître à tout moment l'identité, la position et la cargaison des navires naviguant dans les eaux européennes. Seront également intégrées dans cette base les informations concernant la sécurité intrinsèque des navires, les pollutions et la gestion des déchets des navires.

Ce dispositif devrait constituer à terme un remarquable outil de suivi de la navigation et permettre de détecter rapidement les situations à risque. Il doit être mis en place en coordination avec les systèmes nationaux, tel le dispositif français Trafic 2000, encore en cours de développement toutefois.

2.- Des initiatives en vue d'une application accélérée des mesures Erika I et II

Le Prestige est malheureusement survenu avant l'entrée en vigueur des dispositions des paquets Erika I et II. Comme on l'a vu, la mise en œuvre trop lente des mesures adoptées est en partie imputable aux retards des Etats dans la transposition des directives, que la Commission a d'ailleurs vivement regrettés, à juste titre.

A cet égard, elle a pris l'initiative d'accélérer l'application de certaines de ces mesures, afin qu'elles soient opérationnelles et efficaces au plus vite.

a) La mise en place anticipée de l'Agence européenne de sécurité maritime

Le règlement du 27 juin 2002 portant création de l'Agence européenne de sécurité maritime lui fixait pour objectif d'être opérationnelle à partir du deuxième semestre 2003.

Après la survenance du Prestige, qui prouvait la nécessité d'agir rapidement, et notamment sous la pression de la France, la Commission a décidé d'avancer la date de la mise en œuvre opérationnelle de l'Agence de six mois. Sans attendre davantage que le Conseil européen ne se prononce sur le choix de son siège, qui fait l'objet de négociations ardues et globales concernant les sièges de plusieurs agences communautaires, la Commission a décidé d'accueillir provisoirement l'AESM dans ses propres locaux.

Son conseil d'administration, composé d'un représentant par Etat membre, de quatre représentants de la Commission ainsi que de quatre professionnels indépendants nommés par la Commission, a tenu sa première réunion le 4 décembre 2002. Le conseil d'administration a ensuite désigné M. Willem de Ruiter comme directeur exécutif de l'Agence. M. Brian Wadsworth a été nommé président du Conseil d'administration et M. Francis Vallat, président de l'Institut français de la mer, a été nommé vice-président pour deux ans. Il devrait être nommé président par la suite.

Au cours de son audition par la Commission, M. Vallat a d'ailleurs indiqué l'ampleur du champ des orientations retenues lors de cette première réunion : « J'ai représenté le gouvernement lors des deux premières réunions de l'Agence. Les priorités fixées en décembre dernier concernent le contrôle de l'Etat du port, le contrôle des sociétés de classification, les zones de refuge, le nettoyage du pétrole en mer, la qualification des marins, l'harmonisation et la centralisation d'une base de données, par exemple pour la liste noire, la lutte contre le déballastage et le dégazage sauvage. »

M. Lamoureux, directeur de la DG-TREN de la Commission européenne, a précisé que l'Agence devrait être pleinement opérationnelle au début de l'année 2004 et que son action constituerait une priorité pour la Commission.

Lors de son déplacement à Bruxelles, la délégation de la Commission d'enquête a rencontré M. de Ruiter, qui a présenté l'état d'avancement actuel de la mise en place de l'Agence.

M. de Ruiter a indiqué que la mise sur pied de la structure administrative de l'Agence était en cours. Des appels à candidatures ont été publiés pour le recrutement de trois chefs d'unité (deux techniques et un administratif), correspondant à l'organigramme adopté par le Conseil. L'Agence devrait compter environ 30 personnes en septembre prochain, 40 à la fin de l'année, et, à terme, environ 55 personnes, compte tenu des missions qui ont été assignées à l'Agence par le règlement du 27 juin 2002. Enfin, dans la perspective de l'élargissement de l'Union à 25 membres, l'effectif final devrait logiquement se rapprocher de 80 personnes.

Cependant, cet effectif sera sans doute revu à la hausse si de nouvelles attributions doivent être confiées à l'Agence. En effet, le président de la Commission et sa vice-présidente chargée des transports, Mme Loyola de Palacio, souhaitent lui assigner de nouvelles missions : il est notamment envisagé de doter l'Agence de moyens de dépollution, tels qu'une flotte de navires spécialisés de nouvelle génération. Elle pourrait également se voir confier une fonction dans le domaine de la sûreté, consistant à organiser une coopération technique entre Etats membres pour l'application uniforme des textes de l'OMI portant sur ce sujet. Un nouveau règlement devrait donc intervenir prochainement pour étendre ses compétences.

b) L'accélération de la préparation des plans pour l'accueil de navires dans les lieux de refuge

Le naufrage du Prestige a malheureusement illustré l'importance de la question des lieux de refuge. En effet, comme on l'a vu dans la première partie du rapport, le refus des autorités espagnoles d'accueillir le Prestige dans un port ou une crique abritée et leur choix de remorquer le navire au large des côtes espagnoles ont suscité de larges débats, voire une mise en cause, nationale et internationale, des responsables espagnols.

Il s'agit de décisions difficiles et délicates, car comme le soulignait M. de Ruiter, elles sont de type « perdant-perdant » : soit l'opération réussit et personne n'en parle, soit elle échoue et entraîne une impopularité majeure pour celui qui a fait ce choix. De plus, apparaît en la matière le syndrome bien connu dit NIMBY (« not in my backyard », c'est-à-dire pas dans mon jardin !) : si chaque Etat souhaite qu'un navire en détresse soit accueilli pour limiter une pollution possible, aucun ne souhaite le faire et en assumer les conséquences éventuelles sur ses propres côtes.

Il est donc absolument indispensable de définir des plans et des procédures d'accueil de navires en détresse dans un cadre européen, qui s'imposent une fois fixés : en effet, si seuls certains Etats membres établissent des procédures d'accueil, le risque est grand de voir les navires en mauvais état et se trouvant en difficulté affluer au large de leurs côtes. Certains Etats se trouveraient donc confrontés à un risque accru pour avoir adopté un dispositif d'intérêt général, ce qui ne serait pas acceptable. Des plans d'accueil de navires, comportant les informations techniques et environnementales nécessaires, doivent donc être établis au plus vite au niveau européen.

C'est ce que prévoyait la directive précitée 2002/59/CE, relative à la mise en place d'un suivi communautaire du trafic maritime, laquelle devait être transposée avant février 2004. Compte tenu de l'importance revêtue par cette question depuis le Prestige, la Commission a décidé d'accélérer la préparation de ces plans : elle a organisé une première réunion le 31 janvier 2003 avec les Etats membres et leur a demandé de fournir les documents nécessaires à l'établissement des plans nationaux de lieux de refuges avant le 1er juillet 2003.

3.- L'adoption d'un calendrier de retrait des navires à simple coque plus rigoureux et l'interdiction du transport de fioul lourd dans des navires à simple coque

Le naufrage du Prestige a mis crûment en lumière l'urgence du retrait des pétroliers à simple coque et le problème spécifique posé par le fioul lourd, lequel est le plus souvent transporté par des pétroliers âgés, à simple coque et donc davantage exposés aux risques d'accidents. Ces éléments avaient déjà été pris en compte pour partie lors de l'adoption du paquet Erika I, dont l'une des mesures était un calendrier de retrait des pétroliers à simple coque. Cependant, ainsi qu'on l'a vu, les dispositions finalement retenues étaient en retrait par rapport aux propositions initiales de la Commission et ne traitaient pas de la question spécifique du fioul lourd.

En conséquence, la Commission a présenté, le 20 décembre 2002, une proposition de règlement révisant le calendrier d'élimination précédent et prohibant le transport de fioul lourd par les bateaux à simple coque. Le Conseil des transports des 27 et 28 mars 2003 a adopté ces mesures, qui ont été transmises au Parlement européen et approuvées le 4 juin dernier :

sera donc désormais interdit le transport de produits pétroliers lourds7 dans des pétroliers à simple coque à destination ou au départ de ports de l'Union. Cette mesure a en fait pour objectif de renverser la logique qui prévaut actuellement, c'est-à-dire le transport des produits les plus polluants dans les navires les moins sûrs : désormais, un niveau minimal de sécurité sera exigé pour le transport de produits lourds ;

- le règlement prévoit également l'accélération au niveau européen de l'élimination progressive des navires à simple coque utilisés pour le transport de tous les types de pétrole. Les mesures prévues par ce règlement consistent à abaisser les limites d'âge et les dates de retrait, pour les ramener au niveau initialement proposé par la Commission dans le paquet Erika I, et dans certains cas les réduire encore davantage.

Evolution du calendrier du retrait des pétroliers à simple coque

Règles en vigueur

Nouvelles règles proposées

Limites d'âge

Comprises entre 26 et 30 ans

Comprises entre

23 et 28 ans

Date de retrait pour les pétroliers de catégorie 1

2007

2005

Date de retrait pour les pétroliers de catégorie 2

2015

2010

Date de retrait pour les pétroliers de catégorie 3

2015

2010

Source : Commission européenne

Ainsi, en application de ces dispositions, des pétroliers de catégorie 1 tels que l'Erika ou le Prestige, âgés de plus de 23 ans, seront désormais bannis des ports de l'Union ainsi que du pavillon des Etats membres.

Ces mesures permettront de donner une nouvelle impulsion à la modernisation de l'industrie du transport maritime de produits pétroliers, suivant la même logique que celle adoptée par l'OPA américain.

A cet égard, il apparaît que les réglementations communautaires sont désormais aussi strictes, et sur certains points davantage, que les dispositions prévues par l'OPA. En effet, la législation américaine n'interdisait nullement jusqu'alors le transport de fioul lourd dans les navires à simple coque. Les Etats-Unis ont annoncé que cette disposition serait introduite dans l'OPA en 2003, afin de s'aligner sur la législation européenne : on constatera ici que l'Union européenne occupe sur ce point une position de leadership, ce dont on ne peut que se féliciter ;

- enfin, le nouveau règlement impose une mise en œuvre plus étendue et plus précoce de règles d'inspection renforcées pour les pétroliers à simple coque n'ayant pas atteint la limite d'âge. Tous les pétroliers à simple coque, y compris les plus petits, qui avaient été initialement écartés, seront désormais soumis au Système d'évaluation de l'état des navires (ou « Condition Assessment Scheme » - CAS) dès l'âge de 15 ans. Le CAS est un régime supplémentaire d'inspections renforcées spécialement élaboré pour détecter les faiblesses structurelles des pétroliers à simple coque. Les pétroliers, mêmes s'ils sont relativement récents, qui ne satisfont pas à l'épreuve du système d'évaluation pourront ne pas être autorisés à entrer dans les ports de l'UE ou à battre le pavillon d'un pays de l'UE.

4.- Une proposition ambitieuse : l'instauration de sanctions pénales au niveau communautaire pour les pollutions maritimes issues de navires

a) Une avancée significative

Lors du Conseil européen de Copenhague le 12 décembre 2002, les Etats membres avaient évoqué la nécessité de prendre de nouvelles mesures spécifiques concernant la responsabilité et les sanctions, afin de mieux lutter contre les pollutions maritimes. Cette demande a été relayée par le Conseil « Justice et affaires intérieures », au cours duquel a été exprimée la volonté de renforcer la protection de l'environnement au moyen du droit pénal.

De fait, dès le 5 mars 2003, la Commission a adopté une proposition de directive prévoyant d'infliger des sanctions pénales, allant jusqu'à des peines d'emprisonnement, aux responsables de pollutions maritimes, tant dans les eaux territoriales qu'en haute mer. Ces sanctions sont destinées à s'appliquer à la société de classification et à toute personne, y compris le capitaine, le propriétaire, l'exploitant et l'affréteur d'un navire, reconnue coupable d'avoir causé ou contribué à causer une pollution illégale, intentionnellement ou par négligence grave. Son champ d'application a été défini de façon extensive et inclut les rejets illégaux de substances nocives -dégazages et déballastages- ainsi que les pollutions engendrées par les accidents de navires transportant des produits polluants.

L'instauration d'un régime de responsabilité pénale au niveau européen, visant à harmoniser les législations pénales existantes des Etats membres en la matière, constituerait une évolution majeure. En effet, certains Etats membres ne disposent pas d'un dispositif pénal suffisamment développé. Mme Obadia, chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement à la sous-direction de la Justice pénale spécialisée du ministère de la Justice, a ainsi souligné : « En termes de législation pénale, la France est l'un des pays le mieux doté et le plus cohérent pour ce qui concerne son dispositif répressif. (...) La France est entièrement favorable à l'instrument européen actuellement envisagé, dans la mesure où il incitera les autres Etats européens à faire de même. On s'est rendu compte, notamment à l'occasion de l'affaire du Prestige, que l'Espagne, par exemple, n'a pas un dispositif pénal aussi précis que la France. »

L'initiative de la Commission apparaît donc particulièrement bienvenue. Elle représente à cet égard une profonde évolution de l'approche communautaire des questions de responsabilité des pollueurs maritimes. L'exposé des motifs de la proposition de directive est particulièrement éclairant sur ce point: la Commission relève en effet que « des effets véritablement dissuasifs ne seront obtenus qu'en établissant que les rejets illégaux constituent une infraction pénale, ce qui reflète une désapprobation de la société qualitativement différente de celle manifestée par le biais d'une indemnisation au civil ou des mesures administratives, et transmet un message fort aux délinquants potentiels ».

Par cette proposition ambitieuse, la Commission pose donc les premiers jalons d'un droit pénal européen de l'environnement.

b) La nécessité de tenir compte des règles de répartition de compétences

Cependant, ce texte ne tenait pas compte des règles relatives au premier et troisième pilier des Communautés européennes : définir les modalités d'harmonisation des sanctions pénales ne relève pas du domaine d'une directive communautaire concernant la politique des transports. Cette proposition de directive a donc dû être complétée par une décision cadre, présentée par la Commission le 3 mai dernier.

Les deux textes comportent des dispositions relevant de leurs domaines de compétence respectifs : la directive fixe le champ d'application de l'interdiction, les comportements interdits et le principe de sanctions dissuasives et proportionnées, tandis que la proposition de décision cadre détermine les échelles de sanctions et les types de peine. Elle fixe également les principes de coopération en matière d'entraide répressive internationale, incluant, entre autres, les règles d'extradition.

Ce dernier point est particulièrement sensible, car l'exécution des décisions pécuniaires judiciaires se heurte à des difficultés pratiques. Mme Obadia a ainsi souligné que parallèlement au processus engagé sur les pollutions maritimes, des avancées ont été obtenues sur l'exécution de ces décisions : «Une décision cadre a été approuvée politiquement -elle est passée au conseil des ministres « JAI » le 8 mai dernier ; il s'agit d'un projet de directive de reconnaissance mutuelle entre les Etats européens des décisions judiciaires pécuniaires.

Actuellement, la grande difficulté est de mettre à exécution, à l'étranger, nos décisions pécuniaires -qui sont en la matière les plus dissuasives. Au sein de l'Europe, dans quelque temps, nous aurons une simplification complète des procédures de reconnaissance mutuelle : nous ne serons plus obligés de passer par un processus d'entraide, de demandes de Chancellerie à Chancellerie. La peine française sera automatiquement exécutable en Espagne, par exemple. Cette décision est d'autant plus importante que Malte et la Grèce vont bientôt faire partie de l'Union européenne. »

Les deux textes parallèles -directive et décision cadre- sont actuellement en cours de discussion et devraient être présentés sous peu au Conseil. Subsistent cependant des difficultés s'agissant des pollutions en haute mer : en effet, les règles communautaires ne peuvent intervenir que dans le respect de la convention de Montego Bay et doivent respecter le principe de la liberté du pavillon en haute mer. Elles peuvent cependant utiliser les dispositions de l'article 218 §1 de la convention précitée, qui prévoient la possibilité d'enquête et de poursuite en cas de rejet illicites. Ces questions délicates font actuellement l'objet d'un examen approfondi.

Le processus ainsi engagé pourrait être mené à son terme par la mise sur pied d'une juridiction européenne chargée de la répression des délits de pollutions volontaires ou accidentelles. Cette proposition a été faite par les autorités politiques françaises et plusieurs groupes internationaux travaillent sur ce sujet. Un dispositif juridictionnel européen suppose en tout état de cause un corpus juridique pénal uniformisé : il est donc nécessaire dans un premier temps d'harmoniser les législations des Etats, avant d'envisager la mise en place d'une telle juridiction.

5.- Le contrôle du niveau de formation des gens de mer, aux modalités de mise en œuvre complexes

Comme on l'a évoqué plus haut, une directive relative au niveau minimal de la formation des gens de mer a été adoptée le 4 avril 2001 et prévoit une procédure de reconnaissance par les Etats membres des brevets délivrés en dehors de l'Union européenne. L'objectif de cette directive était de veiller à ce que les gens de mer titulaires de brevets délivrés hors de l'Union et travaillant à bord de navires communautaires soient bien formés et détiennent des brevets conformes aux exigences minimales fixées par les conventions internationales.

La Commission a néanmoins constaté que l'application de cette procédure par les Etats n'était pas sans poser des difficultés. C'est pourquoi elle a proposé de la modifier, en prévoyant un mécanisme de reconnaissance des systèmes des pays non-membres de l'Union centralisé au niveau communautaire. Cette nouvelle approche a pour objectif d'évaluer plus efficacement le respect des exigences internationales par les Etats tiers. La Commission a transmis le 13 janvier 2003 une proposition de directive en ce sens au Conseil et au Parlement européen.

Cependant, la mise en œuvre des dispositions de cette directive risque de se heurter à des difficultés pratiques : en effet, il est prévu que la Commission, assistée de l'Agence, soit chargée d'évaluer les demandes de reconnaissance introduites par les Etats membres. Cette tâche sera sans doute complexe à réaliser pour l'Agence. Ainsi que l'indiquait M. de Ruiter à la délégation de la Commission d'enquête, il paraît difficile, compte tenu des moyens prévus, de confier à l'AESM des contrôles très opérationnels tels que la vérification, sur place et dans tous les Etats du monde, de la qualité des brevets maritimes délivrés par les Etats tiers.

On relèvera également que cette directive prévoit d'aligner les dispositions communautaires actuelles sur les prescriptions internationales des conventions STCW et SOLAS en matière de connaissances linguistiques des équipages : elle systématise donc l'anglais comme langue de communication entre les membres de l'équipage et entre le navire et les autorités à terre. On peut regretter cette disposition du point de vue des intérêts de la langue française, mais elle s'impose de manière incontestable au regard des risques d'incompréhension linguistique au sein d'équipages souvent plurinationaux. Ainsi que l'a indiqué M. Daniel Marrec, président de l'Association française des capitaines de navires, « Tout se passe bien lorsque la situation est sereine, lorsque le navire navigue tranquillement, chacun vaquant à ses occupations à bord. Mais les choses se compliquent dans des situations d'accident ou de catastrophe, lorsque les ordres à donner doivent être clairs et bien interprétés. La convention a donc justement insisté sur la compréhension d'une langue commune, en l'occurrence, la langue anglaise. »

6.- La volonté d'intervenir de manière plus déterminante au sein de l'OMI

Les mesures décidées dans le cadre de l'Union européenne relèvent d'une approche régionale et ne s'appliquent qu'à ses Etats membres. Pour autant, l'Union n'ignore pas le caractère éminemment international du transport maritime, d'autant que nombre de navires passent au large de ses côtes sans faire escale dans aucun de ses ports et peuvent donc s'abstenir d'appliquer les règles communautaires.

Si l'adoption de dispositions au niveau communautaire est pleinement justifiée par la difficulté d'établir dans des délais satisfaisants des règles internationales faisant l'objet d'un consensus parmi tous les Etats membres de l'OMI, cette enceinte internationale est incontournable pour obtenir l'adoption de règles s'appliquant à tous les Etats.

C'est pourquoi l'Union a décidé d'agir avec volontarisme auprès de l'OMI, afin que des normes de sécurité plus strictes soient appliquées à l'ensemble de la flotte mondiale. La Commission européenne a ainsi transmis à l'OMI une proposition préconisant l'adoption d'un calendrier resserré de retrait des pétroliers à simple coque et l'interdiction du transport de fioul lourd dans des navires à simple coque, calquée sur les mesures retenues par le règlement précité. Cette proposition sera examinée par l'OMI en juillet.

Le caractère unilatéral des dispositions communautaires, comparable à celui des mesures prises par l'« Oil Pollution Act » américain, est donc associé à une approche internationale active, de façon à éviter les risques de mesures trop régionales dans un univers concurrentiel mondial.

En outre, l'Union européenne souhaiterait pouvoir intervenir de manière plus directe auprès de l'OMI, en devenant membre à part entière de cette organisation : à ce jour, l'Union ne dispose en effet que d'un statut d'observateur. La Commission a donc demandé au Conseil un mandat de négociation à cette fin.

On constatera enfin que l'influence exercée par l'Union au sein de l'OMI par l'intermédiaire de ses Etats membres porte déjà ses fruits. En effet, comme cela a été indiqué plus haut, la Commission avait proposé un projet de règlement prévoyant l'instauration d'un fonds complémentaire d'indemnisation des victimes de pollution par hydrocarbures, le fonds COPE, qui porterait le plafond total d'indemnisation à 1 milliard d'euros. Le Conseil n'avait pas adopté de décision sur ce point et avait renvoyé aux négociations sur la réforme du FIPOL, menées dans le cadre de l'OMI en mai 2003. Dans cette perspective, la Commission a cherché à coordonner l'action des différents Etats membres et à harmoniser leurs positions respectives, afin que les Etats membres soutiennent unanimement une même proposition et que les discussions sur la révision du plafond du FIPOL au sein de l'OMI aboutissent à un résultat aussi proche que possible de la proposition initiale d'un milliard d'euros.

Cet objectif a été atteint, puisque la conférence diplomatique de l'OMI a adopté le 16 mai 2003 un protocole établissant le nouveau plafond du FIPOL à 750 millions de DTS (droits de tirage spéciaux), qui correspondent à environ 900 millions d'euros, soit l'ordre de grandeur du plafond initialement envisagé par la Commission. Il est indéniable que l'action de la Commission auprès des Etats membres a permis de présenter un front uni et d'influer significativement sur l'issue des négociations.

C.- AU PLAN INTERNATIONAL : UN RYTHME PLUS LENT

Contrairement aux idées reçues, les pays européens peuvent disposer d'un réel pouvoir d'influence au sein de l'OMI même s'ils ne disposent pas d'une flotte marchande très importante. Le poids des Etats dépend surtout, en l'occurrence, de leur degré d'implication concernant un sujet donné, de leur participation active aux débats et aussi de la réussite de la coordination au niveau communautaire.

A ce sujet, plusieurs interlocuteurs ont estimé que la Commission européenne, qui dispose d'un poste d'observateur au sein de l'OMI, aurait un peu trop tendance à s'abstraire du jeu de la négociation multilatérale, qui prend forcément du temps, pour menacer de régler la question par une norme contraignante de portée communautaire.

Depuis la crise de l'Erika, le pouvoir d'influence de la France s'est incontestablement accru, comme le montre l'écho favorable rencontré auprès d'autres Etats par les mémorandums français adressés à l'OMI portant, d'une part, sur le renforcement de la sécurité des transports maritimes internationaux et, d'autre part, sur la réforme du FIPOL.

Ces thèmes traduisent en effet des préoccupations communes à tous les Etats développés ayant une façade littorale importante et peuvent intéresser d'autres pays, qui, précisément, apprécient que la France respecte les prérogatives de l'OMI et le caractère intrinsèquement international des transports maritimes.

Même si aucun changement spectaculaire n'est intervenu au sein de l'OMI depuis l'Erika et le Prestige, il n'en demeure pas moins que le thème de la sécurité maritime fait l'objet de multiples groupes de travail et que certains thèmes, chers au cœur des européens soucieux de réguler le trafic maritime, commencent à faire l'objet de négociations au sein de l'OMI.

De même, l'OMI devrait prochainement examiner une nouvelle proposition de calendrier de retrait des pétroliers à simple coque.

Rappelons en quelques lignes les idées défendues par les deux mémorandums présentés par la France.

Le premier évoqué appuyait l'idée que la France, avec ses partenaires de l'Union européenne, souhaitait adopter des mesures conformes au droit international de la mer et respectueuses des compétences de l'OMI. Le texte comportait notamment des propositions relatives au renforcement de la surveillance et des contrôles pour l'accès aux eaux européennes afin de prévenir les accidents écologiques.

Il proposait en particulier de mettre en place, en concertation avec les Etats membres de l'Union européenne, un signalement volontaire des navires de plus de 300 tonneaux de jauge brute transportant des hydrocarbures ou des marchandises dangereuses à l'entrée dans la zone économique exclusive de ces Etats.

Il faisait également part de l'intention de la France de demander une clarification du régime international, prévu par les conventions MARPOL et SOLAS, de signalement des incidents et des événements de mer. Il était proposé de faire ce signalement auprès du centre de coordination du sauvetage maritime (CROSS pour la France) géographiquement compétent.

Dans ce texte, la France suggérait aussi de renforcer les contrôles sur les navires afin de pallier les carences de certains Etats du pavillon et elle demandait à l'OMI de prévoir la mise en place d'un contrôle régulier contradictoire, tous les trois ans, par une commission ad hoc indépendante, en cale sèche, avec des mesures d'échantillonnage de coque.

Elle indiquait qu'il serait souhaitable de mettre en place une procédure d'audit de sécurité pour vérifier la politique de sécurité maritime menée par les Etats du Pavillon. Cette procédure viserait à contrôler la manière dont les Etats membres de l'OMI s'acquittent de leurs obligations de contrôle vis-à-vis de leurs exploitants.

Dans ce même document, la France rappelait enfin son attachement à l'amélioration des conditions de travail des navigants, ce facteur constituant un élément clé pour la sécurité des navires. En conséquence, elle demandait la poursuite, en vue d'une conclusion rapide, des discussions entamées sur l'abandon, le décès et les dommages corporels causés aux marins. Elle souhaitait également la conclusion, sur la base des travaux en cours, d'une convention réglementant le niveau des effectifs et le temps de travail au regard des impératifs de sécurité.

Quant au mémorandum sur le FIPOL, il suggérait de mieux responsabiliser les armateurs en augmentant leur plafond de responsabilité et de moduler les contributions des affréteurs au FIPOL en les pondérant en fonction de la qualité de la flotte utilisée. Cette mesure visait à inciter les importateurs d'hydrocarbures à recourir à navires mieux entretenus.

Certains des thèmes évoqués par ces deux projets français font actuellement l'objet d'études par des groupes de travail au sein de l'OMI.

1.- Les groupes de travail en cours

L'OMI a pris conscience de la nécessité de rappeler aux Etats du pavillon leurs obligations en matière de contrôle de la flotte immatriculée dans leur registre. L'importance croissante des pavillons de libre immatriculation a en effet une incidence directe sur la sécurité et sur la sûreté maritime.

L'OCDE a lancé une mise en garde, craignant que le manque de transparence ne permette à des terroristes de se dissimuler derrière « l'écran social » des formes juridiques opaques qui caractérisent les acteurs du secteur du transport maritime, et que des structures sociales ou des formes de propriété complexes permettent à certains d'échapper en tout ou en partie à leurs responsabilités en cas de catastrophe environnementale.

En juin 2002, le Conseil de l'OMI a approuvé dans son principe l'idée d'un plan modèle d'audit. Ce plan vise à promouvoir la sûreté maritime et la protection de l'environnement en évaluant dans quelle mesure les Etats membres appliquent et font effectivement respecter les normes énoncées dans les conventions de l'OMI, et en fournissant aux Etats des informations et des conseils sur la manière dont ils s'acquittent de leurs obligations. Dans sa résolution 57/141, l'assemblée générale de l'organisation s'est félicitée de la décision de l'OMI d'approuver le principe d'un plan modèle d'audit volontaire afin d'améliorer l'efficacité des Etats membres.

Un groupe de travail a été constitué, réunissant plusieurs sous-comités de l'OMI pour définir une méthodologie destinée à mettre en place cet audit, sous une forme beaucoup plus contraignante que la procédure actuelle des formulaires d'autoévaluation, qui consiste à ce que les Etats renvoient périodiquement à l'OMI leur propre bilan de leur mise en application des conventions internationales auxquelles ils ont adhéré.

Certains Etats se sont exprimés en faveur de la mise au point d'un plan modèle d'audit obligatoire : en particulier, les Etats membres de l'Union européenne se sont prononcés en ce sens lors du Conseil des ministres des Transports en décembre 2002. Un tel audit obligatoire serait comparable au programme de contrôle de la sûreté de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), qui avait été initialement conçu comme un programme volontaire et est devenu au bout de deux ans un programme de contrôle de la sûreté régulier, obligatoire, systématique et harmonisé.

Dans le cadre du « sous-comité sur l'application des instruments par l'Etat du pavillon », plusieurs délégations avaient soutenu qu'il fallait renforcer le rôle et les responsabilités de l'Etat du pavillon. Dans cette perspective, elles ont proposé la publication d'un recueil qui recenserait les obligations de l'Etat du pavillon, ce document devenant à terme obligatoire.

Ce recueil énumérerait les conventions applicables, y compris la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, et préciserait les obligations des Etats dans l'organisation de leur administration maritime afin que celle-ci soit en mesure de contrôler efficacement l'application des normes maritimes internationales et de réprimer les infractions. Le recueil prévu décrirait aussi les obligations de l'Etat du pavillon en matière d'immatriculation, pour parvenir à un contrôle efficace sur les navires, surtout lorsque ces derniers demandent un changement de registre.

Dans leur principe, ces propositions ont recueilli un appui général, mais plusieurs délégations ont souligné que l'on ne pouvait obliger tous les Etats du pavillon à mettre en œuvre de la même manière au plan interne toutes les conventions internationales pertinentes.

Ces discussions, même si elles sont très longues, prouvent une évolution réelle des Etats membres pour donner progressivement plus de pouvoir à l'OMI pour contrôler le respect des conventions ratifiées.

Par ailleurs, les normes sociales applicables aux équipages sont suivies par plusieurs groupes de travail.

L'OMI a mis en place, depuis plusieurs années, une collaboration rapprochée avec l'OIT pour traiter des questions relatives aux marins abandonnés ou qui ont subi des dommages corporels, et qui sont dans l'impossibilité d'entamer des poursuites contre leur armateur compte tenu de la complexité des règles de procédure en matière de droit international, et ce surtout pour l'application du droit pénal.

L'OMI cherche aussi à améliorer sa procédure de contrôle de l'application de la convention STCW révisée en 1995, plusieurs Etats ayant déploré le manque de fiabilité des certificats professionnels présentés par les équipages. Une réflexion est donc menée actuellement pour rendre plus rigoureuse la procédure de vérification des diplômes délivrés par les Etats adhérents.

De manière plus directement liée à la sécurité maritime à proprement parler, l'OMI doit se prononcer lors de sa prochaine assemblée en novembre prochain sur la problématique des lieux de refuge et sur la mise en place de services d'assistance maritime. Les documents élaborés par plusieurs groupes de travail du comité juridique et du comité de la sécurité de la navigation reprennent des thèmes très proches de ceux développés par la mission interministérielle française auditionnée par la Commission d'enquête.

La culture de la sécurité maritime progresse donc manifestement au sein de l'OMI, même si le rythme impulsé est celui d'une organisation internationale comptant de très nombreux membres aux intérêts divergents, sinon parfois opposés. Beaucoup reste à faire, mais les résultats de la dernière conférence diplomatique de l'OMI permettent de fonder quelques espoirs sur sa capacité à réagir dans des délais raisonnables lorsque des situations de crise surviennent et qu'un front dynamique et volontariste s'ouvre et cherche à emporter la conviction des autres pays membres, sans leur imposer leur solution de manière trop unilatérale.

2.- La conférence diplomatique de l'OMI de mai 2003

La dernière conférence diplomatique de l'OMI fera l'objet d'une analyse détaillée dans la quatrième partie du présent rapport.

Il convient néanmoins d'en saluer les résultats, car cette conférence, dont le résultat était loin d'être joué d'avance, a permis de relever très substantiellement le plafond d'indemnisation du Fonds international de l'indemnisation pour les pollutions pétrolières, qui est passé de 171 millions à près de 920 millions d'euros.

Formellement, cette majoration a été présentée comme la création d'un fonds complémentaire facultatif, mais il est vraisemblable que les pays adhérents au fonds FIPOL de 1992 ratifieront le protocole qui a créé ce mécanisme complémentaire.

Cette majoration était demandée tant par l'Union européenne collectivement que par la France seule, car le naufrage de l'Erika et surtout du Prestige ont démontré l'insuffisance des fonds disponibles pour dédommager l'ensemble des victimes.

Cette conférence est donc à mettre à l'actif de l'OMI car, en moins de trois ans, ce dossier délicat a pu trouver une solution, qui devrait au demeurant entrer en vigueur sans difficulté, puisque les conditions de ratification de la nouvelle convention sont relativement peu contraignantes : il est en effet prévu qu'elle entre en vigueur trois mois après avoir été ratifiée par 8 Etats totalisant un volume d'importation d'hydrocarbures de 450 millions de tonnes.

Les Etats membres de l'Union européenne doivent donc tous se mobiliser pour ratifier ce texte dans les meilleurs délais, de façon à ce qu'il puisse entrer en vigueur dès le début de l'année 2004, en limitant autant que faire se peut la possibilité d'un nouveau sinistre majeur qui ne serait pas couvert par ce régime d'indemnisation plus adapté.

Suite du rapport

1 En raison des gels et annulations de crédits, intervenus au premier semestre 2003 au titre de la régulation budgétaire.

2 Rapport de pollution.

3 Ce plafond sera porté à 270 millions d'euros en novembre 2003.

4 Dont l'un, M. Didier Quentin, est également membre de la Commission d'enquête.

5 La Commission a établi cette liste le 3 décembre 2002 (cf infra).

6 Pour l'outre-mer, ont été désignés les tribunaux de Fort-de-France, de Saint-Denis de la Réunion et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

7 Le Conseil s'est accordé sur une définition technique large de ces produits, qui intègre les catégories les plus polluantes de brut lourd, de fioul lourd, ainsi que le bitume et le goudron.


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