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TOME SECOND

Volume 1

Voir le sommaire du premier volume des auditions

AUDITIONS

4ème partie

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission.

- Audition de M. Michel QUIMBERT, Président du Port Autonome de Nantes-Saint-Nazaire (extrait du procès-verbal de la séance du 8 avril 2003) 4

- Table ronde regroupant M. Jacques GHEERBRANT Préfet maritime de Brest et vice-amiral d'escadre, M. Jean-Yves BERROCHE, Administrateur général, M. Michel LE BOLLOC'H, Directeur régional des Affaires maritimes de Bretagne, M. Jean-Loup VELUT, Commissaire en chef, M. Claude GINESTES, M. Philippe LE BAIL et M. Emmanuel CORNÉE, Inspecteurs de contrôle des navires du Centre de sécurité des navires de Brest, M. Christian QUILLIVIC, représentant des Abeilles International, M. Charles CLADEN, Commandant de l'Abeille-Flandre, M. Yves ROMÉ et M. Bertrand MASSONNEAU, Capitaines de Vaisseaux, Melle Marguerite KERVELLA, représentante du Préfet du Finistère pour le plan POLMAR-terre (extrait du procès-verbal de la séance du 10 avril 2003 - Brest) 26

- Audition conjointe de M. Yvon OLLIVIER, Préfet de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et de M. Maurice MICHAUD, Sous-préfet délégué à la sécurité civile (extrait du procès-verbal de la séance du 15 avril 2003 - Marseille) 55

- Audition conjointe de M. Francis MENÉ, Colonel, chef de l'état-major de zone Sud, de M. Bernard MUSCAT, Capitaine de frégate, Bataillon des marins-pompiers de Marseille et de M. Roger NARDELLI, Commissaire-colonel (extrait du procès-verbal de la séance du 15 avril 2003 - Marseille) 71

- Audition conjointe de M. Bernard LECOMTE, Directeur régional, de M. Daniel DEJARDIN, Directeur régional adjoint, de M. Philippe VINOT, Chef du centre régional de sécurité, de M. Gérard BEAUFILS, Inspecteur du centre de sécurité des navires et de M. Alain ORTOLÉ, Inspecteur du travail maritime. (extrait du procès-verbal de la séance du 15 avril 2003 - Marseille) 90

- Audition conjointe de MM. Eric BRASSART et Joseph MOYSAN, Directeur général et Commandant du Port autonome de Marseille (extrait du procès-verbal de la séance du 15 avril 2003 - Marseille) 106

Audition de M. Michel QUIMBERT(,
Président du Port Autonome de Nantes-Saint-Nazaire


(extrait du procès-verbal de la séance du 8 avril 2003)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président.

M. Quimbert est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Quimbert prête serment.

M. le Président : M. le président, je vous souhaite la bienvenue.

M. Michel Quimbert, personnalité bien connue du monde maritime, et notamment de la Loire-Atlantique, a plusieurs « casquettes », si je puis dire.

En tant que président du port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, il pourra sans doute utilement et précisément nous informer sur l'état d'avancement des discussions menées avec l'amiral Gheerbrant pour faire du port un lieu-refuge.

En tant qu'avocat du capitaine de l'Erika, il aura sans doute des analyses pertinentes et concrètes sur le dispositif actuel de poursuite des différents responsables en cas de naufrage avec pollution.

Enfin, en tant qu'expert reconnu du droit de la mer, je pense qu'il sera à même de nous donner un point de vue éclairé sur les évolutions souhaitables et possibles aux niveaux communautaire et international.

M. Michel QUIMBERT : M. le Président, merci de votre accueil. Vous m'avez prêté plusieurs qualités, j'en ai eu quelques autres encore au cours de mon expérience de professionnel de droit maritime, dont deux que je voudrais souligner auprès de vous parce qu'elles sont susceptibles d'éclairer mes interventions. Je suis aussi le premier vice-président en exercice de l'Union des ports et des chambres de commerce et d'industrie maritime, qui est l'organisme central des ports, qu'ils soient ports autonomes, ports d'intérêt national ou ports locaux. L'Union des ports rassemble 48 structures gestionnaires de ports en France métropolitaine et en outre-mer.

Je suis également le président en exercice de l'Association des ports du Nord-ouest Atlantique, qui regroupe actuellement, dans le cadre d'une association très ouverte, les ports de Brest, Lorient, Nantes Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux et Bayonne. C'est dire si nous sommes particulièrement sensibles, et si je le suis à titre personnel, aux problèmes de pollution.

J'ai rencontré ce matin le président Sammarcelli, mon collègue président du port autonome de Bordeaux, qui est aussi le maire de Lège Cap-Ferret, qui m'a demandé de souligner auprès de vous l'efficacité remarquable du plan POLMAR sur les côtes de sa commune. Il semble que l'on arrive maintenant à nettoyer le littoral avec une parfaite efficacité.

Ces compliments étant faits, je peux passer à quelque chose de plus « réfrigérant » : après chaque catastrophe -et cela fait maintenant 32 ans que je suis un professionnel du droit-, après un moment d'émotion, chacun y va de sa proposition de texte. J'ai l'habitude de dire que c'est de textes dont nous manquons le moins.

En réalité, lorsque je lis la presse et que je vois que l'on demande l'organisation d'une répression pénale du délit de pollution, je suis étonné car un tel dispositif existe déjà. Il en est de même lorsque je vois solliciter tel ou tel règlement relatif à la police de la navigation, qui est déjà en vigueur.

Le véritable problème n'est pas de multiplier les textes -peut-être même y en a-t-il de trop pour qu'ils soient respectés-, mais d'assurer leur application.

Il faut peut-être redécouvrir en cette matière, comme en beaucoup d'autres, les principes de responsabilité. Je vais vous exprimer mon opinion, de la façon la plus directe, sur la responsabilité illimitée. La semaine dernière, l'Association française de droit maritime, qui réfléchit à l'évolution des textes de droit maritime, a entendu un exposé du professeur Antoine Vialard à Bordeaux, concluant à la nécessité d'une responsabilité illimitée.

En réalité, c'est l'un des points simples à mettre en oeuvre. Je pourrai vous faire parvenir la copie de ce qu'est l'état de la législation fédérale américaine et de la législation des différents Etats fédérés. La responsabilité n'y est pas toujours illimitée dans le principe, mais dans les faits, elle l'est toujours. L'obligation de remettre en état est pratiquement générale dans tous les Etats.

Il est évident que cette obligation de remettre en état fait peser sur l'exploitant d'un navire transportant des marchandises dangereuses -et les hydrocarbures transportés par voie de mer doivent y être assimilés-, une charge financière très lourde.

La limitation de la responsabilité est héritée de l'histoire. A l'époque, on considérait que la navigation maritime était une aventure. On parlait d'aventure maritime. Celui qui s'y risquait ne pouvait pas se voir pénalisé en affectant l'ensemble de son patrimoine personnel à cette aventure, pour laquelle on aurait trouvé peu de candidats. C'est la raison pour laquelle avait été déterminé le concept de patrimoine d'affectation. Le navire était à lui seul le patrimoine que celui qui tentait l'aventure maritime offrait en gage et le risque financier se limitait au patrimoine d'affectation, c'est-à-dire au navire.

Lorsque l'on abandonnait le navire, on avait désintéressé ses créanciers. Cette technique évidemment un peu désuète et difficile à mettre en oeuvre à notre époque a vu se substituer progressivement le fonds de limitation de responsabilité, lequel a été très bas jusqu'à l'année 1976 ; de mémoire, lorsque le navire Pesados s'était retourné en baie de Saint-Nazaire en 1970, le fonds de limitation atteignait 180 000 francs.

La convention de Londres, puis le texte de 1992, ont défini des plafonds qui vous sont certainement familiers et qui sont plus élevés. Pourtant, ils ne correspondent plus non plus à aucune réalité aujourd'hui.

Pour l'Erika, j'avais fait des calculs que j'avais d'ailleurs présentés aux élus de Loire-Atlantique : le plafonds du FIPOL doit représenter moins de 8% des dépenses réalisées, si l'on prend une estimation assez substantielle de ce qui a été engagé financièrement par les collectivités locales. Dans tous les cas de figure, on ne dépasse pas 10 %. C'est certainement un niveau insuffisant.

Toute la question réside dans la socialisation du risque. On était effrayé de savoir quels assureurs, pour quels armateurs, accepteraient de faire face à un risque aussi élevé que les conséquences d'une pollution, mais il faut, je crois, maintenant tourner le problème de façon un peu différente et considérer que celui qui exploite un navire ne doit pas être le seul responsable en cas de pollution.

Le modeste juriste que je suis a écrit depuis longtemps qu'il faut responsabiliser tous ceux qui sont intéressés à l'expédition maritime et ne pas faire reposer le risque sur le seul armateur. Cette idée a fait recette et a été reprise abondamment.

Qu'est-ce que cela signifie ? Le navire a le droit de circuler parce qu'il arbore un pavillon. Les Etats louent -parce qu'on peut bien parler de location- leur pavillon dans une activité que l'on peut considérer comme commerciale. En droit, il n'y a pas d'immunité de juridiction ou d'immunité d'exécution pour les Etats en raison de leur activité commerciale.

La location d'un pavillon est une activité commerciale. Je ne vois pas pour quelle raison l'Etat qui loue son pavillon ne serait pas tenu pour responsable de la circulation d'un navire qui est hors normes, dangereux et qui génère un dommage pour autrui.

En outre, les sociétés de classification, qui remplissent une mission relevant pratiquement du domaine régalien, n'ont pas été soumises jusqu'à ces dernières années à une grande surveillance.

Nous pourrons entrer dans le détail tout à l'heure et je pourrai vous parler abondamment des constatations réalisées sur l'Erika. Les sociétés de classification n'ont pas de raison d'être exonérées. A l'évidence, au-delà de l'armateur, celui qui choisit de faire transporter une marchandise dangereuse -toute marchandise polluante doit être considérée comme une marchandise dangereuse-, par un navire sous-normes doit aussi en assumer la responsabilité.

Ce n'est pas l'état actuel du droit positif, mais cela peut l'être très vite. En réalité, sans que soit nécessaire le concours d'innovations importantes sur le plan des textes, mais simplement par une évolution intelligente et une bonne compréhension des choses, nous pourrions arriver à rechercher la responsabilité de l'Etat du pavillon ainsi que la responsabilité de celui qui émet les certificats permettant aux navires de circuler. Pour qu'un navire circule, il lui faut un pavillon qui est accordé par l'Etat. Il a besoin des certificats de classification, délivrés par la société de classification. Il lui faut un armateur titulaire du code ISM. Puis, on peut considérer que celui qui fait transporter une cargaison dangereuse ne peut quand même pas être exonéré.

Lorsque l'on a réuni les responsables, on peut trouver une dimension « d'assurabilité » suffisante pour parvenir à une responsabilité illimitée.

Je souhaite ensuite aborder la question des lieux de refuge. A cet égard, il faut préciser que la notion de port-refuge est un pléonasme et qu'il vaut mieux utiliser le terme de lieu de refuge. Parler du port-refuge du Havre, constitue un double pléonasme, parce qu'il est évident que les ports, « havens » en anglais, sont tous des refuges, des « havres ». 

Il existe cependant d'autres lieux de refuge que les ports. Une directive européenne fait obligation aux Etats de déterminer les procédures à appliquer pour faire face à un risque de pollution, de définir des lieux de refuge et les moyens et procédures à mettre en œuvre à cette fin, ainsi que les procédures d'indemnisation.

Ce texte européen est excellent. Il est fort bien rédigé, c'est un très bon texte, pour une fois !

Je reviens à l'instant d'un colloque, organisé par la Fédération des pilotes maritimes, portant sur le contrôle des navires et sur les lieux de refuge. J'ai noté qu'on allait déterminer des lieux de refuge pour le 1er juillet, qu'on allait établir des procédures d'accès aux sites en prenant en compte tant le navire que la cargaison, et qu'il s'agissait d'éviter la dispersion des responsabilités.

J'ai exprimé en public plusieurs fois que, non seulement les ports ne fuyaient pas leurs responsabilités, mais qu'ils étaient prêts à les assumer pour autant qu'on leur en donne les moyens, et qu'il est vain de dire que l'on refuse d'être un lieu de refuge. En effet, la situation pratique des navires en difficulté fait qu'en réalité le choix s'impose plus qu'il ne se décide.

On peut être confronté à toutes sortes de situations plus ou moins dégradées. Par conséquent, il faut étudier les réponses en fonction du niveau de dégradation de la situation.

J'ai fait observer que le port de Nantes-Saint-Nazaire n'a jamais refusé d'accueillir l'Erika, pas plus que le port du Havre, alors qu'ils en avaient été largement suspectés.

De plus, si l'Erika avait eu la capacité de demander l'accès au port de Nantes-Saint-Nazaire -ce qui n'a pas été le cas- et s'il avait rempli les conditions techniques pour pouvoir gagner notre zone portuaire, je confesse que nous aurions été très embarrassés, car nous n'avions pas les moyens techniques pour accueillir un navire présentant ce type d'avarie. Mais la question ne s'est pas posée car l'Erika a coulé à la suite d'un effondrement rapide et total de sa structure. Le navire se délitait.

Sur le plan technique, en ce qui concerne l'Erika, nous avons parfaitement bien identifié le déroulement et les causes du sinistre. Il n'est d'ailleurs pas sans rappeler la catastrophe du Prestige et de quelques autres, car nous savons très bien que les ballasts dédiés sur les navires pré-MARPOL sont des zones particulièrement sensibles ; ces navires n'avaient pas été conçus pour que les cuves soient transformées en ballasts dédiés particulièrement vulnérables, ni au regard de l'échantillonnage, ni du point de vue de la protection métallurgique. Par conséquent, c'est là que l'on trouve des zones de fracture qui entraînent l'effondrement global de la structure du navire.

Si, demain, un pétrolier d'un tonnage supérieur à 120 000 tonnes arrive dans la zone du littoral Atlantique, entre le Havre et Bilbao, je ne sais pas quel port peut l'accueillir. A Donges, ce serait difficile, nous n'aurions pas assez de tirant d'eau.

Par conséquent, il faut réagir de façon concrète. En effet, après chaque catastrophe, dans des moments de forte intensité émotionnelle, on dit qu'il faut agir impérativement : très rapidement, on produit beaucoup de papier et de procédures, mais on ne voit rien venir. Je me suis donc permis de faire observer au nom du port de Nantes-Saint-Nazaire que, tout d'abord, nous n'étions pas responsables de quoi que ce soit dans l'affaire de l'Erika parce que la question de son accueil ne s'est pas posée ; en revanche, pour ne pas avoir à refuser de recevoir un navire et devoir porter la responsabilité morale d'une pollution majeure, il fallait nous donner les moyens d'apporter une réponse efficace à des situations de danger.

Jusqu'à présent, nous avons mis au point avec la préfecture maritime une convention fixant des niveaux d'alerte et des procédures de reconnaissance, qui permet de travailler plus rapidement, mais ce dispositif ne répond pas à la question de l'accueil d'un navire. En effet, son tirant d'eau ne lui permettra pas d'accéder à un terminal pétrolier à Donges et, même s'il n'est pas immédiatement en avarie, donc en situation de polluer, il peut présenter un risque immédiat, qui nécessite de le vidanger dans les meilleurs délais et de soulager immédiatement sa structure. Or, il n'existe aucun lieu susceptible d'assumer cette mission entre Bilbao et le Havre.

J'ai, à titre d'exemple, évoqué l'initiative du port de Nantes-Saint-Nazaire, qui propose un projet commercial de bouée offshore technique d'une fiabilité totale. Il en existe plusieurs modèles dans le monde. On sait que la technique de la bouée offshore est communément utilisée sur les champs pétroliers de la mer du Nord, où la mer est très difficile ; la technique est aussi mise en oeuvre à Huelva depuis à peu près 40 ans et il n'y a eu aucun accident. Ce sont des techniques fiables et je me demande si au-delà des déclarations d'intention -et j'allais dire des procédures que l'on peut coucher sur le papier-, il ne faut pas également s'équiper d'outils performants pour faire face à des situations critiques.

Malheureusement, tout le monde se contente de s'interroger sur des questions sémantiques et s'inquiète de savoir quelles sont les responsabilités de chacun. A cet égard, dans le colloque auquel j'ai participé, s'est posée la question de savoir si l'on n'allait pas devoir assumer des responsabilités, en prenant des initiatives aux côtés du capitaine.

Je trouve que la question n'est pas pertinente. La règle de base du droit commun de la responsabilité est que chacun est responsable de ses actes. On peut d'ailleurs être tout aussi bien responsable de son abstention que de son action. Par conséquent, face à un navire qui risque de polluer, ne pas agir peut être aussi condamnable que de faire quelque chose d'erroné. Ceux qui proposent d'assumer des responsabilités conjointement avec le capitaine ignorent que les procédures ISM prévoient que le correspondant ISM du capitaine partage sa responsabilité ; par ailleurs, celui qui, confronté à une situation donnée, doit intervenir, engage nécessairement sa responsabilité.

Par conséquent, il est vain d'aborder ces questions en termes de responsabilité. Il faut les considérer en termes d'efficacité.

Je suis prêt à mettre en oeuvre une réflexion technique avec les ports de l'Atlantique pour définir les outils dont nous pouvons nous doter, de telle façon qu'en fonction du lieu de refuge désigné, nous puissions être opérationnels.

Des marins pêcheurs m'ont dit : « Monsieur, vous réclamez la possibilité d'accueillir des navires en difficulté, vous risquez de mettre nos parcs et notre aquaculture en difficulté ». Mais c'est l'inverse ! C'est si l'on ne fait rien que l'on est sûr de les mettre en difficulté. Si je tente d'agir avec des outils aussi performants et adaptés que possible, je leur donne une chance. Si je ne fais rien, ou si je me contente d'écrire des procédures -et c'est ce qui est en train de se produire-, je ne leur donne aucune chance. Il faut être bien clair.

Donc, je suis favorable aux procédures et je l'exprime très directement parce que je viens d'entendre demander encore tout à l'heure s'il faut divulguer le nom des sites qui pourront être déclarés comme lieux de refuge. Je trouve tout à fait scandaleux que l'on hésite à dire aux gens : « Ecoutez, nous sommes dans une zone où, en cas de problème, nous essaierons de faire quelque chose ». Je crois qu'il ne faut quand même pas considérer que nos concitoyens sont complètement irresponsables.

Je suis très choqué par cette démarche. Je sais qu'elle vient en partie de l'Europe, mais elle a été abondamment relayée ici, et elle me paraît regrettable.

Nous avons pratiquement toutes les armes juridiques. Il faut peut-être, en revanche, changer les montants des amendes. Il est évident que, sur le plan de la répression, les textes existent. Maintenant, les montants financiers sont-ils suffisants ?

J'entendais tout à l'heure un représentant de l'Association française des capitaines de navires dire qu'il était très simple de mettre un capitaine en prison et ajouter au surplus que, quand un navire est en difficulté, le capitaine est stressé à l'idée qu'on risque de l'emprisonner à l'issue de la crise. Mais on peut dire cela de n'importe qui, du conducteur d'autobus au conducteur de train, en passant par le pilote d'avion ! N'importe qui peut être inquiet à l'idée que sa responsabilité pénale peut être lourde. Cet argument n'est pas forcément pertinent.

En revanche, la réponse efficace est-elle de mettre en prison un malheureux capitaine, souvent originaire du tiers-monde, qui n'est donc pas dans une situation particulièrement favorable pour discuter les termes de son contrat et être assuré de la pérennité de son emploi ? La responsabilité du capitaine semble lourde alors que les amendes prévues sont souvent anormalement faibles, par rapport notamment au montant des pénalités encourues outre-Atlantique.

Je pourrai vous donner, M. le Président, le tableau des pénalités encourues dans les différents Etats qui composent les Etats-Unis, ainsi que les pénalités fédérales qui peuvent se cumuler en fonction des situations, vous verrez que leur montant est significatif et particulièrement dissuasif.

Il est vrai que l'on doit s'intéresser au commandement du navire et à l'équipage qui l'arme. En effet, les liens entre l'armateur et le navire se distendent, de même que ceux entre l'armateur et l'équipage. Ceci explique cela. L'armateur est propriétaire d'un navire financé au travers d'une banque internationale et immatriculé au nom d'une compagnie « de papier ». En général, le contenu est affrété par une autre compagnie du même type. Dans son groupe, une société est chargée de la gestion technique de l'armement et une autre administre la gestion commerciale du navire ; le gérant commercial est chargé de l'affrètement. Ensuite, vous pouvez avoir une série de sous-affrètements. Dans le cas de l'Erika, le tableau des sociétés intéressées à la gestion est assez impressionnant.

L'équipage est recruté par une société de main-d'œuvre maritime. Ces sociétés sont nombreuses et implantées dans des pays très divers tels que l'Inde, le Pakistan, les Philippines, Hongkong ou les anciens pays de l'Europe de l'Est.

Ces sociétés de main-d'oeuvre sont contactées par le gérant technique. On leur demande un équipage composé de personnes possédant des certificats pour armer tel navire. L'équipage ne connaît pas le navire et va y rester très peu de temps. L'entretien est réalisé par des mécaniciens qui restent quelques semaines sur le navire et qui ne le reverront plus ensuite.

L'intérêt de ces sociétés est évident. Leurs dirigeants estiment que leur rôle se limite à fournir un équipage et qu'il est inutile de faire des demandes ou des remarques au gérant technique sur le navire : cela ne peut leur apporter que des ennuis.

Le système contient en lui-même tous les ingrédients pour générer des difficultés. Je pense que nous sommes quelques-uns ici à pratiquer la navigation, même à une échelle modeste, et nous savons qu'il faut bien connaître un bateau afin de savoir quel est son comportement, quels sont ses équipements et comment les utiliser.

Lorsque l'équipage ne fait que passer -et c'est souvent le cas actuellement- on arrive à la situation suivante : le commandant de l'Erika prend son commandement et constate que le navire présente de mauvaises conditions de chargement. A la première escale où le commandant peut se rendre compte de l'état de son navire, il l'inspecte car il est extrêmement soucieux de sécurité ; c'est même, pourrait-on dire, un commandant maniaque, contrairement à tout ce qui a pu être dit et écrit.

Il va visiter ses ballasts -descendre dans un ballast n'est pas une chose aisée-, il éclaire les plafonds des ballasts et voit qu'ils sont complètement mangés par la rouille. Il éclaire également les cloisons des ballasts et fait la même constatation. Il alerte alors l'armateur, qui lui dit que l'on va lui envoyer des ingénieurs compétents en matière d'armement, le gérant technique, et des représentants de la société de classification.

Ces personnes viennent à bord de l'Erika, lors d'une escale en Sicile, et disent qu'ils ont fait des sondages et que tout va bien. Que voulez-vous que dise ou fasse le commandant ? Il n'est pas ingénieur métallurgiste et ne peut contester les conclusions du métallurgiste qui est réputé être le spécialiste et qui lui a dit : « Mon commandant, vos inquiétudes ont donné lieu à une vérification et tout va bien ».

Il y a ensuite deux hypothèses. Soit le capitaine dit qu'il n'est pas satisfait parce que, visuellement, le navire semble mangé par la rouille dans des zones où les éléments de structure sont fondamentaux. Dans ce cas, on va lui dire : « Monsieur, vous n'êtes pas ingénieur, la société de classification et l'ingénieur d'armement sont venus et si vous n'êtes pas content, vous pouvez prendre vos affaires et partir». Ensuite, on envoie un mot à la société qui l'a recruté en lui disant qu'ils ne veulent plus de ce capitaine. Celui qui recrute les équipages prend la fiche du commandant en question, la met de côté et se dit que ce capitaine pose des problèmes et doit donc sortir de son fichier. C'est ainsi que les choses se passent.

Soit l'équipage de passage est, au contraire, particulièrement discret, voire complaisant : il sera alors bien considéré. C'est aussi simple que cela.

Dans ces conditions, ne faut-il pas rétablir un lien minimum entre l'armateur et le navire ? Au sens de la loi française, l'armateur est celui qui exploite un navire en son nom. Quand l'on rappelle cela, tout le monde semble étonné. Cette définition est exacte, il ne faut rien y changer.

Il faudrait au contraire que l'armateur soit véritablement l'exploitant du navire et que le lien entre l'armateur réel et le navire soit suffisamment affirmé. Il le sera si l'Etat qui accepte de prêter son pavillon à un armateur s'inquiète de vérifier le respect de cette exigence. Tout s'emboîte, et vous ne pouvez faire naviguer un navire qu'avec un pavillon et des certificats de classification. Si les deux acteurs qui permettent à un navire de naviguer se sentent responsables d'une situation, les choses vont évoluer et, ce, immédiatement.

L'équipage est maintenant de plus en plus réduit, nous le constatons sur nos côtes Atlantique, où se produisent régulièrement des abordages entre navires de pêche et navires de commerce. On ne peut pas dire que la formation des gens de mer se soit améliorée, loin s'en faut ; elle s'est même fortement dégradée, y compris en France, où tout le monde s'accorde plus ou moins sur le constat de cette baisse de niveau.

Il y a encore une quarantaine d'années, on recrutait des gens qui avaient souvent fait deux années de classes préparatoires après un bac scientifique. Maintenant, on a du mal à recruter, même au niveau du baccalauréat et parfois en-dessous. Il faut dire aussi que l'on a fermé les écoles de la marine marchande, qui assuraient un bon niveau de recrutement. La France promeut l'idée de ne disposer que d'un pôle maritime au nord et un pôle au sud, ce que je réprouve.

Cette simplification trop drastique se vérifie en matière portuaire comme en matière d'enseignement maritime : on a le sentiment qu'il n'y aurait de place pour des activités maritimes que dans la région du Havre ou dans celle de Marseille. Je dois vous dire que, quand on est président du port de Nantes-Saint-Nazaire, on a souvent le sentiment que l'on cherche plutôt à favoriser les deux plus grands ports.

Pour l'enseignement maritime, une école formait à Nantes les élèves officiers dans une filière longue et recrutait sur l'ensemble du littoral Atlantique ; elle n'avait pas de problèmes de recrutement. Cette filière longue a été fermée.

A l'époque, M. le Président, je crois que vous étiez parmi ceux qui ont protesté avec moi, ainsi que quelques autres, comme Louis Guédon ; nous étions quelques-uns à dire que cette décision était absurde car on fermait une école qui parvenait à placer ses élèves. On savait déjà, après avoir fermé Paimpol, que cela avait un effet direct. On m'a dit que je me trompais parce que, quand on veut être élève officier, on doit se préparer à naviguer : aller à Sainte-Adresse ou à Marseille n'est pas un grand voyage par rapport au long cours auquel l'élève se destine.

C'est oublier la réalité sociologique du recrutement des élèves officiers de la Marine marchande, comme celui des élèves officiers de la pêche : soit on recrute selon une tradition familiale -et elle est importante-, soit on recrute dans des classes relativement modestes.

La Marine marchande a en effet toujours constitué un remarquable moyen de promotion sociale. Au surplus, j'ajoute que, jusqu'à une époque récente, les écoles nationales de l'enseignement maritime étaient les seules qui n'avaient produit aucun chômeur. Il aurait donc fallu s'interroger au préalable sur la pertinence de la fermeture de filières de formation dans un enseignement qui ne produisait aucun chômeur. Tel n'a pas été le cas et je le regrette.

Cette parenthèse étant fermée, il est évident que la qualité de la formation sur le plan international n'est pas allée en s'améliorant.

Il est également vrai que les qualités morales ne vont pas en s'améliorant non plus, mais vous pouvez faire le lien entre l'attitude morale des équipages et la précarité de l'emploi que j'évoquais tout à l'heure.

Il est vrai que l'officier philippin qui se trouve à la passerelle d'un navire et qui va être impliqué dans un abordage où la responsabilité de son armateur sera recherchée est effrayé et que, quelles que soient ses qualités morales, il peut être tenté de fuir ses responsabilités : on en trouverait des exemples multiples.

J'ai assisté au procès de l'affaire Bow Eagle à Bergen. C'était un moment extrêmement émouvant. L'intéressé a été condamné à cinq ans d'emprisonnement ; je ne suis d'ailleurs pas certain qu'en France la chose aurait été jugée aussi rapidement et aussi efficacement. On peut se poser la question de savoir si les vies humaines ne valent que cinq ans au fond. Ces comportements peuvent tout de même apparaître comme criminels, mais c'est une autre conséquence de la précarité dans laquelle se trouvent des ressortissants du Tiers-Monde dans les emplois maritimes.

Nous en sommes arrivés jusqu'à cette extrémité, que constitue la fuite totale des responsabilités, fût-ce au prix d'un comportement criminel. Je crois qu'il faut redécouvrir des vérités premières : la nécessité de rétablir le lien navire/armateur, le lien armateur/équipage, le lien navire/équipage et le lien entre les membres de l'équipage eux-mêmes. Certains équipages sont si hétérogènes que l'inefficacité devient la règle. Il y a même des navires sur lesquels quatre ou cinq langues sont parlées. Se cumulent alors les comportements de complaisance dans l'armement, dans le recrutement de l'équipage, dans l'octroi du pavillon, dans les contrôles des sociétés de classification et la complaisance et dans le recours à des navires bon marché, trop bon marché : ils sont si peu chers que leur prix devrait alerter l'affréteur. Certes, ce dernier peut arguer qu'il n'est pas chargé de contrôler un navire et qu'il ajoute foi à ses certificats. Mais quand le prix est tellement bas, il devrait interpeller. Or, le problème du transport maritime réside bien dans le coût ridiculement bas du fret. Personne ne peut s'en sortir avec de tels prix en respectant les normes de sécurité.

N'existe-t-il pas des responsabilités dans le transport maritime de cargaisons dangereuses pour des prix très bas ? La question posée par le rapport du BEA-mer lors du Prestige et de l'Erika ne mérite-t-elle pas d'être posée ? Ne faut-il pas que les compagnies pétrolières et ceux qui font transporter des marchandises dangereuses soient tenus d'armer des flottes de qualité ? Est-il moralement, juridiquement et politiquement acceptable de les laisser recourir au transport maritime au coût le plus bas, avec toutes les incidences que j'évoquais tout à l'heure ? C'est une vraie question !

M. le Président, après ce long exposé je suis prêt à répondre à vos questions.

M. le Président : Je ne reviens pas sur la question des lieux de refuge. Simplement, qui finance les bouées offshore ? L'Europe, l'OMI ou d'autres organismes doivent-ils y participer financièrement ?

M. Michel QUIMBERT : Je précise que cette bouée offshore était, à l'origine, un projet commercial, qui a été abandonné, me semble-t-il à tort. En réalité, est-il raisonnable de faire passer dans une zone très fréquentée des quantités aussi élevées de marchandises dangereuses ? Ne faudrait-il pas essayer de réduire ce trafic en évacuant notamment le pétrole par un pipe-line, en utilisant des bouées offshore et ce dès la porte d'entrée géographique de l'Europe qu'est l'Atlantique ?

Il m'est souvent arrivé de faire observer que l'on ne pense aux ports de l'Atlantique qu'en cas de conflit. Donges a été construit à l'occasion de la première guerre mondiale ; la bouée offshore et le pipe-line Donges-Melun-Metz l'ont été à l'occasion de la deuxième. Tant que l'armée américaine était là, il existait des coffres avec une prise destinée à assurer la sécurité de l'alimentation en carburant des troupes américaines en Allemagne. Ce sont des techniques tout à fait utiles.

Je serais prêt à étudier quelle peut être la rentabilité de l'augmentation du transport d'hydrocarbures par le pipe-line Donges-Melun-Metz. La capacité de cet outil, certes ancien, mais sur un site dédié, ne devait-elle pas d'ailleurs être relevée, de façon à pouvoir transporter davantage de marchandises ? Aujourd'hui, ce mode de transport est techniquement tout à fait maîtrisé. Je ne suis pas capable de vous décrire techniquement quel serait le système le plus adéquat, mais je demande que l'on réfléchisse à l'utilisation de cet outil, qui pourrait être modernisé.

Si demain, un navire du tonnage que j'évoquais tout à l'heure est devant nos portes, qu'en ferons-nous ? Nous serons démunis et nous ne pourrons que le renvoyer sur le port d'Antifer ou en Espagne.

M. le Président : Je souhaiterais vous poser des questions sur les dégazages et les déballastages.

Premièrement, les installations portuaires préventives pour le traitement des résidus sont-elles suffisantes en France ?

Deuxièmement, en termes de répression, comment améliorer la poursuite et la sanction des déballastages et des dégazages « sauvages » ? Estimez-vous que la mise en place de tribunaux maritimes spécialisés prévue par la loi relative à la création d'une zone de protection écologique en Méditerranée -actuellement devant le Parlement- permettra une meilleure application du droit maritime, avec une meilleure sensibilisation des magistrats aux questions maritimes et une rapidité accrue des procédures ?

M. Michel QUIMBERT : En ce qui concerne le dégazage, le déballastage et l'équipement des ports, je pourrai vous faire parvenir les statistiques des organismes officiels.

Des progrès considérables ont été faits en ce qui concerne le rejet à la mer des hydrocarbures dans le cadre d'opérations de déballastage. Tout d'abord, la surveillance a été accrue ; ensuite, un système de mutualisation des coûts est peu à peu mis en place ; je suis d'ailleurs favorable à ce type de solutions. Dans cette perspective, une directive européenne, qui ne fait en l'occurrence qu'appliquer la convention MARPOL, prévoit que les déchets doivent être accueillis par les ports : ces derniers doivent donc mettre en place les installations adéquates -c'est le cas dans tous les ports français. Selon le texte, les navires doivent payer, qu'ils utilisent ou pas le service. C'est une bonne solution car le navire qui paie un service va l'utiliser et n'a plus d'intérêt économique à tricher.

De la même façon, je ne suis pas du tout choqué lorsque j'entends dire que dans tel port on paye le pilote, qu'on le prenne ou pas. Lorsque des navires fréquentent un port de façon irrégulière et disposent de capitaines titulaires d'une licence de pilote, ils ne font pas usage du pilotage, mais ils payent cependant pour le pilotage. Il faut en effet mutualiser le coût des services de sécurité et de protection de l'environnement ; ces derniers doivent être soutenus financièrement, y compris par des techniques de mutualisation de ce type.

Par conséquent, M. le Président, je crois que la convention MARPOL et cette directive européenne constituent des outils juridiques suffisants. Nous disposons des moyens techniques nécessaires. Il faut maintenant accroître la répression, ce qui implique d'augmenter le nombre de gendarmes. Il faut être concret. On ne peut réduire complètement le risque qu'en effectuant des constatations fiables qui permettent de traduire les délinquants devant les tribunaux.

Cela rejoint votre question sur les tribunaux. Il existe une juridiction spécialisée dans le domaine marin qui s'appelle le Tribunal maritime commercial (TMC). Il s'agit d'une juridiction ancienne, paritaire, héritière de l'ordonnance de 1681. Elle était présidée par un administrateur des Affaires maritimes, le siège du ministère public était tenu par un officier de la Marine nationale, qui est un professionnel averti ; les assesseurs comprenaient un magistrat civil et, selon le rang et la qualité de la personne poursuivie, des capitaines de la marine marchande ou de pêche et un inspecteur de la navigation. Cette juridiction n'a jamais démérité. Je l'ai souvent fréquentée, j'ai toujours trouvé qu'elle était de qualité.

En 1981, pour des raisons idéologiques, le Garde des Sceaux de l'époque a voulu supprimer les juridictions d'exception. Le Tribunal maritime commercial a fait partie des juridictions menacées de suppression. C'était une erreur qui procédait de l'ignorance. Le Tribunal maritime commercial a été sauvé, à la suite de l'intervention de juristes de droit maritime, au nombre desquels je me trouvais. Cependant, comme la réforme avait été annoncée et qu'il fallait absolument faire quelque chose, on a décidé que le Tribunal maritime commercial serait désormais présidé -et c'est le cas aujourd'hui- par un juge civil et non plus par l'administrateur des Affaires maritimes.

C'est une erreur, car l'administrateur, familier du domaine maritime, dirigeait fort bien les débats, alors que, maintenant, les juges civils du TMC sont complètement désemparés parce qu'ils n'ont aucune culture maritime.

Finalement, ces procédures sont tellement lourdes que l'on évite de réunir les tribunaux maritimes. Leurs sessions tendent à se raréfier. Il faudrait donner une nouvelle vie à cette juridiction.

C'est un sujet complexe, car pour donner vie à une juridiction il faut aussi permettre à la victime de s'y exprimer ; or le défaut de cette juridiction est qu'elle ne peut pas accueillir de partie civile. Seules la défense et l'accusation peuvent s'y exprimer. Par conséquent, les victimes ont un sentiment de frustration.

Je pense que l'on pourrait, par une réforme simple autoriser au moins une forme de constitution de partie civile, même si, pour juger des intérêts civils, il faudrait prévoir le renvoi devant le juge civil, grâce à la passerelle instaurée par la loi Fauchon en matière d'homicide ou de blessure par imprudence (loi du 10 juillet 2000).

Cette passerelle existe, même en cas de relaxe. On peut renvoyer tout de suite devant le juge civil. Cette disposition est tout à fait efficace et l'on pourrait l'appliquer au TMC. Il faudrait également que l'administrateur des Affaires maritimes en reprenne la présidence. La procédure, qui est inutilement complexe et lourde, devrait être allégée et, par exemple, alignée sur les procédures de droit commun des tribunaux correctionnels. C'est très simple et on pourrait y autoriser par conséquent les parties civiles, ce qui éviterait le sentiment d'injustice ressenti par les victimes.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne le droit de la mer, pour l'instant, des études doivent être menées au sein de groupes de travail de l'OMI. Dans quels domaines faut-il réformer le droit de la mer ? Cette réforme doit-elle être entreprise dans le cadre de l'OMI, ou l'OMI elle-même doit-elle être refondue ?

Vous avez évoqué la qualification ainsi que la formation des marins. Ce sujet fait l'objet de conventions actuellement en cours de ratification par la France.

En revanche, la France n'a pas ratifié deux autres conventions relatives à l'indemnisation des dommages liés au transport maritime des produits chimiques et au traitement des carburants de soute. Faut-il, selon vous, réformer les régimes de responsabilité civile et pénale ?

Au regard du régime américain dont on a beaucoup entendu parler lors des auditions, êtes-vous favorable à la responsabilité du propriétaire de la cargaison, qui est le premier bénéficiaire économique du recours à des bateaux de mauvaise qualité ? Faut-il créer un délit pénal d'atteinte à l'environnement ? Faut-il aussi créer un tribunal pénal maritime international ?

La Commission européenne a fait aujourd'hui des propositions pour instaurer des sanctions pénales en cas d'infraction aux règles en matière de pollution. Qu'en pensez-vous ?

Est-il positif de concentrer les procédures actuelles, au niveau français dans trois tribunaux de grande instance spécialisés ? Plus ponctuellement, où en est-on dans la procédure de l'Erika ?

Pouvez-vous comparer le régime juridique américain par rapport au régime européen qui se dessine et au régime national ?

Quelle est, selon vous, la portée juridique de l'accord franco-espagnol de Malaga, dont on a beaucoup parlé ?

La notion de zone particulièrement vulnérable est actuellement en cours de définition au sein de l'Union européenne et de l'OMI. Estimez-vous que l'instauration d'une telle zone au niveau européen permettrait de mieux nous protéger ?

M. Michel QUIMBERT : Répondre à toutes ces questions sera long! Je vais essayer d'avancer vite. Premièrement, j'ai déjà évoqué certains sujets. Modifier la responsabilité civile serait souhaitable pour instaurer une responsabilité civile illimitée et obtenir la responsabilisation de tous ceux qui permettent la navigation du navire et de ceux qui en tirent profit.

A cet égard, je livre à votre réflexion un bon exemple. Il existe une convention sur la responsabilité du transport de marchandises nucléaires. On a considéré que cette marchandise était à l'évidence dangereuse par elle-même et que son propriétaire ne pouvait pas se décharger de sa responsabilité sur un transporteur : le propriétaire de marchandises nucléaires reste responsable, y compris dans le transport maritime. N'est-ce pas une direction vers laquelle on pourrait réfléchir ? Je pense que ce système déjà en place est un bon exemple.

Rendre responsable le propriétaire d'une cargaison parce qu'elle est dangereuse en elle-même me paraît procéder d'un bon raisonnement. D'ailleurs, il existe en droit un grand nombre de situations où vous êtes responsable sans qu'il soit besoin de rechercher votre faute. A titre d'exemple, vous êtes responsable du fait de l'usage d'un véhicule en vertu d'une présomption, la loi Badinter sur la responsabilité en matière de circulation routière n'impliquant plus la recherche de responsabilité. On peut considérer que le propriétaire d'une cargaison dangereuse en soit responsable : cela ne me paraît pas choquant, ni par rapport aux principes juridiques, ni par rapport à la morale.

Ensuite, à lui, qui a fait le choix du navire, d'exercer une action récursoire. En réalité, si vous considérez que le propriétaire de la cargaison doit demeurer responsable de la pollution vis-à-vis des tiers victimes, cela ne lui interdit pas d'aller rechercher la responsabilité de son transporteur s'il estime avoir fait toute diligence pour que la cargaison soit bien transportée. A lui d'assumer le risque d'insolvabilité.

Mais, de vous à moi, n'est-il pas plus moral que ce soit au pétrolier qui fait transporter sa cargaison à bas prix d'assumer le risque d'insolvabilité plutôt qu'à celui qui va subir la pollution, qui ne sera pas indemnisé alors qu'il n'a tiré aucun profit de cette aventure maritime ? Parfois, les solutions concrètes peuvent rejoindre des questions de morale ou d'éthique dans la gestion des affaires. Cette solution constitue une issue qui me paraît tout à fait aller dans le sens de l'éthique des affaires.

En ce qui concerne l'idée d'un Tribunal pénal maritime international, je ne suis pas très favorable à des institutions qui vont être nécessairement compliquées et vont aboutir à des poursuites dans des délais extrêmement longs.

Nous avons besoin d'une justice relativement rapide. Plus personne ne comprend, dans ce pays, que la justice se prononce sur un événement de mer 20 ans après ; or cela se produit.

J'ai reçu l'arrêt relatif au sinistre du Snekkar Artic en février, 17 ans après l'événement. On doit repartir de zéro en première instance, après une décision de relaxe générale.

Dans cette affaire, j'ai été l'avocat d'une des parties. Je ne vous cacherai pas que cette décision de relaxe générale me paraissait s'imposer mais dans ces matières extrêmement techniques, une réponse beaucoup plus rapide que celle actuellement donnée par les juridictions de droit commun est quand même indispensable.

Pourquoi ne pas revivifier le Tribunal maritime commercial ? On pourrait étendre, le cas échéant, ses compétences et assouplir ses procédures en les rendant plus simples et plus rapides ? On pourrait mettre en place un Tribunal maritime commercial par littoral. D'ailleurs, dans le passé, les juridictions de l'amirauté avaient une compétence géographique extrêmement étendue. De telles juridictions auraient pour avantage d'être pratiques, efficaces et peu coûteuses. Il suffit d'avoir la volonté politique de le faire.

En ce qui concerne l'Erika, vous me posez une question délicate car l'instruction pénale est toujours en cours. Par conséquent, nous ne sommes pas réputés en parler car nous sommes tenus au secret de l'instruction ; mais, sans le violer aucunement, force est de constater que celle-ci n'est pas close et qu'elle ne le sera sans doute pas tout de suite. Force est de constater également que, d'après les éléments rendus publics -et donc sans trahir aucun secret professionnel-, nous pouvons avoir des opinions nuancées. Je trouve que, par exemple, nous aurions pu utilement demander des explications aux responsables de l'administration maritime maltaise. C'était une bonne opportunité car nous savons, dans l'affaire de l'Erika, que le navire était véritablement mangé par la rouille et que l'effondrement massif de structure était inévitable : personne n'aurait pu y faire quoi que ce soit. C'était vraiment un navire corrodé au dernier degré.

Nous aurions pu demander utilement des explications au responsable du pavillon. Cela n'a pas été le cas. Dans tous les événements de mer où la structure d'un navire casse, on vérifie également les réparations effectuées. Or j'ai la conviction que ce contrôle aurait été pertinent pour le Prestige d'après les éléments techniques portés à ma connaissance.

Vous qui êtes des élus côtiers, vous savez tous qu'il est interdit à un pêcheur dont le navire à coque métallique a une avarie de faire ce qu'on appelait une « doublante » -cela consiste à souder une tôle sur la partie avariée-, même au titre des réparations provisoires et ce pour une raison simple : chaque fois qu'on rigidifie une structure métallique dans des endroits affaiblis, une rupture va survenir quelques centimètres plus loin. Par conséquent, il vaut mieux conserver le trou que de faire une « doublante ».

Je pourrais évoquer un cas qui a été jugé : un navire avait été acheté pour quelques millions de dollars. Pendant l'année qui a suivi, l'armateur avait transporté des produits blancs pour lesquels la corrosion est beaucoup plus rapide qu'avec des produits noirs. Vous avez deux possibilités : soit, vous prévoyez le « coating » de vos cuves qui seront ainsi corrodées moins vite, mais cela coûte de l'argent ; soit vous laissez vos cuves comme cela, mais vous changez les tôles plus souvent. Cet armateur exploite son navire pendant un an en transportant des produits blancs. A la fin de l'année, il se rend dans un chantier asiatique et dit que les épaisseurs de tôle de son navire deviennent insuffisantes. Il fait réaliser des sondages. Il s'avère que pratiquement toutes les tôles ont une épaisseur inférieure aux minima requis. L'intéressé a recherché la responsabilité du vendeur et de la société de classification, en faisant observer que le navire n'avait pas pu perdre une telle épaisseur de tôle dans l'année, même en transportant des produits particulièrement corrosifs. Le changement de tôle a coûté sept millions de dollars, et ce cas s'est produit il y a une douzaine d'années.

Cet exemple montre que, lorsque l'on commence à « taper » dans une zone de navire, comme disent les ingénieurs, on ne sait pas où l'on va aller. Alain Gril, ancien patron des chantiers de l'Atlantique, a fait une comparaison avec le reprisage des vêtements. Quand les enfants allaient à l'école sur les bancs en bois, ils usaient le fond de leur culotte et la grand-mère était chargée de mettre une pièce. La grand-mère et le petit-fils s'opposaient parce que la grand-mère voulait que la pièce aille très largement au-delà de la zone usée et le petit-fils disait qu'il allait avoir l'air ridicule si la pièce dépassait le fond. C'est un peu le même processus.

Sur un navire usagé, il faut intervenir très loin pour aller jusqu'aux zones où l'on est certain de trouver des parties très saines. Sur l'Erika, on aurait changé une centaine de tôles dans la zone qui a rompu lors du naufrage. Ce fait laisse quand même perplexe sur le sérieux de l'intervention technique. Il n'existe pas un seul chantier sérieux qui puisse ne pas avoir conscience qu'en agissant ainsi, on réunit les conditions pour que le navire casse.

Sur le Prestige, des interventions ont également eu lieu. Chaque fois que l'on intervient dans le cadre d'une réparation, notamment par la société de classification, la surveillance doit être plus stricte que pour un navire neuf. Il est beaucoup plus difficile d'intervenir techniquement sur un navire usagé que sur un navire neuf : en effet, on va être contraint de bousculer un équilibre et, à l'évidence, à chaque soudure on va obtenir une zone d'affectation thermique ; chaque fois qu'on va rigidifier la structure, on encourt le risque d'une rupture.

Sur ce sujet, il faudrait que des poursuites et des sanctions soient prévues de manière à dissuader les chantiers d'intervenir sans précaution. S'il y avait une pédagogie judiciaire à tirer de ces catastrophes-là, ce serait vraiment la poursuite des gens qui n'ont pas pu ne pas avoir conscience du risque.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir répondu à ces nombreuses questions.

M. Daniel PAUL : Concernant les ports refuge, le Havrais que je suis a entendu parler de la candidature de Cherbourg. Pouvez-vous évoquer cette question, compte tenu de la nature du port de Cherbourg, qui est un port militaire, destiné à la Marine nationale pour l'essentiel ?

Vous avez indiqué tout à l'heure que tous les ports de l'Atlantique, de Brest à Biarritz, devaient pouvoir accueillir des navires en détresse. Peut-on imaginer que, sur une telle côte, le choix du port d'accueil de tel navire en détresse, aux caractéristiques données, soit fondé sur les spécificités du port ? Tel pétrolier irait dans tel port, tel minéralier dans tel port, tel chimiquier dans tel autre, et ce selon la nature de l'accident qui survient ?

La mutualisation des risques, disiez-vous, même si l'on n'utilise pas le service, vous semble-t-elle aujourd'hui d'actualité compte tenu de la concurrence par les coûts entre les ports ? C'est la logique du libéralisme. Actuellement, cette approche se vérifie à l'échelle européenne, nous le constatons avec la directive portuaire.

Mon dernier point concerne la Commission d'enquête sur l'Erika. Je ne sais pas si cela a été le cas pour l'enquête judiciaire, mais la Commission d'enquête sur l'Erika avait auditionné les autorités maltaises : elle en avait fait venir en France et s'était rendue à Malte.

M. Michel QUIMBERT : Concernant Malte, que la Commission ait entendu les autorités maltaises me paraît une très bonne chose, mais vous avez compris que, dans mon esprit, il fallait aller au-delà. Pour Cherbourg, je n'ai pas d'informations particulières. J'ai presque envie de dire que Cherbourg est toujours candidat à tout, même pour des choses assez fantaisistes comme, à mon sens, les « fast ships » ; mais ce serait un long sujet. Qu'il faille choisir les lieux de refuge en fonction des équipements spécialisés que l'on peut y trouver est exactement ma position, mais je vais au-delà et je demande si les équipements dont nous disposons actuellement sont suffisants : ma réponse est non.

Par conséquent, j'ai bien peur que ce grand débat, que je qualifiais tout à l'heure d'un peu émotionnel, soit interrompu. Je me souviens qu'après la catastrophe de l'Amoco Cadiz, la grande émotion s'est dissipée et peu a été fait finalement.

Sur le plan POLMAR, nous avons développé des procédures qui sont certainement beaucoup plus efficaces. Mais rien n'a été fait, à ma connaissance, dans le domaine des grands équipements, qui peuvent être extrêmement onéreux. Il faut non seulement répertorier ce qui existe et faire l'inventaire des équipements spécialisés performants dont on peut disposer, avec les règles applicables, notamment en termes d'indemnisation financière -ce que permet la directive européenne-, mais il faut aller au-delà et se demander si l'on peut faire l'économie d'études sur de nouveaux équipements et de nouveaux outils.

Vous avez compris que je suis persuadé que les catastrophes que nous avons subies ne seront malheureusement pas les dernières.

J'ajouterai un dernier mot pour répondre à votre question sur le libéralisme. J'ai écrit, dans le passé, un certain nombre de notes sur ce sujet. Je n'ai jamais considéré que le libéralisme puisse être une doctrine acceptable dans le domaine de la sécurité maritime ou aérienne.

A un moment, quelle que soit l'approche que l'on puisse avoir de l'économie, il faut se dire que, même dans une logique libérale, le « laissez-faire » dans ces domaines n'est pas économiquement viable parce que le coût de la pollution est inacceptable.

Il ne s'agit pas du tout d'opposer des philosophies ou des doctrines économiques. Même le partisan du libéralisme le plus total que je suis reconnaît que le libéralisme bien compris impose d'économiser l'argent que coûte la pollution.

Ce matin, j'ai exposé, au nom des ports de l'Atlantique, tout le bien que je pense du rapport du sénateur de Richemont.

Vous me permettrez, M. le Président, de prendre un peu de temps pour vous dire que je trouve ce rapport courageux. Une partie pourra apparaître libérale, mais de façon contenue, car même sur la libéralisation du pavillon, Henri de Richemont dit, avec beaucoup de pertinence, qu'il faudra que l'Etat soit responsable des contrôles et qu'un certain nombre de garanties soient données à l'exploitation en système libéral. C'est un libéralisme que je qualifie de « contenu ».

Sur la partie consacrée au cabotage, il a dit lui-même qu'il risquait d'être considéré comme un interventionniste mais, selon moi, il reste mesuré car il prévoit un investissement public certes important mais pertinent. Il fait observer -cela peut intéresser votre Commission-, qu'un kilomètre d'autoroute en plaine, sans ouvrage d'art particulier, coûte 8 millions d'euros, et que le coût d'un navire représente quatre kilomètres d'autoroute.

Ne faut-il pas ajouter au coût de la route le coût de la pollution atmosphérique ? Il faut peut-être ensuite ajouter le coût des dépenses de santé générées par la pollution atmosphérique ainsi que le coût des accidents de la route. A ce moment-là, vous vous apercevrez peut-être que le mer-routage ou le « short-sea shipping », est économiquement viable si vous intégrez tous les coûts, qui sont des coûts réels, mais que personne n'a jamais pris en compte jusqu'à présent.

J'observe avec intérêt que la Commission européenne commence à vouloir chiffrer ces coûts : la pollution maritime visible de nos côtes est une chose, mais la pollution permanente de l'atmosphère doit aussi être prise en compte : dans ce domaine, la marine peut vous aider.

M. le Président : Le respect des accords de Kyoto...

M. Michel QUIMBERT : Le rapport au Premier ministre de Henri de Richemont est des plus pertinents à ce sujet.

M. Louis GUÉDON : M. le Président, je souhaiterais faire une petite constatation, et ensuite poser une question. La constatation concerne Malte. Effectivement, avec le président Daniel Paul, nous sommes allés y faire des auditions.

Deux réflexions suite à cette visite : le rapporteur Jean-Yves Le Drian a obtenu des Maltais l'aveu, devant notre Commission, que leur société de classification était celle de l'armateur de l'Erika. De ce fait, Malte a reconnu qu'elle se conduisait comme juge et partie. Je dois dire que, contrairement aux informations que vous donnez, notre arrivée à Malte n'a rien eu à voir avec notre départ. Quand nous sommes arrivés à Malte, nous avons été reçus de façon quelque peu désinvolte, mais lors de notre départ, nous avons eu droit à tous les honneurs. Je sais que, depuis, Malte a fait sortir de sa flotte énormément de navires défectueux parce que la dénonciation de cette faute juridique considérable par la Commission a profondément mortifié et gêné les Maltais.

M. le Président, j'ai beaucoup apprécié votre propos et je dois dire que je me trouve totalement en phase avec votre analyse de l'ensemble des problèmes maritimes et de la politique qu'il serait nécessaire de conduire.

J'ai fréquenté l'Organisation maritime internationale et les institutions européennes et j'ai rencontré les Américains. Dans cette enceinte, nous sommes tous d'accord car nous sommes tous sensibilisés aux problèmes maritimes. Ceux qui suivent les problèmes de la mer savent bien que la France, pays territorial, a politiquement tort parce qu'elle est électoralement minoritaire. Il est très regrettable qu'il faille des catastrophes comme l'Erika ou le Prestige pour que les Français soient sensibilisés, au moins momentanément, sur ce sujet.

Que peut obtenir le petit pays qu'est la France -qui n'est plus une puissance maritime, avec une flotte au 28ème  rang mondial- auprès des instances internationales afin de promouvoir vos propositions courageuses, de bon sens et d'intérêt général auxquels j'adhère pleinement ?

M. Aimé KERGUERIS : Nous nous étions rendu compte, lors de l'accident de l'Amoco Cadiz, que des cargaisons pouvaient changer de propriétaire pendant un voyage !

Ce système existe-t-il encore et comment, dans ces cas-là, assurer la responsabilité du propriétaire de la cargaison ? Cela signifie qu'en cas de doute sur le propriétaire de la cargaison, selon le moment exact de la survenance d'un sinistre, les procédures sont encore plus longues.

Ma deuxième question concerne la plate-forme offshore du plateau du Four. Le projet existait il y a quelques années. Quelles ont été les raisons de l'interruption de ce dossier ?

M. le Rapporteur : On doit distinguer deux éléments sur le plateau du Four : le projet de port et la bouée offshore.

M. Aimé KERGUERIS : Je parle de la bouée. C'est un dossier que j'avais suivi. Nous étions allés en Espagne et à Gibraltar pour voir ce qu'il y avait là-bas.

M. Michel QUIMBERT : Sur Malte, nous ne sommes pas du tout en désaccord. Je n'ai pas dit qu'ils n'avaient pas fait amende honorable et qu'ils n'avaient pas pris conscience de leur légèreté. Je vais d'ailleurs ajouter -je ne sais pas si vous le savez- qu'il est plus que vraisemblable que l'autorité maritime maltaise, qui avait délégué le soin du contrôle à la société de classification italienne Rina, ait exercé d'aimables pressions pour que la société Rina ne soit pas trop exigeante. Cela va au-delà même de ce que vous pensiez. Je n'incrimine pas plus ceux-là que les autres. Mais, si l'on veut être exemplaire en matière pénale, il ne faut oublier personne.

Il est tout à fait vain de désigner des boucs émissaires. Il faut frapper ceux qui tiennent les cordons de la bourse. Incriminer le commandant est un peu facile. Si vous êtes à bord d'un navire qui se délite parce qu'il est complètement corrodé, vous pouvez être le meilleur commandant du monde, cela ne suffira pas : on ne vous enseigne pas à conduire un navire qui s'effondre ; quel que soit le talent de l'intéressé, il n'y parviendrait pas car c'est impossible.

En ce qui concerne votre réflexion plus générale, on pourrait se lancer dans une opération de longue haleine et, dans le cadre de la convention de Montego Bay, modifier quelques articles, notamment ceux fixant de façon très incomplète les questions de compétence juridictionnelle en matière d'abordage et de non-assistance en haute mer.

Vous avez vu s'instaurer un débat lors de l'affaire Cistude / Bow Eagle ; on pourrait utilement clarifier quelques points. Cela relève des Nations Unies : la procédure est donc assez lourde.

En revanche, en tant que législateur national, rien ne vous interdit de légiférer sur tout ce qui se produit dans la zone économique française ou dans tous les domaines qui se rattachent à la France. Je vous rappelle que la compétence des tribunaux français va très au-delà de sa zone économique. Il suffit qu'il y ait un coupable français pour l'attraire.

Je voudrais vous donner un exemple très significatif qui s'est produit chez nous. C'est l'affaire du Number One. Il s'agit d'un navire en très mauvais état, qui était dans la région de Bangkok ; les navires que l'on trouve dans cette zone sont très dégradés et en extrême fin de vie.

Des ressortissants français ont acheté ce navire pour une somme évidemment très faible ; chaque voyage remboursait le prix du navire car, lorsque le prix d'un navire est aussi faible, on arrive très vite à le rentabiliser. Le navire était complètement dégradé, avec des trous un peu partout. Il a fini par couler, par un temps relativement mauvais, au large du Sri Lanka. Du fait de la nationalité de certains des protagonistes, la juridiction française s'est déclarée compétente et a instruit, puis jugé cette affaire. Elle est maintenant pendante devant la cour d'appel, mais un jugement en première instance a été rendu sur cette affaire, cela prouve que dès lors que des intérêts français sont concernés les juridictions françaises peuvent être compétentes. C'est une chose que l'on oublie très souvent. Je pourrai vous adresser le jugement, il est très intéressant à lire.

J'en viens à la question de M. Aimé Kergueris. La cargaison chargée à bord d'un navire est matérialisée par un document que l'on appelle le connaissement. Il représente la marchandise et la valeur du transport.

Pour résumer, ce connaissement se transfère très aisément. C'est presque un titre. On l'a parfois comparé à des effets cambiaires, certes à tort, mais l'on trouve des similitudes dans la technique. Lorsqu'on charge un navire, le chargeur mentionné au connaissement reçoit le document. Quand il veut se faire payer par son acheteur, il met le connaissement avec le jeu de documents utiles prévus par le crédit documentaire en banque. Il l'endosse au nom de la banque, la banque le paye dans le cadre de la procédure de crédit documentaire et transmet le connaissement à la banque de l'acheteur qui a confirmé le crédit et qui paye. A ce moment-là, la banque attend que l'acheteur paye pour, elle-même, lui retransmettre le connaissement par un nouvel endos.

Dans l'intervalle, l'acheteur initial peut vendre la cargaison, il peut même la vendre un grand nombre de fois. Il n'y a aucune difficulté technique à identifier le propriétaire de la marchandise : il est le plus souvent parfaitement identifiable, mais au surplus, tant que le chargeur n'a pas démontré qu'il a vendu et cédé -à lui de prouver qu'il l'a fait- si quelqu'un est réputé être le propriétaire, c'est le chargeur initial. A lui d'aller établir, s'il y avait une difficulté, la réalité de la transmission de propriété.

Cela ne me paraît pas poser de problèmes techniques difficiles. Ce sont même des problèmes assez courants.

Maintenant, en ce qui concerne les projets successifs de bouée offshore, un projet a été proposé mais il était démesuré. Cela dit, si l'on regarde ce qui a été fait à Bilbao, on se dit qu'en matière portuaire les investissements sur le littoral Atlantique dans son ensemble ont été bien modestes. Le port de Bilbao a investi 240 millions d'euros et a réalisé un port en eaux profondes qui lui permettra, pendant certainement au moins un demi-siècle, d'éviter tout problème de dragage et d'accueillir des navires avec un tirant d'eau maximum. Dans le port de Bilbao, le tirant d'eau admissible est de 28 mètres. C'est un outil remarquable. Malheureusement, cela coûte 240 millions d'euros.

Le projet d'implantation d'une bouée offshore au Four a été abandonné en raison de son coût. Je pourrais vous communiquer le prix de l'époque qui est apparu beaucoup trop élevé à la tutelle pour justifier un tel investissement.

M. le Rapporteur : Il s'agissait de 700 millions de francs, je crois.

M. Michel QUIMBERT : Entre nous, nous l'aurions réalisé à l'époque, nous aurions fait une très bonne affaire, car l'outil existerait. S'il fallait faire la même chose maintenant, ce serait probablement plus cher car on mettrait en oeuvre des techniques plus sophistiquées. En réalité, c'est une question de prix.

Or il faut rapprocher le prix de ce que coûte une pollution et de l'importance du risque qu'il y a à faire passer autant de cargaisons. Il faut rapprocher ce prix de l'outil qui peut être habituellement utilisé à des fins commerciales. J'avoue que je serais gêné de vous préconiser l'achat d'un tel outil s'il risquait de ne pas être utilisé. Ce n'est pas le cas. Un tel outil peut être utilisé commercialement en plus de la fonction qu'il peut assumer en cas de catastrophe, mais le problème est que cet outil a un coût.

La sécurité a un prix tout comme le transport maritime. Ce qui me plaît dans le rapport de Henri de Richemont, c'est qu'il a osé dire que les camions qui empruntent l'autoroute émettent tout de même quelques rejets atmosphériques, que l'on ne prend pas en compte dans l'évaluation du coût du transport autoroutier. Celui qui emprunte l'autoroute ne paie pas l'intégralité du coût que cela représente. Je ne leur en fais pas le reproche, mais la personne qui transporte des marchandises par mer, paie, pour sa part, l'intégralité du coût du transport maritime. Par conséquent, il faut savoir raison garder et comparer ce qui est comparable. Tous les enjeux du transport maritime, y compris les enjeux de la protection environnementale, des accidents et de la congestion des transports doivent être pris en compte. Sur ce dernier point, vous savez que la vitesse moyenne de déplacement d'une tonne sur la route baisse chaque année de façon drastique : nous allons moins vite désormais qu'à l'époque de Napoléon ! Cette vitesse s'établit aujourd'hui à 18 kilomètres à l'heure. Si nous continuons comme cela, vont se constituer des zones de congestion formidables, entraînant des risques majeurs.

Il faut certainement repenser le transport maritime ; les ports y travaillent mais dans des conditions extrêmement difficiles. Je crois en effet que la perception de ce que sont véritablement les ports n'est pas exacte.

Je crois que le port va prendre plus d'espace et va générer une réglementation nautique.

En réalité, si l'on observe le port de Nantes-Saint-Nazaire, on voit qu'à terme les projets menés à bien ont des conséquences très positives au niveau environnemental : ce port dispose d'une des plus belles réserves ornithologiques, située sur le Banc de Bilho qui est une île artificielle entièrement créée par le port autonome pour ses besoins. Si je vais plus loin, cette merveille écologique qu'est le Canal de la Martinière avait été réalisée par les ingénieurs du port pour permettre l'accès des navires à Nantes à un moment où la Loire était ensablée, alors qu'il n'y avait pas les outils de dragage suffisants.

Par conséquent, ce qui peut apparaître comme une atteinte ponctuelle et immédiate à l'environnement, peut finalement s'avérer, quelques années après, très positif.

Je plaide avec conviction pour le transport maritime et pour les ports et j'en viens à mon dernier mot. J'ai trouvé que la question de M. Guédon était la bonne : Comment peut-on agir pour promouvoir le transport maritime dans de bonnes conditions de sécurité ? Nous nous la posons tous. Comment faire ?

M. Louis GUÉDON : Si vous montez une armée, je serai l'un de vos soldats !

M. Michel QUIMBERT : Lors d'une interview par un journal, j'ai indiqué qu'il manquait un parti bleu marine à la France. Cela avait fait le titre du journal. Certains m'ont dit que j'allais passer pour un farfelu. Mais je livre cette remarque à votre réflexion... Il existait, jadis, un grand mouvement appelé la Ligue maritime.

M. le Président : ... et coloniale, la LMC.

M. Michel QUIMBERT : C'était un mouvement populaire, les gens donnaient une cotisation d'un montant équivalent à 50 centimes d'euro. C'était une époque où la Marine était prospère. Nous disposons aujourd'hui de nombreuses structures, telles que l'Institut français de la mer, de mon ami Vallat. Mais je me demande si, toutes sensibilités confondues, il ne faudrait pas recréer une Ligue maritime en encourageant le plus grand nombre à y adhérer.

De temps en temps, je dis en plaisantant qu'aux prochaines élections régionales, je vais présenter des candidats bleu marine. C'est une boutade, mais il est vrai que l'on a parfois véritablement envie de créer ce parti bleu marine où tout le monde pourrait se retrouver autour de principes de bon sens.

Je n'ai fait qu'évoquer des choses qui procèdent le plus souvent du bon sens, mais le bon sens est une chose qu'il est difficile de faire triompher dans ce pays.

M. le Président : Merci beaucoup.

Table ronde regroupant
M. Jacques GHEERBRANT Préfet maritime de Brest et vice-amiral d'escadre, M. Jean-Yves BERROCHE, Administrateur général, M. Michel LE BOLLOC'H, Directeur régional des Affaires maritimes de Bretagne, M. Jean-Loup VELUT, Commissaire en chef, M. Claude GINESTES, M. Philippe LE BAIL et M. Emmanuel CORNÉE, Inspecteurs de contrôle des navires du Centre de sécurité des navires de Brest, M. Christian QUILLIVIC, représentant des Abeilles International, M. Charles CLADEN, Commandant de l'Abeille-Flandre, M. Yves ROMÉ et M. Bertrand MASSONNEAU, Capitaines de Vaisseaux, Melle Marguerite KERVELLA, représentante du Préfet du Finistère pour le plan POLMAR-terre


(extrait du procès-verbal de la séance du 10 avril 2003 -
Brest)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président.

M. le Président rappelle aux présents les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête. A l'invitation du Président, Melle Kervella et MM. Gheerbrant, Berroche, Le Bolloc'h, Velut, Ginestes, Le Bail, Cornée, Quillivic, Claden, Romé, Massonneau prêtent serment.

M. Jacques GHEERBRANT : Nous sommes très heureux et très honorés de vous recevoir à la préfecture maritime à Brest pour poursuivre les échanges entamés le 1er avril dernier dans le cadre prestigieux de l'Assemblée nationale.

Autour de la table sont présentes les personnes que vous avez souhaité rencontrer et, en particulier pour ce qui est de mon équipe, mon adjoint pour l'action de l'Etat en mer, l'administrateur général Berroche, le chef de la division de l'action de l'Etat en mer, le commissaire en chef Velut, l'adjoint aux opérations, le capitaine de vaisseau Romé et le chef de la division des opérations, le capitaine de vaisseau Massonneau. Les autres personnes échappent à mon autorité stricto sensu : l'administrateur général Le Bolloc'h, directeur régional des Affaires maritimes et M. Ginestes, directeur du Centre de sécurité des navires (CSN) de Brest. A sa gauche, M. Le Bail, expert vacataire au CSN, et M. Cornée, inspecteur du travail maritime. A droite, le commandant Charles Claden, commandant de l'Abeille-Flandre, et son directeur M. Quillivic, représentant la société Les Abeilles International.

M. Jacques GHEERBRANT : Je ne voudrais pas répéter mot pour mot ce que je vous ai exprimé il y a dix jours dans mon exposé préliminaire sur l'organisation générale de l'activité de la préfecture maritime dans ses trois domaines, que je ne vais donc rappeler que brièvement.

Aujourd'hui -puisque comme vous le savez un projet d'évolution des responsabilités du préfet maritime est à l'étude- le préfet maritime peut être décrit comme un « urgentiste » chargé, au-delà de ses responsabilités permanentes de police administrative générale en mer, d'intervenir dans trois domaines seulement : le sauvetage de la vie humaine en mer, la prévention et la lutte contre les pollutions, enfin l'ordre public en mer.

Dans la période récente, les médias ont surtout relaté les activités relatives au deuxième domaine, à savoir la lutte contre les pollutions, mais je me dois de souligner que les activités de sauvegarde de la vie humaine en mer sont permanentes. La semaine dernière, nous avons communiqué les résultats 2002 des deux CROSS Corsen et Etel, en particulier pour l'activité de sauvetage. Cela représente pour l'année dernière, comme pour l'année précédente, environ 3 500 interventions par an et près de 5 000 personnes assistées ; malheureusement, il faut déplorer la perte de 110 personnes dans la zone de responsabilité de la préfecture maritime Atlantique, en 2002 comme en 2001.

On parle assez peu de cette activité, qui a pourtant pour nous un caractère de primauté absolue. J'ai ainsi l'habitude de dire en parlant de lutte antipollution que, pour nous, le naufrage de l'Erika correspond avant tout à 26 personnes sauvées, et celui de l'Ievoli Sun, à 14 personnes sauvées ; le traitement des problèmes de pollution, sur lequel nous reviendrons nécessairement, n'intervient qu'ensuite.

L'organisation mise en place profite largement du fait que, les fonctions de préfet maritime et de commandant de zone maritime étant confondues, la permanence opérationnelle du préfet maritime est assurée ici à Brest par le Centre des opérations maritimes (COM), dont la vocation initiale est militaire, au sens propre du terme. Dans le même temps, la permanence du préfet maritime pour le sauvetage en mer est assurée par le CROSS auquel est donnée délégation permanente à cet effet, et qui est, comme le COM, un centre d'opérations maritimes assurant une veille 24 heures sur 24, 365 jours par an, pour cette mission qu'il exerce par délégation du préfet maritime.

C'est une organisation éprouvée dont le « rapport qualité-prix » est tout à fait excellent.

Au-delà de ces deux centres opérationnels principaux, chacune des administrations concernées dispose également de son propre centre opérationnel, par exemple, celui des Douanes à Nantes. Je n'oublie pas, parmi les participants, la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), dont les statistiques 2002 montrent une fois encore qu'elle participe à hauteur de 50 % au sauvetage de vies humaines en mer, année après année, avec là aussi un rapport coût-efficacité qu'aucune administration ne saurait égaler en raison du caractère bénévole de ses équipages.

Le projet d'extension du pouvoir des préfets maritimes est toujours en cours de discussion et devrait être soumis au Comité interministériel de la mer prévu à la fin de ce mois. En principe, ce projet ne sera pas révolutionnaire. J'entends par là que les deux options extrêmes étaient, pour l'option basse, le statu quo et, pour l'option haute, un début d'intégration de l'ensemble des administrations agissant en mer sous l'autorité fonctionnelle permanente du préfet maritime. Ceci a été jugé excessif par les administrations civiles en question et le consensus s'est fait sur un renforcement de la coordination des administrations opérant en mer, c'est-à-dire, pour résumer, un retournement de logique.

En effet, jusqu'à ce jour et aujourd'hui encore, jusqu'à ce que le nouveau texte entre en vigueur, le préfet maritime a tous pouvoirs de coordination des administrations dès que l'urgence l'exige. Je me dois de souligner que, au cours des 4 mois et demi de la crise du Prestige, nous n'avons eu aucune difficulté significative à obtenir la pleine et entière coopération des administrations civiles, qu'il s'agisse des Douanes avec ses moyens aériens et nautiques, de la Gendarmerie maritime ou des Affaires maritimes.

Mais la logique de demain -compte tenu des nouvelles menaces qui s'exercent en mer et qui concernent essentiellement le terrorisme, dans le domaine de l'ordre public appartenant au préfet maritime, mais aussi les trafics en tous genres, notamment le trafic de drogue- consiste à considérer que l'urgence est permanente et que le renforcement de la coordination des pouvoirs du préfet maritime doit se traduire par un renversement de logique : alors qu'aujourd'hui le préfet maritime dispose des moyens des administrations lorsque ceux-ci ne sont pas occupés par leurs missions spécifiques, demain, ce sera l'inverse. Les administrations disposeront de leurs moyens pour leurs missions spécifiques, dans la mesure où le préfet maritime n'exprime pas sa priorité sur l'emploi de ces moyens pour les missions communes.

Je pense que ceci, doublé d'un effort dans le sens d'une meilleure visibilité des moyens de l'Etat agissant en mer -sous la forme d'un marquage commun des moyens participant à ces missions- représentera un pas significatif vers une plus grande efficacité, sans créer une révolution culturelle dont les conséquences auraient été difficiles à gérer et, sans doute, au moins pour une période transitoire, se seraient réalisées au détriment de l'efficacité de l'ensemble.

M. le Président : Ma première question est la suivante : certains parlent beaucoup de la possibilité de créer un jour un corps de garde-côtes qui pourrait être européen. Or, la description que vous nous faites de l'administration française, avec cette collaboration efficace que vous soulignez entre la Marine nationale, les Douanes, la Gendarmerie maritime et le SDIS, semblent satisfaisantes, pour le moins dans un premier temps. J'aimerais avoir votre avis sur cet éventuel corps de garde-côtes.

J'aimerais ensuite que vous puissiez rapidement nous décrire le schéma de traitement d'un sinistre. Si une difficulté se produit, que se passe-t-il ? A quel moment intervenez-vous les uns et les autres ? Quelle est l'articulation des centres opérationnels ? Qui informe qui et dans quel ordre ?

Troisième question : le schéma des autorités du CROSS ainsi que le partage des responsabilités entre la Direction des Affaires maritimes et des gens de mer (DAMGM), d'une part, et le préfet maritime, d'autre part, sont-ils toujours parfaitement clairs ?

Plus généralement, quelles sont vos relations avec les élus du littoral ? Y a-t-il des échanges entre les élus et vous-même sur les questions les plus préoccupantes ?

Au plan international, avez-vous la possibilité réelle de mobiliser les moyens d'Etats étrangers, et suivant quelles modalités concrètes ?

Enfin, organisez-vous  des conférences maritimes régionales ? A quelle fréquence ? Avec quels acteurs ? Disposez-vous d'une autre structure de coordination interministérielle ?

M. Jacques GHEERBRANT : Pour ce qui est des garde-côtes, vous aurez compris que je dispose déjà d'un corps de garde-côtes qui, simplement, ne dit pas son nom. La question est alors plutôt de savoir s'il est dommageable qu'il ne dise pas mieux son nom !

La première mesure dont je parlais tout à l'heure est le marquage des moyens dédiés à l'action de l'Etat en mer, toutes administrations confondues, à l'instar de ce que les Affaires maritimes ont spontanément commencé à faire de leur côté en marquant leurs bateaux de trois bandes. Il s'agit d'une démarche spontanée à caractère « décoratif » menée par les Affaires maritimes, qui n'a pas fait l'objet, dans un premier temps, d'une concertation avec les autres administrations.

Cette démarche présente cependant une petite difficulté, notamment pour la Marine nationale. Si un certain nombre de moyens sont dédiés à l'action de l'Etat en mer, les autres moyens sont polyvalents, ce qui peut poser un problème de principe. En effet, lorsqu'un bâtiment de combat participe à une activité liée à l'action de l'Etat en mer, le marquer pourrait être intéressant, mais il faudrait que les marques soient amovibles afin que, le lendemain, si le bâtiment se retrouve dans une mission de combat ou de souveraineté, il ne soit plus perçu uniquement comme un navire lié à l'action de l'Etat en mer. Un accord de principe a été trouvé pour un marquage permanent des moyens dédiés et un marquage amovible -qui ne sera certainement pas de même nature car on ne peut pas peindre la moitié d'une coque à titre provisoire- pour les moyens polyvalents. L'affaire est réglée sur le plan théorique, il reste à la mettre en pratique.

Je ne crois pas, personnellement, et d'après les discussions récentes sur l'extension des pouvoirs du préfet maritime, que l'on puisse raisonnablement aller plus loin, car si l'on voulait créer un corps de garde-côtes et si l'on acceptait le principe -puisque le modèle est connu, c'est celui des gardes-côtes américains- d'en faire un corps à statut militaire, en particulier pour assurer sa disponibilité dans un certain nombre de missions, je préfère ne pas être membre du groupe de juristes qui transposeront les statuts de la Douane et des Affaires maritimes vers un statut militaire. Je n'imagine non plus que la Société nationale de sauvetage en mer, qui participe au dispositif, puisse être utilement militarisée.

Aller en ce sens constitue un défi, à la fois inabordable et sans doute inutile, et je préfère la perspective du partage au niveau européen, par grands secteurs d'activité, des tâches nous incombant aujourd'hui, en « sautant », si j'ose dire, l'étape de l'intégration nationale de l'ensemble de ces moyens dans un corps unique. De plus, la réalité communautaire de la lutte contre la pollution est déjà pleine et entière, avec notamment la mobilisation de moyens d'Etats étrangers. Cela me paraît une direction beaucoup plus productive que de vouloir « marier » les statuts historiquement très différents des participants actuels à l'action de l'Etat en mer au niveau national.

En ce qui concerne le schéma de traitement d'un sinistre, nous essayons autant que possible d'intervenir en amont du sinistre. Lorsque l'on évoque des sinistres, on pense en particulier aux naufrages ou aux accidents menant à une pollution. De nos jours, dans la plupart des cas, la première indication d'un risque de sinistre provient des bateaux concernés eux-mêmes. C'est donc un appel de détresse ou le signalement d'une difficulté.

Je dois souligner un fait qui m'a beaucoup étonné quand je suis arrivé ici : nombre de bateaux -plusieurs par jour- s'arrêtent à proximité des côtes bretonnes, le temps d'une réparation, avant de traverser l'Atlantique. La pointe de Bretagne est un peu la dernière « station-service » avant une longue traversée. Ainsi, très régulièrement, des bateaux nous annoncent qu'ils stoppent les machines et qu'ils se mettent à la dérive pour une durée estimée de 3 à 6 heures. Il n'est pas exceptionnel qu'après les 6 premières heures annoncées, ces bateaux renouvellent la manœuvre pour 6 autres heures, et ainsi de suite. Nous avons régulièrement des bateaux objectivement en panne -parce le moteur est « déculassé » et que tant que la réparation n'est pas finie, ces navires n'ont plus de propulsion- sur lesquels nous gardons un œil évidemment vigilant.

M. le Président : En plein milieu du rail ?

M. Jacques GHEERBRANT : A proximité des zones d'entrée ou de sortie du rail d'Ouessant. Cela fait partie des navires que nous surveillons.

Mais il faut garder présent à l'esprit que les zones surveillées le long de la côte française sont extrêmement restreintes. La zone d'Ouessant est surveillée par les radars implantés sur la tour du Stiff et gérés par le CROSS ; les eaux littorales sont surveillées par les radars des sémaphores, dont la couverture est quasi continue de jour mais sur une profondeur limitée de 12 à 16 milles nautiques suivant les conditions de propagation. De nuit, à l'exception de trois d'entre eux, les sémaphores sont fermés. La mer n'est pas une zone largement surveillée : seule la zone de forte activité d'Ouessant est surveillée en permanence.

M. le Président : Les radars tombent-ils parfois en panne ? On nous a laissé entendre qu'ils n'étaient pas toujours de première jeunesse...

M. Jacques GHEERBRANT : M. Le Bolloc'h vous le dira, ils ont été entretenus en attendant d'être changés. Le projet de M. Serradji d'un changement rapide des radars a connu quelques écueils budgétaires. Ce remplacement prend un peu de temps, comme tout projet coûteux. Mais il n'y a pas péril en la demeure, le CROSS n'est pas aveugle.

Le premier signalement d'un sinistre provient du bateau en question lui-même, parfois dans un délai raisonnable, dès l'arrivée d'une avarie potentiellement dangereuse. Avec des capitaines de deuxième catégorie, instruits par des armateurs de troisième catégorie, ces signalements sont parfois tardifs ! Je n'ai pas besoin de revenir sur le cas de l'Erika dont le premier appel de détresse a été annulé par l'émetteur, mais il n'est pas rare que des appels parviennent d'une façon extrêmement tardive. Récemment, un capitaine de port me disait que, pour le capitaine d'un navire grec, deux choses sont strictement interdites par son armateur : la première est d'appeler un remorqueur et, la seconde est de perdre son mouillage, c'est-à-dire ses ancres. D'une part, perdre son mouillage est dommageable, parce que les ancres permettent de survivre sans faire de frais. D'autre part, un remorquage est une facture lourde, et le capitaine faisant appel indûment à un remorqueur verra sa carrière sérieusement compromise dans ces compagnies de deuxième zone.

En tout état de cause, nous ne pouvons détecter un risque que dans les zones surveillées, généralement dans celles surveillées par le CROSS, où la cinématique anormale d'un bateau peut attirer l'attention. Ensuite, que faisons-nous ? Ici au COM, bien entendu, toute indication, qu'elle provienne du capitaine d'un navire ou d'une détection spontanée des autorités du CROSS, provoque immédiatement la réunion, dans un délai de 10 minutes maximum, de ce que l'on appelle la cellule de réflexion, qui vient en renfort de l'officier de permanence 24 heures sur 24 et procède à une première analyse rapide de la situation. C'est cette cellule qui, dans un délai extrêmement bref, provoque notamment l'ordre d'appareillage de l'Abeille-Flandre, qui, comme vous le savez, est à 40 minutes d'alerte jour et nuit, 365 jours par an, ou 364 si l'on retire un jour de maintenance pendant lequel nous prévoyons un moyen de remplacement. C'est cette cellule de réflexion qui déclenche l'action et, naturellement, me prévient de l'incident constaté. Ensuite, selon la nature du risque constaté, deux degrés d'action sont prévus.

Le premier degré est la préparation et l'envoi d'une équipe d'évaluation. L'envoi d'une équipe sur le bateau dépend un peu des circonstances de l'incident. Elle peut comprendre, selon les cas, des experts en sécurité et des marins pompiers, en particulier s'il s'agit d'incendie ou de voies d'eau, domaines dans lesquels ils sont tout à fait qualifiés. Elle va comprendre bientôt -l'affaire est en cours de finalisation- des inspecteurs de sécurité des navires parce que la capacité d'analyse de l'état d'une structure et d'anticipation des risques majeurs constatés, comme pour Erika ou le Prestige, notamment les risques de rupture, constitue une expertise peu répandue dans le personnel de la Marine nationale. Cela demande des experts qualifiés dans le domaine particulier de l'architecture navale et de la résistance des matériaux, avec une vraie difficulté que M. Ginestes, chef du Centre de sécurité des navires de Brest, pourra préciser : l'évaluation de l'état structurel d'un bateau en mer est extrêmement complexe. Une véritable évaluation ne peut se faire que lors d'un passage à sec au bassin, d'une durée significative, de façon à pouvoir mesurer les épaisseurs de tôle, les déformations, etc.

Jusqu'à maintenant, nous n'avions pas cette possibilité parce que, simplement, cela n'avait pas été mis en place et parce qu'il fallait également définir les conditions dans lesquelles les personnels d'inspection de la sécurité des navires pouvaient être entraînés et juridiquement couverts pour une telle mission. Les incidents arrivant le plus souvent dans des conditions météo exécrables, une telle évaluation nécessite en effet de se faire hélitreuiller vers un bateau dont la position n'est pas nécessairement très stable. Ce n'est donc pas un sport de masse, mais une activité « pointue », à laquelle il convient de s'entraîner.

Au-delà des spécialistes de la sécurité incendie et des voies d'eau, du spécialiste de la sécurité des navires que l'on aura bientôt, on y envoie aussi, le cas échéant, un officier de police judiciaire, afin d'affirmer l'autorité de l'Etat, voire des commandos de la Marine nationale - si l'on a le sentiment qu'en plus du mauvais état du bateau, la mauvaise volonté de l'équipage est possible -, ainsi que des personnels des Affaires maritimes pour vérifier en particulier la documentation de ce bateau et connaître son historique. Puis, si l'on a le sentiment qu'une opération de remorquage se profile, un expert en ce domaine est envoyé, généralement en provenance de la société Les Abeilles International, qui connaît la question mieux que personne. L'expérience a montré, par exemple lors du sinistre de l'Ievoli Sun, que le capitaine de l'Abeille-Flandre n'a peur de rien. Il n'y a rien qu'il aime plus que d'être descendu au bout d'un filin descendant d'un hélicoptère ! Dans la mesure où c'est la société Les Abeille International qui prend ensuite le bateau en remorque s'il le faut, ses experts sont capables de vérifier la capacité du bateau d'être pris en remorque.

C'est donc une équipe pluridisciplinaire et à géométrie variable que l'on envoie sur le bateau, pour connaître exactement sa situation et prendre les bonnes décisions.

Dans la problématique très actuelle des ports-refuges, il est absolument indispensable d'avoir une connaissance réelle de la situation du bateau, tout en lançant le processus développé avec Nantes et Brest, qui consiste à analyser conjointement la situation du bateau pour déterminer s'il est préférable de le rentrer dans un port, et lequel, ou de le remorquer en mer.

M. le Président : A ce propos, il nous a été dit que tous les ports devraient normalement être considérés comme des ports-refuges en raison de l'obligation pour un bateau en péril d'être accueilli dans un port quelles que soient les circonstances. J'aimerais connaître votre sentiment sur ce sujet.

M. Jacques GHEERBRANT : Je serais un peu réservé sur l'expression « quelles que soient les circonstances ». Brest a gardé un souvenir précis de l'explosion du bateau chargé de nitrate d'ammonium en 1947. Si demain je suis confronté à un bateau transportant du nitrate d'ammonium en difficulté, je ne le proposerai pas au port de Brest. Il faut se garder d'une attitude systématique qui consiste à dire que l'on fait entrer n'importe quel navire n'importe où, et surtout ne pas faire croire à l'opinion qu'il existe une solution toute faite, prédéterminée à l'avance, car ce n'est pas le cas. La notion de bateau en difficulté couvre en fait des cas particuliers extrêmement variables : en conséquence, la seule solution viable consiste à procéder comme pour le port de Nantes, en définissant une méthode d'analyse commune rapide qui nous permette d'arriver ensemble à la bonne conclusion.

La bonne conclusion peut être de faire entrer le bateau dans un port comme de ne pas le faire entrer. Prenons l'exemple d'un chimiquier chargé d'éthanol, produit éminemment soluble mais potentiellement très inflammable ou explosif : quelques centaines de mètres cubes d'éthanol au grand large ne causeront pas un trouble durable à l'environnement. En revanche, la même quantité déversée dans un port, avec un risque élevé d'explosion, peut s'avérer très dangereuse, beaucoup de ports n'étant de surcroît pas très éloignés des zones urbaines... Je crois simplement qu'une méthodologie commune est nécessaire, mais là aussi je suis prudent, je sais bien que même avec une telle approche commune et agréée à l'avance, il ne sera pas nécessairement simple de convaincre un port. Nous avons donc très clairement souhaité que le Premier ministre et l'hôtel Matignon restent dans la boucle décisionnelle directe pour pouvoir, une fois l'analyse faite, imposer l'accueil d'un bateau dans le port, si c'est la solution techniquement recommandable. Cette intervention peut être nécessaire très rapidement parce que le facteur temps joue contre nous : tout moment perdu en négociation peut se traduire par une catastrophe maritime que l'on aurait pu éviter autrement. Il faut garder la possibilité de recourir à un arbitre désigné, quasiment comme dans une procédure normale.

La question de l'autorité sur le CROSS est extrêmement claire dans mon esprit. Nous, militaires, sommes tout à fait rodés à une distinction simple entre le commandement organique et le commandement opérationnel. Le commandement organique, chez nous, est chargé de mettre en condition et de préparer l'outil. Il faut que le personnel soit entraîné et que le matériel soit au point.

Le commandement opérationnel utilise, pour sa part, les moyens pour conduire ses opérations. Il n'est responsable ni de l'entraînement ni de la maintenance.

Pour ce qui est des CROSS, en particulier dans la mission de sauvetage, la situation est parfaitement claire : le commandement organique des CROSS relève des Affaires maritimes. Celles-ci sont chargées de veiller à ce que le personnel soit en qualité et en nombre suffisants, et le matériel en état de marche. En revanche, le commandement opérationnel des CROSS pour la mission de sauvetage relève de mon autorité. Je gère l'événement, les Affaires maritimes gèrent la préparation.

Naturellement, ceci ne doit pas occulter le fait que les CROSS ont d'autres missions, pour lesquelles ils ne dépendent pas de moi. Les missions de surveillance de la navigation maritime ou du contrôle des pêches sont des missions des Affaires maritimes pour lesquelles le CROSS est sous l'autorité opérationnelle du directeur régional des Affaires maritimes, présent à cette table ronde

Dans mon esprit, c'est clair. Dans la pratique, ce n'est pas toujours aussi clair que cela devrait l'être. Il est extrêmement frustrant, lorsque l'on n'est pas habitué à cette distinction entre l'organique et l'opérationnel, de préparer un outil et de ne pas être celui qui s'en sert. Quand on n'est pas dans cette disposition intellectuelle binaire, simple, classique chez les militaires, c'est un peu plus complexe. Pour être tout à fait précis, il y a de temps en temps des tentatives d'incursion du commandement organique dans le fonctionnement opérationnel des CROSS.

M. Michel LE BOLLOC'H : Je n'en vois pas d'exemple !

M. Jacques GHEERBRANT : Soyons toujours aussi francs car je ne sais pas faire autrement. Lorsque la chaîne organique des CROSS demande à être prévenue des événements qui se passent en mer, cela constitue une ingérence de l'organique dans l'opérationnel. Cela ne regarde pas l'administration des Affaires maritimes d'être informée des événements de sauvetage en mer qui sont de la responsabilité exclusive du préfet maritime. Est-ce vrai ?

M. Michel LE BOLLOC'H : Non. Nous demandons un compte-rendu à l'autorité organique simplement parce que les autorités supérieures des Affaires maritimes doivent tout naturellement informer le cabinet de leur ministre d'un événement majeur. Il n'y a aucune interférence entre la partie opérationnelle et la partie compte-rendu, information. Nous sommes à une époque où la nécessité de réactivité et le souhait d'information sont très présents. Je ne crois pas qu'il y ait le moindre exemple où la demande d'information ait perturbé en quoi que ce soit l'activité opérationnelle. Chaque chose se fait en son temps. Le traitement opérationnel de l'affaire est pris en charge et, parallèlement, avec un léger décalage, l'information des autorités est nécessaire parce que les cabinets ministériels le souhaitent. Si ces derniers donnaient des instructions contraires et acceptaient d'être informés par la presse le lendemain matin -je force le trait- je crois que l'on pourrait agir différemment.

Je conçois que cette affaire soit assez lourde pour les CROSS. L'information des autorités représente une contrainte dont ils se passeraient bien, parce qu'ils ont une vocation opérationnelle. Mais si l'on demande à l'un des deux directeurs des CROSS de l'Atlantique de s'exprimer sur ce point, je ne crois pas qu'il mentionnerait pour autant la moindre interférence entre le besoin d'information et l'aspect opérationnel.

M. Jacques GHEERBRANT : Le système d'information des autorités politiques centrales est prévu. Il doit se faire comme c'est défini, par un canal exclusif qui s'appelle le CICAD-mer (Centre d'information, de coordination et d'aide à la décision). Cet organisme, qui est chargé de diffuser l'information vers les autorités parisiennes, dispose d'une permanence à Paris et présente l'avantage d'avoir un seul point d'entrée. Chaque fois que le CROSS utilise la chaîne organique pour prévenir d'un événement, il est en contradiction avec le rôle assigné au CICAD-mer.

Je connais l'importance de l'information rapide. Cela ne doit pas empêcher de travailler. J'ai été plusieurs fois placé dans une situation délicate parce que la chaîne politique est très rapide. Il est arrivé à plusieurs reprises qu'un cabinet ministériel, prévenu par cette voie, me rappelle directement et me créée une difficulté, alors que je préfère consacrer mon énergie au traitement de la crise qu'à l'information directe des diverses autorités parisiennes. Je considère que, normalement, les messages d'information transitant par le CICAD-mer doivent suffire -si ce n'est pas le cas, il faut les améliorer- à l'information des autorités centrales pour éviter cette boucle complexe constituée de deux canaux d'information parallèles vers les mêmes autorités.

Mme Marylise LEBRANCHU : Un mot sur cette question, parce que j'ai connu de l'intérieur le fonctionnement du système de circulation de l'information. J'ai toujours pensé que, pour beaucoup d'incidents, on a le temps, mais qu'en revanche, pour certains accidents, la pression de la demande d'information est très forte : je me souviens notamment d'une erreur -on peut le dire ici- d'un de nos procureurs sur une question de ce type.

Ce qui est important, c'est que Matignon réunisse, de façon organisée et régulière, les directeurs de cabinet ou les chargés de mission de cabinet responsables de ces dossiers. On ne s'en sortira jamais autrement : effectivement vous avez chacun raison sur ce point. C'est au niveau de Matignon qu'il faudra que l'on propose que, systématiquement et par un canal unique, soit mise en place la cellule de veille générale. Cela s'est très bien passé dans un cas, moins bien dans un autre. L'expérience a montré que lorsque Matignon est chargée de cette mission, il n'y a plus de difficulté pour personne.

Je pense qu'il faudra que l'on soit clair sur ce point, parce que cela influe sur l'information des populations et des professionnels. Je me souviens des pressions qu'exercent -et c'est normal- les élus locaux et les professionnels, pour savoir ce qui va se produire et à quel endroit. Il est important que l'information soit de qualité et précise : en effet, nous avons vécu des moments un peu délicats lorsque, ne disposant pas d'une information suffisamment claire, nous avons pu dire les uns et les autres des choses qui n'étaient pas justes et qui ont causé des difficultés aux autorités soit organiques, soit opérationnelles.

C'est important qu'il y ait un petit paragraphe sur ce sujet dans le rapport final de la Commission, parce que cette question va rejoindre celle de la pression des élus locaux qui tentent, avec raison, d'obtenir des informations rapides et précises.

M. le Président : Il s'agit de rechercher une voix unique de communication.

Mme Marylise LEBRANCHU : En effet. J'insiste sur la question des élus qui ont raison d'essayer de savoir, parce qu'ils souffrent -j'utilise le mot à dessein- d'être prévenus de tel ou tel risque par un journaliste.

M. Jacques GHEERBRANT : En particulier, pour rebondir sur ce que vous dites, Madame, le Secrétariat général de la mer, qui est le bras armé du Premier ministre dans ce domaine, a démontré, en tout cas pour ce qui concerne mon expérience personnelle dans toute la crise du Prestige, l'excellence de cette interface qui permet à Matignon d'avoir, pour gérer les affaires, un représentant qualifié et reconnu, et capable de prendre des réactions rapides. Pour nous, l'apport du Secrétariat général de la mer dans la crise du Prestige a été absolument irremplaçable.

M. le Président : Cette intervention découle-t-elle des conclusions qui ont été tirées de la gestion de la crise de l'Erika ?

M. Jacques GHEERBRANT : Oui et non. Après l'Erika, vous vous souvenez sans doute que le principe avait été retenu de désigner un ministère « leader » pour servir de bras armé à Matignon et, en particulier, le ministère des Transports avait été plus ou moins désigné comme l'interlocuteur normal, en tout cas pour un sinistre à caractère maritime.

Dans le cas du Prestige cela ne s'est pas passé ainsi. On peut presque considérer, en caricaturant à peine, que le Secrétariat général de la mer a joué le rôle que l'on avait pensé devoir être dévolu au ministère chargé des Transports en la matière.

Par ailleurs, lorsque les plans POLMAR mer et terre sont tous les deux déclenchés, les textes de 2001 intervenus après l'Erika prévoient que le ministère de l'Intérieur assure la tutelle de l'ensemble, ce qui ne s'est pas non plus réellement concrétisé dans l'affaire du Prestige.

Mais au total, si j'ose dire, il s'agissait d'une période de probation des dispositions prises après l'Erika, dans une crise très particulière, extrêmement différente, essentiellement de par son tempo. Je crois, en tout état de cause, qu'il faut garder une certaine souplesse et ne pas juger le rôle joué par le Secrétariat général de la mer comme un déni des textes de 2001, mais plutôt comme une adaptation aux circonstances.

M. le Rapporteur : Une petite parenthèse à propos de la communication du Secrétariat général de la mer, à rattacher à Matignon, et d'autres ministères - que ce soit les transports ou l'environnement : la ministre de l'Ecologie et du développement durable a eu une divergence avec M. Garnier en disant, fin novembre, que, de toute façon, la pollution du Prestige arriverait sur les côtes françaises, M. Garnier répondant pour sa part qu'elle n'atteindrait pas nos côtes.

Cette divergence a été rectifiée assez rapidement, mais pose aussi, comme le disait Marylise Lebranchu, le problème d'une pression médiatique, à laquelle il faut répondre immédiatement à un instant « t ». On voit bien que l'articulation n'est pas toujours facile même si, effectivement, en termes politiques, c'est Matignon qui communique à titre principal ; il y a tout de suite des ramifications vers d'autres ministères et l'on ne parle pas toujours d'une même voix puisque l'on n'a pas forcément les mêmes informations en même temps.

M. Jacques GHEERBRANT : Pour que le préfet maritime et son équipe puissent travailler sereinement, disposer d'un organisme comme le Secrétariat général de la mer, qui fait l'interface avec les cabinets ministériels au sens large est très utile. Pour tout vous dire, au cours des 4 mois et demi de gestion maritime de la crise du Prestige, j'ai reçu quatre appels de cabinets ministériels, soit un par mois, ce qui est gérable. En revanche, je crois savoir que mon prédécesseur devait gérer, au moment de l'affaire Erika, non seulement la conduite de la crise, mais également 40 appels par jour de cabinets ministériels, ce qui était techniquement impossible.

En ce qui concerne les relations avec les élus du littoral, on peut distinguer la relation en temps normal de celle en temps de crise.

En temps normal, il n'est pas facile d'avoir des relations suivies avec tous les élus du littoral, parce que ma zone de responsabilité englobe 494 communes, 10 départements et 4 régions. J'utilise toutes les occasions de me déplacer mais ce n'est pas facile car la « laisse est assez courte » ! Elle est d'autant plus courte qu'en l'état actuel des choses -mais la refonte du décret de 1978 devrait y mettre fin- par une bizarrerie administrative, certaines des responsabilités du préfet maritime ne peuvent pas aujourd'hui être déléguées à son intérimaire. En particulier, la mise en demeure ne peut être signée que par le préfet maritime lui-même. Il est donc hors de question pour moi de m'éloigner trop, même pendant les congés, et c'est pour cela que je remercie le ciel d'avoir fixé ma résidence secondaire à 2 heures et demie de route de Brest, ce qui me permet de rejoindre le bureau rapidement si les circonstances l'exigent. Tout cela demande une certaine ascèse, en interdisant de s'éloigner à plus à 2 heures de Brest pour pouvoir rejoindre la préfecture suffisamment rapidement en cas d'urgence. Ces contraintes vont s'assouplir et mon successeur, selon toute probabilité, pourra à la fois assurer ses responsabilités et les déléguer complètement à son adjoint lorsqu'il sera en congé.

En temps normal, j'établis des relations avec les élus du littoral, dans la mesure où je dois rester à moins de deux heures de Brest ! C'est ainsi. J'ai le plaisir de souligner que, à l'exception de M. Cocquempot, j'ai rencontré chacun des autres participants à cette réunion dans d'autres circonstances, telles que l'inauguration d'une salle de cinéma avec vous, M. le Président...

En temps de crise, le dispositif que nous avons appliqué pendant le Prestige est la bonne solution. Les préfets des zones de défense concernées, dont l'autorité a été renforcée par la refonte des plans POLMAR-terre, en particulier, sont les bons interlocuteurs pour nous. Néanmoins, à titre d'illustration, nous envoyions tous les jours le fax quotidien de point de situation à 56 destinataires, dont un petit nombre d'autorités parisiennes, les ministères concernés, mais aussi toutes les préfectures des départements littoraux.

En revanche, pour ce qui concerne les élus, je préfère donner une information complète et rapide aux autorités préfectorales, à charge pour elles de la diffuser auprès des élus du littoral. C'est ce qui a également été fait pendant la crise de l'Ievoli Sun par mon collègue de Cherbourg, qui avait mis en place un dispositif de circulation de l'information qui a me semble-t-il donné satisfaction. Ce choix n'empêche évidemment pas que, à l'occasion, je réponde au téléphone à ceux qui veulent me joindre, voire que je les appelle.

Je l'ai fait pendant la crise du Prestige, en particulier avec le président du conseil général de Vendée, mais là pour des raisons essentiellement « tactiques » : l'objectif était en la circonstance de créer un contact plus personnel, pour éviter la répétition de la situation gênante qu'avait connue mon prédécesseur avec le même interlocuteur. Il n'est pas nécessaire de susciter, à dessein ou par défaut, des hostilités qu'il faut ensuite gérer de façon nécessairement plus compliquée.

Sauf dans les cas particuliers de telles difficultés spécifiques à désamorcer par anticipation, la communication vers les élus du littoral a été laissée au préfet de zone de défense.

En ce qui concerne la mobilisation des moyens d'Etats étrangers,  je passerai la parole à mon adjoint pour l'action de l'Etat en mer.

M. Jean-Yves BERROCHE : S'agissant de la mobilisation des moyens étrangers, on s'est rendu compte que dans toutes les situations de crise majeure, le dispositif national ne permet pas à lui seul de faire face, en termes de moyens, aux objectifs de lutte contre la pollution avec l'équipement adéquat.

Nous n'avons ni les équipements particuliers et techniques que peuvent posséder d'autres Etats pour traiter une nappe de fioul dérivant en mer, ni la couverture aérienne suffisante pour, en 24 heures, être présents sur le lieu du sinistre. Il apparaît donc tout à fait indispensable, compte tenu de l'élargissement de ces menaces, de jouer une carte qui aujourd'hui existe et a été développée et éprouvée à la fois pour l'Erika et le Prestige, en s'appuyant sur la coopération, d'une part, entre pays européens et, d'autre part, avec la Commission européenne.

Des accords techniques de coopération s'inscrivent, par exemple, avec les Britanniques, dans le cadre du Manche-Plan, accord technique de coopération opérationnelle pour la Manche. Nous avons conclu un accord similaire avec les Espagnols, qui s'appelle le Biscaye-Plan.

Il peut s'agir aussi d'une coopération pour des interventions de secours en mer : par exemple, pour un voilier, portant 18 personnes, en perdition dans le Golfe de Gascogne, le Super-Frelon français a ramené neuf équipiers et le Seaking espagnol, de son côté, a ramené les neuf autres.

Plus généralement, un autre accord est très utile pour nous, concernant la menace de pollution. Par l'intermédiaire du point focal d'entrée qu'est le Secrétariat général de la mer, le préfet maritime peut avoir accès au dispositif de l'accord de Bonn, ce qui nous permet de disposer de moyens britanniques, danois, suédois et autres.

Enfin, au niveau de l'Union européenne, il existe, en vertu d'une directive de 2001, la possibilité de faire appel au centre de suivi et d'information pour la protection civile (MIC), qui est une sorte de commission d'information et de surveillance commune. Par cet intermédiaire, nous pouvons bénéficier d'avions ou de navires supplémentaires. Nous pouvons également obtenir des moyens complémentaires par l'intermédiaire du Secrétariat général de la mer, qui actionne le COGIC (centre opérationnel de gestion interministérielle des crises), au sein de la direction de la Sécurité civile.

Pour nous, ces moyens sont essentiels et viennent s'ajouter à toute la panoplie des actions que nous pouvons mener à l'échelon national avec les moyens des administrations ou ceux que nous pouvons affréter ou réquisitionner auprès des professionnels - je pense notamment aux navires de pêche.

Il me paraît très important de dire que, de façon croissante, la nature des sinistres, le coût financier et l'organisation en place ne peuvent se concevoir aujourd'hui que sous un angle international et européen.

M. Jacques GHEERBRANT : Pour leur emploi, nous utilisons notre dispositif de coordination sur zone, comme pendant toute l'opération Prestige, avec le D'entrecasteaux et un ou deux Avisos. Les bateaux européens apprécient particulièrement d'être correctement coordonnés. Nous avons fait tourner des bateaux pendant trois mois pour assurer la coordination sur zone, de façon à ce que le préfet maritime ait effectivement le contrôle des moyens déployés sur la zone, étrangers en particulier, mais également des marins-pêcheurs : qui ont eux aussi apprécié d'être coordonnés. Je les ai rencontrés à La Rochelle. Ils étaient sous la coordination exemplaire d'efficacité du capitaine de frégate commandant le d'Entrecasteaux : c'est peut-être la première fois que ces vieux loups de mer étaient commandés par une femme ! Ils l'ont appréciée à tous points de vue, sur le plan professionnel comme sur celui de la qualité des relations établies avec elle.

La conférence maritime régionale est un organisme extrêmement précieux pour partager les préoccupations de haut niveau avec des responsables. Sur ce point, pour tout vous dire, nous rencontrons une petite difficulté : en fait, la zone dont le préfet maritime est responsable est grande et les préoccupations des Bretons et celles des Aquitains ne sont pas toujours identiques.

Nous avions donc tenu l'année dernière des sous-conférences maritimes régionales, en particulier en Aquitaine, de façon à ne pas échanger simplement des banalités ou des références de Journal officiel, ce qui n'a pas beaucoup d'intérêt même si c'est une bonne occasion de se rencontrer. Je conçois ces conférences plutôt comme des occasions d'établir des contacts avec les gens qui importent, notamment les élus et les responsables administratifs, et de faire leur connaissance dans des circonstances normales, de façon utile pour la suite en cas de crise. Mais au-delà de ces conférences maritimes régionales, nous procédons régulièrement à des réunions inter-administrations qui rassemblent les responsables des administrations travaillant en mer.

Nous réunissons également, de façon régulière, les administrateurs des Affaires maritimes du littoral, non pas pour leur dire ce qu'ils doivent faire dans leurs fonctions d'administrateurs, mais pour établir des contacts : les administrateurs sont aussi les représentants du préfet maritime dans les ports dont ils ont la charge. Nous tenons également des réunions avec les ports d'intérêt majeur ou les ports de commerce en général.

Puis, si l'évolution des responsabilités du préfet maritime suit le chemin qui semble aujourd'hui tracé, nous devrons organiser à l'avenir, de façon régulière, ce que l'on appellera peut-être des conférences d'activité : cette instance se réunira physiquement de façon régulière -et plus régulière encore grâce aux moyens électroniques d'aujourd'hui- de façon à bâtir ensemble le programme d'activité de l'ensemble des moyens de l'Etat travaillant en mer en faisant valoir la nouvelle priorité du préfet maritime sur les activités communes, tout en respectant autant que possible -mais cela ne devrait pas être très difficile- les activités spécifiques de chaque administration, qu'il s'agisse du contrôle des pêches pour les Affaires maritimes, de la lutte contre les trafiquants, les délinquants financiers ou autres contrebandiers pour les Douanes, etc. Les conférences d'activité permettront également de rencontrer des personnes que l'on voit physiquement moins régulièrement.

Je pense que ce système de réunions à quatre étages, avec les conférences maritimes régionales, les réunions des administrations travaillant en mer, les réunions des administrateurs des Affaires maritimes et bientôt les conférences d'activité devrait constituer un dispositif bien adapté aux différents besoins.

M. Jean-Yves BERROCHE : Une précision pour montrer tout l'intérêt que nous trouvons dans la conférence maritime régionale. Selon les textes, il faut la réunir au moins une fois tous les 18 mois : la préfecture maritime de l'Atlantique a pris l'habitude, au cours des quatre dernières années, de le faire au moins une fois par an, ce qui montre notre souci du retour d'information, étant entendu que la souplesse de la structure nous permet également de la réunir, soit en formation plénière, soit, sur des dossiers plus ponctuels ou plus régionaux, en formation restreinte.

M. Jacques GHEERBRANT : La prochaine réunion doit avoir lieu le 12 juin. Je veux absolument la tenir avant que mes adjoints principaux soient frappés par une mutation. Vous connaissez les difficultés de gestion du mois de juin, l'administration souhaitant procéder au rattrapage d'un certain nombre de ses tâches en attente avant les congés d'été. Le mois de septembre est aussi difficile puisque nous devons alors rattraper le retard accumulé pendant les vacances ! Enfin, au cours des mois d'hiver où les risques maritimes sont accrus, on ne prévoit généralement pas d'activité de cette nature. Si l'on avait prévu une conférence en janvier, elle aurait d'ailleurs vraisemblablement dû être annulée à cause du Prestige.

M. le Rapporteur : M. le directeur régional des Affaires maritimes, vous dirigez une région importante à tous points de vue. Quels sont aujourd'hui vos moyens et sur quels sont conviendrait-il selon vous de les améliorer, tant au niveau humain qu'au niveau matériel ?

Vous assumez également la gestion du contrôle du travail maritime. On parle beaucoup du droit maritime. Quels sont aujourd'hui les moyens d'intervention dont vous disposez ? Comment procédez-vous pour les contrôles de sécurité ? Par sondage ? Est-ce que l'expérience permet d'aller plutôt inspecter les navires dont on pressent qu'ils peuvent présenter des problèmes à bord ?

Plus globalement, quel constat pouvez-vous dresser sur la sécurité des navires aujourd'hui et quelles sont les propositions possibles pour l'améliorer, notamment en ce qui concerne la qualité des équipages ?

M. Michel LE BOLLOC'H : M. Serradji a dû l'exprimer bien mieux que moi : si l'on devait définir l'action des Affaires maritimes, on pourrait reprendre le terme d'administration de synthèse pour tout ce qui touche à la mer. Le milieu maritime présente un caractère « tentaculaire », j'allais dire qu'il devient même trop tentaculaire, au fur et à mesure de la complexification des choses, au regard des moyens dont nous disposons.

La direction des Affaires maritimes de Bretagne, en termes d'effectifs, est la plus importante des directions des Affaires maritimes dites de « l'article 4 », au sens du décret de 1997, c'est-à-dire des directions qui ont effectivement un pouvoir sur les CROSS et sur les centres de sécurité. D'autres directions, qui ne relèvent pas de cet article 4, ont une vocation plus économique. En Bretagne, nous cumulons ces deux aspects. Notre situation est ainsi différente de celle de la direction régionale des Affaires maritimes du Havre, qui est une direction de l'article 4 -ce qui signifie qu'elle exerce la tutelle sur les CROSS Gris-Nez et Jobourg et sur les différents centres de sécurité- mais qui, en revanche, ne traite pas les aspects économiques. En liaison avec les préfets de région, ceux-ci sont suivis par exemple par la direction des Affaires maritimes de Boulogne pour la partie Nord de sa zone et par celle de Caen pour sa partie normande.

Cette situation spécifique de la DRAM de Bretagne doit être mise en relation avec le poids économique des activités maritimes. Selon les statistiques disponibles, la région de Bretagne représente 60 % de la pêche française et le département du Finistère réalise à lui seul la moitié de ces 60 %.

L'activité des Affaires maritimes est tentaculaire parce que, au-delà des aspects opérationnels de sécurité, qui nous concernent aujourd'hui plus particulièrement, elle inclut une multitude d'actions, non seulement d'ordre économique, mais aussi d'ordre social et juridique. Ces derniers aspects sont évidemment extrêmement importants et préoccupants.

Pour agir dans tous ces domaines, je dispose en Bretagne de 450 personnes au total. J'arrondis, car ce chiffre peut varier de quelques unités.

En l'occurrence, un élément nouveau a été introduit depuis peu, à savoir la prise en charge sous statut public des établissements de formation maritime. Les écoles nationales sont autonomes et nationales et, à leur égard, il n'y a pas de changement. En revanche, jusqu'au 1er janvier 2002, les lycées professionnels maritimes étaient gérés par l'association de gérance des établissements maritimes et aquacoles (AGEMA). Nous avons pris en charge cette gestion depuis cette année, et sommes devenus responsables de l'ensemble des professeurs et des personnels de structure, ce qui représente un poids non négligeable sachant que là aussi, et cela ne se sait pas suffisamment, à la partie formation initiale s'ajoute la formation continue. Ainsi, pour prendre un exemple malheureusement trop méconnu, en matière de formation continue, la formation maritime bretonne arrive au second rang en nombre d'heures de stagiaires.

Pour ces 450 personnes incluant l'ensemble des services, les CROSS et les centres de sécurité des navires, nous disposons d'un budget moyen - car chacun a entendu parler des gels, sinon des annulations de crédits de fonctionnement - de l'ordre de 1,5 à 1,6 million d'euros. Je lisais ce matin, à titre de comparaison, ce qui est annoncé pour la première année d'existence de l'Agence européenne de sécurité maritime, soit un budget de l'ordre de 4,6 millions d'euros pour 55 personnes. Je crois que ces chiffres devront utilement être comparés avec ceux d'un certain nombre d'autres organismes...

Je n'ai pas besoin de faire de longs discours sur le plan budgétaire. D'autant plus que si l'on a pu parler des Affaires maritimes comme d'une administration de synthèse, on peut aussi dire -c'est une chose en tout cas à laquelle les élus sont sensibles- que c'est une administration de proximité, extrêmement éclatée, comportant énormément de petites structures qui font sans doute sa force mais peut-être aussi la faiblesse de cette maison chère au cœur des professionnels. Il existe en effet une longue tradition de relations entre les professionnels et cette administration.

Vous avez parlé plus spécifiquement de l'inspection du travail maritime. M. Cornée est le premier inspecteur du travail maritime de Bretagne, je lui laisse le soin de s'exprimer sur ce point.

M. Emmanuel CORNÉE : Plusieurs questions ont été posées. La première est relative aux moyens matériels et humains et à l'organisation administrative. En l'espèce, et en guise d'introduction, l'inspection du travail maritime constitue à la fois un « vieux » métier et un métier nouveau dans la maison. C'est un « vieux » métier parce qu'il était antérieurement exercé par les administrateurs des Affaires maritimes. C'est un métier nouveau parce qu'il a récemment, depuis 1997, été identifié et séparé des autres fonctions de l'administrateur des Affaires maritimes. Celui-ci traitait à la fois les dossiers économiques et ceux des marins venant présenter des réclamations dans le cadre de conflits individuels ou collectifs du travail. Aujourd'hui, l'inspecteur du travail maritime a la même compétence qu'un inspecteur du travail terrestre par rapport aux entreprises, mais il s'adresse aux marins français à bord des navires français.

L'inspection du travail maritime, concrètement, est constituée d'un bureau de l'Inspection du travail maritime (bureau GM3) à Paris et d'une quinzaine de sites en France, avec actuellement seulement 12 emplois budgétaires. Il en est prévu une trentaine à terme.

Les premiers inspecteurs et contrôleurs du travail maritime ont été nommés à la fin de 2001. Je fais partie de la première « bordée ». Le douzième a été nommé en Bretagne : il s'agit d'un contrôleur du travail qui vient de l'ITPSA (Inspection du travail, de l'emploi et de la politique sociale agricole) et de l'Inspection du travail des transports terrestres. Il est arrivé dans la section du travail maritime du Morbihan.

L'Inspection du travail maritime est dotée des compétences à la fois du « maritime », c'est-à-dire les marins et les « administratifs » du maritime, et également du « terrestre », par exemple pour le constat des infractions et l'entrée dans les entreprises.

L'Inspection du travail maritime, officiellement et d'après les textes je le répète, s'adresse aux marins français, à bord de navires sous pavillon français. Aujourd'hui, un travail de fond est réalisé par le bureau GM3 et la DAMGM pour que les inspecteurs du travail maritime puissent aussi intervenir à bord des navires sous pavillon étranger.

C'est un peu inédit parce que la convention OIT 178, qui concerne les systèmes d'inspection du travail maritime, ne prévoit de tels systèmes de contrôle du droit du travail que pour l'Etat du pavillon. Un texte de décembre 2002 va cependant permettre aux inspecteurs du travail maritime d'apporter leur collaboration aux collègues inspecteurs de la sécurité des navires lors des contrôles des navires sous pavillon étranger. Nous pourrons mettre en oeuvre cette compétence à partir de juillet 2003.

En l'occurrence, lors des contrôles de navires étrangers par l'Etat du port, dans le cadre du Mémorandum de Paris, au lieu d'avoir deux inspecteurs de sécurité -l'un pour le pont, l'autre pour la machine, celui pour le pont s'intéressant aux conditions sociales, notamment leurs aspects hygiène et nourriture-, les inspecteurs de sécurité pourront demain demander à se faire accompagner d'un expert social, qui sera donc l'inspecteur du travail maritime. Celui-ci pourra examiner d'autres points tels que, par exemple, la qualité de l'eau. Il pourra contrôler le niveau de rémunération, la formation des personnels, la fatigue des équipages et s'intéresser aux conflits existant éventuellement à bord, surtout s'il y a diverses nationalités.

M. le Rapporteur : C'est une avancée, mais en pratique quel sera le pouvoir de ces inspecteurs ? Dans nos précédentes auditions, nous avons constaté que l'une des difficultés majeures de la sécurité maritime était liée à la formation des équipages et leurs conditions de vie, notamment dans des navires sous pavillons étrangers, avec à leur bord des équipages cosmopolites. Leurs contrats de travail ne sont même pas toujours des contrats valables puisque certains marins sont parfois engagés pour des embarquements de trois ou quatre ans, sans escale. Mais quel sera le pouvoir effectif des inspecteurs du travail maritime, si ce n'est celui d'établir un rapport accablant sur les conditions de vie à bord ? Auront-ils un pouvoir d'intervention et d'interdiction de reprendre la mer ?

M. Emmanuel CORNÉE : Aujourd'hui, nous n'avons pas ces pouvoirs. Mais dans un avenir très proche, dans quelques mois, nous aurons la possibilité de retenir les navires dans les ports si nous constatons un état de fatigue trop important du capitaine, par exemple après 25 heures de veille.

M. Michel LE BOLLOC'H : Dans certains domaines, les inspecteurs disposent d'ores et déjà de pouvoirs importants. Ainsi, sur l'application de la convention internationale STCW sur les normes de formation des équipages, actuellement, comme l'a dit M. l'administrateur Cornée, l'inspection du travail maritime va monter en puissance mais, actuellement, ceux que l'on appelle, de façon raccourcie, les inspecteurs de la sécurité du navire, exercent déjà une partie de ces attributions d'inspection du travail maritime. Lorsqu'ils montent à bord d'un navire, dans le cadre d'une visite de type « Mémorandum », ils peuvent très bien demander non seulement des informations concernant les effectifs, mais aussi exiger de voir les brevets, ce qu'ils font couramment. Il n'est pas rare de retenir un navire uniquement pour une question de brevet, par exemple.

M. le Président : Une simple précision. Qui prend la décision de formuler de telles demandes ?

M. Michel LE BOLLOC'H : M. Ginestes le confirmera, mais l'inspecteur de sécurité des navires, habilité « Mémorandum de Paris », dispose de ce pouvoir.

M. le Président : Par rapport à la remarque du vice-amiral, s'agissant de navires sous des pavillons de deuxième zone et notamment de certaines décisions que ne doit pas prendre leur capitaine -je pensais à l'abandon des ancres et au recours aux remorqueurs-, si, sur un problème urgent, la sécurité du bateau est en jeu, de quels pouvoirs disposez-vous pour faire en sorte que ce soit vous qui imposiez la décision que souhaiterait le capitaine, de façon à éviter de le laisser seul face à son armateur ?

M. Jacques GHEERBRANT : En mer, c'est mon problème. La compétence de M. Ginestes commence dans le port. En mer, si un bateau présente un danger, je peux recourir à la mise en demeure, si j'ai la perception, comme disent les textes, d'un « danger grave et imminent » -heureusement, ni le terme « grave » ni le terme « imminent » ne sont précisément définis, cela reste assez subjectif pour laisser un espace de responsabilité- je mets en demeure le capitaine de faire cesser le danger dans un délai que je fixe moi-même, qui peut être de deux, trois, six heures ...

A l'issue de ce délai, j'ai la possibilité exorbitante du droit commun de le prendre en remorque, d'autorité, à ses risques et à ses frais, pour faire cesser le danger par les moyens que je juge utiles. C'est l'arme juridique suprême, qui ne serait rien s'il n'y avait pas, pour la mettre en oeuvre, l'arme matérielle représentée par l'Abeille-Flandre, qui permet que ce recours soit effectivement matérialisé. C'est une menace lourde, car, comme je l'ai dit tout à l'heure à M. Quillivic, le coût du remorquage est lié à la valeur de la cargaison.

M. Christian QUILLIVIC : Il y a souvent dans l'esprit du public une certaine confusion entre prestation de remorquage, et assistance et sauvetage. Il faut savoir que, dans le cadre d'une assistance et d'un sauvetage, c'est l'assistant qui est responsable du convoi. Il y a un transfert de la responsabilité de l'armateur propriétaire du navire vers l'assistant, par la signature d'un contrat d'assistance. Après, en général, la rémunération est déterminée en chambre arbitrale, soit à Londres, soit à Paris ou bien, s'il y a contestation, devant un tribunal, par exemple par le tribunal de commerce. Ce qui est important, c'est de toutes façons, que l'on connaisse bien le navire et que l'on mette tout en oeuvre pour le sauver.

En ce qui concerne notre prestation, dans l'environnement français, il n'y a jamais de discussion avant ou pendant la prestation. Bien souvent, comme vous le disiez si bien, les commandants voudraient demander assistance. J'ai vu le cas, il y a quelques années, à Brest, où le commandant risquait sa vie à proximité du Raz de Sein et avait remercié le chef du commando qu'avait envoyé le préfet maritime à bord parce que l'armateur lui avait interdit de demander assistance. C'était un bateau de nationalité très éloignée, assuré à trois fois sa valeur. En assurance maritime, le bateau peut être assuré pour une plus grande valeur que la valeur vénale du navire et de sa cargaison et, donc, l'armateur pensait faire de la trésorerie si le bateau avait coulé dans le Raz de Sein. Compte tenu des conditions météo difficiles, l'équipage aurait alors probablement disparu en mer.

Une opération de remorquage classique, à la même échelle, ne coûte pas aussi cher quand elle se passe dans de bonnes conditions et qu'il ne s'agit pas d'une opération de sauvetage. Le coût d'une intervention classique varie entre 15 000 euros et 30 000 euros par jour. Le problème est que certains armateurs veulent faire de la trésorerie et que, en général, le coût de la prestation de remorquage n'atteint même pas le montant de la franchise imposée par les assureurs alors que, en général, dans les cas d'assistance, c'est l'assureur qui paye.

En fait, les discussions se passent toujours très bien avec les assureurs parce que les compagnies d'assistance et de sauvetage font gagner de l'argent aux assureurs, qui autrement devraient indemniser des pertes totales de navires.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais revenir sur la question des contrôles des inspecteurs de sécurité. Il ne s'agit pas de se lancer dans une bataille de chiffres, d'autant que je me méfie toujours des chiffres ou des pourcentages. Il semblerait cependant qu'il y ait, aujourd'hui, une augmentation sensible du contrôle des bateaux, qui nous amènerait vers le taux européen prévu de 25%. Qu'en est-il réellement à votre niveau et comment avez-vous pu augmenter ces contrôles ?

Tout à l'heure, M. l'administrateur disait que contrôler le pont, la coque et l'état sanitaire et social, représente beaucoup de travail pour deux hommes, ou même trois. Quelle est votre méthode, compte tenu du fait que, en quelques heures, il semble difficile de pouvoir être partout à la fois ?

Qu'en est-il également de vos relations avec vos collègues européens ? On nous dit que si les contrôles sont trop drastiques en France, on risque de détourner le transport maritime de nos ports et que les navires seront incités à transiter par des ports moins exigeants.

Quelle utilisation faites-vous des bases de données auxquelles vous avez accès pour le contrôle des navires? Nous avons vu que quelquefois la fiabilité de ces bases pouvait être mise en cause.

Quelles sont, selon vous, les améliorations nécessaires pour obtenir un contrôle efficace ? Lors de nos auditions, beaucoup ont évoqué la question des double-coques et de la législation qui va évoluer dans le sens de la généralisation des double-coques. Quel est votre avis d'expert sur l'obligation d'avoir maintenant des bateaux à double coque et quels seront les problèmes posés par leur contrôle ?

Enfin, il a été décidé rapidement, dans l'attente de la nouvelle promotion d'inspecteurs de sécurité en formation à Nantes, de faire appel à ce que l'on appelle des experts vacataires -les « papis » -, dont nous avons ici un représentant très jeune ! Quel est le bilan de cette première expérience ?

M. le Président : Je voudrais poser une question complémentaire sur le ciblage des contrôles. Comment choisissez-vous les bateaux que vous allez inspecter pour arriver au quota de 25% minimum théorique ? Quelle méthode utilisez-vous ?

M. Jacques LE GUEN : Je reviens sur ce que disait M. le Rapporteur : effectivement, il est important de connaître exactement les méthodes de contrôle des autres ports européens. Les méthodes sont-elles similaires, tant au niveau de l'inspection des coques qu'à celui de l'inspection du travail, notamment de l'état de fatigue et de la composition des équipages. Comment les contrôles que l'on essaie d'imposer sont-ils perçus par les équipages ? Il est évident qu'avec des équipages souvent hétéroclites, comportant des nationalités diverses, les choses ne sont peut-être pas aussi simples qu'on veut bien le dire.

M. Claude GINESTES : En ce qui concerne le pourcentage de visites réalisées, je ne parlerai que de ce que je connais, c'est-à-dire le centre de Brest. Effectivement, le pourcentage de visites réalisées y a augmenté de façon très importante. On atteint pour le mois de février un taux de pratiquement 70% et un peu moins, malheureusement, pour le mois de mars, aux alentours des 30%.

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, ce bon résultat s'explique par l'affectation d'un chef de centre à part entière au Centre de sécurité, ce qui n'était pas le cas les années précédentes, ainsi que par une réorganisation des priorités du Centre.

Ensuite, de nouveaux inspecteurs sont arrivés et, même s'ils ne sont pas encore habilités au titre du Mémorandum, ils réalisent des inspections pour les navires français. Je tiens particulièrement à insister sur cette mission des centres de sécurité. Nous avons le devoir de nous assurer de la conformité des navires français au regard de la réglementation internationale, ne serait-ce que pour éviter un contrôle par l'Etat du port dans un autre pays qui nous mettrait en défaut. Notre première mission, qui est la plus importante au sein d'un centre de sécurité, est donc la gestion des navires français. Cette gestion nous prend beaucoup de temps et beaucoup d'énergie.

Notre deuxième mission est bien évidemment le contrôle par l'Etat du port. Nous avons, pour le Centre de Brest, deux inspecteurs habilités Mémorandum, un qui le sera bientôt, d'ici deux mois, et deux inspecteurs débutants qui ne sont pas encore habilités. Cela ne représente pas un effectif très important d'inspecteurs pouvant réaliser des visites du type Mémorandum, ce qui fait que le recours à des personnels vacataires a permis, non pas d'augmenter les chiffres des visites -je pourrais y revenir tout à l'heure- mais, en revanche, d'améliorer de façon très nette le ciblage et la pertinence des prescriptions sur les navires. Je trouve, pour avoir expérimenté cette coopération depuis deux mois, que les échanges sont très fructueux entre les personnels vacataires et les personnels habilités Mémorandum, chacun ayant des choses à apporter aux autres. La qualité globale des visites ne peut qu'en être améliorée. Nous ne voyons pas les effets du recours aux « papis » en termes de pourcentage de visites, parce qu'une équipe d'inspecteurs à bord d'un navire étranger doit obligatoirement comprendre un inspecteur habilité Mémorandum. L'exigence d'une équipe mixte signifie qu'il faut nécessairement mobiliser un inspecteur Mémorandum pour le contrôle de l'Etat du port, inspecteur qui ne pourra pas être affecté à des tâches relevant de l'Etat du pavillon, c'est-à-dire à des contrôles de navires français. Le gain en temps de visites et en pourcentage des navires contrôlés n'est pas du tout évident pour l'instant, mais je suis persuadé de l'amélioration de la qualité de visites et des contrôles.

M. le Rapporteur : C'est ce qui est important pour nous. Améliorer les résultats quantitatifs est nécessaire, mais la qualité du contrôle prime. Que pouvez-vous dire sur les double-coques ?

M. le Président : Tout à l'heure, nous parlions de la nécessité de visiter les bateaux autant que possible en radoub, à sec, pour mieux évaluer la qualité des navires. A quelle périodicité estimez-vous nécessaire de réaliser une visite approfondie, pour véritablement jauger les structures qui, si j'ai bien compris à travers d'autres auditions, rompent pratiquement toujours aux mêmes endroits ?

M. Claude GINESTES : Il est très difficile de préconiser une périodicité qui soit valable pour tous les types de navires. Tout dépend de l'entretien du navire et de son utilisation. Certains navires sont affectés à des transports de matières qui affectent beaucoup plus la structure que d'autres. Cette question mériterait une analyse vraiment très précise et je ne peux pas vous donner une réponse comme cela, à brûle-pourpoint.

Mais je voudrais cependant revenir sur la question de la structure du navire. Tout à l'heure, nous avons abordé la question de l'évaluation de la structure en mer. De par ma formation, je connais bien les questions de structure. Je peux affirmer sans crainte qu'en contrôlant une structure en mer, en condition de chargement, donc d'exploitation, vous n'obtiendrez au mieux que des indices sur l'état structurel du navire. Celui qui prétend faire une expertise précise et exhaustive de la structure en mer, est soit ignorant, soit intellectuellement malhonnête. Dans tous les cas, à titre personnel, je ne prétendrai jamais garantir l'état structurel d'un navire si je ne peux l'inspecter qu'en mer.

M. le Président : Est-ce qu'un « vieux brave » de la marine marchante est capable au premier coup d'œil, comme cela, de percevoir l'état d'un navire ?

M. Philippe LE BAIL : Je ne pense pas. On peut avoir des indices de dysfonctionnement, mais on ne peut pas se prononcer sur l'état global du bateau. Avec l'expérience, en voyant l'état général du navire, en consultant les documents, notamment les rapports d'arrêts techniques, les suivis de travaux et les documents de maintenance à bord, on peut avoir un doute. Est-ce qu'il y a effectivement une maintenance sérieuse ? Est-ce que les compartiments sensibles sont contrôlés par le bord ? Est-ce que les informations sur les avaries sont rapportées à l'armateur ? C'est par ce moyen que l'on arrive à avoir des indicateurs de bonne gestion du navire, concernant aussi bien le bord que l'armateur.

C'est d'ailleurs tout le principe du code ISM, qui prévoit un contrôle de tous ces éléments par le suivi des documents du navire, le contrôle des équipages et de leur travail, et les rapports faits aux services concernés.

M. Gilles COCQUEMPOT : A partir des documents à bord du navire, pouvez-vous constater que le travail est bien fait à bord ? Ces documents, qui vous fournissent des indications, sont-ils toujours de bonne qualité ?

M. Philippe LE BAIL : Tout dépend des armateurs. Certains suivent le code ISM à la lettre, exigent des comptes-rendus et interviennent à la suite de ces comptes-rendus. D'autres armateurs, sur des bateaux étrangers notamment, ne veulent pas avoir de comptes-rendus parce que cela va entraîner des frais et des arrêts du navire. Le contrôle de ces documents et la suite qu'y donnent les services du siège de l'armateur permettent de voir si le navire est fiable ou pas.

M. Gilles COCQUEMPOT. : Pouvez-vous établir une « traçabilité » de la qualité des armateurs ?

M. Philippe LE BAIL : Oui, complètement.

M. Claude GINESTES : Avec un peu d'habitude, à la lecture des documents, nous pouvons très rapidement avoir une idée précise de l'état d'entretien d'un navire. C'est pour cela que, lorsque nous réalisons une inspection de l'Etat du port, les documents sont la première chose qu'il faut consulter. Vous vous forgez, à la lecture de ces documents et à l'analyse de l'historique, donc du suivi du navire, une idée de l'état de celui-ci. Cela vous fournit des indices pour savoir si vous devez poursuivre vos investigations plus avant en termes de structure, d'incendie, de sauvetage, etc.

J'ai entendu ici ou là parler de contrôles qui se limiteraient à de simples visites « papiers » : je tiens à signaler que des contrôles uniquement par consultation de documents ne se font pas à Brest et que je l'ai très rarement vu pratiquer en France. Effectivement, il faut regarder les documents parce que cela donne une bonne idée du suivi du navire, mais ensuite nous réalisons dans tous les cas des essais sur le navire -aussi bien en termes d'incendie, de sauvetage et autres- et nous procédons à une visite générale du navire. Il est évident que si nous voyons que le suivi de la structure laisse à désirer, nous accentuons notre inspection sur ce thème, mais nous commençons toujours par une analyse des documents.

M. Christian QUILLIVIC : Je voudrais intervenir sur deux sujets, notamment la double coque. Il est certain que les Etats-Unis, quand ils ont imposé les double-coques, voulaient améliorer la sécurité. Mais il faut savoir que quand un navire à double coque vieillit, il devient plus dangereux, alors qu'il est extrêmement difficile à contrôler. D'autre part, en cas d'échouage, notamment sur des rochers, il est beaucoup plus complexe de déséchouer un double coque qu'un simple coque. Et, surtout sur les bateaux qui ont commencé à vieillir, le problème de l'entretien des fonds se pose toujours parce que l'on ne peut pas inspecter l'espace entre les deux coques, ni la face intérieure de la coque extérieure.

Quant au management de la sécurité, si le code ISM est très utile - il est d'ailleurs appliqué chez nous comme dans tous les armements au monde aujourd'hui -, il faut savoir qu'il présente aussi des inconvénients. Sur les douze derniers mois, nous avons réalisé deux opérations de sauvetage dans lesquelles le commandant, après avoir demandé une assistance, a été totalement inopérationnel sur son navire parce que, conformément au code ISM, il a appelé son armateur à l'autre bout du monde avec son téléphone portable et est resté en permanence en ligne avec lui. Une cellule de crise a été installée chez l'armateur. Le commandant voulait lui donner des renseignements, ce qui fait que l'on n'a eu aucune collaboration de sa part pendant toute l'opération d'assistance. Ainsi, pour le bateau que Charles Claden a déséchoué sur l'île de Molène, le commandant n'était même pas à la passerelle, car il passait son temps à téléphoner avec son armateur.

De même, un bateau, le Barbaros Skiran, a failli couler le 1er novembre suite à une voie d'eau, avant d'être ramené à Brest. Pendant toutes les opérations d'assèchement, je n'ai jamais vu le commandant. Il était enfermé dans son bureau à discuter avec son armateur et avec les membres de la cellule de crise pendant que nous étions en train de réaliser l'opération d'assistance, sur une durée de trois ou quatre jours. Je l'ai vu quand nous avons délivré le navire au bout de six jours, parce qu'il a bien été obligé de reprendre le contrôle de son navire.

Il faut savoir aussi que les codes maritimes de management sur la sécurité dans les situations graves sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre qu'en milieu industriel, où toute la cellule industrielle peut se rendre sur les lieux. Là, le problème central est celui de la communication du commandant avec son armateur. On a ainsi pu constater les défauts des procédures existantes, aujourd'hui beaucoup trop rigoureuses pour la partie qui s'impose au commandant.

M. le Président : Ce que vous nous dites est dramatique ! Comment pourrait-on améliorer cela ?

M. Christian QUILLIVIC : On peut l'améliorer en laissant le commandant rester responsable de son navire. Plus il aura de contraintes administratives, plus on lui donnera de conseils en permanence, plus il s'éloignera de sa fonction de marin. C'est fondamental pour la sécurité en mer. Or aujourd'hui, après le Code ISM, dont on ne peut bien sûr que se féliciter, on évoque un deuxième code, comme l'ISO 9002...

Prenons un acte simple, que tous les marins connaissent : « mettre à la cape » dans le mauvais temps. Lorsque vous affrontez un problème grave sur le navire, il est habituel de « mettre à la cape » et d'analyser la situation. Aujourd'hui, on remarque que dans les zones proches de la côte, le premier réflexe consiste souvent à rallier le port le plus proche. Or c'est parfois une grave erreur que font les capitaines, car le navire peut se retrouver ensuite dans une position difficile, sans que puissent être prises les mesures nécessaires à bord, au besoin avec une aide extérieure. D'où l'importance de la formation des marins, aussi bien à l'étranger qu'en France. Il faut conserver de vrais marins et éviter, par exemple, la disparition du réflexe utile de mise à la cape qui est de plus en plus abandonné, sauf au milieu de l'Atlantique où l'on ne peut évidemment pas rallier de port proche.

M. le Président : Il en est de même pour la décision de quitter le port quel que soit le temps extérieur. Certains nous ont dit que l'on pourrait peut-être, d'une certaine façon, interdire de partir à la mer quand les conditions sont vraiment très mauvaises.

M. Christian QUILLIVIC : Le problème existe dans l'aviation lorsque les aéroports cessent leur trafic pendant quelques minutes. La difficulté tient à ce qu'un navire est construit et doit être construit pour pouvoir aller en mer y compris dans les pires conditions météorologiques. J'ai peur que, si l'on avance trop dans la voie que vous évoquez, on abandonne la notion de sécurité pour un navire. Il est important qu'un navire puisse naviguer dans toutes les conditions météos, sinon cela signifie qu'il est en mauvais état de navigabilité et qu'il ne doit pas pouvoir appareiller du tout. D'autre part, si, dans certains ports, vous « coincez » des navires au port, d'autres resteront à l'extérieur et ne pourront peut-être pas rentrer. Le problème n'est pas aussi simple, à mon avis, que l'on pense.

M. le Président : Je ne fais que vous transmettre ce que j'entends dire.

M. Christian QUILLIVIC : Nous en arrivons au point qui nous inquiète en matière d'assistance : certains objets que, pour ma part, je qualifie simplement de flottants -il y en a peu aujourd'hui, mais peut-être demain y en aura-t-il davantage- mais que l'on appelle habituellement encore navires, nous posent des problèmes considérables parce que si on les remorque, leur structure casse. Ils ne sont pas prévus pour être tractés par mauvais temps, notamment avec nos outils, et on nous dit qu'ils doivent naviguer par beau temps ou par temps raisonnable. Mais les conditions météo varient rapidement...

Mme Marylise LEBRANCHU : Je reviens à la question de l'inspection « papier », qui semble fondamentale. Je l'ai déjà dit à la Commission d'enquête, j'avais été surprise de découvrir au ministère de la Justice, lors de la catastrophe de l'Erika, des dossiers sur des sociétés de classification et sur des systèmes de contrôle pré-assurance où apparaissaient des mentions du type : « telle société de classification doit être marquée en rouge ; tel assureur qui a demandé tel type d'entretien à tel endroit doit également être indiqué en rouge... ». Avez-vous déjà eu, à travers ces inspections documentaires, l'occasion de constater que telle société de classification n'avait pas rempli son contrat et n'était vraisemblablement pas venue à bord ?

C'est important pour nous. Le travail confié à notre Commission d'enquête est national, bien sûr, mais il est aussi nécessairement européen et international et il faudra recueillir un maximum d'informations, qui ne soient bien évidemment pas d'ordre judiciaire, relevant d'échanges d'informations d'Etat à Etat, d'inspecteur à inspecteur, d'autorité à autorité. C'est là un vrai sujet puisque l'on ne peut pas poursuivre aujourd'hui, dans l'état actuel du droit, une société s'il n'y a pas eu un minimum de constats dans le monde.

M. Claude GINESTES : En examinant les documents, nous avons une idée en général assez précise de la qualité du suivi de la société de classification. Nous savons par expérience qu'il existe des sociétés plus ou moins actives dans le domaine de la sécurité, produisant un travail de qualité inégale. Nous définissons nos propres ciblages vis-à-vis de ces sociétés de classification. Nous avons pratiquement tous les renseignements dont nous avons besoin pour estimer la qualité de ce travail.

M. Michel LE BOLLOC'H : M. Ginestes l'a bien dit tout à l'heure, une visite Mémorandum se différencie très nettement d'une visite d'un navire français. Souvent, le navire est en escale et la visite doit être faite rapidement.

N'oublions pas non plus une différence sensible qui influe considérablement sur les statistiques : nous ne visitons pas les navires qu'il n'est pas nécessaire de contrôler. Les règles du Mémorandum prévoient, par exemple, qu'un navire ayant été visité dans les six mois précédents n'a pas à être contrôlé de nouveau, sauf en cas d'avarie avérée. Je peux vous dire que, à l'étranger, il est parfois fait fi de cette règle et tout navire faisant une escale -je force le trait- sera systématiquement contrôlé dans le cadre du Mémorandum à chacune de ses escales, ce qui est contraire à la règle mais permet d'amplifier très nettement les statistiques, sans améliorer réellement leur effet sur la sécurité globale.

Pour notre part, nous respectons cette règle, ce qui a une conséquence directe : à Brest, nous sommes en bout de chaîne et les bateaux ayant été vus précédemment au Havre, à Dunkerque, à Hambourg, à Londres et à Helsinki, n'ont pas à être inspectés ici, même s'ils sont en escale. Il est cependant important de voir que, dans le laps de temps très court consacré à une visite Mémorandum, les inspections font partie d'une chaîne complexe, qui doit tenir compte de tous les autres éléments. Il a beaucoup été question des structures il y a quelques instants. A cet égard, le rôle des sociétés de classification est tout à fait important. Heureusement, en ce qui concerne la France, sur ces problèmes, nous nous appuyons grandement -il faut reconnaître leur compétence et ne pas trop noircir le tableau- sur l'action du Bureau VERITAS, qui emploie des spécialistes reconnus mondialement depuis très longtemps.

Puis, effectivement, la visite est réalisée -cela fait partie des instructions données aux experts vacataires- après avoir « épluché » les données du navire disponibles sur les différentes banques de données qui nous sont accessibles. En France, nous avons le privilège d'héberger le site du Mémorandum de Paris, la base Sirenac installée à Saint-Malo, mais nous pouvons également consulter la banque de données Equasis. Tout cela va s'améliorer pour que les informations soient communiquées en temps réel. Les choses ne se font pas de façon aveugle, mais en se fondant sur un support tout à fait substantiel, ce qui ne veut pas dire que les titres de navigation ne peuvent pas quelquefois être sans doute établis de façons « diverses »...

M. Philippe LE BAIL : Je voulais faire une remarque à propos des sociétés de classification. Les sociétés de classification ne sont pas indépendantes. Elles dépendent financièrement des armateurs. C'est l'armateur qui choisit sa société de classification et la rémunère. Si l'armateur joue le jeu, la société de classification va remplir sa mission, en inspectant vraiment le navire et en soulevant éventuellement des problèmes de structure. Mais si l'armateur ne joue pas le jeu, il peut la mettre en concurrence avec une autre société de classification. Ainsi, pour des raisons financières, les navires ne sont parfois pas inspectés comme il convient par les sociétés de classification, sauf, je le répète, s'il s'agit d'un bon armateur qui tient vraiment à s'assurer de la qualité de la structure de son bateau.

M. Gilles COCQUEMPOT : Si l'on a un mauvais armateur, les risques se cumulent.

M. Philippe LE BAIL: En effet.

M. Jacques GHEERBRANT : En mer, avant de voir les « papiers » du bateau quand il arrive au port, la première chose que l'on connaît est sa nationalité, son pavillon. C'est déjà une indication intéressante. A avarie signalée égale, entre un pavillon néerlandais et un pavillon d'Antigua et Barbuda, notre attention n'est pas attirée de la même manière. De même, quand on sait qu'un pays comme le Cambodge a apparemment sous-traité à une société commerciale basée à Singapour le soin d'attribuer son pavillon national à des fins de commerce, il y a quelque raison de s'inquiéter aussi sur les navires battant pavillon cambodgien. On a donc -de façon non officielle évidemment, car le contraire serait diplomatiquement incorrect- quelques appréhensions particulières au vu de certains pavillons.

M. Claude GINESTES : Au sujet des pavillons, je voudrais revenir sur un point fondamental pour nous, inspecteurs habilités Mémorandum : nous constatons une évolution réglementaire du contrôle réalisé au titre du Mémorandum, qui nous inquiète. En effet, une nouvelle directive européenne vient d'entrer en vigueur, qui nous impose des contrôles sur différents types de navires en fonction de leur âge, de leur catégorie, etc., prévoyant des contrôles renforcés, qui sont difficiles à mettre en oeuvre pour des problèmes pratiques -notamment le temps d'escale-, mais qui prévoit également une responsabilisation excessive des inspecteurs Mémorandum.

Nous ne sommes pas là pour pallier les carences des pavillons qui acceptent d'immatriculer des navires sous norme. Nous sommes là pour pointer du doigt ces carences, mais nous ne devons pas nous substituer à ces pavillons. Nous avons déjà suffisamment à faire avec notre pavillon français où, là, nous avons une responsabilité pleine et entière sur la délivrance des certificats. Il y a, à l'heure actuelle, une dérive excessive vers la responsabilisation des Etats pratiquant le contrôle du Mémorandum vis-à-vis de l'Etat immatriculant ces navires.

Or il faut faire attention au fait que le contrôle par l'Etat du port est un « contrôle de police » : nous constatons un dysfonctionnement ou une non-conformité réglementaire, mais nous ne devons pas en assumer les responsabilités. Or à l'examen des textes produits aujourd'hui, nous sentons très nettement une dérive de la responsabilisation et de la prise en charge par les pavillons européens du constat de ces non-conformités. Je trouve cela assez dangereux.

M. le Rapporteur : Pour terminer, quel est votre jugement d'ensemble sur l'état des bateaux sous pavillon français ? Et, selon vous, quel serait l'effectif idéal d'inspecteurs pour travailler dans les meilleures conditions pour un port comme Brest ?

M. Claude GINESTES : L'état de la flotte française est très bon. Quand nous regardons les statistiques de contrôle des navires français dans les autres ports européens, on constate très peu de détentions et de remarques. Nous n'avons absolument pas à rougir de l'état de notre flotte, bien au contraire. C'est bien pour cela que nous y consacrons beaucoup de temps.

En ce qui concerne le Centre de sécurité de Brest, pour remplir nos missions d'Etat du pavillon, nos missions d'Etat du port et nos missions d'évaluation pour le compte du préfet maritime, je pense qu'un effectif de huit inspecteurs, dotés des moyens nécessaires, serait loin d'être excessif, ne serait-ce que pour pouvoir mettre en place un régime d'astreinte qu'il est actuellement très difficile d'appliquer, faute de personnel disponible dans des délais raisonnables.

M. le Rapporteur : Quel est le nombre de bateaux sous pavillon français ?

M. Michel LE BOLLOC'H : Environ 200, que l'on doit comparer à 5 200 navires sous pavillon panaméen, pour vous donner un ordre d'idée. Il faut savoir qu'une inscription sous pavillon panaméen ne coûte que 6 700 dollars !

M. Jacques GHEERBRANT : Et ce ne sont pas les moins chers !

Mme Marylise LEBRANCHU : La première fois que je suis allée au CROSS, il y a quelques années, j'avais été d'abord impressionnée -mais on constatera sans doute tout à l'heure que c'est encore bien mieux maintenant- par la qualité du travail des personnes qui échangeaient des informations avec les bateaux -notamment pour des demandes de renseignements complémentaires-, mais aussi par la qualité de leurs réponses, la maîtrise de la langue étrangère utilisée et du vocabulaire, etc., Ils avaient parfois des doutes et nous avaient d'ailleurs montré un cas précis puisqu'ils étaient en ligne avec un navire à ce moment-là.

Est-ce que, lorsque vous avez simplement des doutes et aucun pouvoir -car vous ne pouvez pas vous fonder sur un « danger imminent ou grave »- il existe des systèmes de communication entre la France et le port qui va recevoir le bateau, dans le cas de ces simples aléas de comportement qu'on ne peut qualifier de danger ? Quels sont les dispositifs prévus par les pays étrangers ? Par exemple, comment réagit un CROSS d'un autre pays lors d'une entrée à Brest ?

M. Michel LE BOLLOC'H : Très clairement, le principe du Mémorandum s'applique et l'utilité de la banque de données Sirenac, dont je parlais tout à l'heure, qui est accessible non seulement au centre de sécurité mais également au centre opérationnel, est dans un tel cas évidente. Ces échanges et la coopération avec les pays étrangers sont quotidiens et fonctionnent de façon tout à fait convenable.

M. Jacques GHEERBRANT : Je peux prendre l'exemple actuel des bateaux dits Malaga, écartés pour l'instant dans des conditions juridiques encore approximatives, par la France, l'Espagne et le Portugal. Ces bateaux, anciens et à simple coque, proviennent notamment de la mer Baltique, et sont chargés de produits pétroliers lourds. Ils sont pris en charge par le premier CROSS sur leur chemin, généralement celui de Gris Nez, dans le Pas-de-Calais. On les suit avec beaucoup d'attention puis ils passent sous la surveillance des Espagnols.

Un autre exemple : aujourd'hui, les Espagnols nous ont annoncé la venue d'un bateau en moyenne difficulté. Ils nous ont dit lui avoir demandé de ne pas entrer dans leur zone économique exclusive et nous prenons la même position.

Nous assurons, par cette liaison constante avec l'équivalent des CROSS dans les pays voisins, non seulement le suivi des navires, mais aussi l'homogénéité de la politique adoptée à leur égard, afin qu'ils ne soient pas acceptés là et refoulés ailleurs, ou inversement.

M. Gilles COCQUEMPOT : Avant la réunion, M. l'administrateur général Berroche me disait que les CROSS de Gris-Nez, de Jobourg et d'Ouessant, travaillaient maintenant en réseau. J'avais cru noter lors d'une récente audition que pour un navire avançant à six nœuds, il y avait entre Gris-Nez et Jobourg un « silence » de six heures, entre Jobourg et Ouessant un « silence » de sept heures, et un « silence » absolu entre la France et la Belgique. Or, au CROSS de Gris-Nez, nous sommes confrontés à une double circulation, descendante et montante, mais aussi à une considérable circulation transversale. On vous dira que le CROSS opère dans des conditions parfois à la limite de la sécurité -on l'a d'ailleurs vu avec le Tricolor. Comment tout cela peut-il fonctionner correctement ?

M. Jacques GHEERBRANT : Je vais passer la parole au directeur régional des Affaires maritimes, mais je voudrais dire qu'il ne faut pas parler de « silence » dans la mesure où l'on peut toujours entrer en contact radio avec un bateau. En revanche, la couverture radar n'est effectivement pas continue. Des trous de détection radar existent, mais il faut absolument éviter le parallèle inconscient que l'on fait avec la circulation aérienne. Un bateau circule parfaitement normalement dans une zone non couverte par un radar, il n'y a là aucun problème de principe. Actuellement, on ne dispose pas d'un schéma de suivi radar permanent à ce stade, même si c'est un objectif.

M. le Président : Une question complémentaire : que pensez-vous d'un système de surveillance par satellite qui relèverait de la même démarche ?

M. Michel LE BOLLOC'H : Je pense au système de balises transpondeurs -ou « transpondrices »- dont la mise en place est déjà prévue. Le suivi radar constitue un moyen technique très performant, mais est-il suffisant ? Prenons l'exemple tout à fait intéressant du système du sauvetage, mis en place depuis longtemps par les Américains. A tout instant, on peut demander à nos amis « coast-guards » américains quels sont les navires situés dans un rayon de 30 milles, au milieu de l'océan Indien, de l'océan Pacifique et de l'océan Atlantique. Ils sont en mesure de nous donner la liste des 10 navires présents alors qu'il n'y a pas le moindre radar. Le système satellite fonctionne également très bien en France pour les navires de pêche par exemple, qui sont astreints à l'emport de balises. On pourrait très bien développer la banque de données par la mise en place de ces balises sur les navires de commerce. Après, c'est une question d'obligations internationales.

M. Jacques LE GUEN : Je souhaiterais avoir un complément de réponse sur la question des satellites radar à haute définition. Serait-il possible, dans le suivi des dégazages et déballastages, d'utiliser les images satellites, au besoin en modifiant les règles de procédure pénale pour pouvoir les considérer comme moyen de preuve devant les tribunaux ?

M. Jacques GHEERBRANT : En principe, oui, dans la réalité non. Le satellite radar, le jour où il sera financé, ne sera pas nécessairement à l'endroit adéquat. Même s'il localise la pollution, il ne permettra pas d'en connaître l'auteur, sauf coup de chance, si un bateau est en train de dégazer lors du passage du satellite. Tout ceci est totalement irréaliste et je n'hésiterai pas à redire, sans caricaturer, que la solution au problème du déballastage et du dégazage est au port, en rendant cette opération obligatoire, contrôlée et impossible en mer.

Tout autre solution est un « cautère sur une jambe de bois », ce qui ne serait pas très grave si les cautères en la matière n'étaient pas aussi chers et aussi peu efficaces ! Les ingénieurs nous ruineront certainement si on décide de mettre en place une couverture mondiale, permanente, en temps réel, des déballastages. Mais ce serait, à mon avis, un grand coup d'épée dans l'eau !

M. le Président : J'aimerais maintenant poser quelques questions à l'autorité de terre et, en particulier, à la représentante de la préfecture du Finistère, Mlle Kervella, sachant que nous rencontrerons également le préfet de la zone de défense ouest, Mme Bernadette Malgorne, à l'Assemblée, à la mi-mai. Quel est l'état de l'actualisation du plan POLMAR-terre du département ? Quelle est la prochaine actualisation prévue ? Pouvez-vous nous décrire les moyens matériels (centres départementaux) et humains, en indiquant l'articulation des administrations concernées ? Quel est le retour d'expérience des exercices « papier » réels les plus récents ? Quelles sont vos relations avec les autres préfets de département, avec le préfet de zone de défense et quelles sont les modalités des relations avec les élus des communes concernées?

Melle Marguerite KERVELLA : M.le Président, très rapidement, le plan POLMAR-terre du Finistère actuellement en vigueur date d'avril 1997. Les travaux de refonte ont été engagés en avril 2002. C'est un document assez complet. Pour cette refonte, nous avons souhaité prendre tout notre temps pour faire un travail complet, en recensant notamment les enjeux environnementaux et économiques sur le littoral. La fin des travaux de refonte est prévue pour cette année. Nous espérons les achever en septembre ou octobre.

M. le Président : Après que nous ayons rendu la copie des travaux de la Commission !

Melle Marguerite KERVELLA : Si vous le souhaitez, nous pouvons vous transmettre les procès-verbaux des réunions des groupes de travail. En ce qui concerne les moyens matériels, le Finistère dispose d'un centre POLMAR qui, depuis les dernières instructions, est devenu centre interdépartemental. Il est vrai que dans la dernière instruction, on ne précise pas de façon très claire qui a l'autorité pour mobiliser les moyens de ce centre POLMAR. Pour nous, il est clair que c'est le préfet de la zone de défense qui doit gérer l'ensemble de ces moyens.

La liste de ces moyens est annexée à notre plan POLMAR et nous pouvons la communiquer. La dernière liste dont nous disposions date de décembre 2002. Il est évident que, depuis, elle a sans doute été quelque peu modifiée à la suite de la lutte contre la pollution due au Prestige. Il s'agit à la fois de moyens lourds, comme les barrages flottants, et de moyens plus légers, notamment d'équipements individuels, qui correspondaient sans doute davantage à la dernière pollution que l'on a connue.

Il est clair que, d'après la très modeste expérience que nous avons retirée du Prestige, il serait souhaitable de la compléter par la liste des entreprises qui fournissent du matériel pouvant être utilisé par les communes pour lutter contre la pollution à terre.

Nous disposons aussi d'un recensement exhaustif des moyens des communes, notamment en cribleuses et en tractopelles, puisque c'était une demande qui nous avait été faite.

S'agissant des moyens humains, l'expertise est assumée évidemment par le CEDRE, ainsi que par les personnels de la Direction départementale de l'équipement. Les moyens humains en termes de lutte, sont essentiellement, au niveau départemental, les personnels des services techniques communaux, qui sont en première ligne, ainsi que les pompiers du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS). A titre d'exemple, pour la pollution du Prestige, le SDIS avait mobilisé une soixantaine de pompiers pour une durée qui pouvait être supérieure à une semaine.

Sinon les moyens dont nous disposons, comme vous d'ailleurs dans vos propres départements, sont ceux de la Sécurité civile : les unités d'instruction de la sécurité civile, notamment de Nogent-le-Rotrou et, évidemment, les moyens militaires.

Sur les retours d'expérience, l'exercice « papier » réel le plus récent dans le département date de 1999. Il avait été programmé une année avant la pollution de l'Erika.

Comme vous le savez, dans les administrations d'Etat, il y a une certaine mobilité des personnels. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé, dans le Finistère, de programmer un exercice POLMAR cette année -c'est la volonté du préfet qui vient d'être nommé, et qui n'a jamais été en poste dans un département maritime. La remarque qui nous avait été faite quand nous avons fait nos réunions sur le Prestige, était que les personnes assistant à cette réunion n'étaient pas celles qui étaient présentes pour les réunions de la pollution de l'Erika. Nous avons besoin d'une mise à jour constante des personnels sur ce type de pollutions.

Ce qui ressort toujours des exercices est l'obsession de la transmission et de la remontée de l'information.

En ce qui concerne les relations avec les autres préfets de département et avec la zone de défense, pour la pollution du Prestige, ont été organisées des réunions hebdomadaires à Rennes. Ces réunions nous ont été très utiles pour bénéficier de l'expérience des collègues des autres départements et, notamment, des expérimentations faites sur un outil dont on a beaucoup parlé : les filets à civelles.

En ce qui concerne les barrages flottants, nous n'en avons pas posé dans le Finistère, tout comme d'autres départements d'ailleurs, car la mise en place de ces barrages suppose de la maintenance et des coûts importants, pour une efficacité dont le CEDRE nous a toujours dit qu'elle était extrêmement limitée.

Concernant le rôle du préfet de zone, on constate toujours certaines susceptibilités entre les préfets, alors que les relations hiérarchiques ne sont pas clairement établies. Le préfet de département demeure en effet le directeur des opérations de secours dans son département, mais le rôle du préfet de zone est essentiel en termes de coordination et d'appui.

Or, pour la gestion de la coordination, il faut souligner que la pollution n'est jamais la même dans tous les départements du littoral. En termes de mobilisation de moyens, tant humains que matériels, il est normal d'affecter le plus de moyens disponibles au département le plus touché. Mais ces moyens ne sont pas extensibles et atteignent vite leurs limites, notamment pour les barrages et le petit équipement. Le rôle de coordination est essentiel dans ce domaine.

Le rôle d'appui, en particulier dans les domaines financiers et dans les procédures et la gestion des marchés publics répond, pour les préfectures terrestres, à un souci important. Certaines procédures sont extrêmement lourdes en matière de mobilisation des moyens. Dans cette affaire, le rôle de la préfecture de zone de défense et des services régionaux chargés de passer les marchés a été essentiel et je crois que si nous avions eu une pollution, cela nous aurait été d'un très grand secours. Ces procédures sont très difficiles à gérer pour obtenir une réactivité adaptée.

Les modalités des relations avec les élus n'ont pas été les mêmes dans tous les départements. Certains préfets de département ont ainsi choisi de tenir des réunions directement avec leurs élus. Dans le Finistère, nous avons préféré décrire notre dispositif par voie de circulaires. Mais il est clair qu'un préfet de département connaît les élus du département et que les élus connaissent le préfet et la préfecture. Quand il y a un problème, les élus savent nous trouver. Dans ce type d'affaires, quand une pollution survient, c'est l'élu qui nous prévient le premier, d'autant que c'est lui qui est en première ligne pour lutter contre cette pollution.

Quand nous aurons bouclé notre plan POLMAR, nous souhaiterions demander aux élus littoraux de décliner ce plan POLMAR par un plan de secours communal auquel, évidemment, l'Etat pourra apporter des moyens complémentaires. Mais l'élu est malgré tout le vrai pivot en matière de remontée de l'information - là-dessus, les relations se sont bien passées, tant avec les élus du sud du département qu'avec ceux du Nord, lorsqu'ils ont été affectés par des déballastages.

Dans un autre domaine important, celui de la communication, nous avons souhaité essayer de communiquer de manière coordonnée avec les élus, de façon à ne pas dramatiser une situation qui, chez nous, heureusement, n'était pas catastrophique, et à éviter ainsi de devoir subir des retombées négatives. C'est pourquoi nous avons toujours dit aux élus ce que nous allions faire et ce que sur quoi nous allions communiquer. Notamment, quand de toutes petites boulettes sont arrivées sur la commune de Trégaz, nous avons vu avec le maire quelle serait notre action de manière à être parfaitement en accord sur la communication qui allait être faite.

Mme Marylise LEBRANCHU : Je comprends bien le système que vous décrivez. Ce qui m'inquiète un peu, c'est que j'ai eu la malchance d'avoir vécu le lien élus/préfecture pour l'Amoco Cadiz, parce que je travaillais depuis un mois lorsque cela s'est produit ici. Je trouve que l'on n'a pas beaucoup amélioré les choses depuis, si je puis me permettre. Les choses ont été améliorées au plan des textes. En revanche, en termes de connaissance du droit et des responsabilités, vous venez de dire quelque chose qui a fait sursauter Jacques Le Guen et qui me fait sursauter de la même façon. Il n'y aura pas de plan communal POLMAR. Cela ne peut pas exister en termes de droit parce que si l'élu prend l'initiative de décliner sur son territoire le plan POLMAR, cela veut dire qu'il en assume la responsabilité et c'est impossible parce qu'il n'en a pas le droit. S'il le fait, il va devenir responsable intuitu personae de ce qui va se passer sur la commune.

Il faut que l'information soit précise. Il me semble important que, dans le plan POLMAR, la circulation de l'information passe notamment par les circuits technologiques nouveaux tels qu'internet -puisque toutes les communes disposent maintenant d'un accès leur permettant d'accéder à un maximum de précisions.

J'ai vécu pendant l'Amoco Cadiz, comme pendant l'Erika -c'est-à-dire avec vingt années de différence-, la même défiance des élus et des professionnels par rapport à ce qui leur a été dit. Je pense qu'il faut que l'ensemble des autorités assumant les compétences et les responsabilités en prennent conscience et que cela s'arrête.

J'ai l'impression, sans avoir de certitude -mais les élus de Loire-Atlantique pourront s'exprimer mieux que moi sur ce sujet- qu'avec le Prestige, cette confiance a pu être améliorée. Mais si vous dites qu'il faudra décliner dans chaque collectivité du littoral le plan POLMAR-terre, vous allez affoler les élus qui vont refuser de participer aux réunions que vous organiserez sur ce thème ! Je crois, en revanche, que les choses se passeront mieux si vous dites de façon simple : « j'ai besoin de savoir combien de pêcheurs sont domiciliés dans votre commune et combien on peut y trouver de camions de transport », parce que vous n'avez pas forcément vous-même cette information, même si, en théorie, vous devriez l'avoir.

En étant très précis dans la relation avec les élus, on évitera ce que l'on a vécu par le passé, qui a entravé la communication des autorités, tant organiques qu'opérationnelles, à savoir la communication directe par des élus qui, à un moment donné, parce qu'ils sont fatigués, finissent par faire des déclarations aboutissant à des résultats complètement contre-productifs. Il n'est pas anecdotique de se pencher en détails sur la façon dont les élus locaux sont tenus informés. Je me souviens de collègues de Loire-Atlantique et de Vendée qui s'étaient « amusés » -le terme n'est pas approprié-, à analyser tous les communiqués des agences de presse portant sur la catastrophe : ils ont mis en exergue que, sur 12 communiqués, un seul émanait des autorités normalement compétentes.

Il y a un vrai problème parce que vous avez indiqué qu'il fallait éviter la panique, mais aussi mobiliser les moyens. S'il n'y a pas de confiance installée et que l'information n'est pas de qualité, la réponse à la question posée par l'autorité à l'élu local, qui lui n'est pas responsable du plan, ne sera pas de qualité non plus.

M. le Rapporteur : Pour compléter le propos de Marylise Lebranchu, vous parliez de plans communaux POLMAR, mais nous vivons la même chose, en tant que maire, sur le plan de la prévention des risques naturels. Aujourd'hui, le préfet nous demande de faire un plan, souvent en prenant les services de l'Equipement comme cabinet d'études. Si on ne le fait pas, on est responsable. Si on le fait, jusqu'où faut-il investir pour prévenir les risques naturels ? Cela rejoint une dérive un peu inquiétante actuellement, du moins pour les élus locaux.

Audition conjointe de
M. Yvon OLLIVIER, Préfet de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur
et de M. Maurice MICHAUD, Sous-préfet délégué à la sécurité civile


(extrait du procès-verbal de la séance du 15 avril 2003 -
Marseille)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

MM. Ollivier et Michaud sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Ollivier et Michaud prêtent serment.

M. Yvon OLLIVIER : M.le Président, MM. les parlementaires, vous allez rencontrer tout au long de l'après-midi plusieurs de mes collaborateurs, notamment les responsables de l'état-major de zone qui pourront répondre de façon détaillée aux questions que vous pouvez avoir à nous poser sur le sujet sur lequel vous enquêtez.

Je suis assisté pour cette audition de M. Michaud, sous-préfet qui travaille auprès du préfet délégué pour la sécurité et la défense. Je vais essayer en quelques mots de vous expliquer l'organisation de la zone de défense Sud, qui est quelque peu complexe. Dans la chaîne des responsabilités, le préfet des Bouches-du-Rhône est en même temps le préfet de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et le préfet de la zone de défense Sud. Il est assisté d'un préfet délégué qui assure la responsabilité de la sécurité publique dans le département des Bouches-du-Rhône et qui, en même temps, assure l'autorité opérationnelle sur les services de zone de défense par délégation du préfet de zone. M. Michaud, sous-préfet placé auprès de lui, est en charge des dossiers de sécurité civile et de défense et il pourra donc répondre à vos questions. M. Michaud assure aussi la coordination au niveau zonal du plan Vigipirate.

Sur le sujet des pollutions marines qui vous intéresse, tout d'abord, j'ai le sentiment que, dans la zone Sud, il existe déjà une bonne tradition de coopération entre la préfecture maritime, responsable du plan POLMAR-mer, et le préfet de zone de défense, responsable des plans POLMAR-terre. Cette tradition, déjà ancienne, est facilitée par le fait que le préfet de zone de défense Sud a la même compétence géographique que le préfet maritime sur la Méditerranée. Nous sommes de ce point de vue mieux lotis que nos collègues de la façade atlantique dans la mesure où nos zones de compétence sont identiques. Une coopération régulière s'est établie entre l'état-major du préfet maritime et celui de la zone de défense, permettant des contacts fréquents aussi bien entre les états-majors qu'entre les services opérationnels.

L'autre raison du bon fonctionnement de la zone de défense Sud sur les sujets de sécurité civile dans leur ensemble est liée à l'importance de la lutte contre les feux de forêt dans la zone qui, là aussi, crée des relations de travail extrêmement fortes entre le préfet de zone de défense, son état-major situé près d'Aix-en-Provence et tous les départements de la zone puisque, notamment pour tout ce qui concerne la gestion des moyens de renfort comme les bombardiers d'eau, il existe une gestion très serrée.

Les actions menées de concert par plusieurs départements ont un impact positif pour la lutte contre les pollutions marines. Je dois néanmoins ajouter que nous avons le sentiment de ne pas être, pour ce qui concerne ces dernières, au même niveau opérationnel qu'en matière de lutte contre les incendies de forêt ou contre les risques industriels, sujets assez présents dans un département comme celui des Bouches-du-Rhône.

Aujourd'hui, suite à l'affaire de l'Erika, le dispositif a été renforcé. Pour le Prestige, nous avons surtout servi de prestataire de services puisque nous avons fourni à nos collègues de la façade maritime des renforts en hommes et en matériels.

L'Erika a fait prendre conscience de la nécessité de mettre à jour les plans de lutte contre la pollution. Dans cette zone, comme dans d'autres, on s'est attaqué à une véritable révision des plans POLMAR-terre, qui s'est faite dans chacun des départements de la zone. Pour les Bouches-du-Rhône, qui est parmi les départements les plus concernés, c'est en octobre 2001 que le plan a commencé à être actualisé.

J'ai demandé à M. Michaud de faire le point sur la mise à jour de l'ensemble des plans POLMAR-terre, de façon à ce que nous soyons en mesure de jouer un rôle d'harmonisation et de permettre l'échange des bonnes pratiques entre les départements.

Néanmoins, nous avons d'abord laissé travailler chaque département de son côté et nous commençons seulement à mettre en commun toutes ces expériences départementales. Une réunion s'est tenue il y a quelques jours, rassemblant l'ensemble des responsables départementaux pour discuter de la façon dont les informations allaient remonter. Nous devons mener ce travail dans les mois à venir, tant pour nous assurer de l'homogénéité suffisante des plans que pour dresser l'inventaire de tous les moyens disponibles : inventaire que je considère aujourd'hui comme incomplet.

Dans chaque département, les moyens matériels sont regroupés dans des stocks prépositionnés en des endroits déterminés. Il reste à faire un inventaire plus précis de ces moyens et à voir si nous avons vraiment tous les moyens nécessaires, ma crainte étant que nous ne disposions pas de suffisamment de barrages sur les côtes. J'attends du travail des prochaines semaines de savoir si nous disposons des moyens suffisants et si les plans départementaux sont suffisamment homogènes.

Par ailleurs, un exercice POLMAR-mer doit avoir lieu et j'ai demandé à l'état-major de prévoir en même temps et de façon coordonnée un exercice POLMAR-terre afin de nous permettre justement de bien vérifier la coordination des moyens maritimes et terrestres, comme nous l'avions fait dans le passé. Nous avions réalisé, il y a deux ans, un exercice SECNAV de très grande ampleur, avec la préfecture maritime, pour évacuer les naufragés, les accueillir à terre et organiser toute l'intendance.

Le prochain exercice devrait être source de nombreux enseignements.

Je considère que notre état-major de terre est aujourd'hui très bien armé en matière de lutte contre les incendies de forêt, alors que j'ai quelques doutes sur sa capacité à faire face aux risques liés à la mer, que ce soient les risques de pollution, de naufrage ou d'arrivée impromptue de réfugiés sur nos plages, comme nous avons pu le voir à Fréjus il y a maintenant un an. Nous aurions besoin d'améliorer la coordination entre les multiples intervenants des différents départements et nous sommes en train d'étudier comment rendre cette coopération plus opérationnelle.

Je souhaiterais donc qu'il y ait à l'intérieur de l'état-major de la zone de défense une équipe spécialisée chargée de ces problèmes de gestion de la mer pour nous permettre d'assurer pleinement nos missions et qui travaillerait en liaison avec la préfecture maritime. Actuellement, nous manquons un peu de compétences pour gérer le risque maritime ; c'est pourquoi j'aimerais mobiliser notamment le bataillon de marins-pompiers de Marseille, qui a une forte expérience en la matière et qui travaille depuis longtemps avec la préfecture maritime. Pour mener à bien ce projet, nous sommes en train de renforcer la partie de l'état-major chargée de ces questions maritimes.

Voilà, M. le Président, M. le Rapporteur et MM. les parlementaires ce que je peux vous dire sur le sujet.

Jusqu'à présent, nous avons eu de la chance par rapport aux risques maritimes. Si nous avons régulièrement de petites alertes et si certaines de nos plages voient arriver des galettes de fioul, résultat de dégazages intervenus en mer, nous n'avons jamais connu de grands sinistres.

Nous ne sommes par pour autant à l'abri. Je pense non seulement au passage près des côtes de bateaux tout le long du littoral méditerranéen, mais aussi aux bouches de Bonifacio, qui demeurent probablement le problème essentiel de toute la zone de défense, là où, même si les gros tankers n'empruntent pas cette voie, passent tout de même de nombreux bateaux. C'est un secteur où nous avons intérêt à renforcer notre action. Je tenais vendredi une réunion avec les autorités préfectorales, les SDIS de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. On sent bien qu'ils sont préoccupés par les risques entre la Corse et la Sardaigne. Je cite cet exemple qui me paraît le plus sensible, mais évidemment, nous courrons aussi beaucoup de risques sérieux sur la côte méditerranéenne où nous avons eu beaucoup de chance jusqu'à présent.

M. le Président : Nos collègues méditerranéens nous ont fait part de leurs inquiétudes sur les sujets que vous venez d'évoquer et de la nécessité de venir vous interroger. Je souhaiterais que vous précisiez un certain nombre de points.

Lorsque nous sommes venus en avril 2000, nous avions découvert que le plan POLMAR-terre datait de 1984. Il était question qu'il soit totalement actualisé. Or il semblerait qu'il ne le soit pas totalement. J'aimerais que vous disiez ce qu'il en est exactement. Quel est le rythme de la mise à jour de ces plans ?

Pourriez-vous également nous parler de la coordination du plan POLMAR-terre par le préfet de zone, en identifiant les personnes et les responsabilités : quelles sont les relations avec les préfets des différents départements ? Comment la région se coordonne-t-elle avec les préfectures de département ainsi qu'avec les élus des communes littorales ? Ces derniers sont-ils organisés collectivement ou laissés les uns et les autres à leur secteur de responsabilité ? En particulier, qu'en est-il de l'étang de Berre ?

Pourriez-vous également nous parler de la coordination entre les plans POLMAR-terre et POLMAR-mer ? Et quelles sont les relations entre le préfet de la zone géographique terrestre et le préfet maritime ?

M. Yvon OLLIVIER : Je laisserai M. Michaud répondre sur ces différents sujets qui relèvent directement de son domaine de compétence.

M. Maurice MICHAUD : Comme l'a dit M. le préfet, notre longue pratique de la coopération interdépartementale nous permet de réagir efficacement pour mobiliser des moyens qui sont dans un département, au bénéfice soit d'un autre département, soit d'autres régions ou zones sinistrées. Nous l'avons largement démontré pour le Prestige.

En revanche, votre question soulève une vraie difficulté. Autant nous sommes opérationnels pour travailler sur ce risque permanent et essentiel pour la zone méditerranéenne que sont les incendies de forêt, autant notre capacité à traiter d'autres risques est insuffisante. Nous ne disposons ni de moyens adéquats, ni de méthode de lutte spécifique.

Concernant le risque des inondations, nous bénéficions d'une certaine expérience car la fréquence des crûes a augmenté ces dernières années. Nous les avons encore vécues au mois de septembre dans les départements du Gard et du Vaucluse, ainsi que dans les Bouches-du-Rhône. Nous avons bénéficié de moyens et de concours militaires, qui nous ont été accordés pour essayer de répondre aux risques de pollution.

Quant aux risques maritimes, beaucoup reste à faire. Nous ne sommes pas allés au-delà des compétences respectives de droit commun de chaque département, chacun arrêtant son plan pour ses communes et les réactualisant pour établir le plan POLMAR départemental. Nous avons demandé lors d'une réunion qui s'est tenue jeudi dernier, le 10 avril, à tous les préfets, représentés par leurs directeurs de cabinet, de réexaminer leurs plans et de monter, ensuite, un groupe de travail qui en fasse une lecture transversale pour parvenir à établir un plan zonal cohérent. Dans un deuxième temps, ce groupe de travail devra vérifier que les plans POLMAR départementaux actualisés sont complétés par des plans communaux car je ne suis pas sûr que toutes les communes aient pris des dispositifs adaptés -encore que le problème se pose à la fois en mer, lorsque le sinistre se produit, et à terre.

L'état-major est une équipe très restreinte, dont la moitié est en veille opérationnelle pour répondre à toute alerte à répercussion locale, mais aussi pour traiter les informations du COGIC, qui est le centre opérationnel d'information de la Direction départementale de surveillance du territoire, et dont l'autre partie se charge de la gestion des interventions et du contrôle des procédures et des réquisitions.

Depuis trois mois, nous avons proposé d'améliorer l'organisation de ces moyens, en constituant des pôles de compétence, par thème ou par risque, chacun de ces pôles devant disposer d'experts spécialisés soit dans la gestion opérationnelle, soit dans la connaissance scientifique du risque traité. Ces pôles de compétence vont permettre d'évaluer la qualité ou l'insuffisance des rapports entre les différents intervenants.

Le premier pôle est confié au colonel Mené, chef d'état-major, que vous rencontrerez lors de la prochaine audition et qui répondra plus dans le détail que moi. Pour piloter la réorganisation de l'état-major, nous avons réussi à obtenir que la préfecture maritime nous délègue un officier de la Marine, ce qui est une preuve de la qualité de la coopération entre la zone de défense et le préfet maritime. L'état-major est ainsi animé par le colonel commandant l'état-major, assisté d'un officier de la Marine nationale ainsi que d'un colonel des marins-pompiers. De ce groupe, nous attendons d'ici deux mois une relecture des plans, les injonctions qu'il conviendra de prendre si ceux-ci sont trop obsolètes, et un inventaire des moyens opérationnels. Voilà comment cela devrait fonctionner, et comment cela n'a pas fonctionné suffisamment au niveau de la zone de défense. Nous espérons que ce travail de réorganisation portera ses fruits.

M. le Président : Vous n'avez pas les dates des derniers plans ?

M. Yvon OLLIVIER : Pour les Bouches-du-Rhône, le dernier plan POLMAR-terre été approuvé le 15 février 2001 et le dernier exercice POLMAR-terre a eu lieu en octobre 2001.

M. le Président : M. le préfet, si je puis me permettre, compte tenu de ce que vous venez de nous dire, s'il vous était arrivé un accident comme le Prestige, auriez-vous été en mesure de faire face à la situation ?

M. Yvon OLLIVIER : Chaque département a son dispositif. En ce qui concerne les Bouches-du-Rhône, le dispositif est tout à fait organisé et mis à jour. Il comporte aussi l'examen des plans communaux ou intercommunaux, les communes ayant également participé à l'exercice.

Je pense que nos collègues des autres départements sont dans la même situation d'étape d'approbation des plans. Je répète qu'à partir de l'expérience de travail en commun que nous avons dans cette zone et des liens opérationnels qui existent avec la préfecture maritime et la préfecture de zone, je pense que nous aurions été tout à fait en état de répondre à cette menace. Ce qui manque pour le moment, à mon avis, est un recensement suffisamment exhaustif et critique des moyens mis en place par les différents départements. Je considère la coordination zonale au niveau des plans comme insuffisante mais, je vous le répète, la coordination opérationnelle au niveau d'un événement à traiter fonctionne bien.

Le dernier événement auquel nous avons dû faire face en matière de menace maritime a été cette arrivée impromptue d'un bateau chargé d'un millier de Kurdes. Je pense qu'entre le préfet du Var et le préfet de zone de défense, les choses se sont très bien passées ; de même, avec le préfet maritime. La gestion de cet événement, à mon avis, n'a pas posé de problème parce que la tradition de coordination et les liens opérationnels existant entre les uns et les autres permettent de mettre en oeuvre les procédures opérationnelles nécessaires.

Je n'ai donc pas d'inquiétudes quant à notre capacité opérationnelle à réagir. Mais, je pense qu'effectivement, nous devons faire des progrès -vous l'avez bien senti au travers de nos réponses- pour un meilleur recensement préalable des moyens existants et des documents existants. D'où la nécessité d'ailleurs d'augmenter le rythme des exercices permettant de voir comment les choses se déroulent en réel.

M. le Président : A votre avis, de quoi provient ce retard ? Cela fait trois ans qu'il n'y a pas eu de mise à jour. Je faisais partie de la Commission sur l'Erika et il nous avait été dit que les choses seraient rapidement mises en place, que la révision du plan version 1984 serait faite très vite, c'est-à-dire que tout serait véritablement opérationnel à court terme !

M. Yvon OLLIVIER : Je vous répète que je pense que ce travail de mise à jour est réalisé, mais que la connaissance que nous en avons au niveau de la structure de zone est insuffisante. Non seulement, je le pense, mais pour l'avoir vérifié au travers de contacts avec les différents préfets, cela a effectivement été fait. Il y a assurément aujourd'hui dans le dispositif zonal prévisionnel une capacité trop légère à rassembler toutes les informations et à réunir les uns et les autres pour échanger les expériences et s'assurer que tout est fait. Mais il s'agit plus d'une insuffisance dans la valorisation de ce qui est fait dans chaque département que d'une insuffisance dans chaque département.

M. Maurice MICHAUD : Pour vous en donner une illustration, nous avons eu à répondre à une menace à deux reprises.

D'une part, en février 2002, lors de l'arrivée du bateau kurde à Fréjus, nous avons mobilisé aussitôt toutes les préfectures et avons pu couvrir la zone de quatre à six lieux d'accueil, d'hébergement et de traitement dans les deux jours, alors que la situation était très problématique. Cette réactivité s'est appuyée sur le concours des différents départements concernés.

D'autre part, dans le cadre du Prestige, lorsque l'on nous a demandé des moyens nationaux par le biais du COGIC, nous sommes également intervenus. Chaque département connaissait les moyens humains et matériels existants au niveau des communes dont nous avons sollicité le concours. Les transports ont été organisés vers le Sud-ouest et nous avons mis, au total, des colonnes de renfort avec des marins-pompiers, des unités de la sécurité civile de la zone et dix-sept engins mobiles provenant d'une dizaine de communes, ont pu acheminer du matériel.

M. le Président : Vous n'étiez pas trop démunis pendant ce temps ?

M. Maurice MICHAUD : Cela s'est passé, heureusement, hors période estivale. Sinon, le choix aurait été difficile entre la protection et le nettoyage des plages ici à l'arrivée des touristes ou le nettoyage des plages du Sud-ouest.

M. Yvon OLLIVIER : Cela dit, le recensement exhaustif n'est pas fait et c'est regrettable, mais la connaissance que nous avons déjà de ce qui existe me laisse à penser que nous sommes probablement en moyens d'intervention -barrages flottants et autres- en situation d'insuffisance par rapport à ce qui serait nécessaire. Mais la vérification de ce sentiment par un recensement exhaustif reste à faire.

M. le Rapporteur : On parle toujours de matériels de barrage. Je comprends bien l'aspect psychologique des barrages mais, techniquement, ils sont assez inefficaces. Je pense aussi qu'en Méditerranée, en terme de gestion de la mer, on pourrait avoir une intervention un peu spécifique car il n'y pas la même courantologie qu'en Manche et en Atlantique, ni le même marnage, ce qui peut, en termes de protection et de nettoyage, poser d'autres problèmes que sur les côtes atlantiques ou de la Manche.

Vous avez dit que la force de l'expérience de lutte contre les sinistres terrestres créait une articulation dans la lettre et dans l'esprit des différents intervenants. En ce qui concerne les centres opérationnels, comment sont coordonnées les interventions du CIRCOSC et du CROSSMED ? Qui dépend de qui pour ce qui est de l'alerte et de la mise en place des interventions en cas de marée noire ? Nous avions vu au moment de l'Erika, sur l'Atlantique, que les rôles n'étaient pas bien définis, ce qui n'a pas été le cas pour le Prestige où il y avait une hiérarchie organisée des interventions.

Ensuite, nous débordons un peu du sujet mais vous l'avez vous-même évoqué, en ce qui concerne la Méditerranée, on peut craindre une augmentation du trafic maritime. L'Erika et le Prestige transportaient du fioul n°2 que l'on ne peut pas brûler dans les quinze pays de l'Union européenne, mais qui sont encore utilisés comme combustible, notamment par les centrales thermiques des pays de l'Est donnant sur la mer Noire. Nous risquons donc d'assister à une augmentation du trafic vers ces pays.

Je pense donc qu'en Méditerranée, il y a vraiment besoin d'une veille spécifique et je retrouve là la spécificité méditerranéenne qui a été soulignée à l'Assemblée avec l'adoption de la zone de protection écologique.

Existe-t-il une collaboration entre les différents pays, comme l'Espagne et l'Italie, sur les moyens d'intervention par rapport à un éventuel naufrage ? Un bilan du processus de Barcelone a-t-il été fait en matière environnementale ? Qu'en est-il des pouvoirs publics et des gouvernements des principaux Etats riverains ? Ne faudrait-il pas aller vers une autorité maritime méditerranéenne occidentale incluant aussi le Maghreb, d'autant qu'en matière maritime, a été mis en place un programme de coopération européenne, appelé MEDA, me semble-t-il ?

Une politique ambitieuse est à instaurer en Méditerranée en matière de recensement et de coordination des moyens -peut-être des équipements- puisque l'on s'est aperçu que, par rapport à l'Atlantique où le matériel comme les remorqueurs de haute mer vont être renouvelés, la Méditerranée faisait figure de parent pauvre. Il était d'ailleurs question d'affecter en Méditerranée des bâtiments des Abeilles utilisées actuellement sur l'Atlantique.

M. le Président : Il est question d'en affecter un en Méditerranée.

M. Yvon OLLIVIER : Un, c'est déjà important.

M. le Rapporteur : Par rapport à l'intervention dont vous parliez qui sera peut-être nécessaire un jour dans les bouches de Bonifacio, je dois dire que ces bateaux nous ont sauvés de nombreux naufrages sur le rail d'Ouessant.

M. Yvon OLLIVIER : Sur la coordination avec le CROSS Méditerranée, monsieur Michaud va vous répondre.

M. Maurice MICHAUD : Le CROSS Méditerranée alerte le préfet maritime qui en réfère aussitôt, bien sûr, au COZ (centre opérationnel de zone). La liaison est permanente, la veille est de 24 heures sur 24, 365 jours sur 365. Entre les deux organismes, la communication est instantanée. On peut donc dire qu'il existe une excellente communication entre les autorités de veille maritime et les autorités de veille terrestres.

M. le Président : Souvent, c'est une question d'hommes et d'esprit. Nous avons bien senti la semaine dernière qu'entre le préfet maritime et les Affaires maritimes, la communication, y compris moderne, n'était pas toujours là, tout comme parfois à terre entre les départements, entre un SDIS et d'autres moyens de secours. Selon les hommes en place, tout ne se passe pas toujours comme cela devrait.

M. Yvon OLLIVIER : D'où l'avantage de la tradition dont je parlais tout à l'heure. Cette veille permanente n'existe pas au même niveau dans tous les états-majors. Ici, ils disposent d'un officier de salle et de deux opérateurs et possèdent a priori la réactivité d'information et d'alerte nécessaire en cas de risque. En permanence, des officiers d'astreinte peuvent venir en renfort. Donc, sur ce plan de l'alerte et de la notification de l'événement, il n'y a aucune difficulté.

M. le Rapporteur : Quitte à aller plus loin dans la gestion de la mer, y compris avec les moyens -spécifiques de la région- que sont les sapeurs-pompiers de Marseille ?

M. Maurice MICHAUD : Ils sont spécifiquement animés par l'état-major et le CROSS, qui alertent les unités.

M. le Rapporteur : Nous avons rencontré le secrétaire général de la mer, M. Garnier, qui était précédemment en poste à Nice. Il nous parlait des difficultés causées par la multiplication des vedettes et donnait l'exemple du port de Nice où l'on trouvait cinq vedettes différentes : celles des Affaires maritimes, des Douanes, de la gendarmerie, etc. Il trouvait que cette multiplication des moyens n'était pas forcément un gage d'efficacité en termes de commandement.

M. Maurice MICHAUD : Pour dire un mot sur le plan international, pour ce qui est de la coopération avec les pays frontaliers, le préfet maritime vous dira demain comment il a initié les rapports avec l'Italie et l'Espagne en établissant une sorte de protocole, une déclaration d'intention, qui permet déjà des échanges d'informations. Nous-mêmes avons une tradition de coopération avec les Catalans et, côté italien, il n'y a pratiquement plus de frontière, dirais-je.

M. Yvon OLLIVIER : Oui, c'est même plus que cela. Entre les Alpes-Maritimes et la province de Ligurie, ainsi d'ailleurs qu'avec Monaco, la coopération existe déjà. Elle n'est pas liée seulement aux risques de pollution marine mais porte sur tout ce qui est pollution des côtes. Nous tenons des réunions régulières auxquelles participent les autorités françaises, monégasques et italiennes. Cela ne se fait pas au niveau zonal mais départemental.

A ma connaissance, mais j'en suis moins sûr, il y a les mêmes réunions entre les autorités catalanes et le préfet des Pyrénées-Orientales. Cela se fait par extension de ce qui se passe pour les feux de forêt puisque, comme le disait M. Michaud, entre la Catalogne et les Pyrénées-Orientales, il existe une tradition d'échange de matériels en cas de feux côtiers -or, dans cette province, il y en a souvent.

Donc, la coopération existe, même si elle n'est pas institutionnalisée. Nous n'avons pas, à ma connaissance, mobilisé jusqu'à présent de fonds européens sur ce sujet. MEDA est quand même plus orienté vers d'autres rives de la Méditerranée. Je ne suis donc pas sûr que ces crédits puissent être utilisés à cet objet.

En revanche, cette préoccupation est intégrée dans les programmes INTERREG. Elle n'a pas encore débouché aujourd'hui sur des réalisations spectaculaires. Pour lutter contre les pollutions marines, nous avons, bien sûr, cherché à nous coordonner entre pays concernés, c'est-à-dire entre la France, l'Italie et l'Espagne, car, en cas de risque effectif de pollution marine, la coordination s'opère, bien sûr, mais nous avons surtout besoin d'une surveillance de la mer organisée par les pays riverains. Cela commence à se faire, mais nous avons besoin de plus le systématiser. Je n'irai pas plus loin car je sors là de mon domaine de compétence. Le préfet maritime pourra, je pense, vous en parler plus savamment que moi.

Nous avons eu l'illustration d'une bonne coopération maritime impliquant les autorités terrestres à la suite de la première immigration clandestine à Fréjus car, vous le savez sans doute, nous avons eu une seconde alerte quelques mois plus tard. Mais dans ce second cas, grâce aux services de renseignements, qui nous avaient indiqué le risque qu'un nouveau bateau parte des côtes du Liban ou de Syrie, un véritable réseau d'informations s'est établi tout de suite entre l'ambassade de France à Beyrouth, la préfecture de zone ici et les services de renseignement centraux associant France, Italie et Allemagne, car les Allemands avaient été à l'origine d'une information.

Nous avons donc vu à cette occasion impliquant l'autorité terrestre et les autorités navales, un bon système d'information fonctionner pour voir se préciser et se concrétiser la menace du départ d'un bateau. Celui-ci est parti et une surveillance a été organisée par la Marine française entre Chypre et le Liban. Puis, une intervention à Chypre et une coordination avec les autorités italiennes ont permis de stopper le bateau, qui venait finalement des côtes de Syrie, et de l'amener à un port italien.

Ainsi, le système de coopération non seulement maritime, mais également entre forces terrestres et maritimes, a bien fonctionné pour détecter une menace et y parer.

De même, les Marines nationales devraient s'entendre pour assurer une surveillance de la mer plus efficace, surtout si ce bateau n'est plus réellement un bateau. La dangerosité des navires ne relève pas de mes compétences ; là encore, si une coopération internationale est nécessaire, elle doit s'appliquer avant tout au domaine maritime, avant même de parler de coopération terrestre.

M. Christophe MASSE : Un constat, tout d'abord. Il est vrai que, dans le département des Bouches-du-Rhône, comme dans la région, le principal fléau naturel reste l'incendie, les inondations venant juste derrière. Il est aussi vrai que, de ce fait, les moyens ont souvent été orientés vers ces deux priorités, importantes aux yeux de la population du département. Il est vrai également que, dans cette zone, en Méditerranée, nous n'avons pas, grâce à Dieu, subi de véritable marée noire importante, si ce n'est les problèmes trop souvent évoqués de dégazage et de déballastage, sur lesquels il nous faudra revenir.

Face à ce constat qui peut justifier certaines orientations, il faudrait sans doute s'atteler à mettre en place un protocole qui permette, en appuyant sur un seul bouton, que tout soit en phase, c'est-à-dire en relation avec le préfet de la zone de défense et le préfet maritime, quand on sait déjà que cette zone présente deux spécificités : celle des marins-pompiers de Marseille et de ses rapports avec les SDIS ; et celle du port autonome de Marseille qui, comme son nom l'indique, possède une autonomie tout à fait exceptionnelle qui lui confère des moyens spécifiques.

Donc, ma question est la suivante : êtes-vous à même, M. le préfet, à l'heure actuelle, en appuyant sur un bouton, de mettre en phase les moyens des SDIS, des marins-pompiers, du port autonome que nous avons visité ce matin et qui possède des moyens techniques très importants, avec ceux du préfet maritime ? Qui peut gérer tout cela ? Qui peut, en cas de problème important, coordonner toutes ces défenses ?

M. Yvon OLLIVIER : Ma réponse est assurément positive, M. le député. Je disais tout à l'heure que le plan POLMAR-terre a été révisé en février 2001. Il l'a été notamment pour acquérir le caractère le plus opérationnel possible, c'est-à-dire à partir de l'intervention des communes -puisque le niveau communal est le premier niveau d'intervention-, suivie d'une remontée au SDIS et d'une coordination assurée par le préfet, des pompiers du CODIS, du SDIS et des marins-pompiers. Tout cela est prévu. L'exercice départemental des 4 et 5 octobre 2001 visait en particulier à le vérifier.

Vous parliez de « presser sur un bouton ». Nous en sommes pratiquement là. Je ne pense pas me tromper en disant que, sur ce type d'intervention, à l'échelle départementale, je n'ai aucun doute quant à la capacité que tout se déclenche à partir d'une instruction de mise en œuvre du plan POLMAR-terre.

C'est plutôt au niveau de la connaissance préalable des moyens de renfort existant dans les autres départements qu'aujourd'hui, la réalité de la zone ne s'est pas encore suffisamment concrétisée par la préparation du plan POLMAR. Cependant, il faut relativiser les choses. Autant en matière d'incendies de forêt, le risque doit être pris en compte immédiatement avec une coordination extrêmement rapide des moyens existants dans les différents départements, car il faut employer ces moyens extrêmement vite -de toute façon, la gestion des moyens aériens est commune-, autant en matière de pollution marine, la probabilité d'une pollution justifiant une réaction immédiate et couvrant plusieurs départements est tout de même assez faible. Il peut arriver qu'un bateau s'échoue à un endroit donné avec un risque de pollution fort, justifiant une intervention très rapide à cet endroit précis, mais la perspective d'avoir à gérer une pollution sur une bande de cinquante ou cent kilomètres en une ou deux heures est extrêmement faible.

Le risque est plutôt d'avoir à affronter une pollution lointaine à une vingtaine ou une cinquantaine de kilomètres des côtes et donc, de devoir gérer ce qui va se passer en fonction des courants. Heureusement, cela laisse un temps de réaction suffisant pour mobiliser non seulement des moyens locaux, mais aussi pour faire appel aux moyens de secours des autres départements. On ne gère pas du tout le même tempo que dans les incendies de forêt.

M. Louis GUÉDON : Je m'inscris dans la logique des questions qui viennent d'être posées. Il est possible que vous ne puissiez pas me répondre, mais il faudrait alors nous dire qui pourrait le faire.

Lorsque nous avions enquêté sur l'Erika, il s'agissait de 15 000 tonnes de pétrole dans l'Atlantique et la Commission d'enquête avait conclu que, si un tel drame se produisait en Méditerranée, il faudrait des décennies pour assainir la mer compte tenu du fait que le seul « déversage » était le détroit de Gibraltar et qu'il n'y avait pas de mouvement de la mer pour amener le pétrole sur le littoral.

Or, vous vous le rappelez, le plan POLMAR-mer avait été un échec pour l'Erika puisque c'est seulement après trois semaines que les appareils de pompage des navires avaient commencé à fonctionner effectivement. Les sites de Météo France avaient été totalement dépassés puisqu'il nous avait été assuré que les premières nappes de pétrole arriveraient sur l'Ile de Ré et sur l'Ile d'Yeu, alors qu'elles sont arrivées au Guilvinec quand tout le protocole de lutte avait été mis en place à La Rochelle. Cela avait été un échec patent.

Dieu merci, pour le Prestige, les leçons ont porté puisque, mis à part le traitement initial par l'Espagne du naufrage du Prestige, qui a conduit à précipiter 70 000 tonnes de pétrole par 3 500 mètres de fond, où l'on ne peut aller le chercher facilement, le plan POLMAR-mer français a plutôt mieux fonctionné que trois ans auparavant. En effet, très rapidement, il a été fait appel aux radeaux de pompages ; les appareils de dragage, dont le Tomsea, ont pu intervenir avec de bons résultats. Sur le littoral, les difficultés n'ont pas été les mêmes puisque la côte sinistrée était celle de La Galice.

Néanmoins, la question posée par l'Erika reste identique après le Prestige : si 70 000 tonnes de pétrole coulent en Méditerranée, il faut vingt ou trente ans pour qu'elles s'évacuent par le détroit de Gibraltar ; sans les moyens d'assainir la Méditerranée, quel protocole met-on en place ?

En Atlantique, nous voyons maintenant le protocole mis en place pour le Prestige, en ce qui concerne le plan POLMAR-mer car, pour le plan POLMAR-terre, ce sont les Espagnols qui ont été les plus touchés et l'on sait qu'ils n'étaient préparés pour aucune des deux parts du plan de lutte contre la pollution marine, si tant est qu'il existe la même dichotomie de stratégie chez eux que chez nous, en France, entre la mer et la terre.

Aussi serait-il intéressant que nous puissions savoir quel serait le protocole suivi en Méditerranée pour une lutte rapide contre la pollution. Nous venons ici dans un but préventif, afin d'éviter qu'en Méditerranée, ne se reproduisent les nuisances provoquées chez nous par l'Erika ou le Prestige.

M. Yvon OLLIVIER : Je ne vais pas vous apporter véritablement de réponse. Sans vouloir me « défausser » de mes responsabilités, j'ai franchement le sentiment que, dans l'hypothèse d'une pollution marine à l'image de celle du Prestige, nous ne sommes pas aussi désarmés pour le plan POLMAR-terre qu'il y paraît au premier regard car si, effectivement, le recensement des informations est certes insuffisant, nous disposons malgré tout de dispositifs qui sont prêts à être mis en œuvre selon des procédures opérationnelles qui, elles aussi, sont définies. Il n'en reste pas moins qu'en réalité, la seule capacité que nous ayons est de faire barrage. Il n'y a que cela.

Dès lors que le pétrole commence à arriver, on essaie de l'endiguer et de le pomper. Il est clair que, face à une perspective telle que celle que vous indiquiez, de 70 000 tonnes, les moyens dont nous disposons seront probablement insuffisants pour tout bloquer, sauf si cette pollution ne touchait qu'une zone extrêmement étroite et si nous arrivions à tout bloquer avec des moyens absolument considérables. Mais, compte tenu des courants et des vents qui existent en Méditerranée, pour peu que, par malchance, souffle ce jour-là un fort mistral ou un vent d'est, nous risquerions une catastrophe majeure et, dans ce cas, contrairement à ce qui se passe en Atlantique, la dispersion du pétrole en mer ne se ferait effectivement pas.

De plus, nous ne bénéficions pas en Méditerranée du phénomène de marée qui, au fond, dans l'Atlantique, contribue aussi à nettoyer les plages et surtout les rochers. Impossible d'imaginer une pollution sur la côte bleue. Je l'ai bien vu en Bretagne où les plages devant chez moi ont été complètement polluées pendant quelque temps et où, malgré tout, la nature et la marée ont fini par faire leur ouvrage. Ici, cela ne se produira pas : si le pétrole arrive sur les rochers, à terre, on ne s'en sortira pas.

En Méditerranée, il s'agit vraiment de savoir comment prévenir ce type de catastrophe. Je demeure persuadé qu'un durcissement de la réglementation maritime, doublé d'une capacité accrue à détecter les naufrages, mais aussi les pollutions volontaires du type dégazage, est indispensable. Ce durcissement peut être mis en oeuvre dans le cadre d'une harmonisation des législations nationales ou par la réglementation communautaire, la coopération entre les Marines des différents pays étant en tout cas essentielle pour faire respecter les normes de sécurité maritime et prévenir les phénomènes de pollution.

Si une marée noire se produit, nous devons mobiliser le plus de moyens possibles et nous ferons tout pour qu'il y ait le minimum de dégâts, mais je crains que ce ne soit bien plus grave qu'en Atlantique. Pour moi, l'aspect essentiel demeure la prévention, d'autant que celle-ci est tout de même plus facile à gérer en Méditerranée que dans l'océan parce que, dans cette mer fermée, on voit les bateaux arriver, on sait d'où ils viennent et où ils vont. On connaît bien leurs mouvements. De plus, ils sont moins nombreux que sur l'océan. La Méditerranée n'est pas le rail d'Ouessant.

Sans vouloir me défausser de ma responsabilité terrienne, il me semble que c'est vraiment sur la prévention qu'il faut faire porter l'effort. J'en ai parlé à plusieurs reprises avec le préfet maritime, parce que c'est chez lui que se trouve la réponse, ainsi que dans l'évolution du droit international de la mer. Il m'est arrivé d'en parler avec M. Jean-René Garnier, secrétaire général de la mer, qui était préfet des Alpes-Maritimes il y a encore quelques mois. Si l'on ne réussit pas à faire évoluer le droit maritime en haute mer, avec la possibilité de faire des visites de bateaux, d'identifier les cargaisons avec des systèmes de marquage, etc. nous rencontrerons des difficultés certaines.

En revanche, au plan terrestre, nous pouvons intervenir sur le contrôle des bateaux grâce à nos autorités portuaires. En la matière, nous sommes encore loin, y compris pour le port de Marseille, d'être au taux de contrôle requis pour s'assurer qu'il n'y a pas de risque sur tel ou tel bateau, mais le gouvernement prévoit d'améliorer ce taux de contrôle, et ce à juste titre, car il s'agit d'un élément important de la politique de prévention. Il faut le faire. Il demeure que, en Méditerranée, la politique de lutte opérationnelle contre une pollution qui a déjà eu lieu, trouvera rapidement ses limites.

M. le Président : Je reviens « à terre » pour vous demander si les lieux d'entreposage des déchets sont bien répertoriés. Une étude a-t-elle été faite sur le sujet car, lors de la catastrophe de l'Erika notamment, on s'est rendu compte que la gestion des déchets posait de véritables problèmes ? On ne sait pas bien les résoudre puisque même ceux du Torrey Canyon n'ont pas encore été totalement éliminés.

M. Yvon OLLIVIER : Pour ce qui est des déchets, nous avons été impliqués dans la gestion de la crise du Prestige car la presse s'est émue quand elle s'est aperçue que, sur la région de Fos, un incinérateur avait brûlé une partie non négligeable des déchets provenant de la collecte du Prestige sur les côtes atlantiques. Cela a suscité, un temps, une certaine émotion dans la population riveraine de l'incinérateur, à laquelle il a fallu répondre que tout était parfaitement balisé et encadré par la DRIRE. Nous avons expliqué que l'élimination de ces déchets ne justifiait aucune autorisation particulière et que, si le directeur de DRIRE et moi-même n'avions pas accordé d'autorisation particulière, c'est que cela n'en justifiait pas, que c'était prévu dans le cadre de l'exploitation de cet incinérateur.

M. Christophe MASSE : La télévision a fait des reportages sur le sujet.

M. Yvon OLLIVIER : Oui, et nous l'avons découvert pratiquement en même temps que l'opinion publique. S'agissant de la question du stockage des déchets, sans doute M. Michaud a-t-il quelque chose à ajouter.

M. Maurice MICHAUD : Je n'ai pas complètement mémorisé les informations sur le sujet. On vous précisera cela, j'espère, lors de la prochaine audition. Ces stockages, je me souviens, étaient essentiellement situés sur l'étang de Berre. Je n'ai pas l'inventaire ici, mais nous pourrons vous le donner tout à l'heure.

M. Bernard DEFLESSELLES : Je n'ai pas de question particulière, juste un sentiment à vous livrer, un sentiment partagé si j'en crois vos propos concernant le problème de la sécurité maritime. Nous avons ici des collègues qui ont vécu plusieurs épisodes malheureux de ce que l'on peut appeler les défaillances de la sécurité maritime. A celles-ci, il y a plusieurs niveaux de réponse.

Le premier, vous l'avez dit, est celui du droit national. C'est le problème du législateur auquel nous nous attelons en nous efforçant d'améliorer les lois.

Le deuxième est celui de l'Europe. Cette dernière a été prise comme bouc émissaire, mais quand on regarde objectivement ce qu'elle a fait en trois ans, depuis le naufrage de l'Erika le 12 décembre 1999, avec les paquets Erika I et II, avec les double-coques, l'Agence européenne de sécurité maritime qui va se mettre en place, le balisage des bateaux et autres, je serais tenté de dire qu'elle avance.

M. Yvon OLLIVIER : L'Agence européenne de sécurité maritime n'avance pas très vite.

M. Bernard DEFLESSELLES : Le siège n'est pas encore choisi, mais elle est déjà créée. C'est un premier pas. Ce sont les Etats qui freinent parfois et n'appliquent pas forcément les directives et les bonnes décisions qui sont prises.

Le troisième niveau de réponse est celui de l'international. C'est celui qui pose le plus problème, celui de l'OMI. Chacun connaît le fonctionnement de cet organisme qui détient le pouvoir en la matière. C'est là qu'il nous faut -nous, la France, mais aussi l'Europe- engager des efforts tout à fait considérables si l'on veut améliorer les normes en amont et faire respecter un tant soit peu le droit maritime.

Nous nous heurtons à un vrai problème : ce droit maritime est un droit du XIXe siècle. Si nous le rapprochions de celui de l'aviation civile qui, lui, a bien évolué en cinquante ans, nous aurions un « gap » extraordinaire à franchir et les procédures de sécurité seraient sans commune mesure avec celles du droit maritime actuel.

Pour ce qui nous concerne, nous sommes venus ici à la demande de notre rapporteur et de nos collègues parce que la Méditerranée est notre berceau et l'on sait combien elle est fragile. C'est une mer fermée dont le taux de renouvellement des eaux est de l'ordre du siècle ; pas de brassage des eaux, pas de marée. Si une catastrophe s'y produisait, nous serions très embêtés. On ne peut toujours s'en remettre à la chance. Certes, pour l'instant, nous avons en eu beaucoup. Nous n'avons pas connu de catastrophe majeure, à part quelques dégazages. J'en ai vu un en 1999 venir frôler La Ciotat, ma circonscription, et toucher un peu Hyères et le Var. Mais jusqu'à présent, le problème s'est borné à ce type de pollution.

Un jour où l'autre, malheureusement, nous devrons affronter une crise majeure. C'est la loi des statistiques. Il faut que nous en ayons tous conscience car, ce jour-là, nous serons peut-être fort dépourvus. Des efforts restent à faire. Le but de cette Commission n'est pas de montrer du doigt, mais d'alerter les consciences et de réfléchir aux efforts supplémentaires à engager.

Que peut-on faire pour vous aider ? C'est le deuxième versant du problème.

Nous avons ici, mes chers collègues, cela a été très bien dit par nos hôtes, une vraie culture de la gestion des feux de forêt, et ce, depuis des années, parce que nous avons connus des ravages extraordinaires. Ces derniers temps, nous avons été quelque peu épargnés, mais les moyens de lutte contre l'incendie, nous le savons, sont déjà bien coordonnés. Nous avons également une culture établie en ce qui concerne les risques industriels. Mais il est vrai que, s'agissant des risques en mer, nous sommes plus dépourvus. Il faut vraiment faire le recensement de nos capacités et de nos moyens, et identifier ce qui nous manque.

Il a été fait tout à l'heure référence à un remorqueur de haute mer. Il n'est pas concevable de ne pas avoir en Méditerranée un navire capable d'être très vite sur zone et de remorquer un bateau en grande difficulté. Si, aujourd'hui, M. le préfet, nous avons un remorquage à faire d'urgence, que se passe-t-il ? La Marine est-elle capable de traiter ce type de situation ?

M. Maurice MICHAUD : Il faudrait demander à la Marine, mais je ne suis pas sûr qu'elle puisse faire face. Pour l'instant, elle n'a eu à intervenir que sur des événements côtiers et dans des conditions qui n'étaient pas trop défavorables.

M. Yvon OLLIVIER : Il y a les remorqueurs de l'océan, c'est sûr. Nous avons le Mérou, mais il n'a pas la puissance nécessaire. Nous militons et nous bataillons un peu car, comme un appel d'offre international a été lancé pour remplacer les deux Abeilles, l'Abeille-Flandre et l'Abeille-Languedoc, nous allons essayer de récupérer un des deux navires, car nous avons vraiment besoin d'un remorqueur qui soit stationné à Marseille.

M. Bernard DEFLESSELLES : Ils marchent bien et sont plutôt très vaillants. Si nous en avons un, cela nous rassurera un peu.

Dernier point, avez-vous anticipé l'application des nouvelles dispositions relatives à la zone de protection écologique (ZPE) ? Le Sénat et l'Assemblée nationale ont voté cette loi en première lecture. Elle est calée sur la zone économique exclusive (ZEE). C'est la zone des 200 milles que nous n'avions pas en Méditerranée. Elle permettra de pourchasser tous les indélicats qui dégazent, déballastent et commettent toutes sortes de turpitudes. Avez-vous pris cette loi en compte dans votre dispositif car, adoptée à l'unanimité, elle sera applicable très rapidement ?

Enfin, la facette judiciaire. Il a été décidé d'avoir, à Marseille, un magistrat instructeur dédié à la poursuite de ceux qui commettent des indélicatesses en mer. Là aussi, avez-vous regardé, avec le procureur de la République et le tribunal compétent, comment les choses peuvent se coordonner : car il ne suffit pas d'attraper les gens, encore faut-il qu'ils soient condamnés. C'est toute la difficulté !

Nous avons étudié des semaines durant le processus actuel et nous l'examinerons à nouveau. Nous savons que sur dix personnes prises sur le vif, une seulement est condamnée, et encore trois ou quatre ans après les faits. Là aussi, on peut, en faisant preuve de dissuasion, faire en sorte que soit respectée notre Méditerranée.

M. Yvon OLLIVIER : Nous sommes là dans la compétence mer. Nous en discutons avec le préfet maritime avec lequel nous avons des entretiens très fréquents sur le sujet mais, je vous le rappelle, notre compétence en mer ne va pas loin.

M. Bernard DEFLESSELLES : Ce n'est pas simplement un problème de compétence. Il faut que nous soyons les uns et les autres très mobilisés de façon à ce que ceux qui ont la vraie compétence soient aussi sous pression. C'est un jeu de dominos. Si nous sommes très attentifs, nous aurons derrière des réponses qui seront peut-être plus satisfaisantes.

M. Yvon OLLIVIER : Sur ce point -mais je répète qu'il est de compétence maritime- il est clair qu'il faudrait sûrement une mobilisation et une meilleure coordination de toutes les administrations qui interviennent en mer. Vous avez la Marine nationale, la gendarmerie maritime, les Douanes, les services maritimes... C'est un problème national que n'ont pas d'autres pays. Nous, nous avons une multiplicité d'interventions de diverses administrations qui exigent une coordination.

M. le Président : Pensez-vous qu'un système de « coast guards » en Méditerranée serait une bonne chose ?

M. Yvon OLLIVIER : Je n'irai pas jusque là, surtout dans une audition officielle. Je pense, mais le préfet maritime en est parfaitement conscient, qu'il y a lieu en tout cas de mobiliser toutes les forces existantes contre, notamment, ces risques de pollution, pour assurer le respect de cette zone de protection de l'environnement, et j'estime que toutes les administrations qui interviennent doivent avoir cette préoccupation au lieu de se polariser sur leurs missions spécifiques.

M. le Président : A votre avis, qui doit coordonner l'ensemble : le préfet de région ou le préfet maritime ?

M. Yvon OLLIVIER : Si ce devait être le préfet de région, cela exigerait un changement complet des limites de compétence actuelles qui, aujourd'hui, n'excèdent pas la « barre des trois cents mètres ». Clairement, une coordination limitée aux trois cents mètres n'aurait pas grand sens. Pour l'instant, je considère donc que cela relève de la compétence maritime.

Je dis simplement qu'ici, en Méditerranée, le problème de la prévention est tellement dominant que l'on a probablement intérêt à tout faire pour détecter et éviter. Une fois l'accident arrivé, sauf à se doter de moyens de pompage dont nous ne disposons pas sur la Méditerranée, et même s'il est toujours possible de les faire venir de l'océan, les moyens de lutte risquent nécessairement de ne pas être à la hauteur du problème. La simple physique élémentaire, les lois de la gravité font qu'à moins d'y consacrer des moyens exceptionnels, ce sera grave. La prévention, la détection, le contrôle et la sanction me paraissent des éléments essentiels.

M. le Président : En l'occurrence, pardonnez-nous, mais nous nous plaçons dans l'hypothèse où cette « saleté » arrive sur les côtes qui relèvent de votre autorité, et la question est de savoir ce que vous faites...

M. Yvon OLLIVIER : C'est la raison pour laquelle je vous disais que nous ressentons tout à fait l'obligation de moyens qui est la nôtre, et que nous ferons tout pour limiter les dégâts. Il est vrai cependant qu'il faudrait demander des moyens supplémentaires et que je ne serais pas mécontent de disposer d'un inventaire bien fait pour me retourner vers les autorités centrales et pouvoir comparer avec ce qui existe sur l'océan.

M. Bernard DEFLESSELLES : Oui, il faut vraiment que vous le fassiez de façon à ce que nous puissions vous appuyer...

M. le Président : Car la Commission fait des propositions également.

M. Bernard DEFLESSELLES : Et demander si, au vu des moyens disponibles ailleurs, nous pourrions tenir la route en cas de crise de grande ampleur. Tenir la route, cela veut dire des barrages, des pompages, des remorquages...

M. Yvon OLLIVIER : L'état-major dispose d'éléments mais, de toute façon, nous vous ferons parvenir un document complémentaire sur le recensement des moyens et l'évaluation de nos besoins.

M. Christian JEANJEAN : M. le préfet, ce que vous avez dit m'a rassuré. Je pense qu'effectivement, vous avez la situation bien en main. Néanmoins, je vous ai beaucoup entendu parler de ce département, ce qui me paraît tout à fait conforme à votre fonction, mais ne pensez-vous pas qu'il faudrait étendre cette action à toute la côte méditerranéenne ? Ma question est un peu égoïste, mais il faut dire que je suis élu d'une région voisine, -celle de Montpellier, de Sète, du Cap d'Agde et qui s'étend jusqu'à Banyuls- où n'existe pratiquement pas de défense dans ce domaine. Je vous trouve donc largement en avance par rapport à nous. Ne pensez-vous pas qu'une coordination serait intéressante au niveau des régions et non uniquement des départements ? Le fait que la Méditerranée soit une mer extrêmement fermée me paraît une raison supplémentaire plaidant pour une telle coordination entre régions.

En écoutant les uns et les autres, je me suis aperçu qu'en définitive, les plus grandes difficultés découlant des naufrages de pétroliers viennent par la suite : ce sont les problèmes de pompage. On n'arrive généralement pas à pomper, les nappes se divisent, se multiplient et il y en a partout. Vous me répondrez sans doute qu'il vaut mieux poser la question au préfet maritime, mais on s'est aperçu que les bateaux de pêche avaient joué un rôle essentiel -et efficace- dans la lutte contre ces nappes qui se répandaient partout, touchant une vaste partie de la côte entre l'Espagne et la France. Ne pensez-vous qu'il y aurait lieu de mettre sur pied une initiative pour former les pêcheurs aux techniques de ramassage des hydrocarbures à partir des filets de pêche ?

M. Yvon OLLIVIER : C'est une question très technique.

M. Louis GUÉDON : Oui, très technique car les bateaux de pêche qui peuvent pratiquer ce type de discipline sont des pélagiques. Or la Méditerranée ne pêche pas en pélagique et vous n'êtes pas formés pour pratiquer cette activité. Les pélagiques, ce sont les bateaux de pêche d'anchois et seuls certains ports en Vendée pratiquent spécifiquement cette pêche.

Ici, vous utilisez des Seyneurs. Vous n'avez pas de navires adaptés. Le Tomsea dont je parlais dans mon intervention est le fruit d'un brevet d'un pêcheur vendéen, M. Thomazeau. Il a permis de récupérer plus de pétrole que les navires de la Marine nationale, puisque le dragage réalisé par M. Thomazeau a été plus important en tonnage : 30 000 tonnes à comparer à 11 000 tonnes pour la Marine nationale. M. Garnier avait contesté ces chiffres mais, lors de l'enquête publique, il a dû se rendre à l'évidence.

M. Christian JEANJEAN : La côte ouest de la Méditerranée est complètement dépourvue des navires et des moyens de secours dont vous disposez, si j'en juge d'après la visite que nous avons effectuée ce matin. Si une catastrophe devait se produire dans notre secteur, je pense que nous aurions véritablement du mal à faire face.

M. Yvon OLLIVIER : J'ai le sentiment que l'échelon zonal est l'échelon pertinent, à condition que tous les moyens de la zone ne soient pas concentrés uniquement sur l'est de celle-ci. On retrouve là la question du recensement des moyens. Il faudrait que nous sachions mieux que nous ne le savons aujourd'hui ce qui existe dans l'ouest de la zone. Les procédures opérationnelles destinées à ce qu'en cas d'incident dans l'Hérault, ou dans le Gard, des moyens massifs se déplacent depuis les Bouches-du-Rhône, sont prévues, coordonnées par le CIRCOSC. Elles existent...

M. Christian JEANJEAN : Mais requièrent une durée d'intervention qui est tout de même longue...

M. Yvon OLLIVIER : Oui, mais comme je le précisais tout à l'heure, nous ne sommes pas sur une échelle de temps qui oblige à intervenir dans l'heure ou la demi-heure. Donc, le transfert de moyens, en l'espace de deux ou trois heures, sur l'ouest de la zone est tout à fait adapté.

Sur le point précis que vous évoquez, l'existence de bateaux pouvant intervenir à partir de Sète plutôt qu'à partir des ports de l'est de la zone doit certainement être étudiée, car il y a sans doute une disproportion entre les moyens stationnés à l'est et à l'ouest...

M. Christian JEANJEAN : Je vous remercie de le dire.

M. Yvon OLLIVIER : ...mais je ne suis pas sûr que le fait de créer un échelon régional ne compliquerait pas encore les choses. Nous avons l'échelon départemental, c'est le véritable échelon opérationnel puisque c'est là que se décide et est organisée la mise en place du plan POLMAR. S'il rencontre des difficultés, très vite, il peut bénéficier des moyens de secours qui, la zone étant très large, existent dans l'est de la zone. Il existe aussi des centres de stockage dans l'ouest de la zone.

Créer un niveau supplémentaire dépendant du préfet de région ajoutera un échelon opérationnel supplémentaire. Or la doctrine de la sécurité civile a toujours été de dire que l'opérationnel revenait au département -et aux communes, bien sûr- et que la centralisation des informations, la coordination des moyens et l'organisation des renforts était à l'échelle des départements côtiers. Cela devrait bien fonctionner ainsi ; cela a d'ailleurs déjà relativement bien fonctionné jusqu'à présent.

Audition conjointe
de M. Francis MENÉ, Colonel, chef de l'état-major de zone Sud,
de M. Bernard MUSCAT, Capitaine de frégate, Bataillon des marins-pompiers de Marseille
et de M. Roger NARDELLI, Commissaire-colonel


(extrait du procès-verbal de la séance du 15 avril 2003 -
Marseille)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

MM. Mené, Muscat et Nardelli sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Mené, Muscat et Nardelli prêtent serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Colonel, je vous donne la parole.

M. Francis MENÉ : Permettez-moi en introduction de vous présenter la raison de la présence du capitaine de frégate Bernard Muscat. Il relève du bataillon des marins-pompiers de Marseille, mais se trouve ici dans le cadre d'une fonction qui lui a été confiée à l'état-major de zone. Nous avons, en effet, créé des pôles de compétence et confié l'un d'eux, qui concerne le littoral, au capitaine de frégate en tant que conseiller technique animateur de ce réseau. Il est, en quelque sorte, mis à disposition de l'état-major en tant qu'expert dans le domaine du littoral, c'est-à-dire qu'il traite bien entendu des problèmes de pollution, mais aussi de secours aux naufragés et de secours côtier.

Pour ma part, je vais vous présenter brièvement notre structure, notre hiérarchie, ainsi que les modalités de nos relations avec le préfet maritime.

Je suis le chef de l'état-major de la zone de défense et de sécurité civile. Il s'agit d'une structure relativement récente puisque le décret qui l'a instituée date du 16 janvier 2002. Ce décret a renforcé les pouvoirs des préfets de zone en termes de coordination interdépartementale. Cet état-major est issu du rapprochement de deux anciennes entités : d'une part, l'ancien état-major de zone de sécurité civile avec les CIRCOSC, centres interrégionaux de coordination des opérations de sécurité civile, qui n'existent plus en tant que tels et, d'autre part, les SGZD, les secrétariats généraux de zone de défense. L'état-major, résultant de la fusion de ces deux entités, réunit une composante de sécurité civile -ayant une compétence de prévention et d'intervention en matière de sécurité civile- et une composante en matière de défense civile et économique, jadis dévolue au SGZD.

Nous sommes physiquement situés à Valabre, commune de Gardanne, à une trentaine de kilomètres de Marseille, donc relativement éloignés de la préfecture de zone, ce qui s'avère parfois difficile sur le plan fonctionnel puisque cet état-major est le bras armé du préfet en situation de crise.

Ses missions sont de quatre ordres.

Premièrement, nous assurons une veille opérationnelle permanente en matière d'opérations de défense et de sécurité civile. Cela implique le recueil des informations sur les événements de défense et de sécurité civile qui se produisent dans la zone, avec une remontée au COGIC, centre opérationnel de gestion interministérielle des crises.

La deuxième mission consiste à coordonner les renforts en cas d'événements ayant trait à la défense ou à la sécurité civile. A la demande des préfets de département -et nous verrons que cela a une incidence sur le plan POLMAR-terre-, nous sommes chargés d'aller chercher les ressources là où elles se trouvent, -puisque nous sommes dans un fonctionnement interministériel-, dans les différents services des départements de la zone, voire des renforts nationaux au-delà de la zone, si la situation le requiert. Il s'agit donc d'une mission de coordination opérationnelle des renforts, sur sollicitation du préfet du département concerné.

Troisièmement, nous remplissons une mission de planification, que nous retrouvons également dans la problématique POLMAR, qui consiste à offrir une assistance aux départements pour harmoniser les plans ORSEC. Par ailleurs, outre les plans de sécurité civile, relèvent aussi de notre compétence les plans de défense civile essentiellement la déclinaison de tous les plans gouvernementaux existants en cette matière. Il s'agit d'harmoniser les plans départementaux et de concevoir des plans zonaux. Chaque préfet de département doit avoir ses plans, le préfet de zone doit veiller à leur articulation avec ceux relevant de l'échelon zonal.

La quatrième mission de l'état-major de la zone est l'assistance pour la gestion des Centres régionaux d'information et de coordination routière (CRICR), c'est-à-dire la coordination de la circulation de l'information routière en situation de crise. D'ailleurs, le décret du 16 janvier 2002 est en partie issu des problèmes de circulation importants générés par les abondantes chutes de neige en Vallée du Rhône en 1997 et 1999. Cela avait d'ailleurs fait l'objet d'une Commission d'enquête, me semble-t-il, qui avait mis en évidence la nécessité de renforcer les pouvoirs du préfet de zone dans la coordination des flux interdépartementaux en situation de crise.

Tel est donc le rôle de l'état-major : un outil au service du préfet de zone.

Pour ce qui est de la problématique de votre Commission d'enquête, notamment celle des plans POLMAR, le préfet de zone a un correspondant maritime, le préfet maritime, et a la charge de coordonner l'action des préfets de départements avec celle de ce dernier. Contrairement au préfet maritime qui a compétence sur toute la frange littorale, sur la partie terrestre, chaque préfet de département est compétent pour son propre territoire : chacun d'eux établit son plan ORSEC-POLMAR, qui doit être cohérent avec le plan ORSEC unique, pour la mer, du préfet maritime. Cette mise en cohérence est confiée au préfet de zone et à son état-major.

M. le Président : Il n'existe pas de coordination interdépartementale au niveau du préfet de région ?

M. Francis MENÉ : En l'occurrence, ce sont les préfets de département qui sont concernés. Le préfet de région n'a pas de compétence ès qualité dans les plans de secours interdépartementaux. Chaque préfet de département établit son plan départemental, et l'une des missions du préfet de zone consiste à s'assurer que les plans sont harmonisés, cohérents entre eux et, surtout, avec celui du préfet maritime.

Le préfet de zone doit également articuler ses propres dispositions en terme de schémas d'alerte, en terme d'architecture des postes de commandement et des circuits de l'information, en terme de répertoire des moyens, bref, en termes de préparation visant à renforcer le ou les préfets de département, selon qu'un ou plusieurs départements sont touchés.

De plus, pour ce qui est de la coopération civilo-militaire, l'échelon zonal est désormais l'échelon chargé d'assurer la coordination entre autorités civiles et militaires au niveau de la zone de défense. Cela signifie que l'état-major de zone civile que nous sommes possède un alter ego qui est l'état-major militaire interarmes de la zone de défense placé sous l'autorité du général commandant la zone de défense.

Telles sont grossièrement brossées les dispositions générales. Nous sommes à votre disposition pour répondre à des questions plus détaillées.

M. le Président : Pour vous situer, capitaine, faites-vous partie de la Royale, des marins-pompiers ou relevez-vous de POLMAR-mer ou de POLMAR-terre ?

M. Bernard MUSCAT : Je suis militaire, officier de marine, affecté au bataillon des marins-pompiers de Marseille qui, en application du code général des collectivités territoriales, est en charge de la sécurité de la ville de Marseille, de ses ports et de son aéroport.

Le code général des collectivités territoriales prévoit donc que le département des Bouches-du-Rhône dispose de deux services de secours ; le bataillon de marins-pompiers de Marseille et le service départemental d'incendies et de secours (SDIS). Ces deux structures qui ont des zones de compétence bien définies, relève indépendamment de l'autorité du préfet.

J'ai exercé pendant cinq ans le commandement de la compagnie de marins-pompiers, chargée de la sécurité du port autonome de Marseille pour ses bassins ouest à Fos-sur-Mer. J'y ai acquis une certaine expérience dans le domaine des plans POLMAR, et du secours à naufragés. Cette expérience m'a conduit a être affecté pendant trois ans, au ministère de l'Intérieur, à la direction de la défense et de la sécurité civile où je me suis occupé des dossiers ayant trait aux problèmes maritimes. J'ai ainsi eu l'occasion de co-rédiger la circulaire POLMAR de 1997, qui remplaçait celle de 1978 qui avait été rédigée après l'Amoco Cadiz. Pendant dix-neuf ans, il ne s'est pratiquement passé aucun événement majeur en terme de pollution. En 1997, longtemps après la loi relative à la sécurité civile de 1987, le Premier ministre a publié une nouvelle circulaire POLMAR dont j'ai été l'un des rédacteurs pour le ministère de l'Intérieur. Après ces trois années d'affectation en administration centrale, je suis retourné au bataillon.

M. le Président : Mais quel est votre rôle ?

M. Bernard MUSCAT : Au bataillon, je suis chef de la division des plans de secours. Quand, il y a quelques semaines, le préfet de zone de défense a créé des pôles de compétence, dont un portant sur le littoral, il a demandé à ce que le bataillon soit chargé de son animation. Compte tenu de mon cursus, j'ai été désigné par l'amiral commandant le bataillon pour aider l'état-major de zone de défense pour le traitement de ce sujet. Bien que marin d'active, je ne suis donc ici ni le représentant de la préfecture maritime, ni celui du bataillon de marins-pompiers.

Je suis donc là en tant que conseiller du préfet de zone pour les affaires littorales, bien que ne relevant ordinairement pas de son autorité.

M. le Président : Tout cela n'est pas très simple. Ne pensez-vous pas qu'il faudra, un jour, essayer de clarifier les choses ? Nous constatons une certaine confusion sur les responsabilités des différentes administrations dont je ne suis pas persuadé qu'elle constitue un gage de grande efficacité.

M. Francis MENÉ : Si je peux me permettre de compléter, bien que n'étant en poste que depuis trois mois et demi et n'ayant, par conséquent, qu'un recul relativement récent sur la zone, je me suis aperçu très vite d'un déséquilibre entre l'ensemble des missions que nous avons évoquées tout à l'heure, c'est-à-dire la coordination opérationnelle et la planification en défense et sécurité civile, et les quelques dizaines de personnes qui sont en poste à l'état-major de zone. Le panel de compétences n'est pas forcément suffisant pour couvrir l'ensemble de nos missions, comme par exemple les séismes, les inondations, les plans POLMAR, les BIOTOX, les PIRATOX et tous les plans de ce type.

C'est la raison pour laquelle nous avons eu l'idée d'utiliser des ressources externes, et de faire désigner par le préfet des chargés de mission rattachés à l'état-major de zone issus de structures où ces compétences existaient. C'est ainsi que je lui ai proposé de constituer un pôle de compétence littoral animé par un spécialiste. Il s'agit d'un groupe de travail qui va fédérer la DIREN, la DRIRE, la DRASS et tous les départements concernés, pour organiser et animer la réflexion sur POLMAR et les plans SECNAV notamment.

M. Bernard DEFLESSELLES : Mon colonel, vous êtes chef de l'état-major de zone. A ce titre, vous êtes chargé de l'essentiel du plan POLMAR-terre, êtes-vous bien au cœur du dispositif ?

M. Francis MENÉ : Oui.

M. Bernard DEFLESSELLES : Nous sommes ici quelques parlementaires qui connaissons un peu cette question de sécurité maritime car, si nous appartenons à cette Commission, c'est par intérêt ; intérêt pour nos populations, intérêt pour la défense de ce que l'on appelle, généralement, la sécurité maritime du transport de matières dangereuses par mer.

Au fil des différentes auditions, et après les autres Commissions, puisqu'il y a déjà eu une Commission d'enquête portant sur l'Erika en 1999, une question s'impose à moi. Je vous la pose très directement : si, demain matin, une catastrophe de type Erika ou Prestige se produisait sur la zone dont vous avez la charge, quels moyens êtes-vous capables de mettre en ligne pour éviter les problèmes que nous avons connus récemment ? Qu'êtes-vous en mesure de mettre en oeuvre pour sauvegarder ce littoral méditerranéen que nous connaissons et aimons, mais qui est particulièrement fragile, comme tout le monde le sait ? Avez-vous fait un recensement de ce que vous êtes capables de mettre tout de suite à disposition ? Avez-vous une façon d'appréhender la situation et la mise en œuvre des moyens dont vous disposez dans les 24 heures, 48 heures, dans la semaine ?

M. Francis MENÉ : La première étape se passe en mer et relève du préfet maritime qui dispose de moyens que vous avez certainement déjà constatés...

M. le Président : Pas encore.

M. Francis MENÉ : A terre, le premier échelon est celui du préfet de département qui a son plan ORSEC et ses moyens propres. Evidemment, s'il est dépassé par l'ampleur, il fait appel à nous et nous allons chercher d'autres moyens dans les réserves, au niveau de la zone. N'étant là que depuis trois mois, je ne pourrais vous en fournir la liste mais mon voisin m'indique qu'il en existe une à Port-de-Bouc et une autre à Sète. Ces réserves comptent des matériels de barrage, des écrémeurs et des tenues de protection pour les gens qui interviennent. Il y a également la réserve de « Fost », qui relève de TotalFinaElf, et nous bénéficierions aussi de l'appui technique du CEDRE qui nous conseillerait.

Ensuite, nous pouvons mettre en œuvre de nombreux personnels venus des différents départements. Notre rôle est justement d'aller chercher les moyens en personnels qui existent dans les différents départements, comme cela a été fait pour la côte atlantique. Cela signifie la mobilisation des SDIS puisque, comme vous le savez, chaque département dispose d'un service d'incendie mais, en plus, pour les Bouches-du-Rhône, nous bénéficions du bataillon des marins-pompiers de Marseille, toutes ces unités peuvent venir renforcer le département touché.

Pour le Prestige, par exemple, l'état-major de zone a mobilisé pendant un certain temps dix-sept cribleuses pour nettoyer les plages de l'Atlantique, que le préfet de zone avait fait réquisitionner dans les différents départements côtiers. Du point de vue du personnel, cela s'est limité à une trentaine de sapeurs-pompiers parce qu'il n'y avait pas besoin de plus. Nous les avons pris dans les départements de la zone. Nous avons donc envoyé des personnels et des matériels.

M. le Président : En matériel, avez-vous une vision précise de vos réserves ?

M. Francis MENÉ : Je peux vous donner le recensement des moyens dont nous disposons dans les différents SDIS ainsi que du matériel de « Fost ».

M. le Président : Mais de quoi disposez-vous : de barrages flottants ? de pompes ?

M. Bernard MUSCAT : En ce qui concerne le matériel, à Port-de-Bouc, il y a des écrémeurs de haute mer, des barrages,...

M. le Président : En avez-vous suffisamment ?

M. Bernard MUSCAT : Les trois gros dépôts POLMAR situés au Havre, à Brest et à Marseille ont été mis en place après l'accident de l'Amoco Cadiz. L'idée était alors la création de grands stocks de matériels appartenant à l'Etat, le long de la façade maritime. Chaque région administrative avait, en conséquence, son dépôt POLMAR. En Méditerranée, il y avait Marseille pour PACA et un petit dépôt à Sète. Pour la partie Atlantique-Gironde, le gros dépôt était à Brest et un autre au Verdon. Puis, pour la Manche, il y avait le gros dépôt au Havre et un autre à Dunkerque. Il s'agissait d'avoir une grande quantité de matériels, dont la gestion centralisée relèverait du ministère chargé de l'équipement, mais qui seraient répartis sur le littoral pour qu'il soit possible de disposer rapidement de moyens à proximité de toute intervention.

A l'époque, ces dépôts regroupaient la totalité du matériel antipollution, puisque les collectivités locales n'étaient pas équipées. La logique POLMAR était alors une logique centralisée. En matière de lutte antipollution, le pouvoir de police du maire n'existait pas, alors qu'aujourd'hui, le maire assure déjà à son niveau la première réponse opérationnelle.

M. Francis MENÉ : Les dépôts de l'équipement contiennent des barrages antipollution à hauteur de 3100 mètres à Marseille et de 2 700 mètres à Sète, avec de petits, de moyens et de gros barrages. Pour répondre plus précisément à votre question, nous ne sommes pas capables de vous dire s'il y en aura assez. Cela dépendra de la nature de la pollution.

M. Bernard DEFLESSELLES : On sait aussi que, techniquement, en fonction de l'état de la mer, les barrages ne sont pas toujours efficaces.

M. le Président : De quels autres matériels disposez-vous ?

M. Francis MENÉ : Nous n'avons rien d'autre pour lutter que des barrages et des écrémeuses. Ensuite, c'est la pollution à terre. Les barrages sont là pour protéger les enjeux éventuels à l'entrée d'une baie ou d'une crique.

M. le Président : Je vais vous poser quelques questions qui permettront de résumer nos préoccupations.

Comment se passe l'articulation des administrations concernées, notamment entre les forces de la sécurité civile, les SDIS et les marins-pompiers de Marseille ? Vous entendez-vous bien ? N'avez-vous pas à surmonter des susceptibilités, comme on peut en voir dans tous les départements entre professionnels et volontaires ?

Nous avons vu en Aquitaine qu'il y a eu de petits problèmes avec la DDE. Entretenez-vous ici des relations correctes avec les administrations ?

Avez-vous travaillé sur la question des lieux d'entreposage des déchets ? Sont-ils tous répertoriés ? En cas de gros pépin, avez-vous envisagé des sites pour traiter, ou simplement pour entreposer les déchets ?

Qu'en est-il de l'articulation des centres opérationnels, notamment pour ce qui est du CIRCOSC et de la sécurité civile ? De qui dépendent-ils ? Qui informent-ils et dans quel ordre?

Par ailleurs, quel retour d'expérience avez-vous des exercices papiers ou réels les plus récents? Depuis 2000, un exercice global a-t-il été réalisé autour d'une hypothèse d'école, maximaliste mais possible, évoquée il y a trois ans déjà par M. Le Drian, précédent rapporteur sur l'Erika, tel que le déversement d'un produit chimique plus dangereux que le pétrole, s'étendant sur une large part de la Méditerranée ? Cela a-t-il été fait ?

Quel est le bilan des épisodes éventuels de pollution réellement intervenues ces dernières années : quelle fut leur ampleur et quelle fut la réaction ? Comment a été traité le problème de la zone de l'étang de Berre ?

Comme vous le voyez, il s'agit de questions précises.

M. Francis MENÉ : Je ne sais si je pourrais répondre à toutes.

M. le Président : Nous sommes tout ouïe.

M. Francis MENÉ : Sur la gestion des SDIS et du bataillon des marins-pompiers de Marseille, dès lors qu'ils sont activés par l'état-major de zone, cela ne pose pas de difficulté particulière. Il y a eu historiquement, semble-t-il, quelques frictions -c'est un euphémisme-, entre le bataillon et le SDIS 13, qui sont, je crois, aujourd'hui réglées et, en situation opérationnelle, je ne pense pas qu'il y ait réellement de problèmes. C'est plutôt hors situation opérationnelle qu'il y a parfois des positionnements de principe, dirais-je, car souvent les hommes se connaissent et s'entendent bien. Je parle sous le contrôle de mon voisin qui vient du bataillon des marins-pompiers.

Il existe en effet un problème de positionnement à l'intérieur même des Bouches-du-Rhône, puisque s'y trouve un SDIS dont le directeur est colonel de sapeurs-pompiers et un bataillon dont l'amiral ne dépend que du maire et du préfet. Le code général des collectivités territoriales précise en effet que les dispositions concernant la départementalisation des sapeurs-pompiers ne s'appliquent pas à la ville de Marseille.

En tant que chef d'état-major, quand j'ai besoin des moyens de l'un ou de l'autre, je les appelle et ils viennent. Cela ne pose aucun problème particulier. Pour ce qui est des relations à l'intérieur du département des Bouches-du-Rhône, il faudrait interroger le préfet lui-même, parce que je ne gère pas cela mais seulement la coordination de l'ensemble. Pour ce qui est de la gestion des SDIS, ceux-ci ont une compétence opérationnelle assez étendue, qui va des inondations aux feux de forêts. La réactivité des SDIS et du bataillon des marins-pompiers de Marseille est excellente. Lorsqu'on leur demande une colonne de renfort pour tel ou tel événement, ils répondent toujours « présent ».

Pour donner un exemple, pour renforcer la lutte contre la pollution du Prestige, l'administration centrale avait demandé de prévoir quatre-vingts sapeurs-pompiers par zone de défense. Nous avons lancé un seul appel par télex et avons eu cent cinquante pompiers prêts à partir dans les quelques heures qui suivaient. Il y a donc une réactivité et un potentiel humains importants dans les SDIS.

Sur les personnels, je ne suis pas trop inquiet. La question se pose plus sur les matériels, les réserves et l'entretien de ces matériels, parce que les SDIS notamment ont peu de moyens de lutte contre la pollution et ceux dont ils disposent ne sont pas forcément très efficaces.

M. le Président : La question de Bernard Deflesselles était de savoir si vous connaissiez tous les moyens, s'ils sont recensés.

M. Francis MENÉ : Ils le sont. J'ai ici la liste par département. Nous avons les longueurs de barrage, le nombre de pompes. Pour sa part, l'état-major de zone ne dispose pas de moyens en propre ; il ne fait qu'activer les moyens des autres services.

M. le Président : Qu'en est-il des zones d'entreposage ?

M. Francis MENÉ : Nous l'avons dit, les moyens propres des SDIS sont relativement limités en la matière. Pour les DDE, il y a Port-de-Bouc et Sète pour la zone Sud. Il existe aussi un petit dépôt à Ajaccio.Ensuite, il y a les dépôts privés ou semi-privés de TotalFinaElf de « Fost », ceux du bataillon, ceux du port autonome...

M. Bernard MUSCAT : Ceux du port autonome bassin ouest, donc de Fos, sont mis en place. En fait, un des risques potentiels de pollution est le trafic pétrolier en Méditerranée puisque 28% du pétrole mondial transite en Méditerranée et une partie, de l'ordre de 63 millions de tonnes, arrive à Fos. Aussi, toutes les approches maritimes, tant celle venant de l'est que celle venant de l'ouest, vers Fos constituent des risques potentiels.

Vous avez déjà visité le port autonome. Je ne reviendrai pas sur ce que vous avez peut-être déjà vu, mais la démarche de protection contre les pollutions à Fos est très bonne. Elle est très ancienne, elles a été mise en place juste après l'Amoco. Dès 1980, le port disposait d'une vedette antipollution, des moyens de transporter les barrages, des moyens de récupération et, dès le milieu des années 90 -ce qui était très novateur à l'époque-, une étude avait été menée, visant l'objectif de « zéro pollution » quittant le port. Cela a entraîné la mise ne place des barrages à poste fixe, la signature de conventions avec des entreprises chargées du remorquage des barrages, du pompage et de la récupération des produits.

En ce qui concerne l'endroit où l'on stocke le plus de pétrole en Méditerranée, c'est-à-dire le port de Fos, il existe un premier niveau de réponse qui n'est peut-être pas optimal, qui est même sans doute perfectible, comme tout système, mais qui tient la route. Il faut cependant contrôler comment ce dispositif évolue dans le temps.

Dans le département des Bouches-du-Rhône, le SDIS dispose de matériel ANTIPOL, essentiellement des barrages et des récupérateurs. Le bataillon de marins-pompiers de Marseille possède aussi des moyens de pompage, des barrages et du matériel qui peuvent être utilisés, tant pour la lutte contre les pollutions que pour les inondations.

De plus, une convention signée entre la ville de Marseille et le groupe TotalFinaElf prévoit la mise en place, à proximité de l'aéroport de Marseille, de stocks appelés FOST « Fast Oil Speel Team », qui datent du début des années 90. J'ai ici la liste du matériel que l'on y trouve : plusieurs kilomètres de barrage, des récupérateurs, des embarcations, des moyens de communication. Ce matériel étant destiné à être utilisé par le groupe TotalFinaElf pour défendre ses intérêts là où ils ont des gisements. La convention prévoit que, pour des pollutions affectant son territoire, la ville de Marseille peut utiliser une certaine proportion, allant jusqu'à 50%, de ce matériel sur simple appel téléphonique.

Puis, dans le département des Bouches-du-Rhône, il y a également le dépôt POLMAR de l'Etat.

M. le Président : Où est-il situé ?

M. Francis MENÉ : A Port-de-Bouc.

M. Bernard MUSCAT : Vous étiez, je suppose, tout à l'heure, à la capitainerie du port de Fos. Juste en dessous se trouve le dépôt POLMAR de l'Etat. Sur la zone de défense Sud qui regroupe les départements côtiers, qui vont des Pyrénées-Orientales aux Alpes-Maritimes. L'endroit où le risque est le plus élevé, en raison de la concentration des flux, est aussi celui où nous avons le plus de moyens à mettre en œuvre : c'est dans le département des Bouches-du-Rhône.

M. le Président : Et les lieux d'entreposage ?

M. Francis MENÉ : Il n'y en a pas d'autres que ceux dont nous venons de vous parler.

M. le Président : Je précise ma question : en dehors des endroits où l'on peut traiter.

M. Francis MENÉ : Les lieux de stockage des déchets, donc ?

M. le Président : C'est cela.

M. Francis MENÉ : Il faut préciser qu'une démarche de réactualisation des plan POLMAR est conduite à l'heure actuelle tant par le préfet maritime que par les préfets de département et l'état-major de zone pour que soient prises en compte toutes ces logiques. A ma connaissance, la recherche des ports refuges et des dépôts des déchets n'est pas finalisée. Cela relève des services de l'équipement, de la DRIRE et de la DIREN. Nous avons en projet de les réunir pour formaliser les dispositions des plans ORSEC-POLMAR zonaux, mais chaque département doit procéder à sa propre recherche pour stocker les éventuels déchets.

M. Bernard DEFLESSELLES : Vous voulez dire par là que, pour l'instant, vous n'avez pas de réponse adaptée ?

M. Francis MENÉ : Les plans ORSEC de zone n'existent pas, mais dans les plans ORSEC départementaux, ces dispositions existent probablement.

M. Bernard DEFLESSELLES : A-t-on une idée du stockage ?...

M. Bernard MUSCAT : Je pense que nous aurions les pires difficultés. Je me souviens d'une pollution dans le port du Havre due au Katia. J'avais été chargé, en 1997, par le directeur de la sécurité civile, de rédiger le retour d'expérience. Je m'étais donc rendu sur place, en Seine-Maritime, dans le Calvados, et j'avais pu constater qu'il restait encore les déchets d'une pollution qui avait eu lieu trois ou quatre ans auparavant.

M. Bernard DEFLESSELLES : Deux problèmes se posent dans ce cas de figure: le premier est celui de l'entreposage, et le second, celui de l'élimination. Souvent, on s'aperçoit qu'il existe des lieux d'entreposage mais qu'ils sont pleins parce qu'il y a dix ans, après une catastrophe, ils ont été remplis et n'ont jamais été vidés. Notre question est simple : où sont ces lieux sur la région PACA ? Et, une fois ces lieux identifiés, sont-ils libérés ?

M. Francis MENÉ : Très concrètement, un exercice ANTIPOL est prévu les 7 et 8 octobre 2003. Cet exercice se fait à l'initiative de la préfecture maritime selon un scénario qui mettra en jeu un véritable pétrolier.

M. le Président : Depuis quand n'y en a-t-il pas eu ?

M. Bernard MUSCAT : Le dernier a eu lieu en 2000. Il me semble qu'il y en a un par département, tous les deux ou trois ans.

M. Francis MENÉ : En 2003, il va être organisé en interface terre-mer. Il y aura une partie maritime le premier jour et, le second, une déclinaison terrestre de la lutte antipollution, dans laquelle seront impliqués les départements du Var et des Bouches-du-Rhône. Une maquette du plan ORSEC-POLMAR-mer est en cours. Elle sera validée à l'occasion de cet exercice.

De la même façon, cet exercice mettra en lumière les plans POLMAR-terre et permettra de montrer les carences des lieux de stockage, qui constituent l'une des raisons de l'instruction du 4 mars 2003. Or la plupart des plans POLMAR de la zone sont antérieurs à 2001, donc, antérieurs à ces instructions prévoyant des lieux de stockage.

M. le Président : Au cours de cet exercice, vous servez-vous de l'articulation des centres opérationnels ?

M. Francis MENÉ : C'est une des raisons pour lesquelles je commençais par ces plans Il s'agit bien de l'engagement d'une démarche visant à tester tant le niveau de la zone, avec le pôle de compétence, que le lien avec la préfecture maritime, qui met à notre disposition un de ses officiers pour travailler avec nous sur l'interface terre-mer. Mais cette démarche n'est engagée que depuis quelques semaines.

M. le Rapporteur : La Commission d'enquête sur l'Erika, qui était venue en avril 2000, faisait état du plan POLMAR des Bouches-du-Rhône qui datait de 1984 et qui devait être refondu peu après.

M. Francis MENÉ : Il a été refondu en 2001.

M. Roger NARDELLI : Les plans les plus récents sont ceux des Bouches-du-Rhône et du Var. Ils datent de 2001. Les plans les plus anciens datent, pour certains, de 1979 ; ce sont ceux du Gard et de l'Aude.

M. le Président : Et les Alpes-Maritimes ?

M. Roger NARDELLI : Il doit être de 1999 ou de 2000. Je pourrai vous transmettre ces informations.

M. Francis MENÉ : L'initiative appartient à chaque préfet. A l'occasion de cette nouvelle instruction de 2002, c'est la préfecture maritime qui a suggéré cet exercice. Nous allons en profiter pour demander à tous les préfets de département de revoir leur plan ORSEC à la lumière de cet exercice.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais avoir un calendrier de l'évolution des plans des départements littoraux de la région.

M. Roger NARDELLI : Nous les avons. Ils s'échelonnent de 1979 à 2001.

M. le Rapporteur : Oui, le calendrier passé et le calendrier à venir. Pourrez-vous nous les communiquer ?

M. Roger NARDELLI : Oui, bien sûr. Nous vous les donnerons.

M. Francis MENÉ : Nous pouvons difficilement nous mettre à la place des préfets de département car chacun est autonome dans son département. Nous pouvons et allons impulser la démarche et leur fournir les éléments pour ce faire mais, concrètement, c'est le préfet qui décide.

M. le Président : Nous ne faisons le procès de personne. Nous voulons simplement savoir. Si vous pouviez nous dire ce qui a été fait depuis 1979, c'est-à-dire tous les exercices théoriques, ce serait une très bonne chose. Cela nous permettrait de voir où et si cela a bougé. Il semblerait que sur Marseille, les choses soient correctement faites.

M. Bernard MUSCAT : Je ne parle pas pour tous les départements de la façade littorale que je ne connais pas particulièrement mais, dans le département des Bouches-du-Rhône, justement parce que c'est l'un des départements les plus exposés, s'est développée une culture du risque que l'on ne retrouve pas dans d'autres départements dans lesquels le risque est moins visible.

M. le Rapporteur : Par rapport à cette culture et au risque spécifique de la Méditerranée, qui est une mer quasi fermée, on parle de ports-refuges et de zones de refuge. Quelle est votre philosophie sur le sujet ? Si l'on vous demandait de définir des zones de refuges, lesquelles verriez-vous dans votre région ?

M. le Président : Sachant qu'en Méditerranée plus qu'ailleurs, on a particulièrement intérêt à circonscrire une pollution importante.

M. le Rapporteur : Par ailleurs, pour parler d'une spécificité des Bouches-du-Rhône, quelle est la coordination avec les élus des dix-huit communes de la zone de cette mer intérieure que constitue l'Etang de Berre, avec le risque particulier, en dehors des pollutions accidentelles que représentent l'oléoduc et les chargements- déchargements des cargaisons en fond d'étang ? A-t-on privilégié des plans communaux infra-POLMAR ou des plans intercommunaux de lutte contre les pollutions éventuelles ? Avec le soutien de quelles structures administratives de l'Etat, communales ou intercommunales ? Qui, dans l'organisation actuelle, supporterait le coût de la mise à disposition des moyens permettant de répondre à une pollution affectant une partie des communes riveraines de l'Etang de Berre, mais sans être suffisamment importante pour déclencher le plan POLMAR ? En 2000, nous avions senti que c'était un dossier très sensible politiquement. Ce sont des questions auxquelles nous n'avions pas eu de réponse. Il serait bon d'actualiser nos informations sur le sujet.

Enfin, je voulais évoquer les moyens privés. Vous avez parlé tout à l'heure de ceux de TotalFinaElf. Pourriez-vous nous en dire plus ?

M. Francis MENÉ : Pour ce qui concerne la partie spécifique aux Bouches-du-Rhône, je ne pourrais pas me permettre de répondre à la place du préfet du département dans la mesure où ceci n'est pas de la compétence du préfet de zone, même si, en l'occurrence, c'est le même. En tant que chef d'état-major de zone, je n'ai pas à entrer dans les dispositions internes au département des Bouches-du-Rhône. Je ne peux vous répondre au sujet de l'Etang de Berre car la coordination intercommunale et les plans infra-POLMAR relèvent exclusivement du préfet de département. Je n'ai pas, en tant que chef d'état-major, de vision là-dessus.

M. le Rapporteur : Et les zones de refuge ?

M. Francis MENÉ : Cette question relève du préfet maritime, mais nous serons bien obligés d'en parler. C'est même le but de notre coopération. Nous sommes en cours de discussion sur ce point. Je sais qu'une réflexion est lancée au sein de la préfecture maritime à ce sujet. A ma connaissance, le port de Fos-sur-Mer, de Marseille, serait zone-refuge en Méditerranée. J'en ai discuté également avec le préfet du Var qui a émis des hypothèses mais, pour l'instant, elles ne sont pas validées ; je ne peux donc vous en dire plus. En tant que chef d'état-major, je n'ai pas aujourd'hui connaissance de zones de refuge qui soient définitives.

M. le Rapporteur : Elle ne sont pas arrêtées pour l'instant. Mais vous êtes favorable à cette démarche ?

M. Francis MENÉ : Pour moi, elle est parfaitement saine.

M. le Président : La découpe de la côte ne limite-t-elle pas les possibilités ?

M. Francis MENÉ : En effet, il n'y a pas énormément de choix.

M. Roger NARDELLI : Ici, les ports-refuges, il n'en existe pas cinquante possibles.

M. le Rapporteur : Il peut s'agir d'une zone de refuge, pas forcément un port.

M. Louis GUÉDON : Je retiens de votre audition une première bonne impression. Vous avez très bien analysé le problème des zones de pollution qui relèvent de votre compétence. Pour autant, j'ai posé tout à l'heure une question à M. le préfet de zone, qui était sans doute prématurée car vous n'avez pas encore réfléchi au sujet mais, si un bateau de 70 000 tonnes coulait au large en Méditerranée -nous sommes loin du plan remarquable, même si vous le dites perfectible, que vous avez étudié sur les sites relevant de votre responsabilité- sachant que la Méditerranée est une mer intérieure, que, sans marée pour la laver, il faudrait une trentaine d'années pour que tout cela passe par le détroit de Gibraltar, quel dispositif mettriez-vous en place ? Ne me parlez pas de barrages, car nous savons tous qu'il sont souvent inutiles, et qu'ils ne servent qu'à permettre aux journalistes de faire des photos devant...

M. le Président : Ils servent dans les ports.

M. Louis GUÉDON : Oui, dans les ports. Mais les membres de la Commission d'enquête sur l'Erika étaient déjà très inquiets pour la Méditerranée.

M. Francis MENÉ : Je pense qu'il faudrait que vous posiez la question à la préfecture maritime car nous n'avons pas de moyens d'intervention en mer, ni de compétences pour ce faire d'ailleurs.

M. Louis GUÉDON : Je retire donc ma question. J'apprécie la spontanéité de la réponse du chef d'état-major et l'élégance avec laquelle il me renvoie au préfet maritime ! (Sourires.) Je plaisante...

M. Bernard MUSCAT : Pour ce qui concerne les zones de refuges, on ne peut pas, à mon avis, faire l'économie de prévoir ces dispositions. C'est indispensable. Il faut cependant que ce soit fait intelligemment et en concertation...

M. Louis GUÉDON : C'est un pléonasme.

M. Bernard MUSCAT : Je me souviens d'une époque où le préfet maritime gérait l'événement en mer ; en général, la zone de refuge était un port, administré par un directeur du port et un conseil d'administration. Parfois, le directeur refusait d'accepter le bateau et le préfet maritime se retrouvait avec son bateau en remorque sans savoir qu'en faire et après quelques jours...

M. Louis GUÉDON : Il coulait et on était pollué !

M. Bernard MUSCAT : Parfois aussi, le directeur du port pense qu'il dispose des moyens adaptés. L'avarie ne lui paraît pas trop grave et il accepte ce bateau. Mais si ce port est celui du Havre par exemple, avec des marées, des écluses et une population à proximité, le directeur du port est susceptible d'accepter ce bateau sans que le préfet du département, qui a 200 000 personnes à protéger d'un risque potentiel n'en soit informé. Cela s'est déjà vu aussi.

Il y a donc trois autorités qui doivent absolument se coordonner pour ce genre d'opérations : le préfet maritime qui gère l'événement en mer et, souvent, la bonne façon de mieux le gérer, c'est de rapprocher le navire de la terre, mais pas forcément trop près ; le préfet du département qui risque de voir arriver un navire en difficulté à un moment où il ne l'attend pas, avec une population à protéger et sans savoir comment faire ; et le directeur du port, auquel il faut parfois forcer la main.

M. Louis GUÉDON : Je reposerai ma question au préfet maritime, mais je retiens de votre réponse des éléments satisfaisants : premièrement, la réflexion doit se faire et, si elle n'est pas faite à ce jour, elle représente pour vous une priorité ; deuxièmement, elle suppose des coordinations. Quand cette réflexion sera conduite, elle viendra réduire les inquiétudes de la Commission.

M. le Président : La question de M. Guédon me paraît fondamentale. Aujourd'hui, 70 000 tonnes de fioul à la mer arrivent chez vous. Etes-vous capables de faire face ?

MM. MENÉ, MUSCAT et M. Roger NARDELLI : Non.

M. Francis MENÉ : Avec la petite connaissance que j'ai pour l'instant de la zone et des moyens, nous serions sans doute capables de faire poser -puisque ce sont les préfets de département qui le font dans leurs départements- quelques barrages en zone calme, si l'eau est calme, pour protéger tel ou tel enjeu, mais nous ne saurions pas protéger toute la côte, sur vingt ou trente kilomètres...

M. Louis GUÉDON : Ma question n'est pas celle-là, colonel. Nous savons très bien, pour l'avoir vécu, que protéger une côte sur 60 kilomètres est impossible. Ce n'est pas cela que nous attendons de vous et de vos collègues, mais une réflexion, un plan de stratégie dès l'appel de détresse du navire jusqu'à son naufrage, si on ne peut l'éviter... Cela a toujours manqué, même si l'on doit reconnaître que pour le Prestige, nous avons noté une amélioration par rapport à l'Erika. Pour l'Erika, le plan POLMAR-mer a été une bêtise monumentale : la Marine a mis trois semaines avant de faire venir des bateaux de pompage d'Europe du Nord, et, de surcroît, les bateaux étaient inadaptés car leurs pompes ont été bouchées au bout de trente secondes.

Pour le Prestige, nous avons des bateaux adaptés, dotés du système vendéen de Thomazeau, le Thomsea, qui a pompé 30 000 tonnes, c'est-à-dire plus que n'avait fait la Marine nationale. Ce sont les pêcheurs de pélagiques qui ont mis cela au point. Nous avons donc vu une amélioration sensible. Cela étant, on ne peut se satisfaire tant que le dispositif n'aura pas été amélioré. Il est certain qu'en Méditerranée, où vous n'avez ni pélagiques, ni Thomsea,... Il est indispensable qu'une réflexion soit engagée pour savoir quoi faire si un pétrolier chargé coule à cinquante kilomètres au large de Fos.

M. Francis MENÉ : M. le député, je ne voudrais pas vous contrarier mais je dois dire que le préfet de zone terrestre ne dispose pas du tout de moyens dans ce domaine. Ceux-ci relèvent exclusivement du préfet maritime.

Si je puis me permettre une incidente, on parle beaucoup des états-majors de zone et du rôle de la zone en matière de défense et de sécurité civile. Il y a une forte volonté gouvernementale, -le décret de janvier 2002 en témoigne-, mais les moyens que nous avons en terme de planification ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux. On peut toujours dire que ceci ou cela n'est pas fait...

M. Bernard DEFLESSELLES : Il y a à la fois les moyens et le retour d'expérience.

M. Francis MENÉ : Oui, mais le retour d'expérience n'est pris en compte que si l'on en a les moyens.

M. Bernard DEFLESSELLES : Nous avons ici des amis qui ont souffert de cela. Nous voudrions être sûrs qu'ici, en Méditerranée, on s'est vraiment approprié l'expérience de ceux qui ont souffert et qu'une fois cette expérience transposée, on soit capable d'établir la liste des moyens qui manquent, et de les trouver. Ensuite, c'est un problème de moyens. Mais qu'au moins, le transfert d'expérience se fasse.

M. Francis MENÉ : Pour parler du retour d'expérience, je partage totalement votre point de vue. Il n'existe pas de structure nationale pour le domaine des pollutions, pas plus que pour tous les autres risques. Si certains réclamaient la création d'un secrétariat d'Etat à la gestion des risques, c'est que, justement, il y a un manque de vision globale et un manque de prise en compte du retour d'expérience au plan national, dans toutes les structures. Car qui dispose de moyens ? Vous l'avez vu, en mer, ce sont les pétroliers et la Marine nationale; à terre, ce sont les SDIS, qui en ont très peu, et les services du ministère chargé de l'équipement...

M. le Président : Cela veut-il dire que toute l'expérience n'est pas répertoriée et communiquée aux autres ?

M. Francis MENÉ : Non, car le CEDRE remplit tout de même en partie cette fonction.

M. le Président : Nous l'avons visité à Brest.

M. Francis MENÉ : Mais je ne suis pas sûr que l'expertise du CEDRE en termes de formation et de moyens soit bien connue partout.

M. le Président : Il n'y a pas de codification des procédures?

M. Francis MENÉ : Il faudrait en tout cas diffuser largement ces retours d'expérience aux nombreux organismes qui interviennent dans le domaine de la sécurité maritime.

J'ai discuté avec mon collègue Colin, chef d'état-major de la zone Sud-ouest, qui a eu beaucoup de difficultés, par manque de moyens, à l'état-major de zone. Ils sont deux ou trois à travailler sur ce problème en situation de crise alors que, dans un même temps, il y a tout un tas de choses à gérer. Ils sont sous-dimensionnés.

Par ailleurs, il n'y a pas suffisamment d'interministérialité dans la prise en compte du retour d'expérience et de redistribution tant des enseignements que des nécessités d'acquérir des moyens et des formations, tous services confondus.

M. le Rapporteur : Ne pensez-vous pas que la nouvelle étape de décentralisation -on le voit déjà avec les SDIS- risque de creuser un peu plus le fossé. Sur l'Atlantique, le Prestige n'avait pas à être géré comme l'Erika, puisque le gros de la pollution a touché la Galice, mais il y avait eu un retour d'expérience qui a tout de même été utile dans la gestion technique de la crise ainsi que dans sa gestion médiatique qui, on l'a vu, n'est pas le moindre des aspects.

En revanche, j'ai été frappé de la réactivité nationale qu'il y avait eu après l'Amoco puisque Marseille avait été fort bien équipée il y a vingt ans. C'était à l'avant-garde alors. Mais nous avons l'impression que la décentralisation, la départementalisation et la régionalisation, « coupent » un peu plus l'interministérialité et les missions régaliennes de l'Etat en terme de lutte contre la pollution.

M. Francis MENÉ : Oui, mais quel est le bon niveau ? Où faut-il mettre les moyens financiers pour que la réponse ait véritablement un caractère interministériel ?

M. Roger NARDELLI : Quand on parle d'une catastrophe majeure -vous parliez de 70 000 tonnes déversées- on voit immédiatement que, même au niveau national, nous aurions pas les moyens de répondre. Quand on doit utiliser les pompes qui fluidifient, on va les demander aux Hollandais... On ne peut pas demander à la zone ou à la région d'acquérir ces matériels.

M. le Président : Nous n'avons pas de navire antipollution mais si les bateaux de pêche, pélagiques vendéens ou basques, ont recueilli plus de pétrole que les navires antipollution hollandais, s'il existe aujourd'hui des solutions « locales », c'est grâce à un retour d'expérience profitable entre les deux catastrophes.

M. Bernard MUSCAT : Il est louable de chercher à tirer un profit des catastrophes passées. En Méditerranée, il n'y a pas eu, et c'est très heureux, de sinistres comme l'Amoco, le Prestige, l'Erika ou l'Ievoli Sun. Nous avons tout de même été amenés à gérer des pollutions de « moindre » importance, comme celles causées en 1993 par la collision entre le pétrolier Lyria et un sous-marin en plein week-end du 15 août, ou comme le « dégazage » sur les plages de Marseille, à deux jours du premier match de la coupe du monde de football.

Par ailleurs, le personnel du bataillon a été engagé, à un titre ou à un autre, sur toutes les dernières pollutions d'importance : détachement dans le cadre de la Marine nationale, dans le cadre de la zone de défense Sud, dans le cadre de missions d'appui de la sécurité civile ou dans le cadre du GIE Fost.

Au cours de la pollution de l'Erika par exemple, je suis intervenu avec deux de mes collègues dans le cadre de la Direction départementale de la sécurité civile, comme conseiller du préfet coordonnateur à La Rochelle puis à Rennes, d'autres officiers du bataillon ayant pris la direction des détachements du Fost. D'autres encore ont participé à la constitution des différents détachements zonaux. Ceci a duré plusieurs mois.

M. Bernard DEFLESSELLES : Nous avons une bonne étoile. C'est très bien, mais nous ne pouvons pas compter que sur notre bonne étoile.

M. Bernard MUSCAT : Non, surtout pas. Quand je me suis occupé de l'ANTIPOL au ministère de l'Intérieur, je me souviens avoir voulu organiser des stages interministériels ; un à Brest et l'autre à Aix. J'avais de très bonnes relations avec mes homologues du ministère de l'équipement et avec les agents du CEDRE. Ainsi, avons-nous organisé ensemble ces stages. J'ai réussi à mettre autour des mêmes tables un représentant du SIDPC -donc, de la préfecture- un représentant du SDIS, un de la DDE ainsi que, dans un cas, un représentant du CIRCOSC de Rennes et, dans l'autre, un représentant de la préfecture maritime de Méditerranée.

POLMAR est forcément un dispositif interministériel et, pour ces stages, j'avais fait une sélection entre ministère de l'Intérieur, SDIS et Equipement, Marine et coordination zonale. Or j'ai pu constater que, dans un même département, des personnes relevant des trois administrations, qui étaient censées travailler sur le même sujet et gérer les crises ensemble, ne se connaissaient même pas.

M. Bernard DEFLESSELLES : C'était en quelle année ?

M. Bernard MUSCAT : C'était en 1998. Il s'agissait de deux stages interministériels réalisés avec des moyens limités, donc, de stages restreints en nombre de stagiaires.

Mais pis encore, je me suis rendu compte, puisque nous cherchions à travailler sur POLMAR, que des moyens relevant de la même administration des deux départements voisins, ceux du Finistère et des Côtes d'Armor, et le service des Affaires maritimes -donc des fonctionnaires relevant de l'Equipement- ayant donc des démarches parallèles, faisaient chacun leur plan de leur côté. Il n'y avait aucun partage d'expériences ni de culture de coopération.

La politique de prévention des pollutions et d'organisation de la lutte contre les pollutions en mer et sur l'interface terre-mer doit sans doute être améliorée en Méditerranée. C'est un des objectifs du « pôle de compétence littoral » crée par le préfet de zone de défense. Avec l'accord de celui-ci, de l'amiral commandant le bataillon et de l'ajoint au maire de Marseille chargé du bataillon et de la sécurité, j'ai été désigné animateur de ce groupe.

Il ne faudrait pas que ce manque d'efficacité relatif dans la lutte contre les pollutions apparaisse lié à la situation particulière du département des Bouches-du-Rhône en ce qui concerne l'organisation des services d'incendie et de secours.

M. le Rapporteur : L'interministérialité reste encore à découvrir.

M. Bernard DEFLESSELLES : Sans extrapoler, cela veut dire que, sur notre région PACA, il n'y a pas de connaissance interdépartementale. Vous coordonnez la zone, c'est très bien. Mais vous nous dites que la mise en œuvre revient aux préfets de département. Nous aimerions savoir si des Alpes-Maritimes au Var, aux Bouches-du-Rhône, et même plus loin car la Méditerranée continue et qu'il ne faut pas oublier nos amis de l'Hérault et des Pyrénées-Orientales, il existe au moins une continuité.

M. le Rapporteur : Le pire n'est-il pas à venir ? Car que reste-t-il d'étatique ? Aujourd'hui, les sapeurs-pompiers sont départementaux. Avec le transfert des missions nationales, l'Equipement deviendra de plus en plus départemental, et ainsi de suite. Vous parliez d'interministérialité, mais ne risque-t-on pas d'avoir encore plus de difficultés à la mettre en œuvre ?

M. Francis MENÉ : La question de la cohérence des moyens et de la formation se pose en matière de lutte antipollution comme dans bien d'autres domaines de la gestion des risques. Nous avons essayé le 10 avril dernier de tenir une réunion des acteurs zonaux de défense et de sécurité civile. Nous avons mis autour d'une même table tous les directeurs de cabinet des préfets, les directeurs des SDIS, ceux de SIDPC, les DRASS, les DDE, les DRIRE, les SAMU pour présenter la problématique de la gestion des risques au niveau de la zone. Nous avons notamment parlé de POLMAR. C'est une démarche que nous essayons d'initier afin de faire travailler ensemble, au niveau zonal, toutes les administrations qui n'ont pas l'habitude de se rencontrer sur ce genre de thèmes. Il reste, je crois, beaucoup à faire.

M. le Président : Espérons maintenant que, dans le cadre de la décentralisation, les élus, très sensibilisés au problème, sauront motiver davantage les acteurs pour que la coordination se passe encore mieux.

M. Francis MENÉ : En effet, car c'est un vrai problème.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition conjointe de
M. Bernard LECOMTE, Directeur régional,
de M. Daniel DEJARDIN, Directeur régional adjoint,
de M. Philippe VINOT, Chef du centre régional de sécurité,
de M. Gérard BEAUFILS, Inspecteur du centre de sécurité des navires
et de M. Alain ORTOLÉ, Inspecteur du travail maritime.


(extrait du procès-verbal de la séance du 15 avril 2003 -
Marseille)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

MM. Lecomte, Dejardin, Vinot, Beaufils et Ortolé sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Lecomte, Dejardin, Vinot, Beaufils et Ortolé prêtent serment.

M. Bernard LECOMTE : Je me proposais de faire un exposé liminaire assez bref pour pouvoir, ensuite, répondre abondamment à vos questions. D'après ce que j'ai lu de l'objet des travaux de votre Commission, il s'agit pour vous d'apprécier les moyens qui ont été mis en place pour répondre à la mission de sécurité maritime. Mon exposé, en présence de l'inspecteur maritime, sera centré sur les problèmes au plan local de sécurité des navires, de contrôles de l'Etat du port, d'effectifs et d'application des conventions qui ont été traduites en droit français.

Le plus simple est de commencer par faire le point sur les effectifs affectés au contrôle de l'Etat du port. Les résultats de ce dernier, comme vous le savez, étaient jusqu'à présent inférieurs à nos objectifs, qui étaient des objectifs communautaires. Depuis, grâce à l'augmentation des moyens par le recrutement d'experts vacataires venus en appui des inspecteurs qui effectuent les visites, nous sommes sur une pente largement ascendante et, en moyenne glissante annuelle, nous atteignons à l'heure actuelle un taux de contrôle supérieur à 30%. Je rappelle qu'en 2002, nous étions à 9,8%. Donc, grâce à la politique menée, qui permet de dédoubler les missions puisque nous plaçons un expert vacataire auprès d'un inspecteur ayant la responsabilité du contrôle, nous parvenons à réaliser un nombre de contrôles significatif et nous avons réussi, je pense, à redresser la situation pour ce qui est de la région PACA.

M. le Rapporteur : Les chiffres que vous avez donnés concerne PACA ?

M. Bernard LECOMTE : Oui, je pense que nous sommes au-dessus du niveau national.

Les experts vacataires sont donc, comme l'indique leur nom, des vacataires. En 2000, nous étions onze inspecteurs plus le chef de centre. En mars, nous sommes passés à douze, plus deux jeunes inspecteurs qui ne sont pas encore habilités à effectuer des visites de contrôle. En septembre prochain, nous devrions être quatorze, plus le chef de centre ; quatorze, dont trois ne seront habilités que dix-huit mois ou deux ans plus tard.

Donc, en terme de fonctionnaires dédiés au contrôle, nous étions onze et serons quatorze -en fait, onze plus trois...

M. le Président : Vous n'avez pas de « papies » ?

M. Bernard LECOMTE : Nous en avons dix ou onze. Ce sont des experts vacataires ; ils ne sont pas fonctionnaires. Nous les avons recrutés, sans difficultés d'ailleurs, essentiellement sur des profils d'expérience acquise dans telle ou telle catégorie de navigation. C'est un point important parce que l'on considère que nous bénéficions ainsi d'un œil de navigant, d'une expérience qui facilite le travail de nos inspecteurs qui, pour nombre d'entre eux, sont relativement jeunes. Ces experts vacataires apportent un regard tout à fait intéressant qui nous permet de mieux faire notre travail.

Autre point important à souligner : sur Marseille, nous avons restructuré l'organisation du service. C'est ainsi que nous avons créé à Martigues une antenne délocalisée du centre de sécurité de Marseille, soit à une trentaine de kilomètres, de manière à rapprocher les inspecteurs des endroits du port où escalent les navires, et plus précisément les navires à risques, tels que les chimiquiers, les vraquiers ou les pétroliers. A l'heure actuelle, trois inspecteurs sont dédiés à ces missions. C'est une organisation que j'estime performante et intéressante.

Pour autant, l'avenir n'est pas évident parce que, si nous réalisons des contrôles de navires étrangers, il faut aussi prendre en compte l'accroissement des obligations qui sont les nôtres, l'introduction de la notion de contrôle renforcé sur certains types de navires, comme les chimiquiers ou les vraquiers, liée à une appréciation du risque plus ou moins importante, pour lesquels nous avons l'obligation de contrôler 95% des navires qui feront escale chez nous. Cette obligation se surajoute à celles qui nous étaient déjà dévolues.

Il nous faudra donc répondre aux besoins, d'autant que l'application du code ISPS sur la sûreté nécessitera encore davantage de contrôles de la part de nos inspecteurs sur les navires. Ils devront faire des investigations supplémentaires pour délivrer les certificats sur les questions de sûreté puisque, je le rappelle, le code sur les problèmes de sûreté a été intégré dans la convention SOLAS qui sert de base au travail de nos inspecteurs lors du contrôle de la sécurité des navires.

Nous sommes donc toujours en train de courir après les moyens. En effet, ceux-ci sont adaptés à un certain nombre de missions, puis on accroît les missions et le temps que de nouveaux moyens permettant d'y répondre arrivent, les missions ont encore augmenté. A l'heure actuelle et avec ce qui se profile, nous n'avons vraiment pas de personnel en trop.

En ce qui concerne les aspects de nature sociale, j'avais lu dans les conclusions de votre enquête après l'Erika, que vous souligniez des difficultés relatives à la transposition ou la ratification des conventions OIT notamment. La situation a légèrement avancé, notamment sur la durée du travail des marins. Certes, la convention 180 n'a pas encore été ratifiée formellement pour l'instant mais, par le biais d'un arrêté ministériel modifiant l'arrêté qui servait de base à toute la réglementation de sécurité et visait une directive portant sur la durée du travail des marins, ces questions ont été prises en compte et permettent aux inspecteurs de faire, malgré tout, du travail en la matière.

Autre point à relever, toujours en matière de droit social : la création de l'inspection du travail maritime, qui date de deux ans déjà. Formellement, depuis septembre dernier, M. Ortolé, l'inspecteur du travail maritime, est dédié, à 100% de son temps, aux missions d'inspection du travail maritime, son champ de compétence couvrant le département des Bouches-du-Rhône et du Var. Il est assisté d'un contrôleur. A court terme, il est prévu un contrôleur supplémentaire sur les Alpes-Maritimes, qui aura aussi compétence sur la Corse, ainsi qu'un autre sur le Languedoc-Roussillon, à Sète.

Je constate que, depuis septembre, ces missions d'inspection du travail augmentent fortement. Il est très souvent fait appel à lui. Peut-être la particularité du port de Marseille, avec des compagnies qui ont des besoins en personnels, explique cela de manière objective, mais nous constatons qu'il s'agit d'une mission en forte croissance. Je pense qu'il faudra probablement renforcer cet aspect au niveau marseillais.

Concernant les pollutions marines, il est à signaler que la préfecture maritime de la Méditerranée a commencé à travailler sur l'élaboration du plan POLMAR-mer, qui nous a été soumis pour avis il y a quelques jours. Nous devrions disposer d'un plan POLMAR adapté d'ici l'été. Un exercice étant prévu au début octobre, nous en tirerons les conséquences et les conclusions de façon à affiner ce plan POLMAR. Nous aurons donc une première version avant l'été et, en tout état de cause, une finalisation avant la fin de l'année.

La particularité de ce plan est qu'y sont prises en compte les instructions du Premier ministre sur le rôle des Affaires maritimes concernant l'interface terre-mer, car c'est toujours là que se situent les difficultés, quand il s'agit de faire travailler ensemble des gens qui ont une philosophie plus terrienne et d'autres qui en ont une plus maritime. On l'a vu au moment de l'Erika.

M. Bernard DEFLESSELLES : Vous nous dites à l'instant que la préfecture maritime commence à travailler sur le plan POLMAR-mer. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là ?

M. Daniel DEJARDIN : Nous avons un plan POLMAR de 2000 en Méditerranée qui fait l'objet d'un texte précis, mais pour prendre en compte tous les enseignements de l'affaire de l'Erika, une réactualisation du plan POLMAR-mer est nécessaire pour mieux résoudre les difficultés potentielles de l'interface terre-mer et parvenir à une meilleure coordination des services maritimes et terrestres.

M. le Président : Le plan dont vous parlez ne prenait pas en compte l'Erika ?

M. Daniel DEJARDIN : C'était un plan ancien dont la dernière version datait de 2000. L'Erika, c'était en décembre 1999...

M. le Président : Les premiers enseignements n'avaient pas encore été incorporés ?

M. DEJARDIN : C'est cela. Il y a eu depuis une instruction récente du Premier ministre.

M. Bernard LECOMTE : Une autre évolution significative a été la création d'une zone de protection écologique (ZPE) en Méditerranée, qui va permettre d'améliorer les contrôles et la constatation des infractions avec quelque chance de voir les infractions poursuivies et sanctionnées. De même, l'attribution au tribunal de grande instance de Marseille d'une compétence spécialisée en matière de lutte contre la pollution maritime, pour toute la façade méditerranéenne, permettra une lutte plus efficace contre les pollutions.

Tels sont les points que je souhaitais souligner en préliminaire. Pour conclure, je voudrais revenir sur les aspects financiers et budgétaires. J'ai vu que, dans le rapport précédent sur l'Erika, vous les mentionniez. Je souhaite que nous ayons les moyens financiers et humains d'assumer toutes les missions qui sont les nôtres car il est vrai qu'à l'heure actuelle, la situation est assez difficile en raison des restrictions budgétaires qui affectent directement les moyens de fonctionnement d'un service comme le nôtre.

M. le Président : Vous semblez dire qu'il y a des insuffisances. Quelles sont-elles ? Que vous manque-t-il : l'organisation, les moyens financiers, matériels ou humains ?

M. Bernard LECOMTE : Les aspects financiers et budgétaires. A l'heure actuelle, nous avons un budget de fonctionnement pour l'ensemble des Affaires maritimes. Comme dans toutes les administrations, celui-ci est amputé de 30%, sachant que la configuration budgétaire de notre administration ici, au niveau méditerranéen, c'est-à-dire la répartition entre les frais fixes et les autres, fait qu'une réduction de crédits de fonctionnement de 30%, mathématiquement, va générer une réduction d'activité de l'ordre de 70%.

Aujourd'hui, je ne sais pas comment nous allons pouvoir faire fonctionner le service. La situation que je décris n'est pas propre à Marseille. C'est une constatation que nous avons faite sur l'ensemble de la Méditerranée, mais je pense que mes collègues du Havre ou d'ailleurs se heurtent aux mêmes difficultés. Je ne sais pas comment faire fonctionner le service au mois d'avril. Je suis dans une situation où, si j'engage des crédits de l'Etat, je sais que je risque la Cour de discipline budgétaire et financière parce que ces crédits, je n'en dispose pas à très court terme. Entre le paiement du reliquat de fin d'année et les crédits qui nous sont délégués, nous sommes dans une situation extrêmement difficile.

Je souhaitais vous le dire très simplement parce que, du coup, comme il s'agit de crédits de fonctionnement, nous sommes amenés à voir avec M. le préfet quelles missions nous allons arrêter.

M. le Rapporteur : Il existe des missions que l'on peut arrêter ?

M. Bernard LECOMTE : Oui, bien sûr. Si j'étais parfaitement rigoureux... enfin, je suis rigoureux mais disons « rigoriste », je devrais déjà arrêter la gestion des permis plaisance, aussi bien dans les Bouches-du-Rhône que dans tous les départements intérieurs qui sont dans ma zone de responsabilité, c'est-à-dire de Lyon à tout le Sud-est, parce que nous n'avons pas les crédits permettant de payer les déplacements des inspecteurs qui font passer les permis.

C'est préoccupant. Cela ne peut pas ne pas rejaillir sur les missions des inspecteurs de la sécurité qui, par définition, se déplacent. C'est un point extrêmement problématique, que je voulais souligner.

M. le Président : Nous avons auditionné le directeur des Affaires maritimes au niveau national, mais nous n'avons pas évoqué ces questions.

M. le Rapporteur : Votre collègue de Brest m'en a donné un exemple chiffré.

M. Bernard LECOMTE : Mais nos chiffres sont ceux-là : 30% de réduction génèrent vraiment 70% de réduction d'activité. Cela signifie que, le mois prochain, je n'ai plus de crédits pour fonctionner sur les missions elles-mêmes.

Je parlais de la gestion des permis de plaisance, mais cela touche aussi certains moyens de contrôle. Nous avons, par exemple, à Martigues, une vedette régionale, que nous ne pourrons plus faire sortir. Vraiment, je ne sais pas faire autrement : je ne peux plus payer le carburant.

Quant à mon collègue du Havre, je crois que TotalFinaElf lui a dit lui enlever ses cartes magnétiques parce qu'il n'était pas un client intéressant. La situation financière devient de plus en plus critique.

Pour ce qui nous concerne, ce sera difficile. M. Serradji a écrit qu'effectivement, nous ferions au mieux pour que tout ce qui concerne la sécurité puisse malgré tout être préservé. Il est évident que nous le ferons le plus possible et que nous essayerons de maintenir les missions de contrôle des navires étrangers, des navires à passagers et des navires de pêche. Mais je faillirais à ma mission et à mes responsabilités si je ne vous parlais pas du risque de ne pouvoir assumer nos missions.

M. le Président : La Commission écoute, transmet et recommande peut-être.

M. le Rapporteur : Quelle est votre opinion, en tant que spécialistes de la sécurité sur les navires à double coque, vers lesquels nous conduisent les décisions européennes ?

Je vois que vous êtes à 30% de vérification, ce qui est bien, mais quelles sont vos méthodes de sondage pour traiter tel navire plutôt que tel autre ? Utilisez-vous des bases de données ?

Concernant les questions de réglementation sociale, quelles sont vos pratiques de sélection des équipages que vous contrôlez ? Nous avons appris à Brest, par exemple, que leur priorité s'adressait au contrôle de navires sous pavillon français. Nous avons découvert cela, parce que nous avions surtout l'impression qu'il y avait beaucoup de problèmes de droit du travail sur les navires sous pavillon non français ?

M. Alain ORTOLÉ : L'inspecteur du travail maritime n'a compétence que sur les navires battant pavillon français.

M. le Rapporteur : Naïvement, nous pensions, au départ, que ce contrôle s'adressait à tous les pavillons.

M. Alain ORTOLÉ : Cela limite donc le champ de nos interventions. Nous ne sommes compétents que sur les navires battant pavillon français. Depuis l'arrêté de 2002, qui modifie celui de 1987, nous sommes aussi experts de l'inspection du centre de sécurité pour toutes les normes sociales. Mais c'est donc assez récent. J'avoue que, pour l'instant, les navires étrangers n'ont pas encore subi ces contrôles de normes sociales parce qu'il y a toute une organisation à monter avec l'inspection et les centres de sécurité, ce qui ne se fait pas comme ça. Cela nécessite aussi une formation, qui reste encore à acquérir.

L'inspection de travail est très récente, elle n'a que deux ans sur les Bouches-du-Rhône, et de nombreuses demandes relèvent de sa compétence qui cependant est limitée aux armements battant pavillon français. Nous sommes intervenus par exemple pour faire respecter la législation sur les institutions représentatives du personnel. Comme il n'existait pas de CHSCT dans certains armements, il a fallu les créer. Il a fallu en réactiver certains, qui existaient mais étaient dormants. Il a fallu également travailler sur les conditions du travail. Pour la mise en œuvre des 35 heures, l'inspection du travail a apporté son expertise pour la rédaction des accords, puis a aidé les armements à les mettre en place notamment pour les navires à passagers. Tout cela est lourd.

Pour l'instant, nous ne sommes pas en mesure de contrôler le respect des normes sociales sur les navires étrangers pour des raisons de temps et de disponibilité, mais aussi par manque de compétence. L'arrêté, comme je le disais, est récent. Il date de 2002 et nous n'avons pas encore mis en place de réelles équipes de contrôle mixtes regroupant des inspecteurs de sécurité pour les normes de sécurité et des inspecteurs du travail qui viendraient appuyer l'inspection du centre de sécurité pour les normes sociales.

M. le Président : Ne pensez-vous pas que l'on a encore creusé le fossé entre le pavillon français, qui ne compte qu'un peu plus de 200 navires, et le reste des navires sous pavillons divers, et que cela risque d'accentuer le passage des armements français sous pavillon étranger ?

M. Alain ORTOLÉ : Si cela reste en l'état, c'est certain. Mais ce ne sera pas le cas.

Nous sommes en train de faire un point à l'instant « t » pour savoir où nous en sommes. Si nous n'avons pas encore pu mettre en place ce genre de contrôle, il est évident que nous avons l'intention de le faire. Nous devrons peut-être abandonner certaines fonctions pour pouvoir nous consacrer à nos missions bien plus spécifiques relatives au contrôle de normes sociales sur des navires sous pavillon étranger.

M. le Rapporteur : En droit social, existe-t-il des règles internationales ou est-ce le droit local qui s'applique ? Par exemple, qu'en est-il de la RTT ? Je sais que, pour la pêche artisanale, les organisations professionnelles avaient négocié non pas un taux horaire, mais un nombre de jours de mer. Pour la Marine marchande, est-ce pareil ?

M. Alain ORTOLÉ : Non, pour la Marine marchande, le point le plus important à vérifier sera le registre d'heures, c'est-à-dire la norme OIT 180 sur la durée de travail, qui prend en compte la durée maximum d'heures, la fatigabilité, le temps de repos. Nous devrons donc contrôler la tenue du registre d'heures et celle du registre d'organisation du travail.

M. le Président : Quel pouvoir aurez-vous pour agir sur un armement sur lequel vous aurez dénoncé des abus dès lors qu'il bat pavillon étranger ?

M. Alain ORTOLÉ : Pour l'instant, nous n'avons aucun pouvoir. Seul l'inspecteur du centre de sécurité en détient un. L'inspecteur du travail maritime n'intervient qu'en tant qu'expert...

M. le Rapporteur : Donc, vous travaillez pour le compte de.

M. Alain ORTOLÉ : Oui, pour le compte de. On part du principe que l'inspecteur du centre de sécurité a un regard très technique sur le navire. Il reste la personne la plus à même d'apprécier les répercussions en termes de sécurité et du non-respect de certaines normes sociales.

M. Louis GUÉDON : En conclusion, lorsque vous avez trouvé des anomalies graves en termes d'inspection du travail sur un navire battant pavillon étranger, vous le signalez à l'inspecteur du centre de sécurité. Que se passe-t-il ensuite ?

M. Alain ORTOLÉ : Il a la possibilité de bloquer le navire.

M. Louis GUÉDON : On joue sur le droit du port.

M. Bernard LECOMTE : Nous intervenons dans le cadre juridique du Mémorandum de Paris. Très prochainement, la convention OIT 180, relative à la durée du travail, fera partie des normes internationales que nous pourrons opposer à un navire étranger. Si l'on constate que le commandant n'a pas dormi depuis 48 heures, une des mesures que l'on peut exiger, c'est que le commandant ait un temps de repos minimum avant que son navire ne reprenne la mer. En fait, il n'y a pas de réelle sanction financière mais le fait de retarder un navire est encore la meilleure des sanctions financières, c'est clair.

Actuellement, la seule convention applicable dans le cadre du Mémorandum de Paris est la convention 147 qui ne concerne que les normes d'habitabilité et d'hygiène sur les navires. Cela permet, si nous constatons qu'il n'y pas d'eau chaude dans les cabines, par exemple, de bloquer le navire. Mais les possibilités de bloquer un navire sur des questions de normes de travail et de normes sociales ou de fatigabilité, sont assez réduites, bien plus que sur des points techniques.

M. le Rapporteur : Nous allons passer aux normes techniques justement. Nous avons souvent évoqué les problèmes de contrôle et, en Méditerranée plus qu'ailleurs, ceux de dégazage et de déballastage. A votre avis, des boîtes noires, des mouchards, seraient-ils pertinents ?

Que pensez-vous également des double-coques ? Vous aurez à les inspecter dans les prochaines années, quelle est votre vision d'expert sur ceux-ci ?

M. Philippe VINOT : Nous n'avons pas beaucoup de recul puisque les navires double coque sont moins nombreux que les autres et surtout très récents. La grande inquiétude, vous le savez, est qu'ils vieillissent mal, c'est-à-dire que se produisent d'une part, des fuites d'hydrocarbure des citernes vers la double coque et, d'autre part, des dégagements de gaz.

Tout un système technique d'enregistreurs de gaz devrait permettre, théoriquement, d'écarter le danger. En revanche, il sera très difficile d'inspecter physiquement l'espace entre les deux coques, car cet espace est très étroit et parce qu'il est encombré par des éléments de structures.

M. Gérard BEAUFILS : Le problème essentiel sera celui de l'entretien. Puis, se pose aussi le problème de la détection des gaz. Pour l'instant, selon les normes de la convention SOLAS, un seul détecteur est obligatoire. Il y a quinze jours, j'ai contacté un navire dont le détecteur était en panne. Si ce navire se retrouve en mer avec son détecteur de gaz automatique en panne et un seul détecteur manuel, on sait très bien que les marins à bord ne vont pas aller sonder en continu. On se retrouve donc avec un navire en mer qui, pendant un certain temps, peut avoir des émanations de gaz sans que personne ne s'en aperçoive, et après douze heures, il est trop tard.

Il devrait être obligatoire d'avoir plusieurs détecteurs de gaz dans les double-coques. Ne pas en avoir me paraît être une grosse lacune car il faut être en mesure d'avoir une détection en continu. Sinon, cela risque de devenir très dangereux.

Pour apprécier correctement l'état de vieillissement du navire, il est essentiel de savoir comment il a été géré. En effet, le vieillissement dépend des cadences de chargement et de déballastage. La répartition de poids doit se faire progressivement et l'on peut très bien « casser » un navire dès son premier chargement si l'on va trop vite. Si on ne ballaste pas correctement, si on ne répartit pas les contraintes, un navire peut déjà être très handicapé pour le restant de sa vie.

La connaissance de l'historique du navire est donc essentielle pour procéder à un contrôle pertinent. Par exemple, si l'on prend l'Erika et ses « sister ships », il n'y en a qu'un qui ait eu des problèmes, sans doute parce qu'il a été mal chargé ou trop vite chargé, ou encore mal conduit, par mauvais temps, peut-être pas lors de ce voyage, mais lors du précédent ou quelques voyages auparavant. Ce suivi du navire, on ne sait pas le faire. On n'en parle pas souvent mais, par expérience, je peux vous assurer que connaître l'historique d'un navire est bien plus important que procéder à la visite proprement dite. Si nous arrivions à avoir des historiques précis, ce serait beaucoup plus efficace en terme de contrôle.

M. le Rapporteur : Des boîtes noires ?

M. le Président : Aujourd'hui, de manière électronique et informatique, on arrive à avoir un tel suivi.

M. Gérard BEAUFILS : Sur les navires rapides de type Aliso, on a des enregistrements, mais tous les grands navires ne sont pas encore équipés. Les visites visuelles ne vous donneront jamais assez d'éléments précis sur l'état de fatigue des tôles et sur la solidité de la structure du navire. Il est donc difficile de prévoir les ruptures de coque.

Il y a deux ans, un chimiquier double coque revenait charger. La raffinerie a envoyé une chasse trop importante et la citerne de produits chimiques s'est ouverte à un mètre du sol. Donc, toute la cargaison est tombée dans la double coque, mais un double fond n'est pas prévu pour transporter des cargaisons chimiques. Le navire était dans un terminal chimiquier à ce moment-là, vous imaginez le danger ! Il n'était pas question de l'envoyer en mer.

Un navire, c'est fragile. Il n'y a pas que l'âge à prendre en compte, les questions de chargement, de procédure de chargement sont aussi très importantes. Sur le navire dont je parlais, s'il n'y avait pas eu de tôle fissurée et cassée dont nous nous sommes aperçus, nous n'aurions pas su que la citerne avait subi de telles contraintes jusqu'au jour où en mer, il y aurait eu une rupture.

M. Bernard DEFLESSELLES : Pouvez-vous nous décrire par le menu une visite-type sur un navire à quai et nous dire ensuite ce que vous pensez de la possibilité de faire en sorte que, tous les deux ou trois ans, les simple-coques de plus de quinze ans fassent l'objet d'une visite en cale sèche, de façon à ce que les structures puissent être examinées parce que ce n'est pas en deux ou trois heures que l'on peut effectuer une inspection complète.

M. Gérard BEAUFILS : Les navires sont contrôlés de plusieurs façons. Des visites périodiques sont prévues. Les sociétés de classification effectuent un contrôle systématique des épaisseurs de tôle et autres. Tout cela est suivi.

Le problème, c'est la fiabilité. Il s'agit de sondages par points et pas de sondages continus et certains sondages ne sont pas évidents à faire.

Quand on fait une visite dans un navire, la première chose à faire est d'étudier les documents et de voir où ils ont été délivrés. Ensuite, il faut examiner tous les papiers de la « classe », c'est-à-dire toutes les visites par éléments. On prend les éléments un par un, on étudie leur périodicité d'inspection - la dernière visite et la prochaine, les remarques et les délais de réparation.

La société de classification a pu relever une défaillance et demander, par exemple, qu'en juin 2004, cette défaillance soit réparée. C'est là une estimation de l'expert. Cela tiendra-t-il jusqu'en 2006, ou seulement jusqu'en 2003 ? Personne ne le sait exactement.

L'étude des documents du navire nous apprend énormément sur son historique et sur son état d'entretien. Si, par exemple, un navire a obtenu le renouvellement de sa « classe » dans une escale entre onze heures du soir et cinq heures du matin, on sait très bien que la visite n'a pas été faite normalement.

M. le Rapporteur : C'est la première chose à faire ?

M. Gérard BEAUFILS : Oui, il faut essayer, en étudiant les documents, de découvrir des lacunes, de voir les éléments en contradiction, d'estimer si les contrôles physiques ont été réellement faits.

M. le Président : Est-ce que, dans les documents, sont précisés ces problèmes de chargement équilibré, de ballastage ?

M. Gérard BEAUFILS : Non.

M. le Président : Comment cela pourrait-il y figurer ?

M. Philippe VINOT : La visite mémorandum est cadrée. Vous cochez des cases, c'est-à-dire qu'il vous est expliqué comment faire une visite. Premièrement, il faut consulter l'ensemble des documents. Si l'on a des doutes et que l'on veut aller chercher plus loin, on sait que le second du capitaine qui est, en général, responsable du chargement, dispose d'un calculateur ou d'un logiciel de chargement.

M. le Président : Ce logiciel est-il universel ?

M. Philippe VINOT : Chaque navire a le sien, agréé par la société de classification. Cet agrément du logiciel fait partie des documents que nous vérifions. Le « stability booklet », le livre de stabilité, et la manière de charger le navire fait également l'objet d'un document relativement épais, également approuvé par la société de classification mais aussi par l'administration du pavillon -ou par la société de classification pour le compte du pavillon.

Cela, nous pouvons le vérifier. Nous pouvons aussi demander au capitaine de sortir ses calculs pour un chargement donné : « Vous chargez quinze produits dans votre chimiquier, quels calculs avez-vous faits ? Montrez-nous ce que vous avez tiré de votre ordinateur ? » Il doit être en mesure de le faire et nous verrons apparaître sur ces documents les efforts tranchants et les limites à ne pas dépasser.

En tout cas, il connaît les limites à ne pas dépasser et sa séquence de chargement. Je parle pour un tanker ou un vraquier. Il doit donc respecter une séquence de chargement et l'inscrire sur un cahier de consigne. Nous sommes déjà dans le système ISM de gestion de sécurité, qui est maintenant obligatoire.

Très honnêtement, ce n'est toutefois pas un contrôle que nous faisons à chaque visite. Cela suppose déjà que l'on soit sur un navire à risque.

M. le Président : L'une des personnes que nous avons auditionnées nous a laissé entendre qu'il pouvait y avoir un rapport entre la taille des navires et le phénomène de houle, qui expliquerait qu'en océan atlantique, on casse plus facilement qu'en Méditerranée. Si ce phénomène s'ajoute à des erreurs telles que celles que vous décriviez, pensez-vous que cela puisse être une raison de naufrage ?

M. Gérard BEAUFILS : Oui, c'est une raison. Mais je pense qu'il y a aussi un aspect commercial. Les séquences de chargement et de déchargement sont prévues et les navires doivent les respecter quelles que soient les conditions météorologiques. Ils ont des horaires impératifs. A mon époque, cela n'existait pas ; quand il faisait mauvais, on se mettait à la cape, on changeait de route et on évitait que le navire fatigue. Aujourd'hui, au contraire, on évite de réduire l'allure du navire et, pour peu que l'on soit à la limite des contraintes du navire, on peut casser le navire.

M. le Rapporteur : Après l'étude des documents, il y a la visite visuelle ?

M. Philippe VINOT : Effectivement, après les documents, il est demandé à l'inspecteur de procéder à un contrôle visuel du navire du haut en bas et de l'avant à l'arrière, ainsi que de la machine.

La visite, c'est cela : un contrôle documentaire et un contrôle visuel. Nous ne sommes pas tenus, normalement, si le navire paraît en bon état, de faire les contrôles opérationnels. Nous avons cependant la possibilité de le faire et, sur l'imprimé du Mémorandum, il nous est demandé de cocher les cases du contrôle opérationnel.

Donc, la visite visuelle consiste en un examen de la coque et de certains endroits du pont, en général. Il est rare -du moins, pas systématique- que nous puissions descendre dans les cales. S'il s'agit d'un tanker, nous n'allons pas dans les citernes, c'est clair.

Nous examinons tout ce qui est lié au sauvetage et à l'incendie ; nous vérifions l'état des manches, des bouches d'incendie, du matériel de sauvetage, des bouées, etc. Nous regardons l'amarrage et tous les locaux qui sont protégés par des systèmes particuliers. Nous vérifions que le marquage de sécurité existe, que les locaux dans lesquels il ne faut pas pénétrer sans précaution sont bien signalés.

De la même manière, nous faisons une inspection visuelle de la machine. A titre personnel, je commence déjà par vérifier tout ce qui concerne la sécurité du personnel, c'est-à-dire que les échappées de secours sont bien visibles, accessibles, bien éclairées et fléchées, puis, je vérifie le matériel de sécurité de la machine.

Ensuite, c'est là qu'intervient le flair de l'inspecteur lié à son expérience. Si certains éléments ne paraissent pas sûrs, on décide de demander des contrôles opérationnels. Je ne le fais pas de manière systématique. Certains le font. Par exemple, il en est qui demandent systématiquement des essais des pompes d'incendie et de secours. Ce n'est pas prévu dans le mémorandum, même s'il est prévu que l'on puisse le demander.

Puis, si le navire est vieux ou en mauvais état, nous allons demander plus de contrôles. Plus il est vieux, plus nous aurons tendance à en faire.

M. Gérard BEAUFILS : Il y a aussi toutes les fermetures à contrôler, celles de panneaux de cale, de dégagement d'air. Nous contrôlons aussi l'étanchéité, s'il y a des fissures. Si c'est rouillé et si des dégagements d'air peuvent aller dans des caisses à combustible, nous vérifions qu'elles ne risquent pas de casser.

Notre contrôle porte également sur ce que l'on appelle le franc-bord. Au XIXe siècle, les armateurs chargeaient trop les navires et les assureurs ont demandé que soit prévue une réserve de flottabilité suffisante pour qu'ils puissent finir leur voyage, c'est-à-dire une partie du navire qui dépasse au-dessus de l'eau et constitue sa réserve de flottabilité et de stabilité.

Ensuite, nous contrôlons le franc-bord d'échantillonnage, c'est-à-dire l'épaisseur de la coque. Si la coque fait vingt mètres de tirant d'eau et a une certaine longueur, on doit mettre des tôles plus épaisses dans le fond. Vous avez également un franc-bord de fermeture, qui concerne tout ce qui est protection contre l'envahissement de la mer par des fermetures. Enfin, il existe aussi un franc-bord de stabilité, c'est-à-dire la capacité du navire à se relever, à ne pas chavirer.

On prend le franc-bord le moins favorable, c'est-à-dire la plus grande hauteur au-dessus de l'eau. C'est ce qu'il y a de plus facile à contrôler : regarder si le navire n'est pas trop chargé et si ses fermetures peuvent résister à la mer.

M. le Président : Avez-vous des moyens pour évaluer l'état de la tôle, à part le petit marteau ?

M. Philippe VINOT : A part le petit marteau, il n'y a pas grand-chose d'autre. Il est vrai que nous allons dans des endroits accessibles où les risques sont les plus forts.

M. le Président : Ce sont toujours les mêmes ?

M. Philippe VINOT : Oui, en particulier derrière l'étrave du navire, la plage avant, le magasin du bosco, le local propulseur... toutes ces parties qui sont exposées. Dans la machine, en général, c'est assez gras, ce n'est pas trop corrodé.

M. Gérard BEAUFILS : Dans les navires, certains endroits sont soumis à énormément de corrosion parce que le combustible des navires doit être chauffé à 120° à peu près pour le rendre liquide. A côté de caisses chauffées à 120°, vous avez des caisses à eau de mer qui sont là pour des raisons de ballastage : mais ce voisinage crée une atmosphère humide avec une très forte évaporation côté mer. De ce côté, justement, les tôles ou les tuyaux de ballastage qui passent au travers peuvent se percer. Ce sont des endroits qu'il faut contrôler régulièrement, partout où des surfaces chaudes se retrouvent au contact avec de l'eau salée.

M. Louis GUÉDON : En vous écoutant, je trouvais que vous aviez pris beaucoup de précautions remarquables par rapport au droit du travail. Votre préoccupation, on le voit, est de faire avancer la sécurité des équipages. Vous aurez à soulever des montagnes avec l'Organisation maritime internationale pour arriver à vos fins, c'est très courageux.

Pour autant, ce n'est pas véritablement la raison pour laquelle nous sommes venus vous trouver. Voici plutôt quelle est-elle : si demain, un navire coule à 200 kilomètres au large de Marseille avec 70 000 tonnes de fioul, que faites-vous ?

Nous, sur l'Atlantique, nous l'avons vécu deux fois de suite. Ce magnifique dispositif social m'enrichit le cœur, mais ne répond pas du tout à ma question : que faites-vous ?

M. Bernard LECOMTE : On met en œuvre le plan POLMAR.

M. Louis GUÉDON : Nous, nous avons connu l'Erika et le Prestige. Pour l'instant, vous y avez échappé mais, si nous sommes venus vous voir, c'est que la Méditerranée est un réservoir dont les eaux ne se renouvelleront pas comme celles de l'Atlantique.

M. Daniel DEJARDIN : Le plan POLMAR-mer sera mis sûrement en œuvre par le préfet maritime et le plan POLMAR-terre sans doute par le préfet de zone.

M. Louis GUÉDON : Nous avons eu un long entretien avec M. le préfet, qui est un homme remarquable. Il nous a expliqué les teneurs et les arcanes du plan POLMAR-terre. Nous ne repartons pas convaincus.

M. Christophe MASSE : Je voudrais revenir sur le contrôle des navires. On connaît les capacités de contrôle, le problème que pose le nombre d'inspecteurs malgré les aides supplémentaires. Lorsque vous inspectez un navire, quels critères de choix retenez-vous ? Ce sont des navires que vous connaissez, sur lesquels vous avez été aiguillés ? Je suppose que le flair de l'inspecteur joue un rôle important dans le choix des navires à contrôler. Comment s'effectue cette répartition et ces contrôles, sachant que les navires sont très nombreux et les inspecteurs en nombre limité ?

M. le Président : Et avant, combien de temps requiert une visite ?

M. Philippe VINOT : Une inspection peut durer deux heures si le contrôle porte sur un navire neuf qui ne pose aucun problème. Elle peut durer quatre ou cinq jours si nous détenons le navire et que nous devons y revenir.

M. Gérard BEAUFILS : Il faut savoir que lorsque l'on fait une visite Mémorandum, même si nous devons revenir à plusieurs reprises sur le navire, les multiples visites ne seront comptabilisées qu'une seule fois.

M. le Président : C'est pour le calcul des vacations ?

M. Gérard BEAUFILS : Non, c'est une question de statistiques. On compte en navires : même si l'on y retourne cinq jours de suite, on a contrôlé un seul navire. C'est important de le savoir pour les statistiques.

M. le Président : Que pensez-vous des visites en cale sèche qui sont recommandées ? Vous donnent-elles des appréciations intéressantes supplémentaires ?

M. Philippe VINOT : Mon sentiment est que, si au lieu faire du contrôle renforcé de navires par les inspecteurs de l'Etat du port, on faisait des contrôles préalables en cale sèche et que l'on donnait un ticket à l'armateur lui accordant le droit de venir en Europe pendant deux ou trois ans, ce serait un bon système. Mais les visites en cale sèche coûtent plus cher et durent plus longtemps.

M. le Président : Et le ticket qui vient d'un chantier russe ou roumain vous satisfera ?...

M. Philippe VINOT : La dite visite en cale sèche serait tout de même faite par les inspecteurs de l'Etat du port, ou des inspecteurs agréés par lui.

M. Bernard LECOMTE : Actuellement, le système est celui-là : tous les deux ans et demi, votre navire passe en cale sèche. L'armateur prend le chantier de son choix. Il va chez le moins cher, en Russie, en Roumanie ou autre et quand il arrive à Marseille, il vous donne le ticket et vous dit qu'il a été vérifié, qu'il a obtenu un certificat de sa classification.

M. Philippe VINOT : Oui, pour cinq ans, délivré par le registre thaïlandais...

M. le Président : C'est cela !

M. Philippe VINOT : Oui, mais ce ticket pourrait être délivré après inspection par des inspecteurs européens, liés au contrôle de l'Etat du port, c'est-à-dire que l'on pourrait constituer un petit corps en disant : tel armateur veut venir charger dans nos ports, son navire va être en cale sèche, nous allons envoyer quatre ou cinq inspecteurs pour contrôler son navire et, à l'issue de ce contrôle qui sera fait en même temps que la classe d'ailleurs, qui aura toujours son rôle à jouer...

M. le Président : Vous avez parlé d'inspecteurs européens. Cela veut dire que, dans votre esprit, il s'agirait d'un grand corps d'inspecteurs...

M. Philippe VINOT : Je voulais dire que, comme pour le contrôle des pêches, cela pourrait être organisé dans le cadre communautaire. Le navire doit venir en Europe...

M. le Rapporteur : Le Mémorandum n'est pas tout à fait aligné sur la communauté européenne.

M. Bernard DEFLESSELLES : Certains des pays qui y adhèrent, comme la Pologne, la Russie ou le Canada, ne sont en effet pas membres de l'Union européenne.

M. Gérard BEAUFILS : Je pense que ce serait bien, mais je suis toujours partisan du contrôle documentaire pour voir combien de temps la visite a duré, de combien a été l'escale. Si le navire est entré pour se faire repeindre la coque et que l'on nous dit que l'on a fait des réparations, je n'y crois pas.

M. Philippe VINOT : Nous en avons un exemple très précis. Un pétrolier s'est ouvert la coque il y a trois mois à Marseille. Il a été obligé de réparer. Je suis allé faire le contrôle et suis descendu dans la partie trouée avec l'inspecteur de la « classe ». Nous avons regardé ensemble et avons découvert que le navire avait été en arrêt technique six mois avant. La liste de réparations établie par l'inspecteur de la « classe » était largement au-delà de ce qu'aurait dû avoir un navire qui sortait de réparation à Singapour. Certaines réparations avaient été effectuées, c'est clair. Mais d'autres restaient à faire.

M. Bernard DEFLESSELLES : Le contrôle approfondi nécessite l'intervention de l'Etat du port plus celle de la société de classification ?

M. Philippe VINOT : Ce serait pas mal, mais cela ne se fait pas, sauf pour des cas particuliers comme celui dont je parlais.

M. Bernard DEFLESSELLES : Il n'y a pas de systématisme ?

M. Philippe VINOT : Non, parce que l'expert de la classe ne peut venir à bord que sur demande de l'armateur. Nous parlons là des navires étrangers. Sur les navires français, nous travaillons avec la société de classification chargée par l'armateur de contrôler le navire.

M. Christophe MASSE : Ma question initiale en ayant suscité de nombreuses autres, je la repose : y a-t-il des navires suspects ?

M. Philippe VINOT : Comment choisit-on un navire aujourd'hui ? Nous avons accès, via internet, à un serveur du port autonome de Marseille/Fos, sur lequel nous trouvons la liste des navires à quai et la liste des escales prévues. Souvent, nous travaillons sur la liste des navires à quai et, à partir de là, nous avons déjà les heures d'arrivée et les heures de départ, ce qui limite le champ d'investigation, car nous savons bien que nous n'aurons pas le temps de voir certains navires. Nous comparons ces informations avec celles des fichiers Equasis et Sirenac. Ensuite, nous recherchons si le navire est connu. S'il a été vu il y a moins de six mois sans déficience constatée, les règles du mémorandum font que nous n'y retournons pas. Une fois éliminés ces navires qui ont déjà été vus par des collègues des ports voisins, il nous reste une liste, plus ou moins longue selon les jours, pour laquelle nous sortons la fiche de tous les navires, qui nous donnera leur « target factor » -leur coefficient de ciblage-, c'est-à-dire que nous aurons le type du navire, son âge, son pavillon. Systématiquement, nous essayons d'engager le contrôle sur celui qui a le « target factor » le plus élevé.

Mais nous n'avons pas toujours des navires à coefficient de ciblage élevé. A coefficient égal, le choix s'opère en fonction des types de navires. Nous privilégions les tankers, tout en essayant de ne pas négliger les autres.

Enfin, ce sera une question de commodité : par exemple, si nous avons deux navires au même quai, nous verrons plutôt ces deux navires qu'un à un quai et un autre à un quai plus loin.

M. Christophe MASSE : Le contrôle est toujours un contrôle surprise ?

M. le Président : Voyez-vous aussi systématiquement les « sister ships » de navire ayant eu de gros pépins, comme l'Erika, par exemple ?

M. Gérard BEAUFILS : Oui, il y a des campagnes ciblées. Surtout après l'Erika, nous en avons fait une. Le Centre de contrôle de sécurité de Paris nous avait envoyé la liste des navires concernés.

M. Bernard DEFLESSELLES : Cela se fait pour les avions aussi.

M. le Président : Nous vous remercions. Et j'ai bien pris note, M. Lecomte, de ce que vous nous avez dit sur les 30% des gels.

M. Bernard DEFLESSELLES : C'est d'autant plus remarquable que, malgré ces 30% de gels, vous parvenez à 30% de visites.

M. Bernard LECOMTE : Les gels commencent juste à produire leurs effets

M. Gérard BEAUFILS : Avant, nous allions faire les visites à deux ; maintenant, nous les faisons seuls. La commission se réduit à une seule personne. Au point de vue de la responsabilité, nous ne savons pas ce qu'il en est.

Audition conjointe de MM. Eric BRASSART et Joseph MOYSAN,
Directeur général et Commandant du Port autonome de Marseille


(extrait du procès-verbal de la séance du 15 avril 2003 -
Marseille)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

MM. Brassart et Moysan sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Brassart et Moysan prêtent serment.

M. le Président : M.le directeur général, vous avez la parole.

M. Eric BRASSART : M. le Président, le sujet est vaste et comme vous l'avez abordé déjà un peu lors de la visite du port, notre idée avec le commandant était plutôt de vous résumer ce qui a été dit à bâtons rompus lors de la visite.

M. le Président : Si vous le préférez, nous pouvons vous poser des questions. Elles sont relativement courtes et portent un peu sur tout, éclairés que nous sommes par la visite que le commandant Moysan nous a fait faire aujourd'hui.

Concernant le port de Fos, y a-t-il une problématique spécifique du transport pétrolier sur l'étang de Berre ?

Quelles sont les modalités de gestion et de traitement des résidus pour éviter, en particulier, les déballastages sauvages ? Quelles sont notamment les capacités d'accueil, les files d'attente, le flux effectif par rapport aux navires entrants ou sortants ?

Qu'en est-il du financement de ces prestations : taxe portuaire ; financement à la prestation ; concurrence avec d'autres ports voisins en France ou à l'étranger ?

Quels investissements ou équipements seraient nécessaires en cas d'utilisation du port en tant que lieu-refuge ? L'idée même de votre site en tant que lieu de refuge a été évoquée. Comment pourriez-vous y faire face ?

De quel matériel de lutte disposez-vous contre les pollutions dans le port ? Nous avons vu cela cet après-midi, mais si vous avez des renseignements complémentaires, commandant Moysan, nous les entendrons.

Enfin, quels instruments sont utilisés pour connaître, avec une certaine anticipation, la qualité et l'état des navires entrant dans le port ? Cela rejoint le problème des bases de données, des fichiers : lesquels utilisez-vous ?

Ce sont des questions très techniques, mais elles permettent de lancer le débat et, ensuite, le rapporteur ainsi que mes collègues formuleront leurs questions respectives.

M. Eric BRASSART : Comme vous le savez, M.le Président et messieurs les députés, la sécurité est un pouvoir partagé dans les ports autonomes, le code des ports ayant attribué des fonctions propres aux commandants des ports, notamment celle d'assurer la police de la circulation des bateaux et la sécurité des installations portuaires.

Nous sommes sur des sujets qui relèvent, pour partie, de la compétence du commandant du port dans ses fonctions de commandant et, pour partie, du conseil d'administration puisqu'il convient d'avoir son accord quand il s'agit d'investissements et de financements, non pas que ce soit une compétence du conseil d'administration en propre, mais tout simplement parce qu'il faut faire voter des budgets et que, ces derniers étant soumis au vote du conseil d'administration, il faut s'assurer de son accord.

Pour mémoire, avant d'aborder les différents sujets que vous avez évoqués, je vous indique la composition du conseil d'administration du port. Il est composé de 27 membres, parmi lesquels trois représentants de l'Etat, un grand nombre de professionnels qui sont globalement majoritaires, cinq élus représentant les différentes collectivités territoriales concernées et six représentants du monde salarié -un docker et cinq pour le port autonome. Tout ceci pour dire que la situation n'est pas simple quand il s'agit de faire voter des mesures de financements en matière de sécurité.

Nous sommes actuellement en plein débat à ce sujet dans le port de Marseille. Nous avons éprouvé des difficultés à faire voter les investissements nécessaires au financement d'équipements de sécurité. Notre organisation actuelle bicéphale, avec un conseil d'administration où les professionnels sont majoritaires, ne facilite pas la mise en œuvre d'une politique de sécurité portuaire. En effet, certains n'ont pas intérêt à ce qu'il y ait plus de mesures de sécurité, d'autres ont intérêt à ce qu'il y en ait plus mais surtout pas à ce que les professionnels ou d'autres payent, d'autres encore n'ont pas intérêt à ce que les pollueurs payent parce que, parfois, ils représentent une activité polluante. Donc, au total, la représentation de l'Etat, qui est archi-minoritaire puisqu'elle est de trois représentants sur vingt-sept, a du mal à faire valoir ses arguments, en faveur de la sécurité.

Nous pourrons revenir en fin d'audition sur cette question qui mérite, je pense, votre attention.

Pour reprendre les points que vous avez évoqués, nous pourrions peut-être aller très vite sur l'étang de Berre, puisque le commandant vous en a parlé et vous rappeler simplement notre approche du problème. De même pour ce qui est de votre question à propos des résidus, pour laquelle le commandant dira quelques mots également avant de revenir aux autres points que vous avez évoqués, qui me concernent davantage.

M. Joseph Moysan : Pour l'étang de Berre, comme je vous le disais cet après-midi, suite à l'accident de l'Erika, mais surtout du Ievoli Sun, M. Lombard, maire de Martigues, nous a sensibilisés au problème que pose pour sa ville la circulation d'un certain nombre de navires qui passent pour rejoindre le port de Shell-Berre. Pour l'année 2002, ce sont 336 navires avec environ 316 000 tonnes de produits raffinés, de produits chimiques et de gaz qui sont entrés ou sortis du port de la Pointe (Shell Berre) dans l'Etang de Berre.

A la suite de ces discussions, le maire a également saisi le préfet et nous avons monté un groupe de travail sous l'égide du sous-préfet d'Istres pour travailler sur cette problématique.

Les mesures que nous avons prises, en accord avec les pétroliers, ont consisté à ce que tout navire qui entre ou sort de l'étang de Berre par le Canal de Caronte, soit équipé au minimum de deux moteurs de barres et de deux radars, en état de fonctionnement ; à ce que tout navire transporteur de gaz de plus de 100 mètres soit assisté d'un remorqueur, et pour les longueurs inférieures d'un propulseur d'étrave. Dans le cas contraire, un remorqueur l'assistera. Pour les navires pétroliers et chimiquiers, entre 120 et 130 mètres, et dans tous les cas au-delà de 130 mètres, est prévu au remorqueur au minimum si le navire n'est pas équipé d'un propulseur d'étrave en état et des éléments concernant les deux moteurs de barre et les radars.

Le problème qui se pose est celui de la sécurité dans la ville, c'est-à-dire le pertuis dans la ville de Martigues, juste avant de passer le pont. C'est là le passage le plus crucial : si un accident se produisait à cet endroit, il faudrait faire partir le navire le plus vite possible, par un bout ou l'autre suivant qu'il est en montée ou en descente dans le canal de Caronte.

Telle est donc la situation actuelle. Ces mesures, nous les appliquons pour ce qui est des mouvements de navires. Nous avions proposé de réduire le nombre d'ouvertures à trois : une très tôt le matin, une en milieu d'après-midi et une le soir. Pour l'instant, cette proposition n'a pas été entérinée puisqu'elle doit l'être par arrêté préfectoral. Elle est toujours en discussion avec le maire de Martigues.

Reste à traiter le problème des plaisanciers qui, aujourd'hui, n'est pas facile à gérer puisqu'on ne pourrait pas limiter leur passage aux trois plages horaires précédemment évoquées. Un nouveau groupe de travail, animé par M. Godinot, un ancien de la mairie de Martigues et président des ports de plaisance de la Méditerranée, gère actuellement ce dossier et devrait nous donner ses conclusions. Nous devrions arriver à une modification de l'arrêté préfectoral pour réguler le passage des navires.

M. Eric BRASSART : La question de la sécurité dans le passage de Caronte était au début assez conflictuelle mais aujourd'hui les rapports avec la mairie de Martigues se sont sensiblement améliorés.

M. Joseph Moysan : Nous avons fait une étude de danger du passage des navires dans le canal de Caronte par rapport à la ville de Martigues. Cette étude, faite par un bureau d'études externe, nous est parvenue cette semaine. Nous allons la rendre au groupe de travail dans les jours qui viennent.

M. Christophe MASSE : Vous parlez de Berre, mais il s'agit de Martigues, en fait ?

M. Joseph MOYSAN : Oui, c'est l'étang de Berre, mais il s'agit du passage de Martigues, du canal de Caronte, de l'entrée de Port-de-bouc et de l'entrée de l'étang de Berre.

M. Eric BRASSART : Qui, pour l'essentiel, est sur le territoire de la commune de Martigues puisque, sur la rive nord, on a pendant peu de temps Port-de-Bouc et Martigues et, sur la rive sud, Martigues. Cela explique que le maire de Martigues y soit particulièrement sensible.

M. Joseph MOYSAN : J'attire votre attention sur une particularité du statut de l'étang de Berre qui vous sera peut-être exposée demain lors des discussions avec la préfecture maritime. Les limites administratives du port prennent une partie de l'étang de Berre, à savoir le triangle « ville de Martigues - Port de la Pointe - la Mède », le reste étant du domaine du préfet maritime, puisqu'il s'agit, en fait, d'un étang d'eau salée.

Dans le cadre des plans d'urgence, les attributions respectives du préfet maritime et du préfet terrestre ont été précisées pour l'organisation des secours si un plan POLMAR ou autre était déclenché sur l'étang de Berre. Mais sur cette partie, le port est sous compétence préfectorale. C'est vraiment une particularité de l'étang de Berre.

Pour ce qui est du traitement des déchets, cet après-midi, nous vous avons présenté nos stations de déballastage, celle de Lavéra et celle de Fos. Pour vous donner rapidement quelques chiffres, la station de déballastage de Fos a reçu 118 navires, pour l'année 2002, pour un total de 84 000 mètres cubes et la station de Lavéra, presque 96 000 mètres cubes pour 286 navires.

M. le Président : Sur combien de navires ?

M. Joseph MOYSAN : A Lavéra, nous avons reçu 1220 navires pour 11,5 millions de tonnes ; à Fos, 743 navires pour 47 millions de tonnes.

M. le Président : Combien représentent en pourcentage, les navires qui ont déballasté ?

M. Joseph MOYSAN : Pas grand-chose : 444 navires pour presque 2000 escales. Ce n'est pas énorme.

Ce n'est pas énorme, mais pour reprendre ce que je disais cet après-midi, à savoir que nos installations sont avant tout des installations de réception, c'est-à-dire que, par rapport au tonnage de brut, nous avons un gros tonnage d'import. Les navires n'ont donc pas de raison de déballaster, en dehors des eaux de cale et des eaux de machine qu'ils peuvent être amenés à déballaster, mais, dans ce cas, elles ne sont pas déballastées dans nos installations mais sont envoyées dans un centre spécialisé pour traitement car elles peuvent contenir des produits détergents.

C'est d'ailleurs un des problèmes de ces stations : pendant des années nous recevions tous les produits et, un jour, nous nous sommes retrouvés avec un gros bouchon dans notre station de Fos qui ne permettait plus la décantation et, depuis, la DRIRE nous a imposé de durcir les normes pour la réception des produits et nous sommes soumis au contrôle sur nos rejets.

M. le Président : Donc, ceux-là, ils déballastent en mer ?!

M. Joseph MOYSAN : Il existe ici trois ou quatre sociétés qui sont aujourd'hui sur le marché des déchets liquides.

Dans le cadre de la directive sur les déchets, nous avons lancé des appels d'offres et huit à dix sociétés ont répondu -pas toutes sur les mêmes créneaux- pour les déchets solides, les déchets ménagers, les déchets liquides.

M. Eric BRASSART : Il s'agit de la mise en œuvre de la directive européenne sur les déchets qui doit être transcrite en droit français d'ici fin juin et doit être, en principe, opérationnelle dans tous les ports au 1er juillet.

M. Joseph MOYSAN : Dans ce domaine, la politique choisie est de laisser la libre concurrence agir entre les entreprises prestataires sur la place, en dehors de l'aspect déballastage que l'on met à part puisqu'il s'agit d'une station publique pilotée par le port. Nous aurons du mal à vous donner le détail des coûts de fonctionnement de la station de déballastage, car ils ne sont pas isolés par rapport aux autres coûts des prestations fournies par les installations pétrolières du P.A.M.. Par contre, nous pourrons vous donner les coûts de déballastage qui sont négligeables par rapport aux coûts de fonctionnement.

Toutes les entreprises qui ont répondu recevront un agrément pour pouvoir fournir la prestation. Derrière cela, nous appliquerons la directive avec le système déclaratif pour le navire et nous imposerons aux sociétés qui vont fournir la prestation d'être connectées à notre système informatique de façon à ce qu'elles nous envoient les tonnages de déchets débarqués dans chaque catégorie pour que nous puissions faire un rapprochement avec le déclaratif. Au vu de ce déclaratif, nous déciderons si nous taxons ou pas.

M. le Président : Vous avez l'impression d'être en avance par rapport à vos collègues des autres ports européens ?

M. Eric BRASSART : Nous sommes en avance sur ce sujet par rapport à eux, mais aussi par rapport aux autres ports français parce que nous avons traité le problème, grâce au commandant, dès que l'Europe s'en est saisie sans attendre la transcription de la directive européenne en droit interne, ce qui prend dix-huit mois. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs nous avons pris tout le temps de faire cet appel d'offre pour avoir des prestataires sur chaque créneau d'élimination des déchets. A notre heureuse surprise -nous n'en espérions pas tant- nous avons reçu des réponses dans tous les domaines, ce qui nous permet de couvrir la totalité de la gamme d'élimination des déchets possibles dans un contexte qui est, économiquement, responsable, c'est-à-dire que ce n'est pas le port autonome qui intervient mais les prestataires privés dans des conditions agrées et contrôlées.

En ce qui concerne la taxation, contrairement à nos collègues -mais Le Havre vient de changer de position-, notre idée consiste à dire que c'est le pollueur qui paie, c'est-à-dire que l'on fait payer quelque chose qui ressemble à une caution, comme dans les ports du Nord, mais le droit français n'avait pas à faire la même chose que les port de Belgique. Ne paient que ceux qui sont susceptibles d'utiliser l'installation, alors qu'à Nantes, le port autonome assure directement les opérations de traitement et prélève un droit de port. C'est un système de mutualisation du financement qui, de notre point de vue, n'est pas vertueux. A notre avis, il est plus vertueux de faire payer ceux qui ne font pas d'effort pour avoir une flotte répondant aux exigences environnementales modernes.

Par rapport aux autres ports français, nous sommes donc légèrement en avance mais, fort heureusement, nos collègues nous rattrapent et je pense que la plupart seront à jour de la mise en œuvre de la réglementation au 1er juillet, d'après ce que j'ai entendu lors de la réunion mensuelle des directeurs de port.

Par rapport à Gênes et à Barcelone, nous sommes également un peu en avance. Ce sont à la fois des amis, des collègues et des concurrents. Nous avons une association, appelée Intermed, des trois autorités portuaires -Gênes, Barcelone et Marseille-Fos- dans laquelle nous essayons de mettre en commun ce que nous pouvons. Nous mettons en commun le « lobbying » à l'égard des instances européennes, et notre réflexion sur la sécurité et la sûreté.

Sur ces thèmes, nous ne sommes pas allés très loin dans nos échanges, ce qui me laisse à penser que nos collègues de Barcelone et Gênes sont sensiblement moins avancés que nous. C'est d'ailleurs clair quand on voit que leurs gouvernements se sont apparemment moins préoccupés que le nôtre de respecter les délais pour transcrire en droit interne la directive européenne. Nous sommes manifestement, pour l'instant, plus « propres » que nos collègues de Méditerranée.

M. le Président : Ce décret doit-il sortir bientôt ?

M. Eric BRASSART : Oui, sous peu. D'après le rapporteur du Conseil d'Etat, qui est administrateur du port de Marseille, tout va bien. On peut donc supposer que le décret sortira dans le courant du mois de mai.

M. le Président : Vous savez, nous devons être précis...

M. Eric BRASSART : Vous avez raison, il ne faut croire que ce que l'on peut toucher. Mais, en l'occurrence, le rapporteur du Conseil d'Etat nous a dit que, selon lui, cette affaire serait manifestement terminée courant mai.

M. Joseph MOYSAN : Pour en finir avec les problèmes de déballastage, par rapport à votre dernière visite, la tarification a évolué. Avant, elle était de 94 centimes du mètre cube, ce qui ne voulait pas dire grand-chose par rapport à nos coûts. Aujourd'hui, nous avons un forfait à 200 euros pour 200 mètres cubes par opération ; puis une tarification de 0,07 euro au mètre cube supplémentaire du 201ème au 500ème mètre cube, de 0,17 du 501ème à 2000ème mètre cube et, à partir de 2000 mètres cubes, c'est 0,20 euro le mètre cube.

M. le Rapporteur : Pourrez-vous nous fournir les tarifs ?

M. Joseph MOYSAN : Nous vous donnerons les tarifs et statistiques.

M. Eric BRASSART : Ils sont sensiblement inférieurs à ceux des autres ports de Méditerranée.. Devrions-nous augmenter les tarifs du déballastage ? C'est une question à laquelle je n'ai pas de réponse parce que nous sommes moins chers que les ports voisins de Méditerranée. Il n'y a donc aucune raison de ne pas gagner plus d'argent sur une activité pour laquelle, pour être sincère, je ne dispose pas d'une décomposition précise des coûts de revient, car nous n'avons pas une comptabilité analytique permettant de cerner aussi finement sur une activité comme celle-là, parce qu'il faut affecter une partie du personnel, etc. Je pourrais vous dire quelque chose, mais ce serait faux... Je préfère donc vous dire que je ne sais pas. Il est clair cependant que nous ne devons pas gagner d'argent sur cette activité, nous devons même être plutôt en léger déficit. Il serait donc normal de penser qu'il serait bon d'augmenter les tarifs mais le déballastage représente des recettes très marginales et si nous augmentons les tarifs, nous risquons de décourager certains usagers de la station de venir. En conséquence, cela risque d'encourager la pollution et celle-ci coûte bien plus cher, y compris en moyens du port, lorsqu'elle se produit.

Après réflexion, nous nous sommes dits que la perte d'image à l'idée de dire que l'on faisait payer plus cher pour ces installations serait, au bout du compte, assez négative et le gain en recette tout à fait marginal, voire hypothétique si nous découragions les clients. Donc, nous maintenons les tarifs de déballastage actuels, qui sont manifestement bas.

M. Joseph MOYSAN : Il faut préciser que nous allons devoir engager des travaux lourds de remise en état des deux stations de déballastage, qui ont été évalués à près de 7 millions d'euros, dans les années qui viennent, avec une programmation de ces travaux sur quatre ans pour les remettre à niveau, prévoir des bacs de rétention et revoir totalement la station de Lavéra qui est aujourd'hui totalement surcapacitaire et n'est pas aux normes. Nous avons un travail de fond à faire pour remettre tout cela aux normes, parce que ces stations sont soumises à un arrêté d'exploitation préfectoral. La DRIRE nous impose aujourd'hui un certain nombre de contrôles et de mesures de sécurité. Tout cela devra être revu dans les années qui viennent.

Pour ce qui est du traitement des déchets, nous n'avons pas aujourd'hui de statistiques fiables à vous donner au plan des tonnages débarqués portant sur les autres déchets.

Par contre, pour la revalorisation des déballastages des eaux hydrocarburées des stations de déballastage par la société de RTDH, 8 200 tonnes de produit ont été revalorisées en 2002.

Voilà ce que je peux vous dire à propos des déchets. Toutes les filières existent, tant celles de récupération en amont que, en aval, celles de retraitement et de destruction. Le seul problème que nous rencontrons concerne les déchets chlorés. Ceux-ci ne pouvant pas être traités localement, il faut les amener jusqu'à Saint-Auban pour les détruire. Il y a là un coût non négligeable, hors coût du transport, qui peut varier de 1500 à 5500 francs le mètre cube, selon le taux de chlore contenu dans le déchet.

M. le Président : Si 70 000 tonnes d'hydrocarbures se répandent au large, êtes-vous capables de tout traiter ?

M. Joseph MOYSAN : Deux cas de figure s'offrent à nous. S'il s'agit de pétrole récupéré en mer ou proche de la côté sans être mélangé au sable ou autre, nous serons capables de le traiter. La station de déballastage peut le faire dès lors qu'il n'y a pas de produit chimique à l'intérieur. Le temps de le récupérer, ce qui ne se fera pas en un jour si cela se passe comme dans les pollutions marines que nous avons connues, compte tenu du taux de traitement, je pense que nous serons capable de traiter et stocker. Nous devrions pouvoir y arriver, avec la lagune.

Par contre, si ce sont des déchets, comme ceux que vous avez connus dans l'affaire de l'Erika ou du Prestige, notamment mélangés à du sable, nous ne pouvons pas les traiter. Vous connaissez le problème mieux que moi pour l'avoir suivi de près, ces déchets sont traités à Donges par criblage.

Donc, récupérer et traiter les effluents, les remettre en station de déballastage pour les recycler, nous pouvons le faire. Participer à la récupération du fioul sur les plans d'eau, qui pourrait être retraité dans nos stations, nous pouvons le faire. Par contre, nous ne savons pas traiter le sable. Le port n'a pas vocation à faire ce genre d'activités.

M. le Président : Il n'existe pas de station, dans les environs, capable de faire ce que l'on fait à Donges ?

M. Joseph MOYSAN : A ma connaissance, non. Celle de Donges a été conçue spécifiquement pour cela.

M. le Rapporteur : J'ai vu un reportage sur une usine qui traite des déchets du Prestige.

M. Eric BRASSART : C'est l'usine Merex.

M. Joseph MOYSAN : Mais l'usine Merex brûle les résidus.

M. Eric BRASSART : Elle intervient à un stade ultime, si vous voulez. Elle ne reçoit pas les déchets qui n'ont pas subi une première transformation.

M. Joseph MOYSAN : Face à une telle catastrophe, nous serions amenés à réaliser le même type d'installation que celle de Donges. Il faudrait envisager, je ne sais pas où, cela demanderait au départ une décision du préfet, de constituer une zone de stockage étanche pour ces produits et, ensuite, de les retraiter tout doucement pour pouvoir les éliminer. Il n'y a pas de solution-miracle.

Ce qui a été envisagé dans le plan POLMAR ce serait d'utiliser éventuellement, en catastrophe, la lagune de Fos. Il est prévu dans le plan POLMAR de stocker dans la lagune...

M. le Président : C'est une décision qui ne serait pas facile à prendre.

M. le Rapporteur : Le pétrole serait entreposé dans la lagune ?

M. Joseph MOYSAN : En catastrophe et si l'on n'avait pas d'autre solution...

M. le Président : Comme élément de stockage ?

M. Joseph MOYSAN : Cela ne paraît pas une bonne solution, sauf en urgence, en attendant d'être capable de stocker ailleurs, comme cela a été fait à Donges...

M. le Président : Est-elle étanche cette lagune ?

M. Joseph MOYSAN : Oui, elle est bétonnée.

M. Eric BRASSART : Pour ce qui est du financement de ces prestations, pour la partie traitement de déchets, je vous ai dit comment nous faisons.

Pour la partie déballastage, nous avons parlé des prix. Globalement, on voit bien que toutes ces activités nécessitent un prix de taxation relativement élevé mais, globalement, derrière, il y a toute une activité importante qui relève du fonctionnement normal d'un grand port : toute la partie qui est prise en charge par la capitainerie et les différentes directions du port. Tout cela n'est pas facturé directement mais est naturellement pris en compte dans le système de recettes mutuelles que représentent les droits de port.

Sur l'activité susceptible d'apporter plus de pollution que les autres, c'est-à-dire celle du trafic pétrolier et chimique, nous avons une position concurrentielle qui est en principe la plus forte en Europe. Le seul port qui soit aussi compétitif que nous est celui de Trieste. Les autres sont sensiblement plus cher : cela varie de quelques centimes d'euros à la tonne pour Rotterdam, jusqu'à 12 euros de plus par tonne. Les ports français pratiquent des tarifs supérieurs de 0,3 à 0,5 euro la tonne pour Dunkerque, Le Havre et Nantes ; Barcelone et Gènes, qui connaissent très peu de trafic de cette nature à part les quelques millions de tonnes liés à la consommation locale, sont de l'ordre de 0,3 à 0,2 euro la tonne plus chers que nous.

Le seul port qui pratique des prix comparables à nous est Trieste pour la simple raison que la seule vraie compétition en matière de port pétrolier en Europe gérant de gros volumes est l'alimentation de l'Allemagne du Sud qui peut se faire soit par Trieste, soit par Rotterdam. Mais, pour ce dernier, il n'y a pas les pipelines nécessaires, du moins, ceux-ci sont destinés à d'autres dessertes. Donc, les deux grands ports en compétition sont Fos et Trieste. L'effet de la compétition est simple et explique que nos droits de port sont plus bas.

En termes de qualité, nous ne sommes plus, je pense, mais nous avons été à partir de 1999, le seul port totalement certifié ISO 9002 pour l'ensemble des professions concourant au débarquement des produits pétroliers et chimiques, c'est-à-dire avec une certification pour le remorquage et l'amarrage, pour la capitainerie du port et pour les services d'exploitation du port autonome.

Contrairement à d'autres ports français qui, n'ayant qu'une seule raffinerie à desservir, la font « venir sur le quai », nous desservons une multitude de raffineries, dont certaines très lointaines, avec une société comme la SPSE, qui gère des oléoducs pour le compte des raffineurs. Nous allons donc loin à terre avec des oléoducs et des installations qui sont propriétés du port autonome. Cela fait que la certification ISO 9002 est pour nous très importante, puisque nous sommes un maillon essentiel, y compris des risques de pollution.

Le port de Trieste n'a pas notre niveau de qualité, ni nos niveaux de certification. Par contre, il bénéficie, c'est connu, d'une facturation plus avantageuse de la part de la société qui gère l'oléoduc qui va en Allemagne, pour des raisons de stratégie d'un groupe pétrolier qui y a intérêt. La concurrence n'est pas simple à affronter puisque nous sommes obligés de nous battre sur les prix alors que rien n'impose la compétition sur la qualité. Nous n'avons pas les moyens de faire payer la politique de qualité que nous menons.

M. le Président : Le port de Trieste serait-il capable de faire face aux exigences européennes de la même façon que vous vous y êtes préparés ?

M. Eric BRASSART : On peut penser que, pour faire face aux exigences européennes, ils perdraient un peu de trafic, ce qui devrait faire notre affaire.

M. le Président : C'est bien ce que je pensais.

M. Eric BRASSART : On peut remarquer qu'il y a deux ans, le gouvernement italien précédent avait failli prendre des mesures concernant la fréquentation des simple-coques dans les ports italiens. Puis, en raison d'une période électorale, ces mesures n'ont pas été prises. Mais nous nous apprêtions à avoir un report de trafic relativement intéressant sur Fos, non pas en bateaux à simple coque mais tout simplement parce que la situation aurait profondément perturbé les conditions d'exploitation à Trieste, les exigences sur mer appelant des exigences à terre qui n'auraient pas pu être remplies.

Nous sommes attachés à ce que notre place portuaire soit forte, et Marseille est la première de France. C'est aussi, de très loin, la première place maritime. Nous sommes attachés à ce que celle-ci soit de plus en plus forte, ce qui suppose que toutes les professions vivent bien et qu'il y ait beaucoup de trafic. C'est la raison pour laquelle nous maintenons ce positionnement concurrentiel assez agressif en qualité -c'est normal- et en prix.

Dans nos comptes analytiques, nous continuons à gagner de l'argent grâce au trafic pétrolier. En fait, tous les ports gagnent de l'argent par le trafic pétrolier. Nous en gagnons bien moins, toutes proportions gardées, que d'autres, y compris français, mais, d'un autre côté, la directive européenne sur la transparence financière des grands établissements publics finira bien par être appliquée et, ce jour-là, il vaudra mieux être dans la position du port de Marseille que dans celle des autres ports français.

Je ne sais si je vous ai répondu. Il est vrai que, dans le domaine pétrolier, il est normal que les mesures de sécurité actuelles soient, d'une façon ou d'une autre, prises en charge par le système portuaire.

M. Louis GUÉDON : La concurrence avec Trieste vous laisse-t-elle serein ou vous inquiète-t-elle ?

M. Eric BRASSART : Vous répondre, M. le député, suppose que l'on se fonde sur différents points de vue.

M. Louis GUÉDON : Sur le plan social, sommes-nous en difficulté par rapport à eux ? Sur le plan des installations à construire, sur le plan des équipements à venir...

M. Eric BRASSART : Ce qui est sûr, c'est que le système de financement du port fait que les bénéfices réalisés sur le pétrole ont, pendant de très nombreuses années, servi à couvrir certains déficits, liés à des activités comme la réparation navale, par exemple, qui représente un déficit très important pour le port autonome de l'ordre de plusieurs millions d'euros -et avant, c'était encore pire- ou telles que, dans le domaine des marchandises, le trafic de vrac solide, qui est aussi déficitaire mais qu'il faut maintenir à tout prix sous peine de voir fermer l'usine Pechiney, par exemple.

Je cite là les deux plus gros déficits sectoriels du port autonome. Il s'agit de la réparation navale et du trafic minéralier. Ce sont des millions d'euros par an qu'il faut financer parce que, sinon, c'est l'emploi portuaire qui est en jeu et la priorité de la filière maritime qui est en cause.

M. le Rapporteur : Par quoi est financé ce système ?

M. Eric BRASSART : Il est financé par le bénéfice que nous faisons sur deux secteurs : la zone industrielle et les trafics pétroliers. Cela a très bien marché pendant toute une période, tant que les installations étaient récentes et qu'il n'y avait pas à les rénover ou à les mettre à un niveau de sécurité plus élevé, comme celui que l'on nous demande aujourd'hui. Cette situation a, hélas, trouvé son terme il y a quelques années.

Quand j'ai pris mes fonctions il y a un peu plus de cinq ans, j'ai été extrêmement étonné de la manière dont les conditions de sécurité étaient mises en œuvre sur l'ensemble du port, mais tout particulièrement sur le secteur chimique -moins pour le secteur pétrolier. J'ai donc fait auditer la situation et j'ai constaté que nous atteignions l'extrême limite d'une situation consistant à ne pas renouveler ou à ne pas remettre à neuf des matériels, à une époque où le débat sur la sécurité maritime et la pollution était moins vif qu'aujourd'hui.

Une fois évaluée la remise à niveau des installations, nous nous sommes lancés. Le conseil d'administration a voté, avec l'accord de la tutelle, un programme d'investissement considérable qui fait qu'actuellement, la part de bénéfice que l'on tire du pétrole et que l'on peut utiliser pour d'autres activités est faible. Cela me conduit parfois à me retourner vers ces dernières pour leur dire que la situation qu'on leur a faite pendant quinze ou vingt ans était certes très bien, mais qu'il faut qu'elles sachent que la situation devient difficile partout et que vivre sur le dos des voisins a un terme, qui est aujourd'hui tout proche.

M. Christophe MASSE : Je voudrais revenir sur la sécurité parce que j'ai été surpris, agréablement pour ce qui vous concerne mais, dans la vision d'ensemble, par le manque de réactivité que l'on risquerait d'avoir en cas de problème type Erika, Prestige ou plus généralement de marée noire, que nous n'avons jamais rencontré en Méditerranée -et c'est tant mieux- mais que nous pourrions un jour subir car le trafic en Méditerranée est intense, avec des passages délicats.

Je pense qu'à l'heure actuelle, nous ne sommes pas prêts. Nous avons visité les installations du port autonomes qui sont, géographiquement, très limitées comparées à tout le littoral méditerranéen mais qui, apparemment, permettraient de répondre aux problématiques posées en cas de marée noire -limitées, bien sûr, parce qu'elles ne concernent que votre espace.

J'aimerais donc savoir si les services du sécurité du port autonome font partie, sous l'égide du préfet, du plan POLMAR, et si vous avez déjà été contactés par le préfet maritime ou le préfet de zone en vue d'une éventuelle collaboration en cas de pollution ?

M. Eric BRASSART : Je demanderais à M. Moysan de répondre. Pour ma part, je ne sais pas si je peux me permettre de moduler ce qui vient d'être dit. Je pense que nous sommes prêts, mais sur des cas où le courant est limité. S'il devait y avoir une pollution du type Prestige avec une mauvaise maîtrise au départ aboutissant à des conséquences analogues à celles que l'on a pu voir, il y aurait, comme le disait le commandant, quelques éléments dans la chaîne de traitement sur lesquels nous ne sommes pas prêts. Ce n'est pas de la compétence du port autonome, mais il est vrai qu'il y a un certain nombre d'efforts à faire.

Nous avons à plusieurs reprises attiré l'attention du gouvernement et du ministre sur le fait que la situation actuelle de la France fait que nous ne sommes pas capables de faire face à un problème en même temps sur l'Atlantique et la Méditerranée, puisque chaque fois que nous en avons un sur l'Atlantique, nous nous départissons de nos matériels, ceux du port autonome et ceux du service des Affaires maritimes, pour les envoyer sur l'Atlantique. C'est la solidarité la plus élémentaire et je suis très satisfait de constater que nous avons répondu à chaque fois les premiers. Mais, en même temps, nous nous dépouillons de nos propres matériels et, en cas de pollution non marginale concomitante en Méditerranée, nous rencontrerions quelques difficultés. Si tout va bien sur l'Atlantique, nous sommes à peu près en situation de faire face à quelque chose qui se passerait en Méditerranée dans le ressort français. Mais nous pouvons aussi être victimes d'un accident se produisant dans un autre ressort, pas loin.

M. le Président : Donc, on n'aurait pas tiré les leçons du passé ?

M. Eric BRASSART : Je ne peux pas me permettre de dire cela. Le dire est déjà chercher des responsabilités.

Le niveau d'exigence en matière de sécurité s'est accru, secteur par secteur. Dans le port de Marseille, nous montons le niveau d'exigence en matière de sécurité et accroissons nos capacités. D'autres services le font aussi à côté ; c'est le cas des Affaires maritimes, par exemple. De là à dire que tout cela correspond à une stratégie d'ensemble permettant d'affirmer que la France est capable de traiter un grave accident sur la Méditerranée et l'Atlantique, je crois que ce n'est pas le cas. Ou alors, j'ai été mal informé.

M. Christophe MASSE : On peut même avoir des doutes sur notre capacité de réponse en Méditerranée. Sur l'Atlantique, ils ont eu deux expériences tristement célèbres qui leur permettent, excusez-moi, président, d'être réactifs mais, avec ce que nous entendons depuis quelques heures, je me demande s'il existe une cohésion d'ensemble ?

M. Eric BRASSART : Je ne sais pas si l'on peut dire cela. Il est probable que personne ne l'a vérifié.

M. Louis GUÉDON : Ce qui est plus grave, c'est que la Méditerranée est une mer fermée...

M. Eric BRASSART : C'est cela le problème.

M. Louis GUÉDON : ...et quels que soit les efforts considérables de la France, il n'est pas certain que l'Espagne et l'Italie suivent. Nous l'avons bien vu avec le Prestige. Pour autant, ces pays ont un trafic pétrolier qui se passe dans la même « baignoire », et tous subiraient la même pollution.

M. Eric BRASSART : Si vous me permettez, M. le député, ce n'est pas tant nos voisins italiens qui m'inquiètent ni même nos voisins espagnols qui viennent d'être précipités, si l'on peut dire, dans l'obligation de monter leur niveau de lutte contre la pollution, que ce qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée parce que là, l'état de la flotte...

M. Louis GUÉDON : En Grèce ?

M. Eric BRASSART : En Grèce, mais je pensais aussi à certains pays maghrébins, où la situation est parfois tout aussi inquiétante. Si certaines choses fonctionnent bien, il en est d'autres sur lesquelles on peut se poser des questions. La Méditerranée est une « baignoire », vous l'avez dit, ce qui se passe en Espagne est une chose, mais je suis bien plus soucieux de ce qui se passe en Turquie, en Grèce et, surtout, au Maghreb.

M. Louis GUÉDON : Leur trafic pétrolier est significatif.

M. Eric BRASSART : Il n'est pas négligeable, mais si je puis me permettre de parler en mathématicien, c'est l'espérance mathématique du risque qui m'inquiète. Ce n'est pas l'occurrence du risque, mais son espérance mathématique multipliée par l'occurrence.

M. Joseph MOYSAN : M. Masse, votre question soulève, en fait, deux problèmes.

Il y a, tout d'abord, la problématique du port elle-même. Pour répondre aussi à une question de M. le Président, nous disposons pour faire face à nos problématiques portuaires, de moyens propres au port autonome, comme je vous le disais cet après-midi, à savoir environ 4 000 mètres de barrages de trois types -du 323, 333 et du TNB. C'est le matériel que vous avez vu, ou partiellement vu, lors de notre visite de la caserne des marins-pompiers.

Ensuite, pour ce qui est du plan POLMAR, il y a deux réponses. Premièrement, le port autonome, en tant qu'établissement public, deviendrait un prestataire de services et pourrait être réquisitionné par le préfet qui demanderait que les moyens portuaires soient mis à disposition et que le port effectue un certain nombre d'opérations.

Le directeur général et moi-même, compte tenu de nos fonctions d'Etat, à double titre pour le directeur puisqu'il est à la fois chef du service maritime et directeur d'établissement public et, pour ma part, en tant que commandant du port, faisons tous deux partie de la cellule de crise de la préfecture. En cas de sinistre grave, nous avons ici une cellule port représentée par le directeur, ou par moi lorsque celui-ci ne peut être présent. Nous sommes donc présents dans toutes les cellules du plan POLMAR, plan sinistre ou autre. Nous apporterions l'expérience qui est la nôtre aujourd'hui en matière de lutte antipollution. Nous participerions, ainsi que de certains ingénieurs du port, au titre de nos fonctions d'Etat. Cela fait partie du plan POLMAR. Je suis donc un peu moins pessimiste.

M. Eric BRASSART : Chaque année, tout de même, un exercice est réalisé.

M. le Président : Un exercice port ?

M. Eric BRASSART : Une manœuvre port.

M. le Président : Et les exercices du plan POLMAR ?

M. Joseph MOYSAN : Il y en a eu un l'année dernière ou l'année précédente sur le site. Il y en aura un en octobre sur Toulon.

M. le Président : Mais jusqu'à maintenant, chaque année, cela se passe sur votre site ?

M. Joseph MOYSAN : C'est cela.

M. Eric BRASSART : Pour répondre à M. Masse, cela nous permet de vérifier que nous sommes capables de nous coordonner. C'est important. La coordination existe bien. Ce qui est difficile, ce sont les premières heures, voire les premières minutes, parce qu'une fois la cellule constituée, le dispositif fonctionne très bien.

Je fais l'analogie avec des plans neige. Pour avoir été DDE plusieurs fois lors de plans ORSEC neige, je sais combien la première heure peut générer un grand nombre de journées perdues, ou gagnées, dans le traitement d'une crise. Je n'ai pas qualité pour dire ce qu'il en est de la coordination. Je ne saurais le dire, mais je puis vous affirmer qu'elle peut toujours s'améliorer. Je l'ai constaté à terre sur d'autres sujets. On peut toujours améliorer les premières heures. Après, je suis relativement serein. Le problème est « avant » le dispositif de coordination.

M. Christophe MASSE : Créer les conditions d'une coordination, nous sommes aussi là pour cela.

M. Joseph MOYSAN : Par rapport à une affaire comme celle du Prestige ou de l'Erika qui se produirait en Méditerranée, je reste un peu dubitatif sur nos capacités à agir dans une opération de cet ordre, même en Atlantique d'ailleurs. En dehors de la possibilité d'accueillir le navire -nous y reviendrons quand nous aborderons la question de l'accueil de navire en difficulté au port-refuge ou au lieu-refuge- face à une difficulté de ce type, il est clair que tout dépendra de la mer ce jour-là et de l'orientation des vents : si l'on est au mistral, on a toutes les chances de passer à côté ; si l'on est plein vent d'Est/Sud-est/Sud, puis plein vent de Sud/Est, comme on en a eu quelquefois avec 50 nœuds et une grosse houle dans le Golfe de Fos, c'est-à-dire avec des creux de 5 à 8 mètres, il est clair que l'on ne peut rien faire. Il faut rester réaliste.

Parfois, on peut réagir mais parfois aussi les éléments sont tels que la capacité à agir est fortement réduite. La pollution sera d'autant plus grave sur la côte méditerranéenne, en tout cas sur cette partie à l'est du Rhône, que la côte est relativement découpée et que, pour intervenir, on ne sera pas dans le cas des Landes où les plages sont assez rectilignes et permettent une intervention plus facile. Nous ne serons pas du tout dans cette situation et si une pollution de ce type avec du fioul venait à la côte, nous serions en grande difficulté.

M. le Rapporteur : Pendant que vous parliez, je regardais la carte. Effectivement, politiquement, il n'y a aucune zone « sacrifiable ». Tout est à haute valeur, que ce soit écologique ou urbanistique... Il n'y a aucun secteur que l'on puisse désigner comme tel.

M. Joseph MOYSAN : Après le plan POLMAR et l'affaire Erika, le préfet a pris une nouvelle décision et le sous-préfet d'Istres, M. Fromion à l'époque, a travaillé sur les plans infra-POLMAR. Il a sensibilisé tous les maires et les a conduits à adopter une position de réflexion et de regroupement pour savoir comment ils allaient pouvoir travailler si cette situation venait à se présenter, ne serait-ce que pour l'accueil des volontaires et savoir, en fait, comment cela pouvait s'organiser, le tout étant de ne pas faire acheter mille pelles à une commune, mille pelles à celle d'à côté, etc.

Cela commence à avancer, pris en main par M. Fromion qui a sensibilisé les maires. C'est un travail qui doit être souligné, car il a favorisé une prise de conscience des maires. Toutes les communes du littoral, ou presque, ont aujourd'hui leurs propres plans qui répondent à un certain nombre de critères. Tout n'est pas achevé, l'achat de matériel n'est pas totalement décidé mais, aujourd'hui, la question a avancé et les communes y ont été sensibilisées.

Il va de soi -je reste pragmatique et il ne faut pas se voiler la face- qu'une affaire comme celles du Prestige ou de l'Erika avec quarante mille tonnes de fioul déversées sur nos côtes sera tout aussi catastrophique qu'elle l'a été sur celles de Galice... Sauf si l'on est capable d'accueillir le navire avant qu'il puisse se briser ; encore faut-il pouvoir le rentrer et l'amener !

M. Christophe MASSE : Notre souci est que soient tirées les leçons des expériences malheureuses.

M. Joseph MOYSAN : Si je passe à la problématique du port-refuge, puisque c'est la réflexion qui vient juste derrière, nous sommes en première ligne. Nous le savons, M. le directeur général en est conscient aussi.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous avons de telles expériences. Nous en avons connu certaines qui ont concerné des pétroliers. Nous parlions du Maghreb tout à l'heure, nous avons accueilli un navire qui avait explosé en Algérie, qui n'avait plus de gaillard avant et qui avait subi une explosion. C'était un navire mixte minéralier-produits pétroliers. On en voit de moins en moins, heureusement !

Nous parlions des double-coques : voilà le type de problèmes que l'on peut rencontrer sur ces navires. Il y avait eu une explosion dans le tunnel et la chambre des pompes, la plage avant était complètement détruite. Le navire ne savait plus où aller. Il avait été rejeté par l'Algérie et il fallait bien qu'il aille quelque part. Il était chargé de condensat, qui est un produit un peu plus sensible que le pétrole brut car il est assez léger. Bref, nous l'avons accueilli au Fos IV, après de nombreuses discussions avec l'armateur. Nous l'avons mis à quai et l'avons transbordé. Cela a duré presque un mois et a été très difficile à mener. Mais nous avons réussi.

Jusqu'à maintenant, avec un peu de chance, nous avons réussi à traiter à peu près tous les cas qui nous ont été soumis. Des cargos nous ont été amenés. L'avant-dernier était un navire en difficulté transportant 2 640 tonnes d'ammonitrates que Sète avait refusé pour des raisons de risque d'explosion, et à juste titre. On ne peut le leur reprocher. Il nous est arrivé en pleine nuit, pendant le week-end, juste à la période de Noël. Nous l'avons traité.

M. Eric BRASSART : Cela a permis de déranger le ministère la nuit de Noël à deux heures du matin.

M. Joseph MOYSAN : Il est vrai que c'est problématique. Nous avons, heureusement, la chance de disposer d'installations.

Vous avez demandé tout à l'heure quels seraient les moyens à mettre en place. Globalement, à Marseille, nous pouvons accueillir des navires en difficulté. Il est difficile aujourd'hui de se positionner et de dire qu'il faut que l'on mette tels moyens en place pour les accueillir. Je ne sais pas comment vont se positionner les ports, chaque cas restant un cas particulier. On parle beaucoup du pétrole car on est sensibilisé par l'Erika, mais avec l'amiral Roy, l'ancien préfet maritime, nous nous étions longuement interrogés sur la question de savoir ce que nous ferions demain si nous étions confrontés à un problème lié à un navire transportant des produits chimiques multiproduits.

Il existe, en effet, aujourd'hui des navires de deux cents mètres et d'une quarantaine de citernes qui peuvent avoir à bord une vingtaine de produits différents. Comment traiterions-nous la situation d'un navire de ce type en feu ou avec une brèche ? La difficulté aujourd'hui est que nous sommes monopolisés par le cas du pétrole, mais je ne pense pas que ce soit le cas le plus difficile à gérer, même si cela pose problème, même si c'est sale.

M. Eric BRASSART : Le bateau d'ammonitrates que nous avons rentré en fond de darse à trois kilomètres de Port Saint-Louis en catastrophe était tout aussi redoutable. Vous savez, à Brest en 1947, il y a eu une forte explosion !

M. Louis GUÉDON : M. le directeur, j'ai négocié l'arrivée de 30 000 tonnes par an d'ammonitrates chez moi. Ce sont des ammonitrates hollandais. La commission sécurité me tombe dessus. Il faudrait que l'on s'explique à ce sujet. On parle toujours de Brest en 1947 mais à Brest en 1947, tous les ingrédients de l'explosion étaient réunis : pour exploser, il faut, premièrement, que le nitrate d'ammonium soit chargé de matières organiques et il s'agissait d'un produit organiquement impur ; deuxièmement, il faut qu'il règne une certaine température et l'été 1947 a été particulièrement chaud ; troisièmement, il faut des chocs, or c'était un produit en vrac et la pelleteuse est tombée dedans. Cela a donc explosé !

Pour notre part, nous recevons 30 000 tonnes d'ammonitrates en sac, nous n'avons pas le droit de faire la manutention. Cet ammonitrate est chimiquement pur. Des températures d'entrée du bateau au port nous ont été fixées. Des canons à 9 ou 11 bars sont installés sur le quai pour pallier tout risque. Nous sommes loin des conditions de Brest. Comprenez-vous ce que je veux dire ?

M. Eric BRASSART : Le problème, M. le député, c'est que quand le préfet maritime vous appelle en pleine nuit pour vous dire que personne n'en veut sur la côte et que vous êtes le seul à disposer des installations pour l'accueillir et qu'il vous demande si vous l'acceptez, la réponse est oui ou non.

Mais on ne sait pas ce qu'il y a exactement.

M. Louis GUÉDON : C'étaient quels types d'ammonitrates ?

M. Joseph MOYSAN : Tout s'est bien passé, mais...

M. Louis GUÉDON : Il était en vrac ?

M. Joseph MOYSAN : Non, en « big bags » de 500 kg. Votre question est juste, mais j'attire votre attention sur le fait que ce navire tout d'abord prenait l'eau... Ensuite, vous liriez le rapport d'expertise qui a été fait ce jour-là, vous verriez que la machine était dans un état extrêmement dangereux au point qu'il avait été interdit au capitaine de la relancer, le seul droit qui lui avait été accordé était de faire tourner un de ses groupes pour avoir de l'électricité. Relancer la machine, c'était courir le risque d'inflammation et, sous l'ammonitrate, vous aviez des ballastes à fioul. Vous dites qu'il faut qu'il y ait mélange mais, dans un bateau en très mauvais état, avec des cales qui commencent à fuir.

M. Louis GUÉDON : Si à l'ammonitrate et au fioul, vous ajoutez une matière organique, il est certain que...

M. Eric BRASSART : que vous avez un cocktail Molotov !

M. Joseph MOYSAN : C'est pour cela que lorsque nous vous disons que nous l'avons accueilli dans des situations très difficiles, c'est qu'effectivement, le risque n'était pas négligeable. Quand je suis allé à bord avec l'expert maritime, nous n'étions pas tranquilles en ressortant. Quand vous lancez une démarche de ce type et que vous vous retrouvez, directeur et commandant de port, assignés devant les tribunaux, soupçonnés de corruption et de collusion, vous vous dites que le prochain restera dehors.

M. Louis GUÉDON : C'est démoralisant.

M. Joseph MOYSAN : Telle est la démarche. L'accueil de navire en difficulté dans les ports nécessite des moyens que nous avons à peu près ici, à Marseille, mais chaque cas est particulier et la difficulté consiste à savoir comment on peut l'aborder. Il faut un temps d'analyse pour pouvoir répondre à la demande de prise en charge du navire et savoir ce que l'on va en faire et comment on va le traiter.

Le dernier cas en date est celui d'un cargo qui est sorti de Marseille chargé de sucre mouillé qu'il n'a pas voulu décharger parce que cela coûtait trop cher. Arrivés au large, il a pris 25 degrés de gîte, il est revenu pour se mettre au mouillage à l'Estaque. Le commandant a, semble-t-il, pris peur, il a échoué son navire en lui mettant le nez sur les cailloux à l'Estaque à la pointe de Corbière. Le soir même, nous avons commencé à réfléchir.

Mais quand vous commencez à analyser les problèmes, que vous demandez des éléments de stabilité au commandant et que vous n'obtenez aucune réponse cohérente, vous vous dites au moment où vous prenez la décision de rentrer le navire que, si celui-ci chavire dans la passe nord du port de Marseille, on vous reprochera d'avoir pris cette décision.

M. Eric BRASSART : Pour mémoire, à ce moment-là, j'ai reçu je ne sais combien de conseils avisés me disant que l'on ferait beaucoup mieux de laisser ce sucre se dissoudre dans la mer, ce qui aurait occasionné une pollution majeure. J'ai tenu bon là-dessus aussi.

M. Joseph MOYSAN : La difficulté de l'accueil d'un navire en difficulté, c'est que chaque cas étant particulier, on ne pourra pas rentrer dans un cas général en mettant un plan en place. Nous sommes en train de préparer un plan puisqu'il nous a été demandé de le faire.

Il y a une seconde problématique, celle, très réelle de la situation par les préfectures maritimes. Il y a aujourd'hui dans les COM des officiers de marine qui sont certainement très compétents dans leur domaine particulier de navires de guerre mais qui ont une méconnaissance de la problématique des navires de commerce. Quand on vous appelle du COM, car cela arrive toujours la nuit ou le week-end, sans qu'il y ait personne autour, le pauvre officier du COM présent, qui est un officier de marine qui pense qu'un navire de commerce est compartimenté comme un navire de guerre, est persuadé que cela ne pose pas de problème d'accueillir un navire dans un port. Mais, sur le navire de commerce, quand vous allez faire l'évaluation, vous vous rendez compte que les notions ne sont pas les mêmes. Nous nous heurtons donc à la difficulté d'avoir à accueillir des navires en difficulté dans des ports de commerce après une analyse de la situation faite par le personnel de la Préfecture maritime qui ne connaît pas toujours très bien les particularités de la flotte marchande, je l'exprime clairement. C'est une constatation et non un reproche...

M. Eric BRASSART : Ce que dit le commandant est important car, contrairement aux autres commandements de port, il ne vient pas de la marine de commerce mais de la Marine nationale.

M. Joseph MOYSAN : Il s'agit vraiment d'un sujet aigu parce que, chaque fois que nous rencontrons les problèmes à Marseille, nous nous retrouvons face à la même problématique d'échanges avec la Marine nationale. Les échanges, en fait, se passent à peu près bien. La problématique, c'est qu'ils partent, eux, du principe qu'il faut tout de suite mettre à l'abri le bateau parce qu'il faut sortir de l'impasse dans laquelle ils se trouvent, dans la mesure où il n'est pas facile de gérer un navire au large. La compréhension qu'ils peuvent avoir des ports de commerce est trop orientée par comparaison aux Ports et Arsenaux militaires... c'est ce que j'avais répondu pour l'affaire du City of London à l'administrateur général Bosc qui était, à l'époque, à Toulon : « Si c'est si facile, prenez-le donc à l'arsenal de Toulon, pour voir comment vous allez réagir. Vous avez les compétences en pyrotechnie et toutes les personnes qu'il faut pour traiter ce problème ! »

M. Eric BRASSART : Nous ne l'avons dit que pendant une ou deux heures, juste le temps que ce soit entendu par le ministre ! (Sourires.)

M. Joseph MOYSAN : C'est une des problématiques que nous avons à résoudre aujourd'hui et qu'il va falloir régler une bonne fois pour toutes. Il est vrai que nous disposons maintenant d'un document d'échange. Nous commençons à construire des plans d'accueil pour les navires qui arrivent en difficulté dans les ports. Je pense que nous parviendrons à un échange qui soit sain. C'est pour cela aussi qu'il faut impérativement une personne du port au sein de l'équipe d'évaluation -un officier de port, peut-être un pilote. Il nous faut organiser l'évaluation au large d'une autre manière que celle pratiquée aujourd'hui parce qu'il n'est pas possible d'accepter un navire comme ça dans un port alors que nous nous exposons, le directeur du port et moi-même, à des situations à risques.

On ne peut pas non plus occulter la responsabilité du préfet terrestre, qui est compétent dans le port, il ne faut pas l'oublier. Il y a d'ailleurs là un problème de compétences. On ne peut pas prendre le risque de dire un jour, comme dans l'affaire Erika ou d'autres, que l'on va rentrer le navire sans réfléchir. Cela ne se décide pas comme ça, cela se prépare.

M. le Rapporteur : C'est le but de la mise en place du plan.

M. Joseph MOYSAN : Nous sommes tout à fait d'accord sur la nécessité d'un plan pour procéder de manière préventive à l'analyse des risques et mettre au point une méthode de gestion des crises.

M. Eric BRASSART : C'est l'évaluation au large qui pose problème. J'ai été directeur départemental de l'Equipement pendant quelques années et il m'est arrivé de connaître des situations où le risque est difficile à évaluer. On se demande si l'on doit faire évacuer. Mais ce sont des situations sur lesquelles on n'a pas de fausses informations. Parfois, on a du mal à apprécier l'ampleur du phénomène mais on n'a pas de fausse information. En mer, face à des situations de ce type, au départ, on ne sait rien car on ne peut plus faire confiance au navire, ni à ce que son commandant nous en dit.

Dans l'affaire du City of London, nous nous sommes rendus compte qu'il nous avait menti gravement pendant trois jours. Il faut que le navire soit à quai pour que l'on sache effectivement ce qui se passe. C'est tout le problème de l'évaluation faite par des parties qui n'ont pas forcément toutes les compétences... enfin, ce n'est pas forcément contradictoire, mais celui qui décide à la fin, c'est-à-dire le préfet maritime, ne dispose pas forcément de toutes les compétences. Il y a donc un vrai problème de qualité de l'évaluation faite avant de prendre les décisions. Ensuite, on les assume.

M. le Président : M. le directeur, ma dernière question : quels instruments sont utilisés pour connaître et anticiper la qualité des navires entrant dans un port ? C'est cela que vous êtes en train de nous décrire.

M. Eric BRASSART : Je vous le dis parce que j'ai été confronté à différentes situations de crise dans ma vie à terre, mais pour le City of London, lorsqu'il a fallu que je demande au ministre si on l'acceptait, j'ai vraiment eu l'impression de prendre un risque, je puis vous l'assurer. J'avais la sensation d'agir sans savoir si ma démarche était pertinente.

M. Louis GUÉDON : Suite à l'Erika, j'avais fait des propositions pour mieux évaluer les risques représentés par le remorquage d'un navire en détresse. En effet, pour l'Erika, entre le premier appel de détresse au CROSS et le naufrage, il s'est écoulé un temps très long, durant lequel tout le monde a tergiversé et n'a rien fait. J'avais proposé d'envoyer par hélicoptère un groupe d'experts qui, ne faisant pas confiance au commandant, puissent évaluer sur le bateau la nature exacte du risque. Cette évaluation fait partie intégrante du plan de refuge.

M. Eric BRASSART : Pour le Prestige, c'est ce qu'ils ont fait.

M. Joseph MOYSAN : Nous avons donc à peu près les installations qu'il faut pour accueillir les navires en difficulté et nous l'avons fait. Nous en avons l'expérience. Mais cela a un coût que nous allons vous donner parce que cela vaut la peine de le dire. Vous avez vu les moyens dont nous disposons pour lutter contre les sinistres et autres accidents. Nous avons la chance, et l'inconvénient, de disposer de marins-pompiers pour pouvoir agir. Il est clair que dans ce genre d'opérations et pour la sécurité, c'est un plus. Mais un plus qui a un coût non négligeable par rapport à tous les ports que vous avez pu visiter puisque, pour Fos, tout étant à notre charge, cela représente près de quatre millions d'euros.

M. le Président : Par an ?

M. Joseph MOYSAN : Oui. C'est le coût des marins-pompiers et du matériel d'intervention.

M. Eric BRASSART : Je voudrais revenir sur l'avant-dernière question que le président nous avait posée en matière de lutte. Nous sommes passés à la dernière.

La situation que nous connaissons à Marseille est légèrement différente de celle des autres ports puisque nous avons la chance d'avoir le dispositif particulier de Marseille qui, comme Paris, a des marins-pompiers militaires. Ce dispositif a été forcément étendu au port de Marseille et, lorsque le port de Marseille s'est installé à Fos, nos prédécesseurs ont eu la sagesse de dire qu'il valait mieux que les marins-pompiers couvrent la totalité des installations portuaires, même si, juridiquement, ce sont des sapeurs-pompiers qui auraient dû intervenir.

Ce dispositif, qui pose des problèmes d'appréciation en matière de légalité, a été reconduit par le préfet de région, M. Jean-Paul Proust, en 1999, et l'arrêté préfectoral n'a pas été contesté. Cet arrêté préfectoral a donc créé, en plus, une base juridique qui nous permet de ne pas être en situation de fragilité en cas d'incident.

Ceci étant, cela pose des problèmes de financement car, contrairement à d'autres ports où le financement normal de la sécurité se fait via les taxes et le financement du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS), nous ne touchons rien et n'avons aucun retour des taxes perçues en matière de sécurité sur les communes correspondantes. Par contre, nous finançons entièrement les marins-pompiers, ce qui coûte cher puisque la militarisation de ces forces armées ces dernières années nous a conduit à des coûts devenus extrêmement élevés.

M. Louis GUÉDON : Des SDIS seraient payés par les communes et pas par vous.

M. Eric BRASSART : C'est cela. En termes de compétitivité, évidemment, cela nous oblige à faire des efforts très importants. La taxe est perçue dans les communes et versée au Conseil général pour financer le SDIS.

En l'occurrence pour la partie portuaire, c'est un service que nous apportons. Les industriels installés dans le bassin de Fos en profitent aussi largement puisqu'en définitive, le dispositif que nous mettons en place à titre de précaution pour les bassins de Fos est tellement important que les industriels comptent dessus et réduisent, en conséquence, leurs services de sécurité internes, comme pour Solax, Merex ou Itera, qui sont bien moins importants que s'ils devaient compter sur un autre dispositif que celui des marins-pompiers.

C'est lourd financièrement pour nous. Jusqu'à présent, c'est un sujet que nous avons toujours abordé avec beaucoup de précaution. Il est vrai que, pour la gestion portuaire, il y avait un peu de « gras ». Aujourd'hui, ce n'est plus le cas ; en tout cas pour le port de Marseille-Fos, les marges de manœuvre se sont sérieusement réduites. Quand on voit nos ratios par rapport aux autres ports, on a une gestion convenable, digne d'une entreprise qui ne serait pas publique, mais c'est très serré et nous sommes dans une situation qui va nécessiter qu'on l'étudie.

J'ai saisi le conseil d'administration auquel j'ai présenté un très long rapport il y a un mois, qui traite à la fois de la sécurité et de la sûreté. Nous n'avons pas évoqué la sûreté, mais il faut savoir que nous avons aussi des problèmes de sûreté à traiter en mer, qui sont également en pleine expansion. Les nouvelles normes qui vont s'appliquer à partir de 2004 seront aussi forcément coûteuses pour les ports. Tout cela nous pose de vrais problèmes de financement dans un futur assez proche, pour ne pas dire immédiat.

M. le Président : La Commission d'enquête ne porte pas sur les ports autonomes.

M. Eric BRASSART : Non, M. le Président, je ne suis pas en train d'exposer mes turpitudes, mais la situation un peu différente du port de Marseille fait que nous avons mis beaucoup plus d'argent que nos ports homologues sur les questions de sécurité. Des navires comme le Louis Colet, par exemple, vous n'en trouvez pas dans les autres ports autonomes. Il est armé avec des marins-pompiers, cela nous permet d'être très réactifs et d'avoir, en cas de pollution ou d'accident, un dispositif beaucoup plus rapide. Mais, cela a un coût. Il est clair, pour revenir à vos questions, qu'en matière de concurrence, cela représente un poids conséquent. Mais nous avons choisi de nous y tenir et de pouvoir ainsi attester de la qualité de nos installations.

M. Louis GUÉDON : Le bataillon des marins-pompiers ne relève pas du ministre de la Défense ?

M. Joseph MOYSAN : Oui, mais nous remboursons la ville de Marseille, qui rembourse le ministère de la Défense. Pour Marseille-ville, nous avons une autre convention qui, elle, nous coûte un million d'euros, auxquels s'ajoutent donc quatre millions pour Fos.

Si vous m'autorisez à revenir sur le sujet des ports refuge, le point qui me semble le plus important, pour le port qui se lance dans l'accueil d'un navire en difficulté, est d'avoir la garantie qu'il aura la totale liberté de mettre en place les moyens qu'il faut sans avoir à réfléchir à qui va payer la facture. Aujourd'hui, la problématique est que quand on nous envoie un navire comme le City of London, nous sommes obligés d'engager, de fait, un certain nombre de frais et d'entreprises, car il faut bien traiter le navire alors qu'ensuite, on se retrouve dans la situation que j'évoquais, assignés devant les tribunaux.

M. le Président : Disposez-vous de crédits pour l'accueil des navires en détresse ?

M. Joseph MOYSAN : Il existe une ligne de crédit, en effet. Mais il faudrait des mesures visant à libérer l'autorité portuaire des problèmes juridiques et financiers pour se consacrer aux problèmes techniques.

M. Joseph MOYSAN : Comme je vous le disais précédemment, et j'espère que je me suis bien fait comprendre, chaque problématique est un cas particulier. Vous êtes tous orientés aujourd'hui, ainsi que la presse, sur le problème du pétrole. Mais la question des navires en difficulté ne se pose pas que pour des pétroliers ; il se pose pour tout type de navire. Il se posera pour les chimiquiers, pour les cargos. Il peut se poser pour un paquebot demain. Chaque cas reste un cas particulier.

Il faudrait donc prévoir une enveloppe globale permettant de faire face à tous les types de pollution, les crédits devant être gérés soit par le ministère des Finances, soit par notre ministère de tutelle. Il est impossible de se préoccuper de questions financières quand il s'agit de traiter une situation critique.

M. Louis GUÉDON : M. le directeur a parlé un langage mathématique. Or la statistique montre que le pétrole est la cause la plus fréquente de pollution. Bien malheureusement, depuis plusieurs décennies, c'est lui sur lequel il y a urgence à se pencher. Donc, comme « qui trop embrasse, mal étreint », traitons d'abord l'urgence, car sa répétitivité montre son actualité. Cela dit, la question posée par M. le Président était de savoir si vous êtes favorables ou non aux ports refuge pour traiter cette pollution répétitive. Quelle votre réponse ? Oui ou non ?

M. Eric BRASSART : Nous n'avons pas le choix. Nous sommes forcément favorables. Le port de Marseille est, sur la côte méditerranéenne, pour la partie française, à peu près le seul capable de le faire. On peut peut-être poser la question à d'autres ports de la Méditerranée française, mais il est clair que, pour notre part, nous ne pouvons pas faire autrement.

M. Louis GUÉDON : Cette réponse qui nous comble de bonheur, M le directeur, répond également à l'inquiétude du commandant, qui dit qu'il va devoir tout payer.

M. Eric BRASSART : Ce n'est pas lui, mais moi qui paie !

M. Louis GUÉDON : Dans la mesure où l'on a décliné, premièrement, que l'urgence, en raison de la répétition mathématique du phénomène, c'est le pétrole et, deuxièmement, que l'on n'a pas d'autre choix que de recevoir le pétrolier en danger, on se trouve dans le cadre d'un financement FIPOL.

M. Eric BRASSART : Vous avez raison, M. le député, mais le commandant a attiré votre attention sur le fait que les navires que nous avons reçus en tant que port-refuge n'ont jamais été des pétroliers et qu'à chaque fois, cela nous a coûté cher à tout point de vue. Aucun dispositif d'indemnisation n'est prévu actuellement pour les autres types de navires en détresse.

M. Louis GUÉDON : C'est un point intéressant, en effet.

M. Eric BRASSART : Et parfois, cela présente plus de risques. Notre réaction consiste à dire que, premièrement, nous n'avons pas le choix car, si nous refusons, je ne vois pas qui sera candidat ; que, deuxièmement, nous disposons de moyens extraordinaires avec les marins-pompiers, qui nous coûtent cher mais qui justifient que l'on soit là à titre de service public pour le faire ; et que, troisièmement, il y a un problème d'évaluation des risques avant la décision initiale de faire entrer le bateau dans la zone de refuge. Le préfet maritime risque de décider trop vite que le port de Marseille doit accueillir le navire en détresse, d'autant plus si cela devient une pratique courante. Mais où mettons-nous ce navire à risque ? Plus près des habitants de Port Saint-Louis ou de ceux de Fos ? Voilà une bonne question !

M. Louis GUÉDON : C'est tout le mérite du plan refuge que de déterminer la zone la moins mauvaise.

M. Eric BRASSART : Ce que nous souhaiterions simplement, c'est qu'il y ait tout de même une méthode avec des critères préétablis pour évaluer les risques avant de décider d'accueillir tel ou tel bateau. Cela ne peut se dérouler comme ce que nous avons vécu pour le City of London. C'était : « Prenez-le ! », « Ah bon. Pourquoi vous ne le prenez pas à Toulon ? » Cela dure deux ou trois heures mais on comprend bien que l'on ne va pas résister éternellement, surtout lorsque l'accident arrive un 23 ou un 24 décembre. Vous finissez par le prendre. Tout cela n'est pas sérieux et jusqu'à présent, cette gestion des situations de crise a été beaucoup trop artisanale.

Quand on sait ce que l'on fait actuellement à terre pour évaluer le risque dans un simple entrepôt logistique et que l'on voit ce que l'on applique comme méthodologie pour prendre des décisions comme celles-là, il y a manifestement une disposition.

Pour conclure sur les zones de refuge : premièrement, nous n'avons pas le choix et c'est normal ; deuxièmement, cela coûte et nous aimerions que, d'une façon ou d'une autre, le coût ne repose pas uniquement sur nos assurances car, après pareil incident, même si après on nous le refinance, les assureurs sont réticents à répondre favorablement pour continuer à nous assurer ; et troisièmement, il faut surtout que l'évaluation en mer puis l'accompagnement de la décision fassent l'objet de méthodologies précises. Or, actuellement, ce n'est pas suffisamment, de notre point de vue, réfléchi.

M. le Président : De ce point de vue, nous sommes d'accord.

M. Eric BRASSART : Je le sais bien. C'est pour cela que je le dis.

Voir le second volume des auditions

( Ce témoin n'a pas retourné le compte-rendu de son audition pour observations.


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