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TOME SECOND

Volume 2

Voir le premier volume des auditions (1ère à 4ème parties)

AUDITIONS

5ème partie

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission.

- Audition conjointe du Préfet maritime, Vice-amiral d'escadre Pierre-Xavier COLLINET, du Commissaire général Jean-Louis FILLON et du Capitaine de vaisseau Daniel FABRE, Commandement de la zone maritime Méditerranée (extrait du procès-verbal de la séance du 16 avril 2003 - Toulon) 7

- Audition conjointe de M. Bruno LEROY, Directeur du CROSS MED (Centre régional d'opérations de sauvetage et de secours pour la Méditerranée) et du Commissaire général Jean-Louis FILLON, adjoint du Préfet maritime pour l'action de l'Etat en mer, (extrait du procès-verbal de la séance du 16 avril 2003 - Toulon) 25

- Table ronde regroupant le Commissaire général Jean-Louis FILLON, adjoint du Préfet maritime pour l'action de l'Etat en mer, M. Bruno LEROY, directeur du CROSS MED, le Lieutenant de vaisseau Philippe BERNAT, du Bureau des opérations côtières, M. Dominique  BRESSON, division « action de l'Etat en mer », le Lieutenant de vaisseau Gilles BERNARD, division « action de l'Etat en mer » et le Major Jean-François HUET, cellule Antipol de la base navale (extrait du procès-verbal de la séance du 16 avril 2003 - Toulon) 33

- Audition de M. Edouard FREUND, Directeur général adjoint de l'Institut Français du Pétrole (extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2003) 51

- Audition conjointe de M. Xavier CONTI, Directeur des assurances transports à la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), M. Jean-Paul LABORDE, Conseiller parlementaire à la FFSA et M. Alain DELCROIX, AXA Corporate Solutions Assurances (extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2003) 63

- Table ronde regroupant M. Pierre DARTOUT, Préfet des Pyrénées-Atlantiques, M. Denis GAUDIN, Directeur de cabinet du Préfet, M. Thierry DUSART, Directeur interdépartemental des Affaires maritimes, M. Frank PERROT, Capitaine de frégate, commandant de la Marine nationale, M. Philippe MARSAIS, Chef du Service interministériel de défense et de protection civile, M. le Commandant Jacques SAMPIETRO, SDIS, responsable du Poste de commandement avancé de Biarritz, M. Serge LARZABAL, Président du Comité local des pêches, M. Patrick LESPIELLE, Patron du Samathéo, M. Camille CLAVIER, Patron du Litsas Belara, M. Christophe INDA, Patron pêcheur, M. Olivier ROSPIDEGARAY, Patron pêcheur, armateur, M. Jean FORASTÉ, Directeur général du centre de thalassothérapie BLANCO, M. Marc DANNENMULLER, Directeur du centre de thalassothérapie BOBET, M. Henri ANGIER, représentant de la communauté d'agglomération Bayonne-Anglet, M. André TRACKOEN, Directeur des services techniques de la ville de Biarritz, M. Albert LARROUSSET, Président de l'Association des maires du littoral, Maire de Guéthary, (extrait du procès-verbal de la séance du 6 mai 2003 - Bayonne) 83

6ème partie

- Table ronde regroupant M. Jacques SANS, Préfet des Landes, M. Patrick FÉRIN, Sous-préfet de Dax, Mme le Lieutenant Martine LABORDE, Responsable du centre de secours côte Sud des Landes, M. Hervé BOUYRIE, Président de l'Association des maires du littoral des Landes, Maire de Messanges et M. Jean-Jacques ANGLADE, Conseiller municipal délégué à la sécurité (extrait du procès-verbal de la séance du 6 mai 2003 - Capbreton) 117

- Table ronde regroupant M. Michel ROQUES, Président de l'office de tourisme de Capbreton, M. André FOUTEL, Président de la Fédération départementale de l'hôtellerie de plein air, M. Denis TERZIAN, Président de l'Association des commerçants de Capbreton et M. Stéphane WEINHOLD, Président-directeur général de Billabong (extrait du procès-verbal de la séance du 6 mai 2003 - Capbreton) 137

- Audition conjointe de M.  Roger PARENT, Préfet délégué pour la sécurité et la défense de la zone de défense Sud-ouest et du Colonel Yves COLIN, Chef du centre opérationnel zonal à l'Etat-major de zone Sud-ouest (extrait du procès-verbal de la séance du 7 mai 2003 - Bordeaux) 149

- Table ronde des services de l'Etat de Gironde regroupant M. Rachid BOUABANE-SCHMITT, Directeur de cabinet du Préfet de la Gironde, Mme Isabelle ROYER, Directrice du SIRDPC de la Gironde, M. Jean-Louis LAVIGNE, Mme Martine PEJOUT, M. Dominique LECOURT, du SIRDPC de la Gironde, M. Frédéric DUPIN, Directeur départemental délégué de l'équipement (DDE), M. Christian GUILLAUME, Cellule défense de la DDE de Gironde, M. Pierre MORIN, Subdivision de La Teste, DDE de Gironde, Lieutenant-Colonel Bernard GARNIER, Adjoint de l'officier général de zone de défense, M. Jean-Paul DECELLIERES, Directeur du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Gironde, M. Hugues de CHALUP, Directeur départemental de l'action sanitaire et sociale (DDASS), M. Daniel LECLERC, Chef d'arrondissement, SMNG, M. François GOULET, Directeur Régional de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement (DRIRE), M. Michel MATHEUS, Chef de groupe de la subdivision de Gironde, DRIRE Aquitaine, Capitaine Luc LALANNE-AULET, Groupement de gendarmerie de la Gironde, M. Jérôme LAURENT, Directeur-adjoint de l'environnement en Aquitaine (DIREN), M. Jean-Bernard PRÉVOT, Directeur régional et départemental des Affaires maritimes (DRAM), Mme Natalie BEAU, Représentante du CEDRE en Gironde, M. Thierry ROGELET, Sous-préfet du bassin d'Arcachon, et M. Jean DEMATTEIS, Sous-préfet de Blaye (extrait du procès-verbal de la séance du 6 mai 2003 - Bordeaux) 163

- Table ronde regroupant M. Jean-François ACOT-MIRANDE, Maire de la Teste-de-Buch, M. Roland-Etienne BLAIS, Adjoint au maire de Soulac-sur-Mer, M. Jean-Michel DAVID, Maire de Lacanau, M. Alain DEYRES, Maire du Porge, M. Alain MARTINET, Maire du Verdon-sur-Mer, M. Michel SAMMARCELLI, Maire du Cap-Ferret, et Mme Michèle DUBOURG, Directrice générale des services administratifs de la Teste-de-BUCH (extrait du procès-verbal de la séance du 7 mai 2003 - Bordeaux) 181

- Audition de M. Marc DRUART, Président du syndicat des ostréiculteurs du bassin d'Arcachon (extrait du procès-verbal de la séance du 7 mai 2003 - Bordeaux) 191

- Audition de M. Christian FRÉMONT, Préfet de la zone de défense Sud-Ouest (Extrait du procès-verbal de la séance du 7 mai 2003 - Bordeaux) 201

7ème partie

- Table Ronde regroupant M. Christian FRÉMONT, Préfet de la zone de défense Sud-ouest, préfet de la région Aquitaine, préfet de Gironde, M. Pierre DARTOUT, Préfet des Pyrénées-Atlantiques, M. Jacques SANS, Préfet des Landes, M. Rachid BOUABANE-SCHMITT, Directeur de cabinet du Préfet de la Gironde, M. Jean-Christophe BOUVIER, Directeur de cabinet du Préfet de Charente-Maritime et M. Yannick IMBERT, Secrétaire général aux affaires régionales d'Aquitaine (séance du 7 mai 2003 - Bordeaux) 209

- Audition conjointe de M. Bernard ANNE, Directeur division Marine et de M. Pierre FREY, service DSM, du Bureau VERITAS (extrait du procès-verbal de la séance du 13 mai 2003) 211

- Audition de Mme Bernadette MALGORN, Préfète de la région Bretagne et de la zone de défense Ouest (extrait du procès-verbal de la séance du 14 mai 2003) 247

- Audition conjointe de M. Bertrand THOUILIN, Directeur du transport maritime et de M. Jacques de NAUROIS, Directeur des relations institutionnelles du groupe TotalFinaElf (extrait du procès-verbal de la séance du 14 mai 2003) 265

- Audition de M. Hubert PINON, Vice-Amiral, Préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord, (extrait du procès-verbal de la séance du 3 juin 2003) 281

- Audition de M. Dominique SORAIN, Directeur des Pêches maritimes et de l'aquaculture (extrait du procès-verbal de la séance du 3 juin 2003) 297

- Audition de M. Patrick BOISSIER Président-directeur général des Chantiers de l'Atlantique (extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 5 juin 2003 - Nantes) 305

8ème partie

- Audition conjointe de M. Didier BAUDOIN, Directeur du Groupe des écoles des Affaires maritimes, de M. François PERCIER, Directeur des études du Groupe des écoles des Affaires maritimes, et de M. Jean-Claude DENAYER, Directeur des études de l'école nationale de la Marine marchande de Nantes (extrait du procès-verbal de la séance du 5 juin 2003 - Nantes) 315

- Audition conjointe de M. Roger BOSC, Inspecteur général des Affaires maritimes, de M. André GRAILLOT, Inspecteur général de l'Equipement et de M. Pierre ROUSSEL, Secrétaire général de l'Inspection générale de l'Environnement (extrait du procès-verbal de la séance du 10 juin 2003) 327

- Audition de M. Henri de RICHEMONT, Sénateur de la Charente (extrait du procès-verbal de la séance du 10 juin 2003) 349

- Audition conjointe de Mme Marjorie OBADIA, Magistrat, Chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement à la sous-direction de la Justice pénale spécialisée du ministère de la Justice et de M. François NICOT, Procureur de la République auprès du Tribunal de grande instance de Brest (extrait du procès-verbal de la séance du 11 juin 2003) 367

Compte-rendus d'entretiens à l'étranger

- Compte-rendu de l'entretien au Ministère de la marine marchande de Grèce (Athènes, mardi 22 avril 2003) 391

- Compte-rendu de l'entretien au Bureau VERITAS en Grèce (Le Pirée, mercredi 23 avril 2003) 395

- Compte-rendu de l'entretien avec l'Union des Armateurs Grecs (Athènes, mercredi 23 avril 2003) 399

- Echange de vues au Parlement européen (Bruxelles, mardi 20 mai 2003) 403

- Compte-rendu de l'entretien avec M. Willem de RUITER, Directeur exécutif de l'Agence européenne de sécurité maritime (Bruxelles, mardi 20 mai 2003) 405

- Compte-rendu de l'entretien avec M. François LAMOUREUX, Directeur général de la Direction générale Transports-Energie de la Commission européenne (Bruxelles, mardi 20 mai 2003) 409

- Compte-rendu de l'entretien avec M. William O'NEIL, Secrétaire général de l'Organisation Maritime Internationale (Londres, jeudi 22 mai 2003) 415

- Compte-rendu de l'entretien avec M. Hans JACOBSSON, Administrateur du FIPOL (Londres, jeudi 22 mai 2003) 421

- Compte-rendu de l'entretien avec M. GAVIN, directeur du Lloyd's register of shipping et président du conseil de l'IACS (International association of classification societies), et M. R. LESLIE, Secrétaire permanent de l'IACS (Londres, jeudi 22 mai 2003) 429

- Compte-rendu de l'entretien avec M. Adolfo MENENDEZ MENENDEZ, Sous-Secrétaire d'Etat chargé des Transports (Madrid, mardi 27 mai 2003) 433

- Echange de vues au Congrès des députés, (Madrid, mardi 27 mai 2003) 437

- Compte-rendu de l'entretien avec M. Domingo MENENDEZ, Directeur de cabinet de M. Rodolfo MARTIN-VILLA, Haut-commissaire (comissionado) chargé de la gestion du Prestige (Madrid, mardi 27 mai 2003) 439

- Dîner de travail (Saint-Jacques de Compostelle, mardi 27 mai 2003) 443

- Compte-rendu de la présentation de la gestion de la crise en Espagne (La Corogne, mercredi 28 mai 2003) 445

- Echange de vues avec des représentants des élus locaus et des marins pêcheurs (Finisterre, mercredi 28 mai 2003) 447

Audition conjointe
du Préfet maritime, Vice-amiral d'escadre Pierre-Xavier COLLINET,
du Commissaire général Jean-Louis FILLON
et du Capitaine de vaisseau Daniel FABRE,
Commandement de la zone maritime Méditerranée


(extrait du procès-verbal de la séance du 16 avril 2003 -
Toulon)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

M. le Président rappelle aux intervenants que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Collinet, Fillon et Fabre prêtent serment.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Je tenais tout d'abord à vous dire toute notre satisfaction de vous voir venir en région maritime Méditerranée pour vous rendre compte de la manière dont la Marine nationale y traite les problèmes de pollution. Nous allons vous montrer comment nous travaillons sur place, aussi bien avec les moyens de la Marine, tels que le centre opérationnel maritime et le CROSS, qu'avec les moyens antipollution que vous verrez à la cellule antipollution de la base navale. Nous allons donc vous faire entrer dans la Marine « d'en-bas », selon la formule que j'ai l'habitude d'utiliser avec mon chef d'état-major !

M. le Président : Si vous le permettez, j'indiquerai dès l'abord que les thèmes sur lesquels nous souhaitons solliciter vos services sont l'évaluation des moyens logistiques des différentes administrations qui concourent à l'action de l'Etat en mer, le rôle du CROSS de La Garde et, en particulier, son rôle de surveillance des bouches de Bonifacio, cette zone constituant pour nous un sujet important de préoccupation. Nous voudrions connaître votre avis sur le bilan de la lutte contre le dégazage et le déballastage en Méditerranée, ainsi que des particularités de la zone Méditerranée en termes de sécurité maritime. Que pensez notamment de la création d'une zone de protection écologique en Méditerranée ? Faut-il intensifier les collaborations maritimes internationales pour parvenir à un suivi du trafic maritime en Méditerranée ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : M. le président, je voulais, en guise de propos liminaire, vous rappeler que, selon moi, l'un des faits essentiels est qu'il n'y a pas eu de pollution majeure en Méditerranée depuis de très nombreuses années et que nous, qui sommes chargés de traiter ces problèmes, avons du mal à convaincre les élus, l'administration et l'ensemble des personnes intéressées à l'affaire qu'une catastrophe majeure peut survenir un jour. Nous sommes convaincus que si une catastrophe se produit, ce sera, comme toujours, dans les pires conditions : par exemple, un pétrolier arrivant au mois de juillet dans le Golfe de Saint-Tropez... On peut tout imaginer ! Nous n'avons jamais connu cela et nous nous efforçons de faire savoir à l'ensemble des parties prenantes que ce genre de catastrophe, contrairement à la statistique, peut toujours arriver. Pour cela, il faut se donner les moyens et je vois notre action se décliner sous un certain nombre de grands thèmes.

Tout d'abord, parlons des moyens. Aujourd'hui, la Marine dispose de moyens maritimes et aériens. Les autres administrations ont également les leurs. Nous en reparlerons tout à l'heure en détail. Mais en ce qui concerne notre organisation, comme partout ailleurs, c'est le préfet maritime qui coordonne l'ensemble des moyens des différentes administrations en mer. C'est exactement la même chose qu'à Brest et cela fonctionne très bien aussi ici.

Quels sont aujourd'hui les moyens de la marine proprement dits ? Il s'agit d'un remorqueur d'intervention, le Mérou, de 100 tonnes de traction, qui n'a pratiquement pas de capacité antipollution, et un bâtiment de lutte contre les pollutions, la Carangue, qui est lui aussi un bateau affrété, mais qui, inversement, dispose de moyens de lutte antipollution.

Nous avons également les moyens qui appartiennent à la Marine, et qui ne sont donc pas affrétés. Il s'agit de deux nouveaux remorqueurs que nous venons de recevoir, qui sont tout neufs et sont destinés aux manœuvres du porte-avion : ce sont l'Estérel et le Lubéron. Nous sommes en train de les équiper pour la lutte antipollution.

Puis, nous disposons de moyens moins importants comme de petits remorqueurs que nous équipons tant bien que mal de moyens de lutte antipollution. Nous n'avons pas de moyens majeurs de lutte antipollution, pas plus ici qu'à Brest.

Pour 2005, nous avons demandé, et obtenu, de bénéficier d'un des gros remorqueurs Abeille de Brest ou de Cherbourg, au moment où Brest et Cherbourg recevront de nouveaux remorqueurs plus récents et plus puissants. A terme, j'espère bien obtenir deux, voire trois bâtiments antipollution du type de la Carangue. Nous aurions ainsi un outil majeur, et trois secondaires, ce qui, je pense, sera suffisant pour affronter une catastrophe majeure en Méditerranée, dans la mesure où nous bénéficierions aussi des moyens de nos voisins, ceux de Brest et autres.

Je n'ai pas parlé des avions. Nous utilisons actuellement nos vieux Nord 262 pour la surveillance antipollution. Ce sont des appareils que nous avons failli mettre « à la ferraille » il y a trois ans. Grâce au ciel, nous ne l'avons pas fait. Ils continuent à voler et nous coûtent assez cher, de même que les Falcon 50, qui servent également à la surveillance maritime mais qui sont, pour leur part, très récents et très efficaces.

A cela il faut ajouter le moyen par excellence -ce qui peut paraître étonnant- de la surveillance antipollution : en l'occurrence, il s'agit d'un avion des Douanes, car les Douanes sont les seules à disposer de radars sur les avions, capables de détecter les nappes d'hydrocarbures. Nous travaillons avec eux de mieux en mieux, et la collaboration est, actuellement, extrêmement satisfaisante.

Je vous parlerai également des équipements. Ils vous seront détaillés plus tard, mais je peux déjà dire que nous disposons ici d'équipements tels que des barrages, des produits, etc. Nous en avons dans un certain nombre de grands ports. Il me semble cependant que l'on pourrait faire des efforts pour améliorer la mise en place des équipements déconcentrés partout sur le littoral.

Je ne traiterai pas des lieux de refuge maintenant, nous pourrons y revenir tout à l'heure.

Le deuxième moyen de lutte dont nous disposons, ce sont les moyens juridiques. En l'espèce, la zone de protection écologique, dont la proposition de loi en proposant la création a été adoptée au Sénat au mois de janvier et à l'Assemblée nationale la semaine dernière, constitue un outil juridique extrêmement précieux qui va nous permettre de poursuivre les contrevenants avec des armes juridiques. Ce n'est pas la fin du problème car, pour l'instant, nous sommes dotés d'un outil juridique sans savoir très bien si, derrière, nous aurons les moyens de sévir réellement. Je pense aussi, mais ce n'est que mon avis, que ce moyen ne sera réellement efficace que lorsqu'il sera partagé et que nous disposerons de zones de protection écologiques communes avec nos voisins italiens et espagnols, de façon à ce que cela constitue un ensemble cohérent. Cependant, nous saluons cette première étape et je pense qu'à l'imitation de la France, nos pays voisins ne vont pas tarder à se doter d'une zone identique.

Mais, ainsi que je le disais précédemment, on ne peut rien faire seul. La coopération internationale est absolument indispensable.

Elle comprend deux volets. Le premier est la coopération internationale locale, celle que nous entretenons avec les Espagnols, les Italiens et Monaco.

D'un côté, nous avons signé un protocole, une convention tripartite de lutte antipollution avec Monaco et les Italiens, du nom de RAMOGEPOL -RA pour Saint-Raphaël, MO pour Monaco et GE pour Gênes. Nous y reviendrons quand nous parlerons des Bouches de Bonifacio. De l'autre, nous avons signé il y a quelques mois le Lion- Plan avec les Espagnols, qui est l'équivalent, pour l'ouest de la Méditerranée, de RAMOGEPOL.

Avec ces deux plans, nous sommes, à mon avis, en mesure de mettre en oeuvre une bonne coopération avec les Etats voisins. Cette coopération est institutionnalisée, et nous maintenons des contacts permanents avec nos correspondants. S'il devait y avoir une intervention, nous sommes maintenant bien placés pour pouvoir travailler avec eux.

Le second volet est celui de la coopération à l'échelle européenne. A ce sujet, on parle beaucoup de gardes-côtes européens. Nous appelons cette organisation de nos vœux, c'est évident, car ce n'est qu'ainsi que nous pourrons travailler correctement. Cela dit, nos systèmes et nos organisations sont très dissemblables. Réunir des organisations qui sont aussi différentes poserait actuellement un problème. Faire quelque chose sur le plan européen est tout à fait souhaitable, mais à condition que l'on ne perde pas de ce fait ce qui fonctionne bien chez nous. Aujourd'hui, j'estime -le contrôle de la préfecture maritime me permet de dire- que notre organisation est bonne. Elle n'est pas parfaite, mais elle fonctionne, comme nous l'avons éprouvée maintes fois. En particulier, il semble très efficace de confier au préfet maritime des fonctions à la fois civile et militaire, en faisant de lui le préfet de la mer chargé de l'organisation, de la coopération et de la coordination de l'ensemble des moyens de l'Etat pour tout ce qui relève de l'action du plan POLMAR-mer.

En revanche, on peut sûrement faire certaines choses assez rapidement sur le plan européen. Je pense qu'il est très important que soit mise en place une Agence européenne de sécurité maritime basée, en particulier, sur la centralisation de l'information. Nous en avons besoin. Mais ce n'est pas parce que nous nous serons dotés d'une telle agence européenne que nos organisations nationales devront pour autant être complètement mélangées : on peut tout à fait conserver des organisations quelque peu différentes en attendant qu'elles s'uniformisent -car tel est bien notre objectif, sans détruire ce qui existe aujourd'hui.

Le second type de coopération avec nos partenaires européens, qui pourrait également être mise en oeuvre rapidement, consisterait à se doter de deux gros moyens de lutte antipollution de type ACCRA, par exemple un sur la façade atlantique et l'autre sur la façade méditerranéenne. Je pense que l'on peut réaliser cela tout à fait facilement, sans pour cela avoir à mettre en place un corps de gardes-côtes européen qui risquerait, dans l'immédiat, de rendre moins efficace notre organisation.

Dernier point, l'entraînement. Pour l'entraînement, il y a tout d'abord les exercices, notamment les exercices « papier ». Nous sommes en train de monter en pression et d'accroître la difficulté, pour aboutir, au mois d'octobre prochain, à un exercice qui est déjà prévu, en vraie grandeur, avec un pétrolier prêté par Total. Cet exercice se déroulera ici, au large de Marseille, et impliquera l'ensemble des administrations. Tout le monde est impliqué, y compris la zone de défense, etc. Il s'agira donc d'un exercice très important, préparé de longue date.

Ensuite, il faut un cadre formel et réglementaire pour mener correctement la lutte antipollution : c'est le plan POLMAR. Le plan POLMAR-mer de la Marine nationale datait de 2000. Nous venons de faire rééditer un projet, tout neuf, de nouveau plan POLMAR prenant en compte la ZPE. Je ne souhaite pas le signer et l'officialiser dès maintenant car je préférerais attendre le retour d'expérience de l'exercice d'octobre pour pouvoir ajuster ce qui ne serait pas adapté dans ce plan et en faire alors un document définitif. Il est prêt, nous pourrons vous le montrer, mais nous attendons l'exercice d'octobre pour le valider totalement.

Enfin, le plan POLMAR-terre, vous le savez, est l'affaire des préfets « terrestres ». Nous travaillons avec eux. Il me semble que c'est en cours et que, selon les départements, ils sont plus ou moins avancés. En tout cas, pour ce qui concerne le Var, nous recherchons une coordination des plans, et souhaiterions avancer en parallèle. Mais on ne peut pas toujours attendre l'autre, lorsqu'il est un peu en retard : il faut avancer. C'est la raison pour laquelle nous avons élaboré notre plan maritime sans attendre.

Voilà, M. le président, ce que je souhaitais vous dire pour dresser un tableau, qui n'est pas du tout exhaustif, des éléments que je considère comme majeurs dans le dossier qui vous intéresse.

M. le Président : Amiral, je suis très heureux de voir que la Marine nationale est le fer de lance en la matière car nous n'avons pas eu la même sensation de mobilisation chez vos collègues « terriens ». Mais ce ne sont peut-être que des impressions. Il semble cependant que vous soyez plus opérationnels.

Sur la coordination entre les plans POLMAR-terre et POLMAR-mer, ainsi que sur les problèmes, que vous avez évoqués également, avec les pays voisins que sont, entre autres, l'Espagne et l'Italie, il semble que les marins soient, là aussi, plus en avance que ne le sont les terriens.

Vous avez répondu à la question de l'opportunité de créer des gardes côtes. A mon sens, cela permettrait une collaboration meilleure entre les différents intervenants. A cet égard, vous avez dit, me semble-t-il, qu'avec les Douanes, vous aviez les meilleures relations ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : Je n'ai pas mentionné les Affaires maritimes parce que nous nous entendons parfaitement avec eux.

M. le Président : Qui est leader sur ces opérations ? Le préfet maritime ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : Oui, sans aucun problème. En pratique, cela est tout à fait accepté. Je pourrais vous signaler une organisation avec laquelle nous avons parfois un peu plus de mal à nous coordonner, mais les choses se passent néanmoins convenablement, -le commissaire général Fillon y met beaucoup d'énergie. Il s'agit de la gendarmerie, ce qui peut paraître bizarre.

M. le Président : La gendarmerie maritime ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : Non, la gendarmerie départementale. La gendarmerie maritime, ce sont vraiment des frères, - ou des cousins.

M. Jean-Louis FILLON : C'est nous qui la finançons.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Il s'agit de la gendarmerie départementale qui met parfois en place des moyens qui vont au-delà de leur zone de responsabilité. Nous sommes responsables de la gestion des deniers de l'Etat, et il est parfois regrettable qu'il n'y ait pas une meilleure coordination de ses moyens.

Aujourd'hui, je ne vous en ai pas parlé mais vous le savez, une réflexion est en cours sur le décret de 1978 et sur la responsabilité des préfets maritimes. La tendance de ces réflexions consiste à accroître ces responsabilités, notamment en ce qui concerne l'aval qu'ils doivent donner quant à l'utilisation des moyens des différentes administrations le long des côtes. Par exemple, la gendarmerie, les Affaires maritimes, et l'ensemble des administrations concernées ne pourront plus mettre des moyens en place, tant pour le choix des équipements que pour leur localisation, sans l'aval du préfet maritime, qui devra s'assurer de la cohérence de l'ensemble des moyens existants pour l'action de l'Etat en mer.

Cela ne veut pas dire que le préfet maritime aura la direction des administrations en mer : mais il conservera naturellement la direction des opérations pour ce qui concerne l'action de l'Etat en mer, comme avant. Je le précise parce qu'a pu se faire jour une tendance à vouloir aller un peu trop loin, que nous avons refusée.

M. Bernard DEFLESSELLES : Je dois dire, assez objectivement, que ce que nous entendons aujourd'hui tranche avec ce que nous avons vu hier. Les « terriens » nous ont paru moins mobilisés sur cette question. Sans vouloir dire qu'ils n'ont pas la vocation ou l'envie de faire et de réussir, je pense que l'on se heurte clairement à un réel souci, que avez évoqué en filigrane, qui est que depuis plus de vingt ans, il n'y a jamais eu de catastrophe en Méditerranée. Et j'ai apprécié l'introduction de votre propos, insistant sur le fait que votre rôle consiste à mobiliser les personnes, parce que nous finirons par avoir une catastrophe : c'est la loi des statistiques, il faut s'y préparer. Il ne faut pas s'attendre à que les catastrophes se produisent toujours chez nos amis atlantiques et jamais chez nous. Un jour ou l'autre, cela nous arrivera.

Or la Méditerranée est une mer fermée dont le délai de renouvellement est de l'ordre du siècle. Il n'y a pas de brassage ni de marées. Donc, chez nous, ce sera un vrai problème. Nous voudrions que tout le monde soit au même diapason, aussi mobilisé que vous sur ce sujet qui est un sujet d'ampleur. Certains, je pense, n'ont pas mesuré, mais vraiment pas, le coût d'une telle catastrophe, si elle se produisait. Soyez remercié déjà d'éclairer le chemin et de montrer à tous que cela peut, et devrait, malheureusement, nous arriver un jour.

M. Pierre-Xavier COLLINET : M. le député, croyez que nous sommes parfaitement conscients de cela car nous voyons bien, puisque nous rencontrons nos interlocuteurs depuis longtemps, qu'il est extrêmement difficile de les motiver.

Pourquoi sommes-nous, nous, mobilisés ? Tout d'abord, parce que la lutte contre la pollution en mer est une mission spécifique et exclusive de la Marine nationale. Nous sommes donc très contents que les douaniers disposent de radars sur leurs navires parce qu'en fait, ils nous aident à faire notre travail, ce dont nous les remercions. Cela témoigne de notre coopération.

Ensuite, parce que les pollutions dont vous parlez sont des pollutions maritimes et qu'avant d'arriver à terre, il se passe du temps. Je ne fais aucune critique de mes amis, tant élus que fonctionnaires, mais, si vous voulez, ils pensent qu'il s'écoulera toujours un certain temps avant que la pollution n'arrive à terre, qui leur permettra de mettre les choses en place. Tout notre travail, et tout le travail du commissaire général tous les jours, je vous assure, est d'essayer de convaincre les personnes de réagir avant et de mettre en place des systèmes préventifs.

M. Bernard DEFLESSELLES : De toute façon, la Marine est là, POLMAR-mer est prêt et on verra bien après pour POLMAR-terre ! Je caricature à peine...

M. le Président : Dans le droit-fil de ce qui vient d'être dit, mais sans doute l'évoquerons-nous plus tard, pensez-vous disposer de tous les moyens qui vous sont nécessaires pour faire face aux véritables problèmes ? Vous nous dites que vous êtes obligés d'aller chercher chez vos collègues des Douanes des moyens de détection aérienne. Ne pensez-vous pas qu'il y a peut-être un effort à faire pour vous donner les moyens, à vous et à vos collègues de la côte atlantique, de faire face véritablement - sans que vous ayez à quémander ? Il en est de même des navires, des systèmes de radar, etc. Possédez-vous vraiment les moyens de faire face aux craintes que vous pouvez pressentir ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : Pour vous livrer mon sentiment, qui sera étayé et précisé par mes collaborateurs, il existe différents types de pollution. Pour la pollution banale, c'est-à-dire qui n'exige de nous qu'une surveillance et une intervention mineure, il est sûr que cette répartition des moyens n'est pas idéale mais que nous pouvons faire face à nos missions. En gros, il ne manque pas grand-chose si je compte les moyens de la Douane. Il est certain que si l'on nous enlève ces moyens, ce sera plus difficile mais, pour le moment, la Douane collabore avec nous de façon totalement ouverte, franche et massive. Donc, pour la surveillance et les petites opérations que nous avons à faire tous les jours, cela va à peu près.

Je mettrai cependant un petit « bémol » à cette première affirmation, avec la Zone de protection écologique (ZPE). Ce que je disais était vrai pour les eaux territoriales. Pour prendre en considération la ZPE, il nous manque probablement des avions et des bateaux un peu plus gros pour aller surveiller plus loin.

M. Jean-Louis FILLON : C'est d'autant plus vrai depuis les mesures adoptées par la France et l'Espagne lors du sommet de Malaga.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Donc, j'ai peut-être été un peu optimiste sur le sujet. En revanche, face à une pollution majeure, ou même qui, sans être majeure comme le Prestige, serait importante, il est clair que nous ne disposons pas des moyens nécessaires. C'est là, à mon avis, qu'il faut mettre en place des moyens européens. Il serait aberrant que chaque pays se dote de moyens majeurs de lutte contre les pollutions en mer. Si je considère la Méditerranée, il faut absolument que l'on arrive à se doter d'un moyen majeur de lutte antipollution, avec les Espagnols et les Italiens. On peut supposer qu'il n'y aura pas deux pollutions en même temps...

M. le Président : En ce qui concerne le remorqueur, de quelle puissance l'envisagez-vous en Méditerranée ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : L'Abeille actuelle a une capacité de traction de 160 tonnes.

M. Daniel FABRE : Et le nouveau sera de 180 tonnes.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Les mers sont statistiquement moins grosses en Méditerranée. Les 150 ou les 160 tonnes de l'Abeille nous suffirons. Surtout que s'il se produisait un événement majeur, d'autres auraient le temps de venir.

M. le Rapporteur : Quelle est la puissance du Mérou ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : C'est un 100 tonnes. Il est affrété par la Marine nationale.

Donc, pour les moyens courants, cela irait, sauf peut-être pour la ZPE car il nous manque des avions et un bateau de surveillance au large. Et, pour les grosses interventions, il est clair que nous n'avons pas les moyens suffisants.

M. Bernard DEFLESSELLES : L'Abeille viendra en complément du Mérou ou à sa place ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : J'aimerais bien conserver le Mérou, -car il est amorti- et le garder, à moindre frais, en numéro deux.

M. le Président : L'Abeille va remplacer le Mérou, mais que devient le Mérou?

M. Jean-Louis FILLON : Il devrait être abandonné. Nous devrions avoir le Carangue et l'Ailette, qui se trouvent à Brest, dans un premier temps, en attendant la perspective de 2010, au terme de laquelle nous recevrions une des Abeille et trois nouveaux bâtiments antipollution, qui ne figurent pas dans la loi de programmation.

M. Louis GUÉDON : Amiral, dans une Commission d'enquête, il y a toujours des personnes qui sont agréables avec ceux qu'elles auditionnent ; puis, il y en a toujours un qui a un rôle plus désagréable...

M. Pierre-Xavier COLLINET : Vous voulez dire que c'est vous !

M. Louis GUÉDON : ...c'est ce rôle qui m'est imparti. (Sourires.) Amiral, quand je reprends les informations que vous nous avez données lors de l'excellent exposé que vous venez de faire, certains points m'interpellent. Tout d'abord, un point juridique, mais ce n'est pas l'essentiel. Vous avez dit qu'un texte législatif avait été adopté, mais qu'il vous manquait les moyens de l'appliquer pour sévir. Il serait donc intéressant de définir les moyens que vous attendez pour ce faire. Mais j'ai surtout relevé ce que vous avez dit -et je reprends vos propres termes : « Notre organisation est bonne. » Quand on a été -c'est notre cas- victime de l'organisation de l'Erika, on ne peut vous suivre sur ce point, car l'organisation est mauvaise. Je ne peux pas vous laisser dire cela. Le plan POLMAR-mer sur l'Erika a été un échec total. Vous savez très bien que, pendant trois semaines, on a mis en place des bateaux dont les pompes ne fonctionnaient pas et qu'il a fallu attendre un mois pour que viennent enfin des bateaux étrangers, provenant du nord de l'Europe, pour répondre au problème de pompage du pétrole. Cela n'a d'ailleurs pas empêché l'ensemble des nappes de venir totalement polluer les centaines de kilomètres du littoral, sans aucune action du plan POLMAR-mer. Vous savez également, Amiral, que le suivi de la pollution s'est avéré particulièrement défaillant. Météo France a donné aux citoyens français, sur les chaînes de télévision, pendant trois semaines, chaque jour, le cheminement à l'instant t et au centimètre près de la nappe de pétrole. Tout le monde s'attendait à la voir arriver au niveau de l'Ile de Ré, tous les dispositifs se trouvaient donc à la Rochelle, et elle est, en fait, arrivée au Guilvinec. J'appartenais à la précédente Commission d'enquête et nous avons appris que ces « informations » méritaient d'être prises avec des pincettes et que la loyauté n'avait pas toujours existé dans cette affaire. On ne peut donc pas dire que notre dispositif est bon, Amiral !

Dans l'affaire du Prestige, nous étions éloignés de la zone de naufrage et ce sont les femmes et les hommes de Galice qui ont connu le drame que nous avions connu avec l'Erika. Nous, Français, étions en second rang. Nous avons eu à affronter une pollution plus facile à gérer. On pourrait considérer, de manière aveugle, que le traitement du Prestige a représenté une grande victoire de l'organisation. En fait, nous étions en deuxième ligne par rapport au danger. Mais ce qu'ont vécu les Galiciens a bien montré qu'aucun progrès n'avait été réalisé... Je ne porterai, pour ma part, aucun jugement de valeur sur l'organisation espagnole. Certains observateurs semblent dire qu'elle n'était pas optimale, et je constate que le résultat est le même.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Je suis prêt à vous répondre.

M. Louis GUÉDON : Là-dessus, vous nous dites -et c'est une bonne chose, Amiral- que vous allez faire des exercices grandeur nature.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Quand je dis grandeur nature, entendons-nous bien : nous n'allons tout de même pas vider un pétrolier dans la mer !

M. Louis GUÉDON : Eh bien, Amiral, vous avez eu la réponse que j'attendais. Vous allez faire des exercices de prévention. Il sera de votre responsabilité de déterminer s'il y a une zone de refuge où un bateau en difficulté peut être amené, de votre responsabilité de savoir si un navire en difficulté peut éviter le naufrage. Cela, c'est de la prévention.

Mais notre Commission d'enquête ne se situe plus dans la problématique de la prévention mais dans celle du traitement, c'est-à-dire lorsqu'il n'a pas été possible de faire en sorte que le navire évite le naufrage ou qu'il puisse trouver un port-refuge, nous sommes dans la zone de thérapeutique et non plus dans celle de la prévention. Et les propos que j'ai entendus ne sont pas de nature à me rassurer.

Faisons l'hypothèse que, demain matin, à 150 kilomètres au large de Toulon, un pétrolier sombre avec 70 000 tonnes de pétrole. Nous sommes en Méditerranée, sans marées, sans courant, les scientifiques nous disent qu'il faut des décennies pour que la pollution puisse franchir le détroit de Gibraltar. Vous avez 70 000 tonnes en Méditerranée, qui sont là, qui viennent polluer les criques de Cassis, que fait-on ?

Le dispositif qui a été mis en place par les plans POLMAR ne nous donne aucune satisfaction. Les meilleurs résultats qui ont été obtenus, Amiral, vous le savez, car vous avez eu la gentillesse de parler du préfet maritime de Brest que nous connaissons et apprécions, comme tous les préfets maritimes d'ailleurs, qui sont des gens remarquables...

M. le Président : Heureusement ! (Sourires.)

M. Louis GUÉDON : Lorsqu'il est venu chez moi, en Vendée, pour homologuer les systèmes de dragage par pélagique, il était très confiant dans le dispositif qu'avait mis en oeuvre non pas les administrations mais les professionnels de la mer, dispositif qui a permis de recueillir 30 000 tonnes non pas de pétrole mais de déchets puisque, vous le savez, le pétrole en mer agglomère tout ce qui passe : de l'eau, des algues, des filets, ... et son poids augmente considérablement. Donc, les marins pêcheurs, avec des chalutiers pélagiques de vingt-deux mètres ont enregistré de bien meilleurs résultats que les magnifiques navires antipollution dont vous parlez. Voilà donc ma question, Amiral : comment pourrons-nous répondre à une catastrophe telle que celle que je viens de décrire ?

M. le Président : Vous allez pouvoir répondre, Amiral.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Merci pour vos mots aimables à propos des préfets maritimes. Je reprendrai vos objections, point par point, monsieur le Député.

Le plan POLMAR-mer est insuffisant, voire mauvais, dites-vous, mais le plan POLMAR-mer actuel n'est pas celui d'avant l'Erika. De plus, il y a eu les initiatives communautaires Erika I et II. L'Erika nous a permis de modifier certains éléments du plan POLMAR-mer, et dans le nôtre, dont l'encre est à peine sèche, nous avons également tenu compte d'un certain nombre de choses qui se sont produites lors de la catastrophe du Prestige et nous attendons, avant d'y apposer le cachet final, l'exercice prévu à l'automne, sujet sur lequel nous reviendrons puisque vous ne le jugez pas forcément utile, ou pas suffisant, en tout cas.

Pour ma part, je puis vous affirmer que ce plan POLMAR-mer a considérablement évolué depuis l'avant-Erika. Donc, avant de dire qu'il n'est pas suffisant -il ne l'est sans doute pas, et ne pourra jamais l'être complètement- je vous invite, M. le Député, à jeter un coup d'œil sur ce nouveau plan POLMAR-mer, qui intègre tous les retours d'expérience de l'Erika, de l'Ievoli Sun à Cherbourg, ainsi que du Prestige.

Vous dites que notre organisation n'est pas bonne et que la preuve en serait que nous n'avons pas réussi à traiter les pollutions. Je voudrais souligner une différence, qui rejoint ce que je disais précédemment, M. le Président. Je maintiens que l'organisation, c'est-à-dire la façon dont est conçu le système en France, est bonne. Le fait d'avoir un responsable, un seul, sur lequel retombent toutes les critiques s'il le faut, mais qui est seul coordonnateur de l'action de l'Etat français et des autres Etats ; et qui est en même temps un chef - vous excuserez le terme mais vous me comprendrez - militaire et marin, avec les moyens de la Marine à sa disposition, sous son commandement, constitue un atout fantastique. En ce sens, je dis que l'organisation est bonne.

En revanche, je vous ai dit aussi qu'en cas de crise majeure, ces moyens sont insuffisants. Il ne faut pas confondre organisation et moyens. Pour moi, si les moyens sont insuffisants, l'organisation est bonne. Je suis près à entrer plus avant dans les détails. Il reste, bien sûr, quelques aménagements majeurs à faire dans le concept européen que j'ai évoqué et sur lequel nous pourrons revenir.

Météo France, je suis désolé, n'est pas le problème de la Marine. La courantologie, c'est effectivement la responsabilité du Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM). Le SHOM s'est aperçu que ses études et ses modèles n'étaient pas suffisants. Ils le sont dans l'océanographie générale, c'est-à-dire que l'évolution des masses d'eau est parfaitement connue. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est l'effet du vent et de la mer sur l'évolution de plaques de surface à l'intérieur de masses d'eau qui se déplacent. Ce sont des paramètres très difficiles à modéliser. Cela va certainement s'améliorer. Je pense qu'aujourd'hui, les modélisations sont déjà meilleures qu'avant l'Erika.

M. Louis GUÉDON : Amiral, je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit, mais autorisez-moi une remarque sur Météo France, quand vous dites que ce n'est pas le problème de la Marine.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Je n'aurais pas dû dire cela. Oubliez-le, monsieur le Député.

M. Louis GUÉDON : Non, il faut qu'on aille au fond. Vous me dites, et vous avez raison, qu'il faut qu'il y ait un patron et qu'un préfet maritime disposant des moyens de la Marine nationale peut être un bon patron. Nous sommes d'accord sur ce point et nous vous donnons acte de ce que ce dispositif est bon.

En revanche, pour avoir vécu le drame de l'Erika, je puis vous dire que votre homologue de Brest fondait toute sa stratégie sur les données de Météo France, c'est-à-dire que Météo France faisait partie des moyens à sa disposition. C'étaient bien « vos » moyens.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Tout à fait. C'est pour cela que je vous demande de retirer l'observation que j'ai faite et à laquelle je ne souscris pas. J'ai parlé trop vite.

Le dernier point sur lequel je voulais répondre, M. le Député, ce sont les exercices. Il est clair que vous n'allez pas nous demander de déverser 70 000 tonnes à l'eau pour vérifier que le système est bon... ?

M. Louis GUÉDON : C'est pour cela que votre exercice n'est pas crédible en termes de thérapeutique. Dans la prévention, il l'est. Pour le refuge et le traitement du naufrage, oui ; une fois que le naufrage a eu lieu, non.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Je vous ai indiqué que notre souci majeur était de convaincre les administrations, les élus et l'ensemble des personnes concernées, de s'intéresser au sujet. Vous me dites vous-même que tout le monde n'y attache pas la même importance.

M. Louis GUÉDON : Amiral, les élus sont les plus concernés. Si vous aviez été en poste dans des zones de pollution, qui auriez-vous vu les pieds dans le mazout jusqu'aux genoux ? Tous les maires !

M. Pierre-Xavier COLLINET: Bien sûr.

M. Louis GUÉDON : Je ne peux pas laisser dire que les élus ne sont pas concernés. Ce n'est pas vrai. C'est eux qui ont été les fers de lance pour la gestion des bénévoles, qui ont été là pour les organiser, leur servir des repas et leur montrer la voie à suivre. Face aux critiques que l'on entendait sur le risque cancérigène des produits, c'étaient les élus qui étaient dans le cambouis.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Je parlais de quelques élus méditerranéens qui n'ont jamais connu de pollution. Mais ce n'est pas grave parce que, de toute façon, nous déployons une telle énergie que nous sommes persuadés d'arriver à les convaincre.

Mais l'exercice est absolument indispensable. Je me dis que quand les gens verront au large de Marseille ce gros pétrolier Total -je cite Total parce que Total nous a énormément aidés sur cette affaire dont ils se sentent complètement partie prenante et je tiens à leur en rendre hommage- quand ils verront se déployer des bateaux, quand cela fera l'actualité dans les journaux, je pense qu'alors les élus et les administrations seront convaincus. Cet exercice n'a pas pour but de mettre réellement en œuvre les moyens pour récupérer des pollutions. Nous ne le ferons certainement pas, mais ce sera l'occasion de tester l'organisation.

M. Daniel FABRE : Ainsi que les mécanismes de sauvetage et de lutte antipollution.

M. Pierre-Xavier COLLINET : A nos yeux, la grosse difficulté est le lien mer-terre. A la limite, en mer, avec l'expérience de nos amis de l'Atlantique, à défaut d'expérience propre, nous disposons d'au moins quelques éléments pour savoir comment faire. En revanche, comme cela tient à la personnalité des élus et des administrations locales, nous n'avons pas cette expérience sur le passage de la mer vers la terre, sur la récupération des déchets et le reste. C'est ce que nous recherchons.

M. Bernard DEFLESSELLES : Amiral, je voudrais à la fois faire une suggestion à l'adresse de mes collègues et vous poser une question. Puisque vous allez être le maître d'œuvre de cet exercice de début octobre, je voudrais que vous y invitiez les députés de la Commission d'enquête sur la sécurité maritime. Il est vrai que nous aurons rendu notre rapport, mais si nous voulons aussi tenir compte du retour d'expérience, il serait bon que vous nous fassiez signe à ce moment-là. Personnellement, je viendrais volontiers, je suis à côté, mais peut-être le Président, le Rapporteur, M. Guédon...nous ne sommes que quatre ou cinq à avoir fait cette visite...

M. Louis GUÉDON : Très passionnés par le sujet...

M. Pierre-Xavier COLLINET : Cela ne nous gêne absolument pas de vous avoir à nos côtés durant cet exercice pour vous montrer en vraie grandeur.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Je dirais aussi -excusez-moi de profiter de l'occasion- que votre expérience, vous qui avez connu d'autres crises et d'autres catastrophes, peut nous être aussi très utile, si vous le permettez.

M. Louis GUÉDON : Si d'aventure, il fallait une intervention auprès de nos collègues élus méditerranéens, si l'un ou l'autre ne se sentait pas concerné par le problème, nous nous ferions une joie de le faire entrer dans le camp des passionnés de la défense maritime.

M. Bernard DEFLESSELLES : Il y aura des élus à mobiliser, mais il y a aussi des administrations.

M. Louis GUÉDON : Oui, nous l'avons bien senti.

M. le Président : Tout à fait. Il faut toujours parler des deux.

M. Bernard DEFLESSELLES : Il y a certainement quelques élus qui sont éloignés du problème. En particulier, les élus de l'intérieur des terres ne sont pas nécessairement très sensibilisés au problème. Ils se disent qu'il y a vingt ans qu'il n'y a rien eu et se demandent pourquoi il arriverait quelque chose. Mais nous aimerions qu'il y ait plus de lien et de souffle dans certaines administrations, à commencer par celles qui doivent coordonner les opérations POLMAR-terre.

J'en viens à ma question. Dites-nous un mot de la coordination POLMAR-mer et POLMAR-terre. Comment sentez-vous les choses avec ceux qui pilotent la zone, le colonel Mené, le préfet de région et, éventuellement, son adjoint M. Michaud qui, théoriquement, est un des maillons importants pour la coordination des moyens ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : Si vous le voulez, nous pourrions répondre tout de suite à cette question, avant que je cède la parole au commissaire adjoint.

M. le Président : Très bien.

M. Jean-Louis FILLON: La coordination mer-terre est une innovation post-Erika. Ce sont les dernières instructions de la circulaire du Premier ministre qui l'a mise en place et nous la reprendrons cet après-midi plus en détails.

Nous en avons une première petite expérience avec un exercice « papier » que nous avons réalisé en avril dernier, dans lequel nous avons pratiqué ce qui est prévu dans les circulaires du Premier ministre, c'est-à-dire les échanges d'officiers de liaison. Cela s'est bien passé. Nous avons eu quelques difficultés de mise en place de liaisons techniques dans un domaine dans lequel la marge de progrès est à portée de vue, et je pense que l'exercice du mois d'octobre nous montrera que, de ce côté-là, nous avons progressé.

Ce qui est plus préoccupant à la lumière de l'exercice du mois d'avril dernier, c'est la méconnaissance que les uns peuvent avoir de l'organisation des autres. Il y a un véritable exercice de traduction organisationnelle à réaliser en permanence. Les représentants de la préfecture du Var qui étaient chez nous découvraient notre organisation. Ils sont tout de même à Toulon. Il y en a autant pour nous, sauf qu'ils ont plus à apprendre de nous que l'inverse car nous ne nous occuperons pas des pollutions à terre tandis qu'eux doivent anticiper les pollutions qui se passent en mer et, donc, être bien informés de ce que nous faisons. Il y a une difficulté de communication, presque culturelle, entre l'administration maritime au sens large et les administrations terriennes.

La deuxième difficulté, dont le colonel Mené a déjà dû vous parler, tient au fait que les zones de défense ont vu leurs attributions considérablement élargies, notamment dans ce domaine et je crois -on nous le dit, en tout cas- que leurs moyens n'ont pas été réévalués au même niveau. Donc, je pense que, en ce qui concerne la prise en charge de ces responsabilités nouvelles, notamment de coordination en matière de lutte antipollution non seulement côté préfet maritime mais aussi entre les préfectures de département, ils ne se sentent pas très armés pour répondre à cette mission nouvelle.

Là encore, nous regardons ce qui se passe et cela ne nous empêche pas de travailler en mer puisque, si je puis dire, en mer, nous travaillons seuls et que nous avons la parfaite capacité de coordonner et diriger les opérations qui y ont lieu. Cependant, à titre personnel, je crains que du côté « terre » et zone de défense, on ait quelque peu « chargé la barque », compte tenu de l'importance des sollicitations adressées à l'organisation en question.

L'exercice sera certainement extrêmement intéressant de ce point de vue. Nous verrons comment ils vont réagir, parce que cet exercice leur annonce des jours qui vont être difficiles pour eux. Ils s'en rendent déjà bien compte puisqu'ils ont sollicité notre aide en demandant qu'il y ait une véritable affectation d'un de nos officier chez eux. Cela nous est matériellement difficile. Nous allons, en revanche, affecter un officier de liaison permanent. C'est à notre portée et nous le ferons, mais, en revanche, affecter quelqu'un de chez nous de manière permanente chez eux, c'est déraisonnable. Nous ne pouvons aller jusque-là.

M. Bernard DEFLESSELLES : Nous avons rencontré le préfet de zone et son adjoint, et nous avons été impressionnés de constater que, quand nous posions des questions sur l'organisation, ou même sur les moyens, quand nous demandions la liste des moyens de la région PACA, il nous renvoyait vers les préfets de département. Cela veut dire que même ceux qui sont responsables de la coordination, de la cohésion du dispositif terrestre n'étaient pas capables -ils savaient que nous venions, tout de même- de dire, comme vous l'avez fait, j'ai le Mérou de 100 tonnes, etc. Nous avons été assez stupéfaits.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Il n'y a pas cette culture, que nous essayons de leur inculquer. Cet exercice est de nature à y contribuer.

M. le Président : C'est vrai.

M. Jean-Louis FILLON: La vraie préoccupation de la zone de défense ici, ce sont les feux de forêt.

M. le Président : C'est tout à fait ce qui est ressorti. Cela revenait sans arrêt.

M. le Rapporteur : Nous avons tout de même eu un retour d'expérience maritime -ils étaient passionnés et passionnants- avec les responsables du port de Fos-Marseille. Nous avons senti là un véritable retour d'expérience entre le commandant et le directeur du port de ce que l'on peut vivre dans les premières heures d'une catastrophe, puisqu'ils ont eu à gérer des prises de décisions d'entrer un bateau dans l'étang de Berre à plusieurs reprise, à un endroit où il peut y avoir des suites dramatiques. Quand vous avez à prendre la décision d'embarquer un bateau vers un port, vers une zone de refuge, ou vers le large suivant le produit -nous parlons beaucoup de pétrole mais notre Commission s'intéresse à tout produit polluant-, le chimiquier ne se traite pas de la même manière que le pétrolier. La zone de refuge, à mon avis, n'est pas nécessairement la même.

Mais, dans les premières heures, vous n'avez pas le temps de dire que vous allez faire un audit ou convoquer une commission. Les premières heures sont essentielles pour la prise de décision et la communication autour de celle-ci. Même si le cas du Prestige et de l'Erika n'étaient pas identiques, l'une des différence entre l'amiral Gheerbrant et celui qui a eu à gérer l'Erika, a eu trait aux médias. Si l'on rate la communication dans les premières heures -comme les gouvernements espagnols régional et national l'ont fait, comme en son temps le gouvernement dont était membre Mme Voynet-, après, c'est trop tard.

Je pense que, par rapport aux autorités que vous représentez, le retour d'expérience a été excellent pour ce qui concerne la communication. On n'a pas eu l'impression d'avoir affaire, comme autrefois, à « la grande muette ». A terre, cela a été analogue. Je pense que le positionnement immédiat est essentiel. Je sens aujourd'hui, en cas de catastrophe, votre équipe plus à même de réagir que celle que nous avons rencontrée hier.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Cela ne veut pas dire que nous ferons tout parfaitement bien ; mais il y a certainement des erreurs que nous ne commettrons pas.

M. Daniel FABRE : C'est tout l'intérêt de l'exercice.

M. le Président : Comme Louis Guédon, je faisais partie de la Commission d'enquête sur l'Erika. J'ai connu votre collègue de l'époque à Brest, ainsi que l'amiral Gheerbrant, et j'ai senti une différence d'appréciation extraordinaire due à l'expérience, probablement, en matière de communication. C'est quelque chose de fondamental. Dans le cadre de votre exercice du mois d'octobre prochain, vous devriez chercher à analyser votre système de communication, qui est peut-être encore améliorable par rapport à ce qui a été fait pour le Prestige.

M. Pierre-Xavier COLLINET : C'est prévu. Nous avons tout un volet consacré à cet aspect parce que, cela, on peut le jouer vraiment.

M. le Rapporteur : Comme le disait Louis Guédon, si les élus locaux se sont trouvés en première ligne, parce que les déficiences d'organisation ne leur laissaient pas le choix, et s'ils ont bien sorti leur épingle du jeu sur l'ensemble des côtes -après, nous avons pu bénéficier d'un retour plus positif, au plan politique ou médiatique- c'est parce qu'ils ont aussi l'habitude de gérer l'émotionnel. Quand un accident de voiture ou de pêche se produit, c'est nous qui allons annoncer les décès aux familles. Ce sont des expériences importantes au niveau émotionnel. L'émotionnel éloigne du rationnel, on n'est plus alors dans une logique qui permet de faire passer les choses comme en situation normale. C'est extrêmement important à prendre en considération et nous avons vraiment senti le changement d'appréhension pour le Prestige par rapport à l'Erika.

M. le Président : On a eu l'impression au moment de l'Erika que tout était technique alors que, désormais, on comprend bien que la technique est indispensable et doit être préparée et pensée à l'avance, mais il y a également tout le côté préparation aux médias, à la communication, à la psychologie. De ce point de vue, le retour d'expérience dont parlait Christophe Priou est fondamental.

M. Daniel FABRE : D'où l'intérêt de l'exercice.

M. le Président : C'est aussi l'un des rôles de notre Commission que de tenter d'impulser un peu de dynamisme.

M. le Rapporteur : Et peut-être de traduire cela dans les lois de programmation car, s'il manque des moyens...

M. Bernard DEFLESSELLES : Il faudra tout de même nous communiquer, je sais que vous avez commencé à le faire et vous allez dire que je ne défends que la Méditerranée, la liste des besoins éventuels à deux, cinq ou dix ans, parce que notre travail consiste aussi à faire des propositions au gouvernement. Cela nous aidera mutuellement.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Il faut distinguer les moyens pour le fonctionnement courant et les moyens pour les cas exceptionnels. Les premiers, il faut qu'ils soient nationaux ; les seconds il faut qu'ils soient européens. Ici, l'Europe, c'est l'Espagne et l'Italie.

M. Bernard DEFLESSELLES: Vous faites remonter vos besoins par votre hiérarchie, ce qui est logique -je connais bien cet aspect car je suis membre de la Commission de la défense, où nous suivons cela de près- mais une Commission d'enquête possède la spécificité d'être dotée de pouvoirs d'investigation développés et, de surcroît, de pouvoir faire pression très fortement en faveur des propositions qu'elle préconise. Il faut donc utiliser toutes les voies, qu'elles soient hiérarchiques ou budgétaires, de manière directe.

M. Louis GUÉDON : Amiral, vous avez parfaitement raison de dire que vos principaux partenaires sont l'Espagne et l'Italie...

M. Pierre-Xavier COLLINET : Pour la Méditerranée...

M. Louis GUÉDON : ...mais quel est votre sentiment, parce que nous avons évoqué le sujet hier lors d'une précédente audition, sur le Maghreb ? Représente-t-il, à vos yeux, un danger dans ce type d'affaires ? Si oui, quelle approche pouvons-nous préconiser vis-à-vis de ces pays ? Peut-on faire une avancée avec ces pays vers plus de prévention?

M. Pierre-Xavier COLLINET : L'adjoint aux opérations, qui connaît bien le sujet, vous répondra. Je voudrais simplement dire en premier lieu, en réponse à votre question, que le danger vient probablement... des pays du Maghreb. L'Egypte ou la Libye, en particulier, voient partir de leurs ports des vecteurs, des porteurs, qui ne sont pas toujours du dernier cri. C'est en ce sens que ces pays sont importants. Il ne faut surtout pas les négliger dans la lutte antipollution. Je vous parlais tout à l'heure de pays majeurs parce que ce sont ceux qui vivent dans notre environnement, mais notre action se tourne aussi vers la Grèce, et vers tous les pays du Maghreb.

Daniel Fabre peut vous en dire un mot parce que ces questions ressortissent presque au niveau des opérations. C'est tout l'intérêt d'avoir, sous un même chapeau, quelqu'un chargé d'assurer les affaires civiles, et, simultanément, d'avoir la connaissance opérationnelle, comme d'avoir l'expertise de la Méditerranée.

M. Louis GUÉDON : Nous sommes tout à fait d'accord.

M. Daniel FABRE : Pour répondre, M. le Député, à votre question, nous avons l'exemple très précis d'une coopération qui est en train de se mettre en place avec le Maroc. Le Maroc, qui est traditionnellement lié à la France et dont nous assurions une grande partie de la formation des personnels embarqués, est demandeur aujourd'hui d'une coopération dans le domaine de l'action de l'Etat en mer. Nous la menons, cette formation, en particulier dans toutes les actions de lutte antipollution. Nous menons traditionnellement un exercice avec eux, qui s'appelle « Shebek », dans le cadre duquel est prévu systématiquement un volet antipollution. Pour ce qui est des autres pays du Maghreb, se pose un problème majeur : celui de l'Algérie, pays avec lequel nous éprouvons beaucoup de difficultés à mettre en place les liens qui permettraient de mener cette coopération, qui n'est jamais suivie d'effet. Pourtant, nous avons à l'évidence besoin d'une coopération avec l'Algérie. C'est un grand pays. Beaucoup de navires partent de chez eux, en particulier les méthaniers.

Vous parliez de menaces. Il existe des types de menaces qui se rapprochent de questions de pollution, non pas en termes à proprement parler de pollution maritime classique, mais plutôt dans le sens où certains risques liés à des affaires de terrorisme sur des bateaux pourraient se traduire par une pollution.

En ce qui concerne la Tunisie, nous menons des actions de coopération. Mais, pour l'instant, elles ne comportent pas de volet défense de l'environnement.

M. le Président : Une attaque du type du Limbourg, par exemple ?

M. Daniel FABRE : Nous avons travaillé sur ces hypothèses, c'est évident. C'était le but de l'exercice contre le terrorisme.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Nous avons une liaison régulière et permanente entre Alger et Marseille.

M. Daniel FABRE : Nous suivons ces bateaux. Nous le verrons pendant la visite du centre opérationnel maritime. Sans avoir, à proprement parler, de réels contrôles navals volontaires, nous suivons les bateaux à risques, dont les méthaniers font partie. Nous sommes, avec mon camarade de l'action de l'Etat en mer, vous le voyez bien, dans cette zone grise, à la limite des missions de défense et des missions de l'Etat en mer, qui peut présenter à la fois un risque terroriste, appelons-le par son nom, et un risque de pollution.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Ce qui vient d'être dit est très important. J'avais évoqué aussi tout à l'heure la liaison qui vient d'être évoquée entre l'opérationnel et l'action de l'Etat en mer. La Marine, pour essayer de faire passer ce nouveau concept, qui est extrêmement significatif, du moins en Méditerranée, a créé le concept de « surveillance et sauvegarde » maritimes. C'est un concept qui associe à la fois l'aspect opérationnel et l'aspect action de l'Etat en mer, dans l'hypothèse où il débuterait par du terrorisme et se terminerait par une pollution maritime. Tout cela est intimement mêlé et pour être sûr que le gouvernement, comme les élus et les citoyens, comprennent que tout cela constitue un tout, nous avons placé cet ensemble sous un vocable unique, qui est justement celui de « la sauvegarde maritime ».

M. le Président : Amiral, vous venez de décrire exactement ce que nous avons ressenti : qui fait quoi ? Qui coordonne ? Il ne fait pas de doute que les hommes sont de qualité, notamment les techniciens, et qu'est présente une réelle volonté de bien faire et de réussir, mais on ne sent pas bien la façon dont tout cela devrait véritablement s'opérer. Il faut trouver un système de coordination efficace, qui peut être l'actuel préfet maritime, ou un super préfet maritime aux pouvoirs encore accrus. Je ne suis pas du tout opposé au fait que la Marine nationale soit leader en la matière, encore faudrait-il le dire clairement et le mettre effectivement en oeuvre. Je ne sais si vous partagez mon analyse.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Nous nous battons pour cela.

M. le Président : Ce qui renverrait d'ailleurs la question des gardes-côtes à un problème purement intellectuel...

M. Pierre-Xavier COLLINET : On nous renvoie en effet sans arrêt la question des gardes-côtes.

M. le Président : J'avais déposé une proposition de loi il y a deux ou trois ans sur le sujet...

M. Pierre-Xavier COLLINET : Ils existent en vérité déjà.

M. le Président : Oui, sauf qu'ils ne sont pas baptisés « gardes-côtes ».

M. Pierre-Xavier COLLINET : On peut améliorer le système, et si quelque chose doit être plaidé auprès du secrétaire général de la mer, c'est précisément ce renforcement.

M. Bernard DEFLESSELLES : Nous aurons aussi quelques « plus », comme l'Agence européenne de sécurité maritime. Elle est enfin créée à Bruxelles, et sera localisée assez vite dans la ville qui sera choisie. Je ne sais pas si ce sera en France, mais c'est là un autre sujet.

M. le Président : Le Nantais ne prend pas part à la conversation !

M. Bernard DEFLESSELLES : Cette agence se verra confier des missions intéressantes de coordination, de suivi des bateaux, et disposera d'importants moyens informatiques. Elle représentera une véritable valeur ajoutée.

M. Pierre-Xavier COLLINET : C'est une bonne avancée, en effet.

M. Bernard DEFLESSELLES : J'y crois beaucoup. Les paquets Erika I et Erika II avaient quand même quelques vertus, dont la création de cette agence.

M. le Rapporteur : Sur l'organisation, il faut, quelle que soit la catastrophe, parvenir à une efficacité des moyens de l'Etat. Déjà, le retour d'expérience entre l'Erika et le Prestige, comme nous l'avons vu avec l'amiral Gheerbrant, a permis d'obtenir que les six ou sept administrations qui intervenaient en mer soient maintenant disposées à obéir au préfet maritime. Pour l'Erika, c'était chacun dans son coin, drapé dans ses prérogatives. Tout cela tient aussi, effectivement, à la qualité des hommes, mais il faudrait que ce soit complètement systématisé et ne dépende trop de l'entente ou de la mésentente des hommes.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Ce rôle de coordination des moyens existe déjà dans le décret de 1978, y compris dans sa rédaction originelle. A brève échéance, ce texte devrait être modifié pour renforcer encore la mission d'organisation des moyens des différentes administrations par les préfets maritimes. Il est difficile de l'accepter pour certains, jusqu'à ce que se produise une catastrophe comme celle de l'Erika, à laquelle personne ne s'attendait, même s'il y avait eu l'Amoco Cadiz vingt ans auparavant. La technique était défaillante. Vous avez vous-mêmes commencé votre propos en parlant de la courantologie, et il est vrai que nous n'avons compris nos lacunes en la matière qu'après la crise.

M. Louis GUÉDON : Mais, vous l'avez abordé avec modestie, en disant que vous étiez conscient des limites de vos connaissances en courantologie. Alors que l'on nous avait dit, à l'époque : « Dormez tranquilles, nous savons très bien où cela va aller » !

M. le Rapporteur : Les marins pêcheurs de chez lui ne s'étaient pas trompés, eux.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Il est vrai que lorsque, en plus, les prévisions sont complètement contredites, la situation devient très difficile à gérer.

M. Louis GUÉDON : Toute la préfecture maritime a débarqué dans notre port le jeudi avant Noël, en nous disant qu'il n'y avait pas de pollution, que les avions n'avaient rien trouvé, que le fioul de masse n°2 a une densité supérieure à l'eau et qu'il est vraisemblablement tombé comme un galet au fond de l'eau, et même qu'il n'est pas certain du tout qu'il doive y avoir vraiment une pollution...Nous nous sommes quittés sur ces bonnes paroles. Deux jours après, les gens qui dormaient tranquillement chez eux, après le réveillon, se sont réveillés avec le mazout sur les côtes. Ça fait mal !

M. le Président : Le 4 octobre, c'est vous qui serez le coordinateur ?

M. Pierre-Xavier COLLINET : Oui, je jouerai mon rôle de manière complète, si j'ose dire.

M. le Président : Tenez bien la barre !

M. Jean-Louis FILLON : Au quotidien, quand nous demandons quelque chose aux administrations pour le préfet maritime parce que nous en avons vraiment besoin, elles ne posent en principe aucune difficulté. Par contre, elles sont d'une extrême sensibilité sur leurs attributions propres. De ce point de vue, le décret de 1978 créé un équilibre dans lequel chacun se regarde en chiens de faïence. Nous nous trouvons toujours un peu dans cette situation. Les progrès que permettra le nouveau décret, que nous appelons de nos vœux, consisteront en un pouvoir de coordination renforcé en faveur du préfet maritime. Il n'est pas question d'aller au-delà, parce que ce serait presque la guerre ouverte entre les administrations. C'est la raison pour laquelle les préfets maritimes ont été plutôt « en arrière de la main » par rapport à la position prise par le secrétaire général de la mer, car nous sentons très bien que si nous allons trop loin, nous devrons affronter une perte de confiance avec les administrations.

M. le Président : Le secrétaire général de la mer est revenu sur cette première orientation. Amiral, c'était passionnant. Nous vous remercions de votre accueil et de votre franchise.

M. Pierre-Xavier COLLINET : Ce problème de pollution majeure qui vous intéresse est l'une des mes préoccupations essentielles, peut-être pas autant que celle de mon camarade de Brest, mais tout de même de manière très présente. Nous avons la volonté indéfectible de vouloir convaincre les autres qu'il faut nous suivre, nous suivre dans l'organisation -je maintiens qu'elle n'est pas si mauvaise que cela- telle qu'elle est définie aujourd'hui, c'est-à-dire derrière le préfet maritime. Et je dois dire, très honnêtement, que nous n'éprouvons pas de difficultés réelles, en dehors de quelques frictions ponctuelles, bien sûr, pour convaincre les gens en cas de crise. La vraie difficulté que nous rencontrons réside plutôt dans la durée, une fois que nous ne sommes plus sur immédiatement présents, pour leur faire faire des exercices d'entraînement...

Audition conjointe de M. Bruno LEROY,
Directeur du CROSS MED (Centre régional d'opérations de sauvetage et de secours pour la Méditerranée)
et du Commissaire général Jean-Louis FILLON, adjoint du Préfet maritime pour l'action de l'Etat en mer,


(extrait du procès-verbal de la séance du 16 avril 2003 -
Toulon)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

M. le Président rappelle à MM. Leroy et Fillon que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Leroy et Fillon prêtent serment.

M. Bruno LEROY : Nous sommes rattachés au secrétariat d'Etat à la mer et dépendant de la direction des Affaires maritimes et des gens de mer (DAMGM). Les missions du CROSS Méditerranée qui se compose du centre principal et d'un sous-centre en Corse, sont, comme c'est le cas d'ailleurs de tous les CROSS, la recherche et le sauvetage maritimes, la surveillance de la navigation, celle des pollutions et celle des pêches et, cinquième mission, la diffusion de l'information nautique qui se traduit, chez nous, par une installation particulière qui diffuse, outre des messages vocaux, des radio transmissions de texte : le NAVTEX.

Les CROSS métropolitains sont au nombre de cinq : Gris-Nez dans le Pas-de-Calais, Jobourg pour le dispositif de séparation de trafic au large de la presqu'île du Cotentin, Corsen à l'entrée de la Manche, à proximité de Brest, Etel dans le Morbihan, La Garde où vous vous trouvez, et le sous-CROSS de Corse, implanté dans la base navale d'Aspretto. Vous verrez sur la carte les zones respectives de ces centres.

Outre-mer, nous disposons de dispositifs comparables ou analogues. Aux Antilles, il y a un CROSS Antilles-Guyanne ; ailleurs, il y a des centres de sauvetage qui connaissent une organisation un peu différente, que ce soit à la Réunion ou, plus loin encore, dans les territoires d'outre-mer.

La coopération internationale est un des fondements de notre action. Nous sommes très transversaux, interministériels et aussi très internationaux puisque nous avons de fréquents rapports avec nos homologues du Bassin méditerranéen, évidemment et, en particulier, de la partie occidentale, mais aussi avec des zones extérieures à la Méditerranée.

Les espaces maritimes sont divisés en zones placées sous la responsabilité de tel ou tel pays, ces pays, dès lors qu'ils sont signataires de la convention de Hambourg, ayant l'obligation d'édifier et d'entretenir des centres spécialisés pour le sauvetage.

Cela étant, par extension, nous transmettons les informations qui ne sont pas strictement liées à la mission de sauvetage à ces centres, à charge pour eux, éventuellement, de les réorienter vers les structures susceptibles de les exploiter. Cette carte représente, par exemple, la partition des espaces maritimes du point de vue du sauvetage. En Italie, ce n'est pas nécessairement notre équivalent qui gère les problèmes de pollution, en tout cas, il ne les gère pas tout seul ; donc, à charge pour lui, lorsque nous le prévenons, de transmettre l'information à l'administration compétente.

M. le Président : Il y a dissymétrie dans nos organisations...

M. Bruno LEROY : Chez les Anglais, c'est la même chose. La « coast-guard » de sa Majesté assure un certain nombre de missions qui sont effectivement le sauvetage et la surveillance côtière, mais n'a pas exactement le même rôle que nous en matière de pollution et de pêche.

M. Louis GUÉDON : Vous communiquez en quelle langue ?

M. Bruno LEROY : En anglais.

M. Louis GUÉDON : Même sur la Méditerranée ?

M. Bruno LEROY : Oui. En français également, mais surtout en anglais.

La pollution et la surveillance des pêches ne sont pas nécessairement traitées par les centres chargés du sauvetage.

L'organisation opérationnelle, vous en êtes familiers. Au niveau des autorités responsables d'un point de vue opérationnel, on trouve le préfet maritime. Le CROSS, dont le directeur est le représentant pour la mission de sauvetage, va, en fonction de la situation, demander les concours nécessaires à l'accomplissement de sa mission auprès de différentes structures, qu'elles soient françaises ou étrangères, structures d'Etat ou organismes privés. Les CROSS disposent donc de moyens civils, militaires, d'Etat, privés, nautiques, aériens français et étrangers, dans toutes les combinaisons possibles et imaginables. Le ministère de la Défense, la Marine, la gendarmerie et l'armée de l'air disposent de moyens nautiques et/ou aériens dont nous pouvons demander le concours, mais nous pouvons aussi solliciter les Douanes, au sein du ministère des Finances, les Affaires maritimes, qui relèvent du ministère des Transports, le ministère de l'Intérieur pour la sécurité civile et les pompiers, le ministère de la Santé pour les hôpitaux et les services d'urgence -car nous avons à coordonner les évacuations médicalisées, c'est-à-dire des opérations à caractère médical concernant des blessés ou des malades embarqués à bord des navires. Il convient de déterminer par consultation radio-médicale quelle est la recommandation du médecin et c'est à nous de mettre en œuvre le vecteur approprié pour l'accomplissement de cette mission. Enfin, nous avons recours aux moyens de la SNSM, la société nationale du sauvetage en mer, qui est une association que je ne vous présenterai pas, qui intervient quasiment pour un peu plus de la moitié des actions et des heures de mer mais qui, dès lors que l'on passe hors heures ouvrables, est sollicitée à 100%.

Puis, d'autres structures comme le CNES, par exemple, puisqu'à Toulouse se trouve le centre français, pour les zones à responsabilité française mais aussi pour une large part aussi de la Méditerranée occidentale et de l'Afrique, qui traite les alarmes transmises par satellite : il s'agit du dispositif COSPAS-SARSAT, qui est un dispositif satellitaire à l'origine soviéto-américain, auquel se sont joints par la suite la France, le Canada, l'Australie et quelques autres pays et qui, à l'aide d'un certain nombre de satellites défilants ou géostationnaires, recueillent et détectent les alarmes déclenchées par les balises et les retransmettent vers les stations à terre. Il en existe un certain nombre dans le monde et dès lors que le centre de Toulouse reçoit une alarme, il la retransmet au centre spécialisé géographiquement compétent pour le sauvetage.

Le sauvetage, en 2002, représente 2 700 opérations. C'est quasiment le même chiffre que l'année précédente. Nous réalisons entre 2 500 et 3 000 opérations par an, impliquant entre 6 000 et 7 000 personnes, qu'elles aient été secourues, qu'elles se soient tirées d'affaire elles-mêmes ou, malheureusement, pour 48 d'entre elles, qu'elles soient décédées ou aient disparu.

Les sauvetages ont concerné 2 000 navires, dont 1 000 navires à moteur de plaisance et 700 voiliers -nous sommes très marqués par la plaisance au CROSS MED ou, plus largement, par les activités de loisir nautiques- pour seulement 57 navires de pêche et 222 d'autres types.

M. le Président : Y a-t-il des fausses alertes ?

M. Bruno LEROY : Les fausses alertes, ce sont des situations qui commencent exactement comme une alerte véritable. Mais après investigation et/ou enquête, on parvient à la conclusion que le témoignage était erroné : la personne est de bonne foi, elle a cru voir un bateau en difficulté et l'a signalé ou elle a cru voir une fusée ou percevoir un message de détresse.

Ces situations nous amènent à réagir par enquête et à lancer des demandes d'informations radio, voire à investiguer en mer, et, à l'issue de cette enquête, si l'on ne trouve rien et que, dans un délai raisonnable, personne ne se manifeste pour signaler une inquiétude particulière ou l'absence de quelqu'un, nous considérons soit que les gens ont recouvré meilleure fortune soit qu'ils ont pu réparer leur avarie et se sont tirés d'affaire tout seuls. Mais nous ne savons pas combien ils étaient ni sur quel navire puisque le départ de l'alerte est un témoignage qui n'aura pas permis d'établir la corrélation.

Il y a ainsi un certain nombre de fausses alertes. Elles sont d'ailleurs relativement nombreuses, puisqu'elles représentent environ 12% du total des opérations sur l'année. Mais c'est précisément parce que toute information qui semble traduire une situation anormale fait l'objet d'une vérification de notre part.

Globalement, le CROSS mobilise 3 000 heures de navire en recherches et 400 heures de moyens aériens.

Pour la surveillance de la navigation, la mission de suivi de l'évolution des navires, nous avons connu 145 opérations en 2002 concernant des navires de commerce, dont une petite centaine de bateaux en avarie, la plupart du temps de propulsion, ce qui est le plus préoccupant parce qu'alors le navire peut s'échouer ou entrer en collision avec d'autres bateaux.

M. le Président : Nous sommes vraiment dans la prévention de la pollution.

M. Jean-Louis FILLON : Quand on est informé d'une avarie, en général, le CROSS alerte assez vite le Centre des opérations maritimes (COM) et nous mettons en œuvre, en général sans attendre, le remorqueur d'intervention pour aller au-devant des difficultés.

M. Bruno LEROY : Ici les vents dominants poussent plutôt vers le large : ce n'est pas bon pour les véliplanchistes, mais ça l'est pour les bateaux de commerce...

Puis, nous gérons les autorisations de mouillage, c'est-à-dire le séjour momentané de navires dans les eaux territoriales, hors zone portuaire, pour des raisons diverses liées soit à leur exploitation, soit aux conditions météo, soit encore à leur avarie dans les eaux territoriales, sous l'autorité du préfet maritime.

Nous gérons ces autorisations de mouillage pour éviter que les eaux territoriales deviennent une sorte de parking gratuit pour des bateaux peu recommandables. Chaque autorisation délivrée par le CROSS est soumise à un examen préalable combinant la vérification de plusieurs critères.

M. Jean-Louis FILLON : C'est à ce moment-là que l'on contrôle si ces bâtiments sont sur la liste dont nous vous avons parlé. Nous regardons si les intéressés se trouvent dessus et s'ils doivent arriver dans un port. En général, on envoie les douaniers, qui sont l'administration la plus équipée pour investiguer à bord et on fait intervenir le centre de sécurité des navires pour un petit contrôle « Mémorandum de Paris » afin de connaître la qualité du navire.

M. Bruno LEROY : C'est la sécurisation de la navigation par la transmission d'informations.

M. le Président : D'après quels renseignements réalisez-vous ce suivi de l'évolution des navires ?

M. Bruno LEROY : Nous le faisons à partir des renseignements des sémaphores de la Marine. Ils sont au nombre de dix-neuf en Méditerranée et nous envoient en temps quasi réel, c'est-à-dire dans le quart d'heure, le signalement des bateaux dont ils ont connaissance, par la veille combinée optique-radar qu'ils effectuent, avec les caractéristiques de cargaison et de destination.

M. Louis GUÉDON : Le suivi par satellite, avec boite noire, éventuellement, vous rendrait-il service ?

M. Bruno LEROY : C'est un élément qui va se mettre en place peu à peu. Il ne s'agit pas véritablement d'un dispositif satellitaire, mais d'émissions à partir de balises...

M. le Rapporteur : Plutôt un transpondeur.

M. Jean-Louis FILLON : ...en continu et en VHF, donc, avec une portée qui est celle de l'horizon, un peu au-delà.

M. le Président : Ce n'est effectivement pas une observation satellite.

M. Bruno LEROY : Là, nous aurons effectivement le bateau qui, émettant en continu, diffusera son nom et quelques-unes de ses caractéristiques.

M. Jean-Louis FILLON : Cela fait partie des éléments que j'évoquais précédemment dans la chaîne sémaphorique. Mais, à terme, nous avons un projet d'intégration des informations transmises par les CROSS et les sémaphores. Cette intégration donnera, dans les cinq à sept ans, une connaissance assez bonne, pour ne pas dire très bonne, de la navigation commerciale.

M. le Président : Pour les contrevenants de navigation, il n'y a pas, comme dans la Manche, de routes particulières ici ?

M. Bruno LEROY : Il n'y a pas de dispositif de séparation de trafic, au sens strict du terme, mais il existe pour les Bouches de Bonifacio un dispositif de routes recommandées. En ce qui concerne les infractions aux règles de navigation, il s'agit en fait, la plupart du temps, de navires se trouvant trop près de la côte et transportant des produits réputés dangereux et polluants, c'est-à-dire à une distance inférieure à 7 milles et donc en infraction aux dispositions d'un arrêté spécifique du préfet maritime.

S'agissant de la surveillance des pollutions, le CROSS a un rôle d'information, c'est-à-dire qu'il va s'attacher à rechercher, à quantifier et à qualifier ce qu'il reçoit, à savoir les informations qui lui proviennent d'un peu tout le monde, y compris de personnes qui ne sont pas spécialistes (navigateurs professionnels ou plaisanciers). Nous allons, nous, chercher à quantifier, évaluer, donner les dimensions, tenter de renseigner sur la teneur de ces pollutions de façon à ce que nous puissions rendre compte sans délai à l'autorité chargée de la lutte contre le danger éventuel d'une pollution, c'est-à-dire soit le préfet maritime, soit les préfets, pour la mise en œuvre des plans POLMAR-mer ou POLMAR-terre.

Si l'on nous signale maintenant une pollution à tel endroit, nous ne savons généralement ni ce dont il s'agit, ni quelles sont ses dimensions. Nous envoyons donc un moyen de l'Etat, nautique ou aérien, sur place pour voir et, en fonction de la météo et de la courantologie, nous pouvons établir une appréciation et, éventuellement, programmer les missions complémentaires le soir ou dès le lendemain matin pour en suivre l'évolution, de façon à, s'il y a danger pour la côte, en rendre compte dans les meilleurs délais.

En 2002, sur 212 pollutions, 163 ont été reconnues par hydrocarbures. Ces chiffres sont quasi-identiques d'année en année. Nous ne sommes jamais très loin des 200 ; les trois quarts environ correspondent à des hydrocarbures, les autres sont, en fait, des fausses alertes : branchages, méduses, masses phytoplanctoniques, qui vont apparaître en détection visuelle comme une pollution probable alors qu'en vérité, ce n'en est pas. Bref, entre un quart et un tiers des pollutions signalées sont des pollutions qui, après enquête, in fine, ne constituent pas des pollutions par hydrocarbures.

Ceci dit, il existe des pollutions naturelles qui peuvent être très désagréables pour plusieurs raisons. Les méduses ne sont peut-être pas très gênantes du point de vue de la lutte contre les pollutions d'hydrocarbures, mais si un banc de méduses dérive vers les plages de Saint-Tropez ou de Sainte-Maxime, en plein mois de juillet, il faut rendre compte de cette situation sans délai. Il en est de même pour les dérives des cadavres de grands cétacés.

M. Jean-Louis FILLON : Ce sont des bancs qui peuvent atteindre 200 à 300 mètres d'envergure !

M. Bruno LEROY : Au total, onze dossiers transmis pour toute la problématique du flagrant délit. Les rejets délictueux de la part des commandants de certains navires ne sont pas forcément le fait de navires de commerce et ne sont pas nécessairement non plus le fait de bateaux sous pavillons non-conformistes. Il y a également des bâtiments à pavillons très honorables qui se laissent aller à ce type d'actions.

Cela dit, ces flagrants délits sont relativement rares à obtenir parce que les moyens, pourtant déployés par la Marine ou par les Douanes plusieurs fois par jour, et même la nuit, ne suffisent pas. Le flagrant délit est très difficile à obtenir pour bâtir un dossier qui, du point de vue judiciaire puisse tenir jusqu'au prononcé d'un jugement de condamnation.

M. Jean-Louis FILLON : Nous avons reçu dernièrement, une circulaire de la chancellerie qui montre bien que les magistrats deviennent plus ouverts qu'ils ne l'étaient autrefois aux divers moyens de preuve. D'ailleurs, ils parlent plus d'un faisceau d'indices que de preuves. Ils considèrent que ce qui constitue l'élément de preuve principal, ou en tout cas le pilier de la constatation, est le procès-verbal de l'agent habilité, et qu'au-delà de ce PV, d'autres moyens viennent corroborer ce qu'a dit l'agent habilité : les photos argentiques, les photos numériques -nous ne nous attendions pas d'ailleurs, et nous avons été très heureux de le constater, qu'ils les reconnaissent- les vues infrarouges, etc. Tout ce que l'on peut leur amener pour emporter l'intime conviction des juges est valable à leurs yeux. A nous, de faire flèche de tout bois et d'être très sérieux dans la restitution des événements, en particulier, en apportant tous les éléments possibles sur la cinématique des navires, leur position, leur vitesse... Nous ne sommes plus obligés, comme nous l'étions à une époque, d'aller faire le prélèvement immédiatement dans le sillage, de comparer à ce qu'il y avait dans les cales, etc. Aujourd'hui, nous ne sommes plus contraints à ce genre d'activités qui a fait que, pendant une bonne dizaine d'années, la répression de pollution était quasiment impossible, et que toute affaire était vouée à un échec judiciaire.

M. le Président : D'ailleurs, d'une façon générale, c'est l'inversion de la preuve qui s'applique. C'est à eux de prouver que ce ne sont pas eux les pollueurs.

M. Jean-Louis FILLON : Oui, enfin, à partir du moment où l'on a un dossier bien établi. Cela nous rassure et nous motive.

M. le Rapporteur : Vous avez aussi un contact avec un parquet spécialisé ?

M. Bernard DEFLESSELLES : Bien sûr. Pour nous, c'est Marseille.

M. Jean-Louis FILLON : La spécialisation des parquets est une excellente nouvelle, mais il nous reste à les former. Nous devons entreprendre un travail de rapprochement avec eux, d'abord avec le parquet général d'Aix, ensuite avec le parquet de Marseille, et je dirais même avec l'ensemble des magistrats, ceux qui auront à connaître ces affaires.

M. Bernard DEFLESSELLES : Il va y avoir des magistrats dédiés, spécialistes de ces affaires. A Marseille, il y en a déjà un.

M. Jean-Louis FILLON : Nous allons travailler avec eux, et nous espérons qu'avec la zone de protection écologique, nous pourrons « ratisser » plus large.

M. Bernard DEFLESSELLES : En tout cas, les sondages ont montré que les trois quarts des infractions constatées se font hors des eaux territoriales.

M. Jean-Louis FILLON : Sur les douze pour lesquelles il y a eu des procès verbaux, dix étaient hors mer territoriale.

M. Bernard DEFLESSELLES : C'est en cela que la Zone de protection écologique (ZPE) va nous aider considérablement.

M. Bruno LEROY : Ainsi, les dégazages sont quasiment tous susceptibles d'être traités du point de vue judiciaire.

M. Jean-Louis FILLON : Il faudra que les moyens soient au rendez-vous.

M. Bernard DEFLESSELLES : Juridiquement, les moyens sont-ils appropriés ?

M. Jean-Louis FILLON : Oui, parce que les commandants n'ignorent pas les dispositions réglementaires. Pour l'instant, ils sont en dehors des eaux territoriales pour commettre leur délit.

M. Bernard DEFLESSELLES : Cela va se savoir. En Méditerranée, il est difficile d'être en dehors de la ZPE. Cela va se compliquer pour les pollueurs.

M. Jean-Louis FILLON : Oui.

M. Bruno LEROY : La surveillance des pêches, c'est le dernier volet des grandes missions des CROSS. Concrètement, nous n'avons pas de zone économique exclusive comme en Atlantique. La réglementation des pêches est très locale et se trouve liée aux différents lieux de pratiques locales, l'idée étant que les campagnes, telles qu'on peut les connaître sur d'autres littoraux, sont en fait celles du thon.

La campagne de thon vient de débuter. Dans le courant de l'été, elle marque une pause et elle reprend ensuite jusqu'au mois d'octobre. L'action de surveillance des pêches s'effectue en fonction de ces modalités.

M. Louis GUÉDON : Pour le thon, vous touchez toute la Méditerranée ?

M. Bruno LEROY : A l'occasion, les pêcheurs sétois vont vers la Tunisie, vers la Libye même, d'ailleurs, ils sont en train de prospecter dans ces eaux-là. C'est une surveillance que nous n'exerçons pas vraiment sur le strict point de vue de la pêche, nous savons qu'ils sont là-bas, nous sommes vigilants en cas de problème -soit de sécurité, soit de cohabitation..

Table ronde regroupant
le Commissaire général Jean-Louis FILLON, adjoint du Préfet maritime pour l'action de l'Etat en mer,
M. Bruno LEROY, directeur du CROSS MED,
le Lieutenant de vaisseau Philippe BERNAT, du Bureau des opérations côtières,
M. Dominique  BRESSON, division « action de l'Etat en mer »,
le Lieutenant de vaisseau Gilles BERNARD, division « action de l'Etat en mer »
et le Major Jean-François HUET, cellule Antipol de la base navale


(extrait du procès-verbal de la séance du 16 avril 2003 -
Toulon)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

M. le Président rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête ont été communiquées aux intéressés. A l'invitation du Président, ils prêtent serment.

M. le Président : Disposant d'un temps limité, je propose de faire un tour de table au cours duquel chacun se présentera pour que nous puissions identifier les fonctions des uns et des autres, et chacun pourra, s'il le souhaite, exposer en préambule les quelques points qu'il souhaiterait porter tout de suite à la connaissance de la Commission. Puis, nous passerons à des questions plus ciblées, par thèmes successifs, du Rapporteur et de moi-même : évaluation des moyens logistiques des administrations qui concourent à l'action de l'Etat en mer ; rôle du CROSS globalement et, plus particulièrement, dans sa surveillance des Bouches de Bonifacio ; bilan de la lutte contre les dégazages et les déballastages sauvages en Méditerranée ; particularités de la zone méditerranéenne en termes de sécurité maritime, notamment la ZPE. Enfin, faut-il intensifier les collaborations entre autorités maritimes internationales ?

M. Jean-Louis FILLON : M. le Président, notre présentation portera essentiellement sur un point sur lequel l'information est généralement insuffisante : je veux parler de la chaîne sémaphorique. Puis, nous en viendrons à la préparation de la lutte contre la pollution, en développant le point que vous avez soulevé, c'est-à-dire celui de l'intervention dans les eaux internationales.

M. Philippe BERNAT : Nous avons revitalisé la chaîne de sémaphores. Nous comptons dix-neuf sémaphores en Méditerranée : douze sur le continent et sept en Corse. J'attire votre attention sur le fait qu'en Méditerranée, sur nos 2 000 kilomètres de côtes, 1 000 se trouvent en Corse : la moitié des rivages méditerranéens français est donc située en Corse. Quatorze sémaphores sont en veille permanente, cinq en veille intermittente, c'est-à-dire uniquement le jour, mais avec la possibilité de les réarmer la nuit en fonction des besoins. Les personnels sémaphoriques sont au nombre de 165, ils font du guet à vue, qui est l'essentiel de leur métier, sont chargés des liaisons de sécurité et pratiquent la veille radar. Leur mission est la sauvegarde des personnes et des biens, l'écoute des fréquences de détresse, la signalisation du bulletin de marine et la participation aux opérations de sauvetage en mer dirigées par le CROSS MED.

La surveillance de la navigation se traduit par le contrôle de l'application des règlements en vigueur, notamment des arrêtés du préfet maritime réglementant la navigation -point bien illustré par le rôle particulier du sémaphore de Pertusato dans les Bouches de Bonifacio- et la communication avec les équipages des navires en transit dans la zone.

La surveillance de la bande côtière se traduit, elle, par la signalisation et le suivi de tous les navires de commerce et des bâtiments suspects. Le directeur du CROSS MED vous a indiqué ce matin la connaissance que nous sommes en mesure d'avoir de la navigation de commerce dans la profondeur de veille des sémaphores, c'est-à-dire dans une bande large de 20 à 25 milles nautiques : ces informations nous parviennent par l'observation et l'interrogation des sémaphores. C'est grâce à eux notamment que nous avons une connaissance assez complète de la navigation de commerce dans les approches françaises.

Nous vous avons parlé de la revitalisation des sémaphores : la couverture sémaphorique était dans une situation qui comportait pas mal de « trous », au moment où s'est produit l'échouement de l'East Sea. L'actuelle couverture sémaphorique est plus cohérente, en distinguant bien les sémaphores en veille permanente et les cinq sémaphores en veille intermittente.

Pour dresser le bilan de l'action des sémaphores, on peut dire que l'identification des navires a bien évidemment progressé au fur et à mesure que nous rouvrions des sémaphores.

J'insiste sur le fait que nous sommes les seuls en Méditerranée à posséder un tel dispositif. En tout cas, ni les Espagnols ni les Italiens n'ont un dispositif de surveillance et de connaissance de la navigation côtière aussi complet que le nôtre.

Pour en venir aux moyens de la Marine nationale, les vols de ses avions de patrouilles maritimes sont quotidiens ; le vol de l'avion des Douanes l'est également. L'action de ces avions, des patrouilleurs de service public de la Marine nationale, mais aussi des patrouilleurs des autres administrations, est coordonnée par le préfet maritime.

M. le Président : Les vols des Douanes suivent vos indications ?

M. Jean-Louis FILLON : L'administration des Douanes organise ses vols de sa propre initiative, mais nous les connaissons et pouvons agir en concertation, c'est-à-dire que le jour où nous avons besoin de dire aux Douanes que nous préfèrerions qu'ils volent dans tel secteur, ils y vont. C'est notamment le cas s'il y a eu la connaissance d'un événement par le Centre des opérations maritimes (COM).

M. le Président : Vous pouvez donc dérouter ces avions ?

M. Bruno LEROY : Le déroutement est très facilement accepté par les Douanes ou la Marine nationale, puisqu'il peut arriver à tout moment qu'un événement soit porté à notre connaissance. Le survol aérien du bâtiment signalé est souvent indispensable pour affiner ou quantifier l'information, car soit le témoin n'a pas toujours la compétence technique, soit, parfois, le navire en question, interrogé par radio, ne donne pas d'informations suffisamment précises pour nous permettre d'évaluer correctement la situation.

M. Jean-Louis FILLON : La connaissance de la navigation commerciale est complétée par les messages que nous recevons sur les entrées et sorties du Détroit de Gibraltar. Ce qui est assez commode, c'est que nous avons une mer fermée et, par l'interrogation de sites internet pour le Bosphore et le Canal de Suez, les mouvements entrants et sortants du bassin méditerranéen nous sont bien connus.

M. le Président : Lors de la Commission d'enquête sur l'Erika, il nous avait été dit, à mon grand étonnement, qu'une bonne partie des navires signalés à Gibraltar s'évanouissait et que l'on ne savait pas trop où elle passait.

M. Jean-Louis FILLON : En Méditerranée ?

M. le Président : Oui.

M. Jean-Louis FILLON : Pour notre part, nous savons quels sont ceux qui entrent en Méditerranée, ensuite, ceux qui vont vers Gibraltar... Excusez-moi si je suis un peu hésitant pour vous répondre. Nous ne suivons de façon complète que les navires qui entrent dans notre zone de surveillance, pas les autres... Cinq cents navires sont tout de même traités chaque jour par le COM.

En fait, plus nous disposons d'informations, plus se pose pour nous la question de notre capacité à les traiter. Nous pourrions tenter de suivre tous les navires, mais en aurait-on vraiment l'utilité ? Je puis dire que nous avons réalisé de gros progrès dans la connaissance de la navigation commerciale, notamment depuis que nous avons la préoccupation d'identifier les navires « à risques », comme l'exigent les mesures prises au sommet de Malaga, qui portent sur douze bâtiments par mois.

M. le Président : En moyenne ?

M. Louis GUÉDON : Cela paraît beaucoup !

M. Jean-Louis FILLON : Non, ce n'est pas très important par rapport au trafic.

Tout d'abord, nous ne sommes pas certains qu'ils correspondent aux critères fixés par les mesures de Malaga parce que ce sont des navires sur lesquels nous n'avons des informations que par les sémaphores et par les dialogues, les échanges entre les sémaphores et les navires. Il faudrait en avoir la certitude. Donc, douze est un chiffre maximum.

Ensuite, il faudrait aussi avoir une meilleure connaissance de l'état réel de ces navires ; ce n'est pas parce qu'ils sont signalés Malaga qu'ils sont tous en mauvais état. On peut supposer que les plus anciens sont en mauvais état, mais pas forcément tous. En tout cas, quand on les connaît, ces navires font l'objet d'une visite systématique par le port français dans lequel ils font escale. Mais tous ne font pas escale chez nous, ce sont aussi des navires qui ne font que passer.

M. Dominique BRESSON : En Manche centrale, l'étude de trafic a montré qu'un certain nombre de navires longeaient la côte au sud de l'Angleterre pour n'arriver dans les eaux territoriales françaises qu'au niveau du CROSS Gris-Nez, il y a un trafic significatif qui n'est couvert ni par les radars d'Ouessant ni par ceux de Jobourg. De la même façon, les premiers éléments de l'étude en cours sur le trafic maritime en Méditerranée lancée par le ministère des transports font apparaître des flux importants au Nord de l'Algérie. Nous connaissons donc, comme le général l'a dit, l'entrée et la sortie à Gibraltar mais, ensuite, les navires n'entrant pas dans la zone de responsabilité du suivi des sémaphores ne seront pas repérés. On commence à savoir par les images satellites, ce dont on se doutait, qu'il existe un trafic important de cabotage côtier au large des pays du Maghreb.

M. le Président : Vous servez-vous d'images satellites ?

M.   Dominique BRESSON : La direction des Affaires maritimes a lancé une étude sur le trafic maritime en Méditerranée visant, justement, à évaluer les futurs besoins de surveillance et a fait appel pour cela au CNES qui a procédé par une technique d'images satellites dans différentes zones, notamment au Nord de l'Algérie, qui a fait apparaître de manière instantanée des flux de navires importants.

M. Bruno LEROY : Cette étude, lancée par la direction des Affaires maritimes et des gens de mer, repose sur plusieurs méthodes, qui visent à centraliser et à exploiter les informations émanant des ports et des différents services de l'Etat, notamment le CROSS, qui est alimenté par les comptes-rendus des sémaphores - 120 000ou 130 000 par an- pour confirmation des routes au sein de l'aire de l'étude, en l'occurrence la Méditerranée occidentale. Une des possibilités de vérification consiste à réaliser un relevé du passage des navires, notamment aux différentes portes de la Méditerranée, en particulier au Détroit de Gibraltar et au Canal de Sicile pour tout le trafic qui part vers la Méditerranée orientale et aussi à l'Est de la Corse, entre Bastia et l'Italie.

M. le Président : Le canal de Corse.

M. Bruno LEROY : On essaie d'établir les routes, d'établir les « débits » en quelque sorte, les flux sur des axes bien définis; par exemple, pour l'axe Gènes-Barcelone, qui est bien connu, on arrive très bien à déterminer ce flux. A partir de là, on mesure le « débit du tuyau » pour calculer un nombre de navires par jour, par semaine et par mois. Que transportent ces bateaux ? On sait, par exemple, que sur tel axe il y a tel type de transport. On le vérifie et on l'affine. Par photos satellites astucieusement prises et sélectionnées, on peut disposer d'un instantané qui permet une validation.

M. Jean-Louis FILLON : Cette étude est toujours en cours. Il est important que la Commission le sache. Ce que nous allons faire, de notre propre initiative, c'est nous rapprocher du port de Marseille-Fos, avec lequel nous entretenons des relations de très grande qualité. Ainsi, le commandant du port de Marseille nous a permis d'accéder à ses bases de données du trafic maritime, ce qui a été précieux pour nous car l'essentiel du trafic maritime pour la France est un trafic entrant et sortant de Marseille-Fos. Sète est également important, mais tout de même bien moins. L'essentiel pour nous est le port de Marseille et la connaissance de son trafic nous a permis d'avoir une meilleure connaissance globale du trafic maritime dans notre zone de responsabilité.

M. Bernard DEFLESSELLES : De quelle manière avez-vous accès aux données ?

M. Jean-Louis FILLON : Par internet, et par le dialogue. Ils nous ont appris à entrer dans leur base de données. Une mission est allée passer une journée chez eux et, maintenant, nous commençons à assez bien savoir ce qui entre et sort du port de Marseille.

Cela paraît évident et simple a priori, mais tout ceci représente des masses d'informations et nous sommes limités par notre capacité à traiter ces informations. Les services chargés du traitement de ces informations soulignent que la massification des données nuit à une analyse qualitative des informations recueillies.

Mon sentiment est malgré tout que nous avons fait de nets progrès dans la connaissance du trafic marchand, sous la contrainte des événements.

M. le Président : Pour le trafic Gènes-Barcelone que vous évoquiez, qui passe nécessairement dans cette zone, comment cela se passe-t-il ? Les navires se signalent au départ ?

M. Jean-Louis FILLON : Justement, ce ne sont pas des ports français, et même si, pour l'étude, il existe une connexion et une relation avec les autorités étrangères, nous bénéficions de l'excellente source d'information que sont les sémaphores des Alpes-Maritimes dont la zone visuelle de radar est justement à proximité de la ligne Gènes-Barcelone, tangente au Cap-Ferrat et Porquerolles. Les sémaphores voient l'écho radar et interrogent le bateau. Il faut que celui-ci réponde et, s'il ne le fait pas, une succession de procédures est mise en place.

M. le Président : Il n'y a pas de déclaration spontanée ?

M. Jean-Louis FILLON : Non.

M. le Président : Il n'existe pas d'accord passé dans ce sens ?

M. Jean-Louis FILLON : Non. Ce que nous avons fait avec le port de Marseille, il faudrait que, demain, cela puisse se faire avec les autres ports et que nous ayons accès aux bases de données de Barcelone et de Gènes. Nous y pensons, bien évidemment, mais auparavant, il faut être en mesure de traiter les informations du port de Marseille, qui représente un « gros morceau » pour les néophytes que nous sommes.

M. Bernard DEFLESSELLES : Et Nice ?

M. Jean-Louis FILLON : C'est un trafic de passagers. On le connaît.

M. le Rapporteur : Oui. Les ports sont-ils associés ?

M. Jean-Louis FILLON : Oui, mais c'est une association à intérêt commercial plutôt qu'à visée de sécurité de la navigation.

M. le Rapporteur : C'est vrai.

M. Jean-Louis FILLON : Mais on connaît le trafic de Nice. C'est un peu comme si l'on nous demandait, dans une interrogation sur le Pas-de-Calais, si l'on connaît le trafic entre Douvres et Calais. La réponse est oui. Nous le connaissons. Pour nous, Nice, c'est pareil...

M. le Rapporteur : A votre avis, cela ne relèverait-il pas du rôle de l'Agence européenne de sécurité maritime d'établir cette liaison avec les ports européens ?

M. Jean-Louis FILLON : Si. Le travail que nous avons réalisé avec le port autonome de Marseille et l'étude à laquelle Bruno Leroy a fait allusion résultent de notre propre initiative parce que nous voulions savoir.

M. le Président : Sont-ils ouverts à vos demandes ?

M. Jean-Louis FILLON : Tout à fait. Je souligne la qualité des relations que nous entretenons avec le port autonome de Marseille.

M. le Président : Et les ports étrangers ?

M. Jean-Louis FILLON : Franchement, nous ne les avons pas interrogés. Pour le moment, nos relations se bornent au cadre du Plan-Ramoge, essentiellement pour les Italiens. Nous n'avons de relations qu'avec leurs garde-côtes, nous apprenons à mieux nous connaître, nous nous rencontrons. C'est après que nous pourrons aller vers les ports. Il faut d'abord être en relation quasi quotidienne avec la capitainerie des ports italiens.

M. le Président : L'Italie a des garde-côtes ?

M. Jean-Louis FILLON : Ce sont les administrateurs des Affaires maritimes italiennes. Ils se dénomment « garde-côtes ». Mais ce ne sont pas les seuls.

M. le Président : Etes-vous en relation avec la Marine nationale italienne ?

M. Jean-Louis FILLON : Non, la Marine italienne remplit peu de missions de l'action de l'Etat en mer, pour ainsi dire aucune. Ils travaillent avec la Guardia di finanzia, c'est-à-dire la douane. La douane italienne a une mission plus large et travaille avec les carabiniers -donc, leurs gendarmes- qui possèdent des moyens nautiques importants. Ce sont les trois administrations, outre la Marine nationale, qui disposent de moyens nautiques significatifs. Un autre partenaire important est le ministère de l'Environnement.

En Italie, nous sommes face à un morcellement. Nous avons deux interlocuteurs principaux, la capitainerie des ports où la connaissance du trafic et la capacité d'intervention est la meilleure, et le ministère de l'Environnement pour les problèmes de prévention, de lutte contre les pollutions et pour les questions relatives à la mobilisation des moyens à terre.

M. Louis GUÉDON : Nous irons prochainement à Madrid et à la Corogne. Comment fonctionnent les Espagnols ?

M. Jean-Louis FILLON : En Espagne, la sécurité maritime est confiée à une société récente qui s'appelle SASEMAR, sociedad de salvamento y de securidad, donc de sauvetage et de sécurité en mer. C'est une agence gouvernementale, probablement sous statut d'établissement public. Elle dispose de moyens propres, essentiellement des remorqueurs et des moyens de lutte contre la pollution. Elle représente notre unique interlocuteur dans le domaine de la pollution et des problèmes de secours en mer.

Pour nous, avec SASEMAR, c'est plus simple qu'avec l'Italie. Mais si nous avons à remplir d'autres missions de service public, nous devons alors faire intervenir d'autres partenaires, comme la Guardia civile ou autres.

M. le Président : C'est un organisme d'Etat.

M. Jean-Louis FILLON : D'après ce que j'en sais, oui. Je vais vous présenter maintenant quelques perspectives que nous sommes en train de mettre sur pied, en particulier un projet d'intégration de l'ensemble de la chaîne sémaphorique et des CROSS, appelé le projet SPATIO, qui permettrait, d'une part, de mieux anticiper les risques dans les approches maritimes et de mieux répondre, en conséquence, à la crainte d'être surpris par un événement que nous n'aurions pas vu venir ; d'autre part, de faciliter la conduite des opérations côtières. Le besoin grandissant d'informations -ce n'est pas à vous, élus nationaux, que je l'expliquerai- se retrouve aussi chez les militaires, pour des impératifs de sûreté de l'approche du territoire national et pour permettre une coopération plus efficace avec les administrations civiles.

Pour cela, le Centre des opérations maritimes doit disposer d'une vue synthétique, de ce que font les sémaphores, de toute l'information disponible sur les navires provenant des diverses administrations afin de mieux informer le centre d'information et d'aide à la décision à Paris, qui, vous le savez, est l'organisme opérationnel placé à la disposition du secrétaire général à la mer.

Le projet SPATIO, système de la surveillance des approches, se conçoit en trois phases distinctes. La première, qui vient de commencer, concerne la seule façade méditerranéenne. Puis, ce sera l'intégration de l'Atlantique et de la Manche et, enfin, de l'outre-mer dans la troisième phase.

C'est un système d'intégration de l'information, émanant des sémaphores, vers le COM de Toulon, ici ; de diffusion de l'information vers le centre opérationnel des Douanes de Marseille ; de mise en réseau de toutes les images radar des sémaphores afin d'avoir une vue synthétique des déplacements des navires, un peu comme le fait le système d'exploitation naval des informations tactiques (SENIT) que vous avez sur les bateaux de guerre de la Marine nationale, bénéficiant de capacités très élaborées. C'est donc une sorte de SENIT destiné à la surveillance de la navigation commerciale que nous sommes en train de mettre sur pied.

Le projet SPATIO sera complété lors de la généralisation de l'AIS et des transpondeurs, et deviendra alors un réseau d'échanges d'informations inter-administrations.

SPATIO est au départ un projet de la Marine nationale, en raison des sémaphores, dans lequel nous allons intégrer les autres administrations, notamment le centre opérationnel des Douanes. Le CROSS MED aura alors une possibilité d'accès -insuffisante à mon avis-, mais il l'aura, aux informations douanières. L'installation de l'AIS est donc en projet et il devrait être hébergé aux Affaires maritimes.

M. Louis GUÉDON : Utiliserez-vous des drônes ?

LV Philippe BERNAT : Ce n'est qu'un projet pour l'instant. Le radar HF pourrait arriver prochainement car les études sont déjà en cours. Mais s'agissant des drônes, c'est à plus longue échéance.

M. le Rapporteur : Mais il y a déjà des études concernant des drônes maritimes, en partie sur des bateaux de guerre.

M. Jean-Louis FILLON : Oui, c'est en effet très intéressant. Nous avons commencé à voir cela avec le CROSS MED. Il est vrai que, hors les marées noires, les marins pêcheurs nous disent qu'on les fait rigoler parce que, eux, on les contrôle par satellite, et que nous ne sommes pas capables de le faire pour les bateaux de marine marchande. Ce sont des réflexions que l'on entend souvent. L'extension à tous navires serait intéressante. Elle est « dans les cartons », prévue pour les prochaines années.

Ce projet SPATIO -on a un peu évoqué l'extension du cabotage maritime- nous permettrait de répondre à ce qui est probablement dans l'esprit de beaucoup de responsables, à savoir une orientation vers un contrôle passif, voire actif, de la circulation maritime. Nous avons la chance d'avoir déjà, avec la chaîne sémaphorique, des infrastructures et un savoir-faire qui nous permettront de passer en phase active dans les cinq à dix années qui viennent ; phase active qui ne sera pas totale comme pour la circulation aérienne, il ne faut pas rêver, et je pense d'ailleurs que l'on s'y épuiserait, mais qui nous permettra dans des lieux définis et pour des navires ciblés de passer en contrôle actif. Il me semble que nous aurons la capacité de répondre. C'est tout l'intérêt de ce projet SPATIO.

M. le Rapporteur : Il est vrai que, parallèlement à cela, le gouvernement souhaite relancer le transport maritime et le cabotage. Il faudrait éviter une connotation trop négative, car si, aujourd'hui, c'est plutôt sur fond de crise que nous menons cette deuxième Commission d'enquête, elle n'a néanmoins pas pour but de condamner le transport maritime, qui est l'un des moins cher et l'un des plus sûrs -normalement, s'il est bien fait- et l'un des plus écologiques, notamment par rapport aux voitures et aux poids lourds.

M. Jean-Louis FILLON : Oui, il est en effet peu polluant.

M. le Rapporteur : De plus, nous avons des situations géographiques pour nos ports, tant en Manche ou en Atlantique qu'en Méditerranée et en Corse, qui sont idéales.

M. Jean-Louis FILLON : En ce qui concerne la prévention des pollutions marines, en complément de ce qui a été dit avec l'amiral Collinet ce matin, il y a les mesures générales liées à la construction et à l'entretien des navires, ainsi qu'à la formation des équipages -ce n'est pas à vous que je dirai, car vous en êtes convaincus, que si les équipages étaient de qualité, il y aurait beaucoup moins d'incidents.

L'accueil des navires en difficulté est un dossier en pleine gestation. Vous connaissez les demandes émanant tant de Bruxelles que du gouvernement pour que nous progressions dans ce domaine. Nous avons, ici, en Méditerranée, passé en revue l'ensemble des ports d'intérêt nationaux susceptibles d'accueillir des navires en difficulté et en avons dressé la liste, que vous trouverez dans le plan POLMAR, avec les avantages et les inconvénients de chaque port, notamment ses capacités d'accueil brutes, le fait qu'il soit situé dans une conurbation ou pas, etc. Il nous reste à recevoir le travail du port autonome de Marseille qui est tellement considérable que nous leur avons accordé un délai supplémentaire.

Nous comptons beaucoup sur la qualité du travail du port autonome de Marseille, tout d'abord parce qu'il s'agit d'un port extrêmement vaste -il fait plus de 45 kilomètres, donc il y a de la place !- et que, même si certains sites du port autonome sont très difficiles à envisager -comme ceux de Lavera, dans lesquels il y a déjà beaucoup d'engagements pris en matière d'accueil de navires pétroliers ou chimiquiers- il existe aussi des mouillages, des quais très longs ainsi qu'une très forte compétence technique en matière de lutte contre la pollution, de lutte contre les dangers chimiques. Cette compétence est au demeurant enrichie notamment par la présence des marins-pompiers, puisque le bataillon des marins-pompiers n'est pas seulement au service de la ville de Marseille mais également à celui du port autonome. De plus, le port de Marseille a une longue expérience de l'accueil de navires en difficultés et dispose d'équipements portuaires adéquats et de remorqueurs capables de récupérer des cargaisons dangereuses.

Donc, tout ce travail est fait à Marseille et nous avons reçu de la part du commandant et de la direction générale un accueil tout à fait favorable à la réalisation de l'étude.

C'est un dossier que nous abordons avec beaucoup de prudence, en sachant que la principale difficulté ne sera ni l'étude elle-même, car les études seront réalisées, ni les paramètres de décisions, car nous savons que ces paramètres sont essentiellement techniques et événementiels, mais celle l'autorité qui décidera.

Le préfet maritime sera certainement, dans le cadre de la préparation de la décision, l'autorité qui aura entre les mains le plus de paramètres de décisions, mais ce ne sera pas une autorité suffisante pour imposer d'accueillir un navire en difficulté dans un port ou ailleurs que dans un port. C'est une décision qui devra être prise à un autre niveau, à un niveau politique très supérieur.

M. le Président : Quel niveau envisagez-vous?

M. Jean-Louis FILLON : A notre sens, le Premier ministre.

Je voudrais, à cette occasion, faire un parallèle avec de ce qui se passe en matière d'emploi de la force en mer. Vous savez, en effet, que dans le décret de 1985 sur l'emploi de la force en mer, l'autorité opérationnelle est le préfet maritime mais, quand il s'agit de tirer sur un navire, la décision est autorisée par le Premier ministre. D'expérience, nous savons que, quand une opération d'emploi de la force en mer est menée, certes, le préfet maritime est l'autorité opérationnelle, mais il est en liaison constante avec le Premier ministre. Je pense que dans ce domaine également, nous ne pourrons avoir de vraie décision que si le Premier ministre s'implique directement.

Tout le reste, c'est de l'habillage. On peut réfléchir, et il y a une mission interministérielle diligentée par le ministère de l'Environnement et le ministère des Transports qui a rendu des conclusions provisoires, qui sont bien évidemment très intéressantes, mais la vraie question est celle de la décision.

Les mesures européennes, vous les connaissez : l'élimination des pétroliers à simple coque, le renforcement du contrôle par l'Etat du port, le contrôle des sociétés de classification. Je souligne la question du Fonds complémentaire d'indemnisation du FIPOL, qui est une question tout à fait importante. Je sais que l'Union européenne avait le projet de créer son propre fonds d'indemnisation si l'OMI n'avait pas la capacité de répondre rapidement. Mais on sait toute la difficulté pour l'OMI de répondre rapidement aux sollicitations. Ceci dit, il ne faut pas lui jeter la pierre car c'est une organisation qui a produit des conventions internationales de grande qualité, sur lesquelles nous travaillons. Il ne faut pas oublier non plus le renforcement des contrôles par l'Etat du port, qui nous paraît la voie la plus importante.

Le préfet maritime dispose de pouvoirs lui permettant d'assurer la sécurité de la navigation. Par arrêté du préfet maritime, les navires transportant des marchandises dangereuses et les pétroliers doivent naviguer au-delà de 7 milles marins et les navires qui sont en avarie doivent se signaler, quand ils sont en avarie, à 50 milles marins ; ce sont des dispositions qui nous permettent de connaître préventivement les bateaux à risques et qui nous mettent, en principe, à l'abri d'une navigation de proximité par des navires potentiellement dangereux.

Nous ne disposons pas de dispositif de séparation de trafic. Je vous montrerai par la suite ce qui existe pour les Bouches de Bonifacio.

En ce qui concerne la prévention des pollutions marines, j'attire votre attention sur l'importance du pouvoir de mise en demeure du préfet maritime. C'est une disposition qui trouve son origine dans la convention de Bruxelles de novembre 1969 et son protocole de 1973, qui permet au préfet maritime, et à l'autorité maritime de façon générale, y compris en haute mer, d'obliger l'armateur et le propriétaire du navire à prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un danger de pollution.

Nous constatons que la France est la seule ou semble être la seule à pratiquer la mise en demeure. Quand nous en parlons à nos amis italiens, ils nous écoutent d'une oreille polie, mais ils ne semblent ne pas la pratiquer. C'est pourtant pour nous un outil considérable qui nous sort notamment du cadre contractuel de l'assistance. Si l'on avait pratiqué la mise en demeure à l'époque, nous serions intervenus sur l'Amoco Cadiz bien en avant.

M. Louis GUÉDON : Et sur l'Erika ?

M. Jean-Louis FILLON : Je n'ai pas suffisamment d'informations à propos de l'Erika. En tout cas, dès que nous avons ou pressentons une difficulté, nous pensons immédiatement à la mise en demeure car, derrière, il y a tout de suite l'exécution d'office, c'est-à-dire la possibilité de prendre les mesures aux frais de l'armateur ou du propriétaire, avec l'équipe d'évaluation et d'intervention composée d'experts de la Marine nationale, hélitreuillée et parée à intervenir très rapidement.

M. Louis GUÉDON : Cette procédure est-elle fonctionnelle maintenant ? Elle ne l'était pas pour l'Erika. Ce fut un point très sensible, qui a fait l'objet d'une demande qui avait été clairement formulée par la Commission d'enquête parlementaire à l'époque. Car, vous le savez très bien, pendant quinze heures, entre le premier appel de détresse et le naufrage, il ne s'est rien passé. Ce fut le grand reproche émis par cette Commission.

M. Jean-Louis FILLON : Il ne s'est rien passé parce qu'à ma connaissance... je ne veux pas entrer dans le dossier mais...

M. Louis GUÉDON : Non, restons-en là. Le dossier est clos.

M. Jean-Louis FILLON : ...il me semble que l'Erika avait annulé sa demande d'intervention. Tout le problème est venu de là.

M. Louis GUÉDON : Le dossier est clos. Vous êtes en plein sur le point de litige et de contestation du dossier. Donc, maintenant, cela fonctionne bien ?

M. Jean-Louis FILLON : Oui. La mise en demeure est appliquée et l'équipe d'évaluation est notre outil opérationnel d'intervention majeur. Le préfet maritime intime l'ordre à l'armateur ou au propriétaire d'un navire risquant de provoquer une pollution de faire cesser le danger dont il est à l'origine. L'équipe d'évaluation et d'intervention intervient sur ordre du PREMAR.

Nous avons peu parlé du Super-Frelon, notre hélicoptère lourd. Ces hélicoptères sont en fin de vie. Leur remplacement est un vrai problème. Le programme NH 90 est long à venir et il faut que nous fassions tenir le Super-Frelon jusqu'au bout car nous en avons un besoin majeur pour mettre en place des équipes d'évaluation d'intervention, voire pour mener des sauvetages hauturiers.

M. le Rapporteur : Quelle est la moyenne d'âge des super-Frelon ?

M. Bruno LEROY : Ils ont quasiment quarante ans. Mais il y a aussi le problème de la distance. On peut intervenir, encore faut-il que la distance permette l'aller-retour et un minimum de temps d'intervention sur place. En bout de zone, pour le sauvetage, il peut être astucieux de faire appel à d'autres Nations...

M. Jean-Louis FILLON : Le problème se pose pour la mise en place d'une équipe spécialisée d'intervention dans le cadre d'une mission qui ne soit pas celle du sauvetage.

Je voudrais maintenant aborder la question des Bouches de Bonifacio Le dispositif, qui n'est pas une véritable séparation de trafic, mais un dispositif de routes recommandées, a été mis en place par un ensemble de résolutions de l'Organisation maritime internationale. La France et l'Italie ont décidé de compléter ces mesures en interdisant aux bateaux battant pavillon italien ou français et chargés de marchandises dangereuses de transiter par les Bouches de Bonifacio. Ces mesures ont conduit à une diminution considérable du trafic maritime à cet endroit, et le dispositif ainsi mis en place nous paraît globalement satisfaisant.

Le trafic est donc en recul. Nous savons qu'il constitue un motif d'inquiétude pour nombre d'élus. C'est pour nous un des points difficiles, que nous surveillons. D'ailleurs, nous prépositionnons le Mérou dès que le mistral est établi pendant, rappelez-moi...

M. Dominique BRESSON : Pendant plus de vingt-quatre heures à plus de 35 nœuds. Dans ce cas, le Mérou part et est prépositionné.

M. Jean-Louis FILLON : Nous aimerions beaucoup que les Italiens prennent parfois le relais. Il n'y a aucune raison que nous soyons les seuls à faire le guet.

M. le Rapporteur : S'ils en ont les moyens...

M. Jean-Louis FILLON : Mais ils les ont ! En tout cas, le trafic a diminué de façon importante. Entre 2001 et 2002, les chiffres font apparaître une baisse du tonnage des marchandises dangereuses transportées, passant de 4 206 à 3 796 tonnes et le trafic d'hydrocarbures a été divisé par six en huit ans. Actuellement, en moyenne, douze navires par jour empruntent les Bouches de Bonifacio, dont deux dangereux. C'est à comparer aux 120 navires qui passent au large de Ouessant.

M. le Président : Par où passent-ils alors ?

M. Jean-Louis FILLON : Ils font le tour.

M. le Président : Pourquoi a-t-on opté pour ces systèmes plutôt qu'une séparation de trafic, comme à Ouessant ?

M. Jean-Louis FILLON : Pour un problème de largeur, parce que pour installer un dispositif de séparation du trafic, il faut de la place sur les côtés, un chenal montant et un descendant, et un petit chenal sans trafic au milieu. On manque de place pour le faire dans les Bouches de Bonifacio. Si elles avaient été plus larges, nous aurions pu installer un dispositif de séparation du trafic.

La surveillance est assurée par le sémaphore de Pertusano et les Italiens devaient mettre en place un VTS à la Magdalena. Depuis dix ans, nous l'attendons toujours. En conséquence, les Bouches de Bonifacio sont un détroit international franco-italien dont la sauvegarde est essentiellement assurée par la France.

Mais nous travaillons tout de même avec les Italiens. Nous progressons et espérons qu'ils seront capables de prendre le relais pour prépositionner un remorqueur d'intervention afin d'intervenir quand un bateau est en position délicate dans les Bouches de Bonifacio.

Nous avons eu il y a quelques mois l'expérience d'un navire en avarie dans les Bouches, nous n'avions pas le temps de faire rallier le Mérou ; les Italiens n'ont pas réagi avec la diligence que nous aurions mise, nous, parce qu'ils étaient restés dans un schéma commercial. « Nous ne mettons en œuvre notre remorqueur que s'il y a un contrat.», disaient-ils. Nous avons, pour notre part, dépassé le stade contractuel depuis longtemps ! Finalement, cela s'est bien achevé, mais parfois, on transpire...

Nous avons déjà abordé la question des nouvelles instructions pour la lutte contre la pollution maritime, et avons déjà évoqué leur philosophie générale. La nécessité d'une coordination entre les autorités terrestres et l'autorité maritime a été soulignée ainsi que le rôle de la zone de défense et les interrogations sur sa capacité à traiter cette question, l'interface terre-mer, avec les départements, constituant aussi une question particulièrement délicate.

Le plan POLMAR-mer est déclenché, sur arrêté préfectoral, par le préfet maritime. Le « patron » de sa mise en œuvre en mer est le préfet maritime, qui informe les préfets des départements littoraux, le préfet de zone et les élus. L'idée-force est, en l'espèce, que tout incident en mer peut se terminer à terre et qu'il faut donc aussi se mobiliser à terre et ne pas s'imaginer que ce qui se passe en mer reste l'affaire des seuls marins.

Les nouvelles structures centrales sont le CICAD MER, centre d'information, de coordination et d'aide à la décision, qui avait été mis en place à la suite de l'Erika. On avait considéré que le secrétaire général de la mer ne disposait pas d'informations et de capacités de réaction suffisamment rapprochées. Ce centre est implanté au centre des opérations de la Marine nationale, rue Royale.

Le COGIC, centre opérationnel de gestion internationale des crises, est placé, lui, au ministère de l'Intérieur. On voit donc, dans les structures centrales, que l'interface terre-mer est bien assurée.

Le rôle du ministère chargé de l'environnement, dont on avait noté l'insuffisance, a, été renforcé, de même qu'a été mieux prise en compte la nécessité de rassembler des expertises, au niveau tant central que local. C'est un point est extrêmement important, car cela conditionne la possibilité pour nous de disposer facilement d'expertises accessibles.

J'insiste sur le rôle des communes et de la coopération intercommunale, quelle que soit la forme juridique que celle-ci prenne. Je m'adresse à des élus, et je sais que vous y êtes particulièrement sensibles.

Je voudrais également souligner, dans l'interface terre-mer, le rôle dévolu aux directions départementales des Affaires maritimes, qui sont vraiment pour nous les experts en la matière, notamment par la connaissance qu'elles ont des moyens nautiques susceptibles d'être mobilisés, voire réquisitionnés par le préfet maritime. Nous en avons eu une parfaite illustration dans l'affaire du Prestige, dans l'utilisation qui a été faite des chalutiers et des moyens pélagiques, avec une efficacité tout à fait intéressante par rapport aux moyens officiels, qui ne sont pas toujours très utiles, compte tenu de la qualité du produit déversé en mer.

L'aspect financier est également important. La cellule financière existait déjà, elle a été confortée dans son rôle. L'accès aux fonds POLMAR gérés par le ministère de l'environnement n'est plus conditionné par le déclenchement d'un plan POLMAR. C'est une mesure très importante de notre point de vue parce que l'accès à ces fonds constituait une sorte de verrou administratif, voire psychologique. Il est bon de savoir que les crédits nous sont accessibles immédiatement en cas de besoin. Cette mesure a été mise en place lors de la dernière réforme.

Les aspects internationaux sont, pour ce qui nous concerne, les accords internationaux techniques. Ainsi, le plan RAMOGEPOL, qui date du 7 octobre 1993, est l'application à la lutte contre la pollution d'un accord plus global et plus ancien, l'accord RAMOGE. Ce dernier était plus axé sur la biodiversité et la protection contre les pollutions telluriques. RAMOGEPOL est un accord technique qui intervient en mer et en haute-mer, alors que l'accord RAMOGE était initialement un accord destiné uniquement au littoral.

Depuis le 22 juillet 2002, nous avons le Lion-Plan, qui n'est pas tout à fait le pendant de l'accord RAMOGEPOL, même s'il en est le symétrique géographique. Il est plutôt la duplication du Biscaye-Plan, qui a été appliqué dans l'affaire du Prestige. Une différence entre le RAMOGEPOL et Lion-Plan est que le Lion-Plan couvre à la fois la pollution et le sauvetage, alors que RAMOGEPOL n'est valable que pour la pollution.

Il convient de noter la collaboration avec le REMPEC, le centre régional méditerranéen pour l'intervention d'urgence contre la pollution. C'est un organisme qui relève de l'OMI, mais aussi de l'Union européenne dans le cadre du plan d'action pour la Méditerranée. Il est appelé à se développer dans le cadre du nouveau protocole d'urgence à la convention de Barcelone. J'insiste sur ce point car le REMPEC sera l'un des points de passage importants dans le dialogue avec les Etats du Sud en matière de prévention et de formation à la lutte contre la pollution. Dans la tradition historique des relations bilatérales que nous avons toujours entretenues avec ces pays, des contacts très étroits existent avec le Maroc, un peu moins avec la Tunisie. Les relations avec l'Algérie sont, elles, beaucoup plus problématiques. Mais il existe une vraie demande et une réelle inquiétude de la part des Etats du Maghreb, et je pense que le REMPEC est une bonne manière de coopérer et d'impliquer l'Union Européenne dans cette coopération avec les Etats du Sud. Il représente donc un outil important.

La zone Lion-Plan jouxte la zone RAMOGEPOL. Lors de l'exercice des 7 et 8 octobre prochains, nous positionnerons notre navire à cheval sur la limite pour faire travailler nos homologues italiens et espagnols.

Le protocole d'urgence à la convention de Barcelone apporte, par rapport au texte précédent, un aspect prévention des pollutions bien plus développé que le précédent protocole d'urgence de 1976 : surveillance des pollutions, échanges d'informations, coopération dans la lutte, ainsi qu'un paragraphe sur l'accueil des navires en difficulté. Il est prévu un exercice POLMAR-mer par an, devant s'articuler avec un exercice POLMAR-terre. Il faut que vous soyez conscients que préparer un exercice POLMAR comme celui dont l'amiral vous a parlé ce matin, nous demande sept à huit mois de travaux.

Ce sont des affaires considérables parce qu'il faut entrer dans une foule de détails : par exemple, comment hélitreuiller sur un navire qui n'a pas de zone dédiée à l'hélitreuillage ? Cela représente aussi un certain nombre de réunions. Comment travailler avec Total Fina Elf ? C'est encore trois ou quatre réunions. Comment travailler avec l'Espagne, l'Italie ? Ç'en est encore d'autres.

Ce sont donc des travaux extrêmement lourds qui voient l'essentiel de l'énergie de la division Action de l'Etat en mer consacré à la préparation, l'exécution et à l'enseignement de ces exercices.

Cet exercice se déroulera sur deux jours : le 7 sera consacré à la partie maritime à laquelle vous serez invités ; le 8, ce sera la partie terrestre, et vous nous inviterez.

Le thème de l'exercice est l'abordage d'un cargo chargé de produits dangereux. Nous avons pris un des navires affrétés régulièrement par TotalFinaElf, l'Alexander, dont l'armateur est marseillais. Nous l'aurons sous la main, ce sera plus commode. Les deux plans POLMAR seront activés.

Dans le cadre de cet exercice, nous testerons aussi les moyens antipollution qui sont gérés par les professionnels et qu'ils peuvent mettre à disposition des autorités publiques en cas de crise. Tout d'abord, le Fast oil spill team (FOST), qui concentre les moyens de lutte antipollution qui appartiennent au groupe Total Fina Elf, et auxquels nous pouvons avoir accès facilement car ils sont cogérés par le Bataillon des marins-pompiers de Marseille. Nous pourrons ensuite recourir aux moyens de l'Oil spill response limited (OSRL), qui est une coopérative d'industriels pétroliers située à Southampton, me semble-t-il, qui va déployer des moyens pour nous, notamment des moyens aériens d'épandage de dispersants. De ce point de vue également, ce sont des exercices extrêmement lourds à monter. Nous avons accédé à OSRL par l'intermédiaire de TotalFinaElf, qui y cotise mais il nous a fallu aller en Angleterre pour les rencontrer.

Cet exercice se déroulera donc au large de Marseille et nous ferons jouer la notion de port-refuge à Marseille ; nous testerons la procédure de demande d'évaluation de la pollution potentielle. Nous ferons travailler les préfectures des Bouches-du-Rhône et du Var, ce qui les obligera à se pencher sur leur plan POLMAR-terre respectif, ainsi que, évidemment, les directions des Affaires maritimes et la zone de défense Sud dans son rôle particulier de cellule de communication, puisque celle-ci est assurée par le préfet de la zone de défense.

Nous allons travailler avec les Espagnols, les Italiens et les Monégasques, mais également dans le cadre communautaire. Nous aurons des observateurs de la Direction générale de l'environnement que nous avons informée de cet exercice. Je peux également vous préciser que l'Italie nous apportera un concours opérationnel. Le ministère italien de l'Environnement a accepté d'affréter un appareil, l'ATR 42, de la garde côtière italienne qui volera pour nous dans le cadre de l'exercice.

Un dernier mot sur la répression des pollutions que nous avons déjà abordée au CROSS MED : 212 pollutions signalées, deux PV en mer territoriale, onze PV en haute-mer, c'est-à-dire dans ce qui est maintenant la zone de protection écologique.

M. Bernard DEFLESSELLES : En termes juridiques, la notion de « zone de protection écologique » va vous ouvrir des opportunités ?

M. Jean-Louis FILLON : La Zone de protection écologique va surtout nous apporter la capacité juridique de dérouter les navires et de les bloquer momentanément dans un port. Les armateurs ne vont pas du tout aimer cela. Ils vont peut-être moins aimer le déroutement que l'amende parce que cela leur coûtera plus cher. C'est vraiment excellent. Cela nous motive beaucoup.

Donc, dans cette zone de protection écologique, répression des contrevenants et application des mesures de Malaga. Notre crainte, c'est que nous ne disposions pas des moyens opérationnels suffisants pour contrôler tous les navires considérés comme potentiellement dangereux par les mesures de Malaga. Nous nous orienterons plutôt vers un « malaga ciblé », en nous efforçant de bien connaître les « clients » susceptibles de nous intéresser. Nous voulons faire un exemple, l'Amiral m'y pousse.

Pour le moment, cette zone de protection écologique n'a pas encore été agréée, si je puis dire, par les Etats étrangers. Le Quai d'Orsay avait fait une campagne d'information très complète pour annoncer cette mesure auprès des Etats du pourtour méditerranéen. Celle-ci semble très bien comprise de l'ensemble de nos partenaires, à l'exception des Espagnols, probablement en raison des contentieux liés à la pêche que nous avons avec eux.

M. Bernard DEFLESSELLES : A la suite de ce qui vient de se produire chez eux, leur position va peut-être changer ?

M. Jean-Louis FILLON : Oui, ils vont mollir en peu, mais il existe tout de même un lourd différend.

M. Bernard  DEFLESSELLES : Il y a d'ailleurs un autre pays qui a accepté la zone de 200 milles nautiques. Le Maroc, me semble-t-il ?

M. Jean-Louis FILLON : En effet.

M. Bernard DEFLESSELLES : Il a même fait dérouter des bateaux.

M. Jean-Louis FILLON : Oui. Il a, en plus, fait passer un message tout à fait intéressant, dont nous comptons nous inspirer pour avertir la navigation.

M. le Rapporteur : Certains Etats membres changent progressivement d'attitude en matière de sécurité maritime : l'Espagne, sous la pression du Prestige et la Grèce comme Etat assumant la présidence de l'Union européenne.

M. Jean-Louis FILLON : C'est bon signe. Quand Chypre et Malte auront aussi quelques étoiles dans leur pavillon, ils seront peut-être...

M. le Rapporteur : Il faudra qu'il paient ce prix-là aussi.

M. le Rapporteur : Sur la zone de protection écologique, en termes de surveillance, quels sont les moyens dont vous estimez avoir besoin ? Vous parliez précédemment des Super-Frelons mais, comme dans votre propos jusqu'à présent, il n'y a eu aucune surenchère, j'aimerais connaître les moyens que vous envisagez pour pouvoir fonctionner correctement.

M. Jean-Louis FILLON : J'ai indiqué tout à l'heure que je ne voulais pas entrer dans une stratégie de moyens parce qu'elle est sans fin.

M. le Rapporteur : Même raisonnablement ?

M. Jean-Louis FILLON : Nous avons bénéficié, dès l'an dernier, de l'affectation en Méditerranée d'un ex-navire hydrographe que nous avons désormais rebaptisé et repeint en coque grise, le patrouilleur de service public Arago. Nous n'avions jusqu'alors, comme patrouilleur de la Marine nationale dédié à l'action de l'Etat en mer, que Le Grebe. Nous avons donc doublé nos patrouilleurs. Ce n'est pas rien.

La plupart des vols, qu'il s'agisse des avions des Douanes ou des aéronefs de la Marine nationale, à finalité multiple, ne font pas des vols au-dessus de la mer territoriale. Ce sont déjà des vols qui se font au large. Donc, les moyens aéronautiques sont déjà en place.

Nous aurions besoin d'un remorqueur d'intervention supplémentaire. Mais, à court terme, ce que nous comptons faire, à défaut d'avoir des moyens accrus, consiste à mettre en place des opérations combinées air-mer en mobilisant les moyens des autres administrations. Nous voulons renforcer notre action répressive par l'intervention de patrouilles coordonnant mieux l'action des moyens de surface et des moyens aériens pour piéger les contrevenants. D'où, d'ailleurs, la nécessité de renforcer l'autorité coordinatrice du préfet maritime pour mieux ratisser et être plus efficaces en mer.

A mon avis, les moyens réunis de l'ensemble des administrations sont suffisants. Nous avons probablement besoin de quelques moyens spécialisés, hélicoptères lourds hauturiers et remorqueurs d'intervention, mais s'agissant de la surveillance globale, entre les moyens de la Marine nationale et ceux des administrations, notre objectif, si l'on veut bien prendre en compte le fait que les dépenses publiques sont contraintes, tend plutôt à mieux faire travailler ensemble ce qui est déjà disponible. C'est l'efficience qu'il nous faut rechercher et trouver.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous de l'idée des garde-côtes placés sous l'autorité de la Marine nationale ?

M. Jean-Louis FILLON : Non, pas de la Marine nationale, mais sous l'autorité du préfet maritime. Ne mélangeons pas les deux. Je pense qu'il faut être sans complexe -je le dis devant mes camarades des Affaires maritimes- sur le fait que la Marine nationale ait le leadership de l'action de l'Etat en mer. C'est une bonne chose, mais le préfet maritime, ce n'est pas la Marine nationale. En tant que représentant du préfet maritime, je demande des moyens à la Marine nationale, mais je ne fais pas le même métier que le capitaine de vaisseau Fabre, qui est adjoint aux opérations. Je lui demande des moyens. Il se trouve que nous travaillons tous les deux à la base, ce qui facilite les choses, et que nous avons une forte zone de recouvrement de compétence, mais nous avons des métiers différents. Il fait du contrôle opérationnel. Nous sommes colocalisés, nous avons le même patron : c'est important. Tout comme n'est pas indifférent le fait que les administrateurs des Affaires maritimes soient des officiers de la Marine nationale. Nous sommes entre camarades. Cela aide, car on se comprend mieux.

Audition de M. Edouard FREUND,
Directeur général adjoint de l'Institut Français du Pétrole


(extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2003)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

M. Freund  est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Freund prête serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Edouard Freund, directeur général adjoint de l'Institut français du pétrole (IFP). M. le directeur général, je vous souhaite la bienvenue.

Vous avez souhaité être auditionné dans le cadre de cette Commission d'enquête et il nous a semblé opportun de vous entendre compte tenu du rôle et des compétences de l'IFP dans le domaine pétrolier.

Je rappellerai à nos collègues que l'IFP est un centre indépendant, mondialement reconnu, de recherche et de développement industriels, de formation et d'information dans les domaines du pétrole, du gaz naturel et de l'automobile. Ses activités couvrent l'ensemble de la chaîne des hydrocarbures : exploration, production, raffinage, pétrochimie, moteurs et utilisation des produits pétroliers.

L'IFP paraît donc particulièrement bien placé pour répondre à des questions portant sur le secteur pétrolier d'autant qu'il ne constitue pas une simple représentation des professionnels, mais qu'il est placé sous la tutelle de l'Etat qui assure les deux tiers de son financement.

Nous serons donc conduits à poser un certain nombre de questions transversales relatives au secteur pétrolier, lesquelles pourront aborder tant les aspects techniques ou économiques du pétrole considéré comme produit, que les flux de son transport maritime ou terrestre.

M. Edouard FREUND : En introduction, vous me permettrez de faire rapidement le point des actions de l'IFP concernant la pollution marine qui nous intéresse aujourd'hui.

L'IFP a tout d'abord participé, en 1979, à la création du CEDRE -Centre de documentation de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux- dont vous avez précédemment reçu les responsables. L'IFP a toujours soutenu cet organisme, d'une part en lui octroyant une subvention annuelle de fonctionnement, qui était de 800.000 F, de 1985 à 1999, et qui est aujourd'hui de 600.000 F, d'autre part en détachant régulièrement du personnel pour participer à un certain nombre des interventions de développement qu'il conduit. J'ajoute que l'IFP est actuellement partie prenante dans plusieurs programmes de recherche de cet organisme.

L'IFP est également représentée au conseil d'administration du CEDRE qui est constitué de représentants de l'Etat et d'organismes publics ou professionnels, d'élus représentant l'ensemble du littoral, ainsi que des membres du comité stratégique.

Dans le cadre du CEDRE, l'IFP a conduit un certain nombre d'actions. Il a notamment participé à l'opération Protecmar dans les années quatre-vingts, en particulier pour ce qui concerne le test des moyens de traitement de nappes de pollution de brut dans des conditions difficiles, et il a contribué à la définition de tests d'homologation de produits de lutte contre les pollutions par les hydrocarbures, tests qui ont été repris et qui sont actuellement utilisés par le CEDRE.

L'IFP a également participé à des essais de bio-restauration de sites pollués par du pétrole brut, en particulier, dans le cadre du projet européen Eurêka-Bioren, de 1990 à 1994. Il s'agissait d'une collaboration franco-norvégienne. L'IFP a, en outre, participé à la rédaction d'un guide sur les propriétés des produits issus du raffinage, point essentiel dans la lutte contre les pollutions. A ce titre, il a réalisé un certain nombre de missions d'expertise.

Plus récemment, au début de l'année 2000, après l'accident de l'Erika, le CEP&M -Centre d'études pétrolières et marines- a lancé un certain nombre de projets de recherche. Ceux-ci visaient à améliorer la prévision des dérives des nappes d'hydrocarbures, notamment en affinant les prévisions météorologiques, à développer des techniques innovantes pour le traitement et surtout pour la récupération du pétrole dans des conditions difficiles, et à mettre au point de nouveaux procédés de récupération et des barges polyvalentes. Cinq nouvelles techniques ont ainsi été étudiées. Un des projets de recherche auxquels a participé l'IFP a pour objet de tester l'efficacité de filets pour le confinement en mer de nappes de matériaux visqueux. Ce projet est coordonné par la société Géocéan, avec pour partenaires le CEDRE, l'IFP et l'IFREMER -Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer. Ces travaux ont permis de valider deux concepts : un chalut de surface nommé Ecrepol, capable de confiner et de récupérer les hydrocarbures dans des filets jetables de faible coût, et une senne de grande dimension capable de maintenir la cohésion des nappes en haute mer. Une demande de financement de leur développement a été faite auprès du Ritmer.

Il faut savoir, en effet, que, suite à l'accident de l'Erika, le Comité interministériel de l'aménagement et du développement du territoire a pris une série de mesures et a créé un réseau de recherches et d'innovations technologiques sur le thème des  pollutions marines accidentelles et conséquences écologiques, réseau dénommé Ritmer. L'IFP fait partie de ce réseau qui associe des équipes publiques de recherche, des acteurs industriels, des opérateurs, des gestionnaires publics et des professionnels de la mer. L'IFP est également membre du comité d'orientation du Ritmer, qui émet un avis sur les projets proposés.

Plus largement, les travaux conduits dans le passé par l'IFP dans le cadre de la pollution pétrolière, marine et continentale, ont concerné aussi bien la mise au point de tests dynamiques pour mesurer l'efficacité et la toxicité des dispersants utilisés -ce sont des tests qui, comme je l'ai précédemment signalé, sont utilisés par le CEDRE- que la mise au point et le développement de formulations plus performantes de dispersants à haute efficacité, de dispersants biodégradants et d'inhibiteurs d'émulsions.

Ces additifs, développés dans le cadre de recherches, ont été commercialisés, via la société CECA qui poursuit leur fabrication. Ils font aujourd'hui partie du stock POLMAR. Dans la mesure où nous disposons d'additifs industriels stockés et disponibles en cas de besoin, les travaux, en ce domaine, ont été suspendus.

L'IFP a participé, avec le concours de la Marine nationale, à des essais de traitement de nappe en mer dans le cadre de l'opération Protecmar, que j'ai déjà cité. A cette occasion, divers capteurs ont été testés et étudiés et notamment des capteurs aéroportés. L'IFP a développé des méthodes de caractérisation et de dosage des hydrocarbures, de leurs produits de dégradation et des composés tensioactifs formés à partir desdits hydrocarbures. Il a mis au point divers équipements et techniques de collecte des nappes en mer -procédés Stopol, Senip, Vip, Demulsip et Inipol IP- qui, bien qu'entièrement développés et disponibles, n'ont jamais été commercialisés, à l'exception de Senip et Inipol IP.

De manière générale, l'IFP a travaillé sur la biodégradation des produits pétroliers et a également participé à la sélection de produits de lavage des rochers et au développement d'installations mobiles de lavage des sables pollués. Il a développé des techniques spécifiques de restauration pour des zones de marigots et pour les nappes phréatiques, ainsi que des méthodes d'analyse et d'expertise sur l'origine des hydrocarbures, de manière à assurer leur traçabilité. Des travaux d'analyse ont notamment été conduits sur les fiouls de l'Erika et, plus récemment, sur celui du Prestige pour retrouver l'origine des dépôts récupérés sur le rivage. Par ailleurs, des analyses et une expertise ont été également développées par les soins de l'IFP sur le comportement des hydrocarbures ayant généré diverses pollutions.

Au nombre de ses travaux les plus récents, l'IFP a réalisé sur le fioul de l'Erika un certain nombre d'analyses qui ont permis de l'identifier, de le reconnaître, de connaître aussi bien ses composés que le devenir des divers produits de ce mélange complexe, que ce soit par solubilisation dans l'eau de mer ou par évaporation, et aussi d'en savoir plus sur les produits de biodégradation.

L'IFP a également eu un rôle d'expert indépendant en intervenant à la demande du ministère chargé de l'environnement et du secrétariat d'Etat chargé de la mer, ainsi qu'à la demande de TotalFinaElf ou de l'Agence française pour la sécurité des aliments (AFSA). Il a été consulté par TotalFinaElf pour définir la meilleure technologie de pompage du fioul de l'Erika, le procédé utilisé s'inspirant d'ailleurs de travaux qu'il a développés dans les années quatre-vingts. L'IFP fait également partie du comité d'experts consultés pour le traitement des sables et des sols pollués par le naufrage et je rappelle qu'il a participé et participe encore au projet Ecrepol, initié dans le cadre du CEP&M et mené par la société Géocéan.

Après l'accident du Prestige, l'IFP a, comme lors du précédent accident, procédé à un certain nombre d'analyses sur le fioul et sa composition et certains de ses experts ont participé au comité organisé par le Ministère de l'écologie et du développement durable.

Telles sont, brièvement retracées, M. le Président, les différentes interventions de l'IFP en matière de lutte contre la pollution marine.

M. le Président : Je vous remercie de votre concision. Ma première question sera la suivante : quelle est l'appréciation de l'IFP sur les risques particuliers liés à la corrosion des navires à double coque par les produits pétroliers ? La corrosion est, en effet, l'un des dangers qui nous ont été le plus fréquemment signalés.

J'aimerais également vous interroger sur l'évolution des spécifications des produits pétroliers et sur la sécurité des transports par voie de mer.

Par ailleurs, je souhaiterais que vous nous précisiez l'état des travaux conduits sur les produits dispersants, susceptibles de limiter les effets néfastes de la pollution par les produits pétroliers les plus polluants.

Enfin, pourriez-vous nous parler de l'efficacité des technologies disponibles pour pomper le fioul dans les cales du navire, y compris lorsque ce dernier se trouve à grande profondeur, comme c'est le cas du Prestige ?

A cette première série d'interrogations, viendront s'ajouter deux autres questions auxquelles vous avez déjà partiellement répondu : tout d'abord, quel est votre sentiment sur le fonctionnement et les résultats du réseau Ritmer, ensuite, comment s'effectue le partage des rôles entre l'IFP et le CEDRE, étant précisé que j'ai pris bonne note du fait que la subvention de l'IFP au CEDRE était passée, si je ne m'abuse, de 800.000 F à 600.000 F ? C'est bien cela ?

M. Edouard FREUND : C'est tout à fait cela ! S'agissant de la corrosion, je dirai qu'il n'y a pas de problème de corrosion spécifique aux navires à double coque au contact du brut : la difficulté qui pourrait survenir dans ces navires tient au fait, bien connu par exemple dans le secteur automobile, qu'il est assez dangereux d'avoir des corps creux, impossibles à visiter ou balayer. L'avantage de la double coque, c'est, d'une part, qu'elle renforce la résistance des navires -dans les bateaux anciens, une partie des ballasts était d'ailleurs déjà indépendante de la coque elle-même, ce qui assurait une meilleure rigidité tout en formant une barrière supplémentaire par rapport à la coque proprement dite- et, d'autre part, qu'elle sépare mieux l'eau de mer du brut. En revanche, elle présente l'inconvénient de laisser un espace entre les deux coques. Or, en fonction de la conception du bateau, ce dernier, non seulement n'est pas toujours aisément accessible pour opérer des inspections et vérifier l'état de l'acier, mais, s'il n'est pas parfaitement étanche, il peut aussi favoriser, en raison du confinement et de l'humidité due à l'entrée d'eau de mer ou de produits pétroliers, le développement de la corrosion. C'est là le problème spécifique qui pourrait apparaître sur les navires à double coque ! Comme la conception de tels navires remonte à moins de dix ans, puisque le renouvellement de la flotte n'a commencé qu'en 1993, c'est un point qui mérite d'être surveillé !

M. le Président : Qu'en est-il de l'évolution des spécifications des produits pétroliers ?

M. Edouard FREUND : En ce qui concerne les produits qui nous intéressent, nous n'enregistrons pas d'évolution. Pour les produits bruts qui sont importés en Europe et qui passent le long de nos côtes, la situation est stationnaire.

Il fut une époque où les raffineurs ont cherché à se simplifier la vie en important des bruts moins soufrés, à la limite moins corrosifs et l'on peut dire, potentiellement, moins polluants, mais, actuellement, ils en reviennent à des cocktails de bruts « standards ». Il n'y a donc pas réellement d'évolution de la nature des produits bruts.

Les raffineurs cherchent, en fonction des disponibilités et des cours, à se procurer des bruts moins soufrés qui sont plus faciles et moins coûteux à traiter, mais on ne peut pas parler d'évolution en la matière.

Pour ce qui a trait à la spécification des fiouls lourds, il faut distinguer deux catégories : les fiouls dits « haute teneur en soufre » et les fiouls dits « basse teneur en soufre », étant précisé que le transport de fioul concerne principalement, voire presque exclusivement, la première catégorie. En effet, la seconde catégorie, qui a subi un traitement assez coûteux et assez poussé et dont la combustion est beaucoup moins polluante, peut être utilisé sur place, dans la raffinerie ayant effectué le traitement. C'est un point important : les fiouls « haute teneur en soufre » sont de moins en moins utilisés dans les raffineries européennes et les centrales de production électrique européennes...

M. le Président : C'est-à-dire que les fiouls transportés sur des navires comme l'Erika ou le Prestige sont des fiouls « haute teneur en soufre » qui ne sont pas jugés dignes du territoire européen qui s'en décharge ?

M. Edouard FREUND : De manière précise, ils sont expédiés dans les pays, comme l'Italie, où ils sont encore utilisés. Ces fiouls « haute teneur en soufre », qui peuvent être traités de manière propre dans des unités équipées de dispositifs de désulfuration des fumées, constituent un combustible bon marché, mais les fumées produites par les installations utilisant ce combustible doivent subir un traitement complexe et coûteux.

M. le Président : C'est le cas en Italie ?

M. Edouard FREUND : Oui, encore que l'Italie ait actuellement tendance à lui préférer le gaz, les centrales au gaz ayant un meilleur rendement que les centrales au fioul. De manière générale, si l'on excepte quelques utilisateurs espagnols, le marché européen qui englobait un nombre limité de pays, est en déclin.

M. le Président : Que va-t-on faire de ces produits ?

M. Edouard FREUND : Actuellement, le marché reste florissant avec l'Asie du Sud-est : ces fiouls trouvent preneurs en Inde et en Chine. Ils arrivent notamment dans les grandes raffineries de Singapour, avant d'être redistribués dans toute l'Asie du Sud-est où ils génèrent d'ailleurs une pollution importante, toutes les centrales qui les utilisent n'étant pas nécessairement équipées des dispositifs de traitement de fumées appropriés.

Actuellement, les raffineries européennes importent donc du brut, utilisent leur partie noble et font un peu de conversion. Ensuite, ce que l'on appelle le « résidu » du raffinage -au sens technique, qu'il ne faut pas confondre avec le sens usuel du terme- qui compose en bonne partie le fioul « haute teneur en soufre », est réexporté vers ces pays où il trouve preneurs en raison de son coût inférieur à celui du brut.

M. le Président : Et le jour où il ne trouvera plus preneurs, qu'adviendra-t- il de lui ?

M. Edouard FREUND : Toutes les technologies existent et sont commercialement disponibles : c'est ce que l'on appelle « la conversion profonde ». En réalité, il y a deux solutions : soit on réalise une opération intermédiaire en traitant ces fiouls de manière assez poussée pour faire en sorte d'en abaisser la teneur en soufre et en composés aromatiques, et donc de les rendre relativement propres, sous la réserve que l'on n'arrive jamais à éliminer complètement le soufre ; soit on se débarrasse de ce combustible, qui, à moins de passer par des dispositifs performants de traitement des fumées, reste relativement polluant, en le convertissant.

Cette seconde solution, dite de « conversion profonde », suppose pratiquement de doubler la complexité de la raffinerie, représente donc un investissement important, et comporte un inconvénient supplémentaire : le coût en énergie. Cette conversion profonde nécessite en particulier de l'hydrogène qui peut être produit, soit à partir d'une partie du résidu proprement dit, soit à partir de gaz naturel. Autrement dit, plus le raffinage est complexe, plus l'autoconsommation est élevée et plus on consomme de l'énergie puisque l'on brûle une partie du brut pour se débarrasser du fioul lourd. Une telle opération nécessite des investissements très lourds pour un résultat qui, somme toute, dans les conditions actuelles, est assez peu rentable pour les raffineurs.

Aujourd'hui, les raffineries européennes ont une autoconsommation moyenne, comprise entre 7 et 9%, ce qui revient à dire que, pour convertir le brut en produits pétrochimiques, il faut consommer en moyenne 8% du pétrole brut. La conversion profonde accroît cette autoconsommation de 30 à 50% ce qui peut faire grimper la moyenne de 8% à 11%, voire 12%.

M. le Président : Ne pensez-vous pas que, compte tenu des drames écologiques qui se succèdent avec les naufrages de navire, il y aurait intérêt à consentir des investissements immédiats plutôt que de courir tant de risques ?

M. Edouard FREUND : C'est en termes économiques que la question se pose! Actuellement, il existe un marché qui, sans être très lucratif, reste intéressant entre l'Europe et un certain nombre de pays. Le différentiel de prix existant, par exemple, entre la décote du fioul lourd au départ de Rotterdam et son prix d'achat en Asie du Sud-est permet à nos raffineries, si le coût du transport reste raisonnable, d'exporter ce fioul. La marge est certes fluctuante, mais elle est restée jusqu'à présent suffisante pour que l'opération, sans être très rentable, s'équilibre tout en permettant de se débarrasser du problème.

M. le Président : Quel est votre sentiment sur les expéditions des raffineries étrangères et des raffineries russes en particulier ?

M. Edouard FREUND : Il est bien connu que nombre des installations de raffinage russes ne sont pas en très bon état et notamment qu'elles ne sont pas dotées d'unités de conversion profonde. Les responsables ont opté pour la solution de facilité !

M. le Président : Les fiouls « haute teneur en soufre » sont très corrosifs pour les cuves ?

M. Edouard FREUND : Oui du fait de la présence du soufre. Disons qu'ils ne sont pas spécifiquement traités pour ne pas être corrosifs ! Le phénomène de la corrosion est assez complexe car il dépend de la manière dont sont gérés les bateaux. La corrosion a diverses origines : formation d'H2S par action de bactéries, nécessité de « nettoyer » le bateau avant d'embarquer une nouvelle cargaison, ce que l'on appelle le « dégazage ». Les opérations de dégazage, quand elles sont effectuées au port, dans des conditions normales, se limitent globalement à des lavages à l'eau, mais il faut savoir qu'un navire qui a commencé à transporter du fioul ne peut plus, sauf après des traitements extrêmement coûteux, transporter des produits nobles comme le gazole. Les parois de ses cuves restent en effet tapissées d'un produit noir qui ressemble à du bitume...

Cela étant, dans les ports, il est possible de pratiquer un dégazage propre et d'éliminer la cargaison avec de l'eau « additivée » qui permet au bateau de repartir, sinon propre, du moins apte à recevoir, sans risquer de la polluer, une cargaison de même type, y compris de fioul « basse teneur en soufre » !

Il va de soi qu'avec les dégazages illégaux en mer, qui sont quand même assez fréquents, les risques de corrosion sont multipliés. En effet, le lavage des citernes à l'eau de mer alors que les parois n'ont reçu aucun traitement de protection conduit à ce que l'eau de mer et le fioul se mélangent, lors de chargements ultérieurs, ce qui est très corrosif.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir répondu de façon extrêmement claire à ces questions que nous nous posions sur l'aspect « malin » du fioul en termes de phénomènes de corrosion.

M. Edouard FREUND : En tant que combustible, le fioul est un produit relativement élaboré, notamment quant à sa stabilité, ce que l'on peut d'ailleurs regretter lorsqu'il est répandu accidentellement. Compte tenu de ses caractéristiques, ce n'est ni un résidu, ni, comme on peut l'entendre dire, un déchet issu du mélange de toutes les « cochonneries » de la raffinerie. Il répond à des spécifications bien définies, en termes de viscosité et surtout de stabilité. Il faut en effet savoir que si l'on ne prend pas de précautions, il peut, à certaines températures, au lieu de rester homogène et liquide, déposer des solides qui s'avèrent catastrophiques pour les installations de combustion !

M. le Président : Je vous avais également interrogé sur les produits dispersants et les technologies susceptibles de pomper le fioul à très grande profondeur...

M. Edouard FREUND : Malheureusement, nous ne sommes pas capables de développer des dispersants du fioul ! La poudre magique n'existe pas. Si, d'ailleurs, elle existait, les raffineurs y auraient déjà recours ! Le fioul lourd est constitué d'un mélange de résidus de conversion et de produits diluants, les fluxants, qui sont des solvants permettant, à température suffisante, de diminuer sa viscosité et d'assurer sa stabilité, faute de quoi, il précipite et devient inutilisable en combustion. Pour récupérer ce fioul sous forme de liquide visqueux mais pompable, il faut savoir qu'il doit être transporté dans des cuves chauffées -ou, au moins, calorifugées-, à la vapeur. Malheureusement, en cas de naufrage, la température baisse -hormis au large d'une partie des côtes bretonnes où la température est nettement supérieure aux 4 degrés habituels au fond de la mer, en raison de la présence du Gulf stream-, ce  qui rend le fioul extrêmement visqueux. Dans ces conditions, il peut, à terme, comme on l'a vu après l'accident du Prestige, remonter sous forme de goudrons auquel cas, il devient nécessaire, pour le récupérer, soit de le chauffer, ce qui présente une difficulté que mesurera quiconque aura essayé de faire fondre du goudron, soit d'avoir recours à un diluant.

En conséquence, la procédure habituelle consiste à employer un solvant. C'est la méthode qui a été employée dans le cas de l'Erika où le solvant qui a été retenu est celui que nous avions préconisé : en l'occurrence, un ester de colza, gazole naturel !

M. le Président : Le carburant vert !

M. Edouard FREUND : Oui et qui présente l'avantage d'avoir un pouvoir solvant plus fort que le gazole normal ! Donc, afin de pouvoir être récupéré, ce fioul refroidi doit être redilué, un peu comme de la peinture ou du goudron dont les taches s'effacent avec de l'essence de térébenthine.

M. le Président : Comment expliquez-vous que, de prime abord, les autorités, notamment espagnoles, aient pu croire que le produit pourrait se figer à très grande profondeur ? Comment la vérité a-t-elle pu autant échapper, en la matière ?

M. Edouard FREUND : La vérité était connue, mais personne ne voulant récupérer dans un port ce bateau mal en point, chacun s'est empressé de le mettre le plus loin possible en oubliant qu'une cargaison, chauffée depuis le départ jusqu'au terme du voyage, met des mois à se refroidir !

M. le Président : Cela signifie que, le temps aidant, elle va se massifier ?

M. Edouard FREUND : Cela devrait normalement être le cas, mais -car il y a un « mais »- un produit n'est jamais complètement massifié ou solidifié. Il faudrait faire des expériences. En effet, la caractéristique de ce produit est très simple : son point de solidification est établi à compter du temps où il ne s'écoule plus en renversant le verre dans lequel on l'a mis ! Selon ce test, les fiouls doivent être solide à 4 degrés ! Mais si l'on met ce produit dans de l'eau de mer, sachant, premièrement, qu'il est moins dense que l'eau de mer, deuxièmement, qu'il a tendance à émulsionner, on obtient ce que l'on appelle « la mousse au chocolat » qui n'a pas du tout les mêmes propriétés que le fioul de départ. En l'espèce, je ne peux donc nullement vous assurer que le fioul qui respecte parfaitement la norme va, dans une cuve située au fond de l'océan et remplie d'eau de mer, se solidifier à tout jamais, même si ses principales brèches ont été colmatées! Personnellement, je ne le pense pas et d'ailleurs je crois que c'est un avis partagé par les autorités espagnoles, d'où le projet, si possible, de pomper ce fioul au moyen de techniques similaires à celles utilisées dans le cas de l'Erika, ou, si l'opération s'avère impossible, de le noyer sous une chape de béton, ce qui n'est évidemment pas une mince affaire !

Le projet actuel est de construire les robots industriels capables d'opérer par plus de 3 000 mètres de fond afin de reproduire les procédures qui ont fait leurs preuves pour l'Erika.

M. le Président : Oui, mais à l'époque à 120 mètres !

M. Edouard FREUND : Actuellement, comme la production pétrolière se fait jusqu'à 2 000 mètres de fond et que l'on vise à atteindre les 3 000 mètres, on pense que cette opération est réalisable, quand bien même il n'existe pas de technologies commerciales « disponibles sur étagères » pour y parvenir. Il faut en effet prendre en considération le fait que la pression à 3 000 mètres de profondeur est à peu près égale à 300 atmosphères. Il n'en demeure pas moins que des projets précis voient actuellement le jour, appuyés sur des travaux engagés pour d'autres finalités, notamment la production de pétrole par très grands fonds.

Je pense que l'opération va être réalisée, car les experts ne pensent pas que ce produit soit de nature à rester gentiment solidifié au fond de l'eau !

M. le Président : Mes deux dernières questions portaient sur le fonctionnement et les résultats du réseau Ritmer et sur le partage des rôles entre l'IFP et le CEDRE.

M. Edouard FREUND : S'agissant du réseau Ritmer je n'ai pas d'informations particulières à vous soumettre : il fonctionne bien !

Vous vous demandiez pourquoi l'IFP avait réduit sa subvention au CEDRE. J'en ai en partie indiqué la raison au passage : l'IFP a fait beaucoup pour la création et le développement du CEDRE avec un financement, à l'époque, était quand même relativement élevé. J'en ai été directement responsable durant toute une période, et je suis donc bien placé pour savoir qu'elle correspondait à un prélèvement non négligeable sur mon programme, mais elle a été versée régulièrement. L'IFP a développé toute une série de produits et de procédés : le pompage du fioul de l'Erika s'est inspiré de travaux conduits bien antérieurement par l'IFP, mais à qui il n'avait pas été donné, jusqu'alors, heureusement ou malheureusement, d'expérimenter ce type de procédés.

En réalité, aujourd'hui, nous ne voyons pas très bien ce que nous pourrions faire de plus, si ce n'est travailler sur la caractérisation, la traçabilité et le marquage des produits de manière à pouvoir reconnaître le brut et affirmer devant la justice que tel fioul a été traité par telle ou telle raffinerie. Nous continuons donc à être actifs et à participer au CEDRE, mais, disons, à un moindre niveau !

M. le Rapporteur : Vous avez, monsieur, déjà répondu à un certain nombre de questions.

Nous avons parlé du transport maritime, mais il existe un autre terme à l'alternative, auquel on a eu recours dans certaines de nos régions : je veux parler de l'oléoduc. Chez nous, le Donges-Melun-Metz a assuré les premiers ravitaillements des troupes américaines en Europe de l'Est. Existe-t-il des moyens sérieux de transporter le pétrole autrement que par la voie maritime ?

M. Edouard FREUND : Il faut d'abord bien voir que le fioul lourd est un produit encore moins sympathique à transporter que le pétrole brut. On peut dire que c'est pratiquement le produit le plus sale qui existe, et que son transport exige, ensuite, de nettoyer les tuyaux. Or, les oléoducs, surtout dans un pays comme la France, sont généralement « multi-produits ».

Par ailleurs, compte tenu des destinations vers lesquelles est acheminé ce fioul lourd, l'opération ne pourrait se faire que partiellement par oléoduc. On pourrait à la rigueur, en dépit de son coût exorbitant, l'envisager pour l'Italie, mais en aucun cas pour l'Asie du Sud-est : le coût du transport terrestre serait déjà terriblement onéreux et il faudrait encore charger le produit en Méditerranée, lui faire franchir le canal de Suez, etc... Je ne vois donc pas de solution économiquement viable à substituer au transport maritime.

M. le Rapporteur : Il faut donc, soit traiter le fioul sur place, soit le transporter à partir de la raffinerie ?

M. Edouard FREUND : Exactement ! C'est la seule solution tant que ce marché existera. Ce sont des sommes considérables qui sont alors en jeu et, malheureusement, les crédits pour intervenir sont difficiles à obtenir.

Ainsi, une étude a été conduite au CEP&M sur le développement de bateaux capables de récupérer en mer des nappes d'hydrocarbures dans des conditions difficiles, le mauvais état de la mer constituant la première difficulté et la houle le premier obstacle au pompage. Il ne s'agit pas de petits bateaux puisque, pour pouvoir pomper efficacement, il fait prévoir au sein du navire, une sorte de lac tranquille. Pour intervenir, il suffirait de disposer, sur l'ensemble de la côte atlantique, de deux ou trois navires de ce genre.

Des concepts ont bien été proposés par les grandes sociétés d'ingénierie, mais de tels bâtiments coûtent largement autant qu'un beau pétrolier, sans même parler des frais de maintenance et d'entretien nécessaires pour qu'ils soient, comme les gros remorqueurs, en permanence prêts à partir. Actuellement, les projets sont demeurés à l'état d'études sur papier ! Le problème est donc d'ordre financier !

M. le Rapporteur : Puisque que vous avez évoqué le problème du nettoyage des cuves, quelle est votre position sur le niveau et l'état des installations des ports européens ? Quel est le coût des déballastages ou des dégazages ? Faut-il qu'ils soient gratuits ?

M. Edouard FREUND : J'avoue que je me suis intéressé au sujet à titre personnel, mais que je ne suis pas très compétent en la matière ! D'après ce que j'ai pu lire, les installations existent, mais comme l'opération de nettoyage n'est pas gratuite, certains essaient de l'éviter. J'ignore à quel niveau de la chaîne, -qui est assez complexe-, intervient la décision, mais force est de constater qu'un certain nombre de navires dégazent de façon illégale.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne les dégazages sauvages, pensez-vous que la surveillance -je pense notamment à la surveillance satellitaire-, puisse être améliorée? Faut-il recourir aux codes ADN des fiouls pour rendre la lutte plus opérationnelle ?

M. Edouard FREUND : En ce domaine, il y a certainement des choses à faire ! S'il est indéniable que le mauvais temps, par exemple, constitue une protection contre l'observation aérienne, il ne l'est pas nécessairement contre une observation satellitaire. Il doit donc être possible -encore faut-il savoir avec quel réseau de satellites- d'opérer des observations plus pointues -qui ne doivent pas, non plus, être gratuites- pour parvenir à établir un traçage. Malheureusement, les dégazages sont parfois incessants dans certaines zones : quiconque a passé des vacances dans les Landes sait qu'il faut rapidement se munir de bouteilles de solvants contre les boulettes de goudron...

Il devrait être possible d'assurer une traçabilité, mais encore faudrait-il répertorier toutes les cargaisons, se livrer à des analyses complexes, et se souvenir qu'il n'existe pas de bateaux complètement propres. Même en restant tout à fait dans la légalité, du seul fait de naviguer, un bateau « lâche » forcément une micro-pollution. Théoriquement, l'amélioration de la surveillance doit être possible. En pratique, elle n'est pas évidente !

M. le Rapporteur : Même si cette question déborde un peu le champ des compétences de l'Institut, quelles sont, selon vous, les mesures à prendre pour obtenir une réelle amélioration de la flotte des pétroliers et le régime des responsabilités entre tous les acteurs du transport maritime ?

M. Edouard FREUND : Faute d'avoir suffisamment bien étudié la question, je peux difficilement émettre un avis sur le régime des responsabilités, d'autant qu'elles obéissent à une organisation qui est fort complexe....

Néanmoins, du fait de la rénovation accélérée qui est imposée et qui est assez avancée -les navires à double coque représentent 50% de la flotte et, compte tenu des réglementations, cette proportion devrait passer à 80%- on devrait arriver à un système moderne et beaucoup plus sûr. En la matière, pour l'essentiel, les mesures ont été prises.

Je me permettrai néanmoins d'en suggérer une qui n'a effectivement rien à voir avec le champ de compétences de l'IFP. Il faut savoir que les grands pétroliers sont des bateaux intrinsèquement fragiles dans la mesure où, non rigides, ils utilisent de manière poussée les caractéristiques des aciers modernes. En conséquence, il faudrait, à mon sens, pouvoir contrôler, non seulement la route qu'ils empruntent car ils ne suivent pas toujours exactement la voie qui leur est tracée, mais les conditions météorologiques dans lesquelles ils s'y aventurent et qui peuvent présenter des risques. Quand on voit dans certains films le type de mer que l'on rencontre à la pointe de la Bretagne, ce n'est pas rassurant ! Des bateaux de 200 mètres paraissent pouvoir résister à toutes les mers, mais il faut savoir que leur structure, qui est, sinon fragile du moins « poussée », travaille et est extrêmement sollicitée dans les mers démontées. Par ailleurs, comme pour le Titanic, il faut à un pétrolier des kilomètres et des kilomètres pour s'arrêter ou changer de voie. D'une certaine manière, bien qu'ils soient équipés de moteurs très puissants et de gouvernails adéquats, de tels bateaux sont très peu maniables !

On voit très bien que les accidents surviennent quand les conditions météorologiques sont mauvaises. Pour autant, peut-on réellement intervenir pour interdire à un bateau de prendre la mer ou l'obliger à s'arrêter en cas de tempête ?

M. Daniel PAUL : Je souhaiterais juste rebondir sur cette dernière question qui est importante. Qui assume la responsabilité de dire à un commandant qu'il doit rester au port et, si une responsabilité portuaire ou administrative prend cette décision, qui assume les surcoûts ?

En cas de tempête annoncée sur le rail d'Ouessant, il peut paraître séduisant de dire à un commandant qu'il est dangereux de prendre la mer, mais qui assume une telle responsabilité ? On touche là à la liberté de naviguer. De même, qui assume la responsabilité de dire à un commandant ou à une compagnie de prendre un pilote hauturier pour effectuer le trajet du rail d'Ouessant jusqu'à Rotterdam ou pour effectuer le trajet inverse ? Ce sont des questions importantes.

M. le Président : Oui, mais le directeur général adjoint de l'IFP est devant nous pour nous parler plus des produits pétroliers que du droit et des transports maritimes et je pourrais comprendre qu'il ne veuille pas répondre à ces questions, même si elles sont très pertinentes !

M. Daniel PAUL : M. le Président, la dénomination de l'Institut qu'il dirige comporte le mot « pétrole » et, puisque les pétroliers sont souvent en cause, peut-on estimer que les pétroliers ont les moyens d'assumer le risque de s'entendre dire que leur cargaison doit rester au port ?

M. le Président : La question s'adresse plus aux pétroliers eux-mêmes qu'au représentant de l'Institut du pétrole dont la mission est plus théorique, si j'ose dire.

M. Edouard FREUND : Je suis incompétent pour répondre à cette question, mais elle a sans nul doute des répercussions économiques importantes puisqu'on sait que certaines cargaisons sont retardées ou accélérées en fonction des fluctuations des cours du produit transporté.

M. Daniel PAUL : Et non pas en fonction des marées...

M. le Président : Cette audition a été extrêmement intéressante et nous avons beaucoup appris sur la qualité et le transport des fiouls, sur les résidus des raffineries et les phénomènes de corrosion. Nous vous remercions donc d'avoir demandé à être entendu.

Audition conjointe de M. Xavier CONTI, Directeur des assurances transports à la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), M. Jean-Paul LABORDE, Conseiller parlementaire à la FFSA et M. Alain DELCROIX, AXA Corporate Solutions Assurances

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2003)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

MM. Conti, Laborde et Delcroix sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Conti, Laborde et Delcroix prêtent serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons M. Xavier Conti, Directeur des assurances transports à la Fédération française des sociétés d'assurances, M. Jean-Paul Laborde, Conseiller parlementaire à la FFSA et M. Alain Delcroix, représentant d'un assureur opérationnel, en l'occurrence AXA Corporate Solutions Assurances.

Je soulignerai d'abord que les assureurs maritimes constituent des acteurs importants, sinon essentiels, de la problématique de la sécurité du transport maritime et cela sous plusieurs aspects.

D'abord, les compagnies d'assurances, par leur tarification, peuvent influer sur le coût des transports qui constitue souvent un paramètre primordial dans les politiques d'affrètement. Ensuite, elles peuvent intervenir directement dans le contrôle des navires utilisés en sélectionnant les risques qu'elles acceptent de couvrir. Enfin, elles sont naturellement les acteurs clés des procédures de remboursement des dommages.

M. Xavier CONTI : M. le Président, mesdames et messieurs les députés, je vous propose, dans un exposé introductif d'aborder trois thèmes.

D'abord, je vous présenterai l'assurance maritime, ses mécanismes et son fonctionnement, ensuite je détaillerai les mécanismes d'indemnisation et les solutions assurantielles qu'ils sous-tendent et enfin, j'exposerai quelle est la contribution des assureurs maritimes à la chaîne de sécurité du transport maritime qui nous occupe aujourd'hui.

Trois catégories de couverture peuvent être souscrites dans le cadre de l'assurance maritime : l'assurance corps qui est l'assurance des navires eux-mêmes ; l'assurance facultés qui couvre les marchandises transportées ; enfin, l'assurance de responsabilité.

L'assurance corps s'applique très généralement à tous les corps de véhicules de transports, qu'ils soient maritimes, lacustres ou fluviaux. Les navires de commerce, les navires de pêche, les navires de plaisance, les navires en construction qui relèvent également de notre branche, les plates-formes « off shore » de forage en mer, les plates-formes mobiles notamment, relèvent de l'assurance corps.

Les garanties souscrites dans le cadre de cette catégorie d'assurances couvrent d'abord les dommages subis par le navire lui-même, plus exactement les pertes et dommages matériels du navire  comme le coût de remplacement des pièces ou de réparation de ses parties abîmées pour le remettre en état de navigabilité. C'est un point très important qui sera développé tout au long des trois parties de mon exposé.

Elles couvrent ensuite les frais et dépenses exposés à titre conservatoire dans l'intérêt du navire et notamment les indemnités d'assistance dont celle connue sous la formule du contrat « no cure no pay » qui peut être majorée par le juge ou l'arbitre pour tenir compte de l'habileté de l'assistant à prévenir ou limiter des dommages à l'environnement.

Elles couvrent enfin les dépenses dites « raisonnablement exposées » en vue de préserver le navire d'un événement garanti ou d'en limiter les conséquences : ce type de dépenses a pour objet d'aider l'armateur en difficulté à recevoir, de la part de l'assureur, les indemnités qui lui permettront de faire face à des dépenses permettant de limiter les conséquences d'un sinistre ou d'un évènement et de remettre le navire en état de navigabilité.

L'assurance facultés est celle des marchandises transportées. Je ne m'étendrai pas trop longuement sur le sujet puisqu'il suffit de savoir que, comme son nom l'indique, elle couvre les cargaisons : dans le cas d'un transport de pétrole, elle couvre donc le pétrole. Elle s'applique à tous les modes de transports et, par conséquent, aux marchandises transportées aussi bien par voie maritime que par voie terrestre, aérienne ou fluviale.

L'assurance de la responsabilité du transporteur maritime est celle qui nous intéresse au premier chef dans le cadre de l'événement du Prestige. Contrairement aux deux premières catégories d'assurances, qui sont des assurances de dommages et de biens, les garanties couvertes dans le cadre des assurances de responsabilité ne relèvent pas du marché des compagnies d'assurances à primes fixes, que nous appelons « le marché commercial », mais du marché des « P&I Clubs », mutuelles d'armateurs qui se sont regroupées depuis le milieu du XIXe siècle pour faire face au risque important qu'est la responsabilité du propriétaire de navire.

Quels sont les risques couverts dans le cadre de l'assurance de responsabilité ? Tout d'abord, les dommages corporels subis par l'équipage, les passagers ou les tiers. Ensuite, les dommages matériels causés à des biens appartenant à des tiers. Enfin, les dommages aux marchandises transportées elles-mêmes, qui mettent en cause la responsabilité civile du transporteur, ainsi que les dommages à l'environnement et notamment, l'indemnité spéciale d'assistance que j'ai déjà évoquée et qui peut être décidée par le juge ou l'arbitre pour récompenser les efforts d'une société d'assistance et de sauvetage ayant réussi à prévenir ou à limiter un dommage à l'environnement : je pense notamment aux pollutions.

Nous aurons l'occasion de revenir sur cette garantie qui est très importante dans la mesure où, contrairement à la règle du « no cure, no pay », les efforts ou l'habileté des « assistants » sont pris en compte, y compris si l'opération de sauvetage du navire n'a pas été couronnée de succès. Malheureusement, ce texte n'était pas en vigueur à l'époque du Prestige, mais cette indemnité spéciale d'assistance devrait, dorénavant, favoriser la prise en compte par les « assistants » de l'intérêt de protéger l'environnement d'un évènement comme celui que nous avons connu avec le Prestige.

Quel est le chiffre d'affaires développé par l'assurance maritime mondiale ? Si je me réfère aux chiffres mondiaux de 2001, le chiffre clé à retenir est celui de 13 milliards d'euros qui correspond à l'ensemble de la prime mondiale collectée par les assureurs maritimes, ce qui représente 1% du chiffre d'affaires de la prime mondiale d'assurance. Cette indication prouve qu'il s'agit d'un marché relativement marginal. Les assurances corps constituent 22% de ce chiffre d'affaires, soit environ 2,9 milliards d'euros, les marchandises transportées 54%, soit 7 milliards d'euros, et la responsabilité, y compris les cotisations collectées par les « P&I Clubs » 18%, soit 2,3 milliards d'euros.

Il est important pour comprendre ce que nous disons, nous assureurs, lorsque nous parlons de la capacité du marché mondial à faire face à des sinistres de ce genre, de rapprocher ce dernier chiffre de celui d'un milliard d'euros que l'on cite souvent comme étant celui que pourrait atteindre le sinistre maximum en matière de pollution marine. La comparaison illustre bien le fait qu'un sinistre avec une pollution majeure représente, à luis seul, la moitié de la prime mondiale.

La part du marché français, sur lequel je ne m'attarderai pas, car il convient de se situer dans un raisonnement international pour évoquer le problème qui nous occupe, est évaluée à 6% du marché mondial, ce qui équivaut à 800 millions d'euros, dont 300 millions d'euros pour le marché corps, soit 10% du marché mondial, et 500 millions d'euros pour le marché facultés, soit 7% du marché mondial. Dans la mesure où nous ne collectons pas de R.C -responsabilités civiles-, nous pouvons dire que le marché français représente globalement 6% du marché mondial.

C'est volontairement que je n'ai pas parlé de l'exploitation pétrolière en mer, qui regroupe tous les risques « off shore », puisqu'elle ne constitue qu'une fraction très marginale du marché mondial : 6% de la prime globale.

Il est intéressant de noter que le marché de l'assurance maritime est un marché qui appartient à la catégorie des marchés dits « grands risques », ce qui signifie que, à la différence de celle des risques de masse, les risques qu'elle couvre peuvent atteindre une intensité très importante, d'où la nécessité d'une co-assurance : il est rare que les grands risques que nous souscrivons le soient à 100% par un seul opérateur.

Cela étant, le marché français est très concentré -seules 57 compagnies françaises et étrangères pratiquent aujourd'hui l'assurance maritime sur le marché français- et très ouvert à l'international : bon nombre de compagnies étrangères pratiquant l'assurance maritime sont établies en France. Pour illustrer cette concentration, il me suffira de vous indiquer que les dix premières sociétés qui opèrent sur le marché français réalisent à elles seules 90% du chiffre d'affaires de l'assurance maritime dont je viens de vous parler.

Vous me permettrez de dire quelques mots sur la sinistralité. Nous constatons, ce qui peut vous paraître paradoxal, une amélioration sensible de nos statistiques relatives aux pertes totales de navires par rapport à la flotte mondiale. En effet, le pourcentage de ces pertes -tous navires confondus- qui était de 0,4% en 1989, est passé en dessous de 0,2% en 2001. Ces chiffres sont corroborés par la courbe en tonnage qui permet d'effectuer une légère correction statistique et qui part, elle, de 0,2%, en 1989, pour arriver à 0,1% en 2001, ce qui correspond à une division par deux du nombre des pertes de navires.

Comment expliquer cette amélioration qui paraît paradoxale au moment où nous sommes réunis pour parler d'événements dont l'intensité nous préoccupe ?

Nous, assureurs, nous travaillons toujours dans le risque de fréquence et nous nous efforçons, avec nos partenaires, de maîtriser de mieux en mieux la sécurité des navires. On peut constater que les statistiques reproduisent les effets de la réglementation maritime, que ce soit les efforts consentis au niveau de la classification, de l'introduction du code ISM -notamment avec les améliorations de la convention Solas puisque vous savez que le code ISM a été introduit en deux temps : en 1998 et en 2002- de l'amélioration des équipages sous l'égide de la convention STCW, ou du « Port state control » qui fournit aux assureurs des informations très importantes sur la qualité des navires. On peut également citer les progrès réalisés au niveau de la construction des navires, et aussi et surtout, l'amélioration de la qualité de la maintenance des bateaux.

En ce qui concerne les pétroliers de plus de 700 tonnes, on relève qu'en trente ans, on est passé de trente naufrages à sept naufrages par an. J'insiste cependant sur le fait que toutes ces statistiques dressent un constat de la diminution de la fréquence des évènements et naturellement pas de leur intensité ! Il va de soi que je considère que les affaires de l'Erika et du Prestige sont deux accidents de trop !

M. le Président : Pouvez-vous nous traduire ces données en tonnage ? Quel est le rapport en tonnage entre la perte de ces trente navires anciens et celle des sept navires actuels ?

M. Xavier CONTI : Je ne dispose pas de statistiques ventilées par type d'événement concernant les pertes totales en tonnage, mais j'essaierai de me les procurer et de vous les faire parvenir.

Je crois important d'énumérer les causes de la sinistralité. Celles que nous constatons avant tout dans nos métiers sont les intempéries, les tempêtes, les abordages, les échouements et les explosions. C'est essentiellement l'erreur humaine, notamment la faute nautique, qui est à l'origine de tels événements, mais aussi les défaillances de structure dont les ruptures de coque et les avaries de moteur ou de gouvernail.

Si l'on étudie assez rapidement la liste des grandes catastrophes pétrolières, on s'aperçoit que l'échouement a concerné un grand nombre de navires : le Torrey Canyon ; l'Exxon Valdez qui est à l'origine de l'« Oil Pollution Act » de 1990, aux Etats-Unis ; l'Aegean Sea, en 1992 ; le Braer, en 1993 ; le Sea Empress, en 1996. L'échouement est donc un facteur important ! On peut aussi retenir deux cas graves d'incendie et d'explosion : l'Atlantic Empress, en 1979 et le Haven, en 1991. De tels événements, dont les causes sont bien repérées, et qui sont celles que nous relevons le plus fréquemment, malheureusement, se répètent !

Voilà, assez rapidement présentée, la situation de l'assurance maritime. Sachant que le sinistre maximum serait d'un milliard d'euros, la capacité du marché est insuffisante et c'est ce qui me conduit à vous parler maintenant des mécanismes d'indemnisation. Je pense que votre Commission est déjà assez éclairée sur ce sujet, aussi je me bornerai, sans entrer plus avant dans les détails, à vous livrer le point de vue de l'assureur.

Pour synthétiser, je commencerai par rappeler les grands principes qui président à ce mécanisme dit «  à deux niveaux ».

Le premier principe est celui d'une responsabilité objective, canalisée sur le propriétaire du navire, c'est-à-dire celui au nom duquel le navire est immatriculé, étant entendu que l'on peut plus facilement identifier un propriétaire de navire par l'immatriculation de son navire. Lui seul, à l'exclusion de tout autre opérateur de transport, y compris l'affréteur, l'opérateur commercial ou l'opérateur technique -dans le cas du Prestige, on trouve à la fois un armateur et un opérateur technique- est responsable au titre de la convention CLC que vous connaissez bien !

On ne peut que très rarement s'exonérer totalement de cette responsabilité, en l'occurrence, seulement dans les trois cas suivants : le risque de guerre, la faute volontaire d'un tiers qui exonèrerait complètement le navire et la cause totalement imputable à la victime. Ce sont des cas de figure que je vous cite pour mémoire.

Le deuxième principe qui est un peu le corollaire de cette responsabilité objective canalisée sur un seul opérateur, c'est-à-dire l'armateur, est celui de l'obligation d'assurance ou de garanties financières du propriétaire du navire avec, exception notable, un droit d'action directe contre l'assureur, qui est inscrit dans la convention CLC et qui est très important dans la mesure où il constitue une protection pour les victimes.

Le troisième grand principe est celui d'une responsabilité limitée. Vous savez que les limitations, jusqu'à présent, sont fixées à 59,7 millions de DTS, soit 75 millions d'euros qui sont appelés à passer, au premier novembre 2003, à 89 millions de DTS, soit 113 millions d'euros. Je vous rappelle que ce plafond n'est pas opposable lorsqu'il y a faute intentionnelle ou inexcusable du propriétaire de navire.

La couverture des risques de pollution est donc fournie par les « P&I Clubs ». Il convient de signaler que ces derniers délivrent des couvertures qui peuvent aller, dans le cas, par exemple, des demandes de garanties financières, faites aux Etats-Unis par l'Etat de Californie, jusqu'à un milliard de dollars. Il faut cependant savoir que le plus élevé des certificats demandés dans le cadre de l'OPA de 1990, les certificats dits COFR, pour « Certificates of financial responsability », dont vous avez peut-être entendu parler et qui sont imposés par la réglementation fédérale, atteint aujourd'hui 400 millions de dollars. Par conséquent, la garantie du « P&I » qui accorde ses garanties au navire le plus exposé vis-à-vis des risques américains est aujourd'hui de 400 millions de dollars.

Les responsabilités et les garanties sont donc limitées, y compris lorsqu'elles sont fournies par les « P&I Clubs ».

Je souhaiterais, maintenant, vous faire un bref commentaire sur la remise en cause du mécanisme actuel : nous estimons, nous assureurs, qu'il faut, effectivement, parfaire le système, mais sans oublier les problèmes liés aux limites de capacité du marché de l'assurance que je viens d'évoquer. Pour que le mécanisme actuel puisse donner satisfaction, il faut, en effet, que les sinistres soient de faible intensité. Alors, le mécanisme fonctionne bien, les indemnisations sont effectives et peuvent intervenir rapidement.

Pourquoi n'est-ce pas le cas lorsque les plafonds sont atteints ? En raison de l'un des principes qui régissent les indemnisations du fonds FIPOL : le principe de la répartition au marc le franc. Quand on sait que les réclamations vont dépasser les plafonds du FIPOL -135 millions de DTS et 203 millions de DTS au premier novembre 2003, étant précisé que, malheureusement, le DTS évoluant par rapport à l'euro, monnaie dans laquelle sont exprimées les réclamations, de très importants effets de change doivent être pris en compte-, le FIPOL doit attendre. Comme il lui faut faire la collecte de toutes les réclamations et vérifier qu'elles sont fondées et établies, ce qui prend du temps, il ne peut qu'appliquer un prorata aux indemnisations demandées.

Nous avons appris, il y a deux jours, que, pour l'Erika, le fonds FIPOL a déclaré pouvoir rembourser les indemnités à hauteur de 100%, ce qui signifie que le délai d'indemnisation aura été de trois ans. Bien qu'encore trop long pour les victimes, ce délai est exceptionnellement court au regard de ce qu'ont été les délais d'indemnisation pour le Torrey Canyon, par exemple, ou encore pour l'accident de l'Exxon Valdez, survenu en 1989, et dont les victimes ne sont toujours pas totalement indemnisées.

S'il a été possible d'indemniser en l'espace de trois ans les victimes de l'Erika, c'est parce que l'Etat et Total ont accepté de ne pas produire leurs créances vis-à-vis du FIPOL ce qui a permis à ce dernier de disposer de suffisamment d'argent pour annoncer qu'il allait indemniser à 100%.

Par rapport à ce mécanisme, voici quelles sont nos positions.

D'une part, au niveau du propriétaire de navire qui est le premier niveau, nous considérons que le mécanisme actuel peut être amélioré, grâce notamment aux propositions de la Commission européenne qui seront prochainement débattues dans le cadre du protocole qui va être soumis à la Conférence diplomatique de l'OMI, au mois de mai. Pour que le risque reste assurable, nous plaidons en faveur du maintien du principe de responsabilité objective limitée assorti d'une assurance obligatoire. Il permet de débloquer aisément les indemnisations de premier niveau. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il faille maintenir les limites actuelles : nous sommes conscients que ces limites sont insuffisantes et que, plus elles seront élargies, dans le cadre des possibilités du marché, sachant que tout le monde est réaliste et souhaite rester dans le domaine du possible, plus l'indemnisation sera rapide.

D'autre part, concernant le plafond FIPOL, il paraît évident qu'il convient encore de le relever pour tenter d'atteindre des limites d'un niveau au moins équivalent à celui de ce certificat COFR auquel j'ai fait allusion et qui est le produit de l'expérience américaine. Ce niveau de 400 millions de dollars pourrait, dans un premier temps, être atteint. C'est ce chiffre du sinistre maximum retenu aujourd'hui par plusieurs opérateurs ou acteurs du monde maritime qui est proposé et qui va être étudié pour le troisième niveau du fonds FIPOL.

Le principe de cette création d'un fonds complémentaire de troisième niveau paraît tout à fait souhaitable, du point de vue des assureurs que nous sommes et qui, je le précise, ne sont pas les bailleurs de ce fonds puisque les sommes collectées par les Etats proviennent des réceptionnaires d'hydrocarbures. C'est, en tout cas, le principe qui sera proposé lors de la conférence diplomatique du mois de mai.

Nous estimons également, ce qui me semble important, qu'il convient de toujours conserver ce souci, que vous partagez, de responsabiliser les acteurs. Il faut donc donner toute latitude au FIPOL de se retourner contre les responsables qui peuvent être, de nouveau, le propriétaire du navire, notamment si sa faute inexcusable peut être établie, mais aussi l'affréteur, l'Etat du pavillon, l'Etat riverain, la société de classification ou tout autre acteur. Nous pensons que c'est à ce niveau, et non pas forcément au premier niveau, que la responsabilisation peut se faire. Ce fonds, qui a le mérite de pouvoir indemniser rapidement sous les réserves que je viens d'émettre, doit, en effet pouvoir lui-même agir dans le sens de cette moralisation que nous avons tous appelée de nos vœux au cours des récents débats publics, et qui nous semble constituer une bonne solution.

S'agissant maintenant de la chaîne de la sécurité maritime, je dirai d'abord qu'il s'agit d'une chaîne extraordinairement complexe dont les acteurs sont nombreux. Sans les citer tous, je vous en livrerai une liste que nous avons établie par ordre d'importance.

Nous y trouvons les armateurs et les opérateurs : l'opérateur qui intervient techniquement pour la mise en état de navigabilité du navire et l'opérateur commercial qui l'utilise à des fins commerciales ; les chargeurs, essentiellement les affréteurs pour ce qui concerne les pétroliers ; le personnel navigant dont la qualification et la formation qui sont primordiales méritent d'être renforcées, notamment à travers la convention internationale à laquelle j'ai fait précédemment référence ; les sociétés de classification ; l'Etat du pavillon ; l'Etat du port, mais je pourrais également citer les chantiers navals, les banquiers, les assureurs etc.

M. le Président : Cette liste figure dans les documents que vous nous avez remis ?

M. Xavier CONTI : Non, mais je pourrai vous la communiquer!

Comment contribuons-nous, nous les assureurs, à cette chaîne de sécurité ? En agissant dans trois domaines qui relèvent de notre métier : premièrement, en sélectionnant les risques ; deuxièmement, en intervenant lorsqu'il y a opération de sauvetage et d'assistance ; troisièmement, en indemnisant le sinistre.

En ce qui concerne, la sélection des risques, je dirai en préalable que, si les assureurs, qui ne sont pas des philanthropes, sélectionnent les risques, c'est parce qu'ils ont besoin de limiter le risque qu'ils vont prendre. En effet, les premiers punis en cas de sinistre, ce sont les assureurs qui devront payer l'indemnité et notamment, s'agissant des assureurs du marché français qui sont essentiellement des assureurs corps, le coût de la coque. Une sélection est donc nécessaire : aujourd'hui, nous pouvons dire que, sur le marché français, les grands opérateurs qui sélectionnent les risques ne retiennent que 15% des affaires qui se présentent ! En raison de l'extrême rigueur de la sélection, le marché français corps perd des affaires par rapport au marché mondial, ce qui se traduit par une baisse relative de son chiffre d'affaires : pour 2002, l'augmentation du chiffre d'affaires n'est prévue qu'à hauteur de 4% alors que les revalorisations des tarifs sont de l'ordre de 20% !

Sans entrer dans les détails, je tiens à signaler que, sur le plan juridique, les contrats que nous proposons à nos assurés français comportent des dispositions contraignantes qui les obligent à respecter un certain nombre de conditions liées à la sécurité maritime.

Nous réclamons, d'abord, que nos assurés s'engagent, sous peine de résiliation de la police, à observer, dans les délais fixés par les sociétés de classification, les recommandations, exigences ou restrictions qu'elles imposent. Ainsi, nous nous appuyons sur le rôle des sociétés de classification en mettant à la charge de nos assurés le respect de leurs exigences.

Nous demandons ensuite -mais cette fois avec l'accord de l'assuré, car c'est la règle en la matière-, à avoir accès au dossier de classification du navire. Si, malgré l'accord de l'assuré, nous ne pouvons pas accéder à son dossier, ou si, accédant à ce dernier, nous constatons que les prescriptions du registre ne seraient pas respectées, nous nous réservons le droit de résilier la police.

Nous introduisons, enfin, dans nos polices internationales, puisque nous couvrons beaucoup de risques internationaux, des « classification clauses » qui imposent également un registre de classification reconnue. Généralement, nous exigeons que les sociétés de classification soient elles-mêmes membres à part entière de l'IACS, l'Association internationale des sociétés de classification, et nous demandons, que la classe du navire ne soit ni retirée, ni suspendue, sous peine de rupture automatique de la garantie.

En ce qui concerne les assurances facultés, qui couvrent les cargaisons, nous faisons également peser des obligations très importantes. Nous demandons que les navires sur lesquels sont chargées les marchandises aient la première cote d'un registre d'une société de classification, membre à part entière de l'IACS : c'est une condition de base. Nous exigeons que ces navires soient ISM : si le navire ne répond pas à cette condition, il n'entre pas dans le domaine d'application de la police qui est alors réputée nulle et non avenue. Nous considérons que la situation est illégale et nous estimons, par conséquent, que nous n'avons pas même à résilier la police. C'est là une disposition très importante et nous nous sommes engagés, en 1998, par voie de presse, à soutenir le code ISM que nous considérons comme un des facteurs majeurs de la sécurité maritime. Ce code, comme vous le savez, s'applique à tout navire, depuis le premier juillet 2002.

Pour ce qui a trait à notre deuxième domaine d'intervention qui est celui de l'assistance et du sauvetage, nos polices comportent des clauses qui obligent l'assuré, lorsqu'un événement survient, à prendre toute mesure conservatoire en vue de préserver le navire de cet événement garanti ou d'en limiter les conséquences. C'est une obligation qui pèse sur l'assuré, étant entendu qu'en contrepartie la charge d'indemniser les efforts consentis par l'assuré ayant rempli ses obligations pèse sur l'assureur. Nous devons alors faire face à des situations de crise où l'assuré doit décider, avec l'assistance de l'assureur, quelles sont les mesures les plus urgentes et les plus appropriées pour limiter les conséquences dommageables d'un sinistre.

Il existe en outre, une disposition qui consiste, dans le cadre d'un sinistre déjà survenu, à prendre toutes mesures dites « utiles » à la conservation et au sauvetage du navire ce qui a, bien sûr, des effets sur sa cargaison et sur les dommages qu'elle peut causer à l'environnement.

S'agissant de notre troisième domaine d'intervention, à savoir la gestion du sinistre, nous jouons un rôle qui peut être fondamental en vertu des clauses même de l'indemnisation. En effet, lorsque, après un sinistre, on en arrive au stade de la réparation, il existe une disposition française qui consiste à exiger que la réparation soit effective. En d'autres termes, on ne verse pas une indemnisation sans que soient produites les factures et sans que la réparation ait été effectuée. C'est essentiel pour éviter qu'un navire puisse reprendre la mer sans avoir été remis en état de naviguer !

Nous aurons l'occasion de reparler de notre rôle dans le cadre des questions que vous allez nous poser, mais il est évident que notre métier, qui est d'observer les sinistres une fois qu'ils se sont produits, nous conduit à les analyser, à en identifier les causes et à tenter de mieux sélectionner nos risques en fonction de la fréquence desdits sinistres.

Compte tenu du temps de parole qui m'est imparti, je ne voudrais pas, M. le Président, prolonger plus cet exposé : je crois avoir dit l'essentiel sur la contribution des assureurs à la chaîne de sécurité maritime, mais nous aurons l'occasion, si vous le souhaitez, de vous fournir plus de précisions sur les mesures techniques qui sont aujourd'hui proposées par la Communauté européenne.

M. le Président : Je vous remercie. Votre exposé ayant été très complet, je me contenterai de vous poser quatre questions avant de céder la parole à M. le Rapporteur.

Premièrement j'aimerais savoir quel est votre sentiment sur la convention HNS qui n'a pas été ratifiée.

Deuxièmement, même si j'imagine que les résultats sont globalement bénéficiaires pour les compagnies d'assurances, pouvez-nous m'indiquer quelles sont les conséquences financières, sur le coût des assurances et donc sur le transport maritime, des évolutions réglementaires actuellement envisagées ?

Troisièmement, puisque vous parlez de « sélection des risques », pouvez-vous nous dire qui accepte d'assurer des navires du type de l'Erika ou du Prestige, à quels tarifs et pour quels montants ? On a pu, en effet, constater que bien que « douteux », ces navires étaient assurés et qu'ils l'étaient dans des conditions telles que l'on a vu une succession d'assureurs régler telles ou telle partie du sinistre au point que les Français ont été un peu choqués en apprenant que la cargaison avait pu être remboursée par une société suisse, sous huit jours.

Quatrièmement, les « sister ships » de l'Erika, dont certains étaient assurés par des assureurs français, le sont-ils encore ? Comment expliquez-vous que, comme nous l'a indiqué un préfet maritime, un navire puisse être assuré pour une valeur supérieure à sa valeur marchande et celle de sa cargaison, ce qui n'incite pas l'armateur à assumer les efforts financiers nécessaires pour le remorquer en lieu sûr et l'empêcher de sombrer ?

M. Xavier CONTI : Vous trouverez, dans le dossier que je vous ai remis, une note sur la convention HNS.

Le mécanisme de cette convention s'inspire complètement du mécanisme à deux niveaux CLC/FIPOL. Nous trouvons, là aussi, une responsabilité objective limitée, canalisée sur le propriétaire du navire à un premier niveau avec des plafonds. La convention HNS, à un deuxième niveau, comporte également un fonds qui, bien que fonctionnant sur le modèle du FIPOL, est beaucoup plus complexe en matière de collecte des taxes car il s'applique à un grand nombre de marchandises dangereuses.

Nous sommes tout à fait favorables à la ratification de la convention HNS par la France. C'est un projet qui est en cours. La Communauté européenne a incité tous les Etats membres à ratifier cette convention qui n'est aujourd'hui ratifiée que par trois Etats non européens. Comme elle doit l'être par douze pays, il est certain que si la Communauté européenne ratifie en bloc cette convention, elle entrera en vigueur dans les délais prévus.

M. le Président : Vous savez pourquoi cette convention suscite si peu d'empressement ?

M. Xavier CONTI : Peut-être sa complexité ! C'est une convention qui va porter sur un très grand nombre de produits.

Si le pétrole est relativement facile à identifier -le FIPOL recherche les importations de pétrole dès lors qu'elles dépassent annuellement 150 000 tonnes- tel n'est pas le cas d'un grand nombre de substances nocives ou dangereuses, visées par cette convention : à titre d'exemple, je citerai les multiples hydrocarbures dérivés du pétrole, le GPL, les gaz naturels liquéfiés.

Les marchandises dangereuses visées par le code maritime international des marchandises dangereuses transportées en vrac se comptent par centaines et toute la difficulté consiste à les identifier et à savoir sur qui faire porter les charges. Tout a été prévu par cette convention, mais sa mise en œuvre risque de s'avérer très complexe. Cette convention ne s'applique ni aux hydrocarbures visés par la convention CLC/FIPOL, ni aux matières radioactives qui sont, elles, régies par une convention de Bruxelles de 1971.

Ce fonds de deuxième niveau fonctionne sur des modes qui sont proches de ceux du FIPOL, étant précisé que le plafond du premier niveau est fixé à 100 millions de DTS et que le plafond global de la convention deuxième niveau, intégrant donc la limite de responsabilité du premier plafond est fixé à 250 millions de DTS, ce qui est un ordre de grandeur propre à éclairer nos débats.

M. Alain DELCROIX : M. le Président, m'autorisez-vous à intervenir sur les deux questions suivantes qui concernaient les résultats des sociétés d'assurances et l'assurance des navires dits « douteux », selon une définition qu'il conviendrait d'ailleurs de préciser ?

M. le Président : Naturellement et j'aimerais aussi que vous puissiez me donner votre sentiment par rapport au fait que l'on puisse s'assurer pour une valeur supérieure à la valeur réelle.

M. Alain DELCROIX : Il faut dire, en préalable, qu'il est de tradition dans l'assurance maritime d'assurer pour une valeur qui n'est pas la valeur d'usage. Ainsi, un navire qui a cinq ans peut valoir moins qu'un navire de dix ans, certains, très sollicités, voyant leur cote monter en fonction des demandes, des taux de fret ou des enjeux économiques. En conséquence, la valeur d'assurance peut varier de façon significative d'un cas à l'autre et n'est pas rigoureusement liée à l'âge du navire.

Par ailleurs, si les sociétés continuent d'assurer, notamment sur le marché français, c'est qu'elles ont des résultats financiers suffisants. Même si la sinistralité et les primes se trouvent souvent inversées, suite à des retournements de tendances commerciales, le marché de l'assurance maritime étant difficile et éminemment cyclique, il est quand même souhaitable que les primes demeurent supérieures aux montants des sinistres à payer.

Qui accepte d'assurer ? Peut accepter d'assurer toute société qui a les moyens de le faire, c'est-à-dire qui est capable de mettre à la disposition d'un client une capacité d'assurances. C'est ce que l'on appelle « les capacités naïves », derrière lesquelles il n'y a finalement ni les compétences d'assureur énumérées par M. Conti -la sélection du risque, la gestion du risque en collaboration avec le client- ni forcément la capacité financière.

Si l'on se réfère aujourd'hui au marché français, on voit que les évolutions des structures de l'assurance ont fait considérablement diminuer le nombre des assureurs maritimes. L'assurance maritime demande en effet des moyens et des investissements que seuls de grands groupes, dotés de structures financières et de contrôle et capables de manifester des exigences internes de rentabilité, possèdent aujourd'hui. Sur des marchés sains et organisés, comme l'est le marché français, les résultats sont acceptables puisqu'ils permettent à l'entreprise de continuer à travailler et même d'obtenir de bons chiffres : c'est le cas de ma compagnie.

Je dois cependant ajouter que les navires qui ne sont pas assurés chez nous et qui représentent 90% des propositions qui nous sont adressées, trouvent un autre assureur à travers le monde, mais avec des garanties techniques et financières qui ne sont pas toujours les mêmes que les nôtres. Le caractère international du marché offre la facilité, dans certaines circonstances, dans certains pays, de fournir des capacités opportunistes qui, à la faveur d'une bonne conjoncture, permettent d'obtenir des résultats intéressants sur le court terme.

Sur le long terme, on ne peut pratiquer ce métier de façon profitable que si on l'exerce de façon très professionnelle, ce qui est le cas des assureurs français.

M. le Rapporteur : Vous me permettrez un commentaire au sujet de l'annonce du remboursement à 100% par le FIPOL des « dossiers privés », à laquelle vous avez précédemment fait allusion : tout comme mon collègue du Guilvinec, je mettrai un bémol à cette nouvelle puisqu'elle porte sur les dossiers qui avaient été acceptés et négociés, ce qui ne représente pas 100% du préjudice. Je cite la commune du Guilvinec, mais je pourrais tout aussi bien citer la commune du Croisic puisque les dossiers qui restent en souffrance et qui vont probablement faire l'objet de contentieux sont ceux des communes.

Ces dernières qui avaient notamment engagé des frais pour leurs personnels -300 000 euros pour la seule commune du Croisic- se sont entendu signifier par le FIPOL qu'il n'entendait pas rembourser les salaires et charges des employés communaux permanents qui avaient été employés plusieurs mois à nettoyer les sites, au motif qu'ils auraient de toute façon été payés pour effectuer un autre travail...C'est un bémol que je tenais à apporter. Les personnes, notamment parmi les professionnels du tourisme et de la restauration, qui ont accepté de guerre lasse, et au bout de dix-huit mois, voire deux ans, de signer un protocole d'accord d'indemnisation avec le FIPOL vont être indemnisées à 100% au lieu de 80%, mais le dossier de l'indemnisation de toutes les victimes de l'Erika est, pour nous, loin d'être clos !

Pour en revenir aux questions, j'aurais souhaité connaître votre appréciation sur le rôle des sociétés d'assistance en mer, notamment des Abeilles Internationales, et sur le mode de rémunération qui, se faisant aujourd'hui « sur la bête », est fonction de la valeur sauvegardée du navire et de la cargaison.

Pouvez-vous nous dire également si vous avez des exigences particulières par rapport aux sociétés de classification ? On pourrait penser, par exemple, à une appartenance obligatoire à un club de qualité comme l'IACS.

Il y a trois ans, M. Gustin, votre prédécesseur, lors de son audition par la Commission d'enquête, présidée par M. Daniel Paul, préconisait « la création d'une véritable instance internationale maritime, regroupant tous les acteurs des transports et de sécurité maritime, édictant des normes qu'elle serait en mesure de faire respecter. » Cette suggestion vous paraît-elle réaliste et opportune trois ans plus tard ?

Que pensez-vous des incidences potentielles sur le marché de l'assurance du développement d'un pavillon français de deuxième registre comme le préconise le rapport que vient d'élaborer le sénateur Henri de Richemont ?

M. Alain DELCROIX : Sur la liste des acteurs maritimes qui a été citée, les sociétés d'assistance occupent une place extrêmement importante au niveau technique car leur disponibilité et leur savoir-faire permettent de prendre très rapidement les dispositions qui vont minimiser les conséquences du sinistre sur le plan humain et matériel, ce qui ne sera pas sans incidences sur l'indemnisation que devra verser l'assureur.

Par conséquent, les assureurs français qui sont véritablement en charge des dossiers d'assurances dans ces sinistres, et dont on peut dire qu'ils ne sont guère plus de trois, se rapprochent autant que possible de ces sociétés pour préparer les conditions dans lesquelles elles pourront intervenir. Souvent, la société d'assistance n'intervient que si des conditions financières lui sont garanties. Or, c'est l'assureur qui peut déterminer cette garantie. S'il est en mesure de l'apporter rapidement, le sauveteur interviendra beaucoup plus vite. Cette entente peut même aller jusqu'à prévoir pour quelques clients l'intervention de sociétés d'assistance en prédisposant cette garantie auprès d'elles. C'est une démarche qui tend à améliorer toute la synergie des acteurs dans le cadre de la gestion d'un sinistre.

Pour ce qui est du mode de rémunération, je laisserai la parole à M. Conti, mais je voudrais simplement apporter un petit éclairage sur la question : ce mode de rémunération, qui est assez ancien, s'appuie sur des coutumes ancestrales. Cette situation trouve peut-être une explication pratique dans le fait que les sociétés d'assistance n'ont pas la capacité d'établir une prévision quant à leurs interventions. Lorsque toutes les mesures de sécurité et de prévention auront fait leur effet, on pourra aller jusqu'à se poser la question de la raison d'être des sociétés d'assistance. Cela étant, en l'absence de prévisions, elles sont tenues d'engager des moyens souvent importants. Il est vrai que, dans certaines zones, on ne trouve qu'un « assistant », mais c'est aussi le jeu de la concurrence et de la disponibilité qui sous-tend ce mode de rémunération qui peut parfois paraître archaïque et exorbitant, mais qui s'explique tant par des raisons historiques ou géographiques que par la disponibilité des moyens.

M. Xavier CONTI : Le principe du « no cure, no pay » a fait ses preuves pour les assureurs corps que nous sommes puisque nous avons pu constater, par expérience, qu'il permettait de répondre à la problématique de l'assistance en mer. C'est lorsqu'il y a des dommages à l'environnement que des problèmes se posent. Or le mécanisme repose sur une convention, la convention de Bruxelles de 1910, qui a imposé le principe du « no cure, no pay ». Il se trouve qu'après le naufrage de l'Amoco Cadiz, en 1978, le système a montré une faille puisque les efforts déployés par l'assistant engagé pour éviter une marée noire n'étaient pas pris en compte par le juge ou l'arbitre pour son indemnisation. Nous nous trouvions donc dans une situation très délicate et le CMI, puis l'OMI, ont élaboré une nouvelle convention qui a été approuvée le 28 avril 1989 et qui est entrée en vigueur en 2002. Voilà quels sont les délais qu'il faut, malheureusement, supporter pour parvenir à de bons résultats !

Si j'insiste sur les bons résultats obtenus par le biais de cette convention, qui a été ratifiée par la France, c'est qu'elle présente deux avantages fondamentaux.

D'abord, si le sauvetage est réussi, ce qui conduira l'assureur corps à rembourser l'indemnité d'assistance, le juge pourra décider de majorer cette dernière d'un montant laissé à son appréciation, prenant en compte l'habileté ou les efforts que l'assistant aura déployés pour éviter que la cargaison du navire en détresse ne cause des dommages à l'environnement. Les assureurs corps prennent en charge cette majoration d'indemnité d'assistance ce qui est important pour inciter l'assistant à faire les efforts nécessaires.

Ensuite, un deuxième article de cette convention a créé une indemnité spéciale qui sera versée à l'assistant, même sans résultats utiles, c'est-à-dire y compris en cas d'échec. Même en cas de naufrage, l'assistant pourra ainsi récupérer le coût du matériel et du personnel qu'il aura exposés lors des efforts qu'il aura fournis pour préserver l'environnement d'un déversement d'hydrocarbures.

La règle « no cure, no pay » a donc évolué pour devenir, selon l'expression des professionnels, la règle « no cure, little pay ». Il est permis d'espérer que cette formule sera de plus en plus fréquemment reprise. Il faut savoir, en effet, que l'article 14 de la convention qui permet le versement de cette indemnité spéciale peut être interprété de manière extensive. On peut donc imaginer que les juges qui se trouveront confrontés à de tels événements, dont on ne peut malheureusement pas affirmer qu'ils ne se reproduiront pas, pourront interpréter le texte de manière assez large pour permettre à l'assistant d'être bien rémunéré quand il aura fait tout son possible pour préserver l'environnement.

M. Alain DELCROIX : Vous nous avez demandé quelle était notre position par rapport à l'IACS et vous avez évoqué un éventuel rapprochement des assureurs et des sociétés de classification.

Il est indéniable que les assureurs ont tout intérêt à se rapprocher des sociétés de classification et ils travaillent en ce sens. En France, il existe une société de classification qui est naturellement proche des assureurs français, je veux parler du Bureau VERITAS. D'autres sociétés telles qu'ABS, qui n'agissent pas dans les mêmes zones géographiques du fait que les navires internationaux évoluent dans un cadre international, sont aussi intéressantes.

Il n'est pas question pour les assureurs de faire le même métier que les sociétés de classification. Les sociétés de classification emploient des techniciens qui émettent des normes et vérifient, soit eux-mêmes à la construction, soit par délégation pour le compte des Etats, qu'elles sont bien respectées et que le navire répond à tous les critères de navigabilité. L'assureur, quant à lui, a intérêt, d'une part, à ce que les sociétés de classification travaillent bien, d'autre part, comme le disait M. Conti, à connaître le dossier de classification de son client, dans la mesure où ce dernier l'accepte.

Historiquement, la première société de classification a été créée par les assureurs : il s'agissait de mesurer le risque, d'abord, à la construction, ensuite, à l'utilisation. Plus tard, une séparation s'est opérée, mais aujourd'hui la tendance serait à un très fort rapprochement des assureurs et des sociétés de classification, dans la mesure où ces dernières l'acceptent sachant que, comme les compagnies d'assurances, les sociétés de classification sont des sociétés à caractère commercial, ce qui peut constituer un frein.

Cela étant, l'assureur a tout intérêt à récolter le maximum d'informations sur les navires qu'il assure. C'est particulièrement vrai des informations techniques que fournissent les sociétés de classification puisqu'elles ont trait à l'aspect technologique du risque, à la construction du navire, à son entretien, aux vérifications et, dans une certaine mesure, même s'il s'agit d'un domaine qui n'est pas encore complètement exploré par les sociétés de classification compte tenu du fait qu'il concerne des services commerciaux ne répondant pas nécessairement à une convention, aux garanties de qualité du management et du suivi du navire.

Je poursuivrai mon propos en évoquant la question, qui se repose aujourd'hui et qui avait été abordée par M. Gustin, il y a trois ans, de la création d'une instance internationale maritime.

En tant qu'assureur et que technicien, je constate, dans la mesure où je contribue à l'analyse du risque et à la mise en place des méthodes d'analyse du risque des assureurs, qu'aujourd'hui les moyens semblent exister. Il y a une multitude de conventions, de recommandations et de règles qui, si elles sont appliquées -et les instances existent pour faire en sorte qu'elles le soient- élèveront considérablement le niveau de sécurité.

Il est toujours possible d'ajouter de nouvelles instances internationales, mais il n'est pas certain que cela simplifie le problème ! En revanche, il me paraît extrêmement important -et c'est peut-être l'objet de l'Agence de sécurité maritime européenne- d'inciter à appliquer les règles, et de donner plus de vigueur à celles qui sont déjà édictées par les instances telles que l'Organisation maritime internationale.

M. Xavier CONTI : Si vous le permettez, je complèterai le propos d'Alain Delcroix en ajoutant que nous avions, il y a quelques années, effectivement appelé de nos vœux une autorité susceptible de mettre en œuvre les dispositions qui existent, qui sont toujours perfectibles mais qui seraient déjà très efficaces si elles étaient bien appliquées. A l'époque, l'Agence de la sécurité maritime n'existait pas et nous pouvons dire aujourd'hui que nous nous félicitons de sa création et de savoir, par ailleurs, que son vice-président sera M. Francis Vallat, armateur français.

Nous pensons qu'avec les informations que cette agence va permettre d'exploiter, l'évaluation de l'efficacité des mesures qui vont être prises, l'évaluation des sociétés de classification qui va devenir possible, les missions d'inspection qui vont pouvoir être réalisées, les choses vont dans le bon sens.

Je me permets, M. le Président, de vous dire que nous souhaiterions -même si ce n'est pas prévu, cela doit être possible- pouvoir bénéficier d'un poste d'observateur au sein de cette agence. Ainsi que le rappelait Alain Delcroix, la connaissance du risque est notre principal rôle dans la sécurité maritime : plus notre connaissance est grande, mieux nous pouvons exploiter la base de données Equasis dont nous n'avons pas parlé, mais qui est infiniment précieuse et qui rencontre un succès tel qu'elle est souvent saturée. Il faut savoir que les assureurs sont, avec les affréteurs, les premiers à l'utiliser, puisque leurs consultations représentent 36% de l'ensemble des consultations du système. Cette base de données est une récapitulation de toutes les informations disponibles, notamment celles du contrôle de l'Etat du port qui sont très importantes, celles du Mémorandum de Paris, de Tokyo ou des autres mémorandums, ainsi que les informations en provenance des « coast guards » américains.

Nous sommes très favorables à tout ce qui ira dans le sens d'une amélioration de la connaissance et de l'accès à l'information des opérateurs du marché et, pour en revenir à ce poste d'observateur dont je parlais, je pense qu'il serait de nature à améliorer encore notre contribution à la sélection des risques.

M. Alain DELCROIX : L'application des règles existantes est, aujourd'hui, le véritable enjeu ! On a beaucoup parlé de navires sous normes, mais en omettant de dire que la norme n'était pas simple et que les contrôles n'étaient pas aussi aisés et aussi productifs qu'on peut le prétendre. Ce qui compte, c'est la juxtaposition de l'ensemble des outils existants pour pouvoir se faire une idée de la structure du navire que l'on doit assurer. En ce sens, il est vrai qu'Equasis constitue un excellent outil, à condition qu'il soit valorisé et servi par des contrôles efficaces, puissants, transparents, qui ne desservent pas les assurés.

Etre victime d'une déficience annoncée au cours d'un contrôle n'est pas, aujourd'hui, une très bonne chose, sachant qu'il y a de multiples raisons pour que cela puisse se produire...En revanche, on peut fréquemment observer qu'il n'est jamais rapporté comment il a été remédié aux déficiences, ce qui ôte aux assureurs la possibilité de juger de la réactivité de leurs clients ! La sécurité maritime, la conduite d'un navire sont extrêmement compliquées et, sachant que nul n'est parfait, si on augmente la puissance et la qualité des contrôles, il conviendra de vérifier également la réactivité des clients à ces contrôles...

Actuellement, nous disposons de bons outils : il suffit de les mettre en œuvre avec détermination. Les assureurs, aujourd'hui, ont du mal à récupérer toutes les informations disponibles de façon à les analyser et à les synthétiser. Il se trouvent dans une situation privilégiée pour les traiter, mais encore faut-il qu'elles leur parviennent et qu'elles soient pertinentes et crédibles...

J'ai bien noté que vous avez évoqué la possibilité de créer un pavillon de deuxième registre français. J'y vois un avantage à condition qu'il s'agisse d'un pavillon national connu, s'appuyant sur des règles affirmées et bénéficiant d'une très grande accessibilité et d'une très grande transparence. Néanmoins, une telle proposition se heurte à de grandes difficultés : on ne peut pas nier cette réalité qu'en trente ans, la flotte française est passée du 5ème au 27ème rang mondial et qu'aujourd'hui elle ne compte que 200 bateaux sur les 30 000 navires de plus de mille tonnes qui sont inscrits dans les différents registres internationaux. Avoir des pavillons fréquentables, comme il en existe beaucoup, est un atout considérable pour les assureurs et il est évident que nous préfèrerions assurer des armateurs français, mais cela suppose que la flotte française soit plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui.

M. Xavier CONTI : Je pourrais ajouter et préciser que ce nouveau registre met les armateurs français en position de compétition par rapport aux autres registres européens et rien de plus puisque qu'il ne fait que s'aligner sur ceux qui sont pratiqués par d'autres pays comme la Hollande, la Belgique etc... Nous ne pourrons donc qu'être favorables à cette proposition et nous réjouir de la compétitivité accrue de nos armateurs : c'est notre intérêt à tous !

M. Jean- Pierre DUFAU : Au vu des documents que vous nous avez remis, je crois qu'il est intéressant de juger de ce qui se passe aux Etats-Unis et, plus généralement, hors de l'Europe.

Je tiens à souligner que les Etats-Unis qui ne sont pas signataires de la convention CLC et qui n'appartiennent pas au FIPOL, ont leur propre système économique d'indemnisation des dégâts causés à l'environnement sur la base de l'ensemble des dommages compensés par l'assurance elle-même. Un navire, pour pouvoir se rendre dans un port des Etats-Unis, doit avoir la garantie que les dommages qu'il peut causer seront couverts : c'est bien cela ?

M. Xavier CONTI : Il serait très intéressant d'analyser le mécanisme de l'OPA puisqu'il la question à été posée de prévoir un système européen équivalent. Cela étant, il est, pour plusieurs raisons, difficile de juger l'OPA, qui n'est pas sans incidences sur l'assurance et son coût.

La première de ces raisons c'est que l'OPA n'a pas encore été éprouvé : nous ignorons comment il aurait fonctionné dans le cas du Prestige, par exemple, et tout raisonnement à son sujet ne peut donc qu'être virtuel. La seconde raison, c'est que les mécanismes financiers qui se sont imposés, et qui sont la production de garanties financières, n'ont pas provoqué de surcoûts immédiats pour la très simple raison qu'il n'y a pas eu de sinistres. En conséquence, les « P&I Clubs » qui apportent la plupart du temps leurs garanties n'ont pas eu l'occasion de faire les « recalls », les appels de cotisation postérieurs à un exercice déficitaire qui les aurait conduits à rehausser leur taux de cotisation.

Dans ces conditions, il est un peu paradoxal d'affirmer que l'OPA de 1990 n'a pas causé de majoration des coûts. Il a, d'ailleurs, eu des effets au niveau des garanties financières car il faut payer des cautions, lesquelles ne sont plus du domaine assurantiel puisqu'il s'agit de garanties apportées par des établissements financiers. Or, avec l'OPA, en 1990, des établissements financiers, dont certains avaient leur siège aux Bermudes, ont été créés pour apporter ces fameuses garanties financières et c'est alors que le montant des cautions a vraiment représenté des surcoûts pour les opérateurs intervenant aux Etats-Unis.

M. Jean-Pierre DUFAU : Vous avez évoqué les dégâts matériels subis par le navire lui-même et par la cargaison, ainsi que les dégâts environnementaux et économiques, mais j'ai été frappé de constater qu'en termes d'assurances, on calcule en fonction du tonnage. Les assureurs raisonnent par rapport à un volume et non pas par rapport au degré de dangerosité de la cargaison et à l'importance du risque.

Ne pourrait-on pas imaginer un système permettant de croiser l'ensemble des données -celles du tonnage et celles qui intégreraient le niveau du risque- et d'instaurer en quelque sorte un malus en fonction du risque représenté par la nature du bien transporté ?

Si je vous soumets cette question, c'est parce que l'on constate que les dégâts causés sur l'environnement n'ont pas la même ampleur selon la nature de l'hydrocarbure transporté : s'il s'agit de pétrole raffiné, les dégâts sont relativement limités ; s'il s'agit de fioul n° 2, les dégâts sont considérables, comme on a pu le voir avec l'Erika. Pourtant, le mode de calcul des assurances ou de la taxe versée au FIPOL est le même et ne tient pas compte de la nature des carburants.

M. Xavier CONTI : Oui, à ceci près qu'il ne s'agit pas des modes de calcul de l'assurance, mais des modes de calcul des mécanismes de responsabilité.

M. Jean-Pierre DUFAU : Et cela vaut aussi pour le FIPOL ?

M. Xavier CONTI : Tout à fait !

M. Jean-Pierre DUFAU : Est-ce que cela vous paraît équitable ?

M. Alain DELCROIX : Les dommages potentiels à l'environnement relèvent de l'assurance des responsabilités qui est couverte par les « P&I Clubs ». Les assureurs maritimes sont des assureurs dommages qui assurent le navire et non pas la responsabilité.

M. Jean-Pierre DUFAU  Il serait utile de se pencher sur les autres aspects du problème et pas uniquement sur la valeur de la cargaison : s'il y a eu une Commission d'enquête consacrée à l'Erika et s'il y en a une consacrée au Prestige, ce n'est pas, sauf erreur de ma part, en raison de la valeur de leurs cargaisons.

M. Xavier CONTI : Je crois justement que cette idée est reprise au niveau de la Communauté européenne puisqu'il est proposé de demander à l'OMI de revoir les bases de calcul. Si l'on veut les moduler en fonction de la dangerosité du produit, on entre dans une technique de mise en œuvre d'une convention. Or, malheureusement, nous sommes, comme vous le savez, dans un marché mondial où la règle de droit est d'ordre international, ce qui suppose d'arriver à des consensus et d'éviter de recourir à des mécanismes trop complexes. Si la gestation du dossier de la convention HNS a duré près de vingt ans, c'est incontestablement en raison de sa complexité.

M. Jean-Pierre DUFAU : Est-ce que, mise à part la complexité de sa mise en application, la proposition vous semble ouvrir une piste intéressante ?

M. Xavier CONTI : Sur le plan de la technique, tout à fait !

M. Alain DELCROIX : S'il s'agit de moduler la contribution au FIPOL, c'est-à-dire de faire de l'indemnisation, il faut bien sûr indemniser plus et mieux. Cela étant, le FIPOL n'est pas un assureur, mais un fonds d'indemnisation !

M. Jean-Pierre DUFAU : C'est bien pourquoi j'ai parlé d'une modulation des prélèvements perçus sur les importateurs de pétrole pour l'alimenter.

M. Alain DELCROIX : Il est vrai qu'aujourd'hui les pétroliers transportant du fioul lourd sont considérés, pour nous, assureurs, comme des causes de sinistres potentiellement graves.

M. Jean-Pierre DUFAU : On tend de plus en plus à prendre en compte, au-delà de la catastrophe économique, la catastrophe écologique. Une évolution se dessine à l'heure actuelle : cette prise de conscience en matière d'indemnisations devrait avoir son équivalent en matière de risques, par rapport à la nature des pollutions.

M. Daniel PAUL : J'ajouterai au problème des risques que vient de soulever M. Dufau, ceux qui sont liés à la qualité des équipages. C'est là une question qui vous touche directement.

Vous avez, tout à l'heure, parlé des erreurs humaines et des problèmes techniques. Ces deux éléments sont essentiels car la plupart des catastrophes qui sont survenues ces vingt dernières années sur les côtes européennes ont mis en cause des navires et des équipages sous norme : on pourrait aller jusqu'à dire que, finalement, la convention STCW n'a pas changé grand-chose.

Sachant, puisque cela avait été dit sous serment ici même, que les brevets de commandement s'achètent -évidemment pas par milliers mais ils s'achètent- sachant que les difficultés de compréhension font partie des hypothèses avancées pour expliquer la catastrophe de l'Erika, le critère d'hétérogénéité des équipages intervient-il dans la prise en charge par les assurances ?

Vous avez estimé que « l'Oil Pollution Act » n'a pas fonctionné, mais je constate néanmoins que, depuis l'Exxon Valdez, il n'y a pas eu beaucoup de sinistres sur les côtes américaines. La raison n'en est-elle pas le risque majeur encouru par ceux qui voudraient aller aux Etats-Unis et le fait qu'ils renoncent à leur projet en raison des contraintes qu'il suppose ?

Enfin -j'ai limité le nombre de mes questions car vous avez répondu, excellemment d'ailleurs, à toutes celles du Président-, vous avez déclaré que l'assurance maritime représentait 1% du chiffre d'affaires mondial du secteur de l'assurance : quelle est, en pourcentage, la valeur des sinistres pris en charge par les assurances ? J'imagine qu'elle est inférieure à 1% sans quoi il ne se trouverait plus personne pour vouloir assurer.

M. Alain DELCROIX : Concernant les sinistres pris en charge, il y a, pour un assureur, plusieurs façons de mesurer la sinistralité.

On peut par exemple opérer un rapprochement des sinistres et des primes dits « bruts », c'est-à-dire -pour les primes- amputées des coûts d'acquisition, des frais généraux et des coûts de réassurance puisque le principe de l'assurance est de mutualiser les risques et de faire en sorte qu'ils répondent à des lois statistiques qui les rendent effectivement aléatoires. De la sorte, toute une série de mécanismes viennent grever la prime brute pour en faire une prime nette. De même, on a à payer des sinistres bruts qui sont amputés de franchises, et qui sont diminués dans leur montant par le coût des sinistres récupérés sur les réassureurs, puisqu'une partie du risque est réassurée de façon à garantir la mutualisation au sein du portefeuille. L'assureur professionnel a des sinistres qui, en valeur nette, sont inférieurs aux prix nets reçus : c'est la règle commerciale absolue !

Il est vrai que la sinistralité, en valeur, brute ne change pas sous l'effet de cycles commerciaux. Elle est liée simplement à la conjoncture et à l'activité économique. Il faut cependant mesurer que 90% du transport de marchandises se fait par voie de mer, qu'il enregistre une progression régulière depuis plusieurs années et qu'une activité économique se traduit par des flux, donc par une augmentation de la fréquence des sinistres. Globalement, on observe qu'en valeur absolue, en valeur brute, les sinistres diminuent et toute la difficulté de ce métier consiste à concilier cette décroissance globalement continue des sinistres et les fluctuations de primes qui sont cycliques et qui peuvent varier d'un facteur de 1 à 2 en quelques années.

Concernant les chiffres, nous pourrons vous communiquer des informations plus détaillées.

M. Xavier CONTI : Nous pourrons vous faire parvenir des tableaux, mais nous espérons pouvoir effectivement maintenir l'équilibre entre les règlements de sinistres et les primes encaissées, sans quoi nous ne pourrons pas survivre et continuer à garantir. Il s'agit bien d'une activité cyclique : si on prend les points extrêmes des dix dernières années, on constate qu'en 1991, le rapport sinistres/primes était de 129% ce qui signifie qu'il y avait 29% de trop par rapport au point théorique d'équilibre de 100%. Aujourd'hui, nous sommes redescendus à 104%.

Si vous me demandez d'où nous sortons l'argent qui va au-delà de la prime nette, je vous répondrai qu'il y a d'autres ressources et notamment les produits financiers. Or, ces derniers, qui ont été relativement importants sur toute la durée de la bulle financière que nous avons connue ces dernières années, ont eu un effet pervers dans la mesure où ils permettaient d'amortir les résultats techniques déficitaires, que j'oppose aux résultats financiers globaux, et renforçaient la concurrence par ce biais un peu dévoyé, ce qui se traduisait par des baisses tarifaires très importantes.

En quelque sorte, nous avons déplacé les produits financiers vers les assurés qui en ont bénéficié. Aujourd'hui, nous traversons une période de vérité technique et nous pensons que c'est quelque chose de sain.

M. Alain DELCROIX : Vous m'avez interrogé sur la performance remarquable de l'OPA.

M. Daniel PAUL : Pardonnez-moi, mais nous nous sommes rendus aux Etats-Unis et nous savons que les Américains ont des sinistres, mais d'une ampleur bien moindre que par le passé, l'affaire de l'Exxon Valdez ayant été un cas d'école. Au cours de notre voyage, les « coast guards » nous ont signalé les derniers sinistres d'ampleur régionale dont ils avaient eu connaissance et le résultat était clair : l'OPA n'a pas fonctionné parce qu'il n'a pas eu à être mis en œuvre et parce qu'il a eu un effet dissuasif !

M. Alain DELCROIX : L'analyse appelle deux remarques.

Premièrement, le caractère dissuasif de l'OPA a contraint les assurés et tous ceux qui les entourent dans l'expédition maritime à prendre des décisions à la hauteur des exigences et de la rigueur qui ont été manifestées.

Deuxièmement, on a tendance à comparer ce qui se passe sur les côtes de l'Amérique du Nord et ce qui se passe sur les côtes de l'Europe occidentale. Or, les flux de marchandises ne sont pas les mêmes et les routes ne sont pas les mêmes : en Europe, à la différence des Etats-Unis, les routes maritimes sont des routes côtières. En outre, les Américains ont le pouvoir absolu sur leurs côtes dans la mesure où ils contrôlent tout le trafic, ce qui n'est pas le cas autour de l'Europe où nous avons affaire à des passages encore soumis à des conventions internationales du droit de la mer : la Mer Noire, Gibraltar, le Channel, etc... et on peut remonter jusqu'au Skagerrak pour rentrer dans la Baltique ... Bref, les configurations géographiques, les dispositions politiques et le volume des flux rendent les situations difficilement comparables !

Cela étant, l'aspect dissuasif est riche d'exemples pour nous assureurs : cela me paraît évident !

Pour ce qui est de l'aspect humain, il est indéniable que nous savons, nous les assureurs, quelles méthodes et quels outils il convient d'utiliser, même s'il nous est parfois impossible de les mettre en œuvre pour des raisons commerciales ou par défaut d'accès à l'information lequel est déjà un indice très fort par rapport à la sélection du risque. Nous savons donc techniquement mesurer, avec les réserves d'usage, la valeur d'un risque, établir une comparaison avec d'autres navires et, éventuellement, mesurer le risque global créé au plan technique par une flotte. En effet, un assureur assure des navires, mais avant tout un armateur et une flotte. Or, une flotte peut être homogène ou hétérogène et, pour des raisons évidentes de simple gestion d'entreprise, comprendre des bateaux jeunes, des bateaux anciens qui sont plus ou moins gérés et des bateaux récemment acquis pour répondre à la conjoncture ou à certaines demandes. Nous devons tenir compte de ces contraintes commerciales normales pour toute entreprise dans notre approche du risque.

Il n'en demeure pas moins que, depuis cinq ans, nous savons techniquement développer les outils, nous élaborons des méthodes et nous savons résolument mettre en place l'analyse technique de ces navires. Depuis cinq ans, le marché français de l'assurance maritime, qui est un petit marché, est probablement le seul à avoir intégré des opérationnels de la mer dans ses structures. Beaucoup d'acteurs maritimes importants, que ce soit au niveau des courtages ou des sociétés de classification, ne se sont pas encore adjoints les services de véritables professionnels dotés d'une expérience du commandement et de la vie en mer. L'assurance maritime française emploie aujourd'hui pas loin d'une dizaine d'anciens marins ayant mené une solide carrière maritime, ce qui est un point important.

Une fois que l'on a mesuré le risque technique, force est de constater que cela ne suffit pas. On entre alors dans une dimension beaucoup moins déterministe et un peu irrationnelle : la dimension environnementale. On pourrait plaisanter en disant que le facteur humain est à l'origine de cent pour cent des sinistres. C'est une évidence dans la mesure où tous les grands sinistres auxquels nous sommes confrontés et tous les petits sinistres que nous ne voyons pas mais qui n'échappent pas à la règle, résultent d'un enchaînement d'erreurs humaines. Les grandes catastrophes sont déjà latentes au stade de la conception, de la rédaction de la documentation, de la sélection des équipages, de la maintenance, de la conduite à la mer et, éventuellement, du sauvetage lorsque sont menées des opérations de sauvetage ou d'assistance.

Il s'agit donc d'un ensemble extrêmement vaste où interviennent des éléments que nous ne savons pas véritablement mesurer et par rapport auxquels nous sommes particulièrement vigilants. De plus en plus, les assureurs, par les contacts permanents qu'ils établissent avec leurs clients -ce qui est une innovation du marché français- étudient la façon dont l'armateur travaille, sélectionne, entraîne ses équipages et gère ses effectifs. Un équipage qui est renouvelé tous les trois mois par le biais d'agences spécialisées n'est pas forcément un facteur favorable. L'hétérogénéité de l'équipage est donc un élément que nous prenons en compte, mais par rapport auquel nous manquons d'outils.

Il est vrai qu'aujourd'hui, il est possible de transformer un petit brevet de capitaine obtenu localement en un brevet tout à fait acceptable pour des compagnies respectables. C'est un sujet extrêmement important et il est indéniable qu'il y a certainement beaucoup à faire dans ce domaine extrêmement sensible, et pour lequel les assureurs sont très demandeurs, -ce que les assurés respectables, comme le sont la plupart de nos assurés, acceptent très bien-.

En conclusion, j'ajouterai que le problème du facteur humain n'est pas l'apanage des pays pauvres ou des pavillons dits « de complaisance ». L'étude de la sinistralité dont les assureurs ont eu à connaître sur le marché français -étant précisé que la compagnie AXA assure en risques près de 5 000 navires, soit près de 15% de la flotte mondiale-, prouve que la plupart des grands sinistres, qui sont essentiellement des échouements allant jusqu'au naufrage, des collisions, des incendies ou des accidents de machines, sont souvent le fait d'armateurs célèbres et réputés pour leur professionnalisme.

La collision, il y a cinq ans d'un porte-conteneurs avec le Norvegian Dream en Mer du Nord en est un exemple flagrant ! L'échouement, à vingt nœuds, d'un porte-conteneurs dans le détroit de Malacca ou la collision du Tricolor dans le Pas-de-Calais en sont des illustrations plus récentes. Le phénomène ne touche donc pas uniquement des flottes que l'on pourrait montrer du doigt, comme on l'a fait systématiquement et tout à fait logiquement à l'occasion des accidents du Prestige ou de l'Erika : c'est une précision qui a son importance !

M. Daniel PAUL : Néanmoins, l'accident du navire qui, à ma connaissance se trouve encore dans le Pas-de-Calais avec 2 000 voitures dans ses cales, et les autres incidents, ou demi incidents, qui ont pu survenir prouvent bien, en dépit des efforts déployés par les autorités maritimes de Belgique ou de France pour faire comprendre aux commandants des navires qui sortent d'Anvers et de Rotterdam qu'il faut éviter cet espace et, désormais, pour les alerter en permanence de la présence de ce navire en travers du détroit, que le risque est très souvent lié à la présence d'équipages recrutés et employés dans des conditions inacceptables.

Ces équipages n'ont pas toujours reçu une formation leur permettant de comprendre ce qui se passe dans l'environnement nouveau où ils se trouvent et le fait d'avoir à traverser des zones comme la Manche ou le Pas-de-Calais qui sont, comme probablement le détroit de Malacca, des zones dangereuses, dont ils n'ont pas connaissance en raison du renouvellement incessant des marins, constitue un risque important.

M. Alain DELCROIX : Oui, mais je pense vraiment que le problème le plus important est celui de la façon dont les équipages vont pouvoir faire face à l'avenir, à l'automatisation croissante de la gestion et de la manœuvre des navires, automatisation imposée pour des raisons économiques, mais qui présente un potentiel de risques beaucoup plus élevé.

A cet égard, la proposition de créer un deuxième registre serait encore plus intéressante, si les équipages des bateaux navigant sous pavillon français étaient exclusivement français, mais la ressource en équipages français est extrêmement limitée et le recrutement de marins français expérimentés s'avère aujourd'hui très difficile. C'est un problème culturel qui est fondamental par rapport aux enjeux actuels et dont nous risquons de voir les effets à terme si l'on ne fait rien pour y remédier !

Table ronde regroupant
M. Pierre DARTOUT, Préfet des Pyrénées-Atlantiques,
M. Denis GAUDIN, Directeur de cabinet du Préfet,
M. Thierry DUSART
(, Directeur interdépartemental des Affaires maritimes,
M. Frank PERROT, Capitaine de frégate, commandant de la Marine nationale,
M. Philippe MARSAIS, Chef du Service interministériel de défense et de protection civile,
M. le Commandant Jacques SAMPIETRO, SDIS, responsable du Poste de commandement avancé de Biarritz,
M. Serge LARZABAL, Président du Comité local des pêches,
M. Patrick LESPIELLE, Patron du Samathéo,
M. Camille CLAVIER, Patron du Litsas Belara,
M. Christophe INDA, Patron pêcheur,
M. Olivier ROSPIDEGARAY, Patron pêcheur, armateur,
M. Jean FORASTÉ, Directeur général du centre de thalassothérapie BLANCO,
M. Marc DANNENMULLER, Directeur du centre de thalassothérapie BOBET,
M. Henri ANGIER, représentant de la communauté d'agglomération Bayonne-Anglet,
M. André TRACKOEN, Directeur des services techniques de la ville de Biarritz,
M. Albert LARROUSSET, Président de l'Association des maires du littoral, Maire de Guéthary,


(extrait du procès-verbal de la séance du 6 mai 2003 -
Bayonne)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

M. le Président rappelle les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête. A l'invitation du Président, MM. Dartout, Gaudin, Dusart, Perrot, Marsais, Sampietro, Larzabal, Lespielle, Inda, Rospidegaray, Forasté, Dannenmuller, Angier, Trackoen et Larrousset prêtent serment.

M. Pierre DARTOUT: Je commencerai par rappeler que, globalement, nous étions en alerte dans le département depuis la deuxième quinzaine de novembre, c'est-à-dire peu après le naufrage du Prestige et peu après en avoir vu les premières conséquences sur la côte galicienne. Fin novembre, début décembre, nous avons donc commencé à mettre en œuvre le dispositif. Notre plan POLMAR était prêt et nous avions bénéficié en octobre 2002 d'un exercice fait en liaison avec le préfet maritime, qui nous avait permis de le roder.

Dès la fin du mois de novembre, la menace se précisant sans pour autant qu'on puisse prévoir son importance, son étendue, sa date et le lieu exact de sa survenue, nous avons tenu un certain nombre de réunions, pour l'essentiel avec les élus, c'est-à-dire avec les maires des communes littorales ainsi qu'avec le conseil général, accompagné par le SDIS, les Affaires maritimes, la DDE -bref, tous les services concernés.

Ces premières mobilisations faites, j'ai été conduit, à la demande du Premier ministre, à déclencher le plan POLMAR-terre le 7 décembre après que le plan POLMAR-mer ait été déclenché par le préfet maritime. Nous l'avons déclenché parce qu'une menace avait été repérée par les avions contrôlés par le préfet maritime, qui laissait penser qu'une nappe d'hydrocarbures s'approchait de la côte basque, notamment d'Hendaye. Par souci de précaution et de prudence, nous avons déclenché le plan POLMAR, sans avoir la certitude, bien entendu, que cette menace allait se produire.

Ce déclenchement a rendu possible l'engagement de crédits et nous a conduit à installer les premiers barrages, notamment dans l'estuaire de la Bidassoa à Hendaye. Cela nous a aussi permis de mieux nous mobiliser.

En fait, il s'est avéré, quelques jours après, que cette alerte était prématurée : il y avait une menace certes, mais la nappe était constituée sans doute de déchets agglomérés venant d'Espagne et de restes de pollution venant d'un dégazage opéré par des bateaux dans le Golfe de Gascogne ; à l'époque, on nous avait prévenu qu'il était possible que certains bateaux de commerce profitent de la situation et de la pollution pour faire eux-mêmes des dégazages. Cette première alerte était donc prématurée, mais nous étions prêts.

Les côtes landaises et celles du département de la Gironde ont été touchées au début du mois de janvier. Nous avons été touchés au début de la deuxième quinzaine du mois de janvier, dans certaines communes, de façon ponctuelle et relativement limitée. Le gros de la pollution est arrivé sur nos côtes à compter du mardi 4 février, date à laquelle nous avons connu trois journées très difficiles, du mardi au jeudi, offrant un spectacle tout à fait désastreux dans les principales stations balnéaires, notamment à Biarritz et Saint-Jean-de-Luz.

Au plus fort de la crise, 400 ou 500 personnes étaient présentes, comprenant des employés municipaux, des sapeurs-pompiers du département puis ceux venus de départements extérieurs de la zone de défense Sud-ouest, des éléments classiques de l'armée et, également, des éléments militaires des unités de sécurité civile. Nous avons également fait appel à des détenus des maisons d'arrêt de Bayonne et de Pau, qui ont été très bien accueillis par les communes, dans des conditions satisfaisantes.

Au total, les jours de plus forte intervention, près de 500 personnes étaient mobilisées, si bien que, dans l'ensemble, la pollution arrivée sur les parties sableuses du littoral était traitée relativement vite et enlevée chaque soir. Il n'en est pas de même, malheureusement, pour les parties rocheuses, où il fallait recourir à des techniques d'intervention différentes, mais pour lesquelles on considérait que l'urgence était moindre dans la mesure où la mer pouvait elle-même réaliser, par son action et sa force, un certain nettoyage.

Puis, la pollution est descendue d'un cran.

A nos yeux, un combat particulièrement important a été mené, celui des pêcheurs basques, espagnols ou français, qui ont retiré le fioul par leurs propres moyens techniques, qui n'étaient pas sophistiqués mais qui se sont révélés très efficaces. Nous pourrons y revenir ; l'autorité maritime ou les pêcheurs seront plus à même d'en parler. Plusieurs milliers de tonnes ont été retirés et cela a considérablement soulagé l'action de coordination des opérations à terre pour nettoyer les plages dont j'avais la responsabilité.

A partir du 15 mars, la pollution n'était plus que résiduelle mais il restait, dans certaines communes dont j'avais la responsabilité -notamment celles de Bidart et de Guéthary, où la partie rocheuse est prédominante-, des secteurs où le nettoyage n'était pas totalement achevé.

Jusqu'à cette date, nous fonctionnions sous le régime de la réquisition : des entreprises étaient réquisitionnées, notamment pour le transport et l'élimination des hydrocarbures ; des moyens maritimes étaient également réquisitionnés. C'est ainsi que la préfecture a réquisitionné le Samathéo, chargé de la pose de filets qui ont, très efficacement, protégé la baie de Biarritz. Nous avons donc fonctionné sous le régime de la réquisition jusqu'à ce que les marchés de nettoyage, passés au niveau zonal, puissent se mettre en place. C'est le cas aujourd'hui. Il n'y a plus aucune réquisition et les marchés ont pris le relais pour le nettoyage des plages sablonneuses et, bientôt, celui des zones rocheuses.

Pour conclure, puisque je voudrais être bref, je ferai plusieurs observations.

Je pense que, même si demeurent quelques incertitudes sur la quantité d'hydrocarbures restant dans le Golfe -les marins ont certainement sur le sujet des idées plus précises et plus pertinentes que les miennes- le gros de la pollution est derrière nous. Mais cet événement n'est pas fini. La preuve en est qu'hier, les plages du Finistère Sud ont été touchées, même si c'est de façon beaucoup plus réduite que ce que nous avons connu. La pollution n'est toujours pas terminée et le nettoyage de certains sites n'est pas complètement achevé.

Cela dit, pour tenir compte du principe de réalité, nous avons pris avec les maires un certain nombre de mesures visant à permettre l'accès aux plages et à la mer. J'avais pris un arrêté interdisant l'accès aux plages et, par conséquent, à la mer, et interdisant aussi aux familles de ramasser les coquillages sur la côte. Puis, dans un second temps, nous avions modifié ces dispositions en laissant aux maires eux-mêmes le soin d'autoriser l'accès à leurs plages et à la mer à la condition qu'un certain nombre de critères sanitaires soient satisfaits.

Nous avons notamment adressé des instructions aux maires, auxquelles nous avons joint une instruction de la Direction générale de la santé, qui fixe quelques règles déterminant les conditions d'accès aux plages et à la mer.

Aujourd'hui, tout n'est pas achevé dans toutes les communes. Dans les plus grandes stations balnéaires, telles que Biarritz et Saint-Jean-de-Luz, la pollution est surmontée. Elle demeure résiduelle, même si des surfeurs ont parfois indiqué avoir rencontré, ça et là, des galettes. Nous demeurons donc vigilants, même si le dispositif public est considérablement allégé.

La mise en œuvre des moyens des services publics est aujourd'hui très limitée : subsiste un dispositif de vigilance. Ils sont maintenant relayés par les entreprises avec lesquelles l'Etat a contracté pour le nettoyage des plages ou des rochers. Les maires pourront s'exprimer sur la qualité des travaux ainsi menés.

Il reste un point dont je n'ai pas parlé, à savoir les conséquences économiques du sinistre. Il y a une quinzaine de jours, nous avons tenu des réunions avec les missions de l'Inspection générale, en distinguant trois secteurs économiques : le monde de la pêche ; les activités touristiques, dont les campings et la thalassothérapie ; et les autres activités de la mer, notamment le surf qui n'est pas seulement une activité sportive mais qui peut aussi être économique, puisque les écoles de surf n'ont pas pu fonctionner pendant un temps et disent avoir subi un préjudice économique.

M. le Président : Je vous remercie. Les premières questions, M. le préfet, portent sur la coordination des plans POLMAR-mer et POLMAR-terre. Quel bilan dressez-vous ? Pensez-vous que tout se soit déroulé de façon claire ou, au contraire, faut-il améliorer l'articulation des deux plans ?

J'aimerais aussi que l'on puisse nous décrire l'état des moyens matériels et humains, en particulier au niveau des centres interdépartementaux, ainsi que l'articulation des différentes administrations concernées. Quelles lacunes avez-vous pu, éventuellement, constater ? Au travers de nos premières auditions, ce point a suscité un certain nombre de sujets d'interrogations.

J'aimerais également, M. le préfet, que vous nous parliez de la mise en œuvre du plan Biscaye. Quelles ont été les relations avec les autorités espagnoles ? Comment cela s'est-il passé ? Les moyens mobilisés étaient-ils suffisants ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées et quelles sont les améliorations possibles ?

Concernant l'engagement des moyens financiers, quelle est votre appréciation des procédures simplifiées mises en place et de leur rapidité ? C'est un élément qui a « patiné » un peu au départ, comme nous l'a indiqué Jean-Pierre Dufau, mais qui semble s'être mis en place par la suite d'une façon parfaitement satisfaisante.

Enfin, mais vous l'avez déjà fait plus ou moins, pourriez-vous dresser le bilan des opérations de lutte contre la pollution ? Quels moyens matériels ont été mis en place pour le nettoyage ?

Pour finir, je voudrais savoir comment vous avez pu travailler avec l'agent du CEDRE qui est intervenu dans le cadre du plan POLMAR-terre. Quelles étaient ses fonctions, son apport au sein du PC et quel bilan tirez-vous de sa participation ?

Notre rapporteur posera ensuite quelques questions sur les relations avec les maires du littoral, sur l'intervention des pêcheurs -on sait le travail extraordinaire qu'ils ont pu faire- sur les modalités de réquisition et sur les problèmes éventuellement rencontrés par les différentes administrations.

M. Pierre DARTOUT: Concernant la coordination entre le préfet maritime et le préfet de département, nous avons rencontré un problème d'information réciproque depuis le mois de novembre. Comme je l'indiquais précédemment, nous avons déclenché le plan POLMAR après la transmission d'une information par la préfecture maritime à Brest, c'est-à-dire après la constatation par les aéronefs de la Marine nationale ou des Douanes de l'existence d'une nappe, qui pouvait être une nappe d'hydrocarbure, et la suggestion, puis la demande qui m'a été faite de déclencher le plan POLMAR. Il y a au départ, un problème d'information.

Nous avons aussi reçu à la préfecture et dans les sous-préfectures, ainsi que dans d'autres services, le bulletin d'information quotidien réalisé par la préfecture maritime et le CEDRE, décrivant l'évolution de la nappe et le sens prévisionnel des courants. La première pollution a concerné les côtes de la Gironde et des Landes, mes collègues vous indiqueront comment ils en ont été informés. En ce qui nous concerne, début février, nous savions par ces informations quotidiennes qu'une pollution relativement forte arriverait sur nos côtes pendant cette première semaine de février et, à la suite des contacts pris, nous nous y attendions.

Pour l'essentiel, ce sont les seuls contacts que j'ai eus avec la préfecture maritime. Je signale simplement que nous avions suggéré que les bateaux interviennent un jour donné au large de la côte pour faire un travail de nettoyage et de prélèvement d'hydrocarbures, mais la météo ne s'y prêtait pas. Nous avons eu un dialogue à ce sujet.

Pour l'essentiel, nos relations ont consisté dans un échange d'informations, qui s'est relativement bien passé, sachant que le directeur interdépartemental des Affaires maritimes dépend à la fois du préfet de département et du préfet maritime, et qu'il lui appartient de mener un travail d'articulation qui n'est pas toujours facile, je le reconnais.

Je tiens à souligner que les communes ont engagé des moyens matériels importants. Il est vrai aussi que sur la côte basque, en dehors de Bidart et Guéthary, les communes sont importantes, et leurs services techniques sont bien organisés. Je pense notamment à Anglet, Biarritz et Saint-Jean-de-Luz. Le maire de Bayonne dispose également de services qu'il a mis à la disposition de ses collègues. Les villes ont donc mené un travail important.

Je laisserai tout à l'heure le commandant Sampietro vous parler des moyens techniques que nous avons utilisés, mais, ici, dans la mesure où notre littoral est moins long mais plus accidenté et plus rocheux que celui des départements de la Gironde et des Landes, le traitement de la pollution n'a pas été le même que dans les deux autres départements. Un travail de prévention a notamment été mené. Je fais référence au travail effectué par le Samathéo au large de Biarritz, avec la pose de filets au large de la baie, qui ont pu piéger la pollution, mais également la pose sur les plages - résultant de l'expérience de la lutte contre la pollution de l'Erika- de filets serpillières qui ont été efficaces sur les grandes plages de sable. Je pense que les élus pourront en témoigner.

Nous avons commandé assez rapidement ces filets en Charente-Maritime, que nous avons pu réceptionner en plusieurs temps : nous n'avons jamais été en rupture de stocks, même si, durant un week-end, nous étions à la limite. Nous n'avons jamais manqué de ces moyens techniques, que nous avions nous-mêmes directement commandés auprès des différents fournisseurs, avec l'accord du SGAR à Bordeaux.

Mais je pense que vous reviendrez dans vos questions sur les moyens techniques, notamment les cribleuses, dont l'impact a été moindre ici que dans les autres départements.

M. Jacques SAMPIETRO : Vu la configuration des plages, ce n'était pas une nécessité. En effet, la configuration des plages et la granulométrie du sable font que le criblage qui a été largement utilisé en Gironde et dans les Landes ne correspondait pas vraiment à notre situation. Nous n'avons pas obtenu de bons résultats malgré de nombreux d'essais. En revanche, nous utilisons des mini-cribleuses pour faire le nettoyage final, qui nous donnent toute satisfaction.

En termes de moyens, l'essentiel de la lutte a consisté en un ramassage manuel le plus précoce possible. C'est pour cela que l'on y a mis beaucoup de personnels et que l'on a posé des filets de piégeage, les serpillières en polyéthylène, ce qui a permis tout d'abord de limiter fortement l'impact de la pollution sur les plages et, ensuite, de faciliter le ramassage.

M. Jean-Pierre DUFAU : Pour illustrer ce point, il me semble que si vous nous indiquiez la longueur des côtes des Pyrénées atlantiques et la proportion des zones sableuse et rocheuse, nous aurions une meilleure appréciation des problèmes que vous avez dû résoudre, qui sont effectivement très différents de ceux des Landes et de la Gironde.

M. Jacques SAMPIETRO : Le littoral s'étend sur trente-six kilomètres, dont une petite moitié de plages présentant pour nous des caractéristiques très favorables, puisqu'elles sont facilement accessibles. Les accès sont bien faits et fonctionnent correctement. Les problèmes de logistique ont été bien plus réduits que dans d'autres départements.

M. Louis GUÉDON : J'aimerais que vous nous apportiez des précisions techniques. Dans le cas de pollutions par mazout lourd, on distingue deux types de pollutions selon la situation du navire par rapport à la côte : si le naufrage survient dans une zone proche, la côte est souillée par des nappes complètes, à la fois sur les roches et les plages ; s'il est plus éloigné, il s'agit d'une invasion de galettes et de «boulettes». Les procédés de traitement sont alors totalement différents, de même que les conséquences des pollutions. Pourriez-vous préciser si vous étiez dans le cas d'une invasion par nappes, qui viennent recouvrir les côtes, tel un drap, ou dans celui d'une arrivée de galettes ?

M. Jacques SAMPIETRO : Nous n'avons pas reçu de nappe fraîche ou peu émulsionnée. Les produits polluants étaient sous la forme de «boulettes» ou de galettes allant jusqu'à deux mètres de diamètre. C'était un produit très émulsionné qui était en mer depuis au moins un mois.

M. Louis GUÉDON : Quels était la répartition entre le mazout et l'agglomérat sable-eau dans les déchets reçus ?

M. Jacques SAMPIETRO : Le mélange avec l'eau doublait à peu près l'agglomérat.

M. Pierre DARTOUT: Je ne suis pas un technicien, mais nous avons connu trois jours difficiles les 4, 5 et 6 février, où j'ai souvenir de la plage de Biarritz couverte de très grandes galettes. C'étaient quasiment des nappes de consistance assez compacte. La pollution n'était pas trop mélangée. Mais cela ne s'est produit que sur une période très limitée.

M. TRACKOEN : Nous avons eu trois jours de tempête et énormément de bois et de branchages étaient mélangés au fioul. Cela donnait une impression de saleté et de désastre.

M. Louis GUÉDON : Des algues y étaient mêlées ?

M. André TRACKOEN : Il n'y avait pas d'algues à ce moment-là. C'était la tempête qui nous avait amené cela. Cela donnait l'impression que la pollution était extrêmement étalée.

M. Jean-Pierre DUFAU : A titre indicatif, peut-on évaluer, à ce jour, le volume de pétrole recueilli dans le cadre du plan POLMAR-mer, notamment par les pêcheurs, et des déchets qui sont arrivés sur le littoral ? Pouvez-vous nous indiquer un ordre de grandeur ?

M. Philippe MARSAIS : Nous pourrions sans doute vous donner quelques indications mais en restant prudent, parce que le bilan du travail qui s'effectuait sur les plages nous était communiqué au fur et à mesure, chaque jour.

M. Louis GUÉDON : La Commission d'enquête dispose de ces chiffres. Nous les avons obtenus à Paris : 30 000 tonnes récupérées par les navires de pêche et 19 000 tonnes par les navires opérationnels. C'est une réponse que nous connaissons.

M. Philippe MARSAIS : Pour les Pyrénées-Atlantiques, on peut estimer que le volume d'hydrocarbures récupérés dans le cadre du plan POLMAR-mer a été de 560 tonnes et de 2 500 tonnes dans le cadre du plan POLMAR-terre, uniquement pour les bateaux luziens.

M. Serge LARZABAL : Pour compléter sur l'aspect technique, le produit ramassé en mer par les marins pêcheurs était du produit brut, émulsionné avec l'eau, mais il n'était pas mélangé. Il était beaucoup plus concentré.

Effectivement, la pollution arrivée les 4, 5 et 6 février n'était pas seulement composée de petites galettes. C'était une pollution très forte. D'après nos estimations -mais sans doute M. l'administrateur pourra-t-il compléter- du 5 au 28 février, près de 540 tonnes ont été ramassées par les petits bateaux des pêcheurs luziens, sans inclure les pélagiques, qui étaient allés aider les Espagnols auparavant.

M. Pierre DARTOUT: Les 4, 5 et 6 février, les bateaux ne pouvaient pas intervenir car il y avait de très fortes tempêtes. Se sont conjugués à la fois de gros coefficients de marée, de fortes tempêtes et des courants défavorables, ce qui était annoncé par la préfecture maritime et par le CEDRE. Je considère que la coordination des moyens départementaux avec l'ensemble des services et des collectivités locales s'est déroulée dans de très bonnes conditions, sans vouloir lancer de « cocorico » qui n'a pas de raison d'être. Dès le départ, les services avaient une bonne expérience de travail en commun, notamment avec l'autorité militaire et surtout avec l'ensemble des collectivités locales.

Le plan Biscaye, quant à lui, relève davantage des autorités maritimes. La coopération avec les autorités espagnoles a été très souple. Des contacts informels ont été menés par le sous-préfet, en particulier, sur un site bien précis, -l'estuaire de la Bidassoa, c'est-à-dire entre Hendaye et Irun- de façon à ce que la pose des barrages soit faite en accord avec les autorités espagnoles. Ils étaient déjà en liaison avec l'autorité maritime et le gouvernement autonome basque. Disons que des accords de terrain ont été conclus.

M. le Président : M. le préfet, il s'agit là de la frontière entre les deux pays et l'on peut comprendre que la coordination des actions était nécessaire. Ma question portait davantage sur la diffusion de l'information. Les Espagnols ont-ils été coopératifs ? Vous ont-ils informé suffisamment tôt ? Les renseignements qu'ils vous transmettaient étaient-ils fiables ? Avez-vous, à un moment donné, senti des lacunes qui ne permettaient pas de réaliser les opérations de façon suffisamment efficace ?

M. Pierre DARTOUT: Je vais vous répondre sur cette question précise et la Marine pourra peut-être, elle aussi, apporter des précisions.

Nous n'étions pas, pour notre part, directement en contact avec les autorités espagnoles. Nos informations venaient de Brest, de la préfecture maritime et du CEDRE basés à Brest. Mais la préfecture maritime était en contact avec les autorités espagnoles et une coordination a été mise en place dans le cadre de ce plan, notamment pour la mise en œuvre opérationnelle des moyens maritimes. Si vous le permettez, je vais demander au commandant de la Marine nationale de prendre la suite.

M. Franck PERROT : Le plan Biscaye est un plan essentiellement maritime, impliquant la préfecture maritime de Brest et les autorités maritimes espagnoles. Il est déclenché à l'initiative du préfet maritime. Les informations fournies par les autorités espagnoles arrivaient directement à la préfecture maritime de Brest et un officier de la Marine espagnole assurait également la liaison avec ses autorités gouvernementales. L'ensemble des informations étaient transmises à la préfecture maritime qui, au niveau de sa cellule, formulait les informations qu'elle retransmettait aux préfectures de département.

M. le Président : Je précise ma question. A l'origine, avez-vous été suffisamment vite informés du risque de pollution ? La dérive des nappes -et sur ce point, les marins pêcheurs pourront, je pense, nous en dire plus car ils connaissent bien le problème- était-elle celle annoncée par les cartes et les textes ? Avez-vous été non seulement prévenus mais techniquement épaulés ?

M. Franck PERROT : C'est une question délicate, en ce sens que, dès le naufrage le 13 novembre, le plan Biscaye a été déclenché par la préfecture maritime.

M. le Président : Immédiatement ?

M.  Franck PERROT : Oui, le plan Biscaye entre immédiatement en vigueur. A cet égard, il se distingue du plan POLMAR-mer.

Donc, dès ce moment, la préfecture maritime de Brest a instauré un dialogue avec les autorités espagnoles. C'est la raison pour laquelle des bâtiments de la Marine nationale sont allés déjà pomper le pétrole au large de la Galice. L'Ailette, en particulier, travaillait sur zone. Donc, à partir de ce moment-là, l'échange d'informations a eu lieu de façon continue et, en accord avec les autorités espagnoles qui, de leur côté, localisaient certaines nappes, les avions des Douanes ou de la marine nationale effectuaient des opérations de surveillance ; cette surveillance ainsi que les études de courantologie nous ont permis de savoir précisément à quel moment ces nappes arriveraient dans notre zone, que ce soit les Landes, le nord du Golfe de Gascogne ou le Pays basque.

M. le Président : Vous saviez immédiatement que telle pollution allait arriver à tel endroit ?

M. Christophe INDA : On s'en doutait. On se disait que la pollution n'arriverait peut-être pas tout de suite mais qu'un jour ou l'autre, cela se produirait.

M. Pierre DARTOUT: C'est ce qui se disait. Les gens qui connaissent la mer le disaient tous.

M. le Président : Nous posons cette question parce que, pour l'Erika -et Christophe Priou vous en parlerait bien mieux que moi-, on s'est totalement trompés sur l'effet des courants et les nappes ne sont pas arrivées où on les attendait. Je me demande donc si vous, vous saviez comment cela allait se dérouler.

M. Christophe INDA : Nous savions plus ou moins que ces nappes allaient arriver vers nous. Nous disposions des informations de la Marine nationale ; le Germinal, l'Aramis et l'Eider nous encadraient. Mais beaucoup d'informations nous étaient aussi fournies par nos collègues marins pêcheurs basques espagnols qui, bien souvent, avant la Marine nationale française, nous donnaient les positions de nappes dans les zones où nous étions susceptibles d'aller travailler. Certains jours, les nappes les plus proches du littoral basque étaient au-delà des zones où nous pouvions aller travailler parce qu'avec nos petits bateaux, nous étions limités en amplitude d'action par rapport à la côte. Nous ne pouvions pas dépasser les 20 milles nautiques.

Il nous est pourtant arrivé de les dépasser largement. Nous sommes partis travailler avec de gros bateaux espagnols. Nous avons trouvé cela normal, étant donné que, certains jours, il sont eux aussi venus travailler du côté français parce que le plus gros de la pollution était là. Il n'y a pas eu de problème, tous les pêcheurs luziens et capbretonnais sont allés travailler avec les espagnols dans une totale transparence. Ils nous transmettaient les informations à 7 heures du matin, sur les pontons.

M. le Président : De pêcheur à pêcheur ?

M. Christophe INDA : Oui, on se donnait l'information de pêcheur à pêcheur et on travaillait, bien sûr, avec la Marine nationale ainsi qu'avec la Marine espagnole.

M. Albert LARROUSSET : Je voudrais revenir sur la courantologie. Il est sûr que c'est une discipline qui permet de connaître les grands mouvements, mais les vents ont beaucoup variés, que ce soit pour l'Erika ou le Prestige, et ceux-ci influent autant et même plus que la courantologie.

Pour l'Erika, il nous avait été dit que nous devions recevoir les nappes dix jours après le naufrage. Elles ne sont jamais venues parce que les vents du sud ont maintenu les nappes en Bretagne.

Pour le Prestige, le courant devait nous les amener et elles sont allées dans les Landes, toujours en raison des vents à dominante sud qui repoussent les pollutions. Sitôt que les vents sont de nord ou nord-ouest, elles reviennent chez nous. Les courants ont une incidence, mais la courantologie n'est pas une science exacte car beaucoup d'autres phénomènes génèrent une grande incertitude. C'est pour cela que, sur le site du CEDRE, on lisait tous les jours les prévisions, mais ce n'était qu'une appréciation ; il fallait aller sur le terrain pour connaître exactement la situation résultant des vents, des courants mais aussi de la mer et de la houle. Nous n'avons pas beaucoup de courant ici, en fond de golfe. En revanche, nous connaissons de fortes houles. Il est donc assez difficile de faire des prévisions.

M. le Président : La courantologie n'est pas une science exacte. La science est souvent détenue par les professionnels de la mer.

M. Franck PERROT : Pour abonder dans le sens de M. le maire, un des enseignements tiré du Prestige par la Marine nationale, c'est qu'en fonction du type d'hydrocarbure, le vent comme le courant a une grande importance.

M. Pierre DARTOUT: Cela dit, début février, alors que nous consultions sur internet tous les soirs à 19 heures le site du CEDRE, le samedi précédant le 4 février, la flèche de prévision de direction des nappes indiquait que la pollution venait sur nous. Nous savions que la semaine à venir allait être très difficile.

Sur le plan budgétaire, pour les questions d'intendance, nous avons disposé de deux types d'enveloppe, puisque nous avons déclenché le plan POLMAR avant les Landes et la Gironde, même si nous avons été concernés après eux.

Nous avons reçu, début décembre, une enveloppe de Mme la ministre de l'Ecologie, directement notifiée au préfet de département, d'un montant de 404 000 euros. Cette première autorisation de programme a été gérée par nos propres services financiers ; mais il n'était pas nécessaire de recueillir l'accord de Bordeaux pour ces dépenses. Nous avons fait face aux dépenses les plus urgentes comme l'achat de certains outils -combinaisons, gants et filets- et d'autres dépenses plus délicates sur lesquelles nous pourrons revenir, puisqu'il s'agit du centre de stockage provisoire de Mouguerre qui a fait l'objet de travaux à cette époque.

Puis, nous avons reçu une seconde enveloppe d'autorisations de programmes à hauteur de 400 000 euros. Mais le système a changé : nous n'avons plus reçu directement la notification des enveloppes, l'ordonnateur secondaire était le préfet de zone. Il a reçu les crédits du ministère de l'environnement et était, ensuite, chargé de les subdéléguer aux préfets des départements affectés, c'est-à-dire les Pyrénées-Atlantiques, les Landes et la Charente-Maritime.

A partir de ce moment-là, les dépenses que nous comptions réaliser étaient soumises à l'approbation de Bordeaux et pour toutes les commandes passées, nous sollicitions Bordeaux. Parallèlement, les maires présentaient directement leurs dépenses au SGAR qui les payait. C'est à eux de s'exprimer à ce propos. Actuellement, toutes les dépenses ne sont pas couvertes, mais je n'en dirai pas plus. M. le président du comité local des pêches l'a dit, un seul pêcheur, M. Lespielle du Samathéo, relève du préfet de département; les autres relèvent du préfet maritime et leur réquisition est financé par les budgets maritimes.

Nous pourrons répondre de façon plus précise à vos questions sur ces points, mais il faut cependant souligner, M. le Président, que l'essentiel de nos dépenses, pratiquement les deux tiers, ne correspond pas à l'achat de filets ou de combinaisons, mais à l'acheminement des déchets et des hydrocarbures jusqu'en Gironde et leur élimination, que nous avons dû assumer jusqu'à une date relativement récente. Maintenant, nous sommes sous le régime du marché, c'est donc l'entreprise qui a contracté avec l'Etat qui s'occupe de cela.

M. le Président : Peut-on, M.le préfet, demander aux élus du littoral s'ils ont la même approche sur ces questions ?

M. Albert LARROUSSET : La méthodologie a été bonne. Tout a été respecté et a été efficace, me semble-t-il. Il ne fallait pas engager de frais sans les avoir faxés au PC avancé. C'est ce qui a été fait. Nous attendions d'être remboursés sous quarante-huit heures, mais naturellement, cela n'a pas été le cas et, actuellement, nous ne sommes toujours pas remboursés.

Je ne sais si toutes les communes en sont à ce stade. Je pense que certaines communes ont reçu des crédits, mais à Guéthary, nous ne sommes pas encore remboursés. Cela dit, nous n'avions engagé que de petites dépenses. Je ne sais pas ce qu'il en est pour Biarritz.

M. Pierre DARTOUT: N'avez-vous pas été remboursé quand même d'une partie ?

M. Albert LARROUSSET : Non.

M. Jean GRENET : Je n'étais pas concerné puisque je n'ai fait que mettre les services de la ville à la disposition des communes d'Anglet et de Biarritz. En tant que député, j'étais concerné par Anglet, qui compte 4,5 km de littoral et se situe dans ma circonscription. Tout ce que nous pouvions faire, nous qui étions peu concernés, était de mettre nos effectifs à la disposition des opérations de nettoyage.

J'observe d'ailleurs que toutes les personnes sur le terrain étaient des professionnels et que nous n'avons pas eu recours à des bénévoles qui, pourtant, s'étaient manifestés, notamment dans la région de Bayonne. Je crois que, finalement, cela a simplifié les opérations d'avoir travaillé avec des professionnels et de ne pas avoir mis sur le terrain des bénévoles qu'il est difficile d'encadrer, avec toutes les conséquences et les désagréments qui en découlent.

M. Jean-Pierre DUFAU : Les moyens engagés ont été importants avec, toujours, les délais pour les remboursements. Sur ce point particulier, je souhaiterais vous poser quelques questions précises, monsieur le préfet.

J'ai été confronté -et j'imagine que, dans les Pyrénées-Atlantiques, il en a été de même- au problème des pêcheurs, qui, réquisitionnés pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, ont engagé des frais importants auxquels s'ajoutait une perte d'activité de la pêche, et pour lesquels les délais de remboursement couraient toujours. Or il s'agissait de sommes conséquentes. Il me semblerait souhaitable d'améliorer la réactivité des remboursements, qu'il s'agisse de ceux qui doivent venir de la préfecture maritime ou, au plan local, du préfet de zone. Cela me paraît essentiel pour les professionnels, d'après les informations dont je dispose.

Ensuite, en ce qui concerne les communes, le dispositif financier a globalement bien fonctionné, grâce à la prise en compte par le SGAR d'un certain nombre de dépenses. Restent des dépenses que je qualifierais de résiduelles, pour lesquelles les remboursements tardent plus.

M. le préfet, ma question est la suivante : entre le système initial de délégation au préfet du département et celui de centralisation au niveau du préfet de zone adopté ensuite, quelle vous paraît être la méthode la plus efficace ?

Est-ce la centralisation des crédits par le préfet de zone ? Dans ce cas, comment est coordonnée l'action de ce dernier avec les préfets des départements et les PC avancés sur le terrain ? Car la difficulté est toujours la même, les problèmes sont constatés et traités sur le terrain, mais aussi au niveau préfectoral et zonal. Aussi la coordination entre les préfets de départements et le préfet de zone me semble essentielle pour que le dispositif soit efficace.

Vous avez évoqué les marchés qui se sont maintenant substitués à l'action engagée précédemment. Il est vrai que nous sommes entrés dans une seconde phase de sortie de crise, du moins, je l'espère. Il faut cependant garder toute notre vigilance et ces dernières 48 heures démontrent que la pollution n'est pas totalement terminée, contrairement à ce que d'aucuns pensent.

Je souhaiterais également savoir si les marchés sont effectivement mis en place dans les Pyrénées-Atlantiques à l'heure actuelle et s'ils sont efficaces, car ce n'est pas le cas dans tous les départements.

Vous avez évoqué le cas plus particulier de la dépollution des rochers et des surfaces dures : pourriez-vous être plus précis sur l'engagement et la notification de ce marché car, à ma connaissance, il n'est pas encore opérationnel ?

M. Pierre DARTOUT: Je commence par votre dernière question. Les marchés pour le nettoyage des plages de sable sont en cours, depuis environ une semaine.

M. Jean-Pierre DUFAU : Ils devaient être engagés début avril.

M. Pierre DARTOUT: C'est exact, mais le fait est qu'ils ont été engagés entre le 15 et 20 avril.

M. Denis GAUDIN : Un peu avant Pâques.

M. Pierre DARTOUT: ...en qui concerne le marché de nettoyage des plages de sable.

Sur leur efficacité, je préfère laisser la parole aux maires. Je sais, par exemple, qu'à Guéthary a été mis en place un traitement par « surf washing ». Peut-être M. Larrousset pourra-t-il s'exprimer à ce sujet.

Concernant le marché de nettoyage des rochers, un travail a été mené avec le CEDRE et les administrations, sous l'autorité du sous-préfet, pour déterminer les zones rocheuses qui nécessitaient le traitement le plus rapide. Ce travail est effectué et le marché sera prochainement mis en oeuvre, me semble-t-il.

M. Philippe MARSAIS : La réalisation doit se faire prochainement. Lors d'une réunion à Bordeaux le 25 avril, j'ai appris que les marchés attendaient le visa du trésorier payeur général de Gironde et qu'il n'était toujours pas accordé. Peut-être y a-t-il un blocage à ce niveau ?

M. Pierre DARTOUT: Le visa préalable du trésorier payeur général de la région Aquitaine, enfin, de la zone de défense Sud-ouest est nécessaire et ensuite le marché sera mis en œuvre.

M. André TRACKOEN : Hier à Biarritz, une entreprise est venue visiter le site où elle devait travailler. L'affaire est donc bien engagée. L'entreprise en question, l'entreprise Jet, est venue voir sur place quels étaient les secteurs où elle devait intervenir. Il semblerait que, dès la semaine prochaine, l'entreprise ait l'ordre de commencer les travaux.

M. Jean-Pierre DUFAU : A ce jour, le marché n'est pas délégué ?

M. André TRACKOEN : Non. Il n'est pas délégué officiellement pour l'instant, mais les entrepreneurs sont choisis.

M. le Président : Les marins pêcheurs ont-ils été payés ?

M. Christophe INDA : Oui, depuis dix jours.

M. Pierre DARTOUT: Par la préfecture maritime. C'est un point sur lequel je peux répondre : notre dette au titre du plan POLMAR-terre consiste uniquement dans le paiement du Samathéo, qui, je l'espère, sera effectué le plus vite possible.

M. Serge LARZABAL : Sur cette question précise des financements, je rappelle que tous les bateaux réquisitionnés ont été payés jusqu'au 21 mars inclus. Restent actuellement, d'après le point que nous avons fait hier, six bateaux, dont la majorité sont de Capbreton, qui n'ont pas encore été payés pour la période du 22 mars au 9 avril. Le seul problème financier concernant les navires est le délai de paiement. Les crédits dégagés et alloués à l'indemnisation des petits navires sont globalement satisfaisants. Le seul bémol est ce délai de paiement.

M. Pierre DARTOUT: Je précise à M. Dufau que les marchés de nettoyage des rochers sont techniquement beaucoup plus difficiles dans leur mise au point. L'intervention des entreprises n'est pas de même nature, en ce sens que les opérations doivent être réalisées sur certains secteurs de la côte, notamment sur la corniche entre Socoa et Hendaye, ou sur certains sites du côté de Guéthary ou de Biarritz, qui exigent des précautions physiques. La corniche des Basques est notamment un site très particulier. Donc, il ne s'agit pas de travaux « simples », comme ceux menés sur les plages de sable.

Pour répondre à votre question, le système financier a effectivement été modifié. Le préfet de département n'a plus reçu directement les enveloppes. Cela dit, nos relations avec le niveau zonal, en l'espèce avec le Secrétariat général des affaires régionales, auquel nous demandions régulièrement son visa préalable pour l'engagement de dépenses et pour la passation de certaines commandes, ont été régulières. Nous n'avons pas rencontré de difficultés particulières, à l'exception du montant des ressources disponibles dans certains cas. Le problème reste le même

Je ne pense pas que les retards aient été trop importants. Si ce n'est une fois quand nous sommes arrivés en fin de crise, nous avons eu une commande à la demande de M. Sampietro, qui concernait certains types de filets, et qu'il fallait absolument honorer...

M. Jacques SAMPIETRO : Des filets mais également des équipements de sécurité, car j'étais presque en rupture de stock.

M. Pierre DARTOUT: On a constaté quelques jours de retard, mais j'ai demandé directement l'accord du SGAR et du préfet de zone et nous l'avons obtenu. Je n'ai donc pas à cet égard d'observation particulière.

Les filets serpillières, vous les aviez commandés bien avant ?

M. Jacques SAMPIETRO : Pour ce matériel, nous avons été bien approvisionnés. J'ai également rencontré quelques difficultés pour l'achat de petits équipements : il me manquait notamment des gants, des sous-gants.

M. Pierre DARTOUT: Un problème est aussi survenu à Hendaye.

M. Jacques SAMPIETRO : Oui, il a fallu faire un ordre de mission international avec la DDE pour aller installer un amarrage de mât...

M. Pierre DARTOUT: En tout cas, les coûts les plus importants ont été ceux relatifs à la location des bennes, au transport et à l'incinération.

M. le Président : Les lieux de stockage étaient-ils à proximité ?

M. Pierre DARTOUT: C'est une question (Sourires.)... intéressante. Je vais être très clair à ce sujet, M. le Président, le plan POLMAR prévoit un certain nombre d'éléments, mais parmi eux un centre de stockage provisoire manquait. Le plan POLMAR ne donnait que quatre sites possibles pour stocker les hydrocarbures ramassés et, dans l'urgence, nous avons dû trouver non le meilleur site mais le moins mauvais. Inutile de vous dire que la mise en place de ce genre de site ne soulève pas l'enthousiasme des riverains, même s'il est d'intérêt général.

Nous avons donc décidé, après réflexion, de créer un centre de stockage provisoire à Mouguerre, qui n'est pas une commune littorale, et se situe un peu en retrait des côtes. D'un point de vue géologique, elle convenait parfaitement et constituait un site facile à protéger et à isoler.

Cette décision, que j'assume, a soulevé des polémiques, mais comme tout site de même nature aurait pu en soulever. Quelle que soit la localisation choisie, nous aurions eu des problèmes. Mon arrêté a été attaqué devant le tribunal administratif et une demande en référé a été déposée, que l'Etat a gagné.

Cela dit, nous n'avons pas eu besoin d'utiliser ce site, car nous n'avons pas été confrontés à une pollution massive comme en Galice ou dans votre département au moment de l'Erika. Nous avons donc pu travailler en flux tendu, même si, à certains moments, c'était effectivement très tendu ! Tous les maires, notamment MM. les maires d'Anglet, de Biarritz et de Bidart, ont fait preuve de beaucoup de compréhension ; en effet, nous avons dû, pendant quelques jours, stocker des bennes sur certains sites. Cependant, nous avons pu, sans coût supplémentaire, traiter ce problème en flux tendu, sans avoir à utiliser le centre de Mouguerre qui aurait pu engendrer d'autres difficultés. Il est clair que nous aurions été contraints de l'utiliser si la pollution avait été plus importante, occasionnant alors une rupture dans le flux d'acheminement vers l'usine d'incinération de Bassens en Gironde.

M. le Rapporteur : A la différence de la Méditerranée, nous avons pu constater la bonne articulation entre nos collègues élus et les pouvoirs publics. En revanche, comment avez-vous géré l'émotion de la population ainsi que la pression médiatique, qui devrait se poursuivre puisque vous êtes à l'aube de la saison estivale ? Il y a toujours le dilemme de trouver le juste équilibre entre revendiquer la juste réparation et préparer la saison touristique.

On a également évoqué les personnels communaux : sous quel commandement étaient-ils placés ? Comment ont-ils été rémunérés ? J'évoque ce point, car les communes touchées par l'Erika sont actuellement en contentieux avec le FIPOL qui estime que celles qui avaient détaché leur personnel communal avaient fait acte de solidarité et que, si les employés n'avaient pas nettoyé le pétrole, ils auraient été employés à d'autres tâches.

A ce propos, nous n'avons pas encore évoqué le FIPOL. Aujourd'hui, nous avons vu que les avances de trésorerie avaient été assez rapides mais, pour le moment, c'est l'Etat qui débloque les fonds. Des dossiers d'indemnisation sont-ils en cours de préparation ? Les services communaux sont-ils toujours en veille ? Sous quelle responsabilité ? Je pense notamment à l'accident dramatique d'un agent communal, écrasé par un engin de nettoyage.

Par ailleurs, qu'est-il prévu en cas d'éventuelles nouvelles arrivées ? Les fermetures et les réouvertures de plages ont été gérées cet hiver, mais qu'en serait-il en cas de nouvelles arrivées de pollution, alors que la fréquentation des plages devient plus intense ?

Est-il prévu, au travers de l'Association des maires, des départements et des régions, d'engager une communication de relance économique, notamment sur le domaine touristique ?

M. Albert LARROUSSET : Concernant les employés communaux, la première crainte a été de savoir si le produit était toxique ou pas. Nous leur avons communiqué toutes les circulaires que nous avait adressées la préfecture et ils ont commencé à travailler. En revanche, ils ont exigé des visites médicales complémentaires.

Cela s'est relativement bien passé. Nous avons pu remarquer cependant que certaines personnes sont plus sensibles que d'autres aux odeurs d'hydrocarbures. Certains le supportent très bien, d'autres sont vraiment incommodés, surtout lorsqu'il y a du soleil. Ceux qui étaient incommodés ont été exemptés. Nous avions eu bien plus de personnes se plaignant de mal au dos que de personnes indisposées, d'autant que les périodes d'intervention étaient relativement courtes, puisqu'elles dépendaient des marées. Elles représentaient donc deux ou trois heures, suivies de pauses.

Comment gérons-nous cela aujourd'hui ? Tous les jours, nous visitons les plages pour ramasser toutes les pollutions restantes. Nous le faisons deux fois par jour : le matin, à marée haute, et plus tard, à marée basse. Je ne sais pas si je dois le dire, mais les plages n'ont jamais été aussi propres que cette année ! Le moindre morceau de bois qui traînait a été ramassé, on n'a jamais fait autant durant les périodes d'hiver.

M. le Président : Que pensez-vous de l'attitude des médias durant cette période ?

M. Albert LARROUSSET : Ils ont été très alarmistes, en cherchant vraiment à faire monter la pression. Selon eux, la situation est toujours très grave.

De plus, nous sommes confrontés au problème des surfeurs : ils ne peuvent pas vivre sans faire du surf, sinon ils sont très frustrés ; donc, ils allaient ainsi, avec leur planche, d'une plage à l'autre et étaient interviewés par les médias.

Les surfeurs et leur association « Surfer Foundation », de dimension internationale, avaient pris la décision de ne pas nettoyer les plages. Ils étaient présents pour l'Erika, mais, là, ils ont estimé qu'il ne s'agissait plus d'une catastrophe naturelle mais industrielle, et qu'en conséquence, le nettoyage devait être assuré par les industriels et non par les bénévoles.

Donc, que faisons-nous maintenant ? Tous les matins, nous allons vérifier si des « boulettes » sont arrivées sur les plages, et nous remplissons les questionnaires que l'on nous faxe.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des communes et des services de l'Etat : je soulignerai que le conseil général nous a aussi fortement soutenus. Il a été présent dès le début de la crise et a mis à notre disposition un cabinet d'avocats pour aider les communes et les socioprofessionnels -qui sont également soutenus dans leurs démarches par la chambre de commerce- à monter et préparer les dossiers qui seront présentés devant le FIPOL ; en effet, l'expérience a montré que le FIPOL était d'assez mauvaise foi et qu'il valait mieux définir une bonne méthodologie pour prouver le préjudice, si l'on voulait avoir quelque chance d'être remboursé.

Les collectivités locales ont renvoyé dernièrement à la préfecture les frais de personnels communaux engagés dans les opérations de nettoyage. Cela a été adressé à la préfecture la semaine dernière.

S'agissant de la communication, c'est le président du Comité départemental du tourisme qui en est chargé.

Comment la communication a-t-elle été gérée vis-à-vis des socioprofessionnels ? Cela a été un gros problème. Nous avons demandé à M. le préfet d'autoriser la réouverture des plages. Le maire de Biscarosse l'a fait bien avant tout le monde. Les gens attendaient cette réouverture des plages. Nous l'avions demandée au préfet et il nous a délégué cette compétence. Mais il faut l'assumer ! Toute une économie locale dépend d'une telle décision. C'est une contrainte. Certains y sont favorables, d'autres non. Mais il faut aller de l'avant. Nous subissons la pression du monde du tourisme. Nous aurions pu nous en tenir au principe de précaution mais, pour l'économie locale, nous avons préféré ouvrir les plages si les conditions le permettaient. Nous espérons ne pas avoir à les fermer à nouveau. Nous ferons tout ce qu'il faut pour cela.

M. le Rapporteur : Vous parliez de l'association de surfeurs. Cette pollution a-t-elle eu des conséquences sur l'attribution du pavillon bleu ? Je pense que certaines communes de votre département sont détentrices du pavillon bleu ; celui-ci leur a-t-il été attribué cette année également ?

M. André TRACKOEN : Biarritz ne souhaite pas s'associer à l'opération des « pavillons bleus ». M. Borotra l'a dit clairement à plusieurs reprises.

A Biarritz, les plages principales sont nettoyées tous les jours en temps normal. Nous avons donc pu être très présents. Actuellement, elles sont encore nettoyées tous les jours.

Je dois reconnaître que, dans ce domaine, mon stage à la mairie du Croisic m'a été utile. J'ai notamment rencontré mon collègue, le directeur des services du Croisic, dont j'ai apprécié l'accueil et les quelques cours sur le fonctionnement des cribleuses. Je pense d'ailleurs que nous avons toujours en notre possession une cribleuse manuelle...

M. le Rapporteur : Tant que nous ne vous la demandons pas, c'est que nous n'en avons pas besoin. C'est bon signe. (Sourires.)

M. André TRACKOEN : Alors, espérons pour nous que nous pourrons vous la rendre très prochainement.

Il est vrai que les services communaux et étatiques ont très bien travaillé ensemble. Je dois rendre un hommage particulier, si vous me le permettez, M.le préfet, à M. Sampietro : nous l'avons vraiment sollicité jour et nuit et nous n'avons jamais constaté de retard. Cela s'est très bien passé. La coordination était remarquable et nous a vraiment permis d'être efficaces.

Nous n'avons pas dû faire appel à des bénévoles, les opérations de nettoyage ont été assurées essentiellement par les services de la ville. La mairie de Bayonne a donné un coup de main, les pompiers également.

Mon seul regret, c'est que j'aurais voulu que soit précisé de façon plus détaillée le rôle exact des gens du CEDRE ; mais je ne qualifierai pas cela de dysfonctionnement. En effet, nous les voyions sur le terrain, mais nous ne savions pas quelle était exactement leur mission et de quelles autorités ils relevaient. Je précise qu'il n'y a pas eu d'incident ; nous nous sommes juste interrogés.

M. Pierre DARTOUT: Des agents du CEDRE ont été effectivement présents ici depuis le mois de janvier. M. Sampietro va vous indiquer comment leur action s'articulait avec la nôtre.

M. Jacques SAMPIETRO : Dans ce département, comme dans les autres, le CEDRE assure un appui scientifique et technique. Je dois dire que les relations entretenues avec les personnes du CEDRE présentes dans le département se sont déroulées dans une atmosphère cordiale, très orientée vers les objectifs à accomplir. Ces personnes ont parfaitement rempli leur rôle de conseiller : j'avais de nombreuses questions à leur poser auxquelles il m'a toujours été répondu. Je leur ai demandé de dresser de nombreux états des lieux et de faire des reconnaissances. Tout a toujours été fait et leur intervention m'a parfois permis de proposer à M. le préfet des types d'action auxquels nous n'aurions pas forcément pensé.

Donc, de mon point de vue, le rôle d'appui et de conseil scientifique et technique du CEDRE dans les Pyrénées-Atlantiques a été parfaitement bien rempli.

M. le Président : Le CEDRE a-t-il analysé l'origine des pollutions afin de déterminer si elles venaient uniquement du Prestige et non de déballastages ou de dégazages ? Il n'y a pas eu de confusion à ce sujet ?

M. Jacques SAMPIETRO : A plusieurs reprises, l'aspect des pollutions n'était pas le même, ce qui leur faisait soupçonner des déballastages. Ceci dit, nous nous sommes toujours basés sur les résultats des analyses des échantillons faites au CEDRE.

Pour revenir sur ce que disait M. Trackoen, il est vrai que, quand les gens ne connaissent pas bien le CEDRE, ils peuvent avoir le sentiment qu'il s'agit d'un organisme de contrôle. Ce n'est pas sa vocation. Le CEDRE a parfaitement accompli sa mission de conseil.

M. André TRACKOEN : Bien évidemment, il ne s'agit pas, M. Sampietro, de les critiquer, puisque c'est grâce à eux que nous avons pu faire un premier nettoyage de rochers à Biarritz. Nous nous sommes juste interrogés sur l'autorité dont ils relevaient.

M. Jacques SAMPIETRO : En fait, ils sont chargés de conseiller le préfet. Ils ont travaillé avec moi tous les jours durant toute la période.

M. Jean GRENET : Je souhaiterais tout d'abord remercier le Rapporteur, M. Christophe Priou, qui a directement vécu la catastrophe de l'Erika, puisqu'il est maire du Croisic et député de Loire-Atlantique. Le jour où Mme la ministre est venue et que nous avons survolé les côtes pour connaître la localisation de la pollution, M. Priou est spontanément venu nous porter assistance, lui qui avait une expérience directe de la pollution en mer, pour l'avoir vécue. Je tenais à le dire et à l'en remercier.

On dit et écrit, que le Prestige était une catastrophe écologique et économique. Il est vrai que les médias ont abondamment relayé toutes les informations relatives au sinistre. Sur ce thème, les personnes qui représentent la thalassothérapie ici auront sans doute matière à s'exprimer ; elles pourront nous dire quel est le préjudice subi dans leur activité et comment elles envisagent le futur ?

Quand on parle économie, on parle du tourisme,de la pêche mais aussi du surf. Les surfeurs sont aujourd'hui, semble-t-il, indissociables de l'image de la côte, qui a beaucoup investi sur « la glisse » et j'aurais presque tendance à penser que s'il n'étaient pas là, il faudrait les payer pour qu'ils viennent ! Mais j'ai tendance à être plus sensible à la situation des pêcheurs qui ont subi un préjudice personnel dans leur activité, mais qui ont aussi été réquisitionnés et mis à disposition pour aller chercher en mer, non pas des poissons, mais des galettes de fioul !

Il faudrait sans doute hiérarchiser les revendications des différents acteurs car, entre ceux qui vivent de la mer et ceux qui l'utilisent pour leurs loisirs, il existe tout de même une différence singulière.

M. le Rapporteur : Vos propos constituent une bonne transition car je souhaitais parler avec nos amis pêcheurs. Comment étaient vos relations avec la préfecture maritime ? En effet, le mot de « réquisition » évoque la notion de contrainte.  Comment ont été négociées les indemnités ? L'amiral Gheerbrant nous a indiqué qu'il avait essayé d'apprécier la situation en négociant avec les pêcheurs tout en tenant compte des impératifs comptables et financiers.

Etes-vous satisfait de ces négociations ? Quelle appréciation portez-vous sur les modalités pratiques du recueil de fioul ? En effet, l'un des plus importants retours d'expérience de l'Erika est bien le recours à des professionnels de la mer, dont M. Thomazeau de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, qui a mis au point un filet spécifique. Et comment s'est passée la coordination avec la Marine nationale, puisque vos navires de pêche complétaient l'action des navires dépollueurs ?

Vous avez ramassé des dizaines de tonnes de produits. Pensez-vous que ce qui reste au fond de la mer peut avoir des conséquences sur vos activités de pêche, à court ou moyen terme ? Cela a-t-il déjà eu des incidences directes sur le cours du poisson dans les criées, si vous avez pu continuer à pratiquer la pêche ?

M. Serge LARZABAL : Je voudrais simplement dire un mot d'ordre général : je me suis entouré de personnes qui ont directement participé à la lutte contre la pollution, auxquelles je laisserai la parole. Le sentiment généralement répandu au sein de la profession, est celui d'une bonne gestion de la crise, bien conduite par les autorités étatiques et les collectivités locales. Je vous rappelle que, dès le 4 décembre, le plan POLMAR-mer a été activé. Une première vague de chalutiers a alors été réquisitionnée pour prêter main-forte aux navires espagnols.

Pour répondre précisément à votre question, il y a eu une négociation entre les représentants de l'Etat et les armateurs qui, somme toute, a donné satisfaction puisque une fois le prix négocié, les pêcheurs sont allés effectivement recueillir le fioul.

En revanche, aucune négociation n'a été conduite en ce qui concerne la flottille la plus conséquente, celle des petits navires qui ont été réquisitionnés le 4 février. Y avait-il eu des négociations un peu ardues auparavant ? Je n'entrerai pas dans les détails. Toujours est-il qu'une estimation a été faite par les autorités de la préfecture maritime de l'indemnisation a accordé aux navires. Cela a été clair et très net. Cette indemnisation s'élevait à 400 euros par jour et par homme embarqué, et la réquisition s'est faite, dans un premier temps, sur la base du volontariat.

Il n'y a donc pas eu de négociation mais le prix proposé, sans être excessif, était correct puisqu'un certain nombre de bateaux ont répondu favorablement, en tant que volontaires.

Pour l'aspect financier, je le répète, le seul bémol, que j'ai d'ailleurs déjà cité, tient aux délais de paiement. Partant de là, je ne pense pas qu'il y ait eu une volonté de profiter d'un quelconque effet d'aubaine de la part des professionnels face à une telle catastrophe.

Concernant les pertes d'exploitation, il faut aussi être très clair : dès lors que les bateaux ont été réquisitionnés et indemnisés, ils n'ont droit à aucune indemnité. Cela étant, nous avons fait, avec différents centres de gestion, des estimations générales, et non entreprise par entreprise, et les indemnités qui ont été accordées, notamment pour les plus petits navires, correspondent et couvrent l'exploitation lors des années précédentes. On peut donc dire qu'à ce jour, les bateaux réquisitionnés n'ont pas subi, dans leur grande majorité, de perte réelle d'exploitation.

Restait le problème des bateaux qui n'ont pas été ou n'ont pas voulu être réquisitionnés et qui, dans leur activité de pêche traditionnelle, connaissent une certaine perte d'exploitation. Là aussi, nous ne disposons pas des chiffres précis entreprise par entreprise, mais il semble que, pour la grande majorité d'entre eux, les pertes ne soient pas énormes. Elles sont relativement modestes puisque les entreprises ne souhaitent pas entamer de démarches auprès du FIPOL, estimant que cela leur coûterait plus qu'elles ne pourraient récupérer. Je souligne encore que ceci est un constat portant sur une période bien précise. Je voudrais mettre en avant que nous n'avons pas de visibilité sur le futur.

Nous parlions de courantologie et de la connaissance des vents. Nous allons entrer dans la période estivale et nous risquons d'avoir -les marins vous le diront, mais tout le monde en est conscient- des pollutions résiduelles car, si le Prestige « largue » encore deux tonnes par jour au large de la Galice et même si le nettoyage est performant -les plages n'ont jamais été aussi propres qu'en ce moment- pendant l'été, nous aurons des arrivées de déchets, que je qualifierais de « ménagers ». Donc, le risque de trouver des déchets résiduels de pollution existe bien.

C'est pour cela qu'il nous semble, en tant que marins-pêcheurs, que si la crise est derrière nous pour l'essentiel, il serait souhaitable de maintenir deux ou trois bateaux en veille pendant l'été pour gérer d'éventuelles arrivées résiduelles et éviter qu'elles ne parviennent sur le littoral, contraignant alors les communes à la fermeture de leurs plages, comme le rappelait M. le maire de Guéthary. Un tel dispositif permettrait d'éviter une surmédiatisation qui n'aurait pas lieu d'être. Sous quel mode, quel fonctionnement et selon quel financement pourrions-nous le mettre en œuvre ? Nous ne connaissons pas la réponse.

Je laisserai maintenant la parole aux pêcheurs, plus aptes que moi à répondre aux questions techniques plus précises.

M. le Président : Le mareyage est-il touché ?

M. Serge LARZABAL : Je comptais vous dire que la majeure partie du préjudice a porté sur le mareyage et les poissonniers, là aussi de manière très diverse. Cela va de 30 à 70 % de pertes d'exploitation, due au fait qu'avec la réquisition des navires, peu de poissons ont été vendus à la criée. Selon leur dépendance à l'égard de la criée, les entreprises ont perdu plus ou moins d'argent. Elles ont entamé les démarches auprès du FIPOL, mais le plus gros préjudice se situe au sein de la filière aval.

M. Christophe INDA : Je voulais dire qu'en tant que propriétaire de bateau réquisitionné, je n'ai pas subi de préjudice dû au Prestige ; mais notre grande inquiétude actuelle, est que les gens ayant l'habitude d'acheter des poissons sur le port ou dans les étals à Capbreton boudent les poissons pêchés ici ; ils ont peur que le poisson ne soit contaminé. Donc, nous allons subir un préjudice maintenant. Nous constatons déjà actuellement une baisse des prix par rapport à ceux qui se pratiquent habituellement à cette saison.

M. le Président : Sur quel type de poissons ?

M. Christophe INDA : Surtout les poissons de ligne que l'on pêche sur la côte, tels que le bar, le merlu et sans doute bientôt l'anchois. Nous avons quelques inquiétudes sur le prix du poisson car les gens ont peur d'acheter du poisson pêché dans les eaux du coin. A Capbreton, ils enregistrent une mévente incroyable. C'est notre crainte.

M.  Olivier ROSPIDEGARAY : Je suis inquiet pour les années à venir en raison des coulées de pétrole. Les pêcheurs pêchent parfois des «boulettes», parfois même des morceaux plus gros, jusque dans des fonds, à 130 mètres de profondeur. On pêche ces déchets au sud de la fosse de Capbreton, mais aussi sur la côte landaise. Que va-t-il advenir dans les prochains mois et les prochaines années ?

Et surtout, je recommande de ne pas prendre l'avis de scientifiques ! Compte tenu de leurs études de courantologie et de leurs erreurs dans notre domaine aussi, mieux vaut travailler avec les professionnels, les pêcheurs, afin d'étudier l'évolution et la localisation de cette pollution, et de chercher des solutions.

M. le Président : Le poisson n'a pas fui ?

M. Olivier ROSPIDEGARAY : On ne peut pas dire qu'il fuit. Mais on reste rarement dans un endroit qui sent mauvais. Il est sûr que le poisson s'écarte de certaines zones.

M. Christophe INDA : Cela fait trois semaines que l'on a redémarré la pêche. Nous venons de commencer la campagne du printemps. Il est encore un peu tôt pour estimer la situation. Mais ce sont surtout les prix qui m'inquiètent.

M. le Rapporteur : C'est en cela que je pense qu'un suivi sur les coquillages et les crustacés devrait être effectué par le CEDRE et/ou par l'Ifremer. Lors de l'Erika, les apports de pollution avaient été massifs mais étaient peu restés sur les fonds. Dans votre cas, compte tenu déjà du volume de la cargaison, qui continue à se répandre dans la mer et qui s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres, un suivi scientifique me paraîtrait souhaitable.

M. Olivier ROSPIDEGARAY : Nous sommes déjà soumis à des réglementations assez drastiques en matière de pêche, visant à préserver la ressource, mais là, la ressource va peut-être disparaître -je dis bien « peut-être » parce que l'on ne peut pas l'affirmer- à cause de la présence de ce pétrole dans le fonds, qui ne remontera probablement pas. Je ne suis pas un scientifique mais il me semble que, maintenant ce fioul va se mélanger à du sable, des organismes vivants, des petits crabes ou autres, qui vont être contaminés...

M. Louis GUÉDON : Non, non. Voyez l'exemple de ce qui s'est passé pour l'Amoco Cadiz. Les hydrocarbures, une fois oxydés, sont instables. Par conséquent, la chaîne d'hydrocarbure va se décomposer et se transformer en matières organiques. La région du Finistère Nord où a sombré l'Amoco Cadiz est, quinze ans après la catastrophe, très prolifique. Le fioul fournit de la matière organique ; il n'y a jamais eu autant de crevettes. Tant qu'il n'y a pas d'hydrolyse et d'oxydation de la chaîne hydrocarbure, on peut être ennuyé ; mais vous pouvez être sûr que le fioul, mêlé à l'eau salée et agité par la houle, ne va pas rester stable pendant des années. Il n'y a pas de problème ; c'est un phénomène de dégradation et cela aboutira à la formation de protéines alimentaires. L'Amoco Cadiz en est un exemple significatif.

M. Jean-Pierre DUFAU : Dans ce domaine, se confrontent la réalité -à cet égard, ces derniers propos paraissent rassurants encore qu'il faille toujours être prudent en la matière- et l'impact en termes d'image. On se rend compte parfois que l'image, ou ce qui se passe dans les esprits, même sans aucun fondement, est finalement beaucoup plus important que la réalité des situations.

Nous avons évoqué l'attitude des surfeurs que je ne commenterai pas. Je souhaiterais que l'on entende maintenant les représentants de la thalassothérapie, qui ont aussi été affectés par ce drame et pour lesquels l'impact a été important en termes d'image sans fondement sérieux. Pourtant, en termes d'image, il y a eu des dégâts : nous l'avons entendu, la vente des poissons a chuté alors que toutes les analyses ont montré que le poisson n'était pas atteint, pas plus que les huîtres. Il faut que l'on soit capable d'analyser ces crises et de trouver des réponses adaptées. J'aimerais que les professionnels de la thalassothérapie nous donnent leur point de vue sur ce sujet.

M. Patrick LESPIELLE : J'interviens dans cette audition au titre du seul bateau de pêche réquisitionné dans le cadre du plan POLMAR-terre. Pour ma part, tout s'est très bien passé grâce aux Affaires maritimes, avec lesquelles j'étais en contact permanent, et grâce au commandant Sampietro qui m'a accordé sa confiance et m'a laissé faire des essais de matériel.

Nous avons découvert un certain nombre d'éléments : la DDE nous avait demandé de poser des filets devant Biarritz, avec un plan de pose défini au départ, mais en nous faisant confiance sur les zones. C'est en pratiquant, avec le mauvais temps, que nous avons réussi à mettre au point un plan de pose et à faire tenir le matériel malgré les tempêtes. Nous avons découvert comment remédier aux petites lacunes du matériel : on nous l'avait donné dans l'urgence et nous n'avions pas eu le temps de l'étudier.

Il est certain que les filets n'étaient pas très performants pour capter le pétrole, mais ils l'empêchaient de passer. Le petit problème que nous avons rencontré ensuite a été de placer ces filets au-dessus de l'eau parce qu'avec le clapot, le fioul avait tendance à passer par-dessus. Nous avons travaillé avec la ville de Biarritz sur le problème, et des marchands de filets y travaillent encore aujourd'hui, cherchant à fabriquer une nouvelle matière de filet pour éviter le passage de pétrole.

Au mois de février, les arrivées de pollution comprenaient des plaques conséquentes, qu'il était très difficile de ramasser. Nous l'avons finalement fait à la main. C'était l'un des moyens les plus efficaces pour les petits bateaux. Les chalutiers avaient besoin de l'assistance du bateau de la Marine nationale pour recueillir le pétrole alors qu'avec cette méthode, nous nous suffisions à nous-mêmes. C'était très physique, nous utilisions des épuisettes de façon manuelle. Nous ramassions beaucoup de fioul puisque, dans les meilleurs jours, les petits bateaux ramenaient jusqu'à 60 tonnes de produit pur. Au fur et à mesure, les «boulettes» ont diminué de volume parce qu'elles étaient fragmentées par la mer et les épuisettes ont alors été moins performantes.

M. Sampietro nous a encore bien aidés ; nous avons essayé de développer et de modifier des engins, d'abord seuls, puis avec l'aide de M. Sampietro et du CEDRE qui nous a suivis lorsque nous avons fait des expériences sur le terrain.

Vers la fin de la crise, quand la plus grande partie des bateaux a été réquisitionnée, nous avons mis au point des engins assez performants, puisqu'ils nous permettaient de ramasser la micropollution plus efficacement. Encadrés par la Marine, nous avons réussi à ramasser dans les derniers temps beaucoup de pétrole et à faire du bon travail. Il est dommage que nous n'ayons pas bénéficié de ce matériel au départ, mais il n'existait pas encore, les Bretons n'ayant pas essayé de mettre au point ce matériel pour de petits bateaux, au moment de l'Erika. C'est dommage, parce que nous avons perdu un peu de temps à le créer, surtout pour traiter la bande côtière : en effet, tant que ces nappes sont loin, elles peuvent être traitées par les chalutiers, mais quand elles arrivent au bord, comme il n'y a pas de profondeur, ils ne peuvent pas intervenir ; par contre, avec les petits bateaux, nous avons récupéré beaucoup d'hydrocarbures. Il est regrettable que tous les bateaux n'aient pas pu disposer de cet engin plus tôt. Enfin, maintenant, on sera opérationnel plus rapidement...

Nous avons travaillé tous les jours. Du point de vue du stockage à bord, nous ne savions pas trop comment faire pour que les déchets soient ensuite faciles à descendre, une fois à terre ; nous avons utilisé des containers, des big bags. Nous avons réussi à récupérer du produit suffisamment pur pour qu'il puisse être retraité.

C'est le début de la crise qui a été le plus difficile, parce que nous sommes restés six semaines sans argent. Cela a été le plus dur. Après, une fois que le financement a été assuré, je n'ai rien à dire. Les crédits sont arrivés peu à peu, même si tout n'a pas encore été versé. Le moment le plus dur a été le départ, parce que nous n'avions pas beaucoup de trésorerie ; et en six semaines, avec un bateau neuf et des employés à payer, l'argent « file » vite.

Nous avons beaucoup appris sur le matériel et si un sinistre se reproduit, nous saurons comment faire. Le seul point que je déplore également, c'est que la saison estivale approchant, il n'a pas été prévu de bateaux en alerte.

M. le Rapporteur : Nous allons passer à la thalassothérapie et je souhaite poser quelques questions pour guider votre intervention. Quel bilan dressez-vous de la période qui vient de s'écouler ? Quelles sont vos prévisions de réservations ? Avez-vous été amenés, à titre préventif, à modifier des pompages, des filtrages ? Etes-vous soumis à des contrôles sur la qualité de l'eau ?

M. Jean FORASTÉ : Pour reprendre ce qui vient d'être évoqué, je suis ravi que les pêcheurs aient eu du travail et que MM. les maires aient été indemnisés. Pour notre part, nous avons subi, dès le départ, de grosses pertes. Cinq entreprises ont une activité de thalassothérapie dans les Pyrénées-Atlantiques. Nous représentons 700 emplois permanents à l'année et faisons vivre 3 000 à  4 000 personnes.

Dès le mois de janvier, nous avons subi une baisse importante d'activité, mais, comme le disait M. le maire de Guéthary, pas en raison de l'arrivée du fioul - puisqu'il n'est arrivé que le 4 ou le 5 février -, mais en réaction aux déclarations des autorités régionales et des médias qui parlaient de la pollution en Aquitaine, ce qui a suscité une confusion entre le Pays Basque et l'Aquitaine. Nous avons écrit une lettre à M. le préfet de région à ce sujet. Comme M. Marc Dannenmuller et moi-même faisions partie de la cellule de veille ministérielle au ministère du Tourisme, nous avons aussi alerté M. Léon Bertrand. Faisant également partie du conseil d'administration du COMIN ainsi que du comité départemental du tourisme avec MM. Jean-Jacques Lasserre et Jean Lassalle, celui-ci a écrit une lettre à M. de Robien et M. Raffarin leur expliquant que, bien que n'étant pas touchés concrètement par la pollution, nous subissions quand même un dommage économique.

Cela posait déjà de nombreux problèmes. Ainsi, dès le mois de janvier, nous avons cessé d'embaucher. Nous n'avons pas renouvelé les contrats à durée déterminée.

Puis, la pollution est arrivée au mois de février. De la même façon, nous avons essayé de gérer cela au sein des entreprises : nous avons envoyé nos personnels en congé anticipé ou leur avons demandé de solder leurs congés pour retarder les problèmes de trésorerie.

Au mois de mars, la situation a encore été différente. Nous ne souffrions plus de la pollution puisqu'il n'y en avait plus. Dans certaines communes, en tout cas, elle avait été totalement retirée. Mais nous avons souffert aussi. Lors de réunions de diverses commissions à Bordeaux, je rencontrais les maires du Porge, d'Arcachon et d'ailleurs. Le préfet de zone avait confié la responsabilité de la réouverture des plages au préfet de la Gironde. Celui-ci les avait déjà rouvertes et la situation avait totalement changé. Dans les Pyrénées-Atlantiques, les plages ont été ouvertes au public un peu tard. Par conséquent, notre chiffre d'affaires a continué de chuter tout le mois de mars, alors que nous n'avions plus du tout de «boulettes».

A Hendaye, un mois et quinze jours après l'arrivée de la dernière « boulette », on a enfin ouvert les plages. Pendant tout ce temps, les gens ne comprenaient pas quand nous leur affirmions, comme l'ont dit les maires ici présents, que les plages n'avaient jamais été aussi propres. Donc les plages étaient propres. Nos systèmes de pompage, pour lesquels les certifications sont accordées par la DDASS des Pyrénées-Atlantiques, pompent à 10 mètres sous le sable ; de plus, même en cas de pollution, la qualité de l'eau en thalassothérapie ne cause aucun souci grâce à la filtration naturelle du sable. Des analyses sur les hydrocarbures et sur les eaux sont par ailleurs pratiquées régulièrement par les laboratoires départementaux de la DDASS.

Il faut savoir également que lors de l'Erika, hormis les établissements fermés pour arrêt technique, les centres de thalassothérapie n'ont pas fermé.

Ici la qualité de l'eau était très bonne, il faisait beau, la plage était propre, les gens nous disaient qu'ils allaient venir se promener sur la plage, et nous devions leur répondre qu'ils ne le pourraient pas. Leur réaction, que nous comprenons, a été de partir vers d'autres régions, dont le taux d'occupation a augmenté, car ces clients ont pensé que si les autorités interdisaient l'accès aux plages, c'est que c'était justifié et que nous leur mentions. Notre image en souffre et il est difficile par la suite de reconquérir la confiance de la clientèle.

Au mois d'avril, les choses ont évolué. Dans les centres, nous constatons une moindre activité par rapport aux années précédentes, néanmoins cela va mieux. Mais nous avons perdu énormément au cours de ces premiers mois. Notre perte est de l'ordre de deux millions d'euros de chiffre d'affaires, ce qui est important pour nos entreprises. Nous ne sommes pas nombreux sur la côte basque, mais nous représentons 700 emplois à l'année. Il est vrai que le mécontentement des surfeurs a été très médiatisé, mais leur activité est quand même un loisir ; or, la thalassothérapie était touchée et personne ne nous écoutait alors que nous étions inquiets pour nos personnels.

M. Jean GRENET : M. le directeur, nous souhaiterions connaître les pourcentages de baisse d'activité par rapport aux années précédentes et savoir comment s'annonce la saison : constatez-vous déjà, en regardant vos fichiers de réservations, une diminution du volume de l'activité par rapport aux autres années ?

M. Jean FORASTÉ : Sur les trois premiers mois, nous avons perdu, en moyenne, entre 20 et 30% de notre chiffre d'affaires. Certains centres ont connu une perte bien plus forte allant jusqu'à près de 50%. Mais, comme je le disais, cette baisse est plus due à la surmédiatisation qu'à la réalité de la situation. A un moment donné, nous ne recevions plus aucune demande de réservation.

Nous espérons que la situation va s'améliorer. Mais les gens restent très prudents. Déjà, traditionnellement, pour les départs en vacances les réservations se font au dernier moment. Compte tenu de ce qui s'est passé dans le Pays Basque, les gens réservent de plus en plus tard. Ils attendent.

Nous redoutons tous une arrivée de pollution, si minime soit-elle, parce que, quelle que soit la quantité de pollution arrivée, ce sera catastrophique. Nous avons vu sur les plages de Biarritz des journalistes, insatisfaits de ce qu'ils voyaient, amasser des «boulettes» les unes sur les autres sur le sable pour les photographier en gros plan, afin de faire un article plus percutant...

Nous craignons vraiment que la moindre pollution occupe de longues minutes d'antenne et mette en péril la saison touristique dans les Pyrénées-Atlantiques, et pas uniquement pour la thalassothérapie.

M. le Président : Je peux vous assurer que cette pression médiatique se vérifie partout ; les reportages de certaines chaînes de télévision, notamment les plus importantes, sont désastreux pour la côte Sud du Finistère depuis deux jours.

M. le Rapporteur : Avez-vous commencé à constituer des dossiers d'indemnisation ?

M. Jean FORASTÉ : Nous avons commencé. Ensemble, nous sommes allés voir différents cabinets d'avocats. Mais nous sommes dans l'expectative puisque pour l'Erika, les indemnisations ont représentées de 50 à 60% des demandes et cela a demandé trois ans. D'après les renseignements obtenus du FIPOL, la Commission se réunit à Londres le 5 mai avec les pays concernés. Contrairement au sinistre de l'Erika, trois pays sont affectés, l'affréteur russe ne paiera rien et les indemnisations seraient de l'ordre de 15 à 20%.

Nous allons essayer, mais nous ne sommes pas très optimistes. Nous, nous ne recevons aucune indemnité, ni de l'Etat ni d'autres collectivités. Reste le FIPOL. Mais nous pensons que cela ne représentera pas plus de 15 à 20% de nos pertes.

M. Jean LASSALLE : Cher président, chers amis, je voudrais tout d'abord dire que Jean Grenet et moi-même, avons bien sûr souhaité être présents lors de la visite à Bayonne de la Commission d'enquête. Pour ma part, ayant eu la chance de participer à une seule autre Commission d'enquête jusqu'à présent, j'ai pu voir le travail extrêmement sérieux qui s'y faisait. Je pense que tout le monde s'en rend compte ce matin : chacun peut s'exprimer librement et dire ce qu'il en est.

Cette Commission parlementaire consacre deux journées à l'Aquitaine et pourra, à mon avis, y recueillir beaucoup d'informations et son Président est un formidable président, comme vous l'avez constaté.

Je suis député de ce département mais je suis aussi vice-président du conseil général, président de la commission du tourisme depuis quinze ans, président du comité départemental du tourisme et de l'association des maires et, à ce titre, je travaille en très étroite collaboration avec M. Larrousset.

Il ne vous aura pas échappé, en écoutant les propos des uns et des autres, qu'il y a eu une catastrophe dans cette région. Nous entendrons cet après-midi la même chose. Cela a été une catastrophe tant écologique qu'économique et médiatique.

Dans le même temps, j'ai pu constater une très grande solidarité entre les acteurs. Dès les premiers jours, nous avons eu la visite de Mmes Alliot-Marie et Bachelot. M. le préfet a remarquablement coordonné l'action. C'était un travail énorme. L'ensemble des services qui se sont exprimés ont très bien fait leur travail et, un bonheur ne venant jamais seul, ils l'ont fait en relation étroite avec le conseil général et avec l'ensemble des professionnels, notamment les pêcheurs, qui ont joué un rôle considérable.

En ce qui concerne le tourisme, M. Larrousset, qui est un fédérateur né, a su rassembler les communes concernées, dont certaines possèdent des plages qui comptent parmi les plus célèbres de France.

Bien entendu, aujourd'hui, après la catastrophe, la région subit une perte économique indéniable et des interrogations se font jour sur l'avenir ; mais nous avons constitué un plan d'action qui va démarrer maintenant, pour lequel l'Etat, par l'intermédiaire de M. Bertrand, a d'ailleurs débloqué des fonds. Par une campagne de communication d'assez forte ampleur, nous allons essayer de montrer qu'à l'image des populations, nous avons surmonté l'épreuve.

Bien sûr, comme le disait M. Jean FORASTÉ en parlant de la thalassothérapie, nous sommes toujours à la merci d'une « boulette » arrivant le jour où un journaliste sera là. Tant qu'il reste du pétrole en mer, cela peut se produire. J'enregistre néanmoins que les Espagnols semblent s'être décidés à mettre en œuvre une solution définitive pour la neutralisation de l'épave

Je crois, M. le Président, que le département s'est bien organisé parce que, sinon, l'ambiance et les relations n'auraient pas été les mêmes. L'ambiance a été bonne entre les services de l'Etat, les services préfectoraux du département et l'ensemble des socioprofessionnels du département. Nous n'avons pas attendu pour réagir. Nous mettons maintenant en place un plan d'action pour communiquer et mettre en avant l'attractivité de la région.

Par cet exposé, je sors un peu de mon rôle de membre de la Commission d'enquête, mais je tenais à indiquer cette courte  appréciation personnelle : en effet, on parle toujours de ce qui se passe mal mais, quand une véritable organisation se met en place et fonctionne, il faut le souligner. Cela s'est bien passé avec nos voisins des Landes et de la Gironde ainsi qu'avec la région. Tout le monde a essayé de collaborer en bonne intelligence. L'expérience de l'Erika et les contacts que nous avons pu prendre ont aussi inspiré notre action.

M. Pierre DARTOUT: Tout d'abord, M le président, je vais remercier M. Lassalle des propos qu'il a tenus. Le connaissant bien maintenant, je sais que ce n'est pas de la simple courtoisie. Je l'en remercie. A travers le préfet et le sous-préfet, il honore l'ensemble des services qui ont été engagés et appuie les hommages qui ont été rendus par tous à M. Sampietro pour le travail qu'il a accompli. Il y a eu effectivement une grande mobilisation.

Je voulais répondre aux représentants de la thalassothérapie à propos de l'autorisation d'ouverture des plages. Je suis tout à fait conscient, bien sûr, des problèmes d'image dont a pâti une activité économique essentielle pour le littoral. Je voudrais expliquer ici ce que nous avons fait et quelle a été notre position. Il est vrai -et je m'exprime avec prudence puisque nous avons prêté serment- que le naufrage du Prestige a été surmédiatisé, en raison également d'une constante médiatisation des stations balnéaires de cette côte, notamment Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, et Hendaye. Quand il s'y produit quelque chose, cela fait tout de suite la Une de la presse et de la télévision.

Concernant les plages et l'autorisation d'ouverture, j'apporterai une petite précision, qui est importante. Nous nous étions concertés avec M. Sans, le préfet des Landes, et ensemble nous avions choisi, pour les Landes et les Pyrénées-Atlantiques, la procédure de l'arrêté préfectoral pour interdire l'accès aux plages et, par définition, l'accès à la mer. En Gironde, un autre choix avait été fait, ce qui est tout à fait possible, parce qu'adapté à la situation : les maires ont gardé la compétence. Chaque maire a donc décidé de l'ouverture ou de la fermeture des plages. Il n'y a pas eu de changement de régime, les maires ont modifié l'autorisation quand ils l'ont jugé utile.

Pour quelle raison avons-nous pris cette décision ?

Il restait des travaux de nettoyage à faire, notamment la pose de filets serpillières, y compris sur la grande plage devant le casino de Biarritz. Peut-être un peu moins à Hendaye, qui a été moins affectée que les autres plages du département, mais partout des travaux étaient en cours. De plus, en mer, les marins recueillaient encore des hydrocarbures. Les prélèvements importants des marins se sont poursuivis jusqu'à fin mars, début avril. Pour nous, le danger n'était pas du tout écarté.

Donc, sur certaines plages, il restait du pétrole et, certains jours, nous avons aussi vu arriver de nouvelles galettes. Nous avons considéré que les conditions n'étaient pas réunies pour autoriser la réouverture des plages.

Par ailleurs, nous sommes confrontés à une grande exigence de nos compatriotes. Nous l'avons encore vu récemment lors d'un débat public organisé par la chambre de commerce et d'industrie, nos compatriotes sont très exigeants quant à la qualité environnementale et l'absence de risque, même si, tout le monde en convient, le risque zéro n'existe pas.

Nous devions être sûrs de nous et nous avons attendu une instruction de la direction générale de la santé, qui nous a permis de rendre possible l'accès à la mer sous certaines conditions. Dix jours auparavant, nous avions redonné aux maires la possibilité d'ouvrir l'accès aux plages mais, là aussi, il leur fallait attendre que les conditions soient bien remplies, qu'il n'y ait plus de travaux et que nous puissions être sûrs de l'absence de pollution sur les plages, parce que l'on voit malgré tout très régulièrement des gens se plaindre. Car, même si elle est moins importante, la pollution a tout de même existé.

Je peux citer l'exemple d'un enfant qui, sur une plage importante du département -alors que l'accès à la mer était interdit mais que celui à la plage était autorisé-, s'est trempé les pieds dans l'eau et dont un pied a dû entrer en contact avec une « boulette ». Son père a demandé que l'on appelle le SAMU. Ce n'est pas une plaisanterie, c'est la réalité ! Il faut donc être très prudent.

Sans avoir à répondre à de tels excès, nous sommes obligés de prendre en compte ce facteur pour décider de l'ouverture des plages et de la mer, parce que la responsabilité du maire et du préfet pourrait être engagée. Il convient que toutes les conditions nécessaires soient remplies. Il ne s'agit pas de tracasseries ou de lenteurs administratives, nous avons simplement voulu être rigoureux dans l'intérêt de tous, parce que l'ouverture précoce d'une place avec une arrivée de pollution en présence de touristes aurait été bien pire ; je pense que les touristes n'auraient pas été plus satisfaits.

M. Jean FORASTÉ : Je connais l'anecdote de ce petit enfant et de la demande de son hospitalisation, puisque le maire m'en a fait part le soir même. Je trouve cela un peu excessif, mais je comprends bien ce que vous dites concernant le moment de réouverture des plages, sur les enjeux actuels et sur la responsabilité des maires. Mais rien n'empêchera qu'un petit enfant qui marche dans l'eau cet été ait les pieds salis, même si ce n'est pas par du fioul du Prestige, mais par un dégazage sauvage des bateaux marchands qui pensent pouvoir en profiter. Il est vrai que les maires risquent d'avoir des problèmes ; il y aura toujours une famille en promenade qui marchera sur un petit bout de goudron qui ne viendra pas du Prestige et qui essaiera de porter plainte contre eux. Je sais bien que c'est un gros souci...

M. Pierre DARTOUT: Nous ne nous sommes pas bien compris. Ce n'est pas de cela dont je parlais. J'en ai parlé effectivement, mais pour illustrer de façon caricaturale quelles étaient les positions de certains de nos compatriotes, qui sont allergiques au risque. Mais, de toute façon, à l'époque du 15-20 mars, les bateaux en mer ramassaient encore beaucoup de pollution et la quasi-totalité des plages faisaient l'objet d'un traitement par filet serpillière.

M. le Président : Merci, monsieur le préfet. Cette incompréhension transitoire, ou partielle, est parfaitement compréhensible. Vous voyez que je joue le rôle de médiateur !

M. le Rapporteur : Mes questions vont s'adresser aux intervenants de l'Etat, de la Marine nationale, des Affaires maritimes et du SDIS. Quel bilan dressez-vous après cette crise, des moyens et de l'organisation que vous avez eus à mettre en place et de la coordination des différents services ? Que faudrait-il modifier ou améliorer ? Bref, quel est le retour d'expérience de ces quelques mois de crise du Prestige ?

M. Jacques SAMPIETRO : En termes d'organisation, nous constatons une bonne articulation des services. Nous avions divisé le département en quatre secteurs. Dans chacun, un officier était responsable de la coordination des opérations sur les plages. Les Affaires maritimes coordonnaient les secteurs des activités maritimes et assuraient l'interface avec le plan POLMAR-mer et la préfecture maritime. J'avais également mis en place un secteur de décontamination et d'entretien.

Pour ce que j'ai pu constater, et j'en ai été fort satisfait, tous ceux qui sont venus participer ont mis leurs moyens en commun pour atteindre les mêmes objectifs. A aucun moment, il n'y a eu de problème de désaccord. Tout se résolvait par la discussion et la recherche de solutions communes ; à tel point que les gens venaient de partout : des éléments de l'armée de terre, de l'armée de l'air, de la sécurité civile, des détenus, des marins pêcheurs et des personnes issues des Affaires maritimes, de l'équipement et autres.

J'ai bien vécu cette période parce que l'on sentait que tout le monde avait envie de gagner la partie et que tout le monde oeuvrait dans le même sens. Il régnait un sentiment de lutte commune.

M. Denis GAUDIN : Le type d'organisation mise en place, c'est-à-dire un PC avancé de terrain qui réglait les problèmes pratiques et un PC de crise à la préfecture, avec une communication maximale par téléphones, visioconférences et par des déplacements sur le terrain, nous a aussi beaucoup aidé. On a ainsi pu régler rapidement des problèmes graves, mais aussi d'autres plus mineurs qui auraient pu devenir lourds à gérer par la gêne qu'ils auraient occasionnée.

Je suis d'accord avec le commandant Sampietro pour dire que l'on a fait un travail d'équipe, toutes compétences confondues. C'est une réussite de ce point de vue. Nous avons même réussi à intégrer des prisonniers dans des équipes de sécurité civile.

Je ne crois pas qu'il y ait eu de difficultés au niveau du traitement. Nous avons réagi rapidement.

Pour revenir sur la presse, j'ajouterai qu'à côté de la gestion technique, il faut également gérer la presse. Un attaché de presse a été dédié à cette tâche et il a été décidé de donner un accès complet à la presse à toutes les informations : réunions des maires, déplacements du préfet, visites ministérielle, tables rondes. Avec un peu de recul, globalement, je ne partage pas ce qui a été dit. Je ne veux pas parler des comportements médiatiques des uns et des autres sur le terrain, mais je pense que la médiatisation de la crise a été correcte. Certes, le lieu- même -la Côte Basque- fait que la couverture médiatique est importante, mais les journalistes, à quelques exceptions près, ont fait un compte rendu factuel et correct de la situation.

M. Albert LARROUSSET : Tous les maires de la côte sont unanimes pour reconnaître que les pêcheurs et tous les services de l'Etat ont fait un travail remarquable. Je dis toujours que nous avons la chance d'habiter ce pays. Je voudrais aussi remercier tous ceux qui se sont occupés des oiseaux mazoutés. Des dizaines, voire des centaines de personnes sont venues ramasser ces oiseaux encore vivants ou morts pour les traiter...

M. le Président : Les traiter où ?

M. Albert LARROUSSET : Au musée de la mer, par une association qui a fait un travail remarquable, avec des bénévoles. Sur un simple coup de fil, une équipe de l'association arrivait. Ils ont ainsi sauvé de nombreux oiseaux.

Le principal souci des petites communes aujourd'hui, est le fort apport de sédiments. Quand la pollution est arrivée, l'ensablement était faible mais après les équinoxes de printemps, le sable est venu recouvrir une partie de la pollution. Donc, après le nettoyage des rochers, nous verrons certainement ressortir cette pollution.

L'autre point qui n'a pas été très transparent est l'analyse de l'eau. Aujourd'hui, vous l'avez vu, M. le préfet, la direction générale de la santé a dit que l'on pouvait se baigner, mais comment peut-on analyser la qualité de l'eau de mer, à part la détection des escherichia coli et des streptocoques fécaux ? Les surfeurs nous disent qu'on leur cache des choses. Quels sont les protocoles d'analyse après une pollution ? Personne ne le sait...

M. le Président : Nous ne sommes pas là pour répondre, mais pour poser des questions.

M. Louis GUÉDON : ...D'autant que les hydrocarbures ne sont pas solubles dans l'eau.

M. Pierre DARTOUT: La direction générale de la santé n'a pas mis l'accent sur les analyses de l'eau pour des raisons que vous pourriez expliquer mieux que quiconque ici. Les critères qui ont été donnés sont des critères empiriques.

Tout d'abord, pour les plages, il s'agit d'un test visuel, ainsi qu'un test fait avec de petites bottes pour détecter des traces plus profondes ; quant à la mer, il a été prévu de demander aux gens qui utilisent la mer, les pêcheurs ou les surfeurs, s'ils voyaient des traces d'hydrocarbures ou les sentaient. C'est ce qui nous a été indiqué par la direction générale de la santé. Telle est la raison pour laquelle, lors de la réunion publique de crise à Bayonne, nous avons bien dit aux surfeurs que s'ils repéraient quelque chose, il fallait qu'ils le signalent tout de suite au maire, qui a le pouvoir d'interdire l'accès à la mer. Mais l'accent n'a pas été mis sur les arrêtés d'analyse de l'eau.

M. André TRACKOEN : Au laboratoire départemental, nous calculons la présence d'hydrocarbures en microgrammes par litre. En dessous de 10 microgrammes par litre, on considère qu'il n'y a pas d'hydrocarbures. C'est une mesure normalisée. Sur les plages de Biarritz, nous faisons trois mesures par semaine et il est vrai qu'à l'heure actuelle, il nous arrive parfois de trouver 20 ou 30 microgrammes par litre. Mais c'est relativement rare.

A propos des journalistes, je vais vous conter une anecdote. J'écoute, bien entendu, la radio le matin et j'entends sur RTL : « L'AFP nous annonce que le rocher de la Vierge à Biarritz est totalement maculé. » C'est tout de même un site important, nous allons donc voir et... pas la moindre trace de fioul ! Nous téléphonons à l'AFP et nous leur disons que si leur correspondant trouve là une seule « boulette », le maire de Biarritz s'engage à la manger. Nous amenons donc cette journaliste de l'AFP sur place pour lui faire constater qu'il n'y avait absolument rien. Croyez-vous qu'elle aurait corrigé son communiqué ? Même pas !

Tous les matins, pendant la crise, à 6 heures du matin, nous tenions une réunion sur la plage de Biarritz, à laquelle les journalistes pouvaient assister mais, jamais ils n'ont rendu compte de ce qui se passait. Je pense notamment, parce que j'ai eu l'occasion de le rencontrer souvent, à M. François Coulon qui travaille à Europe 1-Aquitaine, qui a adopté une position très négative sur la crise. Je ne comprends pas les journalistes ! Ils font, paraît-il, des micro-trottoirs ; j'appellerais plutôt cela des micro-caniveaux, parce qu'ils cherchent à recueillir des informations toujours catastrophiques !

M. Franck PERROT : Les moyens mis en place au niveau de la Marine nationale dans la région sont mis sous le contrôle du préfet maritime de Brest dans le cadre du plan POLMAR-mer. Donc, l'ensemble des moyens interministériels ont été mis en place pour assurer des patrouilles côtières : une vedette des Affaires maritimes, l'Eider, deux vedettes des Douanes ADF 43 et 82 et un bâtiment de la Marine nationale, l'Aramis, puisque le second que je possède sur la base était en réparation à ce moment-là. Je disposais également d'un navire de la gendarmerie maritime, mais celle-ci étant en réparation, je ne pouvais pas l'utiliser.

Ces quatre bâtiments ont participé à des patrouilles côtières entre le lac d'Ourtin et la frontière espagnole, de décembre 2002 à mars 2003, à partir du déclenchement du plan POLMAR-mer, ce qui représente 1 100 heures de mer pour l'ensemble. Je n'ai jamais eu de problème interministériel pour l'utilisation de ces bâtiments puisque le préfet maritime m'en a délégué le contrôle opérationnel. Je les ai donc utilisés régulièrement pour effectuer des patrouilles : une patrouille entre Hendaye et Bayonne et une en zone Nord entre Bayonne et le lac d'Ourtin. A l'exception des jours où l'on ne pouvait pas aller en mer pour des raisons météorologiques, ces patrouilles étaient effectuées tous les jours.

Aujourd'hui, suite à l'arrivage de «boulettes» sur la côte Sud de Bretagne, je vais reprendre ces manœuvres à la demande du préfet maritime, puisque le plan POLMAR-mer n'a pas été arrêté mais seulement mis en sommeil.

Je n'ai pas eu de contacts directs avec la préfecture dans le cadre du plan POLMAR-terre. L'administrateur des Affaires maritimes, M. Dusart, assurait l'interface entre les deux administrations et permettait de tout gérer, en particulier l'utilisation des pêcheurs. Donc, la réquisition a été faite par la Marine nationale dans le cadre du plan POLMAR-mer et certains bateaux ont été retirés des patrouilles pour pouvoir encadrer les marins-pêcheurs réquisitionnés.

M. Thierry DUSART : En complément, j'ajouterai que la mission des Affaires maritimes a été essentiellement de préparer et de mettre en œuvre les réquisitions de dix chalutiers hauturiers qui sont intervenus selon la technique dite « en beu » au large du Golfe de Gascogne au mois de décembre, faisant suite à ce qui avait été réalisé dans le cadre de l'exercice Gascogne, que M. le préfet rappelait tout à l'heure. Puis, à partir du 5 février, les Affaires maritimes ont mis en œuvre l'intervention de trente-cinq navires de pêche côtière, armés d'épuisettes ou avec des moyens mis au point au fur et à mesure.

L'ensemble de ces navires a été tenu sous réquisition entre un mois et trois mois selon les cas. De manière progressive, nous sommes ensuite sortis du régime de réquisition. Cela a demandé un très important travail d'accompagnement au regard des règles habituelles de la comptabilité publique. Des tentatives ont été faites, avec succès d'ailleurs, pour accélérer le règlement des pêcheurs.

Toute la filière amont et aval du traitement de l'activité de ces navires constitue un point très important. Elle incluait la fourniture du matériel nécessaire à l'intervention des pêcheurs, les combinaisons, les outils de ramassage, les épuisettes. Mais la préfecture maritime n'a fourni qu'une partie du matériel. Il faut dire que Bayonne est assez éloignée de Brest. Mais nous avons pu nous appuyer sur la logistique du plan POLMAR-terre et le commandant Sampietro nous a fourni un matériel considérable. La combinaison des moyens apportés par les uns et les autres a été très heureuse, au point que, quand nous avons commencé la réquisition, nous n'avons pratiquement pas perdu de temps pour sa mise en œuvre, alors qu'au départ, nous manquions de tout. Le coût de la réquisition des trente-cinq bateaux, s'élevait à 50 000 euros par jour. Perdre une journée ou une demi-journée à équiper tout le monde nous aurait fait perdre également énormément d'argent, sans parler de la perte d'efficacité que cela pouvait représenter à cette période.

L'évacuation des déchets a été assurée, pour partie par le commandant de la Marine à Bayonne et, pour partie, sous l'égide du plan POLMAR-terre, dans des conditions qui ont été aussi satisfaisantes que possible.

Enfin, je dirai un dernier mot très positif sur les échanges par visioconférence. Pour ma part, je ne me suis déplacé qu'une seule fois à Pau pendant toute la crise du Prestige. J'estime que cette performance est un gage d'efficacité.

M. Serge LARZABAL : Pour revenir sur deux points, premièrement, en ce qui concerne la qualité des eaux, il faut tout de même rappeler que l'un des éléments d'analyse de la qualité de l'eau est la qualité du poisson. Or le poisson est d'excellente qualité. S'il y avait des problèmes de qualité de l'eau, ce serait le premier des éléments annonçant une difficulté. Or les services vétérinaires font des analyses régulières et ne constatent aucun problème sur ce point.

J'ajouterai une boutade sur les journalistes : puisqu'ils sont tous dans la baie de Saint-Jean, si, par chance, il faisait beau, je pense qu'une petite baignade collective ne leur ferait pas de mal !

M. le Président : Avant d'aller manger du poisson, je voudrais tous vous remercier pour la qualité de cet échange. Vous avez, je crois, parlé avec votre cœur et nous avons pu voir que les choses s'étaient déroulées avec le maximum d'efficacité dans votre secteur, M. le préfet.

Je voudrais savoir si vous avez actuellement le matériel suffisant pour faire face à un éventuel retour de pollution, que l'on peut craindre même si j'espère que ce ne sera pas le cas. Disposez-vous d'un recensement de ce matériel ?

M. Pierre DARTOUT: A priori, oui. En ce qui concerne les moyens matériels affectés au personnel, il nous reste quelques stocks de filets serpillières et nous pensons que nous ne manquerions pas de matériels. Il faudrait simplement, sans parler de la mobilisation des moyens en mer, remobiliser des effectifs.

Dans les Pyrénées-Atlantiques, la situation diffère de celle des Landes ou de la Gironde car, ici, le facteur humain est beaucoup plus déterminant que le facteur matériel, même si ce dernier demeure important. Mais je pense qu'en matériel, nous pourrions faire face.

M. Jacques SAMPIETRO: Oui, en matériel, nous pouvons redémarrer dans l'heure qui suit et traiter l'ensemble du littoral dans les mêmes conditions qu'au départ, et même plus rapidement parce qu'au début, nous avons dû déterminer l'organisation et les procédures adaptées.

M. Denis GAUDIN : L'aspect matériel est important, mais si nous devions recommencer le traitement d'une pollution telle que celle que nous avons connue, il ne faut pas non plus oublier les frais induits, qui sont élevés à environ 300 000 euros par semaine, notamment en matière de bennes, de transport, etc.

M. Pierre DARTOUT: En effet, cet élément représente deux tiers des dépenses.

M. Louis GUÉDON : Parmi tout ce qui a été dit, certaines phrases me hérissent. J'entends dire que « si cela se reproduit », on sera plus efficace... J'ai été confronté à la pollution avant vous et je me suis investi dans la Commission d'enquête sur l'Erika et dans celle sur le Prestige parce que je suis de ceux qui considèrent que les phénomènes dont nous sommes victimes sont inadmissibles et ne doivent pas se reproduire. Par conséquent, je suis allergique à tout propos tendant à dire que, si une catastrophe se reproduit, on sera prêt.

Ici, en Pays Basque, vous étiez en deuxième ligne par rapport aux conséquences du naufrage du Prestige, puisque les premiers touchés étaient les Espagnols. J'aimerais connaître votre sentiment : le traitement du naufrage dans sa phase primitive a-t-il été bien géré ? Pouvait-on éviter une pollution de la côte basque ? C'est le rôle de la Commission d'enquête que de s'interroger là-dessus, et nous allons nous rendre en Espagne dans ce but. On ne peut se satisfaire de dire que si cela se reproduit, on fera mieux. Tout à l'heure, quelqu'un expliquait qu'il toucherait 20% de dédommagement avec le FIPOL. Ces solutions ne sont pas acceptables !

On connaît très bien l'inhumanité des pétroliers. Pour les avoir rencontré à Londres, à l'OMI, je sais bien comment cela se passe. On ne peut pas du tout leur faire confiance. Je suis de ceux qui sont révoltés. Je voudrais donc savoir si le traitement primitif du naufrage par les Espagnols vous a satisfait ? Qu'en pensez-vous ?

M. Serge LARZABAL : Effectivement, M. le député, cela fait maintenant quatre ou cinq fois que l'on dit « Plus jamais ça » ! Le risque zéro n'existera jamais et le FIPOL ne représente, pour les gens de mer, qu'un fonds alimenté par les pétroliers pour se donner bonne conscience. Le Prestige au départ, tout comme l'Erika, avait transité largement au-delà des 200 milles des côtes françaises, en espérant que les problèmes arrivent en Espagne. Puis, les Espagnols l'ont remorqué au-delà des 200 milles des côtes espagnoles en espérant que la pollution arrive au Portugal. Manque de chance, cela n'a pas été le cas, elle est arrivée chez eux !

Maintenant, il est vrai, la meilleure solution était, au lieu de l'envoyer en mer, de le rapprocher le plus possible de la côte. Certes, dans un premier temps, on pollue une zone très concentrée, mais il est ensuite beaucoup plus facile de récupérer le pétrole.

Mais quelle collectivité territoriale, quelle mairie accepterait cela ? Pensez-vous réellement que si le Prestige était arrivé en bout du Golfe de Gascogne, on l'aurait rentré en baie de Saint-Jean-de-Luz et que l'on aurait fermé cette baie pour ramasser le fioul plus facilement ? Cela aurait été la moins mauvaise des solutions, mais qui peut l'accepter ?

Seule une volonté au niveau communautaire et étatique pourrait permettre de prendre ce genre de décision. Pour les Espagnols, c'est pareil. On dit bien des choses sur la gestion de la crise par l'Etat espagnol mais, en fait, le gouvernement autonome galicien est également intervenu... La décentralisation est positive, mais jusqu'à quel point ? Il faut bien qu'à un moment donné, l'Etat prenne une décision parce qu'au niveau d'une collectivité territoriale, personne n'acceptera d'accueillir une épave présentant de tels risques.

M. Louis GUÉDON : Je demande que cela soit rigoureusement inscrit au procès-verbal parce qu'est exposé ici le diagnostic et la thérapeutique. Le diagnostic, est que ce type de navire devrait être échoué. La thérapeutique, est de déterminer les sites sur lesquels les pollutions seraient les plus circonscrites et pourraient être nettoyées le plus rapidement. Déjà, les commandants des Abeilles, lors de la Commission d'enquête sur l'Erika, nous avaient fourni les premiers ce diagnostic et proposé cette thérapeutique. Aujourd'hui, tout le monde est d'accord sur ces deux points. Il reste pourtant beaucoup de travail à faire pour déterminer les conditions qui permettraient de mettre en œuvre cette thérapeutique.

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( Ce témoin n'a pas retourné le compte-rendu de son audition pour observations.


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