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AUDITIONS (SUITE)

Audition de M. Alain ROUSSET,
Président de l'Association des régions de France (ARF) et
Président du conseil régional d'Aquitaine,
accompagné de M. Jean-Paul HUCHON, Président du conseil régional d'Île-de-France,
M. François PATRIAT, Président du conseil régional de Bourgogne
Mme Ségolène ROYAL, Présidente du conseil régional de Poitou-Charentes,
M. Michel VAUZELLE, Président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur,
M. Adrien ZELLER, Président du conseil régional d'Alsace,
M. Christian BOURQUIN,
Premier Vice-président du conseil régional de Languedoc-Roussillon,
M. Jean-François DEBAT, Vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes,
et M. François LANGLOIS, Délégué général de l'Association des régions de France


(Extrait du procès-verbal de la séance du 30 mars 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Alain Rousset, Jean-Paul Huchon, Michel Vauzelle, François Patriat, Christian Bourquin, Jean-François Debat et François Langlois sont introduits.

M. le Président : Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. Alain Rousset, Président de l'Association des régions de France et Président du conseil régional d'Aquitaine. Il est accompagné d'une nombreuse délégation, composée de M. Jean-Paul Huchon, Président du conseil régional d'Île-de-France, M. Michel Vauzelle, Président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur, M. François Patriat, Président du conseil régional de Bourgogne, M. Christian Bourquin, Premier Vice-président du conseil régional de Languedoc-Roussillon, M. Jean-François Debat, Vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes et M. François Langlois, Délégué général de l'Association des régions de France.

L'évolution des impôts des régions est au cœur du débat public qui a conduit à la création de notre Commission d'enquête, chargée d'apprécier l'évolution de la fiscalité locale en 2005 et au cours des années précédentes, ses causes et ses conséquences pour les ménages et les entreprises, ainsi que les conditions d'une responsabilité mieux assumée de l'ensemble des décideurs. Cette audition doit donc nous aider à identifier les points communs comme les disparités de situation entre les régions. C'est pourquoi nous serons amenés à vous interroger sur les budgets de vos régions respectives.

M. le Président rappelle à MM. Alain Rousset, Jean-Paul Huchon, Michel Vauzelle, François Patriat, Christian Bourquin, Jean-François Debat et François Langlois que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées par écrit. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Alain ROUSSET : M. le Président, Mmes, MM. les députés, trois chiffres suffiront à exprimer d'emblée la réalité des rentrées fiscales dues aux augmentations de l'année 2005 : 715 millions d'euros pour les régions ; 1 059 millions d'euros pour les départements ; 1 368 millions d'euros pour les communes. À l'évidence, les régions reçoivent la part la plus faible, et parfois une part dérisoire, de la fiscalité locale.

Votre Commission d'enquête nous a adressé un certain nombre de questions, auxquelles nous aurions aimé pouvoir répondre plus tôt. En effet, nous avons posé à peu près les mêmes questions au Gouvernement il y a plus de dix mois. On ne saurait comprendre les problèmes qui se posent aux régions aujourd'hui sans évaluer la fiscalité régionale au regard des compétences que les régions partagent avec l'État.

La fiscalité régionale représente 5 % de la feuille d'impôt local. Exprimer les augmentations en pourcentage ne veut strictement rien dire. Une augmentation de 20 % de la fiscalité régionale équivaut à une augmentation de 4 % décidée par un département, et de 2 % par une commune.

En outre, la fiscalité régionale, à la différence de celle des autres collectivités territoriales, n'est absolument pas dynamique. Prenons l'exemple des droits de mutation : lorsque certains départements perçoivent 40 millions d'euros de recettes supplémentaires à ce titre, c'est quasiment le double de ce que la région Aquitaine perçoit avec une augmentation de 15 % de sa fiscalité. Les régions sont actuellement dans un sas financier tel que les dotations de l'État sont supérieures à leurs ressources fiscales, lesquelles représentent en moyenne 30 % de leurs ressources. Cela pose évidemment un problème au regard des compétences à exercer, lesquelles exigent des ressources dynamiques.

La taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) est présentée par certains comme une recette qui permettrait aux régions de faire face à leurs charges nouvelles. Cependant, depuis plusieurs années, elle est devenue presque immobile, pour des raisons dont il faut d'ailleurs se réjouir : la sécurité routière, la baisse de la consommation d'essence par les automobiles, le développement des transports en commun. Le cours du dollar joue également un rôle au regard du prix du baril de pétrole.

Les compétences des régions, en revanche, s'accroissent. Je pense notamment à la formation professionnelle, à l'apprentissage, au développement économique, à l'aménagement du territoire, voire aux infrastructures routières.

Il est d'ailleurs piquant de constater que l'État demande aux régions d'intervenir dans ses compétences propres. S'agissant des TGV, il leur demande par exemple de financer non seulement les études mais aussi les travaux. Il leur demande en outre de consentir aux autres collectivités territoriales les avances des crédits d'études et des crédits d'investissement. Il demande même à l'Aquitaine d'avancer les crédits européens, pour plusieurs millions d'euros. Sans cela, les dossiers ne progressent pas. Je crois que cela pose un problème de responsabilité.

Les régions assument plus que les autres collectivités territoriales des compétences partagées avec l'État. C'est vrai en particulier du développement économique, de la formation professionnelle et des infrastructures. Par compétences partagées, il faut entendre des compétences qui ne sont pas incluses dans le champ de la décentralisation, laquelle ne prévoit pas, par exemple, que les régions financent seules les aides aux entreprises et les actions collectives en leur faveur. Or, nous assistons depuis au moins deux ans à un retrait systématique de l'État de ces compétences partagées, mais on peut aussi dire de ses propres compétences, car celles-ci ne sont aucunement transférées dans le cadre de la décentralisation. Quand nous analysons les aides directes aux entreprises, nous constatons une diminution systématique des interventions de l'État. La question qui se pose à la région est alors de savoir si la région doit se substituer à l'État pour aider une entreprise à se moderniser, à acquérir du matériel nouveau, c'est-à-dire pour lutter contre les délocalisations.

À une certaine époque, les crédits européens du FEDER compensaient la diminution des crédits de l'État. Or, la campagne des crédits européens touche à sa fin. Les plans de financement de chacune de nos opérations doivent ainsi être modifiés.

La région Aquitaine est amenée, par exemple, à participer au financement de pôles d'échange intermodaux. L'État ne verse pas un centime pour moderniser la gare Saint-Jean de Bordeaux : la communauté urbaine de Bordeaux, le département et la région paient la différence, soit entre 25 % et 50 % de montants estimés entre 15 et 20 millions d'euros. On pourrait aussi prendre l'exemple du tramway de Bordeaux, ou d'autres tramways.

Jusqu'ici, les demandeurs d'emplois souhaitant s'orienter vers la profession d'aide soignante pouvaient bénéficier de stages d'insertion et de formation (SIF) financés par des crédits d'État. L'État cesse de les financer. La région prend cette compétence mais sans transfert de ressources. L'Aquitaine doit ainsi faire face à un désengagement de l'État de 1,4 million d'euros.

Un mot sur les contrats de plan État-régions. Je ne parle pas de leur état d'avancement : nous attendons les chiffres de la DATAR. Soit dit en passant, que l'État ait besoin d'autant de temps pour fournir ses propres chiffres est étonnant, et suscite d'ailleurs des interrogations légitimes sur les investissements qu'il est disposé à financer. Je veux seulement rappeler ici que la plupart des régions ont dû consentir, l'année dernière, des avances de trésorerie à l'État, correspondant à sa propre part dans le financement des travaux qu'il a lui-même commandés : ce sont ainsi 32 millions d'euros qui ont été versés par l'Aquitaine, dont 13 millions par le conseil régional, le reste étant réparti entre les départements aquitains et la communauté urbaine de Bordeaux. Si nous n'avions pas consenti ces avances, la conséquence en eût été l'arrêt de beaucoup de chantiers. Ces crédits ne sont toujours pas remboursés à ce jour. Ces dettes sont-elles inscrites dans le déficit de l'État ? Je l'espère. Vous pourriez éventuellement, Mmes et MM. les députés, lui poser la question.

J'ajoute que l'ensemble des surcoûts des opérations universitaires ou routières inscrites aux contrats de plan sont pris en charge par les régions et les départements, et non par l'État.

Un autre mot sur les inquiétudes que nous pouvons avoir, qui se transforment en charges nouvelles pour les régions. Jusqu'à présent, l'État assurait le financement de la formation dans le cadre des contrats aidés, CES ou CEC. Aujourd'hui, les régions sont sollicitées par les ministères pour financer la formation, ce qui n'était pas le cas précédemment.

Plusieurs régions et départements, de toutes sensibilités, ont abondamment doté les lycées et collèges de matériels informatiques permettant de transformer la pédagogie. La plupart du temps, l'entretien de ce matériel était assuré par des emplois-jeunes, pour des raisons de formation des personnels TOS. Ceux-ci ayant été supprimés, par qui cet entretien sera-t-il assuré ? Nous nous sommes ouverts de nos inquiétudes à M. Jean-Louis Borloo, et je crois qu'il a pris en compte cette demande.

En 2005, des compétences seront transférées aux régions dans les domaines sanitaire, social et paramédical. La moyenne des financements au cours des trois dernières années a été retenue comme base de calcul des compensations. Or, depuis trois ans, les dépenses n'ont fait que croître. L'État a décidé d'augmenter le montant des bourses versées aux étudiants après le transfert de la compétence, mais aucune indication n'est donnée sur le montant de la compensation. Le financement des formations paramédicales était inclus dans le budget global des hôpitaux, lesquels sont dès lors incapables d'évaluer le montant qui doit être transféré. La Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) n'est pas capable, actuellement, d'individualiser le coût de ces formations, auxquelles elle contribuait. La croissance du nombre d'élèves en formation induira forcément des dépenses d'investissement et de fonctionnement nouvelles, qui seront à la charge des régions. Nous sommes incapables de vous dire comment il est prévu de financer la montée en charge de ces dispositifs. Nous pouvons seulement rappeler que la TIPP n'est pas une ressource dynamique, et en tout cas qu'elle ne l'est pas au point de faire face à la montée en charge des besoins d'infirmières, d'aides soignantes, de personnels permettant d'accompagner les personnes âgées. Nous y verrions plus clair si l'audit que nous avions demandé il y a dix mois avait été réalisé.

Voilà, M. le Président, M. le Rapporteur, Mmes et MM. les députés, les quelques points sur lesquels je voulais insister d'emblée, en soulignant la singularité des compétences des régions et de leurs ressources dans le paysage institutionnel français.

M. le Rapporteur : M. le Président Alain Rousset, vous vous êtes interrogé sur la constitutionnalité de notre Commission d'enquête et sur le questionnaire que son Président et moi-même vous avons adressé.

M. Alain ROUSSET : Pardon de vous interrompre, M. le Rapporteur. M'avez-vous entendu contester la constitutionnalité de votre Commission d'enquête ?

M. le Rapporteur : La question a été posée en d'autres enceintes. Je vous écoute et je vous lis, M. le Président.

M. Alain ROUSSET : Je doute que vous ayez entendu de ma bouche le mot de constitutionnalité.

M. le Rapporteur : Si vous préférez que je dise les choses en termes plus neutres, vous vous êtes ému de ce qu'une commission d'enquête de la représentation nationale se saisisse de la question de l'évolution des taux de la fiscalité locale. J'aurais souhaité que vous puissiez préciser votre position sur ce point. Le Président et moi-même vous avons en effet adressé, à vous comme à tous les présidents de conseils régionaux et généraux, un questionnaire dont je vous accorde qu'il est abondant, mais qui cherche à éclairer les membres de notre Commission sur la « nécessité de la contribution publique », pour reprendre les termes de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que nous avions d'ailleurs rappelé lors du vote de l'Assemblée nationale créant cette commission d'enquête. Il me paraît important qu'en votre double qualité de président de l'Association des régions de France (ARF) et de président de conseil régional, vous précisiez le regard que vous portez sur notre démarche ainsi que sur notre questionnaire, que vous avez jugé curieux. Je crois même que le mot inquisitorial a été utilisé par d'autres, mais je ne suis pas votre porte-parole, et je vous laisse choisir vos mots.

M. Adrien Zeller est introduit.

M. le Président : Je salue l'arrivée de M. Adrien Zeller, Président du conseil régional d'Alsace.

M. le Président rappelle à M. Adrien Zeller que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées par écrit. À l'invitation du Président, celui-ci prête serment.

M. Alain ROUSSET : Tout ce qui concourt à la transparence est positif pour nous. Nous nous sommes exprimés officiellement sur ce sujet. Deuxièmement, nous remarquons que certaines des questions qui nous sont posées sont des questions que nous posons nous-mêmes et auxquelles nous avons demandé il y a maintenant dix mois qu'un audit contradictoire puisse apporter des réponses. Les informations dont les exécutifs locaux ont besoin pour préparer leur budget tardent à leur être transmises, ce qui ne laisse pas de nous étonner. Vous nous demandez en particulier comment il est prévu de financer la montée en charge des dispositifs concernant la formation des travailleurs sociaux, les aides aux étudiants des instituts de formation des travailleurs sociaux, les écoles et instituts de formation des professions paramédicales, les conventions de restauration dans les lycées. Or, sur tous ces points, nous n'avons aucune information émanant des services de l'État. Les informations qui nous parviennent au sujet des personnels qui gèrent ces dispositifs font état de chiffres fluctuants, qui ont parfois changé du simple au double au cours de ces derniers mois. Si votre Commission d'enquête nous aide à y voir clair sur les transferts et leur compensation, elle sera la bienvenue. Nous avons trop de respect pour la représentation nationale, qui participe comme nous à la République, pour critiquer en quoi que ce soit son initiative. Nous souhaitons simplement qu'elle aide à éclairer les contribuables ainsi que les élus locaux sur les compétences qui leur sont transférées. Nous sommes dans l'inquiétude pour aujourd'hui, demain et après-demain, parce que nos ressources ne correspondent pas à ces compétences et que nous n'avons pas les informations suffisantes.

J'ajoute que lorsque M. Jean-Pierre Raffarin était président de l'ARF, il avait demandé au Premier ministre de l'époque de faire procéder à un audit contradictoire sur le transfert des TER. Le Gouvernement avait accédé à sa demande, et la vérité des chiffres avait contribué à apaiser les débats. Je ne mets certes pas en question la capacité des parlementaires à atteindre cette vérité, mais vous savez très bien que lorsque des crédits d'État sont gelés, voire supprimés, il est nécessaire que, préfecture par préfecture, un audit établisse un tableau précis de la situation. C'est ce que nous demandons, tout simplement.

M. le Rapporteur : Nous constatons, dans la plupart des régions, une augmentation importante des taux de fiscalité dès l'année 2005. Pouvez-vous préciser, d'abord d'une manière générale et ensuite pour votre région, quelle est la cause de cette augmentation ? Quelles sont les compétences nouvelles que vous exercez dès l'année 2005 ? Comment évaluez-vous le surcoût de ces compétences, et quel est le montant des recettes fiscales qui y correspondent ?

Vous venez d'évoquer votre « inquiétude ». Avez-vous chiffré l'inquiétude ? Lors de précédentes auditions, certaines personnes nous ont expliqué que l'inquiétude était l'une des causes de l'augmentation de l'impôt local. Étant donné le faible niveau des transferts de compétences en 2005, l'inquiétude est-elle ainsi la cause principale de cette augmentation ?

M. Alain ROUSSET : Je crois avoir souligné, mais sans doute n'ai-je pas été suffisamment précis, que la cause principale de l'augmentation de la fiscalité locale est le désengagement de l'État en 2003, 2004 et 2005, des politiques partagées avec les régions. Les politiques partagées sont celles que l'État ne transférera pas demain aux collectivités territoriales.

M. le Rapporteur : Il ne s'agit donc pas de la décentralisation ?

M. Alain ROUSSET : Non. Je crois avoir été assez clair. Prenons l'exemple des aides directes aux entreprises pour la modernisation de l'appareil industriel. Dans toutes les régions françaises, les crédits de l'État qui y sont consacrés diminuent. De même, ils ne financent pas le surcoût - qui est parfois assez élevé - des opérations menées conjointement par l'État et les régions dans le cadre des contrats de plan. Par exemple, le dossier de l'IPREM à Pau, qui est un institut de recherche sur les matériaux et l'environnement, est bloqué car le surcoût de 1,3 à 1,5 million d'euros n'est pas financé par l'État. Il en est de même pour les infrastructures routières, et cela concerne aussi les conseils généraux. On peut aussi parler de la recherche, des universités ou du logement étudiant.

S'agissant des avances consenties à l'État au titre de ses propres compétences, je répète que l'Aquitaine a avancé 32 millions d'euros, dont 13 millions à la charge du conseil régional. Le fait que l'État se désengage du financement des contrats SIF se traduit, pour l'Aquitaine, par une diminution des crédits de 8,5 millions d'euros. L'augmentation de la fiscalité dans ma région est de 27 millions d'euros, alors que le désengagement de l'État est estimé entre 50 et 60 millions d'euros. Donc, l'explication tient au désengagement de l'État, et la fiscalité ne permet pas de le couvrir totalement, loin de là.

Vous me demandez de chiffrer l'inquiétude. Cette inquiétude porte d'abord, cette année, sur le financement de la formation des personnels médicaux et paramédicaux. Je suis incapable, parce que les hôpitaux sont incapables de me le communiquer, de vous dire quel est le coût exact de la formation des infirmières. Je sais, en revanche, que l'augmentation des besoins en aides soignants, infirmières et personnels paramédicaux est impressionnante, et que l'État annonce que la compensation qu'il versera sera calculée sur la base de la moyenne des trois dernières années. Ce sera donc un cap assez difficile à passer.

Autre motif d'inquiétude : le transfert de la gestion des personnels TOS de l'éducation nationale. Nous n'avons pas souhaité cette compétence et nous demandons que le transfert de cette compétence soit reporté, ce pour trois raisons. La première est que le système de primes est très différent dans la fonction publique d'État et dans la fonction publique territoriale. À ce seul égard, en Aquitaine, nous estimons le coût du transfert à plus de 10 millions d'euros, sans compensation par l'État. La deuxième raison est que le personnel qui entre dans une collectivité doit être associé à l'ensemble des œuvres sociales, sans compensation par l'État. Celui-ci va cesser de financer la formation d'un tiers des personnels aidés. Enfin, plusieurs centaines d'emplois-jeunes sont supprimés, alors qu'ils assuraient le fonctionnement de tout l'appareillage informatique ou électronique de l'ensemble des lycées (dans les laboratoires de langue, par exemple). L'État ne verse aucune compensation visant à financer leur remplacement.

Dans Les Échos de ce matin, M. le Rapporteur, vous semblez contester que les conseils régionaux qui se voient confier des compétences nouvelles songent à assurer le financement de la montée en charge des dispositifs correspondants. Cela m'a étonné. Lorsque, il y a quelques années, les régions ont pris en charge l'entretien des lycées, par-delà les sensibilités politiques, elles ont multiplié par six ou dix les dépenses d'équipement et de construction des lycées. Lorsque les régions ont pris en charge les TER, le parc matériel avait entre vingt et vingt-cinq ans d'âge, et a dû être renouvelé dans sa quasi-totalité, dans toutes les régions. Par ailleurs, le service public a été amélioré, car la décentralisation, cela sert à l'amélioration du service rendu.

Mme Ségolène Royal est introduite.

M. le Président : Je salue l'arrivée de Mme Ségolène Royal, Présidente du conseil régional de Poitou-Charentes.

M. le Président rappelle à Mme Ségolène Royal que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées par écrit. À l'invitation du Président, celle-ci prête serment.

M. le Rapporteur : Je prends acte de ce que vous expliquez la hausse de la fiscalité des régions, non par la décentralisation, mais par le fait qu'elles pallient ce que vous appelez le désengagement de l'État. Mais, même en acceptant le terme de « désengagement », jusqu'où les régions doivent-elles le pallier ? Comment tracez-vous la limite de la compétence des régions ? Vous nous dites que les régions ont multiplié par six ou dix les investissements dans les lycées. Soit. Mais y a-t-il une limite à la dépense publique ? À chaque fois qu'il y a compétence, y a-t-il une espèce de pression supérieure qui amène les régions à considérer qu'au-delà du transfert de compétences, elles doivent accroître la dépense ?

Deuxièmement, quelle limite donnez-vous à vos compétences ? Prenons l'exemple des emplois-jeunes. L'État a décidé d'y mettre un terme. On peut être pour ou contre cette décision. Il reste qu'une majorité politique l'a assumée. Ce « désengagement » de l'État vous conduit à créer certaines catégories d'emplois telles que les emplois tremplins. C'est un choix que vous assumez, mais est-ce pour autant une « compétence » régionale ?

M. Alain ROUSSET : Cette question est au cœur de notre réflexion, et je vous remercie de la poser aussi franchement. Nous en avons beaucoup débattu.

À nos yeux, il eût été préférable que le texte que vous avez adopté, Mmes et MM. les députés, crée de véritables blocs de compétences. Le législateur n'a pas fait ce choix. Nous assumons les textes que vous avez votés. Les compétences ont même été volontairement dispersées, notamment par le Sénat, pour ne pas faire de la région le chef de file du développement économique. On peut même dire que le législateur a voulu, comme peut-être l'appareil d'État qui a préparé les textes, non seulement qu'aucune collectivité n'ait d'autorité sur une autre, mais qu'il n'y ait pas de compétences claires, par exemple pour le tourisme mais dans bien d'autres domaines aussi. Nous assumons cette réalité législative.

Vous nous demandez jusqu'où nous pouvons assumer le désengagement de l'État - au passage, je vous remercie d'employer ce terme - et quelles sont les limites de nos compétences. Les choses sont claires : nous restons toujours dans le cadre de nos compétences. Quand nous développons la recherche, nous le faisons parce que l'État et les universités nous le demandent, et parce que la recherche est intimement liée au développement économique et aux emplois de demain. Quand nous aidons les sociétés de capital-risque à se créer, nous aidons aussi la création d'entreprises. Quand nous développons des emplois associatifs, nous répondons certes à l'attente du mouvement associatif, mais nous répondons surtout aux demandes de l'État, car la plupart des ministères nous demandent, même s'ils ne le formulent pas ainsi, de prendre en charge la suppression des emplois-jeunes. Le plan Borloo prévoit des contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE) ou des contrats d'avenir, pour lesquels il n'est pas prévu que l'État finance la formation ; le ministre nous demande de la prendre en charge. Ce n'était pas comme cela avant. De même, le ministère des Transports nous demande d'intervenir au-delà des compétences des régions, par exemple pour financer les TGV. Est-ce que les régions sont compétentes pour financer le TGV ? Je vous renvoie la question. Mais si nous ne le faisons pas, nous n'avons pas de TGV.

M. le Rapporteur : Vous avez dépeint un paysage d'ensemble. Et pourtant, d'un conseil régional à l'autre, les choix fiscaux ont été extrêmement contrastés, même parmi ceux où la majorité n'est pas proche de la majorité parlementaire. La différence est nette, par exemple, entre la région Rhône-Alpes et la Bourgogne. Comment l'expliquez-vous, alors que vous nous avez décrit un scénario relativement homogène pour l'ensemble du territoire national ?

M. Alain ROUSSET : Il faut considérer le point de départ de ces évolutions. En Bourgogne, le Front national a imposé pendant plusieurs années une diminution de la fiscalité, comme d'ailleurs en Languedoc-Roussillon. À l'évidence, cela s'est traduit par un retard dans les investissements consacrés aux lycées ou à la formation professionnelle. Il a été décidé, à un moment donné, de rattraper ce retard. S'agissant de la région Rhône-Alpes, que vous connaissez bien, M. le Rapporteur, l'augmentation de la fiscalité a été supérieure à 60 % lorsque M. Charles Millon était président du conseil régional.

M. Pascal TERRASSE : Et notre Rapporteur en était vice-président...

M. le Rapporteur : Non, et il n'y avait pas de majorité régionale à l'époque !

M. Alain ROUSSET : Restons techniques. Je crois aussi me rappeler qu'en 1989, M. Jean-Pierre Raffarin, avec une assiette beaucoup plus large, a augmenté la fiscalité de 100 % dans la région qu'il présidait.

M. le Président : Il nous a dit tout à l'heure qu'il était vice-président, mais il était quand même dans la majorité !

M. le Rapporteur : Pas de majorité absolue non plus à l'époque dans cette région ! Restons techniques !

M. Alain ROUSSET : Oui, je tiens à rester technique, comme le sont vos questions, M. le Rapporteur. Je rappelle aussi qu'un certain nombre de régions ont connu une situation d'endettement, ou un partage entre ressources propres et endettement tel que certaines majorités ont fait des choix de rigueur. De même qu'une entreprise peut, à un moment donné, choisir de faire appel aux fonds propres plutôt qu'à l'emprunt, elles ont choisi de financer leurs dépenses par une augmentation de leurs taux. Moi-même, en 1998, lorsque je suis devenu Président du conseil régional d'Aquitaine, j'ai dû saisir la Chambre régionale des comptes, qui a constaté une impasse budgétaire de 300 millions de francs. Il a fallu voter un budget rectificatif pour que le budget soit sincère, et augmenter la fiscalité de 25 %, tout en diminuant les dépenses. Sans cela, il n'aurait été possible, ni de poursuivre certains investissements, ni de respecter la parole républicaine à l'égard des engagements qui avaient été pris précédemment dans le cadre du contrat de plan.

M. le Président : Mes chers collègues, je vous rappelle que notre Commission d'enquête doit être objective. Vous aurez tous les éléments permettant de comparer les bases fiscales des différentes régions, qui expliquent peut-être que les taux fixés par certaines d'entre elles soient beaucoup plus élevés. Des disparités de ressources peuvent justifier des disparités de taux.

M. Pascal TERRASSE : Mon pourcentage de temps de parole sera vraisemblablement inférieur au pourcentage de l'augmentation des impôts décidée en région Rhône-Alpes en 1992 !

Je partage l'analyse du président de l'ARF sur les limites de la législation définissant les compétences des collectivités territoriales. Elles sont mal définies, et en tout cas mal comprises par les uns et les autres. Elles sont sources d'engagements financiers qui ne répondent pas forcément à des compétences propres, ce qui conduit à des financements croisés parfois plus problématiques qu'efficients.

À voir ce que porte le président du conseil régional d'Île-de-France au revers de sa veste, il me semble qu'il soutient la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2012. Les Jeux sont une manifestation sportive exceptionnelle, dont l'organisation ne fait pas partie des compétences de la région. Malgré cela, le président Huchon va-t-il engager l'exécutif régional dans le soutien à cette candidature, ou considère-t-il que, puisque l'organisation des Jeux ne fait pas partie de ses compétences, il n'a pas à accompagner l'État ? D'autre part, quels seront les engagements de l'État ? Il serait intéressant de le savoir pour mesurer l'intérêt qu'il y a à dégager des compétences non prévues par la loi en matière de politique régionale.

M. Jean-Paul HUCHON : Lors de la récente visite de la commission d'évaluation du Comité international olympique (CIO), nous avons eu l'occasion d'indiquer que les Jeux, s'ils étaient organisés à Paris, ne seraient pas très chers par rapport à d'autres villes, mais qu'il y aurait tout de même près de 3 milliards d'euros à garantir : la ville de Paris en garantit 1,056 milliard, la région 1,056 milliard et l'État 800 millions. C'est dire que la région entend prendre toute sa part au financement de la garantie des Jeux, mais uniquement, bien entendu, dans les domaines de compétences qui sont les siens : les tramways nécessaires au bon déroulement des Jeux, les travaux permettant l'accessibilité de toutes les gares d'Île-de-France aux personnes handicapées, la rénovation du RER B, qui est un élément essentiel pour rejoindre le noyau nord, en particulier le Stade de France et la piscine olympique. Il aurait été assez malvenu que la région reste en dehors d'un événement dont les retombées sont estimées à 45 milliards d'euros et 42 000 emplois.

Je voudrais, si vous me le permettez, M. le Président, revenir sur une question du Rapporteur. Le conseil régional d'Île-de-France n'a jamais affirmé que la décentralisation nous coûtait de l'argent dès cette année, sauf sur un point : la formation des personnels dans les secteurs sanitaire et social est transférée à la région depuis le 1er janvier. Nous payons donc les bourses des infirmières depuis cette date. Mais nous ne connaissons toujours pas le montant de la somme qu'il va nous être imposé de débourser. Le Gouvernement nous a fait savoir que cela nous coûterait 86,202 millions d'euros et qu'en échange il nous a attribué une part de TIPP évaluée à 20,862 %, qui représente 78,622 millions d'euros. La décentralisation nous coûte donc déjà plus de 7,5 millions d'euros, pour un transfert immédiat. Or, les services de l'État nous annoncent que le coût de cette action sera en 2006 de 150 millions d'euros. Comment le conseil régional fera-t-il face à ce surcoût ? Je n'ai pas la réponse à cette question, M. le Rapporteur. Je vais présenter au conseil régional un premier budget supplémentaire. Et je sais que je devrai en présenter un autre en septembre, parce que la région va payer par trimestre.

M. le Rapporteur : La décentralisation coûte donc pour l'instant 7,5 millions d'euros à la région Île-de-France. À combien s'élèvent les augmentations d'impôts ?

M. Jean-Paul HUCHON : Je vous demande la permission de poursuivre mon propos, M. le Rapporteur. Je vous indique, s'agissant de la décentralisation, les coûts que nous sommes en mesure d'attester et qui vont nous obliger à voter des budgets supplémentaires.

Puisque vous avez laissé entendre que les régions dépassaient le champ de leurs compétences, j'ai fait le calcul du désengagement de l'État dans les seuls domaines des compétences que l'État exerce en partenariat avec la région. Le total est de 393,3 millions d'euros. Je peux vous donner le détail projet par projet, tramway par tramway, échangeur par échangeur. Au niveau du contrat de plan routier, le désengagement de l'État porte sur 48 millions d'euros. Le préfet le reconnaît parfaitement. Il est venu devant nos commissions pour l'expliquer. Pour les transports collectifs, il y en a pour 252 millions d'euros. Le ministère des Solidarités s'est également retiré totalement d'un certain nombre d'actions, notamment celles concernant la lutte contre la toxicomanie : 20 millions d'euros. Le tourisme : 300 000 euros. L'environnement : 4,16 millions d'euros. En matière de formation, les stages d'insertion et de formation (SIF) et les stages d'accès à l'entreprise (SAE) sont immédiatement mis à la charge de la région Île-de-France : 60 millions d'euros.

L'augmentation des recettes fiscales de la région Île-de-France, fort heureusement, n'a pas été de 393,3 millions d'euros. Nous avons dû redéployer certaines dépenses absolument capitales, et revenir sur certaines de nos compétences. Il a fallu faire des arbitrages, notamment diminuer certaines dépenses en faveur des lycées, pour faire face à ce désengagement.

Tous ces chiffres ne mesurent pas des « inquiétudes ». Ils mesurent des réalités.

M. Michel DIEFENBACHER : Ma question s'adresse au Président du conseil régional d'Aquitaine. Cette région augmente cette année ses taux d'imposition de 14,95 %. Elle attend de cette mesure un surplus de recettes d'environ 30 millions d'euros. L'ampleur de cette augmentation me conduit, comme le Rapporteur, à m'interroger, en particulier sur trois points.

Le premier concerne les dépenses de fonctionnement, qui augmentent de 10,1 %. À l'intérieur de cette enveloppe, les dépenses de personnel augmentent de 13,2 %. Le conseil économique et social régional, consulté pour avis, a d'ailleurs soulevé cette question. Il a évoqué l'« internalisation » de certaines procédures. Le président Rousset pourrait-il nous en dire plus ?

Ma deuxième interrogation porte sur le principe même d'une augmentation fiscale. Au cours de la mandature précédente, sous la même majorité, conduite par le même président, les impôts avaient déjà augmenté de 44 %. Le budget, assez confortable, de la région se caractérisait donc par un niveau d'autofinancement élevé, et un niveau d'endettement très modéré. On a donc le sentiment qu'elle pouvait faire d'autres choix, pour financer ses dépenses, que de recourir à l'augmentation des taux de la fiscalité.

Troisième observation, une augmentation de 15 % des taux d'imposition ne peut pas s'expliquer par les charges liées au transfert des TOS. Les dépenses de formation s'accroissent certes, mais pas dans des proportions telles qu'il soit nécessaire de percevoir 30 millions de recettes supplémentaires. Il est clair que l'augmentation des taux ne peut pas non plus être justifiée par la nécessité de pallier les désengagements de l'État au titre du contrat de plan. M. Alain Rousset a indiqué que le conseil régional avait avancé à l'État la somme de 13 millions d'euros. Or je n'imagine pas que la région puisse financer par des ressources définitives des dépenses qui sont occasionnelles, puisque ses avances sont destinées à être remboursées. J'ajoute qu'il n'y a pas de rapport véritable entre ces 13 millions et les 30 millions de ressources appelées.

Enfin, la raréfaction des fonds européens, également invoquée, est un vrai problème, comme j'ai moi-même l'occasion de le mesurer chaque jour en tant que président de conseil général. Il n'en reste pas moins que la compensation de cette diminution de ressources sera assurée non seulement par les régions, mais aussi par l'État, les départements et les maîtres d'ouvrage.

M. Alain ROUSSET : Premièrement, je rappelle que l'Aquitaine était, en 1998, quand je suis devenu président du conseil régional, la deuxième région la plus endettée de France. Et vous savez très bien que l'endettement peut exploser en un an en atteignant un niveau tel qu'il faut plus de quinze ans pour le réduire. En outre, l'Aquitaine a des bases fiscales relativement faibles, et donc des retours fiscaux peu importants.

L'augmentation de la fiscalité a été principalement due à l'impasse budgétaire où se trouvait la région et à son niveau d'endettement. Je précise que mon prédécesseur avait lui-même augmenté les impôts de 73 % sur la durée de son mandat, avec une base fiscale beaucoup plus large. Le conseil général de Lot-et-Garonne, avant que vous en deveniez le président, les avait augmentés de plus de 24 % il y a trois ans de cela. Proportionnellement, cette augmentation a rapporté dix fois plus à ce département que ce qu'elle aurait rapporté à la région.

S'agissant des dépenses de fonctionnement, la région, de par ses compétences, parce qu'on lui a demandé depuis 2000 de s'occuper des TER, parce qu'on lui demande de s'occuper de la formation professionnelle et de l'apprentissage, parce qu'on lui demande d'assurer la gestion des lycées, augmente naturellement les dépenses de fonctionnement par rapport à celles d'investissement. Le rapport fonctionnement/investissement est encore assez équilibré, mais imaginez, Mmes et MM. les députés, ce que sera ce rapport lorsque la région devra financer les TOS, qui sont essentiellement du fonctionnement.

En ce qui concerne l'internalisation d'un certain nombre de coûts, je souligne que nous devons relever plusieurs défis. Le premier est que nous n'avons aucune information sur le coût de la gestion par l'État de l'ensemble des compétences dont parlait M. Jean-Paul Huchon à l'instant. Qui va gérer pour nous, et avec quels effectifs, l'ensemble de la formation des infirmières et des aides-soignantes ? Les hôpitaux sont incapables de nous fournir des éléments de gestion.

M. le Rapporteur : Quand on ne sait pas, on augmente les impôts ? C'est « l'impôt de précaution » ?

M. Alain ROUSSET : Non. C'est l'impôt de gestion, et de bonne gestion ! Quand on a autant de personnels à gérer, et que l'État est aussi déficient, nous essayons d'assurer le service public. En tout cas, l'Aquitaine est la troisième région la moins chère de France en matière de dépenses internes de fonctionnement.

M. Pierre BOURGUIGNON : Restons techniques, au plus près du réel. Certains parlent de « l'impôt de précaution ». Je connais des libéraux qui parlent, en termes positifs, de « l'épargne de précaution ».

En février dernier, un député de l'Hérault a interrogé Mme la ministre déléguée à l'Intérieur, en déplorant que la région Languedoc-Roussillon envisage une augmentation de 80 % de la taxe d'habitation. Je pense que M. Christian Bourquin nous parlera de la disparition de la part régionale de celle-ci, mais surtout, il serait intéressant de mettre en évidence, dans le budget 2005, ce qui relevait du rattrapage rendu nécessaire par la situation héritée de la majorité précédente.

M. Christian BOURQUIN : Tout le monde se rend bien compte que la situation varie d'une région à l'autre. Chacune a son indépendance de gestion, son histoire, son contexte. La particularité du Languedoc-Roussillon, au-delà du désengagement de l'État, tient notamment à l'héritage de la mandature précédente. Chacun sait que nous sommes dans le peloton de tête des régions, mais nous avons chiffré précisément le fait que plus de la moitié de l'augmentation des impôts est liée à quatre éléments que nous avons hérités de la gestion de la majorité précédente.

Le premier est le coût de l'accord fiscal entre la droite UMP et le Front national dans la région. Entre 1999 et 2003, il y avait un accord sur l'objectif d'une réduction de l'impôt de 2 % au moins. Cette politique, propre à la région Languedoc-Roussillon, a correspondu à une diminution de 49 points de fiscalité, soit 54 millions d'euros. Si l'évolution de la fiscalité avait suivi celle du coût de la vie, c'est bien 93 points de fiscalité que la région aurait aujourd'hui en caisse, soit 103 millions d'euros.

Le deuxième est la véritable « cavalerie budgétaire » pratiquée par la majorité précédente. L'année précédant la dernière élection, elle a voté délibérément des autorisations de programme équivalant à quatre années d'investissement budgétaire. La continuité républicaine nous impose d'honorer ces engagements. Or nous avons été élus pour conduire une politique totalement différente : il n'est pas concevable, à nos yeux, d'appliquer la politique de nos prédécesseurs pendant six ans. Nous avons donc dû trouver des ressources nouvelles pour assumer les choix de nos prédécesseurs, mais surtout les choix qui sont les nôtres, pour lesquels la majorité des électeurs de la région se sont prononcés.

Troisième point : la sous-budgétisation des compétences obligatoires. Je vous invite, M. le Rapporteur, à venir la constater sur place. Prenons l'exemple du TGV : depuis le gel des crédits en 2003, la ligne Perpignan-Montpellier est le maillon de la honte. C'est le seul endroit où il n'y ait pas eu d'autres budgétisations. Sur les 2 400 kilomètres qui séparent Séville d'Amsterdam, c'est uniquement entre Perpignan et Montpellier que les trains ne rouleront pas à 320 kilomètres/heure.

M. le Rapporteur : Le dossier Perpignan-Figueras a été débloqué !

M. Christian BOURQUIN : Oui, mais sur 9 km à 320 kilomètres/heures, voyez le gain en rapidité ! (Sourires)

Quand la SNCF supprime la ligne Toulouse-Montpellier, c'est à la région d'assurer le service public, parce qu'il y a des voyageurs. Coût : 3 millions d'euros la première année, pour un service minimum.

Autre exemple de sous-budgétisation : le collège et le lycée de Font-Romeu. En 2000, l'État avait programmé 18 millions d'euros pour les remettre en l'état. Les gels de crédits ont empêché la réalisation des travaux nécessaires. Le législateur a préféré, dans l'article 84 de la loi de décentralisation du 13 août 2004, et bien qu'une loi ne doive comporter que des dispositions générales, confier à la région Languedoc-Roussillon la propriété et la charge du fonctionnement de ce lycée, ainsi que le collège au département. La région ne refuse pas le transfert de propriété de cet établissement, mais elle a le droit de réclamer qu'il lui soit transféré dans un état satisfaisant, et non pas dans l'état déplorable où il se trouvait avant ce transfert, et qui avait conduit la commission de sécurité à émettre un avis défavorable à la poursuite de son exploitation au-delà du 3 décembre 2004, avec plus de 150 faits signalés. Le propriétaire, donc l'État, devait alors le fermer.

Quatrième point : l'absence de gestion budgétaire et financière de la collectivité. Je n'irai pas dans le détail ici, mais si vous nous faites l'honneur de vous rendre sur place, nous vous donnerons toutes les informations nécessaires. Nous serons fiers de le mettre en lumière, tant la situation est grave. Le préfet de région, qui, comme chacun sait, lutte contre les démarches que nous entreprenons, sera bien obligé de reconnaître un jour qu'il y a un problème d'équilibre, voire de sincérité, dans les comptes régionaux. Nous sommes vraiment dans une situation détestable de ce point de vue.

M. Georges Frêche, que j'ai l'honneur de représenter ici, a clairement dit à nos concitoyens que l'augmentation de l'impôt régional visait également à financer des opérations qui n'étaient pas assumées précédemment. Nous nous devons, par exemple, même si le Rhône est un fleuve national, de pallier le désengagement de l'État pour que soient construites les digues qui doivent l'être et éviter ainsi un nouveau débordement dans le Gard. Le conseil régional a investi 9 millions d'euros, ce fut sa première décision, parce que nous considérons qu'un drame comme celui qui a été vécu dans le Gard ne doit pas se reproduire. M. Michel Vauzelle fait la même chose dans la région limitrophe. On peut se demander quelles sont les compétences de l'État et celles de la région. On peut aussi se demander qui s'est désintéressé de l'aménagement du Rhône. Il faudra bien dire à nos concitoyens que l'État n'a pas assumé ses responsabilités.

M. Alain GEST : M. le Président, vous avez rappelé à juste titre que le souci majeur de notre Commission d'enquête est de parvenir à des conclusions objectives. C'est pourquoi je voudrais remercier le président Alain Rousset du pas très important qu'il nous a permis de faire aujourd'hui en indiquant très clairement que l'augmentation substantielle de fiscalité décidée par les conseils régionaux n'était en aucun cas liée aux conséquences de la décentralisation. Il faut l'en remercier chaleureusement, parce que nous avions cru deviner, d'après divers propos qui ont été tenus ces derniers mois, que certains défendaient une position exactement inverse.

Cela me conduit d'ailleurs à interroger M. le vice-président chargé des finances du conseil régional de Rhône-Alpes, dont le site officiel fait apparaître que son budget 2005 ne tient pas compte des conséquences des transferts de compétences. Comme l'a souligné notre Rapporteur, la fiscalité régionale se caractérise par de très grandes différences d'une région à l'autre. La région Rhône-Alpes fait partie de celles qui ont choisi de modérer l'augmentation des taux, et ce alors que ses investissements s'accroissent de 23 %. En outre, ses interventions semblent volontairement déborder son champ de compétences, puisqu'elles concernent aussi bien le développement durable que la production d'énergie photovoltaïque ou encore l'innovation dans le traitement des déchets ménagers, qui relève plutôt d'une compétence départementale. Elle a également décidé la création de 1 000 emplois tremplins. En dépit de tout cela, et notamment de problèmes que la majorité actuelle impute à la gestion de la majorité précédente, le conseil régional de Rhône-Alpes a voté un taux d'augmentation de la fiscalité de 6 %. Comment cela s'explique-t-il ?

M. Jean-François DEBAT : Comme l'a souligné M. Christian Bourquin, la gestion des mandats locaux obéit à des considérations liées aux engagements que les élus régionaux ont pris devant leurs électeurs, mais aussi à la situation héritée de la gestion précédente.

Nous avions indiqué au lendemain de la dernière élection que, compte tenu des éléments en notre possession sur la situation du budget de la région, le programme que nous avions proposé aux électeurs, y compris les emplois transférés ou des interventions supplémentaires dans le domaine culturel, pouvait être financé, dans le cadre des marges de fonctionnement normales de la région. Ses recettes de fonctionnement augmentent spontanément de l'ordre de 30 à 35 millions d'euros par an, du fait notamment de l'évolution des bases. Les décisions nouvelles que nous avons prises entrent tout à fait dans le cadre de cette épure. Cela est vrai des 1 000 emplois tremplins, dont le coût est de 5 millions d'euros de dépenses effectives sur l'année (le coût sera de 10 millions d'euros en année pleine), comme des actions en matière de culture et d'environnement, ainsi que de l'ensemble du plan pour l'emploi, qui inclut les contrats de retour à l'emploi durable sous forme de mobilisation de crédits de la formation professionnelle. Tout cela correspond à 30-35 millions d'euros.

Nous n'avions pas prévu les cadeaux de Noël du Gouvernement, ni les quelques trous qu'il a fallu combler du fait de la gestion précédente. Ainsi, dès le mois d'avril 2004, un mois après notre arrivée aux affaires et trois mois après le vote du budget, il a fallu inscrire 40 millions d'euros supplémentaires en crédits de paiement dans un programme d'investissements pour les lycées, évalué initialement à 160 millions d'euros. En cours d'année, nous avons également été amenés à constater qu'il fallait ajouter 36 millions d'euros aux 120 millions d'euros de dépenses inscrites, hors apprentissage, pour la formation professionnelle, soit une augmentation de 36 %. Cela s'est traduit mécaniquement sur le budget 2005, compte tenu du niveau de consommation de crédits.

Par ailleurs, comme dans d'autres régions, nous avons dû faire face aux conséquences de la politique menée par l'État. En matière ferroviaire, nous inscrivons cette année plus de 25 millions d'euros d'avances au titre du contrat de plan État-région. Certes, en théorie, ces dépenses ne sont pas définitives. Mais il faut bien les financer, ce qui implique immédiatement soit un recours à l'emprunt, soit une ponction sur nos capacités d'autofinancement.

S'agissant de l'apprentissage, les 24 millions d'euros qui nous étaient transférés en 2005 pour compenser les dépenses nouvelles étaient insuffisants. Ce sont au moins 8 millions d'euros supplémentaires qu'il fallait inscrire pour faire face aux charges, tant en ce qui concerne les bourses versées aux apprentis que celles versées aux maîtres d'apprentissage.

Le désengagement de l'État s'est également manifesté dans la politique du logement et du renouvellement urbain, qui relève pourtant de ses compétences. La loi SRU a même renationalisé cette politique par la création de l'Agence nationale de rénovation urbaine. Cela étant, le financement des très importantes opérations de renouvellement urbain qui sont nécessaires dans les différentes villes de Rhône-Alpes n'est pas possible sans une forte contribution des collectivités territoriales. Lorsque M. Jean-Louis Borloo a rencontré le président Jean-Jack Queyranne, il ne lui a pas demandé de maintenir les crédits régionaux au niveau envisagé par son prédécesseur, soit 108 millions d'euros, c'est-à-dire 3 % du montant total des opérations. Il lui a dit que cette proportion était en général de 6 % dans les autres régions et qu'il serait bon que notre région porte son effort à ce niveau pour que les opérations avancent en Rhône-Alpes. Cela signifie un doublement des dépenses de la région en matière de renouvellement urbain. Dès 2005, cela s'est traduit par 5 millions d'euros de dépenses d'investissement, alors que c'est au total 108 millions d'euros supplémentaires qu'il va falloir budgéter. On peut considérer que ces dépenses n'entrent pas dans le champ des compétences propres de la région, mais les opérations de renouvellement urbain et d'habitat ne se seraient pas faites sans elles, étant donné que l'État ne remplit pas ses obligations, pas même celles que lui impose la loi.

Cela dit, pour répondre à votre question, M. le député, il faut bien rappeler que la région Rhône-Alpes était peu endettée, ce qui nous a permis d'augmenter très nettement notre recours à l'emprunt tout en le maintenant dans des limites acceptables. La région financera en 2005 et 2006 un très important effort d'investissement sur le matériel ferroviaire correspondant à des commandes passées en 2001 et 2002, sous la mandature précédente, avec l'assentiment de la majorité des groupes composant l'assemblée : 80 millions en 2005 et 80 millions en 2006. Ajoutés aux 40 millions d'euros d'investissements supplémentaires dans les lycées, ces efforts expliquent un accroissement de l'emprunt de l'ordre de 130 millions d'euros en 2005.

Nous avons indiqué, sur notre site Internet, que l'ensemble des ressources nouvelles ne visent pas à financer l'intégralité des incidences financières de la loi du 13 août 2004, lesquelles se feront sentir, pour l'essentiel, l'année prochaine, sauf pour les formations sanitaires et sociales qui ont nécessité une décision modificative, dès le mois dernier, du budget. Mais dire cela ne signifie pas que n'avons pas à faire face aux conséquences du désengagement de l'État.

M. le Président : M. Adrien Zeller me fait savoir qu'il est obligé de partir. Je donne donc la parole à M. Michel Raison, qui souhaite lui poser une question.

M. Michel RAISON : L'augmentation de l'impôt correspond toujours à des décisions politiques. Je voudrais demander au président du conseil régional d'Alsace pourquoi sa région n'a pas suivi l'ensemble des autres régions dans leur décision d'adopter la gratuité des livres scolaires.

D'autre part, pourquoi la région Alsace n'a-t-elle pas augmenté ses effectifs, alors que d'autres régions l'ont fait en invoquant des raisons de bonne gestion ou de précaution ? Enfin, l'Alsace a demandé à être région expérimentatrice en matière de gestion des fonds européens. Avez-vous été obligé de faire l'avance des fonds FEDER perdant le long délai séparant la décision d'attribution de l'arrivée de l'argent ? Et quand ces fonds vont s'assécher, avez-vous prévu d'assurer leur financement à la place des autres collectivités et de l'État ?

M. le Président : J'ajouterai une autre question à M. Adrien Zeller. Ne pense-t-il pas qu'un certain nombre de régions sont défavorisées en matière de fiscalité et qu'il conviendrait de ce fait de développer la péréquation ?

M. Adrien ZELLER : Je commencerai par répondre à cette dernière question. Si l'on prend en compte les crédits d'État dont disposent les régions au titre des contrats de plan, les différences de potentiel fiscal, les mécanismes de péréquation déjà existants et l'impact considérablement différencié des crédits européens, on constate que la ressource en euros par habitant situe la région Alsace en quinzième position, et non pas à la deuxième place. Le niveau de péréquation entre régions est déjà considérable, et supérieur à celui réalisé entre départements ou entre communes. Les inégalités intercommunales sont quatre ou cinq fois plus grandes que les inégalités interrégionales.

Comme vous l'avez fait observer, M. le député, l'Alsace n'a pas adopté le principe de la gratuité des livres scolaires. Nous avons préféré accorder une prime de rentrée scolaire aux familles dont les ressources sont inférieures à la moyenne régionale, ce qui signifie que nous n'adressons pas de chèques aux familles aisées ou riches. On peut se demander quelle politique est la plus sociale. Nous aidons les 45 % de familles les plus modestes. Nous avons considéré, par exemple, que les parents exerçant des professions libérales n'avaient pas besoin d'un chèque de la région, les ressources de celle-ci étant limitées. C'est un choix.

Les effectifs de la région ont légèrement augmenté depuis quelques années, et nous allons nous installer dans de nouveaux locaux, ce qui nécessitera plus de personnel de gardiennage. Les personnels supplémentaires recrutés jusqu'ici nous ont notamment permis de multiplier par 2,5 le rythme d'engagement des crédits européens. Ceux-ci ne sont pas très élevés en Alsace, puisqu'ils sont quatre fois inférieurs à la moyenne des régions. Nous espérons qu'ils augmenteront, en particulier pour faire face aux délocalisations, qui sont extrêmement nombreuses dans une région d'industrie manufacturière comme la nôtre. Toutes les semaines, notre région perd entre 100 et 250 emplois de ce fait.

S'agissant du coût de la décentralisation, nous pensons pouvoir assumer le train actuel de décentralisation avec une hausse d'impôt de 2 % par an pendant trois ans. Nous refusons tout dérapage fiscal sur le sujet. C'est l'évaluation la plus honnête possible au stade actuel de nos informations. Nous nous sommes mis en position de négociation avec le préfet et le rectorat. En ce qui concerne les TOS, nous pourrons ainsi assurer sur deux ou trois ans le treizième mois, faire face à la sous-dotation de la région en cadres. Nous savons que les emplois aidés dans les lycées vont être compensés par l'État. Nous tablons sur un ratio de 15 à 20 emplois d'encadrement pour 1 000 emplois TOS transférés.

Il est vrai que les désengagements de l'État sont assez nombreux. Nous avons analysé la situation cas par cas, en ce qui concerne les crédits de matériel pédagogique, réduits des deux tiers, les parcs naturels, l'environnement... Lorsqu'une association ou une commune nous a dit qu'elle avait moins de crédits d'État, nous nous sommes posé deux questions. Premièrement, y a-t-il un intérêt régional à intervenir ? Deuxièmement, le conseil régional est-il le mieux placé pour cela ? En d'autres termes, nous avons appliqué le principe de subsidiarité. Par exemple, la région a décidé de ne pas intervenir pour remplacer l'emploi-jeune perdu par un club de sport. Nous considérons que la vie sportive locale est l'affaire des communes ou des structures intercommunales. En revanche, nous intervenons pour soutenir les grandes associations d'environnement qui ont une vocation régionale. Mais nous n'avons pas bâti de système global, du type emplois-tremplins. Nous avons fait preuve de sélectivité.

Certains ont évoqué un audit. Il se trouve que j'ai été l'un des pères de l'audit ferroviaire d'il y a cinq ans. Il a abouti à une évaluation sérieuse des comptes, par un cabinet comptable. Ce fut un progrès en termes de bonne gestion, car les régions ferroviaires aussi ont dû établir leurs comptes. Mais il faut aussi dire que la compensation de l'État pour le remplacement du matériel ferroviaire a été de 40 % inférieure à l'évaluation des besoins. Le désengagement de l'État ne date donc pas d'aujourd'hui.

Dans la situation difficile qui est la leur, les régions sont contraintes de faire des choix. Pour sa part, l'Alsace a décidé d'étaler légèrement son programme de modernisation des lycées, qui se réalisera sur huit ans au lieu de six. S'agissant du rapport entre les ressources fiscales et l'emprunt, nous avons décidé que sur 100 euros d'investissements, 30 seront financés par l'emprunt et 70 par l'autofinancement, même si nous dérogerons légèrement à cette règle dans les prochaines années, parce que nous sommes, hélas, en première ligne pour le financement du TGV.

Je vous prie de m'excuser de devoir vous quitter.

Mme Claude DARCIAUX : Le président Adrien Zeller a récemment reconnu, dans un entretien accordé à la revue L'Hémicycle, que certaines régions étaient sous-imposées. Il citait en particulier la Bourgogne. Il soulignait également que la région ne remplacerait pas l'État dans tous les secteurs où celui-ci se désengagerait. Les régions n'ont pas toutes la même histoire fiscale. Certaines, dont la Bourgogne, ont des bases très faibles. D'autres, telles que le Limousin, ont des bases plus élevées. Elles peuvent donc limiter leur hausse.

Monsieur le Président du conseil régional de Bourgogne, pourriez-vous nous éclairer sur les augmentations des taux, non pas exprimées en pourcentage mais en termes absolus, comme le Rapporteur lui-même le rappelait ? Pourriez-vous les rapprocher de l'augmentation des taux décidée par le conseil général de la Côte-d'Or pour la taxe d'habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties, qui sera équivalente, en valeur absolue, à l'augmentation décidée par la région ?

D'autre part, il faut savoir que, dans le département de la Côte-d'Or, les frais liés au recouvrement de l'impôt équivalent au double de la fiscalité prélevée par la région pour un foyer fiscal.

M. le Rapporteur : Ces frais augmentent-ils au même rythme ? !

Mme Claude DARCIAUX : Dans un article récent de La Gazette des communes, M. Jacques Blanc, auteur reconnu en matière de fiscalité locale, a parlé de « l'impôt Le Pen » à propos de la fiscalité régionale. Or, votre région était auparavant cogérée avec l'extrême-droite. Pourriez-vous nous parler de la politique de votre prédécesseur, qui vous oblige aujourd'hui à augmenter votre fiscalité pour rejoindre les niveaux moyens de recettes permettant d'honorer vos engagements, notamment en matière d'équipements lourds comme le TGV ?

Enfin, un député de la région vous a interpellé en disant que votre région vivait au-dessus de ses moyens. Que pensez-vous d'un tel jugement ?

M. le Rapporteur : J'ajouterai une question complémentaire. Sur le site Internet de la région Bourgogne, il est dit que le budget prévisionnel 2005 affiche un besoin de financement de 85,2 millions d'euros. Pouvez-vous, M. le Président du conseil régional de Bourgogne, décomposer cette somme ?

M. François PATRIAT : Les différences entre les taux d'augmentation décidés par les régions tiennent à leur histoire et à l'état de leur fiscalité.

La Bourgogne, du fait de huit années de gestion par la droite et l'extrême-droite caractérisées par un blocage des impôts, a une autonomie fiscale de 28 %, pour une moyenne de 35 % dans l'ensemble des régions. Un point d'impôt correspond à 700 000 euros en Bourgogne, contre 1,5 million d'euros dans d'autres régions, d'où les écarts en pourcentage, mais avec une même augmentation en valeur réelle de 9 euros par habitant.

En deuxième lieu, et depuis cinq ans maintenant, la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle et de la part régionale de la taxe d'habitation a été compensée sur une base très défavorable en Bourgogne. Ce n'est pas moi qui le dis, mais mon prédécesseur, qui indiquait dans son rapport d'orientation budgétaire pour 2003 que « le rendement de l'impôt perçu en Bourgogne est plus faible qu'ailleurs en valeur relative » et que « les compensations par l'État des suppressions de taxes directes sont calculées sur des données défavorables ». Le taux moyen national de taxe professionnelle est de 3 %, en Bourgogne il est de 1,6 %. Le manque à gagner depuis 2002 est donc de 10 millions d'euros pour la taxe professionnelle, et de 5 millions d'euros pour la taxe d'habitation. Cette perte de recettes est appelée à se perpétuer. M. Jean-Pierre Soisson, Vice-président de votre Commission, ne pourrait pas contester ces chiffres, et je regrette qu'il ne soit pas là.

Dans le même temps, comme en Languedoc-Roussillon, la majorité précédente a engagé des dépenses de façon vertigineuse, sans les financer. Un audit indépendant, dont les résultats nous ont été communiqués en octobre dernier, estime à 769 millions d'euros le stock non financé d'autorisations de programme en 2004, alors que les crédits de paiement prévus au budget prévisionnel 2004 étaient de 395 millions. Il nous faut donc trouver 374 millions d'euros sur les budgets qui viennent pour financer les engagements précédents.

L'effort propre de la région sur ses compétences obligatoires s'établira en 2005 à 98 millions d'euros, contre 52 millions en 2004, et ce alors même que la Bourgogne n'a malheureusement pas de lycée à construire. Cela concerne des dépenses urgentes, des réparations immédiates.

Nous avons des motifs d'inquiétude qui se traduisent en chiffres. La formation du personnel sanitaire et social a un coût, que les sommes versées par l'État ne suffisent pas à couvrir. Il manque déjà 3 millions d'euros. Le transfert de l'inventaire du patrimoine culturel est également coûteux. Les personnels concernés n'ont pas de locaux, les crédits de fonctionnement ne nous sont pas transférés.

Mon prédécesseur a engagé une participation de la Bourgogne en 2006 au financement des travaux du TGV Rhin-Rhône estimée, au bas mot, à 167 millions d'euros, pour lesquels aucune recette n'est prévue.

Vous voyez, M. le Rapporteur, que nous avons à faire face à plus que des « inquiétudes ». Et nous ne disposons pour cela d'aucune « cagnotte fiscale », puisque l'audit que nous avons commandé fait apparaître qu'une augmentation de notre fiscalité correspondant à la moyenne des régions nous permettra seulement d'honorer nos dettes.

La politique de basse fiscalité de nos prédécesseurs était censée être attractive. En 2004, notre région avait en effet de quoi attirer l'attention puisqu'elle était : vingt-et-unième sur vingt-deux pour les crédits consacrés aux transports ; vingt-et-unième sur vingt-deux pour les crédits consacrés aux jeunes ; vingt-et-unième sur vingt-deux pour les crédits consacrés à l'environnement ; vingtième sur vingt-deux pour les crédits consacrés à la culture ; vingtième sur vingt-deux pour les crédits consacrés à la formation professionnelle continue et à l'apprentissage ; et, bien entendu, vingt-et-unième sur vingt-deux pour la mobilisation de son potentiel fiscal. Ce que mon prédécesseur appelait « la Bourgogne du grand large » est donc une Bourgogne larguée. Nous assumons cet héritage du passé, tout en préparant l'avenir, comme doivent le faire toutes les régions, y compris l'Alsace, dont M. Adrien Zeller a oublié de rappeler qu'elle avait régulièrement augmenté les impôts depuis 1992. La hausse fiscale que nous proposons aujourd'hui est, en euros par habitant, de moitié inférieure à celle que M. Adrien Zeller a appliquée au cours des douze dernières années.

M. Alain ROUSSET : Je voudrais souligner que ce que nous demande l'État pour les grandes infrastructures correspondra, par rapport aux budgets régionaux et à la fiscalité régionale, à des sommes colossales dans les dix années qui viennent. Je pense aux TGV mais aussi aux autoroutes, pour la construction desquelles les régions doivent aussi assumer une partie des coûts.

D'autre part, si notre collègue Adrien Zeller n'avait pas été dans l'obligation de nous quitter, j'aurais pu lui rappeler que le coût moyen par habitant des frais de personnel est de 9,57 euros en Alsace, contre 8,13 euros en Aquitaine.

Mme Arlette GROSSKOST : Mes questions s'adressent à M. François Patriat. Quelle est l'augmentation de vos effectifs, et plus particulièrement ceux de vos cadres ? À quoi correspond-elle exactement ? À quoi tient l'augmentation de vos frais de fonctionnement ? Vous augmentez les crédits de paiement correspondant aux engagements votés antérieurement. Pourquoi ? Dans le cadre du programme TER, les nouveaux matériels ont été programmés sur plusieurs années. Maintenez-vous le rythme d'achat qui avait été prévu ? L'augmentation de la fiscalité correspond-elle à du matériel que vous souhaitez racheter dans les prochains temps ? Enfin, vous avez délibérément opté pour les emplois-tremplins. N'y aura-t-il pas incompatibilité avec tous les nouveaux contrats aidés que propose le Gouvernement en application de la loi sur la cohésion sociale ?

M. François PATRIAT : Nous avons proposé 2 000 emplois-tremplins, soit 400 par an pendant cinq ans, 100 par département. Alors que le dispositif est en place depuis cinq mois, nous avons déjà 3 000 demandes. Le coût prévu pour 2005 est de 2,2 millions d'euros. Nous avons également mis en place 2 000 parcours pour l'emploi avec les crédits de la formation professionnelle. La Fédération du bâtiment a déjà signé un contrat de 400 parcours pour l'emploi. Il n'y a aucune objection à ce que les mesures décidées par l'État accompagnent notre dispositif. La Bourgogne cumule deux handicaps : elle a moins de jeunes que les autres régions et son taux de chômage des jeunes est supérieur à la moyenne. Nous répondons aujourd'hui à une vraie demande sociétale.

M. le Rapporteur : On a l'impression d'une certaine précipitation à suivre les politiques de l'État. Y a-t-il des politiques de l'État que vous ne voulez pas suivre ?

M. François PATRIAT : Nous avons négocié avec les quatre départements de la région. Trois ont suivi intégralement le dispositif, un seul l'a appliqué de façon minimale en copiant celui de l'État. Nous avons signé les premiers emplois tremplins en novembre 2004. M. Jean-Louis Borloo vient signer aujourd'hui les premiers contrats d'avenir à Dijon. C'est donc plutôt l'État qui suit notre exemple, puisque nous avons signé avant lui, et dans de meilleures conditions, avec une vraie formation (1 250 heures payées à 7 euros de l'heure) aboutissant à des emplois pérennisés.

S'agissant des TER, les commandes de la région s'élevaient à 93 millions d'euros, dont 5 % ont été payés à la commande et 20 millions l'ont été la deuxième année. Il reste aujourd'hui 43 millions à payer, pour lesquels aucun financement n'a été prévu. Nous allons donc assumer. Cela fait partie des 85,2 millions dont parlait tout à l'heure M. le Rapporteur. Nous avons décalé de trois mois l'acquisition de trains, de la fin de 2005 au début de 2006. Mais inversement, nous relançons une deuxième commande. C'est en 2009 qu'interviendra la fin des livraisons, lesquelles seront plus abondantes que prévu.

S'agissant des crédits de fonctionnement, ils représentaient 5,5 % du budget sous mon prédécesseur, et 4,5 % aujourd'hui. Quant à l'emploi des cadres, ceux-ci sont moins nombreux au cabinet que sous mon prédécesseur. Moins de dix ont été recrutés dans l'administration.

M. le Président : Quelqu'un veut-il poser une question à M. Jean-Paul Huchon, qui va bientôt devoir nous quitter ?

M. Louis GISCARD d'ESTAING : M. Alain Rousset a parlé du désengagement de l'État en nous disant qu'il constituait une inquiétude pour aujourd'hui et pour demain. Les présidents Huchon, Rousset et Vauzelle occupaient déjà la fonction qu'ils occupent aujourd'hui au moment de la négociation des contrats de plan État-régions 2000-2006, sous une autre majorité parlementaire. Ce qu'ils appellent le « désengagement » de l'État ne peut-il pas être daté de l'année 2000, puisque le septième théorique, 14,3 %, n'a été respecté ni en 2000 (10,9 %), ni en 2001 (12,4 %) ? Le retard accumulé a été de l'ordre de 5 %, sans contrepartie inscrite au budget de l'État, puisqu'il n'y a aucun mécanisme de report des crédits non consommés.

D'autre part, M. Jean-Paul Huchon, considérez-vous que l'État s'est désengagé, ou n'a pas respecté sa parole sur le volet ferroviaire du contrat de plan en Île-de-France ? Le taux de délégation des crédits sur les infrastructures de transports en commun n'était que de 32 %, en cumul, à la fin de 2003 alors qu'il aurait dû être de 57,1 %. Pensez-vous que c'est normal ? Y a-t-il ou non respect de la parole de l'État pendant cette période ? M. Christian Bourquin devrait, quant à lui, s'adresser à M. Jean-Claude Gayssot, qui était ministre des Transports à l'époque de la négociation.

M. Jean-Paul HUCHON : Le contrat de plan est une mécanique qui n'est pas très compliquée. En matière de transports, la région paie 70 % des dépenses et l'État 30 %. Le problème est que la région paie effectivement sa part, alors que la contribution de l'État est inférieure de plus des deux tiers à ce qu'elle devrait être. Elle se situe à moins de la moitié en matière routière, alors que l'État a trouvé des crédits supplémentaires pour d'autres régions.

La première année d'un contrat de plan, on utilise des crédits d'études. On ne fait donc pas beaucoup de dépenses. Or, le désengagement de l'État est devenu massif en 2002 et 2003. Nous avons, en Île-de-France, douze projets de tramway, qui devaient tous être soumis à l'examen du Syndicat des transports d'Île-de-France en 2005. Ils sont totalement « plantés », parce que l'État n'apporte pas ses 30 % de financement. Il n'est même pas capable, lorsque des études supplémentaires sont nécessaires, d'avancer le montant des crédits d'études, ce qu'il a demandé à la région de faire, ce que j'ai fait, avec beaucoup de bonne volonté. Pour le canal Seine-Nord, M. Gilles de Robien m'a demandé d'avancer 2 millions d'euros de crédits d'études et je l'ai fait. Pour le tramway Sarcelles-Val-d'Oise, il m'a demandé d'avancer 10 millions d'euros de crédits d'études et je l'ai fait.

M. le Rapporteur : Pourquoi dites-vous toujours oui ? !

M. Jean-Paul HUCHON : J'ai écrit à M. Jean-Pierre Raffarin pour lui dire que l'État étant dans l'incapacité de prendre ses responsabilités, j'étais prêt à avancer ces sommes, que l'État me rembourserait. Pas de réponse. Je lui ai écrit une deuxième fois pour lui répéter que j'y étais prêt, en lui disant que le contrat de plan était un engagement réciproque et que je croyais encore à la parole d'un État républicain. Je lui ai écrit une troisième fois, pour lui dire que j'étais même prêt à avancer ces sommes, sans demander le remboursement. Pas de réponse.

Lorsque le Premier ministre a reçu les présidents de région à Matignon, il nous a dit qu'il s'occuperait immédiatement des projets en panne. Plus de huit mois après, nous attendons toujours. Le « plantage » de tous les projets, ferroviaires et routiers, date bien de 2003.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Dois-je en conclure, M. le président Jean-Paul Huchon, que le non-respect de la parole de l'État en 2000, 2001 et 2002 n'est pas imputable aux responsables de l'époque ?

M. le Président : Mes chers collègues, il ne faut pas falsifier les chiffres. J'ai rendu il y a quelques mois un rapport montrant que les crédits de l'État affectés aux contrats de plan n'ont pas atteint, en 2002 et 2003, le niveau de 2001.

M. Jean-Paul HUCHON : S'agissant des premières années d'exécution des contrats de plan, celles qui sont consacrées aux études, il y a toujours eu un retard, dans tous les contrats de plan. C'est d'ailleurs pourquoi on a été amené à allonger d'un an la durée des contrats de plan, qui est maintenant de sept ans. Je connais très bien cette mécanique, qui remonte au temps où j'étais au cabinet de M. Michel Rocard. Sur le projet du tramway de Sarcelles, qui représente environ 90 millions d'euros, les crédits d'études s'élèvent à moins de 10 millions. Mais c'est quand il faut financer les travaux eux-mêmes que l'on entre véritablement dans le vif du sujet. Or c'est à ce stade, en 2003, que les crédits se sont révélés insuffisants. Je n'y peux rien, je ne peux que le constater.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Je précise ma question, M. le président Huchon, M. le président Vauzelle, M. le président Rousset. Considérez-vous qu'il y a eu non-respect de la parole de l'État dans les premières années des contrats de plan actuellement en cours, en 2000, 2001 et 2002 ? Vous avez vous-même négocié ces contrats de plan à l'époque.

M. Jean-Paul HUCHON : Les contrats de plan ont été signés à la fin de 2000.

M. Alain ROUSSET : J'ai vécu plusieurs contrats de plan. La parole de l'État a toujours été respectée, sauf sous le Gouvernement actuel. Je défie quelque parlementaire que ce soit de me montrer le contraire. Les contrats de plan ont été étalés d'un an ou deux, mais ils n'ont jamais été suspendus par le passé, comme aujourd'hui.

En Aquitaine, aucun des travaux prévus dans le contrat de plan n'est actuellement en cours de réalisation. Pour la remise à niveau de la passerelle Saint-Jean qui mène à la gare de Bordeaux, il a fallu prévoir des études de franchissement, inscrites en 1998 comme avenant au contrat de plan précédent. Mais il n'y avait pas d'arrêt des travaux. Aujourd'hui, à part les dossiers de l'État, le pont d'Aquitaine, tout est arrêté. Sur la liaison Bordeaux-Pau, la déviation d'Aire-sur-l'Adour a fait l'objet d'un appel d'offres, il y a plus d'un an. Malgré une offre extrêmement intéressante, inférieure à 10 millions d'euros, l'État n'a pas pu engager les travaux. Le contrat avec l'entreprise risque aujourd'hui de n'être plus valable. Dans le secteur des fruits et légumes, qui traverse une crise aujourd'hui, nous en sommes à moins 6 millions d'euros. L'ensemble des chantiers subissent des coupes sombres qu'on n'a jamais connues.

La question de l'avance des crédits FEDER a été posée tout à l'heure. La région Aquitaine a été sollicitée pour faire l'avance d'une partie de ces crédits en même temps que l'État. l'État n'a pas pu financer seul les opérations importantes.

Le contrat d'agglomération de l'agglomération bordelaise a été signé par M. Alain Juppé. Sur le tramway, sur le foncier, les engagements de l'État, portant sur plusieurs dizaines de millions d'euros, ne sont pas honorés. Sur les pôles d'échange intermodaux, il n'y a pas un centime de l'État. Cela ne s'était jamais vu. J'avais pourtant tiré la sonnette d'alarme il y a un an et demi, lorsque j'avais répondu, en tant que président de l'ARF, à l'invitation de la Délégation à l'aménagement du territoire de votre Assemblée. L'ensemble des grands chantiers d'infrastructures sont quasiment arrêtés. Pire, aucun des engagements de l'État, notamment ceux relatifs au développement économique et social et à la modernisation industrielle de notre pays, n'est honoré. En ce qui concerne la recherche et l'université, l'État ne participe pas aux tours de table sur le surcoût des opérations. Cela ne s'est jamais vu. Menez une enquête, en faisant le tour des régions. Il faut bien dire que l'État est impécunieux. Nous préférerions inaugurer les projets aujourd'hui, compte tenu par exemple du délabrement du parc locatif étudiant, plutôt que de devoir mettre les problèmes en évidence. Tel n'est absolument pas notre intérêt.

M. le Rapporteur nous a demandé pourquoi nous nous substituons à l'État. La réponse à cette question est évidente : les régions, les départements et les communes ne peuvent pas laisser se dégrader à ce point le patrimoine public et le service public. Et c'est la situation de la France aujourd'hui.

M. Michel VAUZELLE : C'est un honneur que la représentation nationale se penche ainsi sur les modestes problèmes des élus locaux. La réponse à la question posée par M. Louis Giscard d'Estaing est très claire : la responsabilité du Gouvernement actuel est pleine et entière.

M. le Rapporteur : Tous ces programmes ne sont pas sortis en l'espace de deux ou trois ans ?

M. le Président : Nous demanderons à la direction des routes et à RFF quel a été l'avancement des travaux en 2000, en 2001, en 2002, en 2003, et nous verrons qui a raison.

M. le Rapporteur : On peut envisager l'hypothèse de la surprogrammation, M. le Président !

M. le Président : Nous vérifierons tout cela. Pour le moment, seul M. Michel Vauzelle a la parole.

M. Michel VAUZELLE : Si je peux en effet placer une parole, avec votre permission, M. le Président, la responsabilité du Gouvernement actuel, disais-je, est totale. On peut le vérifier en lisant le compte rendu d'une réunion à laquelle assistaient MM. Christian Estrosi et Bernard Deflesselles, membres de la majorité parlementaire et de l'opposition régionale. Ils avaient dit leur satisfaction quant à l'exécution du contrat de plan jusqu'en 2002 : la région Provence-Alpes-Côte d'Azur avait eu le meilleur taux d'engagement de France, avec 39,8 %. À partir de 2002, les novices que nous sommes ont entendu parler pour la première fois de « gel républicain ». Le Gouvernement Raffarin a donc gelé, de manière « républicaine », les crédits inscrits au contrat de plan.

M. le Rapporteur : Le gel républicain, on le doit au gouvernement de M. Lionel Jospin. C'est un fait technique, M. le Président !

M. Michel VAUZELLE : Quoi qu'il en soit, il a été appliqué en 2002 par le Gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, ce qui répond à la question de M. Louis Giscard d'Estaing.

M. le Président : Le gel républicain a été décidé à trois mois des élections de 2002, et précisément en raison de ces élections. En 2003, il n'y avait pas d'élections.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Ma question portait sur les retards d'exécution à la fin de 2002 ou fin 2001.

M. Michel VAUZELLE : Si M. le Rapporteur veut constamment m'interrompre, je prendrai acte de ce qu'il est difficile de parler devant votre Commission. Je me demande d'ailleurs, en tant qu'ancien Garde des Sceaux, non pas si votre Commission d'enquête est constitutionnelle, car elle l'est, sans aucun doute possible, mais si l'on ne pourrait pas s'interroger sur la qualification des propos tenus par M. le Rapporteur dans Les Échos de ce matin, où il a préjugé de ce que les présidents de régions allaient dire. Nous avons l'impression d'avoir affaire, non pas à un inquisiteur, mais à un avocat général, qui dit vouloir « éviter que l'explosion de la fiscalité régionale ne contamine d'autres niveaux de collectivités ». C'est à croire que nous avons le SIDA. Il porte également des jugements, non pas sur la bonne gestion des finances publiques, mais sur des choix politiques qui sont ceux des citoyens, qui nous ont élus au suffrage universel direct. Nous appliquons la volonté du peuple dans nos régions. J'entends bien qu'une région est bien peu de chose par rapport à la Nation, et que le Président d'un conseil régional est bien peu de chose par rapport à un représentant de la Nation. Il reste que de telles attaques sont étonnantes, comme il est étonnant de s'entendre dire que développer le service public mis à mal par le Gouvernement de la République est un choix politique, que c'est notre affaire, que nous n'avons qu'à l'assumer, bref, que nous n'avons qu'à nous débrouiller. Nous avons une autre idée de la société républicaine et du service public.

Pour en revenir à la question de M. Louis Giscard d'Estaing, la responsabilité du Gouvernement actuel, je le répète, est totale. En effet, à partir de 2002, non seulement l'application du contrat de plan a souffert de gels, d'arrêts et d'annulations, mais une région comme la mienne, qui souffre d'un enclavement entre la mer, les Alpes et la vallée du Rhône, a dû attendre la nouvelle loi électorale qui a permis de dégager des majorités régionales claires - et j'en rends grâce au Gouvernement, car je ne suis plus soumis à la pression constante de l'alliance entre le Front National, le RPR et l'UDF - pour faire son devoir et assumer des responsabilités que l'État se refuse à prendre en charge. Le retard d'exécution des crédits de l'État est de 83 millions d'euros en crédits de paiement et de 100 millions d'euros en autorisations de programme.

La région a avancé les fonds de concours à l'État, pour 34,5 millions d'euros en ce qui concerne les routes, pour 10 millions d'euros en ce qui concerne l'université et la recherche.

S'agissant des compétences, il est surréaliste d'entendre des parlementaires de la majorité suggérer que nous dépassons les nôtres, alors que les préfets de région, qui représentent le Gouvernement que la majorité soutient, vont nous demander combien nous allons verser pour le projet ITER, que le Président de la République a victorieusement défendu au Japon, pour la LGV vers Nice, pour nos autoroutes ou pour les travaux sur le Rhône. Et puisque j'évoque le Rhône, je constate que l'État entretient une fort intéressante complicité avec la CNR, tandis que la région que je préside a le double bonheur de recevoir les eaux de la Saône et du Rhône et de payer la construction des digues.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Je n'ai pas eu de réponse sur la période 2000-2001. Les responsables de l'époque ont-ils une responsabilité dans la non-exécution relative des contrats de plan État-région ?

M. Michel VAUZELLE : Il n'y a eu aucune responsabilité du Gouvernement de l'époque. Je vous enverrai, si le préfet de région, qui répond aux ordres du Gouvernement, le veut bien, le compte rendu de la réunion qui s'est tenue le 6 février 2003 et au cours de laquelle MM. Christian Estrosi et Bernard Deflesselles se sont félicités de ce que le gouvernement de M. Lionel Jospin avait bien rempli ses engagements par rapport à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Depuis 2002, l'État ne respecte pas sa signature. Quand l'État lui-même donne le mauvais exemple, il ne faut pas s'étonner que les citoyens désespèrent de la démocratie.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Sur le volet ferroviaire, on ne m'a toujours pas répondu.

M. le Président : Vous aurez l'occasion de poser une autre question tout à l'heure. La parole est à M. Richard Mallié.

M. Richard MALLIÉ : J'espère que le président Michel Vauzelle sera moins agressif, même s'il est courtois, en répondant à ma question.

À la page 6 du rapport de présentation de son projet de budget pour 2005, je lis : « Il est cependant nécessaire d'augmenter la fiscalité locale, directe et indirecte, de 30 % pour faire face aux transferts de charges imposés par l'État ». La taxe sur le foncier bâti augmente ainsi de 30,4 %, la taxe sur le foncier non bâti de 30,16 %, et la taxe professionnelle de 30,4 %. Un peu plus loin, à la page 7 du même rapport, cette affirmation est précisée par la phrase suivante : « Le recours à la fiscalité locale est donc obligatoire pour faire face aux charges nouvelles. » Cela se traduit, en chiffres, par une augmentation de 40 millions d'euros des taxes directes, et de 72 millions d'euros des taxes indirectes, soit 112 millions d'impôts supplémentaires. Notons au passage qu'entre 1998 et 2004, la région a augmenté de 418 le nombre de ses agents, sans transferts de compétences, et que depuis mars 2004, nous en sommes déjà à une augmentation de 182, soit 45 % de l'augmentation des six années précédentes, et toujours sans transferts de compétences.

La décision modificative n°1 votée par l'assemblée plénière du 18 mars 2005 précise les dépenses relatives à ces transferts. Pour l'année 2005, elles devraient s'élever à 23 millions d'euros, intégralement compensés par l'État, comme le précise une annexe de la circulaire de la Direction générale des collectivités territoriales du 11 février 2005. Sur le site Internet du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur, je lis, ou du moins je lisais le 25 mars dernier : « D'ores et déjà, un montant de 6,724 millions d'euros a été adopté lors du vote du budget du 21 janvier 2005 concernant le transfert des compétences ».

Compte tenu de vos choix politiques, comment allez-vous employer ces 112 millions d'euros de recettes fiscales supplémentaires que vous allez demander au contribuable de Provence-Alpes-Côte d'Azur ?

M. Michel VAUZELLE : Le budget que nous avons présenté tient compte des contraintes nées du désengagement de l'État sur des points importants, notamment en ce qui concerne l'exécution du contrat de plan. L'arrêt par l'État du financement de la formation des chômeurs de longue durée nécessite également que nous prenions une décision budgétaire. Le transfert financier portant sur le personnel sanitaire et social des établissements scolaires donne lieu à un écart très important entre les évaluations des services de l'État et les nôtres. Une bonne gestion des affaires de la région imposait les décisions que nous avons prises pour faire face à une année 2005 pleine d'incertitudes. J'ai ainsi été obligé d'amender moi-même mon propre budget, apprenant dans le courant du mois de janvier, qu'on nous transférait le financement des établissements de formations des personnels paramédicaux. Il s'agit donc de bien gérer une région avec une certaine précision car « gouverner, c'est prévoir » comme disait quelqu'un.

J'ajoute que d'aucuns émettent l'hypothèse selon laquelle certains membres de l'actuelle majorité nationale pourraient souhaiter tendre un piège politique, pour faire en sorte que l'impôt régional augmente dans l'année précédant les élections de 2007. Ils pourraient ainsi dire aux électeurs : pourquoi voteriez-vous pour la gauche, qui a si mal géré les régions qu'elle gouvernait ? Cet argument sera sans doute développé dans un an. Nous avons préféré faire preuve de prudence dans l'élaboration de notre budget, et je pense que nos concitoyens en seront satisfaits.

Gouverner, c'est prévoir : de ce point de vue, l'augmentation fiscale que nous avons votée est donc bien l'« impôt Raffarin ». Que cet impôt soit en partie destiné à financer une politique volontariste, je ne le nie pas : nous défendons au niveau des régions ce que l'État ne défend plus au niveau de la République, à savoir l'égalité des citoyens à travers le service public, qu'il s'agisse de l'Éducation nationale ou des transports ferroviaires. Nous nous devons d'être soucieux de respecter les choix politiques qui ont été faits de manière claire par les citoyens de notre région. C'est pourquoi je n'ai pas honte d'avoir créé 230 emplois visant à assurer la sécurité dans les gares et dans les trains. En la matière, la politique de M. Nicolas Sarkozy s'est soldée par un échec complet dans notre région. Personne n'osait plus prendre le train. Le sentiment d'insécurité que ressentaient les usagers, dont je sais qu'ils sont plutôt à vos yeux des clients, a certainement disparu puisque le nombre de voyageurs a augmenté de 50 % dans les TER de notre région.

L'augmentation des effectifs correspond également à la création d'antennes départementales dans un souci de démocratie et de proximité, afin que les maires des petites communes, les habitants et les associations de notre région ne soient pas obligés de cheminer difficultueusement depuis Briançon, Gap ou Menton jusqu'à Marseille pour apporter leurs dossiers. La création de ces antennes s'inspire d'ailleurs de l'exemple donné par l'État, par les conseils généraux, par les mairies elles-mêmes, à travers les mairies annexes. Avec des établissements de proximité, la région est plus proche, plus visible, plus lisible et plus transparente.

M. Marc FRANCINA : Ma question s'adresse à M. le Président Alain Rousset. Certaines régions, sans doute plus expertes en communication que d'autres, ont faiblement augmenté leurs impôts directs mais ont décidé de très fortes augmentations de leurs impôts indirects, pouvant aller jusqu'à plus de 50 % sur la carte grise. Le président de la région Centre, par exemple, a procédé ainsi. Un impôt de ce type est moins visible que d'autres. Personne ne prête attention au prix de la carte grise au moment où il paie sa voiture.

Ne pensez-vous pas qu'il serait bon, vis-à-vis de la population, de faire apparaître, avec plus de franchise, l'augmentation des impôts indirects aussi clairement que celle des impôts directs ?

M. Alain ROUSSET : Cette question nous concerne tous, et elle vous concerne, Mmes et MM. les députés, en tant que législateurs.

Nous ne nous satisfaisons pas de notre fiscalité, ni du point de vue de la justice, ni du point de vue de sa dynamique. Je voudrais, au-delà du débat politique que nous pouvons avoir ici, que chacun prenne conscience que l'état des ressources des régions montre que la France est le pays d'Europe où les régions sont le moins bien considérées, même si l'ancien président de région qu'est l'actuel Premier ministre aurait pu vouloir changer les choses. Cela prouve à quel point l'État respecte la région. Cette remarque ne vise pas particulièrement le Gouvernement actuel, je critique aussi les gouvernements précédents. Les ressources des régions sont, en France, bâtardes, peu efficaces et injustes, compte tenu de leurs compétences. Qu'a proposé la « commission Fouquet » à cet égard ? Rien, si ce n'est la suppression de la part régionale de la taxe professionnelle, mesure stupide et gravissime pour les régions.

Mais nous sommes parfois contraints à faire du bricolage pour assumer les compétences qui sont les nôtres. Cela concerne l'intérêt général et dépasse nos divergences politiques. Je n'ai pas augmenté la fiscalité indirecte pour la région Aquitaine, car mon prédécesseur l'avait déjà portée au niveau le plus élevé de France. Je peux attester que les régions sont quasiment seules pour aider les PME à lutter contre les délocalisations. Dans ma région, le nombre des dossiers traités par l'État a diminué de 70 %, et ses crédits ont baissé de 30 %. Par exemple, Airbus demande aux PME sous-traitantes de prendre en charge le risk sharing, c'est-à-dire le risque commercial, mais aussi le risque technologique. Le gouvernement de Bavière est capable d'apporter à une PME dix fois plus que nos régions sont capables d'apporter. En l'absence de crédits européens, quand l'État se retire, il met en cause l'emploi. Ce n'est pas acceptable.

Mon collègue Martin Malvy et moi-même nous sommes rendus à Hambourg. Le président du Land - qui compte 1,5 million d'habitants, contre 6 millions dans l'ensemble Aquitaine-Midi-Pyrénées - va consacrer 80 millions d'euros par an à l'aide à l'innovation de ses PME. Nos deux régions ensemble ne sont pas capables de consentir la moitié de cet effort. Que font les régions françaises en matière de recherche et de transferts de technologies ? Selon une étude de l'Institut de la décentralisation, par rapport aux régions américaines, l'échelle est de un à sept. On ne peut pas demander aux régions d'abandonner les efforts déjà insuffisants qu'elles font pour soutenir leurs entreprises. Car l'une des forces des régions est la proximité. Elles peuvent, si elles en ont les moyens, instaurer une politique industrielle régionale, à l'échelle des PME.

Je souhaite que votre Commission d'enquête demande à chaque préfet de région de dresser un état précis des crédits d'État qu'il a eu à signer pour chacune des entreprises de sa région, depuis trois ou quatre ans. Cette Commission d'enquête, M. le Président, M. le Rapporteur, n'aurait pas de sens si elle ne demandait pas à l'État ce qu'il a payé et ce qu'il n'a pas payé dans le cadre des compétences qu'il partage avec les régions.

M. le Rapporteur : Nous avons aussi prévu de convoquer les services de l'État.

M. le Président : Mes chers collègues, l'un de vous a-t-il une question à poser à Mme Ségolène Royal ?

M. Richard MALLIÉ : J'aurais souhaité poser deux autres questions à M. Michel Vauzelle.

M. le Président : Il m'a fait passer un mot d'excuse expliquant pourquoi il était dans l'obligation de nous quitter.

M. Richard MALLIÉ : Vous n'avez pas annoncé qu'il devait nous quitter. J'avais deux questions à lui poser.

M. Alain ROUSSET : M. le Président, je les prends et je m'engage à vous faire passer la réponse.

M. le Rapporteur : Nos collègues sont libres de choisir la personne à laquelle ils posent leurs questions. À partir de là, les questions ne se prennent pas au petit bonheur la chance.

M. le Président : M. Richard Mallié était libre de poser une question à M. Michel Vauzelle, il l'a fait. Je vous signale que M. Pascal Terrasse, qui a posé une question à M. Jean-Paul Huchon, a souhaité en poser une autre et que je ne lui ai pas donné la parole.

L'un de vous a-t-il une question à poser à Mme Ségolène Royal ?... La parole est à M. Pierre Bourguignon.

M. Richard MALLIÉ : Je voudrais faire une mise au point, M. le Président.

M. le Président : Faites-la.

M. Richard MALLIÉ : J'ai annoncé que j'avais d'autres questions à poser à M. Michel Vauzelle. Je constate qu'il nous a quittés sans que vous ayez informé notre Commission d'enquête de l'imminence de son départ. M. Alain Rousset se propose très aimablement de répondre aux questions qui ne lui sont pas adressées, mais je rappelle que nous sommes ici dans une Commission d'enquête, que nos invités parlent sous serment, et qu'il n'est pas question qu'ils répondent plus tard aux questions que nous avons à leur poser aujourd'hui.

Je comptais poser deux autres questions à M. Michel Vauzelle. Je constate que l'on ne souhaite pas que je les pose. Je vous souhaite une bonne soirée.

M. le Président : M. Richard Mallié, si vous le souhaitez, je convoquerai à nouveau M. Michel Vauzelle. J'en convoquerai d'autres aussi.

M. Pierre BOURGUIGNON : Cet après-midi même, au cours des questions au Gouvernement, a été évoquée la hausse des taux d'imposition décidée par la région Poitou-Charentes lorsqu'elle était présidée par un autre que vous, Mme Ségolène Royal. Quelle était la situation au moment où vous avez été élue à la présidence du conseil régional ? Quels moyens avez-vous dû utiliser pour faire face aux contraintes qu'elle imposait ? Il me semble important que nous puissions nous rendre compte de ce qu'il est possible de faire, vu les projets du Gouvernement, notamment en ce qui concerne la taxe professionnelle.

Mme Ségolène ROYAL : Merci de me donner l'occasion de m'exprimer. Je voudrais tout d'abord souligner que la création de votre Commission d'enquête a été une bonne initiative. Durant les débats préparatoires à la loi du 13 août 2004, le Gouvernement a refusé de participer à l'audit que l'ARF demandait. Nous attendons donc beaucoup de cette Commission d'enquête. Encore faut-il que nous ayons la garantie que son Rapporteur soit totalement impartial. La question se pose cependant, comme l'a expliqué M. Michel Vauzelle. En seize ans de vie parlementaire, je n'ai jamais vu le rapporteur d'une commission d'enquête livrer ses impressions, pour ne pas dire ses conclusions, dans la presse.

M. le Rapporteur: Il n'y a rien, dans l'entretien que j'ai accordé aux Échos, qui ressemble à des conclusions. Il y a des éléments d'étape concernant des réunions parfaitement publiques de notre Commission d'enquête.

Mme Ségolène ROYAL : M. le Rapporteur, j'ai la parole, et la règle veut que les personnes auditionnées par une commission d'enquête ne soient pas interrompues. Il me semble important pour tout le monde, majorité comme opposition, que le rapport de cette commission d'enquête puisse être considéré par tous comme un rapport objectif. Si tel ne devait pas être le cas, nous serions en droit de récuser les conclusions du Rapporteur, compte tenu des initiatives publiques que vous prenez.

Tout à l'heure, dans l'hémicycle, le Premier ministre n'a pas dit toute la vérité. Il a fait une réponse un peu emberlificotée, en prétendant que l'augmentation d'impôt évoquée par notre collègue dans sa question était imputable à la majorité précédant celle qui l'avait porté à la présidence du conseil régional de Poitou-Charentes. J'ai immédiatement consulté les archives de la région : la hausse de 100 % de la fiscalité directe en 1989 a été votée le 12 décembre 1988. Le président était à cette époque M. Louis Fruchard, et M. Jean-Pierre Raffarin était vice-président chargé des finances. Il est devenu président de la région quinze jours plus tard. C'est donc lui qui a assumé l'augmentation de la fiscalité directe de 100 %, la fiscalité indirecte augmentant, quant à elle, de 8,7 %. En 1991, M. Jean-Pierre Raffarin étant toujours président de région, l'augmentation de la fiscalité indirecte fut de 5 %. En 1992, l'augmentation de la fiscalité directe fut de 15 %. En 1993, l'augmentation de la fiscalité indirecte fut de 14,29 %. En 1994, l'augmentation de la fiscalité indirecte fut de 8,33 %. En 1996, l'augmentation de la fiscalité indirecte fut de 15,39 %. En 1997, année préélectorale : moins 3 %. En 1998, année électorale : moins 2 %. En 2002, l'augmentation de la fiscalité indirecte fut de 9,31 %.

Ces chiffres nous aideront, je le pense, à rester objectifs et à prendre du recul devant la manipulation des pourcentages, opération à laquelle nous ne nous sommes jamais laissés aller. C'est parce que la droite a lancé une polémique sur les pourcentages que nous avons eu la curiosité de consulter les chiffres des augmentations en pourcentage qu'elle a décidées.

Je veux insister à mon tour sur l'importance de l'étroitesse des bases de la fiscalité régionale. Au moment même où le Gouvernement inscrivait dans la Constitution le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales, il a dû se résoudre à constater que les impôts ne constituent qu'un tiers des ressources des régions. Cela signifie que le conseil régional, élu au suffrage universel direct, et donc habilité à lever, dans le cadre défini par le législateur, les contributions nécessaires au financement des actions régionales, ne dispose en fait que d'une marge de manœuvre très étroite, dépendant pour l'essentiel de transferts octroyés par le Gouvernement, non négociés et indexés sur des indicateurs qui évoluent moins rapidement que les charges des régions. C'est vrai en ce qui concerne la gestion des personnels, les centres de formation des apprentis, ou encore les TER, dont les coûts sont accrus par les décisions gouvernementales relatives aux redevances payées pour chaque train.

Cette situation se traduit par des effets mécaniques qui masquent la réalité des évolutions. C'est cela qu'il faudra que la commission d'enquête mette à jour. Quand un conseil régional augmente la fiscalité de dix euros par habitant, cela revient à des taux d'augmentation qui se situent entre 30 % et 50 %, alors que des taux d'augmentation compris entre 8 % et 15 % correspondent dans certains départements à une contribution par habitant trois fois plus élevée. Par exemple, dans le Loir-et-Cher, une hausse d'imposition de 15 % correspond à 37 euros par habitant. Dans la Marne, une hausse d'imposition de 12,8 % correspond à 30 euros par habitant. Dans le Rhône, une hausse d'imposition de 8 % correspond à 24 euros par habitant. Dans la région Poitou-Charentes, une hausse d'imposition de 12 % correspond à 6 euros par habitant, soit six fois moins que dans le Loir-et-Cher.

Le conseil régional de Poitou-Charentes a fait trois choix. Le premier a été de maintenir, hors transferts de charges, le total des dépenses en 2005 au même niveau qu'en 2004, soit 484 millions d'euros. Cela signifie que toutes les dépenses nouvelles ont été financées par des économies ou des redéploiements.

Le deuxième choix a été de réduire l'appel à l'emprunt. Notre région était très endettée et le dérapage s'accélérait. Fin 1998, le total de l'encours de la dette s'élevait à 89 millions d'euros pour un budget de 261 millions d'euros. Fin 2004, l'encours s'élevait à 256 millions d'euros pour un budget de 484 millions d'euros. Nous avons amorcé une décrue du rythme d'augmentation du coût du remboursement de la dette. Nous avons d'autre part réduit l'appel à l'emprunt en recherchant, par des cessions d'actifs, la mobilisation de fonds dormants. Pour le dire autrement, nous avons raclé les fonds de tiroirs. Nous nous sommes fixé un objectif de 8 millions d'euros pour les seules cessions d'actifs, que nous avons réalisé en partie : vente de la maison de Poitou-Charentes, qui servait essentiellement à la tenue de cocktails partisans (1,3 million d'euros) ; cession de parts dans des sociétés de capital-risque qui ne prenaient plus beaucoup de risques pour les entreprises (2 millions d'euros). Nous avons également diminué le train de vie de la région, pour une dizaine de millions d'euros.

Enfin, le troisième choix a été de financer les transferts de charges décidés par le Gouvernement. L'augmentation de 6 euros par habitant correspond en effet, à l'euro près, à une augmentation des charges due aux transferts en provenance de l'État.

M. le Rapporteur : C'est intéressant, ce que vous nous dites là. Vous êtes la première à nous dire que l'augmentation de vos taux (+ 16 % pour la taxe professionnelle, + 27 % pour la carte grise) correspond aux transferts.

M. Alain GEST : Vous êtes la seule à nous avoir dit cela.

Mme Ségolène ROYAL : Les autres présidents de région ont justifié leurs hausses d'impôts parce qu'ils avaient d'autres problèmes.

M. le Rapporteur : Vos collègues nous ont dit que l'augmentation de la fiscalité régionale était l'effet du désengagement de l'État, et non pas des transferts. Vous, vous nous dites qu'elle est due aux transferts. Votre précision est importante.

M. Alain ROUSSET : Il n'y a là rien de contradictoire, M. le Rapporteur. J'ai tenté d'expliquer tout à l'heure que lorsque l'État se retire de ses compétences partagées, cela constitue à la fois un désengagement de l'État et un transfert de charges vers les régions. Les deux mots sont exactement synonymes.

M. le Rapporteur : Mme Ségolène Royal a parlé de transferts de compétences.

M. Alain ROUSSET : Non, elle a parlé de transferts de charges. Votre audition est sélective.

M. le Rapporteur : Cela doit être l'effet de l'âge. L'important, c'est que Mme Ségolène Royal précise ce point.

Mme Ségolène ROYAL : Il y a des transferts de charges et des transferts de compétences.

M. le Rapporteur : Nous sommes d'accord. Ce sont deux choses différentes.

Mme Ségolène ROYAL : Et d'ailleurs, pour que les choses soient très claires, je vous remettrai une copie de certains de nos documents budgétaires, puisque nous avons inscrit dans un compte annexe au budget des provisions sur ces transferts de compétences, qui vont peser sur la région.

M. le Rapporteur : Elles vont peser...

Mme Ségolène ROYAL : Êtes-vous rapporteur ou êtes-vous polémiste ?

M. le Rapporteur : Je pose des questions pour mieux comprendre.

M. le Président : Permettez-moi de demander à tous les présidents de région ici présents, comme au président de l'ARF, de faire bien apparaître dans leurs réponses écrites à notre questionnaire ce qui relève du désengagement de l'État, par exemple sur les contrats de plan, et ce qui relève des transferts de compétences. Nous tenterons d'exploiter ces renseignements de la manière la plus objective.

Poursuivez, Mme la Présidente.

Mme Ségolène ROYAL : Je vais vous donner des exemples concrets de ces transferts de responsabilité, donc de compétences, donc de charges.

En ce qui concerne la relance de l'apprentissage, dans le cadre du plan Borloo, la loi de finances pour 2005 a prévu un crédit d'impôt pour les entreprises qui embauchent un apprenti. L'objectif est d'augmenter de 8 % par an le nombre des apprentis. Le Conseil constitutionnel, que le groupe socialiste a saisi, a considéré qu'il ne s'agissait pas là d'un transfert juridiquement compensable. Pourtant, les charges du budget régional en sont accrues de 4 à 5 millions d'euros dès la rentrée 2005. J'observe d'ailleurs que les services de l'État, dans le cadre de la préparation des conventions d'objectifs, ont demandé aux régions des engagements pour le 15 avril. Il s'agit donc bien d'une charge réelle, supportée dès 2005 par les régions et non compensée.

La région assume en partie la charge des 558 bourses accordées pour les formations sociales lors des commissions permanentes du 4 février et du 14 mars. La région a également financé toutes les charges liées aux assurances des personnels TOS, puisque, depuis le 1er janvier 2005, la région est juridiquement responsable en cas d'accident dans les établissements scolaires. Cela représente 300 000 euros.

Nous avons inscrit dans un compte annexe au budget toutes les dépenses correspondant à la montée en charge de l'ensemble des transferts. J'ajoute qu'une délibération a été adoptée - et votée par l'opposition régionale UMP -, qui tend à demander à l'État des compensations plus justes. Le conseil économique et social régional, présidé par le MEDEF, a par ailleurs approuvé le budget de la région Poitou-Charentes.

M. le Président, M. le Rapporteur, nous avons tous intérêt collectivement à faire toute la lumière sur cette question. Car si les régions ont vraiment les moyens d'exercer leurs responsabilités, c'est le pays tout entier qui ira mieux. Et d'une certaine façon, c'est le Gouvernement actuel qui en recueillera les fruits. Et nous, nous avons envie que cela aille mieux sur nos territoires.

J'ai appris la semaine dernière que l'État versera un million d'euros de moins pour le développement touristique dans une région comme la mienne, qui est de surcroît candidate à l'organisation des épreuves de voile des Jeux olympiques. Il va bien falloir trouver des compensations, à moins de réduire l'emploi dans un secteur aussi essentiel.

Indépendamment des dépenses précédentes qui sont déjà effectives, j'ai provisionné des dépenses à venir correspondant à toute une série de charges nouvelles qui ne seront pas compensées. C'est le cas, par exemple, du coût des logiciels de gestion des TOS et des personnels d'encadrement nécessaires à cette gestion. Dès aujourd'hui, ce sont au moins cinq fonctionnaires de la région qui travaillent au traitement de ces problèmes très compliqués. J'ai réuni ces personnels TOS, qui sont dans l'angoisse en raison de la situation d'insécurité juridique dans laquelle ils se trouvent, alors qu'ils touchent de très petits salaires. Même si nous sommes contre ces transferts, nous voulons accueillir correctement ces personnels.

M. le Rapporteur : Vont-ils financièrement gagner à leur nouvelle situation ?

Mme Ségolène ROYAL : Je ne le sais pas encore. Si l'État nous transfère les moyens, nous les paierons correctement.

M. le Rapporteur : Sinon ?

Mme Ségolène ROYAL : Nous devons entrer dans un rapport de forces pour avoir les moyens de les payer correctement, et surtout pour combler les déficits en termes d'emplois.

Quand, dans les lycées, les foyers d'élèves sont fermés parce qu'il n'y a plus d'aides-éducateurs, vers qui se tournent les parents d'élèves ou les élèves internes ? Vers la région. C'est pourquoi nous créons des emplois tremplins, en attendant que les « décrets Borloo » soient opérationnels.

Nous vivons aujourd'hui la grande pagaille de la décentralisation. Je pense que c'est un mauvais service rendu aux territoires. Alors que la région est un espace de projet et de créativité, ces transferts de TOS la transforment en collectivité gestionnaire, alors que nous n'avons pas le personnel nécessaire, et que nous n'en avons pas l'habitude. Et le service rendu à l'usager et du contribuable ne sera pas supérieur, puisque les TOS sont actuellement gérés de manière correcte et qu'il va falloir démultiplier en autant de régions le coût financier de la gestion de ces personnels. Avec la région Pays de la Loire et la région Limousin, nous sommes en train d'examiner la possibilité de mettre en commun des logiciels de gestion, mais pendant que nous nous occupons de ce problème, nous nous occupons moins de la lutte contre les délocalisations, de l'innovation, de l'éducation, de l'apprentissage. Il y a donc une déperdition d'énergie par rapport au service rendu à l'usager.

M. le Rapporteur : L'État est donc le meilleur échelon de gestion ?

Mme Ségolène ROYAL : Je crois en effet que le transfert de la gestion de ces personnels a un bien faible rapport coûts-avantages, nous l'avions dit au moment du débat.

Pour être tout à fait complète, je précise que les provisions inscrites au compte annexe du budget s'établissent à 25 millions d'euros, dont 17 millions sont couverts par l'augmentation de la fiscalité en 2005. Nous nous sommes publiquement engagés à diminuer les impôts si l'État accorde les compensations qu'il doit nous accorder. Mais il faut être apte à faire face à la montée en puissance sur deux ans de ces transferts, c'est une obligation juridique pour la région, et nous avons donc, dès à présent, provisionné ces dépenses.

Outre les charges relatives aux personnels TOS déjà évoquées et qui s'élèvent à 1 million d'euros au total, le transfert des formations sociales entraîne un coût de fonctionnement de 3,5 millions d'euros supplémentaires, auxquels s'ajoutent 500.000 euros au titre des bourses, avec des versements dès février 2005. Le coût pour la région du fonctionnement des écoles en hôpital ou à statut privé est de 7,5 millions d'euros, alors qu'elle n'a pas reçu de compensations ; les bourses aux étudiants, dont nous avons pris en charge le versement dès le mois de mars et pour lesquelles nous n'avons pas non plus reçu de compensations représentent 1,5 million d'euros. Devions-nous arrêter ces formations ? Nous ne le pensons pas.

Le transfert des formations culturelles représente 1,2 million d'euros. La prise en charge du service de l'inventaire du patrimoine représente 300 000 euros. Le transfert de la validation des acquis de l'expérience représente 150 000 euros. Sans compensation, l'État nous demande d'élaborer différents schémas (schéma régional de développement économique, schéma régional de formation professionnelle, schéma régional de développement touristique) : tout cela a un coût administratif, que nous évaluons à 350 000 euros. L'application en région de la loi de programmation pour la cohésion sociale entraîne le versement de primes aux employeurs et de nouvelles charges de fonctionnement des centres de formation d'apprentis (CFA). L'objectif est une augmentation de 8 % des effectifs dès 2005. Le coût pour la région est donc de 4 millions d'euros. Les contrats d'objectifs et de moyens prévus par la « loi Borloo » auront un coût pour la région d'un million d'euros. La formation des demandeurs d'emploi est transférée à la région : le coût de l'augmentation des capacités d'accueil dans les formations qualifiantes, nécessaire pour compenser le désengagement de l'État des SIF (1 420 stages ont été supprimés en 2005 par l'État, alors que le chômage n'a pas diminué compte tenu d'une montée en charge sur deux ans), est de 4 millions d'euros.

La facture totale est donc bien de 25 millions d'euros, que nous avons partiellement provisionnés pour 2005 par une augmentation de la fiscalité, à hauteur de 17 millions d'euros. Les mesures nouvelles, telles que la création de 660 emplois tremplins ou la gratuité des livres scolaires, ont été exclusivement financées par des redéploiements et des économies en dépenses de fonctionnement. Je tiens à la disposition de votre Commission la liste des économies liées à la lutte contre les gaspillages : suppression des grosses voitures, arrêt des cocktails et des missions à l'étranger pour 2 millions d'euros. C'est ce qui nous a permis d'assurer la continuité du service public sans augmenter plus encore ce qu'il faut bien appeler « l'impôt Raffarin ».

M. Denis MERVILLE : Mme Ségolène Royal a raison de dire que notre Commission d'enquête doit nous aider à y voir clair et à être objectifs. Par contre, je ne la suis pas dans ce qu'elle dit sur les transferts de compétences non accompagnés.

J'ai été membre pendant une quinzaine d'années de la commission d'évaluation des charges transférées. Le transfert des collèges et des lycées aux départements et aux régions s'est traduit par une multiplication par cinq des crédits.

Le président du conseil régional d'Île-de-France a dit tout à l'heure qu'il avait fait l'avance à l'État de crédits d'études sur des projets d'infrastructures routières. J'ai été conseiller régional et je suis conseiller général. J'ai vu, il y a un certain nombre d'années, mon département faire l'avance à l'État de crédits nécessaires pour la construction de ronds-points. L'exemple cité par M. Jean-Paul Huchon est-il vraiment sans précédent ?

Lors de la mise en place du plan Universités 2000, le ministre de l'Éducation nationale avait demandé 150 millions d'euros à la région Haute-Normandie et à ses départements, en annonçant une participation de l'État de 30 millions d'euros, soit le coût de la TVA. Là encore, cet exemple, où l'État demande beaucoup à la région et qui remonte déjà à quelques années, est-il unique ?

Le volet territorial des contrats de plan État-région a amené la région à intervenir dans des domaines où le département intervenait déjà régulièrement, qu'il s'agisse des chemins de randonnées ou des aires de pique-nique. Il me semble pourtant que les contrats de plan doivent plutôt avoir pour objet de financer de grandes actions que de faire ce que d'autres, au niveau pertinent, faisaient déjà. Cela ne pose-t-il pas le problème de la compétence générale de nos collectivités territoriales ? Mme Ségolène Royal a estimé que la région était un espace de projets. C'est une conception que je partage. Mais quand je vois que les régions interviennent dans tous les domaines, et cela depuis plusieurs années, je m'interroge quand même.

M. Alain ROUSSET : Notre souhait est que les régions se voient confier, en évitant les doublons avec les services de l'État, des blocs de compétences globales : développement économique, formation, aménagement du territoire. Nous sommes donc tout à fait d'accord avec vous, M. le député. Mais nous ne sommes pas législateurs. Ce n'est pas nous qui avons adopté un texte qui complique encore les choses, qui croise encore plus les financements, et qui ne donne même pas aux régions la compétence du développement économique.

Au départ, les conseils régionaux étaient composés de représentants choisis par les conseils généraux et de parlementaires. On allait faire son marché au conseil régional. Avec l'élection des conseils régionaux au suffrage universel, toutes les régions ont été amenées à mettre en place des politiques et à les évaluer. Mais une simplification des compétences, par bloc, y aiderait grandement.

La France est le seul pays d'Europe où, dans la plus pure tradition jacobine, chacune des compétences des régions est doublonnée par les services de l'État. Ce mélange de décentralisation et de déconcentration a un coût, et complique le travail des collectivités territoriales.

Le volet territorial des contrats de plan ne date pas d'hier. Les pays, initiés par la DATAR, datent de la fin des années soixante-dix. L'État se retire aujourd'hui de l'ingénierie des contrats de pays, ce qui pose un problème. Je pense que la région doit conserver une politique d'aménagement du territoire.

Le plan Universités 2000 a été, je le rappelle, un programme d'urgence, initié par M. Lionel Jospin lorsqu'il était ministre de l'Éducation nationale, et qui visait à moderniser nos universités. Son efficacité ne me paraît pas contestable. Entre le premier contrat de plan et le quatrième, la part de l'État a diminué et celle des régions a augmenté.

S'agissant des avances faites à l'État, honnêtement, nous assistons à du jamais vu. L'Aquitaine prend en charge les surcoûts en matière de recherche, car cela permet le développement économique et prépare les emplois de demain : 8,5 millions d'euros. Les avances consenties en 2004 s'élèvent à 32 millions d'euros. Elles s'élèveront à 35 millions d'euros en 2005. On m'annonce que l'État ne remboursera pas ces sommes, du moins pas cette année. Ces 32 millions d'euros d'avances sont à rapprocher du retour fiscal, de 27,5 millions d'euros. On en revient toujours à cette contradiction fondamentale : les régions, en France, n'ont pas les ressources fiscales qui correspondent à leurs compétences. L'État veut les partager, c'est-à-dire les conserver en partie. Soit. Mais s'il retire sa participation financière, il laisse les régions seules, sans moyens supplémentaires.

Cette année, le transfert des responsabilités - formation des travailleurs sociaux, des infirmières, des sages-femmes, des kinésithérapeutes - n'est pas accompagné d'un transfert de ressources : 25 % du financement n'est pas assuré. On nous annonce une loi de finances rectificative, mais aujourd'hui l'État transfère aux régions, via la TIPP, entre 70 % et 75 % du montant des dépenses.

Autre motif d'inquiétude : le Gouvernement souhaite calculer le transfert des ressources sur la base de la moyenne des trois dernières années. Or, nous sommes tous d'accord pour dire que nous manquons de personnels d'accompagnement des personnes âgées, de travailleurs sociaux, d'infirmières, d'aides-soignantes. Le coût de la formation des personnels sera tel que, si le Gouvernement retient le mode de calcul qu'il envisage, il nous manquera beaucoup plus que 25 % des ressources nécessaires.

Mme Claude DARCIAUX : M. Alain Rousset vient de répondre partiellement à la question que je voulais lui poser. Pensez-vous que la TIPP soit une recette suffisamment évolutive ? Même question pour la taxe additionnelle à la taxe d'apprentissage que doit transférer l'État. Le Gouvernement a-t-il précisé les modalités du mécanisme permettant aux régions de faire varier le taux de la TIPP ? Comment pourrez-vous le moduler ?

Cet après-midi même, lors de la séance des questions au Gouvernement, le ministre de la Culture et de la communication a demandé aux régions de financer en partie le soutien à l'emploi des intermittents du spectacle. Qu'en pensez-vous ?

M. Alain ROUSSET : À la vérité, la plupart des ministres nous demandent de financer ce que l'État ne finance plus. Le ministre de la Culture a au moins eu la franchise de le faire publiquement. Nous avons eu une démarche officielle de sa part. Fort heureusement, il ne nous a pas demandé de financer les charges sociales des intermittents du spectacle.

Le Gouvernement nous demande également de financer les contrats d'accompagnement dans l'emploi.

M. Alain GEST : C'est cela, un bloc de compétences. On ne peut pas le réclamer tout en ne voulant pas l'assumer.

M. Alain ROUSSET : Les régions ne disposent pas de transferts de ressources pour faire face à ce qui est aussi bien un transfert de charges qu'un désengagement de l'État.

S'agissant de la TIPP, nous sommes devant une double incertitude. D'une part, elle n'est plus du tout dynamique, ce qui tient à des raisons dont il faut se réjouir : les moteurs sont plus propres, on utilise plus les transports en commun, on roule moins vite, on pollue moins, etc. L'augmentation de la TIPP est de l'ordre de 2 % ou 3 %, alors qu'elle était de 8 % à 9 % il y a quelques années encore. D'autre part, nous n'avons pas encore l'accord de Bruxelles, M. Jean-François Copé me l'a confirmé il y a quelques jours, sur la modulation des taux de TIPP.

Encore une fois, je suis extrêmement surpris de constater à quel point certaines personnes, y compris des législateurs, méconnaissent les caractéristiques de la fiscalité régionale dans notre pays. Lorsque les lycées ont été transférés aux régions, notre base fiscale était deux à trois fois supérieure à celle d'aujourd'hui : nous disposions de la part régionale de la taxe d'habitation, des droits de mutations, et de marges de manœuvre sur les taxes indirectes.

M. le Rapporteur : Qui a supprimé la part régionale de la taxe d'habitation ?

M. Alain ROUSSET : J'ai dit très clairement ce que je pensais de cette mesure au moment où elle a été prise. Le problème n'est pas là.

M. le Président : Mes chers collègues, notre rôle est d'évaluer l'évolution de la fiscalité locale et ses causes. Je ne conteste pas, pas plus que M. Alain Rousset, que la part régionale de la taxe d'habitation a été supprimée en 2000. Cela dit, il faut reconnaître que les bases se sont réduites, et que cela impose des augmentations de taux plus importantes.

M. Alain ROUSSET : Lorsque les lycées ont été transférés aux régions, disais-je, nos bases fiscales nous permettaient de faire face, avec des augmentations de taux relativement faibles, à la multiplication par six des dépenses. Il en allait de même lorsque les régions ont assuré la gestion des TER.

Aujourd'hui, notre base fiscale n'est plus du tout dynamique et elle est très étroite. Il y a une contradiction fondamentale entre la base fiscale des régions et leurs compétences. En disant cela, je ne fais pas le procès de ce Gouvernement, puisque c'est celui de M. Lionel Jospin qui a pris l'initiative de supprimer la part régionale de la taxe d'habitation et les droits de mutation. Je vais vous donner un exemple surréaliste. Les régions investissent énormément dans le matériel ferroviaire. Les commandes sont groupées. Quand 300 ou 400 machines sont livrées, il faut bien les payer. Chaque fois qu'une région achète un matériel ferroviaire neuf, elle paie indirectement de la taxe professionnelle aux départements et aux communes.

Quand une région comme l'Aquitaine dépense 12 millions d'euros pour aider une entreprise d'armement de 3 500 salariés, premier constructeur mondial d'hélicoptères, à se moderniser, l'État ne dépense que 4 millions d'euros, de même que le département. En trois ou quatre ans, le département et la communauté de communes auront récupéré leur mise. La région, jamais !

M. Richard MALLIÉ : L'État non plus !

M. Alain ROUSSET : Bien sûr que si, avec l'impôt sur les sociétés.

La région est donc la seule collectivité à laquelle on demande d'investir sur le plan économique, tout en ne bénéficiant d'aucun retour. Si une entreprise paie 100 euros de taxe professionnelle, la commune ou le groupement de communes reçoit 63 euros de ce produit, le département 29 euros et la région 8 euros. Je n'accuse pas le Gouvernement actuel. Je dis qu'il y a là une incohérence. Le désengagement de l'État sur les compétences qu'il garde est tel que la région est obligée de doubler la mise, alors même qu'elle a un très faible retour. Et l'on nous demande, en plus, de financer la formation des intermittents ? Pardonnez-moi, Mmes et MM. les députés, mais c'est une commission d'enquête sur l'État qu'il faudrait créer !

M. Camille de ROCCA SERRA : Le tour pris par cette audition me conduit parfois à m'interroger sur l'objet de notre Commission d'enquête, dont j'en viens à me demander si elle porte sur la fiscalité locale, sur les contrats de plan ou sur autre chose encore.

La région que je connais le mieux s'est vu confier en 1982, en 1991, puis en 2002 des compétences importantes. Le transfert de 1991 a porté sur toutes les routes nationales, avec un budget dérisoire en contrepartie. Il a fallu procéder à des redéploiements et conquérir des moyens supplémentaires. Les gouvernements successifs nous ont accordé des dotations supplémentaires. Une taxe sur les transports a été instituée en vertu de la loi de 1991. Nous avons quémandé des moyens auprès de l'Union européenne. Nous sommes ainsi passés de 12 millions d'euros à 38 millions d'euros. Comme on le voit, les problèmes ont toujours existé lors des transferts.

Le transfert de 2002 a été considérable. Nous avons non seulement reçu les compétences transférées à toutes les autres régions par la loi de 2004, mais également les collèges, les aéroports, les ports nationaux, 55 000 hectares de forêt. À l'époque, nous n'étions pas d'accord sur les modalités de ces transferts, qui n'ont pas fait l'objet d'évaluations par le gouvernement de M. Lionel Jospin et qui sont intervenus avant la révision constitutionnelle garantissant aux régions le transfert des ressources correspondant aux compétences transférées. Nous avions dit non au transfert des TOS. Les transferts de ressources ont été négociés, parfois âprement, mais sans qu'il ait été nécessaire d'augmenter sensiblement la fiscalité locale, ni de procéder à des efforts exceptionnels en matière de redéploiements. Les mêmes causes pourront produire les mêmes effets positifs, même si, dans le futur, il y aura des charges liées au glissement-vieillesse-technicité (GVT), à l'assurance du patrimoine immobilier...

Nous aurions tort de cultiver des polémiques stériles au moment où l'enjeu est si important. Je suis d'accord avec vous, M. le Président Alain Rousset, sur l'idée qu'il nous faut songer à la mise en place d'une fiscalité régionale plus dynamique. Car il est vrai que le fruit de l'investissement des régions est davantage récolté par les communes et les départements que par les régions elles-mêmes.

S'agissant des contrats de plan, on ne peut que regretter qu'ils accumulent du retard, et sous tous les gouvernements. Je ne connais pas un exemple de contrat de plan qui ait été parfaitement respecté : il y a toujours deux ans de retard au départ et le stock lourd qui arrive après quatre ans doit être assuré sur plusieurs années. L'effet dommageable est de freiner des investissements. Cela dit, le retard des investissements n'implique en rien une augmentation de la fiscalité. Les régions connaissent un problème de trésorerie passager, qu'il faut négocier au mieux, mais qui ne justifie pas des hausses d'impôts.

Que veut-on dire quand on parle de « l'impôt Raffarin » ? Veut-on dire que les augmentations de taux sont l'effet de la décentralisation ? Non. D'une part, j'ai entendu le contraire. D'autre part, je peux vous apporter la preuve formelle que la Corse a assumé les transferts de compétences sans augmentation de sa fiscalité. Nous aurions tous à gagner à éviter ces mauvais procès. En outre, à en croire ceux-là mêmes qui invoquent « l'impôt Raffarin », il n'aurait coûté que six euros à chaque habitant de la région Poitou-Charentes. Un tel battage pour six euros est difficile à comprendre. S'il y a une leçon à en tirer, c'est plutôt que les gouvernements successifs, en supprimant un certain nombre de ressources des collectivités territoriales, ont paralysé leur dynamique financière. C'est l'effet de l'ensemble de ces mesures accumulées qui se fait sentir aujourd'hui.

Quoi qu'il en soit, la Corse n'a pas anticipé par des hausses d'impôts les conséquences des transferts de compétences. L'Alsace n'a pas non plus fait ce choix. Je ne vois donc pas ce qui autoriserait à dire que les augmentations de taux décidées par les autres régions relèveraient d'une anticipation nécessaire et automatique. Au demeurant, ces hausses sont très inégales, puisqu'il existe un rapport de un à sept entre la plus faible et la plus forte. Elles ne peuvent pas non plus s'expliquer par un changement de majorité, puisque plusieurs régions ont conservé la même majorité.

Je sais, M. le Président Alain Rousset, que nous sommes capables de nous retrouver, notamment lorsque nous défendons ensemble à Bruxelles les aides régionales. Le fait que nous entreprenions cette démarche montre, soit dit en passant, que les aides aux entreprises sont aussi limitées par les instances européennes. Mais elle montre surtout que nous pouvons travailler ensemble, et c'est ce que nous devrions faire pour aboutir un jour à une vraie réforme, une grande réforme, celle de la fiscalité locale.

M. Alain ROUSSET : J'entends ce que dit M. Camille de Rocca Serra. Il a lui-même souligné que la Corse avait une fiscalité spécifique. J'aurais rêvé, en 2002, que l'on procédât à une décentralisation dans toutes les régions de France, ce qui aurait peut-être aussi aidé la Corse à régler un certain nombre de problèmes. Quoi qu'il en soit, si les choses se passent bien en Corse, j'en suis très heureux. Le Limousin n'a pas non plus augmenté sa fiscalité, le niveau de ses taux étant déjà très élevé. De même, en Aquitaine, les taux de la fiscalité indirecte avaient atteint un niveau tel qu'il était impossible de les augmenter.

Cela dit, qui prend en charge la formation des emplois aidés ? Qui prend en charge les primes des TOS ? Qui prend en charge la formation des infirmières et des aides soignantes ? Ce sont bien les régions. L'État estime à 21 millions d'euros le total des charges nouvelles que la région Aquitaine devra assumer. Le calcul de mes services aboutit à près de 30 millions. Et encore, les hôpitaux sont incapables d'évaluer les frais de gestion de la formation des personnels paramédicaux. À cela s'ajoute une augmentation des effectifs.

Vous avez rappelé que l'augmentation des taux se traduisait par un effort supplémentaire de six euros par habitant en Poitou-Charentes. En Aquitaine, la moyenne avoisine neuf euros. Cela montre que les pourcentages ne veulent strictement rien dire. Une augmentation de 20 % de la fiscalité d'une région équivaut à une augmentation de 4 % de la fiscalité d'un département.

M. le Rapporteur : Mais pourquoi l'Alsace a-t-elle décidé une augmentation de 2 % ?

M. Alain ROUSSET : M. Adrien Zeller a choisi un autre rapport entre fiscalité et endettement que celui que nous avons choisi. En 1998, la région Aquitaine était la deuxième région la plus endettée de France. Si je veux pouvoir assurer le financement que l'État me demandera demain sur le TGV pour la ligne Bordeaux-Pau, je suis obligé de désendetter ma région. Autre exemple : l'Aquitaine rembourse aux banques, chaque année, près de 60 millions d'euros, alors que la région Midi-Pyrénées, qui a un budget similaire, rembourse 15 millions. Les structures des budgets sont très différentes, ce qui explique aussi en partie les différences de choix budgétaires. On n'augmente pas la fiscalité par plaisir. On le fait par choix politique, mais aussi par obligation.

Ce matin, alors que nous présentions Le Livre blanc des régions, M. Adrien Zeller a eu l'occasion de souligner que si l'Alsace n'avait pas fait, à la différence des autres régions, le choix des emplois tremplins, elle s'était engagée dans l'aide à l'emploi associatif. De même, l'Alsace participe à sa manière à la gratuité des livres scolaires, en tenant compte du revenu des parents. Qu'on le veuille ou non, il y a donc une créativité régionale, mais elle s'accompagne de certaines convergences. Le problème, c'est que les régions n'ont pas une fiscalité qui correspond à leurs compétences. Je connais mal la situation en Corse, mais je peux vous certifier que les autres régions souffrent du désengagement de l'État et des transferts de charges. Nous aimerions savoir, M. le Président, M. le Rapporteur, combien l'État a dépensé en 2002, en 2003, en 2004, hors crédits européens, pour les aides aux entreprises, pour le tourisme, pour les aides à l'agriculture (fruits et légumes). Il serait bon que votre Commission d'enquête parvienne à obtenir ces chiffres que nous avons demandés en vain à l'État, notamment sous la forme d'un audit.

Un dernier exemple : après la tempête de 1999, qui a mis à bas la moitié de la forêt aquitaine, l'État avait pris l'engagement d'aider la région à reconstruire sa forêt, à hauteur de près de 50 millions d'euros par an : il a, en fait, consenti un effort de 24 millions d'euros par an seulement.

M. le Président : Y a-t-il une question pour M. François Patriat ? Non ?... Alors, je lui donne l'autorisation de partir.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Je vais tenter de formuler ma question de manière à obtenir la réponse claire qui ne m'a pas été donnée tout à l'heure.

Le Président Alain Rousset a parlé de « désengagement de l'État ». Le volet ferroviaire des contrats de plan État-région n'a été abondé qu'à hauteur de 4,44 % en 2000 et 10,01 % en 2001 : à la fin de l'année 2001, 50 % des sommes qui auraient dû être dépensées ne l'ont donc pas été. L'État n'a pas respecté sa parole. Cela est-il conforme à votre conception de l'État ? Est-ce un désengagement rétroactif du Gouvernement Raffarin ? Le président Rousset peut-il répondre clairement à cette question au nom de ses collègues, puisque MM. Michel Vauzelle et Jean-Paul Huchon nous ont quittés ?

D'autre part, le Président Alain Rousset a déploré le manque de dynamisme et la faible part des bases fiscales régionales. Le taux d'augmentation de la taxe professionnelle est de 35 % en Île-de-France. Est-ce une base qui manque de dynamisme ?

M. Alain ROUSSET : Quand vous signez un contrat de plan, vous lancez un certain nombre d'opérations. La région Aquitaine, par exemple, a multiplié les crédits ferroviaires par quatre par rapport au contrat de plan précédent. La plus importante opération est le bouchon ferroviaire de Bordeaux. Il faut remplacer une passerelle obsolète, qui a cent vingt ans, par un pont à quatre voies. Les études ont débuté en 2000. C'est à la fin de cette année que la première pierre est posée. À l'évidence, la montée en puissance de ce contrat de plan interviendra l'année prochaine. C'est pourquoi je tiens à la longueur des contrats de plan, car il faut pouvoir faire des prévisions, de la prospective, et tenir compte des études préalables.

Dans tous les volets du contrat de plan, les paiements de ma région sont de 30 % à 100 % supérieurs à ce qui était prévu. Les opérations universitaires sont toutes retardées lorsque la maîtrise d'ouvrage est confiée à l'État. Il y a ainsi deux ans de retard pour l'IPREM à Pau.

Ajoutons à cela que les crédits européens, qui ont été inscrits dans le contrat de plan, et notamment sur les opérations structurantes, sont en bout de course. La région doit donc non seulement faire face au retrait de l'État, compte tenu de son impécuniosité, prendre en charge les surcoûts, mais aussi assumer le retrait des crédits européens. Nous attendons encore les analyses de la DATAR, qui mettent du temps à sortir.

Cela étant dit, je pourrai vous communiquer des informations beaucoup plus précises sur l'exécution des contrats de plan, qui varie selon les régions. C'est parfois le volet routier qui subit des retards d'exécution, d'autres fois le volet ferroviaire. Je dois à l'honnêteté de dire qu'en région Aquitaine, le volet ferroviaire ne subit pas de retard. M. Alain Juppé et moi-même nous sommes battus ensemble pour cela. Par contre, la communauté urbaine de Bordeaux attend de l'État, depuis des années, 12 millions d'euros qu'elle ne reçoit toujours pas. C'est pourtant auprès de M. Alain Juppé que cet engagement avait été pris. Donc, il n'y a pas d'argent !

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Étant donné qu'il n'y a pas de report des crédits de l'État non consommés...

M. Alain ROUSSET : Mais le problème ne se pose pas en termes de reports, M. Louis Giscard d'Estaing. Quand on signe un contrat de plan, on doit pouvoir le faire avec un minimum de confiance ! Cela se fait de manière publique !

M. le Président : Mes chers collègues, il faudrait éviter de poser des questions dont vous connaissez les réponses. Tout le monde sait, premièrement, que la durée d'exécution des contrats de plan a toujours été supérieure d'au moins un an à la durée prévue. Deuxièmement, et vous le savez aussi, M. Louis Giscard d'Estaing, Réseau ferré de France n'était pas prêt, en 2000, à contractualiser. Il lui fallait un an pour faire les études nécessaires. Pour ce qui est des crédits d'État en 2004 ou 2003, vous savez comme moi qu'ils n'ont pas atteint le niveau de 2001. En 2004, nous n'avons pas encore les chiffres. M. le Président Alain Rousset n'est pas obligé de connaître les chiffres, mais nous, nous les connaissons.

On pourrait admettre que les contrats de plan soient prolongés à 2007. Si tel était le cas, nous serions, je crois, à peu près dans la norme. Malheureusement, nous sommes encore loin de leur exécution complète. Mais n'anticipons pas, puisque nous allons faire ensemble un rapport sur ce sujet. Nous aurons peut-être de bonnes surprises.

M. le Rapporteur : S'agissant de la question de notre collègue Louis Giscard d'Estaing, il faut préciser que l'état du parc ferroviaire français était connu au moment même du transfert de compétences. Ce n'était pas une découverte.

M. Alain ROUSSET : Il ne faut pas confondre les TER, qui ont fait l'objet d'un transfert de compétences, et ce qui est inscrit dans le contrat de plan, qui concerne les grandes lignes, lesquelles relèvent clairement de la compétence de l'État.

Puisque nous abordons la question du parc ferroviaire, je voudrais vous faire part d'un autre motif d'inquiétude, en espérant que ce terme ne sera pas matière à plaisanteries. Une somme avait été négociée, modulée sur dix ans, grâce à l'audit, pour faire en sorte que les dépenses soient lissées. Aujourd'hui, les systèmes de financement ne nous permettent plus ce lissage. On s'aperçoit d'une augmentation considérable de la fréquentation des TER, qui impose aux régions des charges supplémentaires. Ce sont des charges qu'elles ont certes consenti à assumer, mais le problème est que jusqu'à une époque récente les bases de leur fiscalité leur permettaient de les assumer, ce qui n'est plus possible aujourd'hui sans une augmentation des taux.

Cela me renvoie à la question de M. Louis Giscard d'Estaing sur les bases d'imposition. Je le répète, les régions perçoivent 8 % du produit de la taxe professionnelle. En Aquitaine, les impôts ont augmenté de 14,9 % : pour le foncier non bâti, le coût par an et par contribuable est de 13 centimes d'euro ; pour le foncier bâti, il est de 9,3 euros ; pour la taxe professionnelle, il est de 93 euros. Ces charges ne me semblent pas excessives. Je constate seulement qu'une augmentation de 2 % ou 3 % se traduit pour les départements et les communautés d'agglomération par des rentrées plus importantes. Arrêtons de réfléchir en pourcentage quand on parle des régions !

Je reviens sur un autre motif d'inquiétude. RFF a augmenté ses péages, pour des raisons liées à son endettement. Les régions vont recevoir une compensation, mais calculée sur la base des services qui leur ont été transférés. Par contre, quand elles assurent un nouveau service, elles paient des péages augmentés.

En outre, la SNCF a inventé une nouvelle catégorie de trains : les trains interrégionaux. Je ne sais pas, quant à moi, faire la différence entre les trains interrégionaux et les trains nationaux. Elle estime que certaines liaisons lui coûtent cher et qu'il faut cesser leur exploitation, à moins que les régions compensent leur coût, parce qu'elles les traversent. Là où presque personne ne monte ni ne descend, la suppression des arrêts n'est pas gênante. Mais ce n'est pas toujours le cas. Lorsqu'un arrêt à Marmande est supprimé alors qu'il desservait les lycées, les administrations et les entreprises, le Président du conseil général de Lot-et-Garonne, qui nous a malheureusement quittés, m'écrit pour me demander de compenser. La compensation coûte 600 000 euros. M. Martin Malvy et moi-même avons rencontré M. Gilles de Robien, en présence d'un représentant de la SNCF. Nous avons proposé un moratoire. Nous voulons bien transformer des trains interrégionaux en TER, mais il faut que l'État nous transfère les moyens nécessaires. Pour le moment, nous ne disposons d'aucun transfert financier de l'État. Comment allons-nous faire ? Sur la ligne Bordeaux-Lyon par exemple, il faudrait remplacer les turbines à gaz, qu'il n'est plus possible de rénover, par des TER.

Cela fait une accumulation de coûts. Tous ces problèmes n'existent peut-être pas en Corse ou en Alsace, mais ils existent en Aquitaine. J'ajoute que je suis émerveillé, en ce qui concerne le transfert des TOS, par l'optimisme de M. Adrien Zeller, car je ne peux pas m'accorder sur un chiffre avec les services de l'État. Au départ, 4 800 emplois étaient concernés ; le chiffre est tombé à 3 000. On me dit que 1 000 emplois aidés, CES et CEC, font fonction de TOS. Aujourd'hui, j'en suis à 460 : où sont passés les autres ? On me dit qu'il y a 400 emplois-jeunes qui font fonctionner les laboratoires de langue et autres appareillages informatiques et électroniques : l'État ne m'en transfère que 14. Quelle confiance les responsables régionaux peuvent-ils avoir ? La région est une administration de mission. En Aquitaine, la moitié des effectifs de la région, soit 600 personnes environ, sont des cadres A. Si l'État m'en transfère 3 700, on me dira que les frais de fonctionnement de la région sont trop élevés !

Comment vais-je résister aux parents d'élèves qui vont venir me dire qu'il manque deux postes au lycée de Bazas ? Comment vais-je résister aux organisations syndicales ? Parce que c'est aussi cela, la décentralisation.

M. le Rapporteur : C'est un vrai sujet. S'agissant de la prestation destinée aux personnes handicapées, les départements ont évoqué la « pression citoyenne ». Vous postulez qu'il n'est pas possible de résister à cette pression ?

M. Alain ROUSSET : Je suis prêt à indiquer à l'État des pistes de réflexion qui peuvent lui permettre de réaliser des économies importantes. Quand il cessera de vouloir s'occuper de tout, on aura fait un progrès manifeste.

Pour le moment, l'Aquitaine est au vingt-et-unième rang pour la dotation en TOS. Il va me manquer des personnels pour entretenir le matériel informatique que les contribuables ont payé. Je résisterai beaucoup plus difficilement, tout comme vous, M. le député, aux demandes des enseignants, des proviseurs, des parents d'élèves. La décentralisation est bien entendu une amélioration du service public, qui est mieux géré par une région, par un département ou par une commune que par l'État. Mais nous demandons que l'État nous transfère les moyens nécessaires.

Je regrette vraiment que M. Michel Diefenbacher nous ait quittés. C'est lui qui me demande de maintenir un arrêt à Marmande : moi, Président du conseil général du Lot-et-Garonne, je ne verserai pas un centime, mais vous, Président du conseil régional d'Aquitaine, vous devez payer parce que cela relève de votre compétence. Mais avec quels moyens puis-je répondre à cette demande ? Que faire quand il y a un tel besoin ?

Parlons clair : quand l'État a transféré l'entretien des lycées et collèges aux régions et aux départements, c'est parce qu'il était financièrement incapable de les entretenir. Aujourd'hui, il ne peut pas consacrer un centime de plus au financement de sa politique industrielle. Il invente le système d'appel à projets pour les pôles de compétitivité. Qui va augmenter les crédits en direction des laboratoires des entreprises ? Ce sont les régions, pas l'État.

S'agissant des crédits de recherche, tout le monde attend que l'État respecte sa promesse. Où sont les crédits ? Va-t-on délaisser les laboratoires dans un contexte marqué par la compétition internationale avec les États-Unis ou l'Allemagne ? Là se trouvent les vrais dangers, car ces pays, plus que ceux à bas coûts de main-d'œuvre, ont beaucoup plus de moyens que nous et des allocations de ressources bien plus efficaces.

M. le Président : Il n'y a plus de question pour M. Christian Bourquin ?... Comme nous allons venir vous voir, je vous autorise à partir.

M. Alain GEST : Je vous remercie, M. Alain Rousset, d'avoir adopté le ton posé et courtois qui n'a pas été celui de tous vos collègues. La discussion que nous avons aujourd'hui aurait pu avoir lieu il y a six mois, ce qui aurait permis à notre Commission d'enquête de fonctionner dans un autre esprit.

M. le Président : Notre Commission d'enquête ne fonctionne-t-elle pas bien ?

M. Alain GEST : Vous nous dites, M. le président Alain Rousset, que vous êtes prêt à proposer à l'État des économies. Lors de la discussion en deuxième lecture de la loi de décentralisation, dont j'étais le rapporteur, vos amis ne tenaient pas du tout le même discours, à savoir que les collectivités territoriales sont en mesure de faire mieux que l'État sur un certain nombre de gestions publiques.

D'autre part, vous insistez sur la faiblesse des bases fiscales régionales, que je ne conteste absolument pas. Mais je remarque que vos amis nous parlent de l'augmentation des taux en Poitou-Charentes il y a quinze ans, qui reposait sur une base encore plus faible.

Le discours de Mme Ségolène Royal m'a paru sensiblement différent du vôtre et de ceux de vos collègues. Il nous faudra bien examiner ce qu'elle appelle transferts de charges et les augmentations fiscales correspondantes. Plus généralement, s'agissant des transferts de charges éventuels en 2005, je souhaite que nous puissions disposer des chiffres réellement constatés, et non de simples estimations. Sinon, notre appréciation sera un peu biaisée. Mais, depuis 1982, il y a eu des transferts de charges qui n'étaient pas liés à de nouvelles compétences pour les régions.

Ainsi, dans le cadre du plan Universités 2000, en Picardie, les charges ont été réparties de la manière suivante : 15 millions d'euros pour la région, 15 millions d'euros pour le département et 15 millions d'euros pour la ville. À l'époque, je n'ai entendu personne, au conseil régional, mais aussi dans les autres collectivités - qui étaient pourtant de la même sensibilité politique - dire qu'il fallait augmenter les taux d'imposition, et que cette augmentation correspondait à un « impôt Jospin ». Cela montre qu'il était possible d'aborder le problème de la fiscalité locale de manière plus positive, ce qui aurait été dans l'intérêt de la décentralisation, laquelle est notre intérêt commun. De mon point de vue, elle a, au contraire, été un peu galvaudée il y a quelques mois.

M. le Rapporteur : Nous n'avons malheureusement que très peu abordé le thème des économies de gestion. La décentralisation, ce n'est pas seulement des dépenses supplémentaires, cela peut aussi être une gestion plus efficace.

M. Alain ROUSSET : Je rappelle que les bases fiscales des régions étaient, il y a quinze ans, entre deux et trois fois plus larges qu'aujourd'hui.

M. Alain GEST : C'était tellement mineur !

M. Alain ROUSSET : La taxe d'habitation, ce n'était pas mineur. Les droits de mutation, non plus. Quand vous augmentiez les impôts de 60 %, vous perceviez plus du double de ce que reçoivent les régions aujourd'hui.

Vous avez exprimé, M. Alain Gest, un regret que je partage. On ne comprend pas l'état d'énervement des régions si l'on ne comprend pas qu'elles sont aujourd'hui, par rapport à leurs compétences, le dos au mur, ce qui n'est pas le cas des départements. Les bases fiscales de ceux-ci sont très différentes. Ils ont également l'avantage d'être politiquement très présents au Sénat, ce qui n'est pas le cas des régions.

Le grand décentralisateur que je suis aurait préféré que le débat prenne une autre tournure. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai demandé un audit contradictoire, comme M. Jean-Pierre Raffarin l'avait fait en tant que président de l'ARF. Dans les réunions des commissions d'attribution des aides publiques siègent le TPG, des représentants de la région, des représentants de la DRIRE. Quand ils en reviennent, mes collaborateurs me disent que l'État n'est plus là : il n'a plus d'argent. Comment voulez-vous que les régions montent leur budget quand elles doivent se demander s'il manquera à l'État 50 %, 60 % ou 70 % des sommes qu'ils devraient leur verser ? Pouvez-vous dire non à un chef d'entreprise qui vous dit que, s'il n'achète pas tel ou tel outillage, il perdra le marché des bords d'attaque des moteurs Pratt et Whitney dont il a le marché aux États-Unis ? Qu'est-ce qui empêchait l'État de faire procéder à un audit contradictoire, en donnant aux préfets l'autorisation de communiquer les montants des crédits affectés aux compétences partagées entre 2001 et 2004 ? Il serait bon que puisse sortir de votre Commission d'enquête ce qui n'est pas sorti de la « commission Fouquet », laquelle n'a pas tenu compte du fait que ce sont pour l'essentiel les départements, les communes et l'État qui bénéficient des retours de taxe professionnelle. D'une certaine façon, on assèche les régions. Celles-ci vont avoir un moindre intérêt à intervenir dans la modernisation industrielle.

S'agissant des économies de gestion, les régions n'ont pas les moyens d'augmenter la part des personnels internes. Je vais vous donner un exemple. Nous avions confié au CNASEA le financement des stagiaires de la formation professionnelle. Cela coûtait cher. Nous l'avons donc internalisé. S'agissant des fonds européens, la France est le seul pays où les services de l'État les gèrent, en instruisant des dossiers parallèlement aux régions, sauf en Auvergne et en Alsace. Dans tous les autres pays européens, les dotations des crédits européens sont gérées par les régions. Voilà un exemple dont nous pourrions nous inspirer pour réaliser des économies de gestion et ne pas renvoyer de l'argent à Bruxelles. Nous serons très heureux de bénéficier, au niveau des régions, des compétences des ingénieurs des DDE, des DRIRE, des DRAF ou des DRAS.

On ne peut pas continuer à ne pas faire confiance aux collectivités territoriales en France aujourd'hui. Votre Commission d'enquête participe d'ailleurs de cette défiance. Car enfin, il est étrange de créer une commission d'enquête sur l'évolution de la fiscalité locale alors que les collectivités territoriales ont la liberté de fixer leurs taux. Une mission d'information m'aurait pleinement satisfait, puisque j'avais même demandé au Premier ministre de saisir la Cour des comptes, et elle aurait permis d'éviter ce climat de suspicion. Je suis preneur de toutes les informations que vous pourrez obtenir.

Je pense qu'il nous est possible de définir ensemble une même vision de l'avenir de la décentralisation et de l'organisation territoriale de notre pays. Car les choses ne fonctionnent pas bien aujourd'hui, et elles ne fonctionnent pas mieux depuis la loi du 13 août 2004.

M. le Président : M. le Président Alain Rousset, avant de lever la séance, je vous demande de nous faire parvenir, notamment sur le volet ferroviaire des contrats de plan, des informations précises sur ce qu'ont été les critères de compensation, sur ce qu'ont été les crédits accordés et sur le montant des surcoûts occasionnés par les charges supplémentaires des régions, qui peuvent expliquer, qu'on le veuille ou non, des augmentation d'impôt.

D'autre part, je suppose que vous considérez que le financement de la formation des contrats d'avenir et des contrats d'insertion au titre du RMA ne relève pas des compétences régionales. Pouvez-vous nous dire à qui, selon vous, appartient cette compétence ?

Enfin, il serait bon que vous nous adressiez par écrit vos suggestions en matière de réforme de la taxe professionnelle. Cela pourra nous aider à faire évoluer la fiscalité régionale en fonction du rôle économique que l'on veut assigner aux régions.

Je vous remercie, M. le Président, ainsi que les membres de votre délégation, pour votre contribution aux travaux de notre Commission d'enquête.

Audition de M. Marc CENSI,
Président de l'Association des communautés de France (ADCF)
et Président de la communauté d'agglomération du grand Rodez,
accompagné de M. Charles-Éric LEMAIGNEN,
Vice-président de l'ADCF chargé des affaires financières et fiscales
et Président de la communauté d'agglomération d'Orléans Val-de-Loire,
M. Nicolas PORTIER, Délégué général de l'ADCF,
et Mme Claire DELPECH, responsable de la fiscalité et des finances de l'ADCF


(Extrait du procès-verbal de la séance du 6 avril 2005)

(Des documents fournis par MM. CENSI et LEMAIGNEN à l'appui de leur intervention sont reproduits en page 235 du tome III du présent rapport)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Marc Censi, Charles-Éric Lemaignen, Nicolas Portier et Mme Claire Delpech sont introduits.

M. le Président : Avant d'accueillir la délégation de l'Association des communautés de France, conduite par son président, M. Marc Censi, j'indique qu'un membre de cette délégation, notre collègue Jean-Pierre Balligand, s'est récusé. D'autre part, on m'a fait observer qu'un certain nombre de présidents de conseils régionaux que nous avons entendus la semaine dernière sont partis avant la fin de l'audition, et avant que nous ayons pu les entendre. De même pour l'audition des présidents de conseils généraux, et je demanderai à certains de revenir, car il sera intéressant de pouvoir les entendre, au moment où l'Association des départements de France publie une enquête sur l'évolution probable des impôts locaux dans les cinq années suivant la nouvelle étape de la décentralisation.

M. le Rapporteur : Pour rebondir sur l'observation du Président Augustin Bonrepaux, je souligne qu'il est important, lorsqu'une délégation est constituée, que sa composition soit respectée. D'autre part, une audition de commission d'enquête n'est pas un colloque, où l'on peut arriver et repartir n'importe quand : les personnes auditionnées doivent rester jusqu'au terme de l'audition. Ce propos s'adresse surtout, en fait, aux personnes que nous avons auditionnées la semaine dernière, afin qu'elles comprennent qu'il y a des règles de fonctionnement à respecter. Pour ma part, je souhaiterais que nous entendions à nouveau le président Michel Vauzelle et le président Louis de Broissia.

M. le Président : J'ai en effet permis à M. Louis de Broissia, et je prie que l'on m'en excuse, de quitter la salle en raison d'obligations qui l'appelaient au Sénat, alors que nous avions à peine eu le temps de l'interroger. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai cru devoir autoriser, la semaine suivante, M. Michel Vauzelle à faire de même.

M. Alain GEST : Je voudrais ajouter, pour ma part, que les personnes entendues par notre Commission d'enquête doivent s'abstenir d'utiliser, comme certaines l'ont fait la semaine dernière, un ton polémique, parfaitement déplacé, à l'endroit de ses membres.

M. le Président : Ne préjugeons pas de l'attitude de nos invités d'aujourd'hui...

Nous accueillons maintenant M. Marc Censi, Président de l'Association des communautés de France, Président de la communauté d'agglomération du Grand Rodez, accompagné d'une délégation composée de M. Charles-Éric Lemaignen, Vice-président de l'ADCF chargé des affaires financières et fiscales et Président de la communauté d'agglomération d'Orléans Val-de-Loire, M. Nicolas Portier, Délégué général de l'ADCF, et Mme Claire Delpech, responsable de la fiscalité et des finances de cette association.

Votre audition devrait nous éclairer sur plusieurs aspects importants de notre champ d'investigation, comme l'évolution de la fiscalité des établissements publics de coopération intercommunale, l'influence de ceux-ci dans le poids global des impôts locaux et l'évaluation de leurs charges de gestion. Nous voudrions notamment savoir si le passage en TPU ou en fiscalité additionnelle a provoqué une hausse de la fiscalité et pourquoi.

M. le Président rappelle à MM. Marc Censi, Charles-Éric Lemaignen, Nicolas Portier et à Mme Claire Delpech que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, les intéressés prêtent serment.

M. Marc CENSI : Je vous remercie d'avoir bien voulu entendre l'Association des communautés de France, représentante d'un mouvement intercommunal dont le dynamisme vous est connu, et attesté par la création de structures nouvelles en très grand nombre ces dernières années. Le territoire français est aujourd'hui pratiquement couvert par l'intercommunalité, même s'il reste encore quelques « récalcitrants », ce terme n'impliquant évidemment aucun jugement de valeur... Pour répondre aux observations liminaires du président et du rapporteur, je voudrais excuser M. Jean-Pierre Balligand, qui a jugé délicat de comparaître devant une commission d'enquête dont il est membre. C'est un scrupule louable, et je suis navré s'il a pu causer quelque émoi.

Après mon exposé introductif, je laisserai à M. Charles-Éric Lemaignen, si vous en êtes d'accord, le soin de vous présenter quelques données chiffrées qu'a recueillies notre observatoire, et qu'il sera sans doute intéressant de verser au dossier.

Le mouvement intercommunal est une réponse intelligente à un problème multiséculaire, et maintes fois dénoncé, celui de la dispersion de notre carte administrative entre 36.000 communes. Réponse intelligente, car fondée sur le volontariat et non sur la contrainte, et s'exprimant du bas vers le haut, chose assez rare dans la tradition administrative française pour être soulignée et saluée.

L'intercommunalité tente de résoudre une équation difficile, aux termes contradictoires : rationaliser l'action locale par la mutualisation des moyens et la mise en cohérence des politiques, et ce sans créer de pouvoir supra-communal, mais en respectant, au contraire, la liberté et l'autonomie communales, car il ne s'agit pas de faire disparaître l'entité communale mais bien de la conforter. C'est ainsi qu'est apparue cette innovation politique et administrative qu'est le couple commune-communauté, difficile à définir sur le plan juridique car il n'existe pas dans nos textes, et fondé sur la mise en synergie des communes et sur une subsidiarité respectueuse de l'identité communale. Cette démarche, qui aboutit à remettre en cause le principe de spécialité et d'exclusivité, très ancré dans notre culture administrative, s'est heurtée à des difficultés que l'on imagine sans peine.

Cette capacité d'adaptation aboutit à une grande diversité de configurations, qui est une chance et une richesse, car les réalités locales sont elles-mêmes diverses, et le système qui est en train de se mettre en place permet, par la négociation sur les compétences et la mutualisation des moyens, de respecter cette diversité. Loin de moi l'idée de porter un jugement ou de donner des leçons à votre Commission, mais il faut se garder d'aborder le problème de l'intercommunalité sous un angle statistique, global, macro-économique. Les conclusions que l'on pourrait en tirer, qu'il s'agisse d'un dérapage des dépenses, ce que je ne crois pas, ou au contraire d'économies de gestion, cacheraient une diversité que seule une approche qualitative permet de découvrir. Il y a dans l'intercommunalité de bonnes pratiques, des pratiques vertueuses de recherche d'économies d'échelle, de mutualisation des moyens, et il y a aussi de mauvaises pratiques. Aujourd'hui, le mouvement intercommunal, qui est en quête de stabilité, a besoin que l'on encourage les premières et que l'on dissuade les secondes. Gardons-nous donc d'une approche globale, purement statistique, et nous sommes d'ailleurs là pour vous y aider, car l'une de nos missions est précisément d'être une agence de mise en commun des bonnes pratiques, de tout ce qui se fait de bien, de tout ce qui va dans le bon sens, celui des impératifs d'une gestion territoriale économe, notamment dans les intercommunalités naissantes. Certaines ont, comme la mienne, quarante-cinq ans d'expérience, d'autres datent de cette année seulement, les situations sont donc très différentes et l'on ne peut saisir l'intérêt des situations vertueuses, et donc la possibilité de les diffuser, que par une approche avant tout qualitative.

Le métier de base de l'intercommunalité, nous en sommes bien d'accord, c'est la mutualisation des moyens, la mise en cohérence des politiques, la recherche d'économies d'échelle. Cela doit donc aboutir, et cela aboutit dans les faits, à des économies. Mais dans le même temps, l'intercommunalité devient aussi, et de plus en plus, une intercommunalité de projets : le fait de se regrouper permet à des communes d'émerger à un niveau d'ambition qu'aucune n'aurait pu atteindre isolément. On est donc amené, sur un territoire plus vaste et plus pertinent, à développer des politiques d'attractivité qui engendrent des équipements qu'aucune commune isolée, encore une fois, n'aurait pu même imaginer de construire seule. Cela suscite évidemment des investissements et des dépenses supplémentaires. Gardons-nous donc de porter un jugement négatif sur le développement, avéré, de l'investissement dans le cadre intercommunal. Ce n'est pas une dérive, mais la possibilité pour des communes d'accéder enfin à un niveau supérieur de stratégie politique grâce à l'union et à la coopération.

Un effet important de l'intercommunalité n'est pas assez pris en compte par le législateur, lorsque l'on aborde la question des dotations de l'État et lorsqu'il s'agit d'évaluer la richesse comparée des communes : c'est la péréquation. Or l'effet péréquateur de l'intercommunalité est au moins égal à celui de la péréquation opérée par l'État. Je n'ai pas les chiffres exacts, nous avons commandé une étude pour mesurer précisément cet effet, mais je dirais tout de même avec prudence et en évaluant les choses « à la louche », que l'écart de richesse entre communes va de 1 à 8 000, c'est-à-dire qu'il y a des communes huit mille fois moins riches que les plus riches. Et si l'on fait la même analyse au niveau des intercommunalités, l'écart n'est plus que de 1 à 28 ou 30. Aujourd'hui, la péréquation est gravée dans le marbre de la Constitution, et par conséquent, il s'agit d'une responsabilité de l'État. Or, la péréquation dite « horizontale », c'est-à-dire la solidarité qui s'exerce au niveau local entre collectivités, notamment dans le cadre intercommunal, décharge l'État d'une part importante de l'effort de péréquation qu'il aurait à accomplir s'il n'y avait pas l'intercommunalité. Il faut que les études menées permettent d'apporter une réponse précise à cette interrogation, car je ne crois pas que l'on puisse raisonnablement continuer à parler de péréquation, notamment au sein du Comité des finances locales, sans avoir une vision précise de la capacité péréquatrice de l'intercommunalité.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Je vous ai apporté plusieurs graphiques, que je vais commenter. Le premier est relatif au périmètre de l'intercommunalité, qui regroupe aujourd'hui 88 % des communes et 84 % de la population. On observe un très large succès du régime de la taxe professionnelle unique, qui concerne 1 101 EPCI, dont 162 communautés d'agglomération, pour lesquelles ce régime est obligatoire, et 939 communautés de communes. La carte des intercommunalités à fiscalité propre montre que pratiquement toute la France est couverte, trois régions étant toutefois un peu en retard : Île-de-France, Centre et Champagne-Ardenne.

M. Charles de COURSON : Sauf la Marne !

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : En effet...

S'agissant des compétences, on se rend compte, en consultant l'Annuaire financier et fiscal des agglomérations, que toutes les intercommunalités ont tendance à prendre davantage de compétences, et que le poids financier des intercommunalités s'accroît, même à périmètre constant. La compétence logement est prise par 70 % des communautés, celle des déchets aussi, en revanche la culture et le sport ne sont pris que par 30 % des communautés, tandis que l'eau et l'assainissement sont curieusement en dessous de 40 %. Pour les transports, il y a une diminution apparente, mais qui est due au grand nombre de nouvelles communautés regroupant de petites communes.

Le tableau de la page 5 est présenté de façon originale, car au lieu de donner les chiffres bruts, comme d'habitude, il présente les budgets nets restant à disposition, après reversements aux communes au titre de l'attribution obligatoire de compensation ou de la dotation de solidarité communautaire (DSC). Les montants restent élevés : le total, en 2003, des comptes administratifs des groupements à fiscalité propre a été de 17,8 milliards d'euros.

16 % des recettes de la fiscalité locale reviennent aux groupements à fiscalité propre, soit 10,33 milliards d'euros, dont 93 % proviennent de la seule taxe professionnelle. Il s'ensuit que la taxe professionnelle est un enjeu prépondérant, vital pour les communautés d'agglomération. Il y a une forte spécialisation fiscale des groupements à fiscalité propre. On peut constater une grande sensibilité des groupements à TPU à la moindre dynamique des bases, aux amputations répétées de l'assiette de la taxe professionnelle - notamment du fait de la suppression de la part salaires - et à l'évolution de moins en moins prévisible de la masse fiscale, en raison de fréquents phénomènes d'optimisation fiscale. Dans la communauté d'agglomération dont je suis président, par exemple, les bases de la taxe professionnelle ont augmenté respectivement, au cours des quatre dernières années, de 1,5 %, de 6,1 %, de 0,35 % et de 0,39 %, tandis que le versement transport a progressé de 4,5 % à 5 % par an en moyenne depuis six ans. Cherchez l'erreur ! Et quand je regarde dans le détail mes bases fiscales, je constate des phénomènes évidents d'optimisation fiscale et notamment des pertes de bases dans les grosses entreprises. Celles-ci font passer l'évaluation des équipements et biens immobiliers de la valeur historique au coût amorti... Pour nous, intercommunalités, le produit de la taxe professionnelle, qui représente entre 9 et 10 milliards d'euros, constitue une ressource essentielle, il est important que nous sachions quelle sera la future base et son évolution après la réforme prévue.

Le rôle d'investisseur des intercommunalités est entièrement lié à leurs recettes de taxe professionnelle. Dans une agglomération comme Orléans, qui a un projet de développement des transports en commun en site propre, un point de TP en plus ou en moins représente un enjeu très important.

Certains groupements s'interrogent donc, compte tenu des incertitudes, sur l'opportunité de pratiquer une fiscalité mixte. Très peu encore ont franchi le pas : 97 communautés de communes, 7 communautés d'agglomération, 4 communautés urbaines, parfois en se contentant de voter le principe sans voter de taux. C'est seulement une possibilité qu'elles se réservent. Mais le débat sur l'opportunité de passer à la fiscalité mixte devient récurrent dans certaines communautés.

Le ralentissement tendanciel de l'augmentation des bases de taxe professionnelle est dû en partie aux stratégies d'optimisation fiscale des entreprises. On observe également une importante perte de bases de France Télécom. La compensation versée en contrepartie de la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle rend par ailleurs la taxe professionnelle moins évolutive que par le passé.

Les communautés urbaines disposaient, en 2003, d'environ 4 milliards d'euros de recettes de fonctionnement. Les communautés d'agglomération disposaient également de 4 milliards d'euros de recettes de fonctionnement, alors qu'il y a 6 millions d'habitants dans les 14 communautés urbaines et 18 millions d'habitants dans les 143 communautés d'agglomération.

La compensation de la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle a provoqué d'importantes pertes de recettes pour nos communautés. Nous avons comparé, sur un échantillon de 58 communautés, les compensations « part salaires » pour 2002 avec les bases exonérées multipliées par les taux de taxe professionnelle de 1999 ; les résultats sont souvent catastrophiques. Quand on voit que la dotation de compensation de la suppression de la part salaires évolue comme la part forfaitaire de la DGF, on a des raisons de s'inquiéter, car cela représente, pour beaucoup de communautés, la part la plus importante de leur DGF.

Malgré ce contexte de tassement des bases de taxe professionnelle et de moindre évolutivité de la DGF, la pression fiscale reste modérée. Selon un document publié récemment par la DGCL, auquel je vous renvoie, la TPU n'a pas été un facteur d'inflation fiscale. Par ailleurs, selon la « commission Fouquet », les EPCI n'ont pas utilisé les marges de progression des taux de taxe professionnelle qui étaient à leur disposition du fait de l'augmentation des taux des impôts ménages votée par les communes membres. À périmètre constant, dans les communautés d'agglomération créées en 2000, l'évolution annuelle moyenne est de 0,85 %, contre 0,69 % pour les communautés de communes à taxe professionnelle additionnelle.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous préciser votre propos sur la fiscalité des ménages ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Il y a un lien entre les taux de la fiscalité levée par les communes et le taux de la taxe professionnelle gérée par les communautés d'agglomération. Dans ma communauté d'agglomération, nous aurions pu faire passer le taux de taxe professionnelle de 18 % à 18,09 %, nous ne l'avons pas fait. Nous n'avons pas profité de la marge d'augmentation du taux de taxe professionnelle offerte par l'augmentation des taux des communes membres. Beaucoup de communautés étaient dans ce cas.

L'ADCF a fait une étude sur l'évolution de la fiscalité des groupements en 2005, mais c'était avant le 31 mars et elle n'a pas eu le temps de vérifier si la réalité était exactement conforme aux prévisions... Il en ressort que 54 % des agglomérations étudiées n'envisageaient pas de faire évoluer leur taux de taxe professionnelle. Mais le plus intéressant, ce sont leurs motivations : dans vingt et un cas sur une cinquantaine, c'était par choix politique ; dans dix cas, parce que ce n'était pas nécessaire à l'équilibre de leur budget, et dans quatre cas, à cause de la règle de lien entre les taux : les communes n'augmentant pas leurs taux, elles ne pouvaient pas accroître le leur.

Si la taxe professionnelle n'a pas été inflationniste, en revanche, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères l'a été très fortement. Pourquoi ? Tout d'abord, parce que le taux de couverture des dépenses de collecte et de traitement des ordures ménagères par la TEOM est très variable d'une communauté à l'autre, et que beaucoup d'entre elles, face à la très forte pression à la hausse de ces dépenses, ont souhaité mieux les couvrir en accroissant le taux de la TEOM. En outre, la sévérité accrue des règles de mise aux normes a incontestablement conduit les collectivités, qu'il s'agisse des communes ou des communautés d'agglomération, à augmenter le taux de TEOM. Ainsi, la communauté d'agglomération que je préside est confrontée à des normes de traitement des fumées dans les usines de traitement des ordures ménagères. La construction du centre de traitement des fumées a coûté 9 millions d'euros. En fonctionnement, ce centre de traitement coûte un million d'euros par an à la communauté.

Il y a également le problème des transports, pour lequel il faudra bien donner suite, un jour ou l'autre, au rapport de M. Christian Philip, surtout dans les grandes communautés d'agglomération ayant mis en place des transports en commun en site propre, qui, à terme, ne pourront certainement pas équilibrer leurs comptes. Globalement, quand la communauté dépense 100 euros pour les transports, l'usager ne paie que 29 euros.

S'agissant de l'effet redistributif global, les agglomérations reversent les deux tiers de leur taxe professionnelle aux communes, soit au titre de l'attribution de compensation obligatoire, soit au titre de la dotation de solidarité communautaire (DSC). Les charges sont certes en forte évolution, comme on le voit dans le dernier transparent et dans le rapport de la DGCL, mais cette évolution est liée à l'augmentation du nombre d'agglomérations mais aussi au nombre croissant de politiques transférées des communes à l'agglomération. Ce double effet d'augmentation du périmètre et des compétences de chaque agglomération impose, au lieu d'avoir une approche statistique globale, de comparer ce qui est comparable.

De même, s'agissant des investissements, plus une intercommunalité est ancienne, plus fortes sont ses dépenses d'investissement, et plus elle est intégrée. C'est logique, car l'intercommunalité, comme le disait le président Marc Censi, est un couple, et c'est avec le temps qu'on apprend à se connaître, à faire des choses ensemble et à accepter des transferts.

M. le Président : Merci beaucoup pour cette intervention très claire et très intéressante.

M. le Rapporteur : J'ai une première question pour le président Marc Censi, qui porte sur un point fondamental. Vous avez évoqué le couple commune-communauté, en reconnaissant très directement et sincèrement qu'il est difficile à définir puisqu'il n'existe pas dans la loi, et que l'on peut donc se trouver face à des contradictions, notamment au regard des principes de spécialité et d'exclusivité des compétences. Mais peut-on, dans un État de droit, se satisfaire d'une situation dans laquelle on ne respecte pas vraiment la loi ? Cette approche ne porte-t-elle pas en germe une croissance infinie de la dépense intercommunale, indépendamment de ce que sont les compétences des uns et des autres ? Peut-on justifier cela par le postulat de l'absence de définition du champ intercommunal ? Question subsidiaire : comment se vit concrètement sur le terrain, département par département, au regard du contrôle de légalité et éventuellement dans le temps, le contrôle ou l'absence de contrôle du domaine de compétences de la structure intercommunale ?

M. Marc CENSI : On n'a pas le choix : il faut respecter la loi, sans quoi le contrôle de légalité s'exerce. Il ne s'agit donc pas d'être en contravention avec la loi, mais de trouver les formules permettant de s'adapter à la volonté de mise en synergie des collectivités. Jusqu'à la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, c'était plus compliqué. La loi du 13 août 2004 comporte deux avancées très bénéfiques. Il s'agit tout d'abord de la définition de l'intérêt communautaire, qui donne une base juridique au partage des compétences, à partir de critères qu'il convient d'imaginer. La loi du 13 août 2004 comporte une seconde disposition très importante et novatrice : la mutualisation des personnels. En vertu de cette disposition, le directeur financier de la communauté peut désormais être en même temps directeur financier d'une commune participante. Pourquoi cet exemple ? Parce que, dans une communauté d'agglomération de moins de 100 000 habitants, on peut se payer un directeur financier de gros calibre mais pas deux (un pour la ville-centre et un pour l'agglomération). C'est une véritable avancée, qui permet la mise en commun généralisée de personnels.

Un point de friction, cependant, que l'on va voir monter en puissance du fait de la loi du 13 août 2004, c'est le délai imposé pour définir l'intérêt communautaire. La notion de délai est aberrante car l'intérêt communautaire est fondé sur le principe de subsidiarité, puisqu'on ne transfère que si l'on décide ensemble que les compétences concernées seront mieux exercées au niveau communautaire. Et cette décision repose sur une analyse qui varie dans le temps, suivant l'expérience que l'on retire de ce que l'on a fait, et suivant certaines conditions endogènes et exogènes, si bien que l'on revient très fréquemment sur la définition de l'intérêt communautaire et, partant, sur la répartition des compétences entre communes et communautés. La notion de délai nous paraît donc tout à fait absurde. En toute hypothèse, cette réflexion nécessaire sur l'intérêt communautaire est souvent fondée non pas sur des compétences d'administration mais sur les éléments du projet, car c'est en élaborant et en mettant en œuvre des projets qu'on arrive à réfléchir correctement à la répartition des compétences. Or, les communautés sont souvent engagées dans des démarches et des contrats de projet dans le cadre de la « loi Chevènement », et attendent d'avoir fait aboutir et mûrir leur projet pour se prononcer sur la définition de l'intérêt communautaire. La date-butoir d'août 2005 paraît donc totalement illusoire, et si le législateur ne veut pas revenir sur cette date butoir par voie d'amendement, il y aura beaucoup de contrôles de légalité à partir d'août 2005... Nous demanderons donc, toutes associations d'élus réunies, soit que le législateur supprime cette date-butoir, soit, à défaut, qu'il la reporte d'un an. C'est très important pour nous, car nous devons rechercher en permanence des économies de moyens par mutualisation des moyens répartis entre communes et communautés, et ce ne sera plus possible si l'on instaure un cloisonnement étanche entre les deux institutions.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Une application trop stricte du principe d'exclusivité est totalement contraire à une bonne administration. Par exemple, dans le cas où la compétence routes est partagée, lorsqu'une route est déclarée d'intérêt communautaire et qu'elle a besoin de réparations, à qui la communauté s'adresse-t-elle ? Son premier réflexe est de s'adresser au service technique de la ville-centre, qui connaît la route en question, plutôt que de perdre du temps à passer un marché public avec la DDE.

M. le Rapporteur : Mais alors, pourquoi la route est-elle d'intérêt communautaire ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Parce que c'est une liaison majeure de l'agglomération. Le problème est que l'on se trouve dans une situation un peu fictive : la communauté est obligée de passer un marché public alors qu'il existe une offre qui est, à l'évidence, meilleure que les autres. Il convient de mieux prendre en compte la spécificité de la France, qui compte 36 000 communes et où l'intercommunalité est une façon pour les communes de conserver leur individualité en mutualisant quelques services. Il faudrait que les relations entre la communauté et ses communes membres obéissent à des règles plus souples et plus simples que celles qui existent dans les relations entre deux institutions (deux entreprises privées ou une entreprise publique et une entreprise privée). On pourrait avoir recours à la notion juridique de « in house » pour simplifier les relations entre une communauté et ses communes membres. Ainsi les services communaux pourraient être considérés comme les propres dépendances de la communauté. Cela permettrait d'économiser beaucoup d'argent et d'éviter des doublons car si la communauté ne peut pas s'adresser facilement aux services communaux, elle créera ses propres services techniques d'agglomération, qui feront double emploi.

M. le Rapporteur : Dans la situation actuelle des finances publiques en France, les ensembles intercommunaux doivent-ils se consacrer principalement à la recherche d'une économie de moyens et de mutualisation des coûts, ou bien à faire émerger de nouvelles ambitions, pour reprendre les termes du président Marc Censi ?

M. Marc CENSI : Vous touchez là à un jugement d'opportunité sur les politiques locales. Il appartient aux élus locaux, dans le cadre de leur mandat, de savoir si, dans la perspective du développement local, au sens durable du terme, c'est-à-dire social, économique, environnemental, ils doivent prendre des initiatives qui dépassent le strict équipement qu'ils auraient envisagé dans le cadre communal. Être ensemble sur un territoire plus vaste permet d'avoir une ambition plus grande. Il ne faut pas analyser cela comme une tentation de dépense supplémentaire, mais comme une possibilité de mieux répondre aux problèmes du développement local global, à la compétition entre les territoires... Il appartient aux élus locaux de dialoguer avec les contribuables, avec les usagers, avec les électeurs, pour savoir s'il faut se contenter d'une stricte mutualisation des moyens ou rechercher une stratégie de développement territorial. Ce qu'apporte l'intercommunalité, c'est l'opportunité pour les communes de répondre à une vision à terme de leur territoire, dans un esprit de développement. Je me garderais, pour ma part, de porter un jugement sur les choix politiques de mes collègues. Si certains veulent se limiter à la stricte mutualisation des moyens dans le seul but d'aboutir à une meilleure gestion ou administration et à la recherche d'économies d'échelle, c'est leur droit, mais s'ils pensent que leur responsabilité politique est de dépasser la notion de gestion et d'administration et de faire du développement local, c'est leur droit aussi.

M. le Rapporteur : Disposez-vous de comparaisons sur l'évolution des taux de la TEOM selon qu'il s'agit de communes ou d'intercommunalités ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Non, pas aujourd'hui. La comparaison est très complexe, car il convient de tenir compte de la qualité du service, de l'existence d'un tri sélectif ou non, etc. Nous essayons néanmoins de rechercher les moyens d'affiner notre connaissance du coût de collecte et de traitement des ordures ménagères.

M. Marc CENSI : Nous avions, sur le territoire de ma communauté d'agglomération, trois services distincts de ramassage des ordures ménagères. Le transfert de la compétence à l'intercommunalité a permis de les réunir en un seul service. Imaginez la rationalisation que ce transfert a permis quant aux collectes, aux matériels et aux personnels ! Alors que nous avions prévu un taux à deux chiffres de la taxe, nous avons pu en rester à un seul chiffre grâce à la rationalisation du service de ramassage.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Ce qui est très frappant, c'est que le coût de la collecte et du traitement des ordures ménagères augmente du fait de l'augmentation du tonnage des déchets ménagers d'une part et de l'exigence croissante de la réglementation d'autre part, mais que, dans notre communauté d'agglomération, le transfert a permis, pour les contrats en délégation, de gagner 20 % par rapport aux marchés antérieurs.

M. le Rapporteur : Un expert que nous avons entendu nous a alertés, sans toutefois donner d'exemples, sur le risque financier de certaines structures intercommunales, notamment celles constituées autour de petites villes, qui pourraient se révéler être des configurations pathologiques. Avez-vous des éléments justifiant une telle analyse ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Je ne sais pas, mais la loi de 1992 a notamment prévu de consolider seulement le budget des communes et les budgets annexes, pas celui des communes et celui de la communauté. Certaines communautés l'ont quand même fait. C'est donc tout à fait possible. Ce sont des comptabilités du même type, qui sont tout à fait consolidables.

M. Marc CENSI : C'est un véritable problème. On est confronté à ce que les chasseurs appellent les borduriers, c'est-à-dire les communes qui font de la résistance à l'extérieur de la communauté principale. La réponse souhaitable n'est pas nécessairement d'étendre à tout prix le territoire de la communauté, étant donné qu'il y aura toujours des problèmes de bordures. Mais je suis très frappé de ce que l'utilisation des SCOT rencontre des résistances et des difficultés, alors que c'est probablement par l'intermédiaire d'une réflexion commune qu'on peut y répondre, notamment en matière de zones d'habitat ou d'activités, ou encore de transports. Un SCOT suffisamment élargi permet d'harmoniser les stratégies.

J'attire l'attention des législateurs que vous êtes sur un point. Vous avez voté une disposition permettant de rendre obligatoire un SCOT autour d'une agglomération : la fameuse règle des 15 km autour du pôle urbain. L'avez-vous fait délibérément, ou parce que certaines communes le demandaient ? Il semble que toutes les communautés d'agglomération ne soient pas soumises à cette règle, car l'un des textes préparés par le ministère de l'Équipement fait état de 50 000 habitants sans doubles comptes, alors que la « loi Chevènement » avait prévu 50 000 habitants avec doubles comptes. D'où cette curiosité : certaines communautés d'agglomération n'ont pas le pouvoir d'imposer un SCOT élargi à leur environnement. J'aimerais que vous examiniez cette question, qui doit concerner une dizaine de communautés d'agglomération.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas eu de réponse à ma question, et j'en ajouterai une autre. Vous avez en partie proposé une solution, avec la notion de consolidation qui est effectivement intéressante, mais quid des perspectives financières des communautés de communes configurées autour de petites villes, et des inquiétudes éventuelles qu'elles peuvent inspirer ? D'autre part, vous avez évoqué rapidement, et je voudrais qu'on y revienne, les causes de l'apparition d'une fiscalité ménages des communautés, qui est une nouveauté majeure du moment.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Le risque évoqué à propos des petites communautés n'est pas lié à une cause institutionnelle. Au contraire, l'intercommunalité peut contribuer à limiter ce risque. À l'ADCF, nous voyons bien que beaucoup de communautés définissent des projets, ce qui permet d'éviter que certaines communes considèrent la communauté comme un tiroir-caisse ou un supermarché où l'on peut faire ses courses au moment de boucler son budget. Cette définition de projet permet justement, me semble-t-il, de limiter le risque de dérive financière.

M. le Président : A-t-on constaté une augmentation plus forte de la fiscalité dans les petites communes rurales situées à proximité d'une zone urbaine, par rapport aux autres ?

M. Marc CENSI : Nous n'avons pas de statistiques générales, mais le dernier recensement INSEE de 1999 montre que la croissance démographique des villes-centres et des communes autour de la ville-centre tend à se stabiliser, voire à se réduire, contrairement à celle des communes de la deuxième périphérie. J'ai ainsi l'exemple d'une commune qui a pu diminuer son taux de taxe d'habitation parce que la communauté d'agglomération lui apportait une masse contributive plus importante, et donc des recettes en hausse.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : La fiscalité mixte reste très marginale. Elle concerne 97 communautés de communes, 7 communautés d'agglomération et 4 communautés urbaines. On a beaucoup médiatisé les cas de Rennes et de Marseille, mais qu'en est-il réellement ? Il est vrai que la spécialisation fiscale peut entraîner une déconnexion des ressources par rapport aux compétences, et amener certains maires à se désintéresser du développement économique, au nom du raisonnement suivant, quelque peu primaire : « Prenez donc la taxe professionnelle et les entreprises avec : je ne veux ni camions ni usines dans ma commune ». Une solution, préconisée notamment par M. Jean-Pierre Balligand, consisterait à distinguer un foncier bâti « ménages » et un foncier bâti « activités », qui deviendraient deux impôts différents, dont les taux évolueraient de façon autonome. Les communes comprendraient ainsi que la présence d'entreprises sur leur territoire leur rapporte de l'argent au titre du foncier bâti « activités ». Celui-ci représente actuellement 20 % du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties, mais dans la mesure où l'on ne dispose que d'une moyenne nationale, les communes n'ont pas pleinement conscience de l'importance du foncier bâti acquitté par les entreprises. S'il y avait une taxe sur le foncier bâti « activités » bien identifié, sur le taux duquel la commune pourrait jouer comme elle l'entend, ce serait, à mon avis, beaucoup plus sain.

M. Richard MALLIÉ : Excusez-moi de revenir sur la question des conséquences de l'intercommunalité sur la fiscalité locale. L'intercommunalité a entraîné la création de 104 000 nouveaux postes de fonctionnaires.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Créés ou transférés.

M. Richard MALLIÉ : Je dis bien « créés » : je sais que des personnels ont été transférés, mais l'intercommunalité a entraîné la création de 104 000 nouveaux postes de fonctionnaires. La question est un peu difficile, mais l'ADCF a-t-elle évalué, à service constant rendu à la population, le coût de l'intercommunalité ? Vous avez dit qu'il y avait inflation des dépenses de collecte et d'enlèvement des ordures ménagères du fait de la loi de 1992. C'est certain, mais qu'en est-il à service rendu constant ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Non, il n'y a pas d'étude de ce type. Ce coût est très délicat à analyser, même au niveau micro-économique. Même au niveau de ma propre agglomération, je ne pourrais pas vous répondre exactement. Nous avons transféré la compétence déchets de la commune à l'agglomération au 1er janvier 2002. Cela représente 240 postes, non pas créés, mais transférés. Comment apprécier la notion de service constant ? Avant le transfert, il y avait des déchets communaux qui n'étaient pas quantifiés, comptabilisés. Le coût de la compétence n'était donc pas complètement évalué. Le transfert de la compétence a donc entraîné un surcoût pour la communauté d'agglomération, et un bonus pour les communes. Lorsque la communauté a annoncé qu'elle allait facturer le service au coût complet et envoyer la facture aux communes, certaines l'ont contesté, et cela a suscité un débat et une négociation. Même au niveau micro-économique, il est extrêmement difficile de répondre à votre question. Et d'un point de vue macro-économique aussi, il est très difficile d'avoir une approche statistique et quantitative quand les compétences sont multiples et variées.

M. Nicolas PORTIER : Selon une étude que nous avons faite avec le CNFPT, 114 000 agents travaillent au sein des structures intercommunales. Ce n'est pas un phénomène nouveau, car les plus gros employeurs sont les communautés urbaines, dont certaines datent de quarante ans. La plupart de ces postes ont été transférés, d'autres ont été créés, mais parfois en contrepartie de suppressions de postes dans les communes. Il faut regarder les chiffres avec prudence. Il faut tenir compte des choix de gestion : il y a par exemple des communes qui reprennent en régie des services qui étaient délégués. Il est très compliqué, comme disait le président Marc Censi, d'avoir une approche macro-économique de toutes ces questions. Mais je vous communiquerai cette enquête sur les effectifs des intercommunalités.

M. Pierre BOURGUIGNON : Je voudrais revenir sur la question de la taxe professionnelle, et approfondir un peu le jugement de l'ADCF sur les propositions de réforme de la « commission Fouquet ». Je voudrais notamment avoir votre point de vue sur le type de transfert que vous attendez, sur ce qui vous paraîtrait supportable et sur ce qui risquerait, selon vous, d'aggraver les inégalités entre les territoires.

M. Marc CENSI : Nous avons participé à la « commission Fouquet ». Nous avons contribué à l'unanimité qui s'y est dégagée - du côté des collectivités territoriales en tout cas, car du côté des professionnels, il y a eu quelques fêlures. Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'un nouvel impôt économique assis sur la valeur ajoutée serait la moins mauvaise solution, même si elle fait réapparaître des termes que l'on avait fait volontairement disparaître, comme la part salaires ou la part investissements. Mais cette base valeur ajoutée fait à peu près consensus.

À partir de là, on peut faire certaines remarques. Nous souhaitons que la garantie donnée par le Premier ministre que l'on ne remettra pas en cause les ressources des collectivités territoriales soit respectée. D'où une première série de questions : comment se feront les compensations ? Pendant combien de temps ? Et qui va les payer ? Si l'on souhaite que cette réforme soit un jeu à somme nulle, comme l'a prétendu le ministère des finances, c'est-à-dire si l'on souhaite garantir, tant aux collectivités qui perçoivent la recette, qu'à ceux qui paient, une situation qui était considérée comme acquise à un moment donné, il faudra accepter une différence que l'on peut chiffrer entre 3 milliards d'euros, selon une première estimation faite par M. Pierre Richard, et 6 milliards d'euros.

M. le Président : Cela ne pose-t-il pas le problème de la localisation de la valeur ajoutée ?

M. Marc CENSI : J'allais en parler. Comment localiser la valeur ajoutée, sachant que 56 % de la recette est apportée par des établissements multi-sites ? Il faudra bien trouver une formule de répartition de la valeur ajoutée qui soit satisfaisante. Nous sommes favorables à une clé de répartition comportant des éléments qui permettent de prendre en compte la réalité locale : les effectifs d'une part - surtout pas les salaires, car une répartition de la base en fonction des salaires bénéficierait aux villes où est concentré un grand nombre de sièges sociaux -, et la superficie des établissements d'autre part. Il me semble que les difficultés posées s'agissant notamment de la superficie ne sont pas insurmontables.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Je voudrais ajouter trois remarques complémentaires très simples.

La première est qu'il faut faire cette réforme. Le coût des dégrèvements pour l'Etat est de 1,5 milliard d'euros de plus chaque année. Le coût pour l'intercommunalité est de plus de 9 milliards d'euros, et s'il n'y a pas de réforme, le rôle d'investisseur des collectivités et des communautés d'agglomération diminuera parce qu'on ne peut pas investir sans connaître ses recettes à terme.

Deuxièmement, il convient de trouver un système simple. Je plaide pour une assiette constituée de la valeur ajoutée seule, avec un système reposant sur les déclarations de valeur ajoutée des entreprises, la valeur ajoutée étant pondérée toutefois par deux éléments. Tout d'abord, il faut que l'intérim ne soit pas déduit de la valeur ajoutée, car s'il est déductible, cela dissuadera les embauches en contrats à durée indéterminée, ce qui serait un effet pervers assez malsain. Le second est la réinsertion des loyers, car aujourd'hui les services fiscaux, faute de moyens, contrôlent en priorité les impôts de l'État plutôt que ceux des collectivités. Quand on demande des indications aux services fiscaux, la réponse nous parvient bien tard...

M. le Rapporteur : La Direction générale des impôts nous a pourtant dit hier qu'elle sait faire.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Oui, elle sait faire, mais elle n'a pas les moyens nécessaires, donc elle fait avec beaucoup de retard... Je peux vous communiquer des exemples très précis. S'il y avait un système contrôlé par les services fiscaux pour les rôles de l'État et pour les nôtres, cela permettrait aux collectivités territoriales d'avoir un véritable contrôle de leur assiette.

Troisième élément : il ne faut pas confondre péréquation et réforme de la taxe professionnelle. Un impôt économiquement juste est fondé sur la capacité contributive des entreprises, or celle-ci, comme l'activité, n'est pas équitablement répartie sur le territoire. C'est à l'État d'assurer la péréquation par ses dotations. Si on confond les deux, on ne fera jamais de réforme.

M. Charles de COURSON : On dit souvent, et c'est globalement vrai mais analytiquement faux, que l'intercommunalité a été un facteur d'accélération des dépenses publiques locales. Avez-vous fait des études transversales, sur des échantillons d'une centaine, pour comparer, en additionnant les dépenses des communes et des communautés, l'évolution, avant et après, de la dépense par habitant ? Car il semble bien qu'il n'y ait pas d'analyse faite là-dessus. Et avez-vous complété l'analyse en vous demandant si ce phénomène n'a pas été en partie alimenté par la bonification de DGF dont bénéficient les intercommunalités et qui ne vient pas en déduction des DGF des communes adhérentes ? Ma communauté de communes n'a pratiquement pas augmenté les impôts, malgré des investissements énormes, grâce à une intégration extrêmement poussée (la communauté de communes est intégrée à 70 %) et à une DGF intercommunale qui est égale au montant de la fiscalité levée par la communauté de communes.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : La réponse est très simple. Il n'y a pas d'étude, pour la simple raison que le périmètre de l'intercommunalité est extrêmement mouvant, et que les compétences transférées changent chaque année. Une telle étude sera tout à fait envisageable lorsque le périmètre et les compétences des intercommunalités se seront stabilisés. Mais si on réalisait une étude dans les conditions actuelles, on arriverait quasiment à des principaux fictifs.

M. le Rapporteur : Mais en faisant le total communes plus communauté ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : C'est vrai. C'est tout à fait possible, par la mutualisation de dépenses.

M. Marc CENSI : Il n'y a pas d'étude pour les raisons qui viennent d'être évoquées, et quant à moi, je vous réponds que l'intercommunalité a créé une augmentation de dépenses. Mais c'était bien le but, puisqu'il s'agissait de réunir des communes pour qu'elles puissent faire ensemble des choses qu'elles ne peuvent pas faire séparément. Dès lors que le but est d'élever le niveau d'intervention sur le territoire, il est normal que les dépenses soient plus importantes à l'arrivée. Mais elles sont demandées par la population, participent du développement du territoire, et il appartient aux élus locaux d'en juger.

M. Michel PIRON : Je salue la précision des exposés qui nous ont été faits, tant sur le fond que sur la forme. Il est bon de s'entendre rappeler que les moyens de la politique sont la politique des moyens. Quand les moyens augmentent par mutualisation, ils permettent d'en dégager pour d'autres politiques.

Ma question porte sur la notion de comptes consolidés. J'y crois beaucoup, et je suis tout à fait étonné que l'État ne se soit pas encore penché sur question de la consolidation des comptes des communes et des communautés, compte tenu de la progression très rapide de l'intégration fiscale. Vous avez rappelé que la péréquation est notamment liée à l'intégration fiscale, moi-même je préside une communauté de communes intégrée à 54 %, mais que pensez-vous de comptes consolidés qui permettraient de réviser - mais faut-il le faire ? - la DGF communale ? De façon plus générale, la répartition de la DGF ne devrait-elle pas tenir compte des ressources consolidées des communes et des intercommunalités ?

M. Marc CENSI : S'agissant des comptes consolidés, il y a actuellement une initiative de l'administration fiscale, qui se traduit par de nombreuses expériences, notamment dans ma communauté d'agglomération. L'administration met en place un système de comptes consolidés de l'ensemble des collectivités - communes et intercommunalités. Ce système se met en place progressivement, et c'est la seule façon d'atteindre la vérité de la situation financière du couple communes-communauté.

La prise en compte de la richesse consolidée, notamment pour la répartition de la DGF, est une demande sur laquelle nous mettons l'accent depuis très longtemps, notamment au sein du Comité des finances locales. Nous avions souhaité la création d'une DGF territoriale, car à comparer des choses qui ne sont pas comparables, c'est-à-dire la richesse d'une commune isolée et celle d'une commune membre d'une structure intercommunale bénéficiant de tous les avantages de péréquation interne que l'intercommunalité suppose, l'on aboutit à un système à la fois injuste et ingérable. Lorsque la carte de l'intercommunalité sera achevée, nous devrons nécessairement instituer une DGF territoriale, c'est-à-dire à une dotation fondée sur une analyse des comptes consolidés des communes et des structures intercommunales sur le territoire de l'intercommunalité. En attendant, nous avons souhaité savoir si nous pouvions bénéficier de la procédure d'expérimentation inscrite dans la Constitution, afin que les volontaires éventuels puissent déjà mettre en oeuvre cette procédure. Il y avait un certain nombre de candidats potentiels, dont mon agglomération, mais cette possibilité n'a pas été retenue dans la loi, et c'est dommage, car cela aurait permis de faire la démonstration de ce que vous dites.

M. Marc FRANCINA : Je préside, depuis le 1er janvier, une communauté de communes constituée autour d'Evian. La communauté envisage une augmentation de la fiscalité. Depuis le temps que vous êtes dans l'intercommunalité, vous devez être en mesure de nous dire si toute création d'une structure intercommunale induit une augmentation de la fiscalité. Certaines communes, en transférant des compétences telles que l'assainissement ou les ordures ménagères, ont pu diminuer leurs taux à due concurrence des charges transférées, mais il y a aussi des mauvais élèves qui ont profité des transferts de compétences tout en maintenant leurs taux, ce qui permet au maire de garder un bonus d'autofinancement pour sa commune. Le même problème s'est posé, il y a deux ou trois ans, quand les SDIS ont été transférés aux départements : certaines agglomérations ont gardé un syndicat intercommunal en liaison avec le SDIS départemental et n'ont pas répercuté le transfert des SDIS sur leur fiscalité. Avez-vous une idée de la proportion de ceux qui ont joué le jeu et de ceux qui ont profité du système ? On observe des comportements similaires lorsque la région ou le département augmente son taux : la commune augmente alors le sien parce que plus personne ne saura d'où vient l'augmentation.

M. Marc CENSI : Je ne voudrais pas me livrer à des affirmations non contrôlées, mais les chiffres de M. Charles-Éric Lemaignen montrent qu'il n'y a pas eu, globalement, de dérapage de la fiscalité dans le cadre intercommunal. Quand on regarde cependant les cas particuliers, il faut distinguer les diverses situations. Il est possible que certains maires aient profité de la création d'une structure intercommunale pour se constituer des marges d'autofinancement en ne diminuant pas leur taux, mais ils en portent la responsabilité devant leurs électeurs si le maintien des taux n'était pas justifié. Ce que l'on constate en tout cas dans les anciennes structures intercommunales, c'est une remarquable stabilité de la fiscalité globale, consolidée, sur dix ou douze ans. Enfin, sous le régime de la TPU, quand il y a transfert de compétences, la question ne se pose pas, car le transfert donne lieu à une retenue sur l'attribution de compensation reversée à la commune, de telle sorte que l'opération reste totalement neutre sur le plan fiscal et ne laisse pas de marges de manœuvre aux communes. Il faudrait peut-être compléter nos observations par des chiffres plus précis, mais la tendance est plutôt celle que je viens de vous décrire.

M. Jean-Yves LE DRIAN : Pensez-vous qu'il y ait de nombreux exemples d'anticipation par précaution sur l'incertitude de la compensation future de la taxe professionnelle, en usant de la liberté de fixation des taux quand c'est possible, ou bien est-ce marginal ? Et y a-t-il un lien entre le montant de la DSC et l'augmentation fiscale ?

M. Marc CENSI : Sur le premier point, non. Il y a une incertitude, certes, et l'on peut penser qu'il y a des mesures de précaution, mais je crois que cette incertitude se traduit surtout par la tentation, à laquelle finalement peu succombent, de se donner la possibilité d'accéder à une fiscalité mixte. En revanche, sur la taxe professionnelle elle-même, je ne crois pas. Et beaucoup n'ont fait que se réserver la possibilité de passer à une fiscalité mixte sans toutefois y recourir.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : S'agissant du lien entre le montant de la DSC et la pression fiscale, il a pu y avoir des pressions de certaines communes qui, lorsqu'elles ont augmenté leur fiscalité ménages, ont souhaité que l'agglomération profite de l'augmentation possible du taux de taxe professionnelle pour augmenter la DSC. Quantifier les conséquences de ce type de comportement, nous en sommes incapables, mais la tentation existe. Ont-elles résisté ? C'est difficile à mesurer. Dans ma communauté, des maires, ayant augmenté le taux de leurs impôts ménages, ont exigé que la communauté d'agglomération augmente le taux de la TPU. Nous ne l'avons pas fait. Ce raisonnement n'est pas illogique. Certains maires, qui ont augmenté leurs taux, exigent que la communauté augmente la taxe professionnelle unique et rétrocède aux communes membres une partie de son surplus fiscal...

M. Charles de COURSON : C'est pervers, mais jouable.

Mme Claude DARCIAUX : Je voudrais revenir sur la fiscalité mixte. Vous avez dit qu'elle était marginale. Ce qui me frappe, c'est que de plus en plus de groupements instituent une fiscalité ménages, alourdissant d'autant la taxe d'habitation et le foncier bâti, alors que l'augmentation de la fiscalité régionale, que l'on présente comme très forte, ne touche pas la taxe d'habitation. Et si l'on considère la communauté urbaine de Marseille, qui vient d'instituer une fiscalité mixte avec une taxe d'habitation à 1,90 % et un foncier bâti à 1,96 %, cela représente en valeur absolue environ 100 euros par foyer fiscal, c'est-à-dire beaucoup plus que l'augmentation des impôts régionaux, élevée en pourcentage mais faible en valeur absolue.

D'autre part, je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous proposez, dans la perspective de la réforme de la taxe professionnelle, une distinction entre le foncier bâti « entreprises » et le foncier bâti « ménages ». C'est une très bonne idée, car on voit bien dans nos groupements les difficultés qu'ont certaines communes à accepter des activités et les pollutions qui en résultent sur leur territoire. Il y a dans ma commune, qui fait partie d'un groupement, 7 000 emplois liés à la logistique. Cela fait beaucoup de pollutions, beaucoup de camions, de dépôts de produits pétroliers.

M. le Président : Observez-vous une tendance à passer du régime de la taxe professionnelle unique à la fiscalité mixte, à instituer une fiscalité ménages ? Et observe-t-on une baisse de l'imposition dans les communautés à taxe professionnelle unique et une augmentation dans celles à taxe additionnelle ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Il y a trois cas de communautés passées à la fiscalité mixte : Boulogne, Rennes, Marseille. Cependant, dans le système précédent, la TPU, on observait le même chantage entre communes et communauté, les premières augmentant l'impôt ménages, en demandant à la communauté de ne pas oublier d'augmenter la taxe professionnelle. La fiscalité mixte reste très marginale, je l'ai dit. Dans la mesure où les compétences des intercommunalités concernent davantage les services rendus à la population au quotidien, il est logique que, politiquement, la question se pose. Je comprends l'interrogation de l'ADCF même si je suis plus que réservé à titre personnel, et je ne le proposerai jamais pour ma communauté. Plus les communautés proposent de services à la population, plus elles sont tentées de vouloir se procurer des recettes correspondant à leurs compétences.

M. Nicolas PORTIER : Dix communautés se sont donné la possibilité de lever un impôt ménage, mais quatre n'ont pas activé leur taux. Certaines, comme Saint-Brieuc, ont commencé à activer les taux des impôts ménages cette année. La décision de passer à une fiscalité mixte est aussi étroitement liée à la dynamique de la taxe professionnelle du groupement.

M. le Rapporteur : Quelles sont ces dix communautés ? Pouvez-vous nous donner la liste ?

M. Nicolas PORTIER : De mémoire, je peux citer Amiens, Hayange, Montauban, Mont-de-Marsan, Évreux. Mais je vous communiquerai la liste complète.

M. Jean-Pierre SOISSON : À vous écouter, il semblerait qu'il n'y ait aucune limite au développement des communautés d'agglomération et des communautés de communes. L'intercommunalité est comme l'empire de Charles Quint, qui était duc de Bourgogne à quinze ans, roi d'Espagne à seize et empereur d'Autriche à dix-neuf. Je n'attends que votre abdication, sans quoi votre empire va s'étendre de plus en plus...

Ce que j'ai compris, c'est que l'interprétation de plus en plus large de l'intérêt communautaire et la demande d'allongement du délai imparti pour la définition de ce dernier risquent de conduire les communes à reconnaître une compétence générale à la communauté d'agglomération. Cette donnée ne change-t-elle pas complètement l'équilibre institutionnel entre commune, département et région ? Les intercommunalités sont les entités qui risquent de s'étendre progressivement sur le terrain des autres. Tout ce que vous nous dites très amicalement depuis tout à l'heure rend nécessaire que l'on précise, par la loi ou par d'autres moyens, les compétences respectives des uns et des autres. Nous assistons en effet à la multiplication des acteurs locaux qui interviennent sur le terrain, dans le désordre, sans cohésion, ce qui entraîne une augmentation inévitable des frais de fonctionnement.

M. Marc CENSI : La référence à la clause de compétence générale n'est pas recevable. Ce qui caractérise l'intercommunalité, c'est justement qu'elle ne bénéficie pas de cette clause. Toute compétence transférée, que ce soit sur la base des compétences obligatoires ou sur celle de l'intérêt communautaire, est limitée, identifiée, et ne peut être outrepassée. Quel que soit le délai imparti pour définir la compétence, et même s'il n'y a pas de délai, il y aura toujours des situations où des compétences n'auront pas été transférées à l'intercommunalité, et lui interdiront donc la notion de compétence générale.

La multiplication des acteurs locaux et l'incohérence des politiques menées sont un vrai problème. Mais les communes et l'intercommunalité sont en train de donner une belle leçon de cohérence et d'organisation au niveau local, sur le terrain, au quotidien, avec une remarquable efficacité, et je n'en dirais pas autant de la répartition des compétences entre commune, département et région, où la clause de compétence générale pose problème parce que chaque niveau de collectivité veut intervenir dans tous les domaines. S'il y a une économie à faire, et tous les élus locaux ici présents savent de quoi je parle, c'est dans l'imbroglio des compétences et la concurrence entre départements et régions. Les différents niveaux de collectivités sont mis en concurrence et chacun souhaite planter son drapeau sur les opérations locales. Ce système empêche les collectivités de réaliser des montages financiers cohérents. Il y a là une véritable gabegie que personne ne veut ni dénoncer, ni mesurer.

M. le Président : J'observe que la loi a récemment assoupli cette séparation des compétences en permettant des fonds de concours, et ce n'est pas une mauvaise chose. Parfois, la séparation des compétences n'est pas source d'économies...

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Je voudrais préciser que si le territoire intercommunal s'agrandit comme l'empire de Charles Quint, c'est par mariages successifs, avec l'accord des communes. Ce n'est pas l'intercommunalité qui s'arroge des compétences nouvelles. Ma communauté d'agglomération, par exemple, n'exerce pas la compétence culturelle et sportive, que la majorité des maires ne souhaitaient pas transférer. Je préfère, personnellement, que la communauté se concentre sur son cœur de compétences, sur ses compétences exclusives. La distinction opérée par la loi entre compétences obligatoires ou optionnelles ne me paraît d'ailleurs pas pertinente. L'important n'est pas de savoir si les compétences sont optionnelles ou obligatoires, mais si elles sont exclusives ou partagées.

M. Alain GEST : Je voudrais d'abord que M. Nicolas Portier m'apporte une précision. Vous avez dit que vous nous communiqueriez une étude sur l'évolution des personnels de l'intercommunalité. Cette étude offre-t-elle une vision globale des personnels communaux et intercommunaux ?

Ma question suivante s'adresse au président Marc Censi. Vous venez de dire que l'enchevêtrement des compétences entre les différents niveaux de collectivités posait certains problèmes, et que vous aspiriez à ce que l'on simplifie le système. On peut espérer qu'ainsi, communes et communautés seront moins enclines à intervenir dans les domaines de compétences des départements et des régions. Mais que pensez-vous de l'évolution qui semble survenir avec l'activation ou la réactivation des pays ? Comment cette évolution peut-elle s'inscrire dans ce que vous nous présentez - et les chiffres semblent peu contestables - comme une gestion intercommunale exemplaire, au regard de la multiplication des échelons et des compétences partagées ?

M. Marc CENSI : Vaste sujet, et qui m'est cher... Par où commencer ? J'ai coutume de dire, d'une façon quelque peu schématique, qu'il n'y a pas de pilote dans l'avion. Les politiques territoriales sont fondées sur la clause générale de compétence pour tous les niveaux de collectivités, et sur la totale absence de hiérarchie ou de dépendance entre chacun de ces niveaux. Chacun peut donc faire n'importe quoi et tous les élus locaux savent très bien que l'on aboutit ainsi à une pagaille noire. Même dans des cadres contractuels, ce système conduit à des choses impensables car les appartenances partisanes et les enjeux de pouvoir l'emportent trop souvent sur les stratégies de développement. Et je ne suis pas seul à ressentir ces effets pervers.

Quelles réponses apporter ? Je ne crois pas à la simplification, tant la matière est complexe. C'est une chimère que nous n'atteindrons jamais. Il faut donc rechercher d'autres solutions. Ce que nous préconisons part du constat que nous, élus locaux, sommes en train de passer d'une responsabilité d'administration, au sens où on l'entendait il y a vingt ou trente ans, à une responsabilité de stratégie politique orientée vers le développement local, l'attractivité du territoire, l'emploi. Cette démarche est tout entière fondée sur des projets de développement. La formule à laquelle croit l'ADCF est celle du projet et du contrat, à condition toutefois que le contrat ne soit pas la volonté du plus fort contre celle du plus faible. Il y a donc certainement des solutions qui reposent sur les politiques contractuelles. Je suis persuadé que les pays, les parcs naturels régionaux, les contrats d'agglomération sont de bonnes solutions, mais à condition qu'il y ait un pilote dans l'avion. Qui doit jouer ce rôle ? À mon sens, et je m'en excuse auprès de ceux qui seront choqués par mes propos, ce ne peut être que la collectivité la plus englobante, c'est-à-dire la région, car il n'apparaît pas légitime que le département soit amené à rendre des arbitrages qui impliquent des collectivités ou structures intercommunales qui ne se situent pas sur son territoire. En toute hypothèse, quel que soit le pilote que le législateur choisira, c'est une question absolument fondamentale, car le système actuel n'est pas tenable. La quasi-totalité des acteurs locaux qui sont engagés dans des projets de développement quelque peu ambitieux et qui sont confrontés à ces luttes intestines ne supportent plus cette situation.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Nous sommes là au cœur du sujet, et je vous en remercie.

Pour ma part, je trouve parfaitement aberrante, contrairement à Mme Claude Darciaux, la proposition de M. Charles-Éric Lemaignen d'instituer une double taxe sur le foncier bâti. Les collectivités seront amenées à se battre pour attirer les entreprises à coups de taux de foncier bâti différenciés, alors que la taxe professionnelle unique avait justement permis d'éviter cette concurrence fiscale à l'intérieur d'une même zone. J'espère que notre Rapporteur ne reprendra pas cette suggestion perverse.

Le caractère inéluctable de la hausse de la fiscalité dont parlait M. Marc Censi s'appuie sur l'idée que l'intercommunalité est l'échelon pertinent du développement local. Or, le développement local entraîne inévitablement une augmentation de la dépense et de la fiscalité. Mais l'augmentation des taux n'est pas inéluctable. Les communautés peuvent avoir recours à l'emprunt et espérer un retour sur investissement. Si les compétences des groupements étaient raisonnablement limitées, soit aux services financés par l`usager comme la collecte et le traitement des ordures ménagères, soit au développement économique, qui par nature induit un retour sur investissement, il ne devrait pas y avoir d'évolution à la hausse de la fiscalité des communautés. Depuis dix ans, ma communauté de communes est parvenue à maintenir son taux de pression fiscale de la façon suivante : la DGF finance les investissements d'intérêt communautaire qui n'ont pas de retour, et l'emprunt sert à financer les investissements qui assurent un retour. Que pensez-vous d'un tel raisonnement ? On peut freiner la hausse de la pression fiscale en limitant la multiplication des compétences des groupements, voire en interdisant - j'y serais assez favorable - la prise de compétences telles que la culture ou de sport et en cantonnant les groupements à des compétences de type économique.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Le foncier bâti sur les entreprises existe déjà : il se confond avec le foncier bâti tout court.

Le nouvel impôt économique que je propose ne serait assis que sur la valeur ajoutée, et non sur la valeur locative foncière. Ainsi, les entreprises ne seraient plus imposées deux fois sur les mêmes bases. La France aurait ainsi, comme onze des quinze anciens États membres de l'Union européenne, un impôt sur le foncier bâti activités, et un impôt portant sur un solde intermédiaire de gestion, comme dans cinq des quinze anciens États membres de l'Union européenne.

Je comprends mal, je l'avoue, que l'on puisse interdire aux communes de mutualiser certaines compétences et de transférer davantage de pouvoir fiscal aux groupements si elles le souhaitent et si elles considèrent que ce sera plus efficace. C'est l'essence même de la décentralisation.

M. Charles de COURSON : Que l'on fiche la paix aux collectivités !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : On risque de les déresponsabiliser.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Un thème auquel nos concitoyens sont sensibles est celui des indemnités des élus. Vous avez insisté sur la superposition des structures, et donc des acteurs locaux. Or l'intercommunalité n'entre pas en ligne de compte dans la limitation du cumul des mandats.

M. Marc CENSI : Mais dans celle des indemnités, si.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Quelle est l'incidence de l'intercommunalité sur le volume des rémunérations des élus ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Je dispose des chiffres pour 2003, je vous les communiquerai. C'est dérisoire. Le régime indemnitaire des communautés d'agglomération a été réglé par un décret pris bien après celui relatif au régime indemnitaire des maires, si bien qu'il n'a pas été possible, politiquement, de le modifier en cours de mandature. Le régime indemnitaire des présidents et vice-présidents de communautés d'agglomération est donc resté de 30 % inférieur à celui des maires.

M. le Rapporteur : Mais le nombre des vice-présidents a augmenté.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Même si l'impact est assez dérisoire dans le budget, certaines communautés ont effectivement eu une politique consistant à attribuer à chaque commune un vice-président, ce qui a pu entraîner ça et là une augmentation assez forte de l'effectif du bureau. Je peux retrouver les chiffres si vous voulez.

M. le Rapporteur : Et la question de M. Jean-Jacques Descamps ?

M. Marc CENSI : Vous partez du postulat que tout investissement contribuant au développement local atteint son objectif et se traduit par des recettes supplémentaires. C'est plus ou moins vrai. Si l'on veut vraiment travailler à l'amélioration de l'attractivité d'un territoire, et c'est un véritable sujet pour la plupart d'entre nous, sur quoi les choses se jouent-elles ? Sur des équipements comme, par exemple, un centre nautique. Je cite cet exemple, car il n'y a pas de centre nautique dans mon agglomération et une partie de la population tend à quitter l'agglomération pour s'installer dans une ville située à 80 km de là, qui dispose d'un centre nautique. Il faut donc que ma communauté fasse des efforts particuliers afin de retenir sa propre population... On est amené à avoir une approche globale de l'attractivité, qui passe par la formation, par des équipements culturels et de loisirs, par tout ce qui donne une image attractive à la localité, et qui n'est pas d'un bénéfice forcément immédiat. On peut emprunter, certes, mais les emprunts d'aujourd'hui sont les remboursements de l'année prochaine, et les dividendes ne viennent que bien plus tard. Il y a un décalage dans le temps, et pas forcément de retour sur investissement. Cela dit, justement dans l'agglomération que je préside, nous avons toujours financé les investissements et l'augmentation des dépenses par l'augmentation des bases physiques de taxe professionnelle. Nous avons la chance que notre agglomération se développe, mais que fait-on lorsque l'on est dans un bassin houiller en perdition ? À l'inverse, il peut évidemment y avoir des équipements dont l'opportunité est discutable.

Je crois que le souci de votre Commission de détecter si le système engendre des dépenses supplémentaires en tant que système est louable, et nous le partageons, mais dès lors que vous débordez sur un jugement d'opportunité des politiques locales, et notamment sur le choix des investissements, il y a une contradiction avec la lettre de la Constitution, qui consacre le principe de libre administration des collectivités territoriales.

M. Charles de COURSON : Absolument !

Ma dernière question porte sur le volet recettes. Personne n'a réalisé d'analyse longitudinale, année par année, depuis les communautés les plus anciennes jusqu'aux plus récentes, pour vérifier si, en faisant la somme des impôts perçus par les communes et les intercommunalités, il y a eu une rupture consécutive à la création de ces dernières, et si les transferts de compétences aux intercommunalités ont été répercutés intégralement à la baisse sur les taux pratiqués par les communes. Cela a été le cas chez moi, mais on me dit que c'est exceptionnel. Nous avions la chance que le montant d'équilibre des taux de la communauté de communes était tel que chaque commune pouvait baisser ses taux. Les charges transférées étaient supérieures, commune par commune, au montant de la fiscalité transférée, au taux d'équilibre. Chacun pouvait donc jouer le jeu et tout le monde l'a fait, sauf une commune qui a mis un an pour baisser ses taux. Avez-vous fait des études sur ce sujet ?

M. Marc CENSI : Un transfert de compétences provoque un transfert de charges. Si l'on en restait là, la commune pourrait avoir la possibilité de diminuer sa fiscalité.

M. le Rapporteur : Est-ce qu'elle le fait à l'année zéro ?

M. Marc CENSI : Non, mais elle a immédiatement une retenue sur l'attribution de compensation de taxe professionnelle.

M. Charles de COURSON : On pourrait faire le calcul sur les communautés à fiscalité additionnelle. Or, aucune étude ne semble avoir été faite là-dessus.

M. le Président : Quand il y a transfert de compétences, on évalue la compétence et il y a une compensation.

M. Charles de COURSON : Non.

M. Marc CENSI : Pour être clairs, nous ne l'avons pas fait. Nous disposons d'une structure de cinq personnes...

M. le Rapporteur : Si j'ai bien compris M. Charles de Courson, l'année zéro, où il n'y a pas encore développement de services, apparaît une fiscalité intercommunale - plus le bonus des dotations, mais laissons cela de côté. Y a-t-il une baisse équivalente des taux communaux ? Et à quelle fréquence observe-t-on, ou non, le phénomène ?

M. Marc CENSI : Même l'année de la création, on peut créer des charges et des compétences nouvelles. Il faut mesurer l'impact de l'intercommunalité toutes choses égales par ailleurs, et on rencontre déjà une difficulté d'interprétation. L'étude serait intéressante à faire, j'en suis conscient, mais nous n'en avons pas les moyens. Peut-être votre Commission peut-elle nous y aider.

M. Michel PIRON : Ma question est très simple. C'est celle de la fiscalité additionnelle. Sur dix communes de ma communauté, une seule n'a pas joué le jeu lors de la création de l'intercommunalité. Une part de l'investissement voirie des communes a été mise à la charge de l'intercommunalité. Toutes choses étant égales par ailleurs, les communes devaient baisser d'autant leur budget voirie. Or un maire a trouvé très pratique de profiter du transfert pour donner un peu d'aise à son budget sans se faire réprimander par les contribuables à qui il annonçait le maintien des taux, en rejetant l'impopularité de la hausse sur le président de la communauté. Mais les neuf autres ont joué le jeu et répercuté le transfert de charges sur leurs taux de fiscalité. La seule étude qui ne poserait pas de problème méthodologique consisterait à regarder de près ce qui se passe la première année en fiscalité additionnelle entre communes et intercommunalités, mais en supposant que toutes les choses soient égales par ailleurs.

M. Nicolas PORTIER : L'ADCF n'a pas fait d'étude de ce type, mais la Chambre de commerce et d'industrie de Paris en a fait une en 1996-1997, avant la généralisation de la TPU. Cette étude montre, sur la base d'un certain nombre d'échantillons, des comportements différents entre les intercommunalités à fiscalité additionnelle, où l'on ne constatait pas d'économies d'échelle, et celles à TPU, ou l'on observait des économies d'échelle, ainsi qu'une moindre inflation fiscale. Mais il faudrait comparer les comportements fiscaux des groupements avec la dynamique des comportements fiscaux des communes isolées, dont les taux ne sont pas forcément restés stables.

Mme Claude DARCIAUX : Avez-vous constaté, dans les groupements à taxe professionnelle unique, des cas de communes, notamment celles qui avaient une importante taxe professionnelle qui, l'attribution de compensation n'évoluant plus, ont du mal à équilibrer leur budget sans augmenter la fiscalité des ménages ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Tous les cas de figure existent, dans un sens comme dans l'autre, au profit des communes ou de l'intercommunalité. Dans ma communauté d'agglomération, exemple parmi d'autres, l'évolution des bases de taxe professionnelle est de 0,39 %, contre 1,9 % à 2 % dans la commune-centre et les autres communes. Cette année, l'évolution physique des bases des impôts ménages a été plus forte que celle des bases de la taxe professionnelle, mais c'est la DSC qui doit permettre de parvenir à un équilibre. Je rappelle que la DSC a un rôle important à jouer : elle est variable et résulte d'un pacte financier entre les communes et l'agglomération, c'est-à-dire un accord pour gérer ce genre de problèmes.

Mme Claude DARCIAUX : Vous seriez donc assez favorable à ce que la DSC assure finalement l'équilibre entre communes et groupements ?

M. Marc CENSI : Elle a cependant un impact sur le coefficient d'intégration fiscale, ce qui me paraît une anomalie. On ne peut pas rester dans cette situation.

M. le Rapporteur : On a largement posé la question de l'impact fiscal des compétences nouvelles depuis la décentralisation. Elles sont, dans le nouveau train de mesures législatives, assez limitées pour les communautés d'agglomération, mais comment appréhendez-vous cet impact ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : La seule compétence nouvelle qui peut être déléguée aux groupements sont les aides à la pierre. La communauté d'agglomération d'Orléans a pris cette compétence. Pour l'heure, la seule conséquence financière en est la création d'un poste destiné à piloter le travail de la DDE, auquel il convient d'ajouter l'avance fiscale, mais la somme est très marginale. Si cette délégation se transformait en transfert de compétences, les risques financiers seraient plus importants. En revanche nous observons un effet de cascade des transferts de compétences vers les départements. Exemple : le transfert des routes nationales. De nombreux départements ont tendance à déléguer aux groupements la gestion des routes qui sont sur leur territoire. Le transfert des routes nationales aux départements va donc donner lieu à un débat entre les communautés agglomérations et les départements, qui souhaitent répercuter des charges liées au transfert de ces routes nationales et rationaliser en outre la gestion des routes au niveau d'un territoire aggloméré, considérant de ce fait qu'il y a aussi transfert d'anciennes routes départementales.

M. le Rapporteur : Avec transfert de ressources ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : Là est toute la question...

M. le Président : Constatez-vous-vous qu'il y a des différences dans l'augmentation de la fiscalité des communautés à TPU et à fiscalité additionnelle ? Je lis sur un de vos tableaux que la pression diminuerait pour les premières et augmenterait de 0,69 % pour les secondes...

Avez-vous pu comparer la hausse de la fiscalité globale dans une commune en intercommunalité et dans une commune isolée ?

Par ailleurs, vous avez déploré des pertes de bases de taxe professionnelle de France Télécom. Nous avons posé la question hier à la Direction générale des impôts. Si vous avez des éléments à nous fournir, cela nous aidera, car j'observe un peu partout en France une diminution des bases de France Télécom.

Enfin, pouvez-vous évaluer le transfert de charges lié aux dispositions relatives aux transports de la loi sur le handicap ?

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : S'agissant des variations de pression fiscale, il faut toujours bien vérifier si l'on est à périmètre constant ou modifié. Les chiffres fiables, sur le graphique, sont ceux en grisé, car ils sont à périmètre constant.

Aux termes de la loi sur le handicap, tous les transports publics devront être accessibles aux handicapés d'ici dix ans. Dans mon agglomération, nous avons mené une réflexion sur l'accessibilité des lignes fortes du réseau. Pour les trams, c'est fait. Pour le bus, cela représentera, rien que pour l'accessibilité des stations, un million d'euros pour chacune des cinq lignes fortes, à quoi il faut ajouter les adaptations nécessaires pour équiper les matériels de palettes, ainsi que la modification du service de transport des personnes à mobilité réduite (TPMR), dont le coût par personne transportée est extrêmement élevé. Je ne suis pas certain que beaucoup d'agglomérations seront en mesure, dans dix ans, de respecter la loi...

M. Nicolas PORTIER : S'agissant de France Télécom, nous avons pu voir, dans l'enquête sur les intentions fiscales des groupements urbains (communautés urbaines et communautés d'agglomération), que certains anticipaient des pertes importantes.

M. le Président : Comment l'expliquez-vous ?

M. Nicolas PORTIER : Par les stratégies d'optimisation fiscale des entreprises. On l'a notamment constaté à la communauté urbaine de Bordeaux. Nous pourrons vous donner des indications plus précises.

Quant au logement, même s'il n'y a pas de transfert de compétences, c'est un champ de politiques publiques très important, où l'on attend beaucoup des communautés. Les premières délégations ont eu lieu. Douze communautés sont concernées.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des financements en conséquence ?

M. Nicolas PORTIER : Les concours du délégataire sont supérieurs dans la quasi-totalité des cas, à l'exception d'Orléans, aux concours de l'État. La délégation aurait pu se faire sur l'enveloppe unique de l'État, la loi de cohésion sociale ayant fixé un objectif quantitatif ambitieux : 500 000 logements. Quand on territorialise cet objectif territoire par territoire, comme l'ont fait les préfets, cela nécessite une révision des plans locaux de l'habitat. Sachant d'autre part que les coûts de production sont très évolutifs compte tenu de la surchauffe immobilière et foncière, même les coûts estimatifs nécessitent des concours financiers très importants du délégataire, atteignant parfois 240 % ou 270 % des concours de l'État, comme à Rennes. Mais ces coûts résultent de choix locaux, puisque la communauté responsable peut choisir de prendre ou de ne pas prendre la compétence.

M. Charles-Éric LEMAIGNEN : C'est pour cela qu'une seule communauté, Nancy, a pris la compétence logement étudiant, car les autres se méfient du volume des besoins non encore satisfaits, et du très important transfert de charges qui risquerait de s'ensuivre.

M. le Président : Il nous reste à vous remercier de tous ces éléments et à vous rappeler de nous envoyer ce dont nous sommes convenus.

Audition de MM. Jean-Marie BERTRAND,
directeur général de Réseau ferré de France (RFF),
et Jean-Louis ROHOU,
secrétaire général de RFF


(Extrait du procès-verbal de la séance du 6 avril 2005)

(Des documents fournis par M. BERTRAND à l'appui de son intervention sont reproduits en page 255 du tome III du présent rapport)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Jean-Marie Bertrand et Jean-Louis Rohou sont introduits.

M. le Président : Nous accueillons MM. Jean-Marie Bertrand, directeur général de Réseau ferré de France (RFF), et Jean-Louis Rohou, secrétaire général de RFF. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Un des objectifs de la commission d'enquête est d'examiner les conséquences financières des transferts de compétences pour les collectivités territoriales. Les régions se sont ainsi vu confier, en 2002, la responsabilité des services régionaux de voyageurs.

RFF a deux types de relations avec les régions. D'abord, il leur fait payer des redevances d'utilisation du réseau ferré pour les TER dont le service est assuré. L'évolution du coût des redevances a donc eu des conséquences financières pour les régions, semble-t-il surtout cette année. Vous nous direz si vous les avez chiffrées. Ensuite, RFF aide les collectivités territoriales à monter leurs projets de modernisation du réseau ferroviaire dans le cadre des contrats de plan. De ce point de vue, vous pourrez aussi nous dire quel est l'état des investissements à réaliser, le degré d'avancement des projets en cours en 2003-2004 puisque nous n'avons pas les chiffres pour 2004, et ce que vous espérez voir réaliser en 2005.

M. le Président rappelle à MM. Jean-Marie Bertrand et Jean-Louis Rohou que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Jean-Marie BERTRAND : Comme vous l'indiquiez, nos relations avec les collectivités territoriales concernent principalement les redevances pour services TER, d'une part, et les investissements, d'autre part. Il m'a paru utile, pour vous éclairer, de développer en introduction trois points : l'équation économique d'ensemble de RFF, notamment pour situer l'évolution des péages ; l'organisation et l'évolution du système de péages ; enfin, les investissements, qu'il s'agisse des contrats de plan État région ou des lignes à grande vitesse (LGV), au financement desquelles les collectivités territoriales contribuent désormais depuis la LGV-Est.

S'agissant de l'équation économique de RFF, voici quelques chiffres, que vous connaissez car beaucoup dépendent des contributions que nous recevons du budget de l'Etat. Du côté des péages, nous avons perçu, en 2004, 2,1 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent environ 300 millions de recettes diverses, souvent liées aux péages, notamment la redevance pour consommation d'électricité. Dans notre compte d'exploitation, l'ensemble des recettes commerciales s'élève donc à 2,4 milliards d'euros environ. Du côté des dépenses, les choses sont assez simples : nous versons 2,6 milliards d'euros à la SNCF pour qu'elle assure pour notre compte l'exploitation et l'entretien du réseau. Nous avons également 200 millions d'euros d'autres charges, comprenant notamment le fonctionnement de la maison RFF. Le résultat d'exploitation, avant amortissement et subvention de fonctionnement, fait donc apparaître un déficit structurel de quelque 400 millions d'euros. Nous recevons de l'État une subvention d'exploitation, la contribution aux charges d'infrastructures (CCI), qui s'est élevée à 1,1 milliard d'euros en 2004. L'excédent brut d'exploitation est ainsi de l'ordre de 700 millions d'euros, avant un amortissement d'environ un milliard d'euros.

Les péages ont fait l'objet d'une importante réforme, décidée en 2003, et appliquée depuis 2004 sous la forme d'une augmentation qui a comporté deux volets. Premier volet : un quasi-doublement des péages TER, qui avait pour pendant une dotation compensatrice de l'État de 214 millions d'euros. Cette augmentation des péages a été appliquée immédiatement en 2004. Second volet, étalé sur cinq ans entre 2004 et 2008 : une augmentation de 300 millions d'euros, à raison de 60 millions par an, qui porte pour moitié sur le fret, et pour l'autre moitié sur les circulations voyageurs, grandes lignes, et lignes à grande vitesse en particulier. Vous trouvez donc en 2004 l'effet de deux mesures : une mesure de doublement des péages TER, évaluée à 214 millions d'euros, et une augmentation du barème de 60 millions, dont 30 millions d'euros pour le fret et 30 millions d'euros pour les voyageurs.

M. le Président : Par qui sont payés ces 60 millions d'euros ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Par l'opérateur ferroviaire, c'est-à-dire la SNCF.

M. le Président : Et par les régions ? Les TER, ce sont les régions...

M. Jean-Marie BERTRAND : Au deuxième degré, ce sont les régions, mais RFF ne connaît que le transporteur ferroviaire, à savoir la SNCF, qu'il s'agisse du fret, des grandes lignes ou des TER. Ensuite, il y a une répercussion sur les régions, à travers les conventions qui lient ces dernières à la SNCF. Nous n'avons pas de rapport direct avec les collectivités territoriales pour ce qui concerne les redevances.

Les mesures d'augmentation des péages décidées par le Gouvernement en 2003 ont été accompagnées d'une autre mesure, symétrique, qui a consisté à diminuer la subvention de fonctionnement que l'État verse à RFF - la contribution aux charges d'infrastructure (CCI) -, à due concurrence de l'augmentation estimée des péages en 2004. Le montant de cette CCI que je vous ai indiqué pour 2004, soit 1,1 milliard d'euros, traduit donc une diminution de 274 millions d'euros par rapport à 2003.

Il y a donc une neutralité apparente, pour les comptes de RFF : ce que nous avons gagné sur un produit, nous l'avons perdu sur l'autre. Cette analyse correspond, pour une part, à la réalité, mais la mesure, en fait, n'est pas neutre. Elle traduit, fondamentalement, une amélioration de la rationalité économique, dans la mesure où les péages sont la rémunération d'un service. Nous vendons des sillons, c'est-à-dire le droit de circuler sur une ligne entre deux points à une heure donnée, et ce service comporte un coût. Or, notre exploitation est structurellement déficitaire, notamment pour les lignes TER. Grâce à l'augmentation des péages, l'écart a été réduit entre les coûts et les produits, même si nous sommes loin de l'équilibre. Par ailleurs, cette mesure a un effet sur les investissements, via la capacité de financement de RFF. En effet, selon l'article 4 de notre décret statutaire, nous avons l'obligation de dimensionner notre participation aux investissements que nous réalisons, c'est-à-dire notre apport en fonds propres, en fonction des cash-flows futurs que l'investissement dégagera. Dès lors que, par l'augmentation des péages, il y aura augmentation des produits, la capacité de RFF à participer aux investissements va augmenter.

Les investissements ferroviaires sont des investissements lourds, à faible rentabilité, qui s'amortissent sur le long terme. La participation de RFF, d'une façon générale, est donc faible. L'augmentation des péages permet un certain rééquilibrage entre la contribution des usagers et, in fine, celle du contribuable, en tout cas un certain étalement dans le temps de cette contribution.

Le résultat, pour RFF, est l'amélioration de son compte d'exploitation, notamment pour les TER, avec malgré tout la persistance d'un déficit. Pour les circulations TER, les péages couvrent les coûts d'entretien et d'exploitation, hors amortissement, à hauteur de 50 % ou 55 % selon nos calculs. Ces circulations TER s'effectuent sur deux grandes sous-catégories de lignes : les lignes les plus « circulées », classées du niveau 1 au niveau 6 selon les normes de l'UIC, et les lignes à vocation régionale, relativement peu « circulées », classées du niveau 7 au niveau 9 (« 9 avec voyageurs » car il existe un niveau « 9 sans voyageurs »). Grosso modo, les niveaux 1 à 6 représentent les trois quarts des circulations TER, les niveaux 7 à 9 le quart restant. Compte tenu du système de tarification, qui fait payer plus cher l'usage des lignes à forte circulation, les produits couvrent environ 85 % des charges d'entretien et d'exploitation pour les dessertes TER effectuées sur des voies de niveaux 1 à 6 et seulement 20 à 25 % pour celles effectuées ou des voies de niveaux 7 à 9.

Quelques mots sur le système de tarification. Les redevances TER ont représenté en 2004 quelque 430 millions d'euros, sur un montant total de 2,13 milliards d'euros, soit environ 20 % des péages. En termes de volume de circulation, mesuré en trains-kilomètres, les TER représentent 27 % des circulations totales, c'est-à-dire que leur poids est moindre en recettes qu'en volume. Les lignes les plus « circulées », 1 à 6, représentent 83 % des recettes, les moins « circulées » 17 %. Sur ces lignes 7 à 9, nous avons entre 300 et 400 millions de charges d'entretien et d'exploitation, dont le taux de couverture moyen ressort à 23 %.

Le péage lui-même comporte différents éléments. Il existe une carte tarifaire, avec 1.155 segments. Le barème répartit ces segments en huit catégories, trois spécifiques aux lignes à grande vitesse et cinq pour les autres lignes, avec une modulation de A à E. A correspond au secteur périurbain très fréquenté, B au secteur périurbain avec moins de trafic, C aux liaisons inter-cités et E aux petites lignes à faible circulation. Le péage recouvre quatre éléments de tarification : le droit d'accès au réseau ; le droit de réservation d'un sillon tel jour à telle vitesse ; le droit de réservation des arrêts en gare ; le droit de circulation, c'est-à-dire la prise en compte de l'effectivité de la circulation. Certains de ses éléments sont modulés selon la tranche horaire : heures creuses, heures normales, heures pleines, avec une majoration éventuelle pour une circulation à 220 kilomètres/heure au lieu de 160 ou 200 pour les trains de voyageurs, ou à 70 kilomètres/heure pour les trains de fret quand la qualité du sillon le permet. Le droit de réservation représente 61 % des 2,13 milliards de redevances, le droit de réservation des arrêts en gare (DRAG) 18 %, le droit de circulation 17 % et le droit d'accès au réseau 4 %, soit 85 ou 86 millions, ce dernier n'étant pas différencié jusqu'à présent selon les types de circulation : c'est une sorte de forfait global pour la SNCF.

Le trafic TGV représente 41 % des recettes de péage, le trafic Île-de-France 25 %, les TER 21 %, les trains rapides nationaux (TRN) - c'est-à-dire les trains Corail - 7 %, le fret 5 % - il pèse peu dans nos ressources. Enfin, sur les 430 millions d'euros de péages TER, le droit de réservation des arrêts en gare est le principal élément : il pèse 42 %, le droit de réservation des sillons 29 %, le droit de circulation 29 % également. Le poids des droits de réservation des arrêts en gare est lié à l'augmentation des recettes de péages des TER en 2004 ; en effet, c'est surtout via le DRAG que l'augmentation des péages a été introduite.

M. le Président : Comment avez-vous modulé ?

M. Jean-Marie BERTRAND : En faisant le choix d'introduire le DRAG pour les TER. La logique est de tarifer l'occupation de capacité. Sur les lignes très circulées, un train qui s'arrête est d'autant plus consommateur de capacité, un train qui ne s'arrête pas passe rapidement et consomme moins de capacité.

Quelques éléments sur les investissements. RFF a investi, en 2004, 2,4 milliards d'euros, dont 1,5 milliard d'euros pour le développement du réseau, à raison d'un milliard d'euros pour les lignes à grande vitesse, la LGV-Est principalement, et 434 millions d'euros pour le réseau classique, avant tout dans le cadre des contrats de plan État-régions.

M. le Président : Ce n'est pas RFF qui paye ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Nous réalisons les investissements ; ils sont comptabilisés dans nos comptes. Nous recevons les contributions financières des différents partenaires. S'y ajoute la part financée par RFF sur ses fonds propres.

M. le Rapporteur : Dans le cadre de l'article 4 ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Oui. Le financement comprend la part de RFF, celle de l'État et la contribution des collectivités territoriales, et parfois des subventions de l'Europe. Les comptes de RFF retracent l'activité d'investissement du maître d'ouvrage que nous sommes.

En plus du milliard et demi consacré au développement du réseau, les investissements comprennent également, à hauteur de 900 millions d'euros, le renouvellement (770 millions d'euros) et la mise aux normes ainsi que les aménagements de sécurité (130 millions d'euros). Dans notre jargon, ces investissements sont intitulés « hors article 4 », à la différence des investissements « article 4 », il n'est pas possible d'identifier pour eux une rentabilité spécifique. Ces 900 millions d'euros sont financés par la subvention de régénération qui nous est versée sur le budget général de l'Etat depuis la réforme de 2004, qui a créé cette subvention ainsi que la subvention de désendettement.

M. le Président : Quel est le montant de cette subvention ?

M. Jean-Marie BERTRAND : De 900 millions d'euros en autorisations de programme et 675 millions d'euros en crédits de paiement en 2004.

M. le Président : Et en 2005 ?

M. Jean-Marie BERTRAND : De 900 millions d'euros en autorisations de programme et de 900 millions d'euros en crédits de paiement en 2005.

La courbe des investissements depuis 1997, c'est-à-dire depuis la création de RFF, fait apparaître une diminution jusqu'en 2002, liée à l'achèvement et à la mise en service de la LGV-Méditerranée, et se trouve de nouveau en croissance depuis 2002, du fait du lancement de la réalisation de la LGV-Est.

M. le Président : Pourquoi seulement 770 millions d'euros pour le renouvellement de l'infrastructure ferroviaire s'il y a 900 millions d'euros de subvention ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Ces 900 millions couvrent l'investissement de renouvellement plus les investissements de mise aux normes.

M. le Président : Cela nous inquiète un peu, car vous nous disiez l'an dernier que 850 millions d'euros avaient été investis pour le renouvellement.

M. Jean-Marie BERTRAND : Non, en 2003, 728 millions d'euros ont été consacrés au renouvellement, et nous avons légèrement augmenté en 2004.

M. le Président : Vous aviez dit qu'il faudrait un milliard ou 1,1 milliard d'euros si l'on voulait être capable de supporter la vitesse des trains. Quelle est la part, en kilomètres, du réseau qui ne peut pas supporter une vitesse normale ?

M. le Rapporteur : Les deux tiers !

M. Jean-Marie BERTRAND : Un audit de l'état du réseau est en cours. Il est effectué par des experts suisses, qui ont notamment pour mission de répondre de façon objective à cette question, et aussi de dire si RFF et la SNCF sont performants dans l'entretien du réseau.

S'agissant de la contribution des collectivités territoriales, il y a eu une innovation pour la réalisation de la LGV-Est : pour la première fois, elles ont été appelées à participer au financement d'une ligne à grande vitesse. La convention de financement prévoit que les 19 collectivités concernées, régions, départements, agglomérations, fourniront 23,56 % des 3,5 milliards d'euros à investir.

M. Jean-Pierre SOISSON : Et pour la ligne Rhin-Rhône ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Les collectivités territoriales sont sollicitées. La négociation est en cours.

M. le Président : Cela veut-il dire que ceux qui attendent encore le TGV doivent s'attendre à le financer pour plus de 24 % ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Les plans de financement sont négociés en fonction de chaque investissement ainsi que de sa rentabilité attendue : celle de Rhin-Rhône sera moindre que celle du TGV-Est, la contribution de RFF sera donc moindre, de l'ordre de 300 millions d'euros.

M. Charles de COURSON : Combien donneront l'État français et le Luxembourg ?

M. Jean-Marie BERTRAND : L'État versera 1,379 milliard d'euros, soit 40 % environ du total, et le Grand-duché de Luxembourg 133 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Et l'Europe ?

M. Jean-Marie BERTRAND : 362 millions d'euros sont prévus, soit 10 % du total, mais en réalité ces 10 % ne seront pas atteints. Il faudra donc réviser le plan de financement, étant entendu que l'État se substituera à l'Europe.

M. Charles de COURSON : L'Europe plus la France plus le Luxembourg plus les collectivités territoriales, cela représente donc près de 80 % ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Oui, à peu près. RFF prend en charge 24 %.

Les contrats de plan État-régions actuels sont la première génération de contrats de plan avec un volet ferroviaire aussi important. Son montant a été multiplié par neuf par rapport à la génération précédente. Tirés du point que nous venons de faire des conventions signées ou en voie de signature, les chiffres ci-après proviennent de la comptabilité de RFF. Les engagements signés dans des conventions de financement, pour la génération des contrats de plan en cours 2001-2006, s'élèvent à 1,6 milliard d'euros, dont 821 millions d'euros à la charge des collectivités territoriales, soit 51 % du total, et le reste se répartit entre l'État et RFF. Ce sont des engagements de la génération 2001-2006, mais la réalisation des travaux pourra déborder au-delà de 2006. Les conventions en cours de signature, qui sont dans la « moulinette » de RFF et qui concernent les projets prêts à être réalisés, représentent 1,45 milliard d'euros, dont 740 millions d'euros seront fournis par les collectivités territoriales, soit la même proportion de 51 %. Il faut encore ajouter 140 millions d'euros d'opérations tronçonnées dans le temps, compte tenu des contraintes de disponibilité des autorisations de programme du budget de l'État, mais dont on peut penser qu'elles seront finalement réalisées. Au total, les investissements programmés s'élèvent donc à 3,2 milliards d'euros courants.

M. le Rapporteur : Nous souhaitons disposer du texte de la convention de financement de la LGV Est. Vous avez compris qu'un des objets de notre Commission d'enquête est de rechercher le lien éventuel entre l'augmentation de la fiscalité locale et les opérations ferroviaires, qu'il s'agisse d'opérations de services ou d'investissements.

S'agissant des services, des TER donc, sachant que nous laissons de côté la problématique spécifique à l'Île-de-France, qui n'est pourtant pas négligeable, je ne sais pas si vous serez à même de répondre, car c'est la SNCF qui facture ses services aux régions, mais vous n'y êtes sans doute pas pour autant indifférent. Quel est le lien entre l'augmentation des péages décidée globalement par l'État et l'évolution de la fiscalité régionale ? Il y a un double phénomène : d'une part, l'augmentation des péages à service constant, et celui de l'évolution de l'amplitude ou de la nature du service. Celle-ci peut-elle justifier l'augmentation du besoin de financement public par l'impôt ? Et qu'en est-il de l'augmentation des péages, en d'autres termes l'augmentation de la dotation de l'État couvre-t-elle celle des péages ?

En second lieu, l'augmentation des péages est décidée par l'État. Je n'ai pas bien compris, parmi les quatre catégories de péages, qui, de vous ou de l'État, choisit de répartir l'effort sur tel ou tel type de péage. Et ce choix est-il de nature à compliquer le raisonnement sur le service tel qu'il existe, le service constant ? Le choix de porter l'effort sur l'arrêt en gare a-t-il pour résultat que le coût du surplus de service demandé par les régions sera en réalité de plus en plus lourd parce que vous mettez l'accent sur tel élément du péage plutôt que sur tel autre ?

Troisièmement, quand vous évoquez la multiplication par neuf des investissements ferroviaires dans le cadre des contrats de plan État-régions, et réserve faite de la liberté du politique de décider ce qu'il veut, s'agit-il d'une multiplication raisonnable ou déraisonnable ? Pour mettre les pieds dans le plat, on peut constater des retards dans l'exécution des contrats de plan, mais quand on fixe un tel objectif, les retards ou l'impossibilité d'exécution ne sont-ils pas écrits d'avance ?

M. Jean-Marie BERTRAND : L'augmentation des péages TER effectivement perçus a été de 286 millions d'euros en 2004. Elle résulte de deux effets : un effet prix et un effet volume. L'augmentation des circulations TER a été de 6,64 %, mesurée en trains-kilomètres. Il s'agit du type de circulations qui a le plus augmenté en 2004.

M. Jean-Louis ROHOU : Les circulations TER sont passées de 148 millions de trains-kilomètres à 157,77 millions.

M. Jean-Marie BERTRAND : Il y a dans cet effet volume, d'une part, l'augmentation du réseau de dessertes et, d'autre part, l'augmentation du nombre de trains circulant sur les dessertes existantes. Une analyse plus fine serait nécessaire pour préciser ce partage.

M. Jean-Louis ROHOU : Le nombre de trains augmente surtout sur les lignes les plus circulées, là où les tarifs sont les plus élevés.

M. Jean-Marie BERTRAND : La circulation des TGV n'a progressé, quant à elle, que de 2,9 % en 2004, celle des trains d'Île-de-France de 2,8 %, tandis que celle des trains rapides nationaux a reculé de 1 % et le trafic de fret de 0,3 %. Ce sont des chiffres en volume.

M. le Rapporteur : Est-ce que les collectivités territoriales ont été perdantes à service constant ? Quelle dotation auraient-elles dû recevoir ?

M. Jean-Louis ROHOU : Les éléments à partir desquels l'État verse les compensations aux régions, du fait de l'augmentation des redevances, sont fournis par RFF s'agissant du montant des péages et des volumes de train-kilomètres. Ce sont ceux qui découlent des facturations de RFF à la SNCF.

M. Jean-Marie BERTRAND : Mais nous n'intervenons pas dans le calcul des compensations.

M. le Rapporteur : Pourrez-vous transmettre à notre Commission d'enquête le document que vous avez transmis à l'État sur ce point ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Oui. C'est l'état des circulations.

M. le Rapporteur : Si je comprends bien, car je veux être certain que nous parlons bien de la même chose, vous arrivez à une addition qui vous permet de dire qu'il y a un surcoût à service constant, et que l'effet de la décision unilatérale de l'État d'augmenter les péages TER peut être évalué à tant ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Ce que nous pouvons vous donner, c'est l'information que nous avons donnée à l'Etat pour qu'il calcule ex ante les 214 millions d'euros de compensation. Nous avons fourni la base de calcul des péages, qui sert ensuite à l'Etat pour calculer la compensation.

M. le Rapporteur : Ce n'est donc pas son montant que vous fournissez à l'État ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Ce n'est pas que je ne veuille pas vous répondre, mais nous ne maîtrisons pas cet aspect des choses. Nous fournissons deux choses à l'Etat : le barème qui lui sert, à volume de circulation constant, à faire son calcul ex ante, puis la facturation que nous avons faite ex post à la SNCF, au titre des circulations concernées.

M. le Rapporteur : Donc, vous pouvez nous fournir des sommes.

M. Jean-Marie BERTRAND : Oui, ex post, ce que nous avons facturé à la SNCF pour les circulations.

M. le Rapporteur : Donc, cela intègre l'effet de dessertes nouvelles. C'est le premier élément qui nous intéresse donc.

M. Jean-Marie BERTRAND : Nous ne sommes pas à même de vous dire comment l'effet des dessertes nouvelles est, ou a été, pris en compte dans le calcul de la dotation compensatrice versée par l'État. Il faudrait demander au directeur des Transports terrestres du ministère de l'Équipement.

M. le Rapporteur : Il est important que vous nous donniez ces deux éléments. De toute façon, nous recevrons le directeur des Transports terrestres.

M. le Président : Vous dites que, quand l'État augmente les péages, il y a une diminution de la subvention de l'État.

M. Jean-Marie BERTRAND : Absolument.

M. le Président : Après, il y a compensations aux collectivités territoriales. Vous donnez à l'État les éléments pour faire le calcul.

M. Jean-Marie BERTRAND : Ce que nous avons compris, c'est que l'État compense aux régions sur la base des dessertes existantes en décembre 2003. C'est ma compréhension des choses, mais je n'ai pas de document qui le confirme et nous ne connaissons pas les conventions signées entre l'État et les régions.

M. le Rapporteur : C'est ce que vous appelez le calcul ex ante.

M. Jean-Marie BERTRAND : Oui.

M. le Rapporteur : Y a-t-il une distorsion du fait de la structure interne des péages ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Non, il n'y a pas d'effet de distorsion, en ce sens que notre système de tarification n'a pas été modifié fondamentalement dans son principe. Nous avons essayé de mieux prendre en compte l'objectif fixé, c'est-à-dire un doublement des péages TER, dans la logique de la tarification pratiquée par RFF. Le conseil d'administration en a délibéré, a fait des propositions à l'Etat, qui a pris un arrêté fixant le barème. Le choix fait l'a été sur proposition de RFF, qui s'est attaché à conserver la logique de son système de tarification.

M. le Rapporteur : Et le coefficient 9 ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Les programmes des contrats de plan État-régions étaient ambitieux, tels que définis au départ, c'est-à-dire assez largement en dehors de RFF. Ils ont été établis à partir d'évaluations assez grossières parce que les projets initiés n'avaient pas toujours été étudiés de façon approfondie, ce qui a posé certaines difficultés par la suite, certains s'étaient révélés plus onéreux que prévu. Ces projets correspondaient généralement à des besoins avérés. Mais l'analyse que nous avons faite de certains projets a montré ensuite, soit qu'il fallait les modifier, soit que le coût était différent de celui qui avait été estimé, soit qu'ils ne revêtaient pas de caractère prioritaire en termes d'analyse des capacités.

M. le Rapporteur : Qui a apprécié cela ?

M. Jean-Marie BERTRAND : RFF s'est attaché à faire partager cette appréciation à ses partenaires, de sorte qu'un nombre non négligeable de projets ont été abandonnés. Aujourd'hui, les projets que nous conduisons sont des projets arrivés à maturité, dont la phase d'étude est achevée, et correspondant aux besoins du réseau, tel que nous les ressentons. J'insiste néanmoins sur le fait qu'ils ont été conçus et analysés, par région, chaque projet étant pris individuellement. Depuis, RFF est monté en puissance, a une vision de l'évolution du réseau et conduit un dialogue avec l'État et les collectivités territoriales sur la façon de le faire évoluer. Nous constatons aujourd'hui que le système de décentralisation, tel qu'il fonctionne, fait qu'il n'y a pas de lien direct entre la décision prise par les autorités organisatrices régionales d'étendre ou de restreindre le nombre et le volume des dessertes TER, d'une part, et les investissements en infrastructures, d'autre part. Certains investissements des contrats de plan sont liés à la vision qu'ont RFF, les régions et l'État de l'évolution des dessertes, mais, dans un certains nombre de cas, nous avons rencontré la difficulté que vous évoquiez, M. le Président, à entretenir et à renouveler les infrastructures sur lesquels les régions prennent des décisions de développement des dessertes.

M. le Président : La modernisation de ces lignes n'est-elle pas prévue aux contrats de plan État-régions ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Pas toujours, ni toujours à la mesure nécessaire....

M. le Président : Pourquoi ?

M. Jean-Marie BERTRAND : En général, ces projets sont en cours. Un certain nombre ont eu des difficultés à se concrétiser, parce que le financement n'était pas facile à trouver, mais pas seulement pour cela.

M. Charles de COURSON : Si l'on fait la synthèse, grosso modo, les investissements qui sont le choix des régions représentent 250 à 300 millions d'euros par an, soit 8 à 10 % de la fiscalité régionale, plus le surcoût de la demande supplémentaire, que l'on peut estimer à environ 6 % de péages en plus en 2004, soit 24 millions d'euros, le reste étant compensé à offre constante. Cela fait encore 24 millions d'euros, c'est-à-dire 0,8 point d'impôt, au titre des mesures nouvelles décidées par les régions, en moyenne bien sûr, car les choses varient beaucoup d'une région à l'autre. Est-ce que l'on peut dire ça, M. le directeur général ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Je ne me prononcerai pas sur les conséquences fiscales.

M. Charles de COURSON : C'est une décision qui n'est pas imposée par l'État, mais qui est un choix politique des conseils régionaux.

M. Jean-Louis ROHOU : Vous voulez dire que l'effort supplémentaire des régions est hors de proportion avec l'accroissement des dépenses de fonctionnement ?

M. Charles de COURSON : En fonctionnement, l'effet de l'augmentation des péages est neutralisé à offre constante.

M. le Président : Qui a décidé cette augmentation ?

M. Jean-Marie BERTRAND : L'État, sur proposition du conseil d'administration. Celui-ci ne décide pas mais propose.

M. Charles de COURSON : Est-ce vraiment vous qui proposez, ou est-ce que l'État vous l'impose ?

M. Jean-Marie BERTRAND : RFF a souhaité et continue à souhaiter que le niveau de tarification soit relevé. L'objectif est de parvenir au moins au « petit équilibre » en 2008, ce qui signifie que les recettes commerciales tirées des péages équilibreront le montant annuel versé à la SNCF au titre de la convention de gestion, c'est-à-dire ce que nous payons pour exploiter et entretenir le réseau, hors amortissement et subvention.

M. Charles de COURSON : Hormis ce qui est compensé, ce qui reste ne serait que la conséquence d'un choix politique ?

M. le Président : Mais je n'ai pas entendu que ce doublement ait été compensé.

M. Jean-Marie BERTRAND : RFF n'a pas la capacité de répondre à cette question.

M. Charles de COURSON : Il reste donc 24 à 25 millions d'euros liés à l'augmentation de l'offre, plus l'investissement. C'est un choix politique.

M. Jean-Louis ROHOU : Les investissements inscrits aux contrats de plan sont destinés à accroître le volume des services et des dessertes, mais la compensation risque de demeurer calculée sur la base de l'offre qui existait en décembre 2003. Au fur à mesure que les investissements de capacité seront mis en service, l'augmentation du volume de trains-kilomètres assurés pour le compte des régions sera facturée au nouveau barème prévu.

M. Charles de COURSON : À cela s'ajoute ce que paient les régions à la SNCF, qui est l'opérateur.

M. Jean-Louis ROHOU : Cela étant, à terme, avoir un niveau de redevances plus élevé a un effet bénéfique sur l'amortissement des investissements futurs, qui nous conduira certainement à augmenter notre part dans le financement de l'investissement. Un niveau de péage plus élevé peut donc avoir des inconvénients immédiats, mais est porteur d'investissements futurs. L'exemple de l'Île-de-France montre qu'un niveau de péages élevé maintient un haut niveau d'investissement, et donc une qualité élevée du réseau.

M. le Président : En 2005, il n'y aura pas d'augmentation des péages ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Pas pour les péages TER, hormis la prise en compte de l'inflation.

M. le Rapporteur : Et en Île-de-France ? L'augmentation est-elle la même que pour les TER ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Non.

M. Jean-Louis ROHOU : Le réseau francilien est facturé au coût complet.

M. Jean-Marie BERTRAND : C'est-à-dire avec l'amortissement.

M. le Rapporteur : Facturé à qui ? Au STIF ?

M. Jean-Louis ROHOU : Non, à la SNCF.

M. Jean-Marie BERTRAND : RFF, je le rappelle, ne connaît que le transporteur.

M. Jean-Louis ROHOU : Ce n'est pas nouveau. Traditionnellement, le système des redevances en Ile-de-France équilibre le coût complet.

M. le Rapporteur : Combien la SNCF facture-t-elle au STIF ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Nous n'en savons rien.

M. Jean-Louis ROHOU : Nous n'avons pas de lien contractuel avec le STIF. A priori, la SNCF répercute ce que nous-mêmes lui facturons, plus évidemment tous les autres frais. Dans les comptes TER de chaque région, avant les 214 millions d'euros d'augmentation, les péages représentaient en moyenne 10 % des charges, à côté des frais de conduite, de gare, d'accompagnement ou d'amortissement du matériel. Aujourd'hui ce poste, même s'il est en partie compensé, représente 20 %, autour desquels il y a une certaine dispersion, pour autant que l'on puisse connaître les comptes régionaux en lisant la presse professionnelle, Rail et Transport en particulier.

M. Jean-Marie BERTRAND : Nous retirons 520 millions d'euros des péages en Île-de-France, soit plus de 24 % de l'ensemble des recettes des péages, à rapporter à des circulations qui représentent 11 % du total en volume.

M. le Président : Quelle est la situation de la dette de RFF ? Quelle est la subvention de désendettement ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Nous avons terminé l'année 2004 avec une dette qui s'élevait, hors besoins en fonds de roulement, à 26,7 milliards d'euros. La dette dite « article 4 », c'est-à-dire la « bonne dette », celle souscrite pour financer l'investissement, a augmenté de 300 millions d'euros pour atteindre 5,7 milliards d'euros. Ce que nous sommes convenus d'appeler, avec le ministère des Finances, la dette non amortissable, et qui correspond à la subvention de désendettement, - subvention de 800 millions d'euros en 2004 et de 800 millions d'euros encore en 2005 - s'élève à 11,7 milliards d'euros. Le solde, soit 9,3 milliards d'euros, est la dette amortissable hors article 4, que nous sommes censés amortir sur notre capacité de financement. De ce point de vue, l'année 2004 est à marquer d'une pierre blanche, puisque pour la première fois, nous avons eu une capacité de financement positive.

M. le Rapporteur : J'informe le Président Augustin Bonrepaux que j'ai écrit aux deux ministres concernés ainsi qu'aux présidents de RFF et de la SNCF, afin de savoir ce qu'il en est de la mise en œuvre des trente-six préconisations de la MEC ferroviaire.

M. le Président : Et vous n'avez pas eu de réponse ?

M. le Rapporteur : Non, mais la lettre est toute récente...

Mme Claude DARCIAUX : Peut-on connaître aujourd'hui le besoin de financement de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône, pour laquelle les différentes collectivités territoriales ont été mises à contribution ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Je ne peux répondre que partiellement à cette question. Le conseil d'administration a approuvé le projet et la participation de RFF. Le montant du projet s'élève, de mémoire, à 2,053 milliards d'euros, et la participation de RFF est de 300 millions d'euros, avec certaines conditions à remplir. L'État a désigné un ingénieur général des ponts et chaussées pour faire un tour de table avec les collectivités concernées et avec l'Union européenne. La discussion est en cours.

M. le Président : Vous n'avez pas répondu sur le kilométrage des voies où les trains ne peuvent pas rouler à une vitesse normale.

M. Jean-Marie BERTRAND : La SNCF connaît mieux que nous le kilométrage de voies sur lesquels elle applique aujourd'hui des ralentissements. Je crois que c'est de l'ordre de 800 km.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des pénalités pour les trains qui occupent la voie plus longtemps ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Nous sommes en discussion avec la SNCF sur le montant de la convention de gestion pour 2005, laquelle n'est pas encore finalisée. L'une des demandes faites instamment à la SNCF est qu'il n'y ait pas de nouveau ralentissement en 2005.

M. le Président : Vous nous avez dit tout à l'heure que l'article 4 était une bonne mesure et qu'il y aurait d'autres augmentations des péages à l'avenir. Que voulez-vous dire ?

M. Jean-Marie BERTRAND : J'ai dit que l'augmentation des péages permettra d'augmenter la participation financière possible de RFF aux investissements à réaliser. En application de l'article 4, dès lors que le bilan est amélioré, la participation financière l'est aussi.

M. le Président : Pensez-vous que l'augmentation de 2004 suffira pour quelques années, compte non tenu de l'inflation ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Tout dépend de l'objectif que l'on s'assigne. Celui de RFF est le petit équilibre à l'horizon 2008. Tout dépend ensuite du type d'investissement que l'on veut financer.

M. le Rapporteur : Aujourd'hui, tout est limpide comme de l'eau de roche : l'État décide d'augmenter les péages, vous faites payer la SNCF, la SNCF fait payer les régions, les régions reçoivent une compensation de l'État. Mais dans une configuration où il y aurait plusieurs opérateurs ferroviaires en concurrence, le schéma serait moins limpide. On aurait toujours la somme de référence, mais si vous êtes en situation de monopole, avec des tarifs administrés, vous augmentez les péages que vous faites payer à la SNCF ou à Connex mais ce qu'elles font payer aux régions sera un prix, pas un tarif. Est-ce que mon interrogation a un sens ? Aujourd'hui, la même somme se répercute tout le long du circuit, mais avec la concurrence ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Je ne crois pas qu'il faille s'en inquiéter. Cela fonctionne déjà ainsi en Allemagne. Les opérateurs autres que Deutsche Bahn (DB) occupent 10 % du marché. Il me semble que le système tel qu'il est conçu, avec compensation versée par l'État, peut fonctionner quel que soit l'opérateur ferroviaire.

M. le Rapporteur : Mais s'il n'y a plus seulement la SNCF, comment la prochaine augmentation des péages, décidée par l'État pour assurer le petit équilibre de RFF, se transmettra-t-elle aux régions s'il y a plusieurs opérateurs ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Ce sont elles qui feront des appels d'offres pour sélectionner l'opérateur ferroviaire. Au lieu de passer une convention avec la SNCF, une région conclura avec Connex ou un autre.

M. le Rapporteur : J'entends bien, mais l'élément de l'augmentation de péage est-il isolable ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Il est connu, puisque c'est ce qui est facturé par le gestionnaire d'infrastructure à l'opérateur ferroviaire.

M. le Rapporteur : Mais celui-ci peut avoir envie de se faire une marge ou au contraire de consentir un effort commercial.

M. Jean-Louis ROHOU : Il ne faut pas se cacher qu'il y a aujourd'hui un effet de péréquation à travers le système de péages, puisque sur les lignes les moins circulées, le taux de couverture n'est que de 23 %, ce qui signifie que, comme on va vers le petit équilibre en 2008, on fait mieux que couvrir sur certaines lignes, comme les LGV. Ce n'est pas différent de ce qui se passe sur d'autres réseaux communs, comme le réseau de transport d'électricité, où l'on ne paye pas plus cher dans le Massif central qu'à proximité des centrales productrices. Mais a priori, la grille tarifaire permet de maintenir cet effet redistributif, si aucun opérateur nouveau sur une ligne nouvelle ne vient contester, comme on peut éventuellement le craindre, le montant de la redevance, et faire valoir que certains concurrents profitent de la marge qu'il dégage...

M. le Rapporteur : C'est la tension commerciale qui peut apparaître. Mais c'est une question de relations entre l'opérateur et vous, et entre l'opérateur et la puissance publique. Il n'y a rien de changé. Quelle est la mesure de l'effet de péréquation ?

M. Jean-Louis ROHOU : Il est plus visible pour le fret que pour les voyageurs. Le fret peut très bien circuler d'abord sur une ligne peu fréquentée, où le taux de couverture est bas, puis ensuite 500 km sur une autre ligne à fort trafic, dont les charges sont couvertes. Il y a donc une difficulté à appréhender le taux de couverture d'un train, compte tenu de l'effet de réseau. De même, un voyageur qui bénéficie d'un TER sur une petite ligne peut faire ensuite 1.000 km en TGV. On n'a pas mesuré l'effet de péréquation du système de péage, mais on sait qu'il existe et que les lignes régionales en bénéficient.

M. Richard MALLIÉ : Si j'ai bien compris, l'Île-de-France représente 11 % du trafic et 24 % des péages. C'est bien ça ?

M. Jean-Louis ROHOU : Oui, c'est clairement un effet de péréquation.

M. Michel PIRON : Vous devez bien avoir quelques approches, quelques exemples significatifs, de l'effet de péréquation, même si une analyse exhaustive est difficile, voire impossible.

M. Jean-Marie BERTRAND : La difficulté est notamment d'identifier l'ampleur du déficit du fret. On estime qu'il représente 20 % des circulations en volume et 5 % des recettes. Mais nous avons du mal à répondre précisément à la question.

M. Richard MALLIÉ : Y a-t-il une différence entre les moments de la journée pour la tarification des sillons ? Mais peut-être en a-t-il déjà été question ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Oui, j'en ai parlé tout à l'heure. Il y a trois tranches : heures creuses, heures normales, heures de pointe. Et pour le fret, il y a une modulation selon la qualité du sillon. Un sillon qui permet de rouler à 70 kilomètres/heure est un bon sillon pour le fret, tarifé donc avec une majoration.

M. le Président : Je voudrais revenir sur les contrats de plan État-régions. Vous nous avez dit qu'il y avait eu une très forte augmentation. Mais quand vous donnez des chiffres, est-ce que vous tenez compte de l'abondement de certains opérateurs ? Et quel serait l'état du réseau s'il n'y avait pas les contrats de plan État-régions ? Enfin, pourriez-vous remettre le réseau en état sans que l'on vous accorde de nouveaux crédits de paiement ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Les chiffres dont nous disposons sont des chiffres comptables, ou extra-comptables pour ce qui est des contrats qui sont « dans la moulinette » et ne sont pas encore tout à fait signés. La comparaison des taux d'exécution est très difficile, car le montant initial des contrats de plan a été fixé en francs courants, sans indexation, si bien que l'on se livre à des exercices dont la signification est limitée.

M. le Président : On sait quand même quelles sont les opérations qui restent à réaliser et leur coût.

M. Jean-Marie BERTRAND : Oui, mais si l'on compare en euros courants non réévalués par rapport à 2000, cela fait un très beau taux d'exécution, compte tenu de l'inflation...

M. le Président : Mais pouvez-vous dire, à un an près, opération par opération, à quel moment seront réalisées les opérations contractualisées ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Oui, nous pouvons vous donner un tableau des opérations en cours de réalisation. Mais cela demande un travail.

M. le Président : Si vous pouvez nous l'adresser, cela nous intéresse beaucoup. Et la remise en état serait-elle possible sans les contrats de plan ?

M. Jean-Louis ROHOU : Il s'agit d'opérations de modernisation du réseau classique. 3,2 milliards d'euros, c'est considérable, et si l'on ajoute tout ce qu'on a « en magasin » parce qu'on a fait les études nécessaires et que c'est à l'état de projet...

M. le Rapporteur : Vous en êtes aujourd'hui à 3,2 milliards d'euros ?

M. Jean-Louis ROHOU : Non, il n'y a que 1,6 milliard d'euros engagé.

M. le Rapporteur : Ce qu'on a abandonné en route vient en plus ?

M. Jean-Louis ROHOU : 1,6 milliard d'euros pour les opérations déjà engagées, dont certaines sont très importantes, 1,4 milliard d'euros pour celles qui vont l'être, plus un petit quelque chose pour les opérations « découpées ».

M. le Rapporteur : Et quel aurait été le coût de ce qui a été abandonné ?

M. Jean-Marie BERTRAND : Il faudrait regarder les choses contrat de plan par contrat de plan.

M. le Rapporteur : À l'analyse, RFF a pu dire : cela, on ne le fait plus. Ce serait bien d'identifier ce que l'on a décidé de ne pas réaliser.

M. Jean-Louis ROHOU : Ce peut être une décision des parties contractantes, la région et l'État.

M. le Rapporteur : Finalement, ce qui avait initialement été multiplié par neuf par rapport au contrat précédent donne une certaine somme, moins ce qui a été retiré, mais y a-t-il d'autres choses ?

M. Jean-Louis ROHOU : Il peut aussi y avoir eu des projets ajoutés...

M. le Rapporteur : 1,6 milliard d'euros plus 1,4 milliard d'euros, c'est ce qui va se faire dans les régions ?

M. Jean-Marie BERTRAND : C'est ce qui, aujourd'hui, a fait l'objet d'un accord pour être réalisé.

M. le Rapporteur : Et est-ce qu'il y a encore une tranche supplémentaire ?

M. Jean-Louis ROHOU : Il y a des choses qui sont reportées sans qu'on puisse dire qu'elles sont abandonnées, à Avignon par exemple...

M. le Rapporteur : Je récapitule. Il y a l'enveloppe initiale, qu'il serait intéressant de comparer avec l'enveloppe de la génération précédente de contrats de plan, donc multipliée par neuf.

M. Jean-Marie BERTRAND : Selon une évaluation approximative...

M. le Rapporteur : Là-dedans, il y a 1,6 milliard d'euros plus 1,4 milliard d'euros, il y a des éléments encore en cours d'analyse, il y a ce qui a été abandonné, et éventuellement des idées nouvelles. Ce serait intéressant de disposer de cette analyse.

M. Jean-Marie BERTRAND : Quand on dit « abandonné », il y a des choses dont on peut considérer qu'elles le sont, et d'autres qui ne sont qu'en pointillé, qui n'ont pas pu être faites pour des raisons financières ou autres.

Il est difficile de répondre à la question, car le problème du gestionnaire d'infrastructures ne se pose pas de cette manière : les contrats de plan sont principalement des projets de modernisation, destinés soit à résoudre des problèmes de capacité, soit à augmenter les dessertes, soit à améliorer la qualité du service. La principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés est d'assurer aux autorités organisatrices un réseau capable de porter les circulations demandées. Si nous avons des difficultés parfois, c'est principalement du fait de notre insuffisante capacité de renouvellement des lignes.

M. le Président : Et comment cherchez-vous à l'améliorer ?

M. Jean-Marie BERTRAND : En espérant convaincre que nous avons besoin de pouvoir renforcer nos investissements de renouvellement. Et en trouvant un plan de financement qui permette de les réaliser. Ce qui est important pour nous, c'est d'arriver, en tant que gestionnaire d'infrastructures, à un système de décentralisation tel que l'on puisse se mettre d'accord avec les autorités organisatrices régionales sur une vision de l'évolution du réseau régional. Une région connaît les dessertes qu'elle veut développer, elle sait aussi que les coûts seront très élevés sur certaines lignes et qu'elle ne doit pas forcément placer l'effort sur ces lignes-là. D'où l'intérêt d'avoir une vision partagée, notamment sur les lignes à vocation essentiellement régionale, afin qu'il y ait cohérence entre la politique d'extension des dessertes voulue par l'autorité organisatrice et la politique d'entretien et de renouvellement du réseau conduite par le gestionnaire d'infrastructure. C'est la difficulté majeure à laquelle nous sommes confrontés. Il y a des choix à opérer, mais ils seront d'autant mieux faits qu'ils seront vraiment discutés et fondés sur un projet commun.

M. Jean-Louis ROHOU : Nous avons vraiment là-dessus une volonté de dialogue avec les régions, pour qu'elles nous disent quels sont leurs objectifs, pour cadrer la politique d'entretien et discuter de la politique de renouvellement. Car il y a des tronçons de lignes qui ne sont plus en état de répondre aux exigences de performance, plus importantes qu'auparavant, des matériels modernes, dont les capacités sont très supérieures à celle de certains segments. Il faut que l'on sache sur quelles lignes apparaît un besoin d'améliorer les performances, à quelle échéance et avec quelles priorités. Il faut sortir de l'aspect négatif du saupoudrage des ralentissements faits par la SNCF, qui obéit à des considérations mal définies. Il faut que l'on ait ce dialogue pour s'inscrire dans une politique d'avenir des dessertes régionales.

M. le Président : Nous vous remercions et je compte sur vous pour nous faire parvenir les éléments dont vous nous avez parlé.

Audition de M. Bernard SINOU,
directeur du transport public de la SNCF


(Extrait du procès-verbal de la séance du 13 avril 2005)

(Des documents fournis par M. SINOU à l'appui de son intervention sont reproduits en page 271 du tome III du présent rapport)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

M. Bernard Sinou est introduit.

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons M. Bernard Sinou, directeur du transport public à la SNCF. Celle-ci est en effet l'interlocuteur unique des conseils régionaux pour l'exécution du service des transports express régionaux (TER) de voyageurs. Notre Commission étant appelée à examiner les conséquences financières pour les régions de la décentralisation des TER, réalisée par la loi SRU en 2000, il nous a paru utile de faire le point avec lui sur les relations financières entre la SNCF et les régions, notamment pour ce qui concerne l'entretien du matériel ferroviaire.

M. Michel RAISON : La SNCF est bien l'interlocuteur unique des conseils régionaux, mais seulement pour ce qui concerne les TER. Il arrive que RFF soit également leur interlocuteur direct pour certains investissements.

M. le Président rappelle à M. Bernard Sinou que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, celui-ci prête serment.

M. Bernard SINOU : Je vais présenter de manière schématique les relations liant les régions, autorités organisatrices du transport ferroviaire depuis la loi SRU, et la SNCF. Des conventions, avec effet au 1er janvier 2002, ont été passées entre chacune des régions et la SNCF, par lesquelles celle-ci s'est engagée sur la réalisation du service, sur la maîtrise des charges dont elle détient le contrôle direct, sur un objectif de recettes, avec toutefois un mécanisme de partage du risque variable selon les régions, et sur des objectifs qualité assortis d'un mécanisme de bonus-malus ; la SNCF verse enfin des pénalités en cas de non-exécution du service. De son côté, l'autorité organisatrice rémunère l'exploitant et prend à son compte les charges non maîtrisables par la SNCF, notamment les péages.

Les charges forfaitisées, maîtrisées par la SNCF, représentent 75 % du total du compte TER en 2004 ; les charges au réel, prises en charge par les régions, s'élevaient à 18 % à l'origine en 2002 et à 25 % aujourd'hui. Les péages en représentent la plus grosse part. Du côté des produits, les recettes directes provenant de la clientèle représentent 27 % du compte TER, les compensations tarifaires 10 % et la contribution d'exploitation assurée par les collectivités territoriales 63 %. Autrement dit, le client final paie en moyenne un peu plus du quart du service sur l'ensemble des TER et le contribuable un peu moins des trois quarts. Ce ratio se retrouve dans de nombreux transports de proximité.

À titre d'exemple, on peut comparer les comptes TER de Rhône-Alpes, première région pour l'activité TER, de Poitou-Charentes, la plus petite, et de la Lorraine, exemple médian assez représentatif. La part des recettes directes hors compensations sur le total des charges en 2003 atteint 31 % en Rhône-Alpes contre 24 % en Lorraine et Poitou-Charentes ; bon nombre de régions se retrouvent dans cette fourchette. Rhône-Alpes et les régions du Bassin parisien, Centre et Picardie, font partie de celles où le taux de couverture des charges par les recettes voyageurs est le plus important.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : De combien est-il dans le Nord-Pas-de-Calais ?

M. Bernard SINOU : De 24 %.

Entre 2002, première année des conventions, et 2004 - chiffres provisoires encore susceptibles d'ajustements, suite à un examen commun des factures avec les autorités organisatrices, on peut relever que les recettes ont augmenté de 8 % pour un trafic en progression de 5,5 %, et les charges hors péage ont crû d'un peu moins de 10 % alors que l'offre a progressé de presque 6 %. Hors prise en compte des péages, la contribution financière globale des régions est restée relativement stable, ne progressant que de 4,6 % entre 2002 et 2004, soit de 0,13 € à 0,14 € par voyageur. Durant le même temps, le coût du train-kilomètre est passé de 8,48 € à 8,84 €.

L'investissement a été essentiellement tiré par les efforts considérables engagés dès 2002 par les régions pour la modernisation du parc de matériel roulant. Pour la période 1998-2009, le programme d'acquisition de matériel neuf financé par les régions représente à lui seul 4,5 milliards d'euros. Fin 2007, 55 % du parc aura été renouvelé ou fortement modernisé. Pour 2004, l'effort de la SNCF représente, en crédits de paiement, un montant de 47 millions d'euros sur un total de 583 millions d'euros ; autrement dit, l'essentiel de l'effort d'investissement, très coûteux, portant sur le parc de matériel, aura été supporté par les autorités organisatrices.

Il est possible de dresser un premier bilan positif de la dynamique enclenchée par la loi SRU dans les transports express régionaux. Les responsabilités de chacun ont été clarifiées et un réel esprit de partenariat s'est instauré entre les autorités organisatrices et la SNCF, confirmant la première analyse qualitative à laquelle avait procédé l'an dernier le Conseil économique et social. Du côté du client, on peut relever, outre la modernisation des trains, la mise en œuvre par les régions de nouvelles tarifications adaptées à l'évolution des besoins de la population : ainsi, l'apparition de formules d'abonnements aidés pour des déplacements domicile-travail de plus de 75 kilomètres, au-delà de la tarification sociale nationale, ou les tarifications spéciales à destination des jeunes, des étudiants ou des chômeurs. Les autorités organisatrices ont fait preuve d'une grande imagination. Un effort a aussi été engagé, et il faudra le poursuivre, pour améliorer l'intégration du train dans la logique du transport autour des agglomérations, avec le développement d'offres cadencées ou de nouveaux produits comme le TER GV dans le Nord-Pas-de-Calais ou le tram-train autour de Mulhouse. L'évolution a également touché la distribution, avec l'apparition de nouveaux outils de « billettique ». L'amélioration a enfin porté sur la qualité du service au client avec la certification de lignes, des programmes de modernisation des gares et la mise en place de centres de relation clients permettant une information plus fluide entre clients et transporteur.

M. le Rapporteur : La décentralisation peut être l'occasion de développer des services nouveaux, mais également de rechercher des économies en termes de coûts unitaires et une meilleure efficacité. Le dialogue entre les régions et la SNCF prend-il en considération, outre l'amélioration du service rendu, des objectifs de maîtrise des coûts et de limitation, toutes choses égales par ailleurs, de la dépense ? Quelle est sur ce point la demande des régions ?

M. Bernard SINOU : La première exigence des régions a été que la SNCF assume ses responsabilités dans le domaine des coûts. La rémunération que celle-ci perçoit en application des conventions ne tient pas compte de l'évolution de ses coûts internes ; ses charges sont forfaitisées et les seules indexations retenues par les conventions sont liées à des facteurs externes. Aussi la SNCF a-t-elle été conduite à réaliser des gains de productivité pour pouvoir tenir cet engagement.

Dans le même temps, régions et SNCF se sont employées à travailler ensemble pour trouver les moyens d'améliorer l'offre de transport à coût donné. L'offre de services a fait l'objet de nombreuses restructurations au niveau des dessertes afin d'optimiser au maximum l'efficacité du capital humain et matériel investi.

M. le Rapporteur : Mais à offre constante, a-t-il été possible de minorer les coûts ? Quelles ont été les demandes des régions en termes de partage des progrès de productivité ?

M. Bernard SINOU : Les progrès de productivité à offre constante sont par essence peu rapides, du fait des contraintes inhérentes à l'appareil de production existant. Cette dimension, si elle a fait l'objet d'un accompagnement permanent dans la plupart des régions, ne peut pas pour autant être considérée comme leur exigence première. Les régions se sont davantage attachées à améliorer la qualité du service et à développer l'offre, plutôt qu'à exiger une réduction des coûts de la SNCF. Je n'ai pas d'exemple à donner d'une politique de réduction des coûts demandés par l'autorité organisatrice dans la période passée, mais la question commence à se poser. Ainsi, la région Alsace a-t-elle demandé à reprendre la convention afin d'intégrer l'amélioration de la productivité parmi les engagements de la SNCF.

M. le Rapporteur : Avec une répercussion pour la région ?

M. Bernard SINOU : Oui. La région nous demande d'intégrer dans la convention un effort de productivité, qui devrait à terme influer sur le montant de la contribution de la région.

M. le Rapporteur : Vous avez fait état dans la presse de conditions de concurrence susceptibles de contraindre la SNCF à des progrès de productivité. Est-ce à dire que les régions admettent plus facilement cette problématique ?

M. Bernard SINOU : Il est permis d'envisager des évolutions de notre appareil de production qui pourraient influer sur nos coûts de production, mais qui aboutiraient à offrir un service différent de ce qu'il est aujourd'hui. C'est ce que nous sommes en train d'analyser avant d'en discuter avec les autorités organisatrices dans les années qui viennent.

M. le Rapporteur : L'arrivée de la concurrence est-elle de nature à changer la dynamique de vos relations financières avec les régions ?

M. Bernard SINOU : Il est évident que nos relations se modifieront, pour s'inscrire dans une logique d'élaboration d'un cahier des charges auquel le transporteur devra répondre. Mais personne ne peut dire de quelle manière, à quel rythme ni à quelle échéance se produira cette évolution. Aussi restons-nous très attentifs à ce qui se passe dans d'autres pays européens et selon d'autres logiques de délégation de service public, afin d'être en mesure de formuler des propositions précises aux régions si d'aventure, et quand, le cas se présente.

M. le Rapporteur : À quoi est dû le passage de 20 % à 25 % des charges au réel financées par les régions ?

M. Bernard SINOU : L'augmentation des barèmes de péages en 2004 a conduit à modifier les échanges financiers entre les régions et la SNCF d'une part, et entre la SNCF et RFF d'autre part, comme le prévoyait du reste la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Le plus-que-doublement des péages, passés de 220 millions d'euros à 450 millions d'euros, a mathématiquement conduit à une diminution de la part du risque que prenait la SNCF sur le poste charges.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous fournir un tableau retraçant les augmentations de péages région par région, ainsi que leur évolution à service constant ? Nous pourrons ainsi vérifier si la dotation générale de décentralisation supplémentaire accordée à chaque région couvre effectivement le surcroît de péage à service constant.

M. Bernard SINOU : Je n'ai pas ces données avec moi, mais elles sont parfaitement identifiées dans la mesure où elles correspondent au calcul qu'a fait l'État pour abonder la dotation aux régions.

M. le Rapporteur : Est-ce vous qui avez fait le calcul pour l'État ou est-ce lui qui l'a fait ?

M. Bernard SINOU : Nous avons fourni la plupart des éléments, qui ont ensuite été confrontés avec ceux de RFF et de l'État lui-même. Mais structurellement, ce sont les mêmes, à quelques ajustements près. L'abondement de la dotation aux régions a été calculé par l'État de façon à couvrir, à desserte constante, l'augmentation des barèmes de péage décidée par RFF.

M. le Président : Nous aurons donc les chiffres par région, ainsi que les augmentations des péages région par région.

M. Bernard SINOU : Oui, les augmentations des péages région par région, à offre constante, ainsi que l'évolution de la dotation de l'État qui en découle.

M. René DOSIÈRE : Les dépenses d'investissement pour les TER ont augmenté entre 2001 et 2004, de quelque 300 millions d'euros, passant de 282 millions d'euros à 583 millions d'euros, et leur financement par la SNCF a crû de 15 millions. Autrement dit, la contribution des régions sur leurs ressources propres - fiscalité ou emprunt - a augmenté de 300 millions moins 15 millions...

M. Bernard SINOU : C'est exactement cela, comme le prévoyait la loi SRU, puisque la dotation versée aux régions intègre une dotation au titre de la remise à niveau du parc matériel roulant. Au niveau des crédits de paiement, les premières années ont été passées les commandes, et les financements ont essentiellement porté sur des rénovations ; à mesure que les matériels commandés sont livrés, la part du financement des régions s'accroît.

M. le Rapporteur : Pouvons-nous avoir un tableau recensant, région par région, les dotations et les investissements ?

M. René DOSIÈRE : Si je comprends bien, la dotation globale, toutes régions confondues, devrait correspondre peu ou prou aux fonds propres qu'elles apportent.

M. Bernard SINOU : En effet.

M. René DOSIÈRE : Mais dans ce cas, pourquoi y a-t-il un tel écart entre la contribution financière pour le renouvellement du matériel et la dépense de matériel ? C'est bien au-delà de ce que qui s'est passé pour les lycées : les régions se retrouvent à investir dix fois plus qu'elles ne reçoivent d'argent pour renouveler le matériel !

M. Michel RAISON : Cela ne correspond pas, en tout cas.

M. Bernard SINOU : La part de la dotation de l'État prévue pour le renouvellement du parc de matériel roulant a été calculée en relation entre l'État et les régions, la SNCF n'y était pas formellement partie prenante. Je vous suggérerais de vous adresser plutôt à la direction des Transports terrestres pour connaître les chiffres exacts.

M. le Rapporteur : Et pour les investissements région par région ?

M. Bernard SINOU : Nous pouvons évidemment vous transmettre les montants précis, sachant que les commandes de matériel roulant portent toujours sur des périodes longues, d'où un effet d'anticipation. Aussi vous présenterons-nous les décisions d'investissement des régions et les fonds que nous avons appelés, année après année, pour financer l'acquisition du matériel roulant.

M. le Président : Mais il n'est pas prévu de compensation pour ces investissements ?

M. Bernard SINOU : Cet élément a été pris en compte dans la dotation générale de décentralisation.

M. Jean-Pierre SOISSON : La région Bourgogne a été l'une des premières régions à passer, le 2 janvier 2002, convention avec la SNCF. Nous avons mené les négociations pas à pas, avec l'appui d'un consultant, pour connaître exactement ce que représentaient les charges de la SNCF. C'est ainsi que, dans la convention que j'avais signée, il était bien prévu que ma région ne paierait pas les journées de grève à la SNCF, dans la mesure où le service n'est alors pas assuré. De même en cas de retards chroniques, comme cela s'est produit sur la ligne Paris-Auxerre. Nous avons ainsi pu économiser des sommes considérables, au prix d'un important travail de surveillance, pratiquement hebdomadaire, de l'application de la convention. Autrement dit, si nous avons fait preuve de la plus grande confiance durant le dialogue, nous avons posé des limites très strictes pour éviter tout dérapage.

Pour ce qui est du matériel, les régions ont choisi un modèle en concertation avec la SNCF, laquelle a passé le marché, chaque région s'engageant sur un nombre donné de rames nouvelles. Tout cela s'est passé dans un climat de confiance réciproque.

M. Pascal TERRASSE : Le directeur général de Réseau ferré de France nous a expliqué que RFF augmentait les péages dus par la SNCF - ce qui n'est pas sans conséquence sur le fret ferroviaire, qui est en chute libre -, ce qui permettait à l'État de diminuer d'autant sa subvention de fonctionnement à RFF. De son côté, la SNCF augmente le montant de la contribution des régions dans le cadre des conventions. L'État compense-t-il cette hausse aux régions ? Mais surtout, la compensation de l'État augmente-t-elle immédiatement, et à due concurrence, à chaque hausse des montants réclamés aux régions par la SNCF du fait du relèvement des péages ?

M. Bernard SINOU : La logique des relations est bien celle que vous avez décrite. L'État compense l'évolution du barème et ses conséquences à l'instant et pour les régions. Cela dit, les régions ayant des projets de développement, les trains futurs paieront des péages plus chers, ce que l'État ne compensera pas. La dotation de décentralisation est réajustée au moment de la réévaluation du barème, sans préjuger des développements futurs, d'où un débat entre les régions et l'État sur l'interprétation de la loi SRU. Admettant qu'une nouvelle offre de transport ne se décidait pas entre le 31 décembre et le 1er janvier, l'État a accepté de prendre en compte dans le « recalage » de la dotation les décisions régionales devant produire effet à la fin de l'année où est intervenue l'augmentation des péages. Mais le principe reste que l'État compense des services existants et ne s'engage pas à compenser des évolutions futures. Autrement dit, on ne peut pas tout recalculer à chaque fois sur la base des anciens barèmes et, pour le reste, envoyer la facture à l'État...

M. Pascal TERRASSE : Dans ces conditions, il serait souhaitable que la SNCF puisse nous informer, le moment venu, des efforts de productivité qu'elle peut engager auprès des régions, sans évidemment réduire le service public. Je conçois que la région Alsace souhaite maîtriser ses coûts en améliorant la productivité, mais j'ai du mal à comprendre comment on peut améliorer la productivité sans développer dans le même temps un service public de qualité, sous peine de se retrouver avec de plus en plus de surcoûts non compensés.

M. le Rapporteur : C'était pourtant si bien parti...

M. Bernard SINOU : Les véritables gains de productivité s'obtiennent par une évolution de l'organisation du service, qui ne peut dépendre que d'une décision partagée entre l'autorité organisatrice et le prestataire du service. Nous nous attachons ensemble à une optimisation au quotidien, mais il est des arbitrages parfois difficiles à rendre. Les régions ne suivent pas toujours les propositions que nous leur présentons à cet effet.

M. Michel RAISON : Certaines régions ne vous ont-elles pas demandé de fixer comme objectif un taux de couverture de 30 %, sinon plus, alors que les recettes directes ne représentent en moyenne que 27 % des produits ? Vous venez de laisser entendre que le fait de travailler avec les régions vous a indirectement permis d'améliorer votre organisation générale. En a-t-il été de même pour votre gestion ? Vos charges forfaitisées avaient au départ été calculées selon des ratios nationaux, que vous appliquiez aux TER comme aux grandes lignes. Les régions ne vous ont-elles pas demandé de passer à une gestion plus analytique, distinguant les TER et les grandes lignes, mais surtout les situations régionales ? Chaque région souhaite a priori savoir combien coûtent réellement ses trains et, partant, améliorer la productivité grâce à une analyse plus fine des coûts. C'est du reste le but des mécanismes de bonus-malus ou des clauses dont a fait état M. Jean-Pierre Soisson.

S'agissant du matériel roulant, la dotation destinée à couvrir les investissements ne correspond pas tout à fait aux frais engagés, car les régions ont souvent souhaité, par décision politique, moderniser leur parc roulant à un rythme plus rapide qu'auparavant. On aurait pu imaginer un certain étalement. Ajoutons que la plupart des régions, à ma connaissance, auront pratiquement renouvelé 80 % à 90 % de leur matériel en 2008 et percevront toujours leur dotation ; or la durée de vie du matériel ferroviaire est de l'ordre de trente ans. Sachant qu'il restera des dotations, peut-être ne sera-t-on pas obligé de prévoir systématiquement des impôts de précaution...

M. Bernard SINOU : La SNCF réalise régulièrement des gains de productivité : ainsi, le prix auquel nous vendons nos nouveaux services en développement est généralement inférieur au coût moyen du service tel que prévu dans la convention initiale. La région récupère de ce fait une partie de notre effort de productivité, à l'occasion des optimisations du service.

S'agissant du matériel roulant, les régions se sont effectivement lancées dans un gros effort de renouvellement et d'amélioration d'un parc roulant, dont la durée d'amortissement est de l'ordre de trente ans. C'est pourquoi l'État a calculé la dotation sur la base du prix du parc divisé par trente. L'effort financier des régions est donc aujourd'hui important en investissement, mais il devrait diminuer naturellement à offre constante.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Le matériel s'amortit réellement sur trente ans ?

M. Bernard SINOU : Le matériel ferroviaire a effectivement une durée de vie de trente ans. On le rénove à mi-vie, ce qui fait que le client croit avoir affaire à un nouveau matériel au bout de quinze ans, mais ce sont toujours les mêmes caisses et les mêmes éléments lourds. Certains de nos matériels Corail roulent depuis bien plus de trente ans.

M. le Rapporteur : Les nouveaux services sont-ils réellement moins chers ?

M. Bernard SINOU : En règle générale, oui.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : J'ai l'impression que, devant notre Commission, la SNCF est très heureuse de la régionalisation des TER ! À ceux qui s'interrogent ici sur la pertinence de la décentralisation,...

M. Jean-Pierre GORGES et M. Alain GEST : Pas nous !

M. Michel RAISON : Il y en a qui n'ont pas voté pour, mais qui trouvent que c'est bien !

M. Jean-Pierre BALLIGAND : ...vous apportez une bonne démonstration. Encore faut-il la pousser jusqu'au bout. La dotation ne couvre guère que 50 % des investissements. Les investissements sont passés de 282 millions d'euros en 2001 à 583 millions d'euros en 2004, soit la bagatelle de 300 millions d'augmentation...

M. Michel RAISON : Les conventions ont été signées en janvier 2002...

M. le Rapporteur : Ce sont les lacunes de la loi SRU !

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Je suis là non pour faire le procès de tel ou tel gouvernement, mais aussi en tant que président de l'Institut de la décentralisation, casquette que je partage avec M. Adrien Zeller. Je crois fondamentalement aux vertus de la décentralisation. Vous nous expliquez qu'elle aura permis à la SNCF de réaliser des gains de productivité, que les régions ont choisi d'améliorer le service - des services que vous aviez supprimés ou étiez sur le point de supprimer - et le matériel roulant. Autrement dit, la décentralisation s'est traduite par une amélioration sensible, quoique hétérogène puisque ne dépendant d'aucune norme nationale, mais seulement de la volonté des élus, et des projets de chaque région. C'est une belle démonstration des vertus de la décentralisation !

Dans votre bilan de la dynamique TER, vous mettez en avant des déplacements plus confortables, précisant que 55 % du parc sera neuf ou rénové à l'horizon 2007. Est-ce à dire qu'il restera, malgré tout, 45 % du matériel à rénover en 2007, ou bien ce parc est-il suffisamment pertinent pour n'avoir pas besoin d'investissements supplémentaires ? Un emballement de la machine mettrait à mal le principe de l'autonomie des collectivités territoriales, consacré dans la Constitution. Les régions doivent avoir une idée précise des investissements à décider dans les dix ans qui suivent, a fortiori lorsqu'ils sont aussi structurants et lourds que ceux dont nous parlons.

M. Bernard SINOU : La loi SRU a permis à l'évidence d'infléchir les tendances constatées dans le transport ferroviaire régional au cours de la dernière décennie. La SNCF ne peut que se réjouir de ce changement de cap, au niveau tant de la rénovation des matériels et des gares que de l'évolution de l'offre.

S'agissant des 45 % dont vous parlez, la SNCF avait déjà investi dans de nouveaux matériels. Une fois atteint l'objectif de 55 % en 2007, il restera encore un petit effort de rénovation pour les années 2010-2011, après quoi nous aurons atteint le stade d'une gestion normale de parc, avec des radiations de matériels plus anciens et les inévitables rénovations, mais l'effort d'investissement en matériels neufs ne sera plus fonction que de la volonté de développement de l'offre manifestée par l'autorité organisatrice. En l'état actuel des choses, le parc est en cohérence avec l'offre connue.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Comme l'a dit « saint Jean-Pierre Balligand », nous avons ici un bel exemple de consensus sur l'intérêt de la décentralisation : je peux en attester en tant qu'utilisateur, mais également en tant que maire d'une ville encore desservie par une petite ligne que l'on persiste à appeler « SNCF », ainsi que par de nombreux cars. Reste que le trafic entre Loches et Tours a pu être adapté de façon beaucoup plus efficace, du fait de la proximité des divers intervenants : conseil régional, direction de la SNCF et nous-mêmes. Une fois décentralisé, tout devient plus facile.

Reste à savoir si la décentralisation a été source d'augmentation de la fiscalité, indépendamment de la question du bien-fondé ou non des politiques régionales volontaristes. Le financement du fonctionnement a connu une hausse de 10 % entre 2002 et 2004 hors péages, avec des dotations de compensation. Mais le plus gros problème se pose pour les investissements, sur lesquels j'ai la même lecture que M. René Dosière, tout en m'interrogeant sur la part qui pouvait résulter des contrats de plan. Ont-ils eu une incidence dans certaines régions ? Se pose également le problème de l'hétérogénéité inhérente au système : la vision globale que vous nous avez présentée ne cache-t-elle pas de profondes disparités dans les politiques régionales, certaines privilégiant l'investissement, d'autres privilégiant le fonctionnement au détriment de l'investissement, voire désinvestissant en remplaçant les lignes ferroviaires par des dessertes en cars ? Pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont chaque région a financé son effort d'investissement, car j'ai l'impression qu'il y a des disparités ? Pourrez-vous, après cette réunion, nous fournir une analyse écrite ? Nous pourrons ainsi savoir si les TER ont eu ou non une influence sur l'évolution de la fiscalité régionale. Après tout, augmenter la fiscalité pour améliorer un service peut se défendre.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Pas mal, pour un ultra-libéral !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je n'oublie pas le retour sur investissement !

M. Bernard SINOU : Il n'y a pas d'effet lié aux contrats de plan. À de très rares exceptions près, le matériel roulant n'y était pas intégré. La convention TER est par définition hors contrat de plan puisqu'elle impacte le budget de fonctionnement. Les éventuels efforts engagés par les régions dans le cadre des contrats de plan ne sont donc pas pris en compte dans nos chiffres.

Je suis mal placé pour vous expliquer comment les régions financent ces investissements, si ce n'est en vous disant qu'elles peuvent recourir à la fiscalité ou à l'emprunt...

M. Jean-Jacques DESCAMPS : L'achat de matériels a donné lieu à des négociations collectives. Mais le financement ?

M. Bernard SINOU : Non, il n'y a pas de négociation collective sur le financement. La SNCF peut, si la région le souhaite, apporter son expertise dans le montage financier ; nous l'avons fait, par exemple, pour certaines commandes récentes de la région PACA. Mais le financement de la subvention que la région apporte à la SNCF en contrepartie du matériel roulant que nous commandons pour son compte n'est pas de notre ressort.

M. Michel DIEFENBACHER : Tout comme le président de l'Assemblée des régions de France, je m'interroge sur les possibles conséquences de la réorganisation des grandes lignes par la SNCF, qui peut se traduire par la suppression d'arrêts dans certaines gares et, du même coup, par la disparition de tout le trafic local qui en découlait. La SNCF estime, dès lors qu'il s'agit d'un trafic local, qu'il revient à la région de mettre en service les rames nécessaires, et donc de supporter les charges d'investissement et de fonctionnement correspondantes. Les régions sont généralement d'accord pour consentir un effort, tout en estimant que la charge qui en résulte est la conséquence d'une décision de la SNCF et appelle de ce fait compensation. Les services régionaux de la SNCF se sont toujours refusés à me répondre sur ce sujet, qui prête souvent à contestations et parfois à polémiques locales. Les sommes en jeu sont loin d'être négligeables. Nous avons besoin d'une réponse claire sur le plan juridique comme sur le plan financier.

M. Bernard SINOU : Les évolutions d'offres décidées par la SNCF, tout comme les implications des décisions des régions sur les dessertes assumées par la SNCF sur ses fonds propres, soulèvent de nombreuses questions. Pour régler ce problème délicat, lié à la coexistence de deux instances aux prises avec des objectifs et des contraintes de nature différente, la loi SRU a prévu une information réciproque et une concertation avant décision. Mais, de même que les régions restent libres de faire évoluer l'offre - quand bien même leur décision pourrait avoir un impact négatif sur les autres lignes de la SNCF, celle-ci garde la responsabilité des dessertes non transférées et peut y faire évoluer à sa guise les trains en circulation, en fonction de la clientèle. C'est toute la difficulté d'un jeu de décisions communes, auquel la SNCF était déjà habituée, mais qui prend une nouvelle coloration du fait des nouvelles responsabilités des régions ; d'où des concertations, et parfois certaines tensions, avant de trouver une solution acceptable. Il n'existe aucune règle prévoyant une dépendance dans un sens ou dans l'autre.

M. le Rapporteur : Et sur le financement ?

M. Bernard SINOU : Dès lors qu'il ne s'agit pas de dessertes conventionnées, il n'y a objectivement aucune raison de prévoir une compensation, hormis dans le cas, explicitement mentionné à l'article 127 de la loi SRU, de l'arrivée d'une nouvelle ligne TGV2. La loi prévoit que la recomposition qui en découle conduit à modifier le périmètre de responsabilité, et donc les financements, des uns et des autres, à l'issue d'une procédure de concertation associant l'État, les régions concernées et la SNCF. Mais pour le reste, il n'est pas prévu que l'évolution, normale, des dessertes grandes lignes conduise à réviser la dotation des régions. Il appartient à chacun des deux partenaires de trouver la meilleure évolution de la bonne utilisation du train par les voyageurs tout en assumant ses responsabilités financières.

Ce cas se présente actuellement avec toute une série de lignes Corail pour lesquelles la SNCF constate un déficit de l'ordre de 150 millions d'euros. Le ministre a organisé une concertation tripartite afin de résoudre ce problème par une solution partagée en termes de coûts comme de perspectives, avec un audit des comptes de la SNCF sur ces sujets.

M. Michel DIEFENBACHER : Autrement dit, il n'y a pas d'obligation pour la région de reprendre la ligne en question, ni pour l'État ou la SNCF d'en assumer le coût ?

M. Bernard SINOU : Il n'y a pas d'obligation, ni d'un côté, ni de l'autre.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : On peut élargir ce propos aux lignes TGV. À l'origine, il n'était pas prévu que les régions participent à leur financement, en tout cas pas au-delà d'un certain niveau. Or, pour le TGV Est par exemple, les régions sont invitées à des tours de table d'un niveau beaucoup plus élevé - M. Adrien Zeller pourrait l'expliquer mieux que moi. Non seulement on pourra les appeler à contribuer au financement de cette opération au-delà de ce qui était initialement prévu, mais la redéfinition du périmètre d'intervention suite à l'arrivée d'une ligne TGV se traduira inévitablement par l'élargissement du périmètre des TER, qui englobera les anciennes grandes lignes. Encore un effet des exceptionnelles vertus de la décentralisation, me dira-t-on... Il sera difficile pour les régions de refuser le basculement de certaines lignes nationales sur le réseau TER. Encore faudrait-il que l'État, au cours du tour de table, participe au financement, ou en tout cas, la SNCF. Or votre réponse, au demeurant très honnête, tend à laisser entendre que, dès lors que rien ne figurait dans la convention initiale, cela n'entrera pas dans le cadre du tour de table. Autrement dit, les régions seront contraintes de financer davantage pour garder un service de même niveau.

M. le Rapporteur : L'État n'étant pas, dans cette affaire, donneur d'ordres au sens de la SNCF, la relation éventuelle ne peut s'établir qu'entre les régions et la SNCF. Celle-ci peut-elle légitimement, au sens plein du terme, tenir aux régions le discours suivant : « Je me retire et vous en faites seules votre affaire » ? L'idée d'en appeler à l'État ne peut pas être valablement avancée, dans la mesure où le champ du transport interrégional a été explicitement dévolu en propre à la SNCF. Faute de convention, l'État ne saurait s'en mêler.

M. Jean-Pierre GORGES : Le développement économique est une compétence régionale !

M. le Rapporteur : Cela n'a rien de contradictoire. Le débat sur les conséquences de la disparition d'un arrêt de grande ligne se pose uniquement entre la SNCF et la région. Celle-ci est fondée à poser la question à la SNCF, qui elle-même a gardé l'habitude de renvoyer à l'État - M. Bernard Sinou ne vient-il pas de faire allusion au rôle du ministre dans une concertation tripartite ? -, alors même que celui-ci a été explicitement sorti du champ !

M. Jean-Pierre SOISSON : Non !

M. le Rapporteur : En tout cas, la SNCF le sort...

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Ce n'est pas la SNCF.

M. le Rapporteur : Je parlais des grandes lignes Corail.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Mais pas dans le cas des lignes TGV.

M. Bernard SINOU : Il faut effectivement distinguer le cas du TGV, explicitement prévu dans l'article 127 de la loi SRU et les décrets d'application. Si la mise en place des nouvelles dessertes TGV conduit à supprimer des dessertes classiques et à faire évoluer l'offre TER en conséquence, la compensation versée par l'État aux régions concernées sera révisée, en application de critères très précis. Ces dispositions, appliquées pour la première fois pour le TGV Méditerranée, semblent avoir, de l'avis des diverses autorités compétentes, donné satisfaction aux régions concernées.

La SNCF n'a nullement « sorti l'État ». Les décisions touchant à l'évolution de ses dessertes « grandes lignes » sont prises par le conseil d'administration, en présence du commissaire du Gouvernement qui ne manque pas de faire valoir la préoccupation de service public à assumer. Au demeurant, que se passera-t-il si une région décide de supprimer une destination ou certains arrêts TER, compromettant la desserte d'un département ? Libre alors au département, compétent pour les transports routiers à l'intérieur de son périmètre, de mettre en place une desserte par cars mais la région ne sera aucunement obligée de financer ce « transfert de compétences ». La situation est exactement la même entre les régions et la SNCF. Le sujet est certes délicat, mais je n'imagine pas la SNCF transférer de l'argent aux régions. Si ces dessertes sont structurellement déficitaires et qu'on les conserve, c'est parce qu'il y a des obligations de service public à assumer, et toute obligation de service public suppose une contrepartie. Il appartient à la puissance publique d'expliciter les règles qui prévalent pour définir les missions de service public et les contreparties à mobiliser en conséquence, faute de quoi le service public ne peut que se détériorer - et c'est bien ce qui se produisait avant la régionalisation des TER, par manque d'une autorité capable d'assumer cette responsabilité et d'en définir budgétairement les contreparties.

M. Jean-Pierre GORGES : À vous entendre, les dotations accordées aux régions leur permettent de financer la restructuration de l'outil, tout en laissant dans le compte d'exploitation une part suffisante pour les investissements nécessaires pour assurer son renouvellement. Autrement dit, nous sommes dans un cas de transfert parfait. À deux détails près : quel est le montant des dotations versées aux régions et quelle a été la participation de chacune d'elles pour financer ces investissements ? Il serait ainsi possible de montrer la diversité des efforts consentis par chacun en fonction de ses propres choix politiques. Nous avons tout intérêt à faire la distinction entre ce qui est subi et ce qui est choisi, entre les régions déterminées à mettre fortement l'accent sur le train et celles qui privilégient la route. Nous sommes tous d'accord sur le fait que la régionalisation des TER est un exemple de décentralisation réussie, avec des compensations ne prêtant pas à discussion. Montrons que les régions peuvent avoir des politiques différentes, librement choisies après en avoir pesé toutes les conséquences, y compris fiscales. Pouvez-vous donc nous préciser, par région, les dotations de l'État et la participation au financement des investissements, pour mettre les spécificités en évidence.

Rappelons enfin, en réponse à M. Jean-Pierre Balligand, que le développement économique est une compétence des régions et qu'il en va des TGV comme des autoroutes : l'implantation d'une station TGV dans un périmètre donné a des répercussions économiques considérables. On ne peut pas réclamer seulement les produits, sans y mettre une contribution. De même que les départements interviennent dans le financement d'une sortie d'autoroute, il est normal que les régions payent pour qu'une desserte soit installée à tel endroit. Ensuite, tout est affaire de négociation avec l'État. Il peut arriver de se tromper sur les répercussions économiques et sur leurs incidences en termes de fiscalité, mais n'oublions pas que les investissements de la SNCF, eux aussi, génèrent de la taxe professionnelle... Autant de retours sur investissement qui, dans le cas d'une desserte TGV, doivent être calculés dans le temps.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Sauf quand on supprime la taxe professionnelle !

M. Bernard SINOU : Je vous communiquerai un tableau précis retraçant le calcul de la dotation 2002 de chaque région - le décret lui-même identifie la part de la dotation « matériel roulant » - et les financements versés chaque année par chaque région au titre du matériel roulant.

M. le Rapporteur : Question un peu philosophique : quelles sont les limites au développement de l'offre ? Cela renvoie bien sûr à la question de l'efficacité et de la productivité, mais également à notre débat d'il y a un instant sur les retombées économiques escomptées du développement de l'offre ferroviaire par les régions. Au-delà du plaisir pour une collectivité de satisfaire une demande citoyenne, quels sont les paramètres d'appréciation des régions ? Qu'est-ce qui conditionne l'évolution du service ? La croissance peut-elle être infinie ? Certaines régions ont choisi de créer des services nouveaux, certains responsables politiques font état de la « pression citoyenne ». On sait les débats auxquels l'État comme la SNCF se sont trouvés confrontés sur la définition du service. Arrive-t-il à des régions de fermer des services ? Dans quelles conditions y parviennent-elles ?

M. Bernard SINOU : Les paramètres liés à l'évolution de l'offre, décidée par les autorités organisatrices sur proposition de la SNCF ou en concertation avec elle - autrement dit, nous en partageons la responsabilité -, tiennent en premier lieu au champ de contraintes, dont l'existant est la première. Il est plus difficile de faire bouger un service existant que d'en proposer un nouveau, et ce paramètre pèse dans la décision.

Interviennent également, au niveau de l'environnement, les contraintes du système, dont la première est la saturation du réseau : dans certains nœuds ferroviaires, il est très difficile de faire évoluer l'offre, aussi pertinente que puisse paraître cette évolution. Ce à quoi viennent s'ajouter les contraintes industrielles : entre le moment de la commande et celui de l'arrivée du matériel, il se passe plusieurs années. Le fait que le chemin de fer soit un outil de production du temps long est un régulateur, un frein par rapport à l'évolution de l'offre.

Il peut également survenir des remises en cause, ou tout au moins des évolutions, de l'offre existante. Les politiques des régions se diversifient : certaines ont procédé à une assez forte remise en cause de leur offre ferroviaire, d'autres se sont contentées d'ajustements à la marge de l'offre existante. On peut noter un mouvement non négligeable de transferts sur route d'offres ferroviaires dont la pertinence n'était pas des plus justifiées, compte tenu de leur coût. D'autres régions ont opté pour une remise à plat de la logique des dessertes, en supprimant certains arrêts afin de rendre les trains plus rapides et plus attractifs, par exemple en Rhône-Alpes. Des travaux ont parfois été mis en commun entre les transporteurs urbains et l'autorité régionale, comme en Midi-Pyrénées avec la réorganisation de l'étoile de Toulouse, où une nouvelle répartition des rôles a permis de mettre fin à la superposition de dessertes concurrentes. Je souhaite pour ma part que les futurs projets de service que nous monterons avec les autorités organisatrices permettent de progresser vers des remises en cause plus structurelles. Nous avons encore beaucoup à faire sur ce point, mais je n'en suis pas maître.

Parmi les critères d'appréciation, on peut relever le nombre de voyageurs par train. Reste à savoir, et c'est un choix politique difficile mais majeur, jusqu'à combien de voyageurs par train la desserte doit être maintenue. C'est désormais un paramètre de plus en plus suivi par les régions.

M. le Rapporteur : Le directeur général de RFF a appelé notre attention sur l'insuffisante prise en considération de l'évolution des services ferroviaires dans les politiques d'infrastructure. Les décisions prises par les régions tendant à augmenter les services seraient, à l'entendre, non seulement mal prises en compte, mais souvent mal financées. Qu'en pensez-vous ?

M. Bernard SINOU : La relation entre l'infrastructure et le service n'est effectivement pas assez mise en avant aujourd'hui, comme en témoignent les réflexions en cours sur l'état de l'infrastructure - un audit le confirmera. Le maintien de la qualité de l'infrastructure et la mobilisation des financements nécessaires à cet investissement constituent les éléments déterminants de l'avenir de certaines lignes aujourd'hui peu utilisées. La multiplication du nombre de trains sur une petite ligne accroît d'autant le nombre de péages, mais sans proportion avec l'effort de maintenance qu'impose le maintien en état de la voie. D'où certaines impasses sur l'entretien des lignes peu utilisées, que l'augmentation des dessertes ne peut qu'aggraver.

Mme Claude DARCIAUX : Peut-on évaluer le kilométrage de ces voies ne permettant pas une utilisation conforme aux besoins ? Ces dégradations se traduiront-elles au fil du temps par un nouvel appel aux investissements ? Quelles en seront les incidences financières éventuelles pour les régions ?

M. Bernard SINOU : Je suis incapable de vous donner ce chiffre. J'espère que l'audit en cours permettra d'éclairer ce point.

M. le Rapporteur : M. Jean-Marie Bertrand nous a assuré qu'il n'y aurait plus de ralentissements. Est-ce exact ?

M. Bernard SINOU : RFF s'est engagé avec la SNCF à faire en sorte qu'il n'y ait pas de nouveaux ralentissements en 2005. Mais de là à dire plus jamais...

Mme Claude DARCIAUX : C'est ce qu'il a dit la semaine dernière.

M. le Président : M. Jean-Marie Bertrand nous a dit la semaine dernière que seule la SNCF pouvait nous donner ce chiffre. Vous nous renvoyez à un audit... Vous devez tout de même savoir sur combien de kilomètres de lignes vos trains sont contraints de ralentir !

M. Bernard SINOU : Le chiffre des ralentissements décidés en 2004, je peux vous le donner car nous le connaissons : il est de 1.003 kilomètres. Mais il ne s'agit que de ralentissements ponctuels : à tel endroit, l'état de la voie, en attendant la réalisation des investissements de rénovation suffisants, oblige à ralentir. Je croyais que votre question était plus générale et portait sur l'ensemble des lignes pour lesquelles les péages ne couvrent pas les frais de maintenance.

M. le Président : La situation, en ce qui concerne l'évaluation, ne s'est visiblement pas améliorée depuis l'année dernière où le Rapporteur et moi-même avions déjà auditionné, dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle, RFF et la SNCF. Le premier avait alors avancé le chiffre de 800 kilomètres, la seconde celui de 1.100. Cette année, personne ne sait plus rien... Espérons que l'audit apportera les précisions nécessaires !

M. Bernard SINOU : L'audit précisera beaucoup de choses. La SNCF connaît exactement le kilométrage des ralentissements, mais ce n'est malheureusement pas dans mon domaine de compétence personnel.

M. le Rapporteur : Mais il n'y a pas de ralentissements supplémentaires ?

M. Bernard SINOU : Il n'y a pas de ralentissements supplémentaires prévus au prochain service.

M. le Rapporteur : Autant de régions, autant de politiques régionales. De votre point de vue, en tant que fournisseur, certaines d'entre elles vous paraissent-elles tirer un meilleur profit, en matériel roulant ou en fonctionnement du service, des dotations que l'État leur accorde ? Quels sont les grands traits de comparaison des politiques régionales ? Comment évalue-t-on le bon usage des dotations ?

M. Jean-Pierre SOISSON : Ne lui demandez pas une distribution des prix !

M. Bernard SINOU : Je me vois mal répondre à cette question et apprécier les décisions des autorités organisatrices...

Mme Claude DARCIAUX : On le comprend !

M. le Rapporteur : Je ne vous demande pas de citer de noms. Mais avez-vous une classification des types de politiques ferroviaires ? Y a-t-il un modèle unique avec des gradations ou trois ou quatre types assez marqués ?

M. Jean-Pierre SOISSON : Nous sommes désormais dans un régime de conventions et la convention, c'est la loi des parties. Ces conventions ont été fonction des négociations préalables et diffèrent profondément d'une région à l'autre - la SNCF est du reste la seule à en avoir une vision globale. Cela n'a du reste rien de choquant : chacun a pu imposer ses clauses - j'ai parlé du non-paiement des jours de grève ou les retards des trains - qui ne se retrouvent pas nécessairement dans les autres conventions. C'est le jeu de la décentralisation et de la discussion libre avec la SNCF. Autrement dit, la responsabilité de la région, autorité organisatrice, est immense. La SNCF a toujours appliqué les conventions. Pour les modifications et les nouvelles discussions, c'est la région qui est aux manettes. C'est à elle de se tourner vers l'État pour obtenir, comme je l'ai fait, une modification du contrat de plan, afin de donner la priorité au ferroviaire en contrepartie de l'abandon d'autres opérations. Chacun fait ce qu'il veut. La responsabilisation des régions, en application de la décentralisation, est devenue fondamentale.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : J'imagine que les régions qui ont participé aux expérimentations préalables sont en avance sur les autres...

M. Bernard SINOU : Les régions se sont toutes fortement investies dans cette nouvelle compétence et ont réellement pris cette préoccupation en main. Cela dit, la demande se diversifie de plus en plus, qu'il s'agisse de l'évolution quantitative, de l'évolution qualitative, voire du cadre conventionnel, et tout l'enjeu pour la SNCF est de pouvoir leur fournir une réponse adaptée.

M. le Président : Il semble que la contribution financière globale des régions par voyageur-kilomètre soit restée stable. Si le nombre de voyageurs a augmenté, elle n'est pas restée stable... Pourquoi utilisez-vous ce critère ?

M. Bernard SINOU : C'est un indicateur assez fréquemment utilisé dans les délégations de service public de transport.

M. Jean-Pierre SOISSON : Y compris lors des négociations.

M. le Président : Est-ce à dire que la région paie davantage si le nombre de voyageurs augmente ?

M. Bernard SINOU : C'est effectivement un constat : si le nombre de voyageurs-kilomètre a augmenté - et c'était bien le cas -, cela signifie que la contribution a elle aussi augmenté.

M. le Président : Autrement dit, les régions n'ont pas intérêt à ce que la fréquentation augmente...

M. Bernard SINOU : Ce n'est pas un objectif a priori, mais un constat a posteriori. Si le nombre de voyageurs ne s'était pas accru à mesure que l'offre se développait, nul doute que la contribution par voyageur aurait augmenté. Autrement dit, s'il n'y a pas plus de monde dans les trains, le coût étant le même, la contribution des régions aurait augmenté.

M. le Président : S'il y a plus de monde dans les trains, vous devez parvenir à mieux équilibrer les comptes.

M. Bernard SINOU : On réussit effectivement à mieux équilibrer.

M. le Rapporteur : On sait depuis longtemps que les trains ne doivent pas s'arrêter, ni emmener de voyageurs...

M. le Président : S'agissant du fret, confirmez-vous le désengagement de la SNCF sur certaines lignes ?

M. Bernard SINOU : La SNCF a engagé un plan de restructuration de son activité fret qui l'amène à se concentrer sur certains dessertes et services et à en abandonner d'autres. Le plan demandé à la SNCF par l'Union européenne et l'État pour redresser la situation économique de son activité de fret a effectivement conduit à une assez forte restructuration de l'offre.

M. le Président : Les régions ont accru le parc matériel comme le nombre de trains en circulation. La SNCF est-elle en mesure de faire face à cet accroissement du trafic ? A-t-elle suffisamment de personnel dans les gares quand il y a des arrêts ?

M. Bernard SINOU : Pour l'instant, et compte tenu de l'évolution prévisible de l'offre, nous n'avons globalement pas de contraintes particulières qui nous empêcheraient d'assurer le service sur l'ensemble du territoire.

M. le Président : Mes chers collègues, il ne nous reste plus qu'à remercier M. le directeur du transport public de la SNCF pour ses réponses, en espérant qu'elles vous auront éclairées.

Audition de M. Georges FRÊCHE,
Président du conseil régional de Languedoc-Roussillon,
accompagné de M. Claude COUGNENC, Directeur général des services,
M. Gérard BLANC, Directeur général adjoint chargé de la direction de l'action territoriale, de la direction des transports et des communications, de la direction de l'environnement et de la direction de la prospective,
M. Thierry CAMUZAT, Directeur général adjoint chargé de la direction des finances et du contrôle de gestion, de la direction des systèmes d'information, de la commande publique, de la documentation et des archives et de la direction de la santé,
et M. Christian FINA, Directeur général adjoint chargé de la direction de la formation professionnelle et de l'apprentissage, de la direction de l'éducation, de la direction de la culture et du patrimoine et de la direction sport et jeunesse


(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 avril 2005)

(Un courrier relatif aux auditions de M. Georges FRÊCHE est reproduit en page 397 du tome III du présent rapport)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Georges Frêche, Claude Cougnenc, Gérard Blanc, Thierry Camuzat et Christian Fina sont introduits.

M. le Président : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue devant notre Commission d'enquête chargée d'examiner l'évolution récente de la fiscalité locale, ses causes et ses conséquences, ainsi que les conditions d'une responsabilité mieux assumée des décideurs.

M. le Président rappelle à MM. Georges Frêche, Claude Cougnenc, Gérard Blanc, Thierry Camuzat et Christian Fina que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. le Président : M. Georges Frêche, vous avez la parole pour un exposé introductif.

M. Georges FRÊCHE : Cette audition a lieu dans un contexte national politico-réglementaire vicié et dans des circonstances locales exceptionnelles. Aussi le déplacement de votre Commission me donne-t-il l'occasion d'apporter des éléments d'appréciation objective de la situation financière désastreuse de la région en mars 2004 - ce pour quoi je me réjouis de votre présence -, ainsi que des conditions calamiteuses de mise en œuvre de la loi dite de « décentralisation » du 13 août 2004 et des initiatives dangereuses prises à l'instigation du Gouvernement en matière de réforme du financement des collectivités territoriales.

Sans lui faire offense, il me faut commencer par dénoncer l'instrumentalisation de votre Commission, qui se tourne vers les collectivités pour obtenir des informations sur les compétences transférées en 2005, que seul l'État détient et qu'il s'est obstinément refusé à communiquer à la région, tant dans le cadre d'un examen contradictoire conduit au niveau national que dans celui de demandes locales ponctuelles. Il faut également stigmatiser son intitulé tendancieux, qui lie l'évolution de la fiscalité locale en 2005 et « les conditions d'une responsabilité mieux assumée de l'ensemble des décideurs ». Car enfin, rappelons-le puisque cela semble nécessaire, la Constitution dispose en son article 72 que « les collectivités s'administrent librement par des conseils élus ». Aussi vous répondrai-je avec la courtoisie due à l'institution que vous représentez, mais, sur le fond, je ne me reconnais de maîtres que le suffrage universel et le peuple souverain.

Si, aujourd'hui, les régions ne sont pas en mesure de répondre à certaines des questions qui leur sont posées, c'est précisément par défaut d'information de la part du Gouvernement. Elles étaient prêtes à prendre leurs responsabilités et elles l'ont démontré en sollicitant, en vain, la réalisation, par un cabinet d'experts indépendants, d'un état des lieux préalable à la préparation de leurs budgets et à la mise en œuvre des premières mesures de la loi. On ne peut pas en dire autant des parlementaires qui ont voté cette loi, dite « de responsabilités et libertés locales », puisque la loi du 13 août 2004, remaniée après les élections et votée dans la précipitation, est inapplicable. Pourquoi n'y aurait-il aujourd'hui que neuf décrets publiés sur les soixante-dix attendus, dont trente devaient paraître avant fin décembre 2004, si la rédaction du texte était conséquente ?

Quelles réponses ont été apportées à nos questions relatives à la mise à disposition d'agents des services centraux du ministère de l'Agriculture pour gérer les lycées agricoles ? Aucune. Au maintien de la représentativité de certains syndicats non membres du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale pour les TOS devenus agents des collectivités territoriales ? Aucune. Et quelles réponses encore sur les conditions de réalisation du bilan régional des aides aux entreprises, sans effectifs ni ressources budgétaires supplémentaires ? Sur les conséquences de la prise en charge par les régions du schéma des infrastructures routières sur leurs engagements budgétaires éventuels - bien sûr non compensés - auprès des conseils généraux ? Aucune. Sur les modalités de prise en charge du plan régional ou interrégional d'élimination des déchets industriels spéciaux ? Sur le rôle joué jusqu'alors dans les lycées par les CES, CEC et emplois-jeunes, et au devenir des fonctions qu'ils remplissaient ? Aucune. Et cette liste est malheureusement loin d'être exhaustive.

Le thème même de l'« évolution de la fiscalité locale » est un trompe-l'œil, puisque la fiscalité directe ne représente qu'une part minoritaire des moyens de financement des régions, de l'ordre de 25 %. Quant aux dotations de l'État, qui en constituent plus de 47 %, elles ne sont pas examinées !

Ce qui est à l'œuvre, c'est la réduction des marges de manœuvre financières des collectivités, organisée par le Gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin par le biais de réformes des dotations, de projets de réformes fiscales et d'un transfert massif de charges dans tous les domaines. Un premier exemple concret en atteste : la prétendue compensation du financement des compétences transférées aux régions via la TIPP, impôt peu pertinent eu égard aux missions des régions et dont les bases sont moins dynamiques que la progression des dépenses qu'il est censé financer. C'est donc un marché de dupes qui est imposé aux régions, dont les ressources seraient liées au développement de l'utilisation de l'automobile alors qu'elles ont compétence en matière de transports ferroviaires et s'investissent dans l'aménagement durable de leur territoire. La TIPP serait certes modulable... mais dans des proportions qui ne permettraient pas aux régions de compenser son manque de dynamisme. Les bases de ce mode de financement évolueraient donc à l'opposé du développement d'une des compétences centrales des régions et les taux en seraient contingentés à un niveau d'un point inférieur aux dépenses afférentes, mais l'essentiel serait sauf : la TIPP étant classée par le Gouvernement comme une ressource propre de la collectivité, le principe constitutionnel de garantie de l'autonomie financière du conseil régional serait préservé.

Par ailleurs, le conseil régional de Languedoc-Roussillon connaît des circonstances locales exceptionnelles. Pour se maintenir au pouvoir en 1998, l'ancien exécutif a pactisé avec l'extrême droite sur la base d'un accord fiscal de baisse des taux. Je tiens d'ailleurs à signaler que l'actuelle majorité a toujours cautionné l'alliance UMP-Front national qui a caractérisé cette région pendant dix-huit ans, alliance que M. Jean-Pierre Soisson lui-même exerçait en Bourgogne. En Languedoc-Roussillon, la conséquence en a été un trou de plus de 54 millions d'euros dans les caisses régionales, de par la pérennisation d'une compensation minimale de la taxe d'habitation, dont les taux ont systématiquement baissé les années précédant la suppression de la part régionale, à raison de près de 12 millions par an.

Pour essayer de se maintenir au pouvoir en 2004, l'ancien président a multiplié les promesses et les engagements - plus 57 % pour la seule année 2003. Il a laissé une collectivité en déshérence, sous-administrée et dont le budget, jugé insincère par l'expert Michel Klopfer, masquait près de 300 millions d'euros d'engagements non financés.

Confronté à cette situation, aggravée par la multiplication des désengagements de l'État constatés dans le contrat de plan - par exemple l'abandon de la branche Montpellier-Perpignan de la ligne TGV Paris-Madrid lors du dernier CIADT de 2003 -, le nouvel exécutif a dû chercher à retrouver des marges de manœuvre. Il a notamment entrepris l'examen systématique et le toilettage de tous les engagements juridiques pris par son prédécesseur au nom de la collectivité, redéployé les crédits de paiement dégagés pour financer la nouvelle politique du conseil régional et décidé d'une hausse de ses ressources pour budgéter les engagements non financés pris par l'ancien exécutif. Cette hausse, pleinement assumée, a consisté à augmenter au maximum légal le taux de la taxe professionnelle - impôt dont la part régionale est promise par le Gouvernement à une fin prochaine - et, dans la même proportion, la taxe sur le foncier bâti, fiscalité directe touchant les propriétaires, ce qui n'est pas très grave puisque, dans la région, la valeur des propriétés a doublé en six ans ; payer l'équivalent de quelques paquets de cigarettes ou de quelques places de cinéma en plus n'est donc pas dramatique pour les propriétaires. Le conseil régional a enfin accru le recours à l'emprunt pour le solde restant à financer.

Voici, pour conclure, quelques exemples édifiants de redéploiements. En opposition avec les décisions prises par l'ancien exécutif, le conseil régional a abandonné des maîtrises d'ouvrage prises au mépris de la réglementation dans les domaines de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il ne distribue plus ses subsides dans une logique paroxystique de saupoudrage clientéliste - c'est ainsi que les deux tiers des subventions du budget 2004 avaient été distribués lors de deux réunions de la commission permanente en février 2004. Il ne camoufle plus ses frais généraux dans une myriade de satellites aux missions discutables et au train de vie plus que critiquable. Il a cessé de louer dans des conditions totalement illégales un logement de fonction pour son président, lequel, au passage, a oublié de rendre les tapis et les meubles, achetés avec l'argent de la collectivité, qui meublaient l'appartement en question. Le conseil régional ne met plus ses moyens à la disposition du secrétariat parlementaire ou politique de l'ancien président, et ne mobilise plus ses moyens de fonctionnement pour les campagnes électorales législatives de l'ancien président ou pour la fédération départementale Démocratie libérale (DL) puis UMP, au service des partis politiques de l'actuelle majorité. Il ne permet pas davantage à une personne physique de tirer bénéfice de sa fonction et des ressources de la collectivité pour rédiger un ouvrage personnel, comme en attestent, en dépit des tentatives d'effacement, les disques durs des ordinateurs de la région, qui contenaient aussi la liste des membres du groupe DL, parti dont je suis ainsi devenu un éminent spécialiste.

Voilà pourquoi je me trouve ici serein, et pleinement satisfait de la publicité que la présence de votre Commission donnera à mon propos.

M. le Rapporteur : Je me contente, dans le cadre de notre Commission d'enquête, d'essayer de comprendre, avec mes collègues, les causes de l'évolution de la fiscalité locale et de son augmentation en 2005, en particulier dans certaines régions. Si nous sommes venus vous entendre, c'est que son important accroissement en Languedoc-Roussillon justifiait que la représentation nationale, dans le cadre de la responsabilité qui est la sienne de constater l'utilité de la contribution publique, vous posât quelques questions.

La première sera très simple, piétonne si je puis dire. Notre mission est de transparence. Or, nos concitoyens ont beaucoup entendu dire que l'augmentation considérable de la fiscalité locale serait due à la décentralisation et à l'éventuelle insuffisante compensation de charges décentralisées en 2005. Quelle proportion de l'accroissement de la fiscalité régionale voté par votre assemblée imputez-vous à ce facteur ?

M. Georges FRÊCHE : Pour cette année, des broutilles, puisque la décentralisation sera pour 2006 avec, en particulier, le transfert des TOS, que nous avons refusé de prendre en compte, mais dont nous savons bien que le Premier ministre nous l'imposera par décret pour le 1er janvier prochain ; nous verrons alors ce que nous ferons. L'augmentation pour l'exercice 2005 est uniquement due au report des engagements pris par mon prédécesseur en 2003 et début 2004 et dont il nous faut assumer le financement, puisqu'ils font droit sur le plan politique et réglementaire. Ils induisent un budget en augmentation de 40 %, qui s'établit à 742 millions d'euros, dont 142 millions correspondent à des crédits inscrits par mon prédécesseur et non financés ; ils sont couverts à hauteur de 88 millions par l'augmentation de la fiscalité et de 54 millions par recours à l'emprunt. Le reste du budget primitif, soit 600 millions d'euros, se décompose en 379 millions de recettes diverses provenant de l'État, 49 millions d'emprunt préexistant et 172 millions de fiscalité préexistante. Nous n'avons, cette année, que des bribes de charges nouvelles décentralisées. M. Thierry Camuzat complètera cette réponse si vous l'y autorisez.

M. le Rapporteur : Donc, la décentralisation n'est pas en cause pour 2005 ?

M. Georges FRÊCHE : Pour très peu.

M. le Président : Les transferts de charges d'apprentissage et de formation ont-ils été complètement compensés ?

M. Thierry CAMUZAT : Lorsque nous avons préparé le budget, nous n'avions pas d'informations très précises sur les conditions de la décentralisation, auxquelles le Gouvernement nous a refusé l'accès sur le plan national quand nous les avons demandées par le canal de l'Association des régions de France ; sur le plan local, le président Frêche a sollicité le rectorat et les proviseurs de lycées sans obtenir davantage d'éléments d'information. Il serait donc fallacieux de dire que nous avons pris en compte la décentralisation dans la préparation du budget, sauf à considérer que la région aurait voulu se constituer une cagnotte, ce qui est parfaitement faux. Nous avons donc élaboré un budget à périmètre constant mais, comme l'a indiqué le président Georges Frêche, il y avait dans les précédents budgets régionaux énormément de dépenses qui n'avaient aucun caractère régional. Aussi avons-nous procédé à des économies et à des redéploiements. C'est ainsi que nous avons pu financer la nouvelle politique régionale, notamment les livres gratuits pour les lycées alors même que le niveau de fiscalité avait été fixé par l'équipe précédente.

Ensuite, nous avons tiré les conclusions de l'audit financier de la région réalisé par M. Michel Klopfer. Il établit à 297 millions d'euros le montant des autorisations de programmes engagées par l'ancien exécutif fin 2003 et non financées. Nous avons d'ailleurs demandé à M. le Préfet de saisir la Chambre régionale des comptes pour présomption d'insincérité du budget 2004 de la région, mais il n'a pas été donné suite à cette demande de saisine alors même que M. Michel Klopfer, que vous avez auditionné, atteste de cette insincérité. Une fois évalué le volume de crédits de paiement nécessaires pour financer les opérations engagées dans le cadre préélectoral par l'ancien exécutif, et compte tenu des projets de réformes qui pèsent sur les régions s'agissant notamment de la taxe professionnelle, il a été décidé de fixer au maximum possible le taux de la taxe professionnelle et, en application de la règle de liaison des taux, celui du foncier bâti au même niveau, soit plus 80 %.

M. le Rapporteur : C'était donc par anticipation de la réforme à venir que vous avez fixé le taux de la taxe professionnelle à ce niveau ?

M. Thierry CAMUZAT : En tenant compte de la réforme à venir, mais d'abord du contexte particulier dans lequel nous nous trouvions.

M. le Rapporteur : Autrement dit, vous anticipez la réforme de la taxe professionnelle et, dans une stratégie, pas plus absurde qu'une autre, ne voyez pas d'arrière-pensée dans ma question, d'optimisation des ressources de la région, vous augmentez les taux au maximum. C'est bien cela ?

M. Georges FRÊCHE : Pas exactement. Cela a été l'un des éléments de la réflexion, car on sait qu'avec ce Gouvernement, le pire est toujours vrai.

M. le Rapporteur : Puisque vous avez souhaité être entouré de vos collaborateurs, laissez-les répondre.

M. Thierry CAMUZAT : La « commission Fouquet » demandait que l'autonomie financière des collectivités soit garantie. La taxe professionnelle garantit celle des régions qui sont, avec 36 % de ressources propres, les moins autonomes des collectivités. Mais le contexte est celui que l'on sait : la possible suppression de la part régionale de la taxe professionnelle, ce qui n'est pas sans poser problème. Nous en avons tenu compte, comme nous avons tenu compte des autres conclusions de la « commission Fouquet », selon lesquelles il ne fallait surtout pas transférer plus de ressources fiscales des entreprises vers les ménages. Si, demain, la part régionale de la taxe professionnelle est supprimée pour être remplacée par la TIPP, qui pèse autant sur les ménages que sur les entreprises, quelle aura été l'utilité de la « commission Fouquet » ? Elle indiquait aussi qu'il était nécessaire de maintenir aux collectivités une imposition qui soit en lien avec leur activité économique ; or les régions ont, en matière économique, un fort rôle de coordination. On ne peut que s'inquiéter, une fois encore, à l'idée qu'à la taxe professionnelle serait substituée la TIPP, qui ne paraît pas pertinente.

M. le Rapporteur : Dans ses conclusions, la synthèse de l'audit réalisé par M. Michel Klopfer indique que « si la situation financière de la région Languedoc-Roussillon ne se démarque pas fondamentalement, à fin 2003, de la moyenne des régions de métropole, si ce n'est par une dette un peu plus lourde, elle apparaît également, compte tenu de son potentiel fiscal modeste, moins bien armée que les autres pour affronter les enjeux de l'acte II ». Par ailleurs, dans l'éditorial du bulletin Septimanie que vous avez consacré, M. le président Georges Frêche, au budget de la région, vous évaluez l'augmentation de la fiscalité régionale pour les ménages à 4 %. Chiffre sympathique, mais 4 % par rapport à quoi ? D'autre part, dans le même document, commentant la gestion de la majorité précédente, vous écrivez : « si les taux avaient simplement suivi la progression de l'indice des prix... ». Je ne comprends pas très bien cette notion d'indexation des taux sur les prix ? 

M. Georges FRÊCHE : Le rapport à l'inflation est un instrument d'analyse couramment utilisé pour faire mieux comprendre aux électeurs si la fiscalité augmente peu ou beaucoup.

M. le Rapporteur : Mais l'augmentation des bases y pourvoit ! Sans quoi cela revient à faire payer deux fois l'inflation.

M. Georges FRÊCHE : Elle devrait y pourvoir, mais c'est rarement le cas en totalité.

M. Thierry CAMUZAT : La part régionale de la taxe sur le foncier bâti étant de 5 %, 80 % de ces 5 % représentent bien 4 % d'augmentation.

M. le Rapporteur : Voilà qui est lumineux !

Vous évoquez l'insuffisance des données provenant de l'État. Et dans le bulletin Septimanie, vous expliquez, à propos des TOS, que l'État va transférer « une enveloppe budgétaire de misère » que vous estimez sous-évaluée de quelque 45 %, soit, dites-vous, 15 points de fiscalité. Est-ce une hypothèse pour la préparation du budget 2006 ? Et comment arrivez-vous à ces 45 % ?

M. Georges FRÊCHE : Nous sommes maintenus dans la méconnaissance totale des dispositions exactes à venir et, le mois dernier, le conseil régional a refusé de prendre en compte les TOS. Mais nous ne nous faisons pas d'illusions et, sans en avoir la certitude absolue, nous nous doutons bien que le transfert nous sera imposé. Nous y préparons donc l'opinion publique. J'ai demandé la liste des TOS de la région, mais même cela, je ne peux l'obtenir ! C'est peu dire qu'on avance dans le brouillard.

M. le Rapporteur : Vous formulez pourtant une estimation.

M. Georges FRÊCHE : C'est qu'une grande partie des emplois TOS ne sont pas pourvus actuellement ; mais quand ils nous auront été transférés, les proviseurs, comme c'est normal, se tourneront vers nous pour qu'ils le soient. Or, d'après ce que je crois savoir, le Gouvernement compensera en fonction des emplois pourvus. Mais l'on n'aura aucune précision aussi longtemps que les décrets ne seront pas parus, et pour l'heure M. Jean-Pierre Raffarin entretient un flou artistique.

M. le Rapporteur : Je serai donc preneur d'une explication sur ces 45 % quand vous en aurez une.

M. Georges FRÊCHE : C'est une hypothèse, mais la réalité sera probablement bien pire.

M. le Rapporteur : Si bien que vous préparez l'opinion. Mais à quoi ?

M. Georges FRÊCHE : N'est-ce pas le b-a-ba de la politique ? Si j'ai été élu six fois maire de Montpellier, c'est parce qu'au lendemain de chaque élection j'entre en campagne pour la suivante. Deux ans d'impopularité, deux ans de calme, deux ans favorables avec des fleurs et des petits oiseaux, et vous êtes réélu : tout cela est d'une facilité déconcertante. Je vous le conseille ! Ce n'est pas avec des discussions sur le budget et la TIPP que vous influencez l'électeur, qui n'y comprend rien et qui s'en moque comme de l'an quarante !

M. le Rapporteur : Apparemment, à vous lire, vous lui expliquez tout de même les choses...

M. Georges FRÊCHE : Oui, de temps en temps, ça ne mange pas de pain, toutes ces explications. Nous aurons augmenté les impôts une fois en six ans, ensuite ce sera fini, les gens auront oublié, et je serai probablement réélu. Ne vous figurez pas que le débat électoral va porter sur ces questions... Mais si vous voulez des précisions sur la cuisine budgétaire, M. Claude Cougnenc se fera un plaisir de vous les donner.

M. Claude COUGNENC : S'agissant du transfert des TOS, la loi du 13 août 2004 n'a pas été respectée. L'article 104 donnait aux régions jusqu'au 4 avril 2005 pour signer les conventions, dont les préfets devaient leur transmettre les projets avant le 1er mars en fonction de la circulaire du 21 février ; cela n'a pas été fait dans les délais, ni pour l'éducation nationale, ni pour les lycées agricoles ni pour les lycées de la mer. Deuxièmement, du fait de l'État, ces conventions n'ont pas davantage été soumises avant signature aux CTP locaux et nationaux dans les délais requis par l'article 114.

Concernant l'enseignement général et technique, selon les derniers éléments qui nous ont été communiqués, la région Languedoc-Roussillon devra intégrer 1 372 fonctionnaires d'État, 40 agents de droit public, 317 CES. Dans les lycées de la mer, 6 fonctionnaires de l'État, 2 agents publics et 2 agents privés. Dans l'enseignement agricole, 119 fonctionnaires d'État, 30 agents de droit public, 40 agents de droit privé. Soit au total 1 930 équivalents temps plein. Les disparités sont telles dans les modalités de gestion, dans les statuts, dans les systèmes de gestion eux-mêmes, dans les logiciels notamment, que nous avons dû nous résoudre à créer un service spécifique de gestion des personnels décentralisés. Sur la base d'un coût annuel moyen de 23 000 euros par agent, la masse salariale des TOS est de 40,894 millions d'euros, auxquels s'ajoute un surcoût de 8,8 millions d'euros dû au fait que les primes versées aux agents du cadre territorial sont supérieures à celles que verse actuellement l'État. De ce fait, la masse salariale totale sera de 49,7 millions d'euros, soit 28 000 euros par agent.

M. le Rapporteur : Les systèmes de primes ne sont pas les mêmes dans la fonction publique d'État et dans la fonction publique territoriale, mais les horaires de travail diffèrent aussi. Est-il jouable de proposer des primes plus élevées pour un horaire de travail plus étendu ?

M. Claude COUGNENC : Vous comprendrez que je ne puisse donner les clefs d'une négociation à venir avec les partenaires sociaux.

M. le Rapporteur : C'est important, car si la prime des fonctionnaires territoriaux est plus importante, leur temps de travail l'est également. Primes et temps de travail seront-ils des éléments de la négociation ?

M. Claude COUGNENC : Au même titre que beaucoup d'autres. Mais l'on ne pourrait admettre qu'au sein d'une même structure forte de quelque 3 000 personnes, les agents soient soumis à des régimes indemnitaires différents.

M. le Rapporteur : Pourrait-on admettre des temps de travail différents ?

M. Georges FRÊCHE : Difficilement. Et pourtant, je n'ai pas froid aux yeux : en des temps anciens, j'ai fait revenir le temps de travail à la mairie de Montpellier de 35 heures à 39 heures.

M. Claude COUGNENC : Le retard accumulé par l'État dans les dotations des lycées en personnel TOS explique largement leur mauvais entretien. Il a été évalué à 400 postes par les services de l'État eux-mêmes, ce qui conduira à un effort financier de 11,2 millions d'euros dans les années à venir. Il faut aussi tenir compte des conséquences du GVT soit, à raison de 3 % par an, 9,1 millions d'euros à terme de cinq ans. Enfin, la création de neuf nouveaux lycées décidée par la région entraînera dans le budget 2005, pour 4,5 millions d'euros, la création de 180 postes budgétaires TOS chargés d'assurer le fonctionnement des services transférés.

J'ajoute que la loi du 13 août 2004 prévoit par ailleurs, et c'est une spécificité, le transfert en pleine propriété du lycée de Font-Romeu à la région. L'inscription au budget primitif est de 4 millions d'euros en crédits de paiement pour 2005, sans compensation de l'État, mais il faudra 11 millions supplémentaires dès 2006, en espérant que, d'ici là, la commission d'évaluation des charges aura donné son avis sur les modalités de ce transfert sans compensation.

M. Georges FRÊCHE : Si l'État ne remplit pas les engagements pris par M. Jean-François Lamour, nous fermerons le lycée de Font-Romeu, exception faite de la partie concernant les élèves de Cerdagne, car la région n'a pas vocation à financer un centre national de formation au sport sur ses crédits propres.

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous l'augmentation de près de 50 millions d'euros des crédits du chapitre Infrastructures de transport, qui passe de 23,7 millions d'euros au compte administratif 2004 à 73,3 millions d'euros au budget primitif 2005 ?

M. Georges FRÊCHE : M. Gérard Blanc vous en dira quelques mots, mais je tiens à souligner que nous avons décidé de privilégier les transports plutôt que les routes. Ainsi, cette année, les crédits consacrés à ce chapitre représentent quatre fois le budget des routes dans le premier avenant au contrat de plan. D'abord, il a les TER, même si nous devons faire face à un blocage. En effet, bien que la ligne TGV soit saturée en raison du désengagement de l'État de la liaison Montpellier-Perpignan, les priorités de la SNCF sont, dans l'ordre, le fret puis les lignes TGV, si bien que les TER ne viennent qu'en troisième position. C'est pourquoi nous ne pouvons, comme nous le souhaiterions, augmenter le nombre de TER entre Nîmes et Perpignan. Nous faisons donc porter l'effort sur les tronçons Nîmes-Alès et Narbonne-Castelnaudary et sur le Gard rhodanien en direction d'Avignon. Nous achetons également de nouvelles locomotives, et améliorons un réseau qui est l'un des plus vétustes de France. D'autre part, nous avons planifié l'installation du tramway à Nîmes, Montpellier et Perpignan.

M. le Rapporteur : L'augmentation de 50 millions traduit donc un choix de la collectivité ?

M. Georges FRÊCHE : Tout à fait.

M. le Président : Qu'en est-il du coût des péages perçus par RFF ?

M. Gérard BLANC : S'agissant du transport ferroviaire, on ne peut passer sous silence l'héritage des contrats de plan État-région (CPER) successifs. Ainsi, le CPER 1994-1998 prévoyait déjà la réalisation du viaduc de Courbessac, nécessaire à la bonne « irrigation » de Nîmes et de sa région, mais il n'y a pas été donné suite, ni par l'ancienne majorité régionale, ni par l'État, bien que la déclaration d'utilité publique ait été signée le 14 août 1996 et prorogée le 2 août 2001 et que la consultation des entreprises ait finalement été lancée par RFF en 2003. Cette opération est inscrite dans le budget 2005 pour 10,5 millions d'euros en autorisations de programme et 3 millions d'euros en crédits de paiement. Pour ce qui est du contrat de plan 2000-2006, trois opérations ferroviaires sont inscrites, qui portent sur l'amélioration des gares principales du réseau.

M. Georges FRÊCHE : ...En premier lieu celle de Perpignan, pour préparer l'arrivée de la ligne Barcelone-Figueras-Perpignan, puis celles de Montpellier, Nîmes, Bédarieux et Lunel.

M. Gérard BLANC : Sont inscrits au budget 2005 de la région 600 000 euros en CP et 200 000 pour les études. J'évoquerai le cas particulier de la ligne Béziers-Neussargues-Clermont-Ferrand, pour laquelle la part de l'État devait être, comme celle de la région, de 15,240 millions d'euros. Mais, à l'occasion du premier avenant au contrat de plan, l'État a ramené sa participation envisagée à 11,240 millions pour trouver les 4 millions d'euros nécessaires à la gare de Perpignan. L'exécutif régional précédent, qui n'avait inscrit ce projet dans ses budgets ni en AP ni en CP, a d'abord admis de réduire sa participation à 10,1 millions d'euros, puis à 8,4 millions d'euros. Le nouvel exécutif a inscrit ce projet dans le budget 2005 pour 15,2 millions d'euros en AP et 500 000 euros en CP. Voilà pour ce qui est de l'héritage des contrats de plan.

M. Georges FRÊCHE : Nous nous félicitons que M. Gilles de Robien ait accepté le principe d'une étude tendant à reconsidérer la partie Montpellier-Paris par Neussargues et Clermont-Ferrand, en vue d'une décision définitive. Le projet est donc loin d'être enterré. L'objectif principal est de doubler la ligne de fret de la vallée du Rhône, saturée ; il s'agit aussi de permettre à la population d'aller voir la belle réalisation qu'est Vulcania.

M. Gérard BLANC : J'en viens aux conditions de la décentralisation. La région Languedoc-Roussillon n'a pas profité de l'expérience des régions, dont elle ne faisait pas partie, qui ont expérimenté la décentralisation des TER, et la négociation s'y est déroulée dans une assez grande opacité, du fait des bouleversements induits par l'arrivée du TGV. Exemple d'une négociation apparemment largement improvisée : l'objectif de recettes pour 2002 a été fixé par la convention à 29,6 millions d'euros, mais les recettes réelles ont été inférieures de 890 000 euros. Le président de la région et celui de la SNCF ont dû convenir de partager cette différence par moitié, la part due par la région à ce titre étant imputée sur le budget 2005. De même, les objectifs de recettes pour 2003 et 2004 ont dû être révisés à la baisse lors de l'établissement des comptes de résultat, et la part supportée par la région imputée au même budget. 

De surcroît, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres régions, Rhône-Alpes et Pas-de-Calais par exemple, la convention est particulièrement favorable à la SNCF. Le magazine Rail et Transport signale que le Languedoc-Roussillon est l'une des rares régions à n'avoir pas mis au point avec la SNCF un mécanisme de bonus-malus lui permettant de peser sur l'exploitant selon la manière dont le service est rendu, alors même qu'en 2004, sur les 200 trains quotidiens, 160 seulement sont arrivés à l'heure. Les 40 autres sont arrivés avec plus d'un quart d'heure de retard ou ne sont pas arrivés du tout. Le président de la SNCF, auquel de vigoureuses observations ont été faites, en a convenu.

De plus, la décentralisation a porté sur des infrastructures sinistrées, dont l'état n'a rien à voir avec ce que l'on peut constater en région PACA, en Midi-Pyrénées ou en Rhône-Alpes, et qui, pour certaines, notamment les postes d'aiguillages de la gare de Nîmes, nous ramènent carrément au temps de La Bête humaine... Voilà la réalité de la ligne historique de notre région.

M. le Rapporteur : Mais pourquoi, selon vous, la SNCF a-t-elle ainsi défavorisé le Languedoc-Roussillon ?

M. Georges FRÊCHE : Parce que, pendant dix-huit ans, l'ancienne présidence s'est largement désintéressée des TER, préférant faire pleuvoir les subventions sans objet, essentiellement au profit de la Lozère.

M. Claude COUGNENC : La région Languedoc-Roussillon, au sein même de la SNCF, a souvent été considérée comme une région d'appui et de service aux grandes régions voisines. Dans ce genre de situations, ou bien il y a une collectivité qui porte la voix des usagers puisqu'elle paie...

M. le Rapporteur : Dès lors qu'une convention est passée avec la SNCF, la responsabilité de la région est indiscutablement engagée, mais auparavant la SNCF était seule responsable. Cela revient-il à dire que M. Jean-Claude Gayssot n'a rien fait ?

M. Georges FRÊCHE : Cela revient à dire que la région s'est désintéressée des TER et a laissé la SNCF agir comme bon lui semblait.

M. le Rapporteur : Toutes les régions n'ont pas procédé à l'expérimentation ni signé de conventions, mais vous nous expliquez que dans le Languedoc-Roussillon, la situation est pire qu'ailleurs. Pourquoi, alors que la région n'est pas en cause ?

M. Gérard BLANC : Pour avoir travaillé dans d'autres régions, j'ai pu constater que si une collectivité n'exerce pas de pression en faveur d'un aménagement et d'un développement durable du territoire, lesquels passent par un effort en matière ferroviaire, la SNCF va à la facilité et sert les régions qui exercent cette pression.

Se pose aussi la question des gares à vocation régionale, pour lesquelles la loi SRU prévoit un programme quinquennal de modernisation, la charge respective de l'État, de la région et de la SNCF étant fixée à 25 %, 50 % et 25 %. C'est l'État qui mène le bal, puisqu'en fixant son propre niveau d'engagement, il fixe celui des autres. Or, il l'a réduit de 545 000 euros en 2003 à 237 000 euros en 2004, soit une baisse de 56 %, ce qui a conduit la région, en 2005, pour compenser cette perte de deux fois 308 000 euros, d'une part à budgéter 500 000 euros en CP au titre du programme quinquennal en anticipant les décisions de l'État, et d'autre part à engager une politique très volontariste de modernisation des gares régionales en inscrivant 2 millions d'euros en AP et 700 000 euros en CP supplémentaires à ce même budget 2005.

Un mot sur le matériel. De 2005 à 2008, la région consacrera 78 millions d'euros au financement de matériels nouveaux ; 23,4 millions d'euros en CP sont inscrits à cette fin au budget 2005. Il s'agit des autorails neufs qui nous seront livrés cette année. Ces engagements sont à comparer au niveau de la dotation complémentaire versée par l'État, fixée par l'article 125 de la loi SRU à 7,7 millions en 2004 et à 8,1 millions en 2005.

J'en viens à la compensation des tarifs sociaux nationaux. L'article 125 de la loi SRU dispose que l'État dote la région d'une somme correspondant à la compensation des tarifs sociaux mis en œuvre à la demande de l'État et que toute modification de ces tarifs décidée par l'État donne lieu à révision à due proportion. Mais qu'en est-il en fait ? Depuis 2000, en l'absence de modification des tarifications sociales, la compensation est versée sous forme de forfait par l'État à la région, alors que la région compense à la SNCF sur la base de l'exécution réelle de ces tarifs sociaux. De ce fait, dès 2003, l'écart à la charge de la région a été de l'ordre d'un million d'euros, somme inscrite au budget 2005. Il en sera de même pour 2004, puis pour 2005.

Pour répondre à la question du Président Augustin Bonrepaux, je dirai un mot des péages perçus par RFF. Ils ont doublé entre janvier 2003 et janvier 2004. L'augmentation est compensée pour les services existants au 31 décembre 2003, mais les compteurs ont été arrêtés à cette date, si bien que la région doit prendre à sa charge, sans compensation, toutes les augmentations ultérieures de péages pour services nouveaux ou pour des services qui résultent de la nécessité de faire face à des défaillances - par exemple, celle du réseau grandes lignes. Cela a amené la région à acquitter des péages deux fois plus chers. Ainsi, parce que nous avons prévu d'augmenter l'offre de 6 % en 2004, le coût résultant de la seule différence de coût des péages sera, en année pleine, de 390 000 euros pour la région. Le schéma est le même pour le droit d'arrêt en gare, entièrement réformé, et qui coûtera 5,1 millions d'euros à la région cette année. Le dispositif est ainsi fait que, sur une ligne saturée comme l'est par exemple la ligne Nîmes-Narbonne, toute amélioration de la fluidité du trafic, dont il faut se féliciter par ailleurs, entraîne l'ouverture de péages nouveaux au prix fort, doubles de ce qu'ils étaient au moment de la décentralisation.

Autre exemple : la SNCF ayant décidé de moderniser sa desserte grandes lignes entre Toulouse et Marseille en supprimant les arrêts à Sète, Lunel et Castelnaudary pour accroître la vitesse des trains, la région devra inévitablement se substituer à l'entreprise pour assurer ces arrêts, même si la position de l'ARF est aujourd'hui de refuser de compenser.

M. le Rapporteur : M. Bernard Sinou, Directeur du transport public de la SNCF, interrogé l'autre jour par notre Commission d'enquête, a indiqué que le niveau de coût des services nouveaux est inférieur à celui des services existants. À service constant au 1er janvier 2004, l'augmentation des péages est intégralement couverte par celle de la DGD, mais s'il y a après service nouveau décidé par la région, cela lui coûte un peu plus cher car le péage augmente. Confirmez-vous ou infirmez-vous ce que dit la SNCF, à savoir que l'augmentation globale du service n'est pas aussi importante que celle du péage, car cette dernière est un peu rognée par l'effort de productivité et l'effort commercial qu'accomplit la SNCF pour vendre ce service nouveau ?

M. Gérard BLANC : J'ai eu l'occasion de faire le point avec M. Bernard Sinou, qui m'a confirmé ce que nous avions malheureusement constaté dans les comptes, à savoir le doublement du prix des péages pour les services nouveaux.

M. le Rapporteur : Et pour la partie hors péages ?

M. Gérard BLANC : Nous ne pouvons en avoir aucune idée, car la tarification dite « C1 » constitue la boîte noire de la SNCF, à laquelle les régions n'ont aucun droit d'accès. Peut-être y a-t-il des gains de productivité... mais j'attends d'en voir la couleur.

M. Pascal TERRASSE : J'ai quatre questions simples à poser.

Comme il a été rappelé, notre Commission d'enquête cherche à connaître les raisons de l'augmentation de la fiscalité locale. Les régions ne sont donc pas les seules concernées : cela vaut aussi pour les départements, les communes et les intercommunalités, toutes collectivités dont la fiscalité a augmenté dans des proportions très différentes. J'observe également que, comme vous l'avez souligné, la part de la fiscalité dans les ressources des régions est très faible, tout comme, d'ailleurs, le poids de la fiscalité des régions en valeur absolue.

Certains voient dans l'augmentation de la fiscalité locale qui se dessine depuis quelques semaines une part liée à la décentralisation. Vous avez eu l'honnêteté, M. le président Frêche, de dire qu'elle est modeste, mais vous avez, en revanche, insisté sur la gestion précédente, que vous avez qualifiée de calamiteuse. Il semble aussi que le désengagement de l'État contribue pour une part importante à l'augmentation de la fiscalité régionale. Dans quelles proportions ces trois facteurs jouent-ils ?

Deuxièmement, quelles sont vos relations avec la Catalogne voisine, et que pensez-vous de l'organisation et du fonctionnement comparés de cette grande région et de la vôtre ?

Troisièmement, la région Languedoc-Roussillon comprend une partie du delta du Rhône, et de la Camargue en particulier. Pour y avoir mené une mission d'enquête, je mesure quelle est l'ampleur du coût de la prévention des crues du Rhône. L'État vous accompagne-t-il dans cette tâche ou s'est-il engagé à le faire ?

Enfin, notre Commission d'enquête est composée de parlementaires de sensibilités politiques diverses, qui ont des conceptions différentes de l'impôt, considéré comme une charge par les uns, comme un outil d'organisation, d'investissement, de redistribution et de création de richesses par les autres. Quelle est la vôtre ?

M. le Président : J'aimerais, comme M. Pascal Terrasse, vous entendre préciser quelles parts respectives de l'augmentation des impôts régionaux vous attribuez au coût de la décentralisation, à la gestion antérieure et à votre propre politique.

M. Georges FRÊCHE : Nos liens avec la Catalogne sont d'autant plus étroits que nous avons créé une eurorégion regroupant, outre le Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, l'Aragon, la Catalogne et les Baléares. Mon vieil ami Pascal Maragall, président de la généralité de Catalogne, et moi-même rencontrerons d'ailleurs M. Durão Barroso le 26 avril. Nous sommes en train de créer, en Cerdagne, un hôpital transfrontalier, ce qui est une première européenne. Le seul bémol que j'apporterai est que je veux éviter le risque de dérive nationaliste, assez faible au demeurant par rapport au cas basque - car j'aime à rappeler que mon drapeau est le drapeau tricolore et mon hymne La Marseillaise. Je suis très favorable à un travail commun avec les Catalans, qui sont un peuple brillant, inventif et intelligent. J'ai d'ailleurs proposé à M. Gilles de Robien, en accord avec M. Jean-Claude Gayssot, de prolonger - par le biais d'une concession au privé, l'État étant maître d'ouvrage - le tronçon Montpellier-Perpignan pour nous permettre de terminer la ligne TGV avant que l'on s'attaque à la ligne Lyon-Turin ou Avignon-Nice.

Pour ce qui est des digues du Rhône, l'État, droite et gauche confondues, n'a rien fait depuis Napoléon III, depuis la construction des digues actuelles qui datent de 1856-1860. C'est un véritable scandale, qui explique les dramatiques inondations de 2002 et de 2003. Mon ami Damien Alary, président du conseil général du Gard, vice-président de la région, suit ce dossier. Avec la région PACA, nous avons créé un syndicat mixte, le SYMADREN, qui sera mis en place cette semaine, et nous comptons que la région Rhône-Alpes y participera. Sept millions d'euros ont été inscrits au budget pour financer les travaux d'endiguement qui ont commencé depuis quatre mois. La région a décidé, pour reculer et relever les digues, pour laisser plus de place au fleuve et mieux protéger la Petite Camargue qui avait été totalement noyée en 2003, d'aligner son effort sur celui de la région PACA qui, jusqu'à présent, y consacrait trois fois plus de crédits que Languedoc-Roussillon.

Quant à l'État, il s'est limité à faire ce qui ne coûte rien, en désignant un préfet coordinateur, celui du Gard, qui nous aide du mieux qu'il peut. Il serait bien que l'État et l'Europe engagent de grands travaux d'endiguement des grands fleuves européens, comme de grands travaux sont lancés pour les routes ou le chemin de fer, mais nous savons que cela prendra du temps. Dans l'intervalle, en attendant Bruxelles, nous aimerions que l'État s'investisse beaucoup plus dans l'endiguement du Rhône, par une aide financière à ce jour inexistante.

Pour moi, l'impôt est essentiel : l'impôt, c'est la République. Les libéraux, sur le modèle américain, sont les adversaires de la République, car ils réduisent l'impôt des riches et conservent les impôts indirects que payent les pauvres. En ma qualité d'ancien bolchevik, certes reconverti mais qui garde un fonds bolchevik évident et sympathique et verrais avec faveur que l'on rebaptise Volgograd en Stalingrad comme il en est question, je considère l'impôt comme un moyen de redistribution, une des garanties fondamentales de la République, et j'observe que la Suède, modèle des sociaux-démocrates auxquels je me suis rallié faute de mieux, fait une large part à l'impôt tout en maintenant un système social qui devrait faire référence, n'en déplaise à tel grand cinéaste ex-nazi qui a quitté la Suède parce qu'il y payait trop d'impôts... J'ai d'ailleurs noté avec plaisir que M. Jean-Pierre Raffarin a enfin abandonné l'idée de diminuer encore l'impôt, après des baisses qui ont profité aux classes aisées au détriment des classes populaires.

M. le Président : Recentrons-nous sur l'évolution de la fiscalité locale et ses raisons. Peut-être M. Thierry Camuzat pourrait-il nous apporter des précisions...

M. Thierry CAMUZAT : L'augmentation de la fiscalité locale est liée au besoin de financer les crédits de paiement pour honorer les engagements non financés de l'exécutif précédent. Pour ce qui est des conséquences de la décentralisation, en l'absence totale d'information sur l'application de la loi du 13 août 2004, nous n'avons rien pu prévoir au moment de la préparation du budget. Quant aux nouvelles politiques régionales, elles ont été préparées dans la concertation - nous avons eu les éléments d'information sur la budgétisation lors du débat d'orientation budgétaire au début 2005 - et sont très largement financées par des redéploiements. L'exécutif précédent avait démantelé une partie du service public de la région ou créé des organismes dans lesquels elle avait largement déporté ses frais généraux. La suppression ou la réduction d'envergure de ces organismes ont permis une économie de 11 millions d'euros.

M. Pascal TERRASSE : Pouvez-vous en donner des exemples ?

M. Georges FRÊCHE : Pour en revenir à nos liens avec les Catalans, je souligne que si je suis un jacobin décentralisateur, espèce rare, je demeure hostile à tout fédéralisme. Je constate que l'on ne peut comparer les deux régions, puisqu'à population égale, notre budget, de huit à dix fois moindre que celui de la Catalogne, est ridicule.

M. le Rapporteur : Les compétences ne sont pas les mêmes.

M. Georges FRÊCHE : Précisément : ils ont beaucoup plus de compétences, et leur budget est bien supérieur au nôtre. Aussi ne peut-on valablement nous comparer.

M. le Président : J'aimerais des réponses précises aux questions de M. Pascal Terrasse sur la ventilation de l'augmentation de la fiscalité régionale. L'imputez-vous en totalité à la gestion antérieure, ou d'autres raisons l'expliquent-elle ? J'ai lu que le volet ferroviaire représenterait deux points d'augmentation de la fiscalité. Le confirmez-vous ?

M. Thierry CAMUZAT : C'est une figure de style. N'importe quelle ligne budgétaire peut être convertie en points de fiscalité.

M. le Rapporteur : Toutes les politiques nouvelles ont-elles été financées par redéploiements, ou l'ont-elles été pour partie par l'augmentation de la fiscalité et par l'emprunt ?

M. Thierry CAMUZAT : Elles ont été financées par redéploiements et nous financerons de la même manière ce que nous supposons devoir être l'absence de compensation à l'euro près de la formation professionnelle puisque, selon nos estimations, il manquerait 5 millions d'euros. Mais, faute d'informations, nous avançons au fur et à mesure. La région a décidé, lors de la dernière session du conseil régional, d'installer une commission régionale d'évaluation des charges, composée à la proportionnelle des groupes politiques, pour estimer de la manière la plus précise possible, étant donné l'absence d'informations dans laquelle nous sommes tenus, les conditions de la décentralisation pour la région.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Au-delà de votre discours politico-vengeur qui démontre que vous êtes en effet en campagne électorale permanente, je me suis efforcé de comprendre les causes de l'évolution de la fiscalité régionale. J'ai retenu de vos propos que vous avez augmenté de 79,9 % la taxe professionnelle et la taxe sur le foncier bâti, pour un montant cumulé de 88 millions d'euros, et augmenté l'emprunt de 54 millions d'euros, l'augmentation du budget étant de 211 millions d'euros. Or, coïncidence extraordinaire, ces 142 millions correspondent tout juste à ce que vous reprochez à votre prédécesseur de ne pas avoir financé, si bien qu'ils sont entièrement consacrés à réparer ce que vous appelez ses « bavures », cependant que toutes vos politiques nouvelles, correspondant à vos promesses électorales, sont financées par redéploiements. Quelle surprenante coïncidence, vraiment !

Votre budget fait pourtant apparaître, au titre des frais généraux, des dépenses en augmentation, qu'il s'agisse des dépenses de personnel, de cabinet - dont on se demande pourquoi elles augmentent - ou de communication - qui progressent de moitié. Vous prévoyez aussi de nouvelles politiques régionales dans des domaines très variés : la gratuité des livres, le ferroviaire qui augmente de 72 %, le financement des digues de 96 %, le développement économique de 15 %, la culture et la recherche dont les crédits doublent. Tout cela est peut-être très bien, mais pourquoi tout ce que votre prédécesseur avait prévu serait-il honteux, non financé et, selon votre point de vue, mauvais pour la population, ce qui justifierait que l'on crie « haro sur le baudet » en augmentant fiscalité et emprunt ? Pourquoi ne pas avoir l'honnêteté de dire que par redéploiements, augmentation de la fiscalité et recours accru à l'emprunt, vous avez financé des actions intéressantes, proposées soit par l'exécutif précédent soit par vous ? Et pouvez-vous nous assurer que, dans l'augmentation de la fiscalité et du recours à l'emprunt, rien n'a servi à financer vos politiques nouvelles ? Dans les autres régions, il n'y a pas eu de Jacques Blanc pour mener des politiques jugées par vous aussi dramatiques, et pourtant, toutes ont augmenté leur fiscalité dans les mêmes proportions, et sur les mêmes impôts, y compris celles dont l'exécutif précédent était à gauche !

M. Georges FRÊCHE : C'est nous qui l'avons le plus augmentée !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : M. Thierry Camuzat a fait clairement état de la volonté d'augmenter la taxe professionnelle pour, ne sachant pas de quoi l'avenir serait fait, constituer une sorte de compensation de précaution, afin que la compensation future soit calculée sur la base la plus élevée possible. Enfin, votre conception de l'impôt m'inquiète, car elle laisse entendre que ceux qui souhaitent réduire l'impôt, notamment celui qui pèse sur les entrepreneurs, seraient de mauvais républicains, voire des gens d'extrême droite, en invoquant des accords que, pour ma part, je n'ai jamais vus - mais peu importe, vous pouvez toujours l'affirmer, cela fait bien durant vos campagnes ! Autrement dit, il ne serait sain ni pour les entreprises ni pour l'emploi que l'impôt soit réduit ; au contraire, selon vous, il devrait toujours augmenter.

M. Georges FRÊCHE : Vous entendre dire que je ferais de la politique alors que votre Commission d'enquête serait purement administrativo-technique prête à sourire. Je ne me fais aucune illusion sur la majorité de cette Commission et je sais bien que, quelles que soient les circonvolutions dont usera votre Rapporteur pour donner l'impression de nous avoir écoutés, votre rapport est prérédigé et que vous venez chercher ici de quoi instruire à charge en choisissant de n'entendre que la communauté d'agglomération de Montpellier, la seule de la région qui soit à gauche, cependant que les huit autres, qui sont à droite, ne vous intéressent pas.

M. le Rapporteur : Nous entendrons aussi la communauté de communes du Pic-Saint-Loup.

M. Georges FRÊCHE : C'est encore pire ! Ceux-là sont à droite, avec quelques-uns qui se disent à gauche mais qui ont été exclus du parti socialiste car ce sont des traîtres. L'affaire a donc été réglée comme elle devait l'être... Si, d'autre part, vous n'avez pas vu l'alliance RPR-extrême droite, c'est que vous avez des troubles de la vision, car c'est un fait connu au plan national. La communauté électorale, elle, l'a fait payer à M. Jacques Blanc, et l'affaire est entendue, car j'ai été élu avec la majorité absolue et 24 points d'avance sur lui, record de France ! Mais je ne veux pas le diaboliser : au contraire de ses amis politiques, je fais tout pour le garder, je l'attaque pour lui laisser une marge de sécurité, car je n'ai aucune hostilité à son égard mais une grande bienveillance puisque c'est le meilleur adversaire qui puisse m'être donné. Je dis cela pour vous détendre un peu, je ne voudrais pas que vous soyez crispés...

Pour le reste, nous avons choisi cette présentation financière parce qu'elle est commode, mais ce n'est qu'une présentation, qui n'a aucune valeur administrative : les 142 millions d'euros peuvent être affectés où vous voulez. Je suis en désaccord avec les deux tiers de ce que M. Jacques Blanc a préfinancé mais j'en approuve le troisième tiers. Par exemple, quand il s'engage enfin, la dix-huitième année de son mandat, à restructurer les lycées mais qu'il ne finance pas cet engagement, nous n'allons pas jouer les abrutis et ne pas le faire. Le fait est qu'il a fait huit lycées en dix-huit ans et que nous pensons en faire douze en six ans ; les travaux sont déjà engagés pour neuf d'entre eux. Il y a eu dans la politique de M. Jacques Blanc des éléments que nous sommes ravis de continuer ; pour d'autres, nous y sommes obligés. Mais je ne peux ignorer que M. Pierre Morel-à-L'Huissier, membre de votre Commission, a ramassé 4 800 euros de subvention par habitant pour son village de Fournel pendant que la subvention allouée à Montpellier, ville qui a été massacrée pendant dix-huit ans, correspondait à huit euros par tête. Singulière conception de la République et de la démocratie ! Parlons, aussi, de l'autoroute Paris-Clermont-Ferrand-Montpellier voulue par M. Valéry Giscard d'Estaing. Elle a fini par se faire, avec beaucoup de retard, et avec un viaduc qui, si les engagements pris par M. Jean-Claude Gayssot au nom de l'État avaient été tenus, aurait dû être gratuit mais qui est payant. Mais nous avons été habitués à ce que l'État ne tienne pas ses promesses. Quant aux rocades de raccordement est et ouest de Montpellier, elles ont pris quatorze années de retard parce que l'ancien président de la région a refusé de les financer dans trois contrats de plan successifs. Voilà qui en dit long !

M. Thierry CAMUZAT : Il n'y a pas de « coïncidence » : comme je l'ai indiqué, il a été décidé d'augmenter les taux de fiscalité au maximum, puis d'emprunter le solde. La question qui aurait pu nous être posée est de savoir si, au lieu d'augmenter ainsi le taux de fiscalité, la région n'aurait pu emprunter davantage. Selon l'audit de M. Michel Klopfer, la région n'est pas particulièrement endettée, c'est vrai : le ratio moyen de désendettement des régions s'établit à 1,6 année, et celui du Languedoc-Roussillon à 2,4 ans, soit moitié plus, le seuil critique étant de six ans. Mais il ressort également de l'audit que, si l'on tient compte des 297 millions d'emprunts non contractés et non financés, qui valent présomption d'insincérité du budget 2004, le ratio atteint 4,6 ans, soit trois fois la moyenne nationale. C'est dire qu'un endettement plus important aurait placé la région dans la zone rouge avant même que la deuxième phase de la décentralisation ne soit engagée.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Mais pourquoi imputer toute l'augmentation de la fiscalité et tout l'emprunt supplémentaire à la seule couverture des engagements de votre prédécesseur, alors que vous vous êtes dit d'accord avec un tiers de ce qu'il a fait ? Pourquoi cet artifice de présentation très socialiste, visant à imputer à vos prédécesseurs l'alourdissement de l'endettement et de la fiscalité ?

M. Georges FRÊCHE : Le mode de présentation du budget ne relève pas de la coïncidence mais d'une volonté politique : nous avons réparti les sommes existantes en fonction des centres d'intérêt de la région, laquelle s'est, au passage, recentrée sur ses missions fondamentales - formation professionnelle, développement économique, TER, lycées - et sur quelques compétences nouvelles comme les jeunes, le logement social et la prévention en matière de santé. Une partie du surplus, je le répète, est justifiable. Ce que j'estime injustifiable, c'est de proposer la rénovation d'un lycée sans en prévoir le financement, comme cela a été fait, mais ce n'est pas pour cela que nous ne le rénoverons pas. Aussi en avons-nous prévu le financement, qui entre dans les 142 millions d'euros en question, dont une partie correspond à un endettement supplémentaire, calculé de manière à conserver une faculté d'emprunt à l'avenir. En effet, la région n'a pas voulu tout financer par l'emprunt, même si elle aurait pu le faire, et ainsi augmenter ses impôts beaucoup moins. Ayant décidé de n'augmenter ni la taxe sur les permis de conduire pour ne pas taxer les jeunes, ni les impôts touchant les locataires, ni le foncier non bâti en raison de la crise viticole, nous avons centré l'augmentation de l'impôt sur les propriétaires et sur les entreprises au maximum du taux légal et financé le reste par l'emprunt. Mais ça, c'est un artifice de présentation qui n'a aucune valeur légale.

Mme Claude DARCIAUX : Vous avez dit que vos choix fiscaux et budgétaires s'expliquent pour partie par l'héritage de la précédente majorité, mais vous n'avez pas répondu à M. Pascal Terrasse qui vous demandait des précisions sur le financement de certains organismes ou officines chargés de missions spécifiques. De quoi s'agit-il exactement ? Vous avez aussi déclaré que la présidence précédente avait omis de financer quelque 350 millions d'euros d'engagements et fait allusion à certains frais de fonctionnement : lesquels ?

S'agissant de l'apprentissage et de la formation professionnelle, quels ont été les critères de compensation retenus par l'État ? Quel est l'héritage laissé par vos prédécesseurs ? Quelles en sont les conséquences budgétaires et fiscales, sachant que vous avez dû faire face en 2005 à l'apprentissage et à la formation dans le domaine sanitaire et social ? Enfin, les compensations apportées par l'État ont-elles été à la hauteur ?

M. Thierry CAMUZAT : La région avait créé plus d'une vingtaine de satellites dits « organismes associés », au nombre desquels l'Agence méditerranéenne de l'environnement (AME), le Comité régional de la culture, le Comité régional du tourisme, Liaison Emploi Formation (LEF), Languedoc-Roussillon Prospection, Prodexport,... Il s'agissait d'associations « loi de 1901 », d'une SEM et d'un syndicat mixte. L'ensemble a été subventionné à hauteur de 16,9 millions d'euros en 2004 et de 5,3 millions d'euros seulement en 2005, si bien que nous avons pu redéployer la différence.

M. Georges FRÊCHE : J'ajoute que les principaux organismes ont été supprimés, dont la LEF, le CRL et l'AME.

M. le Rapporteur : S'agit-il de redéploiements ou de transferts internes ?

M. Georges FRÊCHE : Toutes ces activités ont été réintroduites dans le cadre du service public, dont nous sommes les défenseurs. En particulier, l'association LEF et son effectif de soixante personnes, dont le responsable était le gendre de M. Jacques Blanc, payé en surplus, doublonnant les organismes de la région et donc parfaitement inutile, n'est plus subventionnée par la région. J'ai aussi gagné mon procès en diffamation relatif au Centre régional des lettres (CRL), mais j'ai constaté que M. Renaud Donnedieu de Vabres a promu celle qui a ainsi été désavouée par la justice de la République responsable du centre culturel français à Madrid. Encore une singulière conception de la démocratie !

M. Thierry CAMUZAT : La dissolution de certaines associations a rendu possibles à la fois des économies et des redéploiements. Ainsi, des postes ont pu être réintégrés au sein de la collectivité, notamment en provenance de l'AME aujourd'hui dissoute et en cours de liquidation, ce qui a permis de renforcer la direction de l'environnement. Cela illustre mon propos sur l'exportation, par l'exécutif précédent, de frais généraux vers ces satellites. Ainsi, un ancien vice-président du conseil régional, qui présidait l'un de ces organismes, avait obtenu le remboursement de frais de déplacement et de téléphonie mobile pour près de 10 000 euros par an. Il va sans dire que nous avons mis fin à ce dispositif. L'AME avait 600 000 euros de frais de communication par an. Autre exemple : dans la filiale barcelonaise de la SEM Prodexport, La Maison du Languedoc-Roussillon, nous avons retrouvé énormément de réservations de chambres d'hôtel ou de parcours de golf, pratiques auxquelles nous avons évidemment mis un terme... La même Prodexport a été financée par la région à hauteur de plus de 10 millions d'euros pendant les deux ou trois années précédant la loi de janvier 2002, bien que ce fût une SEM, et la Chambre régionale des comptes a eu beau dénoncer le caractère illégal de ce financement, il a continué, en violation de la loi. En outre, six personnes y travaillaient en régie, à l'année, pour développer des sites Internet à l'exportation, pour 2 millions d'euros... Une enquête est en cours pour déterminer s'il n'y a pas eu surfacturation de prestations. Nous pourrons vous communiquer les documents si vous le souhaitez.

Mme Claude DARCIAUX : Mais tout cela relève du pénal ! Avez-vous porté plainte ?

M. Georges FRÊCHE : Pour beaucoup de ces SEM, nous avons déposé des plaintes pour abus de biens sociaux, et les tribunaux diront ce qui en est. L'ancienne majorité a utilisé la région, soit directement, soit par le biais de ces satellites, pour financer ses campagnes législatives, celle de M. Édouard Balladur à la présidentielle et les réunions politiques publiques de DL, singulièrement en Lozère. Bien que, lors du changement d'exécutif, mon prédécesseur ait fait brûler quinze tonnes d'archives et tenté, en vain, de faire effacer les disques durs des ordinateurs de la région, nous y avons retrouvé toute la comptabilité des partis politiques de l'ancienne majorité régionale. Il faut ajouter que la plupart des directeurs des services de la région avaient aussi une fonction politique et que le secrétariat politique de l'ancien président était assuré et financé par la région, de façon totalement illégale.

Nous avons acheté des voitures qui ne sont utilisées qu'en fonction d'ordres de mission au lieu que, comme c'était le cas sous la précédente mandature, on procède à des remboursements de frais personnels. C'est ainsi, je vous remettrai les documents, qu'un ancien vice-président a pu se faire rembourser 68 pleins de carburant en un an en ne justifiant que de 6 500 kilomètres parcourus au service de la région. Tout est à l'avenant, chacun se faisait rembourser ses frais de mission sans aucun contrôle. Des plaintes ont déjà été déposées et d'autres le seront, car on peut multiplier à l'infini les exemples d'utilisation des crédits publics à des fins non publiques ou à des fins politiques, ce que jamais je n'ai fait en vingt-sept ans à la mairie de Montpellier. Je n'ai donc aucune leçon à recevoir d'une ancienne majorité régionale qui se gobergeait, allant jusqu'à procéder à des achats massifs de bonnes bouteilles de Bourgogne ou de Bordeaux entre les deux tours des élections -  pour les écluser lors de sa défaite, c'est la seule excuse que je leur donne...

M. Thierry Camuzat pourra vous transmettre une copie du fameux rapport Jurquet, qui a coûté un million à la région pour un collage de photocopies à côté duquel certains rapports parisiens ou essonnais ne sont que petite bière. Et, pendant que l'on dépensait à tire-larigot, la Chambre régionale des comptes n'a exercé aucun contrôle.

Nous tenons toutes les pièces comptables à votre disposition : nous les avons apportées.

M. le Président : Qu'en est-il des charges d'apprentissage et de formation ? Sont-elles compensées intégralement par l'État ? Si ce n'est pas le cas, comment les compensez-vous ?

M. Christian FINA : La région Languedoc-Roussillon connaît un très fort taux de chômage, en particulier chez les jeunes. Ainsi, en mars 2004, 13,6 % de la population active y était au chômage contre 9,9 % au niveau national, et la situation des jeunes de moins de 25 ans s'est continuellement dégradée. À la même date, la hausse annuelle du nombre de chômeurs, de 3,2 %, a été plus forte dans la région qu'au niveau national, où elle s'est établie à 2,2 %. Par ailleurs, toujours en mars 2004, sur quelque 162 200 chômeurs immédiatement disponibles pour un emploi, 25 270 étaient allocataires du RMI. Selon l'INSEE, la croissance démographique, exponentielle, est évaluée à plus de 400 000 habitants dans les dix ans à venir, ce qui est nettement supérieur à la moyenne nationale. Mais la part des ménages imposés n'est que de 50 % dans la région, pour 60 % en moyenne nationale.

Quelles seront les conséquences de cette situation au regard des compétences transférées par la loi du 13 août 2004 en matière de formation professionnelle ? Son article 8, applicable dès le 1er janvier 2005, définit le rôle de la région. L'article 11 modifie les conditions relatives au programme régional de développement de la formation professionnelle, arrêté par la région, laquelle s'assure en outre de sa mise en œuvre. L'article 13 organise le transfert à la région du financement des stages de l'AFPA, au plus tard le 31 décembre 2008. Les articles 53, 54, 55 et 73 transfèrent à la région la politique de formation des travailleurs sociaux et du secteur paramédical. L'article 101 prévoit une nouvelle répartition des compétences en matière de formation dans le secteur culturel. En outre, avant la loi du 13 août 2004, l'État apportait, via ses services déconcentrés, des crédits à des actions d'insertion telles que les stages SIF ou SAE ; depuis le 1er janvier 2005, il s'en est désengagé sans que les conséquences financières de ce désengagement ait été compensées. Le budget de la région intègre donc cet effet volume, non compensé par l'État, et pour lesquels je donnerai quelques chiffres.

La situation, à l'arrivée du président Georges Frêche, se caractérisait par l'isolement institutionnel et par l'absence d'outil de concertation et de consultation des acteurs socio-économiques ; il n'y avait ni COCOREF, ni OREF, ni CARIF. Il a donc fallu inscrire au budget 0,5 million d'euros pour créer ces outils et les cofinancer avec l'État, plus 0,1 million d'euros de frais de personnel. Il n'y avait pas non plus de programmation pluriannuelle des actions de formation, contrairement aux dispositions des lois de décentralisation de 1983 et de la loi sur la démocratie de proximité de 2002, ce qui signifie pas de plan régional de développement de la formation professionnelle.

M. le Rapporteur : Nous ne vous demandons pas un bilan politique, mais des chiffres et des coûts.

M. Christian FINA : C'est ce à quoi je m'efforce, en précisant par exemple que, les dispositions de l'article du code du travail relatives au défraiement des stagiaires de la formation professionnelle n'étant pas respectées sous l'exécutif précédent, il a fallu inscrire 5,6 millions d'euros à cette fin au budget de la région...

M. Georges FRÊCHE :... car les stagiaires percevaient uniformément 300 euros par mois. Désormais, ceux qui ont des charges de famille pourront percevoir jusqu'à 600 euros, ce que l'État ne compense pas.

M. Christian FINA : Il a aussi fallu prévoir 0,8 million d'euros supplémentaire au titre de la validation des acquis de l'expérience, car les dispositions de la loi de modernisation sociale de 2002 n'avaient pas été mises en œuvre par l'ancien exécutif. En contrepartie, le transfert de la LEF vers la région a permis une économie de 1,8 million d'euros. Enfin, la politique d'achats de formations a été réorientée vers des actions qualifiantes, notamment dans l'industrie, qui coûtent beaucoup plus cher, ce qui induit un coût direct de 7,1 millions d'euros en 2005 pour une politique de formation qui colle aux besoins de la région, des entreprises et du développement économique. Au total, l'héritage de la gestion précédente...

M. le Rapporteur : Ce terme est-il convenable dans la bouche d'un fonctionnaire ?

M. Christian FINA : ...le bilan de la gestion précédente représente un coût de 11,7 millions d'euros pour la région.

M. le Président : Ce qui nous intéresse, c'est le rapport entre les charges transférées et la compensation par l'État.

M. Christian FINA : En cette matière, la décentralisation coûtera 10,8 millions d'euros à la région en 2005. Dans le domaine de la formation sanitaire et sociale, nous nous attendons à un écart de 5,2 millions d'euros non compensé par l'État en 2005, et de 9,7 millions d'euros en 2006, première année pleine car le transfert ne sera opéré qu'au 1er juillet prochain. En effet, les compensations sont fondées sur des chiffres qui, pour certains, n'ont pas été actualisés depuis 2002.

M. Richard MALLIÉ : Je tiens à rappeler qu'il ne s'agit pas d'une campagne électorale et que notre Commission d'enquête n'a à entrer dans aucune polémique ; que cette Commission, qui compte trente membres, a été constituée à la proportionnelle des groupes représentés à l'Assemblée nationale ; qu'un tiers seulement de ses membres sont présents ; que son Président appartient au groupe socialiste et son Rapporteur au groupe UMP ; enfin, que nous sommes réunis pour étudier des faits et essayer de comprendre les raisons de l'envolée des impôts locaux dans toutes les collectivités territoriales.

J'ai entendu M. Thierry Camuzat parler d'emprunts « non contractés et non financés » ; que faut-il comprendre ? S'agissant des lycées, j'ai toujours su, lorsque j'étais maire, qu'une fois la décision prise d'en construire un, le financement était prévu mais que l'investissement s'étalerait sur plusieurs budgets. Je lis d'autre part dans vos réponses au questionnaire qui vous a été adressé que le poste « personnel » s'établit à 20,8 millions d'euros dans le compte administratif 2004 et à 27,5 millions dans le budget primitif pour 2005. Vous avez certes réintégré dans les services de la région les salariés de diverses associations précédemment financées par la région, mais alors que l'augmentation des effectifs est de 20 % par rapport à mars 2004, les frais de personnel augmentent de plus de 30 %. Comment l'expliquez-vous, alors que vous avez mentionné par ailleurs une économie de 11 millions d'euros sur ce poste ?

M. Claude COUGNENC : Le poste « personnel » dans le budget de la région est passé de 21,5 millions d'euros en 2004 à 27,5 millions d'euros en 2005.

M. le Président : Le chiffre pour 2004 n'est pas celui que vous nous avez communiqué.

M. Claude COUGNENC : Je parle là de l'ensemble du poste « personnel », pas seulement des rémunérations, qui s'élèvent à 19,9 millions d'euros au compte administratif 2004.

M. le Rapporteur : Dans le compte administratif, nous voyons : 20,8 millions d'euros.

M. Georges FRÊCHE : On va vérifier. Ne nous affolons pas pour une broutille !

M. Richard MALLIÉ : Je rappelle au Directeur général des services qu'il s'exprime sous serment !

M. Georges FRÊCHE : Peut-être l'explication tient-elle au fait que, lorsque nous avons répondu par écrit à votre questionnaire, le compte administratif n'était pas encore voté.

M. Claude COUGNENC : L'augmentation moyenne annuelle du budget « rémunérations » a été de 15,5 % entre 2000 et 2004, contre 12,8 % en 2005 à périmètre constant, hors LEF - puisque nous avons dû prévoir dans le budget l'hypothèse où le contentieux qui nous opposait à la LEF aurait été perdu. Nous sommes passés de 520 postes en mars 2004 à 517 en mars 2005, et il est prévu au budget de porter l'effectif à 580 postes fin 2005. Parallèlement, les postes des trois organismes AME, CRC et LEF ont été supprimés, ainsi que les budgets correspondants, ce qui correspond à l'économie de 11 millions mentionnée par M. Richard Mallié.

M. Richard MALLIÉ : Mais pourquoi la masse salariale augmente-elle de 30 % si les effectifs n'augmentent que de 20 % ?

M. Claude COUGNENC : Vérification faite, le poste « personnel » du compte administratif est bien de 20,8 millions.

M. Georges FRÊCHE : Donc, le président avait bien envoyé les chiffres exacts. Cela me soulage...

M. Claude COUGNENC : Il y a plusieurs explications à l'augmentation du volume des dépenses de personnel. La première tient à la revalorisation, de 1,043 million d'euros à 1,778 million d'euros, du budget de formation pour le personnel de la région, étant donné les besoins induits par les nouvelles compétences transférées et la faiblesse du budget initial. La seconde est l'augmentation, conformément au cadre légal, négligé sous la précédente présidence, des prestations sociales servies au personnel.

M. Georges FRÊCHE : Exemple : des tickets restaurants d'une valeur faciale de 7 euros sont désormais proposés à l'ensemble des 520 employés au lieu que, comme par le passé, une centaine seulement ait accès à un restaurant particulier. Cela coûte plus cher, mais c'est plus efficace.

M. Claude COUGNENC : Le taux de GVT entre pour 740 000 euros dans l'augmentation des frais de personnel. Le nouveau régime indemnitaire, décidé par la majorité précédente, s'applique maintenant en année pleine, pour un coût de 780 000 euros qui n'avait pas été budgété. La provision pour l'intégration du personnel de la LEF est de 2,3 millions d'euros, le coût des chèques déjeuner est de 460 000 euros, l'effet du recrutement de stagiaires et de titulaires supplémentaires dans la fonction publique est de 1,36 million d'euros : c'est l'un des effets de la décentralisation, qui nous contraint à créer de nouveaux services pour lesquels il nous faut embaucher. Ainsi, l'élaboration du programme régional de développement de la formation professionnelle nécessite la création d'un service de trois personnes. D'autre part, la loi du 13 août 2004 exige de la région qu'elle recense les aides attribuées par l'ensemble de ses 1 180 collectivités pour faire rapport au préfet avant le 30 juin. Pour cela, les collectivités auraient dû nous transmettre les documents demandés avant le 30 mars ; aucune ne l'a fait, à l'exception de Montpellier. Cela représente quatre emplois supplémentaires, à quoi s'ajoutent cinq emplois pour l'ICF et trois pour l'élaboration du plan régional sur les déchets ultimes, mise à la charge de la région par la loi de 2004. Enfin, la région s'est dotée de services et de directions dont elle était dépourvue jusqu'à présent : directions de la prospective, du contrôle de gestion, des marchés et de la commande publique,...

M. le Rapporteur : Et comment s'explique l'augmentation de 35 % des dépenses de cabinet ?

M. Georges FRÊCHE : Cette question appelle une réponse autre que chiffrée. Il faut comprendre que la région était organisée comme une PME où tout fonctionnait autour du président. Pour les marchés, les types discutaient le bout de gras, l'un disait « Tu me donnes une subvention », et le président donnait un ordre à un gars... Un seul haut fonctionnaire couvrait tous les marchés des lycées ! Nous transformons cette PME en une entreprise qui fonctionne et, pour cela, nous avons créé des directions nouvelles. C'est mon rôle de président de le faire et je le revendique. Nous avons supprimé toutes ces excroissances où prospérait le copinage de contractuels, et nous mettons en place une véritable administration régionale, un service public avec des attachés, des rédacteurs, des agents administratifs recrutés sur une base statutaire.

M. le Rapporteur : Nous parlons des 35 % d'augmentation des dépenses de cabinet.

M. Georges FRECHE : Je ne vois pas comment les dépenses de cabinet auraient pu augmenter puisque, malade, j'ai frôlé la mort et été absent pendant six mois. Mais le fait est que nous avons réintroduit dans ce budget toute une série de dépenses financées jusqu'en 2004 par des organismes annexes, dont la plupart des dépenses de restauration. Ils avaient même monté une vinothèque - mais n'ont laissé aucune des bonnes bouteilles !

M. Richard MALLIÉ : Pouvons-nous revenir à la question ?

M. le Président : Mais les dépenses de cabinet sont effectivement passées de 600 000 à 800 000 euros ?

M. Georges FRÊCHE : Oui, car nous avons fait un budget vérité.

M. Thierry CAMUZAT : Je précise qu'il s'agit là des dépenses de protocole. Sur le plan de l'organisation, le cabinet englobe la communication. Mais, comme je l'ai indiqué, dans les comptes de Prodexport et de l'AME notamment, les dépenses de représentation, de déplacement et de protocole étaient largement supérieures à ces 200 000 euros supplémentaires. De 400 000 euros en 1998, cette ligne est passée à 600 000 euros en 2004, ce qui représente une augmentation de 50 % sur la mandature précédente.

M. Georges FRÊCHE : L'augmentation des dépenses de communication est facile à expliquer. D'abord, il a fallu refaire toutes les brochures. Je n'allais quand même pas distribuer celles de l'ancienne équipe ! Ensuite, nous avons créé un journal régional, Septimanie, qui est distribué à 1,2 million de foyers et financé, comme c'est normal, par le budget communication de la région, en toute transparence démocratique. Une page y est réservée à l'opposition - elle y écrit n'importe quoi, mais ce n'est pas grave. Ils sont nuls, mais je vais les former...

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Dans votre propos liminaire, vous avez dit être ici au nom du peuple souverain. Puis-je vous rappeler que c'est également notre cas ? Les orientations que vous avez prises relevant de choix politiques, je vous demanderai de répondre personnellement aux questions que je vais vous poser. Dans l'éditorial « Se battre et agir : un budget 100 % offensif » que vous avez signé dans le bulletin régional du 28 février dernier, vous écrivez que les taux placent la région Languedoc-Roussillon au 13ème rang sur 22 pour la taxe sur le foncier bâti, au 16ème pour le foncier non bâti et au 11ème pour la taxe professionnelle. Autant dire que, pour la taxe professionnelle, la région était dans la moyenne nationale. Comment justifiez-vous alors une augmentation de 80 % ? Cela correspond-il à votre définition d'un budget « 100 % offensif pour l'emploi en région » ?

S'agissant du volet ferroviaire, comment pouvez-vous parler d'un désengagement de l'État alors que la ligne TGV Perpignan-Montpellier ne figure pas dans le contrat de plan ? Pour ce qui est enfin de la ligne Béziers-Neussargues, l'achèvement de l'A75, contournement de Lodève compris - dont vous n'avez pas parlé -, devrait permettre aux Montpelliérains de rejoindre Clermont-Ferrand et permettre ainsi, au passage, une augmentation de la TIPP qui serait souhaitable pour vous. Enfin, qui, sinon M. Jean-Claude Gayssot, était le signataire des engagements de l'État à l'égard de la région en matière ferroviaire ?

M. Georges FRÊCHE : Oui, notre budget est offensif, et les chefs d'entreprise qui participent au financement s'y retrouvent largement, par le financement des pépinières d'entreprise et de la recherche, et par les transferts de technologies. Je viens de recevoir un chef d'entreprise américain qui va bénéficier d'une forte subvention pour s'installer dans la région en créant 180 emplois dans le secteur des biotechnologies. Les entreprises participent au financement de ces actions, mais elles ont un retour sur investissement ! D'ailleurs, les chefs d'entreprise ne protestent pas, et le budget a été voté à l'unanimité du conseil économique et social régional, moins les deux voix du MEDEF, au demeurant complètement contrôlé par l'UMP.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Si j'ai bien compris, c'est la seule chose que l'UMP contrôle ici...

M. Georges FRÊCHE : Vous savez bien que je contrôle à peu près tout. Quant à l'opposition, on essaie de l'organiser. Ils ne sont pas très forts, ils ne gagnent que quand la vague est haute, et de justesse, de sorte que leurs jours sont comptés...

Je n'ai jamais dit que l'État s'est désengagé du contrat de plan pour la ligne TGV, puisqu'elle n'y figurait pas, et pour cause : le CIADT de 2003 a donné à M. Jean-Pierre Raffarin l'occasion de revenir sur l'engagement pris par deux sommets de chefs d'État ou de Gouvernement. MM. François Mitterrand et Felipe González il y a onze ans à La Rochelle, MM. Lionel Jospin et José Maria Aznar il y a cinq ans à Albi, avaient pourtant décidé la construction de la ligne Montpellier-Barcelone. L'État n'a donc pas tenu parole, puisqu'il s'est désengagé au CIADT de 2003. J'ai cependant eu une toute petite satisfaction en obtenant de M. Gilles de Robien, l'autre jour, qu'il accepte le principe de l'examen du financement du contournement de Nîmes et Montpellier, bloqué par la précédente majorité régionale, qui refusait de s'engager sur le plan financier - ce que je comprends sur le principe, puisque l'État n'a pas tenu ses engagements. Si j'ai donné mon feu vert à M. Jean-Claude Gayssot pour la construction du viaduc de Millau dans les conditions que l'on sait, c'est que sans cela on l'aurait encore attendu dans vingt ans, mais j'ai reproché à M. Lionel Jospin que l'État ne respecte pas ses engagements - c'est d'ailleurs de plus en plus vrai, que ce soit la droite ou la gauche qui gouverne. À présent, on se lance dans la construction des lignes Lyon-Turin et Aix-Nice, mais on ne finit pas Montpellier-Perpignan, ce qui est un scandale car c'est la seule ligne rentable. En revanche, on prolonge la ligne TGV vers Marseille, ce qui est très bien parce qu'au-delà il y a le château d'If, et l'on s'apprête à réaliser une ligne TGV vers Strasbourg parce que cela permettra d'y amener les députés européens toutes les trois semaines et, accessoirement, d'aller contempler le lac de Titisee, alors que la route de Hambourg passe par la Sarre...

Pour plus de clarté, je précise que dans le CPER du 25 juillet 2000, la ligne à grande vitesse entre Nîmes et la frontière espagnole est mentionnée comme « Action 14.2 ». Mais, désengagement de l'État au CIADT de 2003 aidant, cette mention a disparu de l'avenant. Dans ces conditions, n'allez pas vous prévaloir du vice de l'État pour me prêcher la vertu ! Je prône la continuation de la ligne, et la solution, compte tenu du fait que l'État ne voudra sans doute pas y mettre d'argent d'ici 2007, serait de trouver, sous la maîtrise d'ouvrage de RFF, un bon arrangement avec le secteur privé, qui, lui, y a tout intérêt.

M. Richard MALLIÉ : J'ai été un peu surpris d'entendre M. Claude Cougnenc dire que la titularisation des stagiaires entraînait un accroissement des dépenses de personnel.

M. Claude COUGNENC : Je m'honore d'avoir géré des collectivités où j'ai surtout travaillé avec des fonctionnaires. Le président Georges Frêche a souhaité renforcer cette démarche, et nous avons, dès 2004, titularisé 34 agents et stagiarisé 39 agents : des agents qui, pour 51 d'entre eux, étaient en situation de précarité et qui ont trouvé un statut de fonctionnaire dès l'arrivée du président Georges Frêche. L'entrée dans ce statut induit ipso facto une revalorisation de 15 %, compte tenu des charges sociales et des primes.

M. le Rapporteur : La question portait sur le passage de stagiaire à fonctionnaire.

M. Georges FRÊCHE : Ce qui explique l'augmentation, c'est le passage de précaire à stagiaire, et non pas de stagiaire à titulaire.

M. le Rapporteur : C'est clair, mais ce n'est pas ce qui vient de nous être dit.

M. Georges FRÊCHE : On a prêté serment, vous pensez bien qu'on ne va pas mentir !

M. le Président : Avez-vous supprimé des autorisations de programme, et si oui, lesquelles ?

M. Georges FRÊCHE : Certaines, dans des villages de Lozère où l'on finançait des pissotières, des écoles maternelles, des lavoirs, des crucifix, toutes choses qui ne sont pas d'intérêt régional.

M. le Président : Et en dehors de la Lozère ?

M. Georges FRÊCHE : Pratiquement pas. Au total, on a tout de même supprimé 3 000 autorisations de programme.

M. le Président : S'agissant du lycée de Font-Romeu, avez-vous évalué le coût de l'investissement à réaliser ? Est-il en état ? Quel est le coût de la remise en état ?

M. Georges FRÊCHE : Il n'est pas en état, et la commission de sécurité a même demandé sa fermeture. Le ministre des sports, M. Jean-François Lamour, et ses deux prédécesseurs nous ont promis de le remettre en état, mais cela fait déjà trois ans, et la promesse n'a pas été tenue.

M. le Président : Le lycée vous est donc transféré en l'état ?

M. Georges FRÊCHE : Oui, mais nous ne le prendrons que pour les élèves cerdans, pas pour les élèves de l'École nationale du sport.

M. le Président : Autre question : avez-vous évalué le manque à gagner qu'a représenté, pour la région, la baisse des impôts par l'ancienne majorité régionale ?

M. Georges FRÊCHE : L'ancien président était un homme habile, ce en quoi, d'ailleurs, nous nous ressemblons. En 1993, il avait augmenté les impôts de 42 % - sans doute ne s'en souvient-il pas, mais moi je m'en souviens très bien -, après quoi il a signé un contrat avec le Front national, qui a exigé une baisse de 2 % par an, ce qu'il a fait les quatre dernières années, d'ailleurs au pire moment puisque la compensation s'est faite sur la base de ces impôts baissés. Nous avons donc doublement perdu, d'abord sur les recettes, ensuite sur les compensations de l'État.

M. le Président : Combien cela vous a-t-il fait perdre ?

M. Georges FRÊCHE : 54,1 millions d'euros.

M. le Président : Y a-t-il ou y avait-il des logements de fonction ? Si oui, à quoi servaient-ils ?

M. Georges FRÊCHE : Il n'y en a plus, sauf pour les directeurs. En ce qui me concerne, j'habite chez moi depuis toujours. Je n'ai jamais eu de logement de fonction, j'ai laissé la mairie sans logement de fonction et avec un endettement zéro, comme mon collègue Dominique Baudis à Toulouse, ce dont je m'honore. L'ancien président avait un logement de fonction au 23, rue Maguelonne, pour 8 059 euros de loyer annuel. Il l'a meublé avec des meubles et des tapis payés par la région, dont nous n'avons jamais vu la couleur. Je pense qu'il a oublié de les rendre, et je suis sûr qu'il vous dira tout à l'heure qu'il va les renvoyer prochainement, ce dont je le remercie par avance. Je ne vais pas porter plainte pour ça, je ne suis pas mesquin... Le Directeur général des services a également un logement de fonction, ainsi qu'un Directeur général adjoint sur six.

M. le Rapporteur : Combien y avait-il de directeurs généraux adjoints, avant ?

M. Georges FRÊCHE : Il y en avait un, il y en a désormais six. Je divise pour mieux régner...

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Ils ont quand même l'air de vous être dévoués...

M. Claude COUGNENC : Pour être précis, il y avait, au 1er mars 2004, un directeur général des services, un directeur général adjoint, 9 directeurs et 44 chargés de mission assurant des fonctions de chef de service, soit 64 emplois d'encadrement. Aujourd'hui il y en a 67, dont le directeur général des services, 6 directeurs généraux adjoints, 20 directeurs, 3 directeurs adjoints et 37 personnes occupant des fonctions de chef de service.

M. le Président : Avant-dernière question : j'ai lu, dans le document que vous nous avez adressé, que le ferroviaire représentait deux points de fiscalité. Le confirmez-vous ?

M. Gérard BLANC : Mon collègue Thierry Camuzat a bien expliqué tout à l'heure que tout pouvait se traduire en points de fiscalité. La convention ferroviaire représente 75 millions d'euros par an. Un point de fiscalité, c'est un peu plus d'un million d'euros. Je ne sais pas très bien comment on peut raisonner là-dessus.

M. Georges FRÊCHE : Cela m'a échappé. Je ne vois pas très bien non plus.

M. le Président : Enfin, vous avez répondu sur les digues du Rhône. Quand il y a eu les inondations, l'État a pris des engagements en termes de crédits versés. À qui ? À un syndicat ? Les versements ont-ils été réguliers ?

M. Gérard BLANC : Une partie a été versée, mais il y a eu un retard relativement important, ce qui explique le fort engagement des collectivités, notamment le département du Gard, celui des Bouches-du-Rhône et les deux régions réunies dans le syndicat dont a parlé le président Georges Frêche tout à l'heure, syndicat qui est organisé pour faire face aux problèmes des deux rives du fleuve, car quand l'eau monte, elle monte des deux côtés à la fois.

M. Georges FRÊCHE : S'agissant du SYMADREM, la région PACA mettait 30 % pour l'équipement et 40 % pour le fonctionnement, contre respectivement 10 % et 0 % pour la région Languedoc-Roussillon. Afin d'équilibrer les choses, nous avons porté notre contribution à 30 % et 40 % respectivement, parce que nous considérons que la défense des populations de Petite-Camargue est prioritaire. Les deux dépenses prioritaires en 2004 ont été la gratuité des livres scolaires et le financement des digues du Rhône.

M. le Président : Je crois que nous sommes maintenant assez éclairés. Nous allons maintenant suspendre la séance, après quoi nous entendrons le président du groupe d'opposition au sein du conseil régional.

Audition de M. Jacques BLANC,
ancien président du conseil régional de Languedoc-Roussillon,
président du Groupe UMP

(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 avril 2005)

(Des documents fournis par M. BLANC à l'appui de son intervention sont reproduits en page 283 du tome III du présent rapport)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

M. Jacques Blanc est introduit.

M. le Président : Mes chers collègues, nous entendons maintenant M. Jacques Blanc, président du groupe UMP au conseil régional de Languedoc-Roussillon et ancien président dudit conseil régional.

M. le Président rappelle à M. Jacques Blanc que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, celui-ci prête serment.

M. le Président : M. Jacques Blanc, vous avez la parole pour un exposé introductif.

M. Jacques BLANC : Je me réjouis de votre présence et de votre invitation, et je ne vous cacherai pas qu'après ce que je viens d'entendre ce matin, je fais toutes réserves pour envisager tout recours judiciaire contre les propos diffamatoires, insultants, totalement inacceptables, qui ont été tenus, et qui reviennent notamment à me traiter de voleur. Il est inacceptable de constater que la dérision tourne au mépris et s'érige en méthode. Si cela peut amuser cinq minutes, c'est une véritable caricature de la démocratie, à laquelle, hélas, nous assistons continuellement, et telle que vous l'avez vécue vous-mêmes ce matin. Une commission d'enquête, cela se respecte, on n'y va pas pour dire n'importe quoi, n'importe quand, de façon incohérente, à seule fin d'éviter de répondre aux questions posées. Pour ma part je répondrai, quelle que soit la façon dont nous sommes traités à la région. On refuse en effet de mettre à notre disposition le personnel dont nous avons besoin, même lorsqu'il s'agit de gens qui sont dans un placard et à qui on ne donne rien à faire.

J'en reviens à l'essentiel, en évacuant un certain nombre de choses. Dire que j'ai baissé les impôts à la suite d'un pacte conclu avec le Front national, et dire que nous avons été alliés pendant dix-huit ans, c'est mentir, car si, pendant six ans, de 1986 à 1992, il y a eu un vote permanent des élus de ce parti en ma faveur, au cours des six années suivantes, de 1992 à 1998, le Front national était dans l'opposition régionale et n'a pas voté la plupart de mes dossiers. Et c'est pendant cette période que, mesurant l'intolérance totale à l'augmentation des impôts, et vivant les blocages à l'augmentation des charges et des impôts, j'ai décidé, à la demande du groupe RPR de l'époque, les comptes rendus des réunions en font foi, de m'engager dans une baisse de 2 % par an des impôts. En 1998, l'année de l'élection, j'ai dit : on ne bouge pas, zéro, mais je me suis engagé à baisser régulièrement les charges, pour adresser un signal fort aux artisans et commerçants, aux chefs d'entreprise, qui, même si l'imposition régionale est faible, ne supportent plus qu'on charge la barque en permanence.

Dans cette région dont la population, et je m'étonne que le président du conseil régional ne l'ait pas évoqué, s'accroît très fortement chaque année, ce qui est une chance pour l'avenir mais une charge pour le présent, le nombre de lycéens s'est accru de 30.000 depuis 1986 tandis que la dotation de l'État, la DRES, était calculée à partir des dépenses de l'État pour les lycées sous le gouvernement Fabius. Dans cette région où, hélas, et ce n'est pas la faute du conseil régional, le PIB par tête est l'un des plus bas de France, j'ai proposé à l'époque, puisque nous étions à 77 % de la moyenne nationale, que nous soyons classés en objectif 1, mais le gouvernement socialiste de l'époque et les élus d'opposition à la région ne se sont pas battus pour cela, et nous n'avons bénéficié que de l'objectif 2. Je m'étais engagé, tout au long de la campagne de 1998, à baisser les impôts, et j'ai repris cet engagement dans ma déclaration au conseil régional. De même, je m'étais engagé à développer l'apprentissage, la culture et les langues régionales, et c'est en fonction de ces choix que se sont déterminés les uns et les autres. Et tout au long de mon dernier mandat, le Front national a voté tantôt pour, tantôt contre. J'ai négocié le contrat de plan État-région avec un gouvernement qui ne m'était pas favorable, ce qui n'a pas été facile. Le Front national a voté contre. Et en commission permanente, un dossier sur lequel j'avais été très attaqué, c'est le dossier culturel. Moi, je n'ai pas cassé les équipes culturelles que j'ai trouvées en arrivant, contrairement à mon successeur qui a cassé les équipes du Centre du livre, alors même qu'elles avaient manifesté de grandes qualités et que c'étaient plutôt des gens de gauche. Moi, je n'ai pas regardé les étiquettes. D'ailleurs, on ne m'attaque plus là-dessus, et Dieu sait pourtant si à l'époque les choses avaient été dures !

Oui, j'ai une conception différente de l'impôt par rapport à M. Georges Frêche. Est-ce que plus d'impôt, c'est plus de République ? Non. Pour moi, trop d'impôt tue l'impôt. Il est important de montrer au contribuable que l'on sait maîtriser les charges. C'est ce à quoi je m'étais engagé, et j'ai tenu ce que j'ai dit. C'était d'autant plus important que dans une région où le PIB est bas, les bases sont faibles, et la charge fiscale est donc forte même si les taux sont moyens. Et pour attirer les entreprises, nous étions les champions en 2002-2003-2004, mais cela n'a pas suffi à faire face à l'afflux de population, et le chômage était trop élevé, c'est vrai. Cela rend les ratios difficiles à interpréter. Si le ratio des crédits de formation par rapport au nombre de chômeurs peut paraître bas, l'effort de la collectivité est tout de même extrêmement important.

Oui, j'assume la responsabilité d'avoir mis la région au niveau moyen des autres régions. Mais où est le « trou » dont il a été question ce matin ? Le compte administratif 2003, comme d'ailleurs celui de 2004 adopté par la nouvelle majorité, fait apparaître un excédent de 7 millions d'euros, avec des transferts importants du budget de fonctionnement au budget d'investissement et un ratio de solvabilité tout à fait normal et positif.

Quant au rapport commandé par l'actuel conseil régional, la tonalité de la synthèse n'est pas celle du texte lui-même, qui est un hommage rendu à notre gestion. Même, donc, dans cette synthèse plus sévère que le reste du texte, alors que le but était à la fois de jeter le discrédit sur nous, de faire diversion à la chasse aux sorcières menée contre le personnel, et de préparer la justification de l'augmentation prévue des impôts, on reconnaît, page 10, que les dépenses de fonctionnement sont parfaitement maîtrisées : c'est plutôt un compliment. Et si en 2002 il y a eu accroissement des effectifs, c'est lié au transfert de la compétence ferroviaire, sur lequel je reviendrai.

Je ne reviens pas sur l'influence de la décentralisation, sauf pour dire que ce sont les modalités financières de celle de 1982 qui ont entraîné la plus forte augmentation de charges. Pour les lycées, nous avons investi, entre 1986 et 2003, 1,5 milliard d'euros, alors que l'État ne nous a transféré que 250 millions d'euros. La DRES, dans le budget 2004, était de 16 millions d'euros pour plus de 80 millions d'investissements. Pour une région qui a dû accueillir 30 000 lycéens de plus dans 90 lycées publics dont 76 d'enseignement général, 57 lycées privés, 16 lycées agricoles et un lycée maritime, avec les problèmes de sécurité, les équipements, le numérique, le réseau NOMAD de soutien scolaire individualisé, nous avons rempli notre mission avec des impôts qui se situaient dans la moyenne, voire plus bas, avec un faible potentiel fiscal. C'est-à-dire qu'il y a eu des efforts de gestion, malgré un personnel qui n'était pas pléthorique. Mais il y avait des gens responsables, qui ont totalement pris leurs responsabilités.

En 2002, nous avons pris une décision forte, en accord avec le recteur - car l'on ne peut pas créer un lycée sans l'accord de l'État : nous avons lancé cinq projets de lycées neufs. Il y a eu des retards à cause des fouilles archéologiques et des grèves, qui nous ont fait perdre six mois à un an, mais les lycées de Canet-en-Roussillon, de Villeneuve-lès-Avignon et de Lunel auraient dû démarrer dès le début de 2004, tout était prêt, les concours étaient lancés, mais tout a été arrêté par la nouvelle majorité. Nous avions lancé les autorisations de programme pour les cinq lycées, mais dans les mairies, il n'y a pas d'AP et de CP, et ceux qui n'ont travaillé qu'en mairie ne connaissent pas bien cette mécanique et confondent un peu tout.

Puis est venue la convention avec l'État et la SNCF. Comment peut-on dire que l'on ne s'est pas préoccupé du ferroviaire ? De 1989 à 1993, nous n'avions aucune compétence ferroviaire. Et dans le contrat de plan, que j'ai apporté, il n'y avait pas de crédits inscrits, mais nous avions un dialogue avec le président Jordi Pujol pour une liaison ferroviaire à grande vitesse avec Barcelone, et nous avions accepté de faire porter des financements sur les études nécessaires. Seule la mairie de Montpellier a refusé, alors que la région et les départements étaient d'accord, pour ce réseau dont on parle beaucoup et qu'on attend toujours... Dans le contrat de plan 1994-1998, il y avait des éléments d'amélioration des futurs TER. Nous avons repris l'engagement sur le TGV de Montpellier au Perthus, et en tant que président du Comité des régions de l'Union européenne, j'ai eu l'immense honneur d'être invité au sommet de Corfou, où j'ai pu faire modifier dans la nuit un accord signé par MM. François Mitterrand et Édouard Balladur pour prolonger jusqu'à Montpellier la liaison Barcelone-Perpignan-Madrid qui figurait parmi les quatorze grands projets de la Commission.

Dans le contrat État-région étaient évoqués l'amélioration des services et du fonctionnement des TER, le renouvellement du matériel, l'aménagement des gares. Bien que nous n'ayons pas cette compétence à l'époque, nous avons pris des engagements. Nous les avons repris dans le dernier contrat de plan 2000-2006, où nous avons demandé un engagement de l'État de réaliser hors contrat de plan les investissements nécessaires au TGV entre Nîmes et la frontière espagnole. Et nous, nous avons consenti un effort considérable en faveur des TER, en faveur des gares, celle de Montpellier, où ont été faits des travaux considérables, mais aussi celles de Nîmes et de Perpignan, ainsi que des gares moins importantes. Je crois vraiment que nous avons négocié au mieux. M. Jean-Claude Gayssot, qui était ministre de l'Équipement et des transports, nous a-t-il aidés ? Je n'en suis pas très sûr, mais nous avions signé et engagé la région. Sous réserve de vérification, nous avons dépensé, avant même la signature du contrat, 170 millions d'euros. Et puis nous avons signé ce contrat, qui prévoyait des remboursements annuels, ce qui nous permettait d'engager des achats de matériel en autorisations de programme, car on paie sur cinq ou dix ans, compte tenu des délais de fabrication : une nouvelle machine a ainsi été mise en service il y a peu de temps, et présentée comme le résultat de la nouvelle politique du conseil régional, alors qu'elle a été financée par nos autorisations de programme, et une partie sera remboursée par ce que nous versera la SNCF. J'aurais voulu mieux, je me suis battu le plus possible avec la SNCF parce que M. Jean-Claude Gayssot ne nous aidait pas beaucoup. J'ai dû défendre moi-même le dossier du contournement de Nîmes, qui était inscrit au contrat de plan, parce que le président de la commission transports n'était pas très favorable. Si cela ne s'est pas fait, c'est parce que l'État et RFF n'ont pas fait ce qu'ils avaient dit, alors que la région avait inscrit ses crédits et sa participation.

S'agissant des rocades de Montpellier, qui sont des routes nationales, alors là, pardonnez-moi ! Vous avez là la démonstration que les affirmations gratuites que l'on entend en permanence sont purement mensongères ! Au contrat de plan 1988-1993, que voici, dans les programmes routiers figuraient la rocade de Rondellet, mais aussi la rocade de Montpellier-Est pour 50 millions, dont 27,5 % versés par l'État, 24,2 % par la région, et le reste à la charge du département et de la ville. Au contrat de plan 1994-1998, rebelote : les financements inscrits pour financer la rocade étaient estimés à 120 millions pour la première tranche, avec les mêmes proportions. Au contrat 2000-2006, même chose, et j'ai joué à budget ouvert avec l'État. M. Jean-Claude Gayssot n'a pas voulu en mettre plus, il y a quand même eu 150 millions de francs, dont 41 pour la région et 41 pour l'État. Si cela n'a pas été réalisé, la faute à qui ? Qui est maître d'ouvrage pour les routes nationales ? Qui était ministre de l'Équipement ? Et l'on m'accuse d'avoir refusé l'inscription des rocades ! Et c'est pareil pour tous les dossiers !

On me dit que je n'ai pas mis un sou sur Montpellier. Deux exemples seulement. Si la Mosson est devenu un grand stade, qui a accueilli la Coupe du Monde, nous avons versé une subvention, mais pour que ça ne se sache pas, on nous a coupé le micro le jour de l'inauguration...

M. le Rapporteur : Était-ce la ville ou l'agglomération qui était maître d'ouvrage ?

M. Jacques BLANC : Je crois que c'était l'agglomération, mais il faut vérifier.

Surtout, il y a dans cette région une dimension essentielle, sur laquelle tous les budgets, hélas, ont été baissés : c'est la matière grise. Je considérais, ma majorité considérait que l'enseignement supérieur et la recherche, bien que n'étant pas de la compétence de la région, étaient un atout majeur pour notre région, et j'ai donc proposé à la ville, à l'agglomération, au département de participer. La ville et l'agglomération n'ont pratiquement pas mis un sou, le département très peu, un peu tout de même sur Béziers, et pourtant nous, aussi bien dans le cadre du contrat de plan État-région que dans les compléments au contrat de plan, nous avons investi des sommes considérables : depuis 1986, 206 millions d'euros dans l'enseignement supérieur, dont 80 pour les trois universités de Montpellier, plus l'ENSAM et les écoles. C'est dire que la priorité des priorités allait à l'investissement dans la recherche et l'enseignement supérieur.

S'agissant de la recherche, il y a un complexe de recherche agronomique méditerranéenne tropicale, qui s'appelle Agropolis, que j'avais encouragé quand j'étais secrétaire d'État à l'agriculture, et que la région a toujours totalement soutenu, car nous considérions qu'il était capital de faire cet effort. Nous étions la première région de France pour la recherche : 221 millions d'euros investis dans les pôles santé, chimie, génomique humaine, biologie végétale... Et dans l'avenant au contrat, que voyons-nous ? La région s'est retirée de la maîtrise d'ouvrage sur certains investissements. Un seul exemple : nous devions constituer un pôle chimie majeur par l'achat des terrains et des bâtiments du centre de transfusion sanguine. L'achat des terrains est abandonné, et c'est un promoteur qui risque de s'y installer.

M. le Président : Pouvez-vous résumer un peu votre propos ?

M. Jacques BLANC : Un mot tout de même, compte tenu de ce que j'ai entendu tout à l'heure, sur le rapport d'audit et la manière dont il a été fait. La seule interrogation porte sur le rapport entre le flux reporté et le flux nouveau supérieur, c'est-à-dire sur le décalage entre autorisations de programme et crédits de paiement. Je crois y avoir répondu. C'est en 2003 qu'il est apparu, parce que c'est en 2003 qu'ont été lancées les opérations sur les TER et sur les lycées. On dit, c'est page 59 du rapport, qu'il y a un problème de sincérité, mais on ne dit pas qu'il y a insincérité. Il a simplement manqué quelques explications. Tous les audits ont été faits sans qu'on interroge un seul de nos responsables. Le directeur général est décédé, après avoir été mis au placard et maltraité pendant six mois. Son adjoint n'a pas été interrogé. Ce sont des gens qui ne savaient rien, ou qui étaient mal intentionnés, qui ont répondu à tout.

Quant à l'effectif total, il était, au 1er décembre 2003, de 375 personnes au compte administratif 2003. Il est de 584 au 21 mars 2005. C'est un simple constat. On nous dit qu'on a supprimé des organismes annexes comme la LEF, mais pour assumer leurs fonctions, on n'a pas pris des emplois budgétaires. L'augmentation des effectifs ne vient pas de là. Il y a peut-être deux ou trois personnes qui viennent de l'Agence méditerranéenne de l'environnement, mais les équipes formidables qui préparaient le parc naturel régional des Pyrénées catalanes ou de la Narbonnaise, tous ces personnels ont été vidés et maltraités.

Dans le compte administratif 2004, il y a eu des augmentations des effectifs dès que la nouvelle équipe est arrivée. Et aujourd'hui, l'effectif voté lors de la réunion du 31 mars 2005 est de 584. C'est un peu l'armée mexicaine, je n'ai pas de jugement à porter, mais cela amène une augmentation des charges. Et ce qu'on ne dit pas, c'est qu'on a créé de nouvelles associations. Les non-titulaires sont maintenant 77, alors qu'ils étaient 76 avant. Il ne faut pas se moquer du monde ! L'association Transfert-Septimanie, qui vient d'être créée, va employer une vingtaine de personnes, il y a aussi de nouveaux postes à l'Institut du développement durable, à l'Observatoire emploi formation, au CARIF... On ne peut pas dire qu'on va économiser sur les organismes qu'on a supprimés, et en même temps justifier le recours à l'emprunt pour couvrir les charges de fonctionnement, qui ne sont pas des charges d'investissement.

Je me réjouis que l'on puisse analyser objectivement les conséquences de la décentralisation et l'évolution des recettes. J'observe que personne n'a parlé des 15 millions d'euros de TIPP inscrits au budget. Il y a dans le budget des recettes pour des transferts de charges qui ne sont pas encore effectifs : ce n'est donc pas lié à la décentralisation actuelle. Il y a, en revanche, une situation qui résulte de la décentralisation antérieure. Quant au reproche d'avoir baissé les impôts au moment où on a changé les modalités de la compensation, peut-être certains étaient-ils informés, et ont-ils bénéficié d'un effet d'aubaine, mais pas nous. Peut-être la folle augmentation des impôts vise-t-elle aussi à créer un nouvel effet d'aubaine. Nous verrons.

Nous avons aussi été pénalisés par la décision du gouvernement de M. Lionel Jospin sur la suppression des droits de mutation, qui étaient une recette évolutive, et sur l'amputation de la taxe professionnelle, qui l'est également. La situation était donc difficile, mais nous l'avons maîtrisée, et l'audit qui a été commandé pour nous condamner a finalement valorisé notre action. Nous avons laissé une région en état de marche. Rien de nouveau n'a été fait en 2004, même sur la prévention des inondations, pour laquelle nous avions joué à guichets ouverts, en accord avec le département du Gard, et aussi avec l'Europe, qui a apporté des crédits importants à travers le Fonds de solidarité. On n'a rien fait de plus que ce qui était prévu. Le syndicat qui a été créé, nous l'avions voté. Il y a 40 millions pour le tramway de l'agglomération, c'est vrai, mais nous considérions qu'il valait mieux donner la priorité au train et à la matière grise.

Enfin, je n'ai pas entendu parler une seule fois de l'agriculture et de la viticulture, malgré la crise qu'elles traversent. Y a-t-il augmentation des aides de la région ? Non ! Alors, qu'on ne vienne pas nous dire qu'on veut y faire face !

Je m'excuse d'avoir été un peu long, mais j'ai tout de même beaucoup souffert ce matin, et nous souffrons ainsi tous les jours. Je compte sur vous pour que la simple vérité surgisse. On a le droit de choisir d'augmenter les impôts, mais pas celui d'imputer à d'autres les conséquences de ses propres choix.

M. le Rapporteur : Quelles sont, selon vous, les causes de l'augmentation de la fiscalité locale que la région a décidée pour 2005 ? Compte tenu des engagements que vous aviez pris, et de la procédure des autorisations de programme que vous évoquiez tout à l'heure, quels sont les choix fiscaux que vous auriez faits ? Y avait-il dans la campagne de votre équipe en 2004 des engagements de politique fiscale ?

M. Jacques BLANC : La cause est très simple. C'est une volonté politique, la volonté de se constituer un matelas pour faire ce qu'on a envie de faire. Si nous avions été réélus, d'abord les trois lycées auraient été lancés, et puis nous aurions fait ce que nous avions dit, nous aurions poursuivi une politique de modération fiscale. Nous aurions juste un peu majoré les taux, comme l'Alsace a su le faire. Le compte administratif démontre que l'on pouvait faire face. C'est bien gentil de prétendre qu'on fait une révolution, mais si les rocades ne se font pas, cela se verra au compte administratif. Avec une politique modérée comme la nôtre, des emprunts reconduits au même niveau, une fiscalité raisonnable, nous pouvions faire face aux engagements pris quant aux autorisations de programme des lycées et des trains. Il y avait un emprunt de 116 ou 118 millions d'euros qui devait être lancé et remboursé ensuite par ce que nous verse la SNCF. La meilleure preuve, c'est que, dans le compte administratif 2004, il y a 51 millions de transferts supplémentaires du fonctionnement vers l'investissement, et il y a quand même 7 millions d'euros d'excédent !

M. le Rapporteur : Votre successeur évoque 142 millions d'euros d'engagements qui n'auraient pas été couverts, et qui auraient justifié la hausse de la fiscalité. D'autre part, je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire à propos des sommes que devait vous rembourser la SNCF.

M. Jacques BLANC : Nous avions décidé un emprunt spécifique de 118 millions d'euros, dont les annuités étaient couvertes par les versements prévus aux conventions passées avec la SNCF.

M. le Rapporteur : Et cet emprunt n'a pas été réalisé ?

M. Jacques BLANC : Pas en totalité. Mais il faut dire que la gestion saine qui était la nôtre a permis de ne pas faire beaucoup d'emprunts. La nouvelle majorité n'en a pas fait beaucoup non plus, peut-être 50 millions d'euros au maximum dans le compte 2004. Dans le rapport qui était censé nous accabler, la courbe de l'évolution de la dette est très intéressante, car elle montre que cette dette va être en extinction très rapidement. Je vous l'enverrai. La courbe descend très fortement, ce qui montre qu'il y avait une gestion intelligente. Les annuités auront très fortement baissé en 2006 quand d'autres emprunts seront nécessaires pour couvrir des autorisations de programme. Il est vrai que nous n'avons pas fait appel à de multiples bureaux d'études, et c'est ce qu'on nous reproche un peu...

M. le Rapporteur : Et les 142 millions d'euros ?

M. Jacques BLANC : J'aimerais savoir à quoi correspond ce chiffre. Moi, ce qui me préoccupe, ce sont les autorisations de programme, qui s'appliquent à des investissements directs. Il est vrai que nous avons eu une politique d'aide aux communes, notamment aux petites communes de montagne déshéritées, contrairement à celles de la plaine et du littoral qui connaissent un fort développement. Bien sûr, il y a la Lozère, puisqu'elle est montagneuse en totalité, mais il y a des zones de montagne dans les cinq départements. Nous avions, et j'espère que vous y serez sensible, M. le Président, une politique d'aide spécifique aux communes de montagne qui ne pouvaient réaliser seules leurs investissements. Notre objectif était clair : un aménagement équilibré et harmonieux du territoire.

M. le Rapporteur : Nous avons bien compris. Mais quand vous dites que l'exécutif actuel ne partage pas l'approche des autorisations de programme que vous aviez décidées ?

M. Jacques BLANC : Le président du conseil régional actuel, ce matin, n'a parlé des autorisations de programme que quand il a répondu. Dire que ce n'était pas financé ne veut rien dire. Nous avions tout mis en place. Les crédits de paiement sont mis en place en fonction de l'estimation de consommation des dépenses. Et nous avions fait une prévision de consommation des dépenses.

M. le Rapporteur : Il a dit, en gros, que vous auriez sous-estimé la consommation des dépenses en 2005.

M. Jacques BLANC : Non, puisque 2005, c'est eux. En 2004, il y a eu un excédent, et une partie de l'emprunt prévu pour couvrir les investissements n'a pas été mobilisée. Cela prouve bien qu'ils ont pu faire face. Je prétends qu'en 2005, avec une fiscalité normale et un emprunt normal, on pouvait faire face aux investissements générés par les autorisations de programme prévues pour les lycées et les trains. Pour les trains, il fallait faire l'emprunt en totalité, puisqu'il y avait des remboursements à venir : ce n'était pas une charge supplémentaire pour l'avenir, mais une gestion intelligente des investissements. Et pour les lycées, nous avions de quoi faire face. Tout ce qui a été engagé était financé. La meilleure preuve en est qu'il y a eu un excédent, qui aurait même pu être plus important s'il n'y avait pas eu 51 millions d'euros supplémentaires transférés du fonctionnement à l'investissement.

M. Pascal TERRASSE : Je reviendrai tout à l'heure sur les AP et les CP, étant moi-même en charge des finances d'un département...

Vous nous dites, avec beaucoup de force et de conviction, que pour vous, quand vous présidiez le conseil régional, la recherche et l'enseignement supérieur étaient quelque chose de très important. Comment expliquer, alors, qu'entre 1998 et 2003, ces deux postes budgétaires soient passés de 22 à 15,4 millions d'euros ? Pensez-vous qu'on puisse faire mieux avec moins ?

M. Jacques BLANC : Une partie de ces crédits sont dans les contrats de plan, et l'État n'a pas mis tous les financements prévus. Mais nous avions prévu d'aller bien au-delà, par exemple sur le pôle chimie, où nous avons mis 16 millions d'euros en plus. Donc, le décalage dans l'utilisation des crédits tient au fait que, comme nous n'avions pas la maîtrise d'ouvrage partout, nos propres crédits n'ont pu être mobilisés comme nous l'aurions souhaité.

M. Pascal TERRASSE : Donc, les contrats de plan n'ont pas été honorés à la hauteur dans la dernière période ?

M. Jacques BLANC : En effet. Cela se produit d'ailleurs quels que soient les gouvernements.

M. Pascal TERRASSE : Je partage votre avis sur les CPER...

Vous dites, deuxièmement, qu'une pression fiscale modérée sur les entreprises a un effet favorable sur l'emploi. Donc, une gestion comme la vôtre, poursuivie pendant dix-huit ans, aurait dû produire cet effet. Comment se fait-il, dès lors, que votre région soit celle où le taux de chômage est le plus élevé ? Peut-être y a-t-il une autre explication ?

Troisièmement, on peut, à travers un budget, mettre en évidence des autorisations de programme. Malgré les modifications de la nomenclature budgétaire depuis deux ans, ces autorisations de programme donnent des perspectives à des projets programmés dans la durée, et qui doivent être financés par des crédits de paiement. Vous nous dites que le conseil régional aurait pu recourir à l'emprunt pour répondre partiellement à ces crédits de paiement. Mais ce n'est tout de même pas à vous que j'apprendrai que l'emprunt d'aujourd'hui est l'impôt de demain ?

Quatrièmement, s'agissant du Rhône, question qui m'intéresse d'autant plus que je présidais jusqu'à une date récente un établissement public territorial de bassin autour de ce fleuve, vous nous dites que des fonds européens auraient été mobilisés ? Desquels s'agit-il précisément ?

Enfin, mais vous n'êtes pas obligé de me répondre, de graves accusations ont été portées à votre encontre ce matin, et vous avez d'ailleurs annoncé dans votre propos liminaire que vous vous réserviez d'engager, le cas échéant, des procédures judiciaires. Donc, oui ou non, avez-vous embauché des membres de votre famille comme salariés du conseil régional ou de ses annexes comme la LEF ?

M. Jacques BLANC : Je commencerai par cette dernière question, qui montre le caractère honteux, diffamatoire, inacceptable du comportement de l'actuel président de la région. Oui, il y a une personne que j'ai embauchée en 1986-1987, qui avait tous les diplômes et les compétences acquis, dans les services de la formation. Il se trouve que, douze ans après, cette personne a épousé ma fille, qui est belle. On ne peut tout de même pas le lui reprocher ! Il a été vidé le lendemain de l'élection du président du conseil régional pour la seule raison qu'il était mon gendre. C'est odieux et scandaleux, de même qu'il est scandaleux et diffamatoire de prétendre que je n'aurais pas rendu les meubles et les tapis de mon appartement de fonction. Il y a deux raisons qui suscitent le vote d'extrême droite : le fait de soutenir qu'ils sont les seuls à vouloir baisser les impôts et le fait de salir son adversaire politique par la dérision ou l'insulte. C'est indigne et je souhaite que ce soit enregistré.

Sur l'emploi, je ne vous ferai pas l'outrage de croire un instant que vous pensez que la politique ou la fiscalité régionales soit responsable du chômage. Dans une région où il y a 25 000 habitants supplémentaires chaque année, où il y a beaucoup de jeunes, même si nous sommes les champions de la création d'emploi comme nous l'étions jusqu'en 2004 - vous pouvez vérifier toutes les statistiques -, je prétends que, pour être attractive, la région ne doit pas se présenter comme la championne des impôts sur les entreprises, qu'elles soient petites, moyennes ou grandes. Je prétends qu'une politique de modération fiscale ne peut faire que du bien. Cela suffit-il ? Non, mais c'est déjà beaucoup, alors que la politique actuellement menée ne peut, au contraire, qu'écarter les entreprises. Chaque fois qu'il y avait un grand dossier d'installation, qu'il s'agisse de Dell, d'Alstom ou de n'importe quelle entreprise, il y avait un dialogue avec la région, et celle-ci intervenait financièrement au même niveau que l'agglomération.

Quant aux contrats de plan, les seuls qui aient été respectés ou presque, c'est quand M. Édouard Balladur a mis une enveloppe supplémentaire pour rattraper un peu le retard. Mais le retard était tel, sur certains contrats, que j'avais proposé qu'on anticipe sur certaines réalisations de l'État à hauteur de 250 millions de francs.

S'agissant du Rhône, enfin, c'est le fonds de solidarité créé à la demande de M. Michel Barnier par la Commission européenne qui est intervenu, tant pour aider les sinistrés que pour la reconstruction. Il y a eu aussi des fonds de l'objectif 2, je vous donnerai tous les chiffres, au titre des crédits du FEDER, pour prévenir les inondations.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je remercie M. Jacques Blanc, qui a redonné à notre Commission d'enquête un ton plus sérieux et plus calme, sauf peut-être sur la question malencontreusement reprise par notre collègue Pascal Terrasse. Nous avons subi ce matin une manifestation de mépris inacceptable de M. Georges Frêche à l'égard de notre Commission, et en particulier de sa majorité. Puisqu'il doit revenir tout à l'heure en qualité de président de la communauté d'agglomération de Montpellier et qu'il n'a pas fait l'effort de rester pour assister à l'audition de son prédécesseur, je lui dirai que ce n'est guère républicain.

Parmi beaucoup de choses inexactes, M. Georges Frêche a dit que vous aviez baissé les impôts mais que vous les aviez augmentés en 1993. Peut-être serait-il intéressant de revenir sur la période 1992-1998. Peut-être faudrait-il montrer que la somme des baisses successives est supérieure à ces quelques hausses. Ce qui compte, c'est la stabilité.

Sur les effectifs, vous avez parlé de la façon dont les choses se sont passées depuis la mi-2004. Nous avons eu un débat tout à l'heure avec M. Georges Frêche sur l'évolution des effectifs. J'aimerais que l'on analyse cette affaire d'une façon un peu plus précise. Vous avez dit qu'il y avait eu, en 2004, des embauches et des licenciements. Combien et à quel niveau ? J'ai cru comprendre aussi qu'il y avait eu une certaine chasse aux sorcières. J'aimerais savoir finalement comment ont évolué, d'une façon assez précise, les effectifs par grande catégorie, en plus ou en moins, depuis le 1er janvier 2004. Je pense que nous aurions quelques surprises.

M. Jacques BLANC : En effet, dans le budget 1993, il y a eu, après débat, une augmentation de 25 % du taux de taxe professionnelle, qui était bas. Pourquoi ? Parce que nous avons lancé un grand programme en faveur de l'environnement, conformément d'ailleurs à l'un de nos engagements, ainsi qu'un effort supplémentaire en faveur des lycées. J'ai parlé des lycées neufs, mais nous avons trouvé les lycées anciens dans une situation épouvantable. Je me permets de dire au passage que le lycée de Font-Romeu nous est transféré, de par la loi, avec un certain nombre de recettes.

M. le Président : On m'a dit qu'il n'y avait pas de recettes et qu'il y avait 4 millions de charges de fonctionnement.

M. Jacques BLANC : Dans la loi qui a été votée, il y a des recettes prévues. Je ne dis pas qu'elles suffiront, car il y aura certainement des travaux à faire, mais nous nous sommes battus pour essayer d'obtenir des crédits. D'autre part, il ne faut pas confondre le lycée et le centre national d'entraînement Marceau-Crespin. L'Etat avait proposé de distinguer entre le collège, le lycée et ce centre, sur lequel le CREPS de Montpellier a quelques projets, et qui aurait pu être géré par une association tripartite tout en gardant une vocation nationale. On peut certes se demander si les crédits prévus suffiront, mais ceux qui ont vécu la décentralisation des lycées en 1986 sont assez mal placés pour s'étonner du décalage !

M. le Président : Vous avez, dites-vous, augmenté de 25 % le taux de la taxe professionnelle en 1993. Et les autres taux ?

M. Jacques BLANC : La taxe d'habitation a augmenté un peu, les autres pratiquement pas. Je vous donnerai les chiffres.

Sur les effectifs, j'ai donné les chiffres. J'ai vu voter les 584 postes. Selon les documents qu'on nous a donnés, et qui ont été très difficiles à obtenir, il semble bien que le nombre de non-titulaires n'a pas baissé. On en a donc embauché, après nous l'avoir reproché et avoir dit vouloir les supprimer. L'organigramme est sorti, il est très significatif : l'augmentation des postes ne vient pas du tout compenser les fonctions exercées par ces organismes méprisés dont il a été question tout à l'heure.

Mme Claude DARCIAUX : Si l'on regarde la mandature 1998-2004, on observe une remarquable stabilité de la pression fiscale dans les cinq régions où il y a eu des accords avec le Front national. Vous avez vous-même reconnu que, sous la mandature précédente, vous aviez augmenté de 25 % de la taxe professionnelle. Comment escomptiez-vous, en cas de réélection en 2004, après avoir baissé la fiscalité de 2 % par an, faire face à vos grands programmes de recherche, d'enseignement supérieur, d'investissement dans les lycées, dans le ferroviaire, dans la prévention des inondations, dans l'environnement, avec 30.000 lycéens de plus et 25 000 habitants de plus chaque année, et ce sans augmenter la fiscalité ? Vous avez dit que vous auriez recouru davantage à l'emprunt, mais le président du conseil régional nous a dit tout à l'heure que les emprunts actuels des régions sont déjà supérieurs à la moyenne nationale et que cela risquait de mettre en grave difficulté la gestion de la région.

M. Jacques BLANC : Il n'est pas exact de dire que les impôts ont augmenté entre 1992 et 1998, puisqu'en 1997, à la demande du groupe RPR, tous les débats en témoignent, j'ai décidé d'engager une diminution des impôts, et le Front national votait contre mes budgets ou s'abstenait.

Mme Claude DARCIAUX : Mais par la suite, il les a votés ?

M. Jacques BLANC : Ils l'ont voté après l'élection, mais il n'y a pas eu de pacte. Ils m'ont préféré à Georges Frêche. Cela figure dans tous les comptes rendus, ils ont décidé de voter pour moi en gardant leur liberté. Ils ont voté contre le contrat de plan État-région et ne participaient pas à l'exécutif. Et je m'étais engagé, non pas vis-à-vis d'eux mais vis-à-vis des électeurs, à effectuer cette baisse des impôts. Pourquoi était-ce possible ? Parce que, malheureusement, les décisions du gouvernement de M. Lionel Jospin, sur les droits de mutation, sur la taxe professionnelle, ont fait perdre beaucoup d'autonomie fiscale à notre région. Baisser les impôts de 2 %, cela avait surtout un sens symbolique vis-à-vis de ceux qui pouvaient investir dans la région. L'impact était donc surtout symbolique, et il était important de montrer que nous respections nos engagements.

Sur l'évolution des annuités de la dette, la courbe montre bien qu'il y aura une vraie marge de manœuvre d'ici deux à trois ans. En 2008, il y aura déjà une baisse considérable des annuités. Dans le fameux rapport dont on a parlé, la solvabilité est reconnue comme étant un peu au-dessus de la moyenne, les investissements aussi. Mais par contre, ils n'ont pas compris que parmi nos compétences fortes, il y avait l'aménagement du territoire, qui n'est pas analysé dans ce rapport, ce qui prouve quand même qu'il manque une dimension, car un aménagement harmonieux et équilibré du territoire nécessite, dans cette région, un engagement politique fort. Ma réponse est donc très précise et claire.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Je remercie M. Jacques Blanc de la qualité et de la sincérité de ses réponses, et je regrette la teneur de certaines questions, qui n'avaient pas leur place dans une commission d'enquête.

M. Pascal TERRASSE : On n'est pas en famille ! On pose les questions qu'on veut !

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Nous sommes là pour poser des questions sur le fond des choses, pas pour relayer des attaques personnelles. Vous pouvez constater que nous nous en sommes abstenus lors d'autres auditions.

M. Pascal TERRASSE : M. Jacques Blanc n'était pas obligé de répondre !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : C'était une bonne chose qu'il le fasse.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : La réponse de M. Jacques Blanc a d'ailleurs été la meilleure démonstration du caractère parfaitement déplacé de la question dans une commission d'enquête sur l'évolution de la fiscalité locale.

M. Pascal TERRASSE : Nous sommes libres de nos questions !

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Et moi de vous dire ce que j'en pense.

On a évoqué la stabilité fiscale. Je souligne que, dans certains conseils régionaux, cette stabilité n'avait rien à voir avec l'influence de telle ou telle formation politique : voyez l'Auvergne, Mme Darciaux !

S'agissant de la politique de solidarité territoriale, il y a eu des interventions tout à l'heure sur la notion même de solidarité territoriale. Pouvez-vous à la fois rappeler l'action que vous avez menée et réagir au fait que cet aspect paraît remis en cause par la politique de M. Georges Frêche ?

Enfin, s'agissant du rôle d'interlocuteur de l'État dans le volet ferroviaire des CPER, peut-être faut-il rappeler les conditions d'exécution en 2000 et 2001, quand M. Jean-Claude Gayssot était ministre de l'Équipement ?

M. Jacques BLANC : Pour les chemins de fer, la région est restée totalement en panne. La liaison Perpignan-Barcelone, qui devait être terminée en 2004, a été complètement oubliée pendant des années. Il a fallu le gouvernement actuel pour reprendre les appels d'offres. Quant au contournement de Nîmes et de Montpellier, l'enquête d'utilité publique vient enfin d'être lancée, on vient d'avoir un avis favorable. Les engagements n'ont absolument pas été accélérés par M. Jean-Claude Gayssot, et je le regrette. C'est la même chose pour les routes, notamment les rocades. C'est un peu triste.

Quant à l'aménagement du territoire...

M. le Rapporteur : Et la Lozère ?

M. Jacques BLANC : Justement. Ce qui a été dit n'est pas tolérable, et c'est ignorer ce qu'est l'aménagement du territoire. Quand il y a désertification des zones de montagne des cinq départements et concentration urbaine ailleurs, peut-on rester passif ? N'est-il pas impératif d'avoir une politique régionale de solidarité envers l'agriculture, le commerce, l'artisanat, le tourisme, et aussi envers les collectivités, qui n'ont pas la ressource et la matière fiscale pour faire face à ces investissements ? J'assume totalement la mise en place de la politique de solidarité envers la montagne. Elle n'a pas bénéficié qu'à la Lozère, mais il se trouve que la Lozère est entièrement montagneuse, et un point de fiscalité départementale supplémentaire n'y représente que 600 000 francs de recettes. De même, nous avons aidé l'Aude et la Lozère dans le cadre des contrats de plan pour les routes nationales : on ne peut pas demander à des départements qui ont déjà beaucoup de routes départementales de contribuer pour 25 % aux routes nationales. Et aujourd'hui, on nous le reproche ! Si on rapporte les sommes versées au nombre d'habitants, c'est qu'on n'a rien compris à l'aménagement du territoire. C'est justement là où il n'y a pas d'habitants qu'il faut faire le plus d'efforts. Comparer ce qu'a reçu Montpellier par tête d'habitant, en oubliant au passage l'université, la recherche, l'orchestre, la danse, la culture, avec les aides au canton de Fournel, 1 700 habitants, le plus déshérité de Lozère, serait dérisoire si ce n'était triste, et si cela ne démontrait le mépris de la région pour les ruraux, notamment montagnards.

M. Pierre MOREL-À-l'HUISSIER : J'aurais souhaité, en propos liminaire, demander au président de s'exprimer sur les propos tenus tant vis-à-vis du docteur Blanc que de notre Commission, accusée par M. Georges Frêche d'instruire à charge. Si ce n'est pas fait aujourd'hui, je reposerai la question lors d'une prochaine réunion.

M. le Président : Je peux vous répondre tout de suite. Je ne pense pas que, sur un sujet comme celui-ci, une commission d'enquête soit appropriée.

M. Pierre MOREL-À-l'HUISSIER : Je note que vous ne dites rien sur l'accusation d'instruire à charge !

Que pouvez-vous dire, docteur Blanc, dix-huit ans après, sur les lois Defferre et leurs conséquences budgétaires, notamment sur le non-accompagnement des collectivités par l'État ?

Vous avez présidé d'autre part le Comité des régions de l'Union européenne. Que pouvez-vous dire de l'impact des crédits européens sur les budgets des régions ?

Enfin, vous avez diligenté des actions contentieuses devant le tribunal administratif de Montpellier sur la non-exécution des contrats de plan en 1999. Si l'État ou une autre collectivité territoriale ne respecte pas ses engagements, comment une collectivité arrive-t-elle à régulariser son budget face au désengagement ? Comment avez-vous procédé ?

M. Jacques BLANC : Les lois Defferre ont permis une transformation de la situation des lycées, mais elles nous ont coûté très cher, parce que l'accompagnement financier s'est limité à compenser sur la base de ce que dépensait l'État avant, soit 20 à 25 millions de francs pour la région sous le gouvernement de M. Laurent Fabius ! Le résultat financier est que, sur 1,5 milliard d'euros dépensé par les régions, 250 millions d'euros leur ont été versés au titre des lycées. Pour l'ensemble des formations, on est resté au milieu du gué. Mon expérience me conduit à dire qu'il faut aller plus vite et plus loin dans la décentralisation. Je rappelle que, bien que sans compétences en matière de recherche et d'enseignement supérieur, nous sommes intervenus volontairement. Dans la plupart des régions, les grandes villes ont accompagné le mouvement ; ici, ça n'a pas été le cas de Montpellier, contrairement à Nîmes et à Perpignan. Je souhaite donc qu'on puisse aller plus loin, avec une couverture des dépenses réelles. Il restera toujours une part à la charge des régions, mais il faut leur donner des recettes évolutives, et non pas des dotations figées de l'État comme sous le gouvernement de M. Lionel Jospin. C'est la plus mauvaise des méthodes. Un transfert de la TIPP est beaucoup plus favorable à une région comme la nôtre, qui est en plein développement, car il s'agit d'une recette évolutive.

L'Europe a aidé la région. J'avais obtenu que la Lozère soit retenue comme laboratoire expérimental pour les programmes de développement intégré, puis au titre de l'objectif 5b, puis de l'objectif 2. Les programmes de l'objectif 2, aujourd'hui encore, sont importants pour le soutien au développement économique et à certaines grandes infrastructures, comme la mise à deux fois deux voies de la liaison Nîmes-Alès, ou le port de Sète, ou de grands investissements comme le marché Saint-Charles, si important pour l'économie régionale, ou l'activité de trituration d'oléoprotéagineux à Sète, devenu le premier pôle méditerranéen de production de diester, ou bien des organismes de recherche comme Agropolis, ou encore le développement rural, notamment durable. Je regrette que l'on oublie aujourd'hui de rappeler cette action forte de l'Europe, et je souhaite que l'on se mobilise pour qu'il y ait demain une nouvelle politique régionale européenne, ce qui suppose de surmonter d'ici là certains obstacles, qui, j'espère, le seront...

Enfin, que faire si l'État ne respecte pas ses engagements ? Nous attendons le résultat des contentieux. Notre attitude constante a été le respect des acteurs et celui des engagements. Je ne me suis jamais livré à des insultes contre les représentants de l'État. Il faut dialoguer, même lorsque l'on n'est pas d'accord. Le préfet a dû imposer que soient consacrés 4 millions à l'assainissement de Montpellier, et M. Georges Frêche est donc très mal placé pour insulter le préfet lorsqu'il impose le respect de certaines décisions sur l'espace rural, car si l'on suivait les propositions de la région, il n'y aurait plus un sou pour un département comme la Lozère.

M. Jean-Pierre SOISSON : Je ne me suis pas encore exprimé, je le ferai sur la forme. Certains propos de M. Georges Frêche à l'égard de notre Commission d'enquête et à l'égard du préfet de région que nous entendrons tout à l'heure - et je lui demanderai de nous confirmer les conditions dans lesquelles les relations se sont nouées avec la nouvelle équipe régionale - sont absolument inacceptables. Une audition n'est pas une opération médiatique, avec une succession de bons mots qui déconsidèrent profondément le rôle d'un responsable politique.

M. le Rapporteur : Si je peux rebondir là-dessus, la personne que nous avions convoquée s'est exprimée comme elle a souhaité le faire, ce qui m'amènera, en tant que Rapporteur, à formuler certaines observations sur la façon dont les uns ou les autres considèrent devoir remplir leur devoir de communication en matière fiscale et financière. Il n'est pas inintéressant que les citoyens sachent ce que leurs élus estiment approprié de dire, sur le fond et sur la forme, sur la stratégie et sur le fond, à propos des impôts locaux et des finances locales.

M. le Président : Nous sommes là, je le rappelle, pour rechercher les causes de l'augmentation de la fiscalité locale.

M. Jean-Pierre SOISSON : Certes, mais il y a des choses que l'on ne peut pas laisser passer.

M. le Président : J'ai moi-même quelques questions. J'ai entendu tout à l'heure M. Georges Frêche nous dire que les subventions 2004 avaient été distribuées pour les deux tiers avant les élections régionales. Pouvez-vous nous le confirmer ?

M. Jacques BLANC : Si j'ai bien compris, il s'agissait de mandatements. C'est possible, mais toute bonne gestion impose de décider en début d'année, pour que les crédits puissent être consommés aussi vite que possible.

M. le Président : Sur la montagne, pourquoi le contrat de plan pour les Pyrénées a-t-il pris deux ans de retard pour la région Languedoc-Roussillon alors que les deux autres parties ont signé ?

M. Jacques BLANC : Nous sommes, ou plutôt nous étions les champions d'une politique de la montagne, mais le contrat Pyrénées ne concernait pas spécifiquement la montagne, mais la politique de formation. Nous avions dit que nous paierions au coup par coup, sans vouloir être embrigadés dans une mécanique, car le dialogue avec Midi-Pyrénées s'était un peu détérioré, puisque certains ont mis fin au Grand-Sud, à notre représentation commune à Bruxelles et à notre action commune avec le président Jordi Pujol. Le contrat de plan a été négocié dans des conditions très difficiles, du fait de vos amis qui étaient alors au Gouvernement, et nous avons été les derniers à signer.

M. le Président : Je connais la question, car c'est moi qui étais président de la commission permanente du Conseil national de la montagne à l'époque, et j'ai souhaité impulser ces contrats de plan, dans toutes les régions d'ailleurs.

Je lis dans l'audit financier que vous avez cité, page 23, que l'encours d'autorisations de programme ouvert à la clôture de l'exercice est passé de 502 à 785 millions d'euros en l'espace d'une seule année, soit une croissance de 57 %, ce qui a conduit, courant 2003, à plus d'un milliard d'euros d'AP. L'audit poursuit : « En intégrant la simple réalisation des opérations reportées, et sans même prendre en compte de nouveaux projets, l'encours de dette augmenterait de 75 % et la capacité de désendettement enregistrerait un quasi-doublement ».

Mais ma question n'est pas là : ma question, c'est que vous aviez prévu de nouveaux investissements, et que vous nous avez expliqué tout à l'heure que vous comptiez faire comme l'Alsace, c'est-à-dire réaliser ses nouveaux investissements et surmonter le coût de la décentralisation, sans presque augmenter les impôts. J'observerai que l'Alsace, de 1998 à 2004, avait augmenté régulièrement les siens, tandis que vous les avez baissés au cours de la même période, pour un montant de quelque 57 millions. M. Adrien Zeller, devant notre Commission, nous a expliqué l'autre jour que la décentralisation représentait, pour l'Alsace, 2 % d'impôts en plus par an pendant trois ans. Or il se trouve que l'Alsace a des bases de taxe professionnelle qui sont deux fois supérieures à celles de la région Languedoc-Roussillon. Compte tenu des engagements précédents, des reports d'investissement, du coût de la décentralisation, que personne ne conteste même si tout le monde ne l'évalue pas de la même façon, comment auriez-vous fait sans augmenter les impôts ?

M. Jacques BLANC : Vous m'avez mal compris ou mal écouté. Je répète donc que l'augmentation des autorisations de programme résulte de deux choses : des engagements en progression pour les lycées nouveaux, ainsi que pour le matériel ferroviaire. Cela n'a donc rien à voir avec les échéances électorales.

Deuxièmement, le rapport souligne notre capacité de solvabilité, et troisièmement, il rappelle l'évolution des annuités de la dette. Peut-être, cela dit, n'aurions-nous pas mis 43 millions d'euros dans le tramway de Montpellier...

M. le Président : Je lis quand même dans le rapport que la simple réalisation des opérations reportées aurait pour effet d'augmenter la dette de 75 %. Comment, dans ces conditions, réaliser les opérations nouvelles et faire face au coût de la décentraliser sans augmenter les impôts ?

M. Jacques BLANC : Le rapport ne fait pas référence aux stipulations du contrat ferroviaire, prévoyant le remboursement par la SNCF d'un montant équivalent des annuités de l'emprunt de 118 millions. Cela n'apparaît nulle part.

S'agissant des lycées, vous savez comme moi que la réalisation prend bien plus d'un an. La preuve en est qu'ils n'ont encore rien fait ! Malgré notre volonté, les autorisations de programme ne peuvent se réaliser que sur une période de trois ou quatre ans, permettant de passer dans le cadre de budgets tels que nous les concevions.

L'Alsace est aujourd'hui à un niveau de fiscalité à peu près comparable. Au départ, nous avions à faire face à une situation plombée par l'emprunt dit « Capdeville », du nom d'un ancien élu régional, 450 millions empruntés à 12,5 % et reprêtés à 9,5 %, que nous n'avons pas pu renégocier pour bénéficier de la baisse des taux parce qu'on ne renégocie pas les emprunts obligataires, et dont personne n'a voulu, même à 9,5 %. Là, nous étions arrivés au niveau moyen. Et aujourd'hui, nous sommes les champions de la hausse de la TP. Ce n'est pas justifié, et dans les engagements que nous avions pris, rien ne justifie une telle dérive fiscale.

M. le Président : Dernière question : aviez-vous négocié un contrat avec l'agglomération ?

M. Jacques BLANC : Oui, avec toutes les agglomérations, mais M. Georges Frêche a refusé de signer, car c'était dans la période précédant les élections. J'avais même indiqué qu'on pouvait envisager de soutenir les opérations sur les gares et sur le tramway, et le président de la communauté d'agglomération, maire de Montpellier à ce moment-là, a empêché son vice-président, qui venait à nos réunions et avait négocié avec notre équipe, de signer. Il n'y avait pas d'ostracisme de la part de la région, mais une stratégie politique de la part du maire de Montpellier.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Georges FRÊCHE,
Président de la communauté d'agglomération de Montpellier,
accompagné de M. François DELACROIX, Directeur général des services


(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 avril 2005)

(Un courrier relatif aux auditions de M. Georges FRÊCHE est reproduit en page 397 du tome III du présent rapport)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Georges Frêche et François Delacroix sont introduits.

M. le Président : Mes chers collègues, nous allons entendre M. Georges Frêche, cette fois en tant que Président de la communauté d'agglomération de Montpellier.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Nous sommes ici pour entendre M. Georges Frêche. Or non seulement il vient entouré de ses collaborateurs, mais il leur a beaucoup laissé la parole ce matin... J'aimerais que, cette fois-ci, ce soit lui qui parle !

M. le Président : Mon cher collègue, vous nous faites perdre une minute pour rien... J'allais précisément demander à M. Georges Frêche s'il prévoyait de donner la parole à M. François Delacroix, auquel cas je serai obligé de lui faire prêter serment.

M. Georges FRÊCHE : En effet, M. le Président. Faites prêter serment à M. François Delacroix qui est mon ami...

M. le Président : Merci. Contentez-vous de répondre à nos questions. Nous sommes un peu en retard. De la même façon, je demande à mes collègues de poser des questions précises, sans autres commentaires. M. Georges Frêche commencera par une présentation concise.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Un point de procédure : la convocation prévoit que nous devons auditionner la communauté d'agglomération de Montpellier en la personne de M. Georges Frêche, son Président, sans mentionner aucun autre nom.

M. le Président : Effectivement. Mais si M. Georges Frêche me demande que M. François Delacroix prenne la parole, je donnerai suite à sa demande, comme je l'ai fait ce matin.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Ce n'est pas normal.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Nous auditionnons M. Georges Frêche, c'est tout !

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Comme nous avons auditionné M. Jacques Blanc, tout seul !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Il est assez grand !

M. le Président : Si M. Georges Frêche me demande de donner la parole à M. Delacroix, je donnerai la parole à M. François Delacroix. Vous nous faites perdre du temps par une querelle de procédure inutile. Peut-être M. François Delacroix sera-t-il à même de nous apporter des réponses techniques précises.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : M. Georges Frêche est très bon !

M. Georges FRÊCHE : M. Louis Giscard d'Estaing, essayez d'être à la hauteur de la qualité immense de votre famille...

M. le Président : M. Georges Frêche, vous n'avez pas la parole !

M. Georges FRÊCHE : Si vous voulez que je ne parle pas...

M. le Rapporteur : M. le Président, s'il n'est pas interdit de traiter de choses sérieuses avec parfois un peu d'esprit, il n'est pas interdit non plus de concevoir qu'une commission d'enquête est régie par un certain nombre de règles et disciplines élémentaires. Or nous avons été de ce point de vue très « limite » ce matin. Je vous le dis en tant que Rapporteur : il n'est pas très normal que des témoins appelés à comparaître devant nous montrent, par le ton manifestement inapproprié ou la familiarité de leurs propos à l'égard de nos collègues,...

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Leur mépris !

M. le Rapporteur : ...une compréhension très approximative de ce qu'est une commission d'enquête. S'il est permis de s'exprimer différemment à d'autres moments, par exemple lors des suspensions de séance, il est un ton qui sied à une commission d'enquête, dont il serait heureux de ne pas trop s'éloigner. Cette règle s'applique à tous, M. Georges Frêche : il n'y a pas de raison que vous soyez le seul à vous en abstraire.

M. Georges FRÊCHE : Inutile de vous dire, M. le secrétaire...

M. le Président : M. Georges Frêche, je ne vous ai pas donné la parole. Vous l'aurez tout à l'heure !

M. Georges FRÊCHE : Je n'en pense pas moins. Je n'accepte pas les observations du Rapporteur.

M. le Président rappelle à MM. Georges Frêche et François Delacroix que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées et les invite à prêter serment.

M. Georges FRÊCHE : Je vais le faire, M. le Président, mais je voulais auparavant vous faire part d'une observation : la lettre de convocation, en date du 13 avril, que nous a envoyée le chef du secrétariat de votre Commission, en votre nom, indique qu'il m'est loisible de me faire accompagner d'un élu ou d'un fonctionnaire de la communauté d'agglomération de Montpellier. Voilà pourquoi j'ai amené M. François Delacroix. Maintenant, si vous ne voulez pas l'écouter, je suis capable de répondre seul.

M. le Président : Ne revenons pas là-dessus. Levez la main droite et dites : « je le jure ! »

M. Georges Frêche prête serment, ainsi que M. François Delacroix.

M. le Président : Pouvez-vous succinctement nous dire si vous avez accru la fiscalité cette année ou les années précédentes, et les raisons qui vous y auraient conduit ? C'est l'objet de cette Commission d'enquête et j'aimerais que les questions et les réponses s'en tiennent à cette seule préoccupation !

M. Georges FRÊCHE : On m'a préparé un texte, mais cela me fatigue de le lire. Je m'en tiendrai donc à quelques observations orales. Je me considère comme l'un des meilleurs présidents d'agglomération de France : la preuve en est que le journal Les Échos, dans un article du 7 décembre 2004, me classe comme l'agglomération la mieux gérée de France avec une note de 16,96 sur 20... Au surplus, cette étude a été réalisée par une boîte privée présidée par M. Yves Marchand, l'ancien maire de Sète : c'est dire à quel point il lui était difficile de faire autrement ! Montpellier arrive en tête, loin devant Tours, Nantes, Marseille, sans parler des mauvaises notes, parfois en dessous de zéro : Rennes, Saint-Étienne, Reims, Orléans, Clermont-Ferrand, Le Mans, Limoges, Nancy, Caen, Lyon, Amiens, Rouen...

Le journal France Soir du 14 décembre dernier nous classe, quant à lui, troisième agglomération de France en termes de développement, derrière Lyon et Bordeaux et devant Toulouse, Lille et Marseille. Cela me suffit... Dans le domaine de la qualité de gestion, je n'ai pas beaucoup de leçons à recevoir de qui que ce soit, fût-ce de gens mandatés par une institution à l'endroit de laquelle je porte grande révérence, mais en ayant davantage à l'esprit les exemples de Montesquieu ou Sieyès que les palinodies de MM. Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin dont la presse nous étourdit depuis hier ! Voilà pour l'essentiel ; pour le reste, je n'ai rien à déclarer.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Plus c'est gros, plus ça passe...

M. le Rapporteur : Je ne sais pas s'il est indispensable que nous fassions l'honneur au témoin de lui poser nos questions...

M. Georges FRÊCHE : Cela peut vous gêner que la communauté d'agglomération de Montpellier soit bien gérée... L'augmentation de la taxe professionnelle est de 1,04 % cette année, inférieure à l'inflation, et la taxe d'enlèvement des ordures ménagères est en baisse de 2 %. Donc tout va bien... Ainsi, je vous fais gagner du temps : j'en ai terminé, M. le Président. Mais permettez-moi de me demander, et de le dire gentiment à mes amis socialistes - j'en parlerai à M. François Hollande -, ce qu'ils sont allés faire dans cette Commission...

M. le Président : Je vous fais grâce de vos commentaires.

M. Georges FRÊCHE : Je me sens de ce point de vue beaucoup plus proche des communistes, qui ont refusé de participer à cette palinodie.

M. Pascal TERRASSE : Mais ils y sont !

M. Georges FRÊCHE : Mais enfin, vous y êtes minoritaires et je ne vous en veux pas vraiment.

M. le Rapporteur : C'est très aimable pour notre Président !

M. Georges FRÊCHE : Bonrepaux est un ami, il n'y est pour rien. Mais entre Ariégeois, on peut tout se dire !

M. le Président : J'ai omis d'excuser le représentant du groupe communiste.

M. Georges FRÊCHE : Il n'est pas venu et a fait preuve d'une grande sagesse.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : De même que M. Jean-Claude Gayssot n'est pas venu !

M. le Rapporteur : Je trouve ce jeu profondément malsain. Cela pourrait être drôle...

M. le Président : Chacun le prend comme il veut.

M. le Rapporteur : J'exprime ce que je pense devoir exprimer. Cela pourrait être drôle et l'on est parfois pris de rires nerveux ; mais surtout, c'est profondément malsain. Je n'ai aucune idée préconçue sur le rayonnement ou le classement de l'agglomération de Montpellier ; nous ne sommes pas venus ici pour établir quelque classement que ce soit. Nous sommes une Commission d'enquête sur l'évolution de la fiscalité locale : nous souhaitons avoir une vision d'ensemble, au-delà des situations pathologiques.

La question que j'aimerais vous poser, M. Georges Frêche, a été au cœur de notre audition de M. Marc Censi et de M. Charles-Éric Lemaignen. Les chiffres que vous venez de nous donner montrent une certaine prudence pour 2005 ; or l'évolution de la fiscalité intercommunale a parfois été marquée par une croissance très élevée, liée au développement des compétences. Autrefois maire de Montpellier, aujourd'hui président de la région, comment voyez-vous l'évolution des compétences de l'agglomération ? Le principe de spécialité semble disparaître petit à petit, à mesure que certaines agglomérations ou communautés urbaines témoignent d'une volonté manifeste d'étendre constamment leur champ d'intervention, ce qui finit souvent par coûter cher au contribuable local. Quelle analyse avez-vous de cette situation ? Comment définir, faut-il contenir et comment contenir les compétences de la communauté d'agglomération ?

M. Georges FRÊCHE : Puisque vous pensez que le 1,04 % de 2005 serait de circonstance,...

M. le Rapporteur : Je n'ai pas dit cela !

M. Georges FRÊCHE : ...je vous rappelle que la progression a été de 2,8 % en 2004, à peu près égale à l'inflation, et de 0 % en 2003, comme en 2002.

La courbe que voici compare l'évolution de la taxe professionnelle et de ses bases à Montpellier avec la croissance française. Si les bases augmentent à Montpellier, cela tient à ce que M. Maurice Allais, le seul Français prix Nobel d'économie, appelle le « cercle vertueux de la croissance ». Cette deuxième statistique montre que l'évolution des bases est très inférieure à l'inflation. Pourquoi ? Parce que Montpellier s'enrichit et que les bases augmentent en permanence, grâce aux entreprises qui se créent et se développent. Les bases augmentant, nous n'avons pas besoin d'augmenter les impôts : c'est ce que j'appelle le cercle vertueux de la croissance. Bien que bolchevik, je suis un libéral qui s'ignore, mais un bon libéral.

M. le Rapporteur : À tout pécheur miséricorde !

M. Georges FRÊCHE : Je sais faire la différence : du reste, mes principaux partenaires ici sont les patrons. Si 90 % d'entre eux votent Frêche aux élections locales, c'est qu'ils ont depuis longtemps compris que j'étais le meilleur ! Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin...

M. le Rapporteur : En respectant le secret du vote, pouvez-vous nous dire comment vous concevez les compétences de la communauté d'agglomération ?

M. Georges FRÊCHE : On trouve plusieurs types d'agglomérations. À Lille, par exemple, les compétences de l'agglomération sont très importantes par rapport à celles de la ville. Dans l'agglomération de Strasbourg, c'est plutôt moitié-moitié. Ailleurs, l'agglomération peut n'avoir que de faibles compétences par rapport à la ville.

À Montpellier, l'agglomération n'existe que depuis deux ou trois ans, mais le district remonte à quarante ans. Ses compétences étaient assez restreintes : il n'avait même pas la compétence « pompiers » alors que la loi l'imposait depuis quarante ans. C'est moi qui ai transféré énormément de compétences à l'agglomération, dont la compétence « pompiers », car je pense que c'est très bien ainsi. Globalement, entre la ville et l'agglomération de Montpellier, on peut dire que les compétences s'équilibrent à 50-50. Mais pour l'avenir, plus l'agglomération aura de compétences, mieux ce sera. Nous visons la compétence « eau » après avoir eu celle de l'assainissement. Enfin, nous sommes en discussion avec Sète, Mèze et Lunel pour agrandir l'agglomération afin d'atteindre la taille d'une communauté urbaine. Si nous ne voulons pas que la région Languedoc-Roussillon-Septimanie, qui a de grandes difficultés, soit écrasée entre Toulouse et Marseille, il faut la faire tirer par une communauté urbaine puissante. Aussi, dans les trois ans qui viennent, vais-je employer tous mes efforts à constituer une communauté urbaine. Je sais qu'on ne me ménagera pas les embûches, mais je suis assez têtu et j'espère bien y arriver. Quand je me heurte à un mur, je recule, mais je continue... Ce n'est qu'une question de temps. Cette communauté est absolument indispensable, sinon nous serons écrasés entre les régions PACA et Midi-Pyrénées. Je n'ai aucune hostilité vis-à-vis de la région Midi-Pyrénées, d'autant que je suis moi-même originaire de l'Ariège et du Tarn ; ce sont des amis. Mais l'amitié est une chose et la froideur des comptes une autre... J'espère donc bien résister à PACA et Midi-Pyrénées tout en restant amis avec eux, puisque ce sont des collègues du parti.

En ce qui vous concerne, M. le Rapporteur, je vous respecte assez. Je connais vos opinions ; je sais que vous avez déjà rédigé votre rapport et je ne me fais rigoureusement aucune illusion. Mais vous savez prendre les formes nécessaires et je vous en sais gré...

M. le Rapporteur : Je ne sais comment le prendre...

Plusieurs communes ont récemment quitté la communauté d'agglomération. Pourquoi ? Qu'en pensez-vous ? Était-ce inévitable ? Qu'auriez-vous pu faire pour l'éviter ?

M. Georges FRÊCHE : C'étaient uniquement des procédures ad hominem : poussées par une véritable haine personnelle à mon égard, ces communes ont réussi à se retirer à la suite d'un amendement voté à l'initiative de M. Jacques Blanc, sénateur de la Lozère, et qui n'a jamais été utilisé que pour la communauté d'agglomération de Montpellier...

Mme Claude DARCIAUX : C'est vrai !

M. Georges FRÊCHE : C'est me faire grand honneur, moi qui ne suis qu'un modeste élu local de province, même pas parlementaire... Une commission d'enquête qui ne vient pratiquement que pour me voir, j'en suis très honoré ! Moi qui m'ennuyais dans ma province tutélaire, vous me faites finalement passer une journée agréable ; de cela aussi, je vous remercie.

M. le Rapporteur : C'est un peu cher de la journée, je vous l'accorde !

M. Georges FRÊCHE : D'ailleurs, une commission d'enquête comme la vôtre est unique dans l'histoire du Parlement !

M. le Rapporteur : Je vous laisse la responsabilité de cette appréciation !

Vous nous avez expliqué ce matin comment vous communiquiez sur les orientations financières du conseil régional. Quels sont les éléments de communication de la communauté d'agglomération en direction des citoyens ?

M. Georges FRÊCHE : Nous communiquons beaucoup. Sitôt élu, je repars en campagne. Autrement dit, cela fait vingt-sept ans que je suis en campagne électorale et je ne compte pas m'arrêter. J'ai bien l'intention d'avoir douze ans devant moi...

Nous venons de faire réaliser un sondage TNS-SOFRES sur la façon dont la communauté d'agglomération est perçue par les habitants, qui fait état de 84 % d'avis favorables, toutes questions confondues. Autrement dit, cela va très bien... Tout ce que nous faisons à la communauté d'agglomération - tramway, médiathèque Émile Zola, théâtre, station d'épuration, patinoire Mégapolis, planétarium Galilée, aquarium Mare Nostrum, centre commerço-ludique Odysseum - est plébiscité au-delà de 95 %. Et comme j'ai de surcroît l'opposition de droite la plus bête de France, tout cela explique que je sois régulièrement réélu ; je m'en porte bien et j'espère bien qu'ils continueront...

Votre Commission part d'un souci profondément louable, mais elle n'intéresse personne : vous rendrez votre rapport en juillet, il sera lu par trois gugusses sur les plages et cela ne m'impressionne aucunement. Vous avez fait votre intervention et vous avez déjà eu la réponse que vous vouliez : l'augmentation des impôts régionaux n'est pas due essentiellement à la décentralisation. Et comme j'ai témoigné sous serment, j'ai dû vous le concéder car je suis un honnête homme, et prudent qui plus est... Reste que l'augmentation qui devait intervenir l'an prochain du fait de la décentralisation ne se produira pas, puisque que j'ai précédé le mouvement. Mais pour ce qui est de l'agglomération, nous sommes très contents de nous et d'une totale immodestie, autant vous le dire : nous sommes parmi les meilleurs !

M. le Rapporteur : J'aurais une question à poser à M. François Delacroix, puisqu'il a été souhaité qu'il soit entendu. J'aurais pu la poser ce matin au Directeur général ou aux Directeurs adjoints de la région, car je la crois importante pour l'approche que l'on peut avoir de la gestion d'une collectivité : quelle conception avez-vous de l'obligation de réserve qui sied à votre fonction ?

M. François DELACROIX : Le haut fonctionnaire que je suis doit être en totale symbiose avec l'élu pour lequel il travaille. Je vous le dis très clairement : je suis pour le spoil system à l'américaine. J'ai toujours souhaité, dans ma carrière professionnelle, travailler avec des élus dont je partage les idées. Cela fait vingt ans que je travaille avec M. Georges Frêche et je m'en porte très bien. J'ai eu le plaisir d'accompagner un homme qui a transformé cette ville et qui m'aura permis, en tant que haut fonctionnaire, d'éprouver énormément de satisfactions dans ma carrière professionnelle.

M. le Rapporteur : Quelles limites fixez-vous à votre expression lorsqu'il s'agit de qualifier l'opposition au sein de la communauté d'agglomération ou éventuellement d'autres mouvements sur votre territoire ou à proximité, qui se seraient pas totalement en phase avec ce que vous venez de décrire ?

M. François DELACROIX : Avant la communauté d'agglomération de Montpellier, j'ai dirigé le département des Pyrénées-Orientales. J'ai toujours considéré qu'un haut fonctionnaire de collectivité territoriale devait être neutre dans ses choix et son expression, même si, je le redis, j'ai toujours, dans ma carrière professionnelle, choisi de travailler avec des hommes qui présentaient un minimum de points communs avec mes propres orientations.

M. Georges FRÊCHE : J'ajoute que nous travaillons avec les élus d'opposition de l'agglomération comme avec les élus de la majorité. D'abord parce que nous les avons triés : ils sont tous soit socialistes, soit chiraco-villepinistes, autrement dit des quasi-amis. Par contre, tous les sarkozystes sont brisés menu : aucun cadeau, ils sont tous pendus haut et court ! Le budget 2005 a d'ailleurs été voté à l'unanimité.

M. le Président : On s'éloigne de la fiscalité locale...

M. Richard MALLIÉ : M. le Président, je souhaitais savoir à quel moment il fallait rire !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : C'est inacceptable ! On peut rigoler, mais il y a des limites !

M. le Président : Mes chers collègues, contentez-vous de poser vos questions. C'est moi qui préside.

M. le Rapporteur : On vous dit homme cultivé, M. Georges Frêche, mais la culture n'est pas obligée d'en arriver là !

M. Georges FRÊCHE : M. le Rapporteur, je suis bardé de diplômes : expertise comptable, professeur de droit romain, diplômé de HEC, de Sciences Po et de l'École des hautes études de sciences économiques,...

M. Richard MALLIÉ : Et moi, je suis abonné au gaz !

M. Georges FRÊCHE : ...mais quand je fais de la politique, je suis un homme de base ! Et quand vous me demandez de jouer le bourgeois gentilhomme, je me marre ! Parce qu'il n'y a rien de pire. Je suis fils de résistant, moi, pas fils ou petit-fils de pétainiste. Autant vous dire que j'ai une colonne vertébrale en acier !

M. Jean-Pierre SOISSON : M. le Président, je demande une suspension de séance !

M. le Président : Non, nous continuons la séance.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Un rappel à l'ordre !

M. Georges FRÊCHE : Je n'ai visé personne, M. le Président, cela va de soi...

M. le Président : M. Georges Frêche, je vous demande de répondre aux questions sans faire de provocation.

M. Georges FRÊCHE : Je ne provoquerai plus, M. le Président, au nom de la déférence que je vous dois à vous personnellement...

M. le Président : Merci ! Le Rapporteur a-t-il d'autres questions ?

M. le Rapporteur : Pour ce qui me concerne, je ne vois pas l'intérêt d'aller très au-delà.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : C'est la première fois que je vois M. Georges Frêche de près...

M. Georges FRÊCHE : Et vous n'êtes pas déçu !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je ne suis pas vraiment déçu. Je vous trouve d'ailleurs beaucoup de talent dans le populisme : vous me rappelez presque Le Pen - mais c'est une injure et je la retire.

M. Georges FRÊCHE : Arrêtez de m'insulter ! Vous n'avez pas le droit de dire cela ! Je vous demande de le retirer tout de suite !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je le retire.

M. Georges FRÊCHE : Mon père était résistant ! Je n'ai aucune leçon à recevoir d'un homme comme vous !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : J'ai dit que vous me le rappeliez, c'est tout.

M. Georges FRÊCHE : Tout député de la République que vous êtes, vous n'avez pas le droit de dire cela !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Et vous, M. Georges Frêche, avez-vous le droit de parler comme vous le faites ?

M. Georges FRÊCHE : J'ai résisté à Le Pen, moi ! C'est votre ami Blanc qui s'est allié avec lui ! Vous n'avez qu'un droit, celui de vous taire !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je vais vous poser une question simple...

M. Georges FRÊCHE : Retirez ce que vous venez de dire ! Tout de suite ! Je refuse de vous répondre tant que vous ne l'aurez pas retiré !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je ne le retirerai pas.

M. Georges FRÊCHE : Eh bien, posez toutes les questions que vous voulez, je ne vous répondrai pas ! Mon père était dans la Résistance, je n'ai pas de leçon à recevoir !

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Nous non plus !

M. Georges FRÊCHE : N'allez pas me comparer à ceux qui se sont alliés avec Le Pen ! Pour qui vous prenez-vous ?

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je n'aime pas être traité de pétainiste, Monsieur !

M. Georges FRÊCHE : Le fait d'être député ne vous oblige pas à être insultant à l'égard de vos concitoyens !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous nous avez traités de pétainistes ! Franchement, croyez-vous que ce soit bien ?

M. Georges FRÊCHE : Je ne vous ai pas traités de pétainiste.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Si !

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Qu'avez-vous dit, alors ?

M. Georges FRÊCHE : J'ai parlé de petits-fils de pétainistes. Ceux qui veulent bien se reconnaître se reconnaîtront !

M. Richard MALLIÉ : C'est inadmissible !

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Pitoyable !

M. le Président : Je vous en prie ! Nous sommes ici pour nous écouter. M. Jean-Jacques Descamps, si vous avez une question relative à la fiscalité, posez-la, et vous, M. Georges Frêche, contentez-vous de répondre aux questions que l'on vous pose.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : M. Georges Frêche, vous nous avez parlé de l'évolution de la fiscalité de l'agglomération. Mais quelle a été l'évolution de la fiscalité cumulée de la ville de Montpellier et de l'agglomération depuis sa création ?

Ensuite, vous nous avez dit que la ville de Montpellier s'enrichissait. Mais pouvez-vous nous assurer que les autres communes de l'agglomération s'enrichissent également ? Cela ne paraît pas si évident, dans la mesure où certaines ont préféré en sortir.

Enfin, vous avez l'air de vous ennuyer dans cette Commission d'enquête, estimant qu'elle n'a pas lieu d'être, allant presque jusqu'à être désagréable à l'égard de vos propres amis. Mais êtes-vous satisfait du système qui régit actuellement la fiscalité de nos collectivités territoriales ?

M. le Président : Le fait d'avoir constitué une communauté d'agglomération a-t-il globalement provoqué une augmentation des impôts pour l'habitant de Montpellier ? Il est important pour nous de savoir si le passage à la communauté entraîne fatalement un alourdissement des impôts.

M. Georges FRÊCHE : Comme je suis un jacobin décentralisateur, je respecte l'Assemblée nationale, quoi que je pense de l'actuelle majorité. Votre Commission étant régie par certaines dispositions légales, je n'ai pas le droit de ne pas répondre,...

M. le Président : En effet.

M. Georges FRÊCHE : ...quand bien même je m'estime personnellement mis en cause par mon interlocuteur. Je ne lui aurais pas répondu si la loi ne m'y obligeait pas.

M. le Président : Je vous demande de répondre et de ne pas polémiquer.

M. Georges FRÊCHE : Depuis que la communauté d'agglomération a été créée, l'augmentation des impôts dans la ville de Montpellier a été de 0 %, et, pour ce qui est de la communauté d'agglomération, égale au tiers de l'inflation. J'ajoute que les communes qui se sont retirées n'ont rien gagné en fiscalité, mais bien perdu. Ainsi, la plus importante d'entre elles, Mauguio, qui accueille l'aéroport de Montpellier, voyait les trois quarts de ses ressources de taxe professionnelle liés à la présence de la compagnie aérienne Air Littoral. Or celle-ci a fermé ses portes l'an dernier, licenciant 800 personnes. En application de la loi, la perte de recettes de Mauguio a été compensée par l'État à hauteur de 80 % la première année et de 60 % cette année ; mais l'an prochain, elle ne touchera plus rien. Autrement dit, alors que la disparition d'Air Littoral aurait pu être compensée par la solidarité des 37 communes de l'agglomération, Mauguio va perdre 60 % de ses ressources fiscales, soit 18 millions d'euros, après en avoir perdu 6 millions cette année. Voilà la seule réalité qui vaille. Ces gens-là n'ont été animés que par une haine personnelle à mon égard : cela ne va pas très loin... J'ai trente-deux communes avec moi, qui ont adopté le budget de l'agglomération à l'unanimité, y compris un député UMP, qui le vote régulièrement... Il est vrai qu'il est chiraquien et c'est mon honneur : les chiraquiens, j'aime... Je suis d'abord pour Hollande, mais après pour Chirac, médaille d'argent !

M. le Président : Merci ! Nous ne vous demandons pas tous ces détails...

M. Georges FRÊCHE : Cela m'échappe, M. le Président, cela m'échappe !

M. le Président : ...mais seulement de répondre aux questions !

M. Pascal TERRASSE : Les socialistes ont participé à cette Commission d'enquête...

M. le Président : Nous n'avons pas à justifier notre participation. Nous y sommes, point ! Posez vos questions.

M. Pascal TERRASSE : Je voudrais tout de même la justifier, puisque nous avons été interpellés là-dessus.

M. le Président : Je répondrai si c'est nécessaire. Posez des questions, nous sommes là pour enquêter.

M. Georges FRÊCHE : Je retire ce que j'ai dit, M. le Président. Vous savez que je suis un soldat au sein du Parti socialiste !

M. Pascal TERRASSE : M. Georges Frêche fait partie de ces rares maires qui se sont parfaitement identifiés à leur ville, à l'instar de MM. Pierre Mauroy à Lille, Jean Royer à Tours ou Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux. Sitôt qu'on parle de Montpellier, c'est Frêche qui vient à l'idée. J'y ai vécu, j'y ai étudié ; je ne connais pas l'actuel maire de Montpellier...

M. Georges FRÊCHE : Mme Hélène Mandroux, une femme très bien !

M. le Président : Nous nous intéressons à la fiscalité, M. Pascal Terrasse, pas au maire de Montpellier !

M. Pascal TERRASSE : J'y viens. Sans ce préalable, mes questions sèches n'auraient guère de sens.

La commune de Montpellier a transféré une série de compétences à l'agglomération. Or nous avons déjà relevé que, dans bon nombre de cas, ces transferts n'avaient pas empêché la fiscalité, tant des communes que des communautés de communes, d'augmenter. À Montpellier, avez-vous pu mettre en évidence, grâce à des indicateurs de performances, une relation de cause à effet entre la baisse ou la stabilisation de la fiscalité locale et les compétences transférées ? Nous nous sommes déjà posé cette question ailleurs et certains d'entre nous en viennent à s'interroger sur la nécessité de regrouper les communes autour d'actions précises, dans la mesure où la mutualisation s'accompagne presque toujours de coûts supplémentaires. Quel est votre sentiment ?

M. Georges FRÊCHE : Dans le domaine de l'assainissement, par exemple, la mutualisation des financements au sein de la communauté d'agglomération a permis de mettre en place un programme d'assainissement que les communes étaient incapables de financer seules. Seule la ville de Montpellier pouvait financer son réseau d'assainissement sans l'aide de l'agglomération. De même, nous nous sommes investis dans le logement social avec l'objectif d'accueillir 400 000 nouveaux habitants dans la région d'ici à 2015, dont 200 000 dans l'agglomération de Montpellier. C'est parce que la communauté a pris la compétence sur le logement social que nous sommes en mesure de financer cette année 3 000 logements sociaux dans l'agglomération et nous continuerons les années suivantes. Seule l'agglomération pouvait le faire.

La création de la communauté d'agglomération n'a pas entraîné d'augmentation des impôts, à l'exception d'une seule taxe, dont l'augmentation ne concerne pas les communes qui viennent de rejoindre l'agglomération, mais seulement les communes issues de l'ancien district : il s'agit de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. L'utilisation de la décharge contrôlée du Thôt n'étant plus permise, le préfet nous pousse, et à juste raison, à la quitter. Nous avons choisi la technique de la méthanisation, cinq fois plus chère que la décharge contrôlée - l'incinération est six fois plus chère. Nous avons donc ajusté l'an dernier le niveau de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour l'ensemble des communes sur le coût de l'usine de méthanisation qui ouvrira l'an prochain. Pour les communes de l'ex-district, formé il y a quarante ans, cela se traduit évidemment par une forte augmentation de cette taxe, mais celle-ci ne dépasse pas le niveau moyen des grandes villes françaises ; nous sommes même un peu en dessous de la moyenne. Par exemple, le taux de Nîmes est de 14,50 % et le nôtre n'est monté qu'à 11,02 %. Nous venons même de le baisser légèrement cette année. Encore cela ne concerne-t-il, en plus de Montpellier, que douze communes, celles de l'ancien district, sur trente-deux, puisque les nouvelles venues utilisaient déjà une usine d'incinération située à Lunel-Viel. Mais cette augmentation de la TEOM n'a rien à voir avec le passage à la communauté d'agglomération : elle tient seulement à la fermeture de la décharge contrôlée du Thôt et à l'ouverture de l'usine de méthanisation. Voilà une réponse honnête et sincère sur l'évolution des impôts.

En revanche, nous mettons en place un réseau de piscines et de médiathèques dans toutes les communes aux alentours de Montpellier, qu'elles étaient incapables de se payer : nous installons une médiathèque à Castries, une autre à Pérols, nous venons d'ouvrir une piscine à Saint-Jean-de-Védas, nous en ouvrirons bientôt une à Cournonterral. La ville de Montpellier, déjà équipée en piscines et en médiathèques, n'y gagne rien du tout ; si je fais voter les budgets de la communauté d'agglomération à l'unanimité, c'est parce que je joue avec les autres maires. Et si quelques-uns sont sortis de l'agglomération, ce n'est pas pour des raisons politiques : trois étaient socialistes et trois de droite. Ce sont tout simplement des gens bêtes comme des taureaux, qui se font tuer contre des murs en béton sans savoir pourquoi, qui sont contre tout et ne veulent rien changer ; cela n'a rien à voir avec l'affrontement droite-gauche. Ils ont tort historiquement, mais que voulez-vous ? Ils sont sortis, cela ne m'empêche pas de dormir... Que nous soyons à trente-huit ou à trente-deux, cela ne change rien. Et l'on vient encore de me faire un amendement pour sortir Palavas de l'agglomération... À tout seigneur tout honneur : le Parlement adopte des amendements uniquement pour moi ! Après l'amendement Jacques Blanc pour six communes, qui n'a jamais fonctionné qu'à Montpellier, on en a fait un autre pour deux zozos socialistes de la région qui ont cru favoriser les copains de l'Aude... Bien entendu, le préfet les a « coxés » ! C'est le cinquième député UMP du coin, mais c'est le plus intelligent - les autres sont nuls ! Je suis bien obligé de me battre avec lui, c'est le seul qui me reste sous la dent ! Je m'entraîne... Mais je le respecte, car c'est un homme intelligent et plein d'astuce. Malheureusement, il doit nous quitter et cela me peine. J'espère que nous le garderons. Faites un effort !

Bref, nous sommes trente-deux communes et nous sommes solides. On n'y compte que onze socialistes, et pourtant mes budgets sont votés à l'unanimité ! Si je ne peux pas m'entendre avec cinq, cela prouve que je sais m'entendre avec trente et un !

M. Richard MALLIÉ : Il y avait donc bien un district avant 2001 et la « loi Chevènement » l'a obligé à devenir communauté d'agglomération. Se référer à 2001 n'est peut-être pas suffisant ; mieux vaudrait remonter une dizaine d'années en arrière pour avoir une vision plus globale de l'évolution de la fiscalité sur l'ensemble de l'agglomération.

M. Georges FRÊCHE : Le district a été fondé voilà quarante ans par mon prédécesseur. Sur les quatorze communes qui le constituaient, treize font encore partie de la communauté d'agglomération. Si Palavas nous a quittés, c'est encore pour des raisons personnelles : il s'agit d'un de mes anciens élèves, que j'ai eu comme assistant en histoire du droit et en droit romain. Il avait fait une très mauvaise thèse et j'ai dû le chasser de l'université... Depuis, il me poursuit de sa haine, mais cela ne m'impressionne aucunement. Palavas est le port de Montpellier depuis Charlemagne, depuis le viiième siècle, tout le monde le sait ; l'évêque de Montpellier a résidé à Palavas jusqu'en 1536...

M. le Rapporteur : Nous parlons de la fiscalité de la communauté d'agglomération !

M. Georges FRÊCHE : Le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a globalement pas varié depuis 1986 : son taux était de 11 % à l'époque et de 11,30 % en 2005. Autrement dit, l'augmentation est relativement faible. Je ne vais pas remonter à quarante ans, mais les choses se sont bien passées avec le district : du reste, les deux tiers des communes du district sont ou de droite, ou divers droite, ou de gauche. Et j'arrive à travailler avec tout le monde, car je suis un homme affable.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous êtes le meilleur !...

M. Georges FRÊCHE : Sans doute le meilleur pour vous ! Reste que les quarante années du district se sont très bien passées.

M. le Président : Puisque vous êtes passés du district à la communauté d'agglomération,...

M. Georges FRÊCHE : Cela s'est fait sans problème.

M. le Président : ...pourrons-nous avoir les comptes du district de 1999 à 2000 afin de les comparer avec les comptes de l'agglomération ? La remarque de M. Richard Mallié était effectivement pertinente : il faut un certain recul.

M. Georges FRÊCHE : Nous vous les enverrons.

M. Richard MALLIÉ : Ne pourrions-nous pas l'avoir dès maintenant ? Dans la mesure où des personnalités sont auditionnées sous serment, j'aimerais qu'on nous le précise dès à présent.

M. le Président : Je conçois que M. Georges Frêche n'ait pas amené ces documents avec lui...

M. Richard MALLIÉ : On nous a communiqué les chiffres de la TEOM, on doit pouvoir nous donner autre chose !

M. Georges FRÊCHE : Votre lettre ne parlait que des années 2001 à 2004 !

M. Richard MALLIÉ : Vous venez de nous dire que le taux de votre TEOM était passé de 11 % à 11,30 % entre 1986 et 2005. Je suppose que vous êtes à même de répondre sur la taxe d'habitation, la taxe professionnelle et la taxe foncière sur les propriétés bâties depuis 1995...

M. le Président : M. Georges Frêche n'est pas à un interrogatoire ; il a le droit de ne pas avoir tous ces documents.

M. Georges FRÊCHE : D'après votre lettre, nous devions être interrogés sur les années 2001 à 2004. Comme nous sommes de bons élèves, nous nous en sommes tenus là... Si vous aviez voulu nous interroger sur 1960, nous aurions apporté les éléments. Mais nous allons vous les envoyer. Au demeurant, si la taxe d'enlèvement des ordures ménagères était à 11 % en 1986, elle est descendue à 2,47 % en 1998 parce que nous utilisions la décharge contrôlée dont le coût est très faible.

M. Richard MALLIÉ : Mais pour le reste ?

M. Georges FRÊCHE : La décharge contrôlée nous étant désormais interdite, nous avons fait construire une usine de méthanisation, au nom du principe de précaution. Nous sommes la seule grande ville à avoir refusé l'incinération. Au demeurant, le coût est le même.

M. Richard MALLIÉ : On a compris, mais pour le reste ?

M. le Président : M. Richard Mallié, quel est votre objectif ? Vous voulez connaître ces éléments ; je demande que l'on nous les fasse parvenir, au besoin dès la fin de la séance.

M. Georges FRÊCHE : Au demeurant, il sera difficile de comparer, puisque le financement du district se faisait à partir des quatre impôts directs locaux et que la communauté d'agglomération est sous le régime de la taxe professionnelle unique. Ayant vous-même été élu local, vous devriez le savoir, mon cher collègue...

Mme Claude DARCIAUX : Exactement.

M. le Président : Le passage des quatre taxes à la taxe professionnelle unique ne facilite effectivement pas les vérifications. Il va falloir se plonger dans les compensations pour trouver les éventuelles augmentations ; c'est même impossible.

M. Georges FRÊCHE : En tout cas, le passage du district à l'agglomération a été voté à l'unanimité par les quinze communes du district, y compris Palavas qui s'est depuis retirée pour d'autres raisons, mais qui reviendra un jour ou l'autre... Nous avons gardé le veau gras à la maison pour le fils prodigue !

M. le Rapporteur : Je note que le questionnaire qui vous a été adressé parle des références budgétaires depuis 1998... Quelle appréciation portez-vous sur les difficultés financières, budgétaires et fiscales de communautés telles que Rennes, qui avaient jusqu'à présent choisi d'écarter toute fiscalité sur les ménages ? La perspective d'un impôt « ménages » dans la communauté d'agglomération de Montpellier vous paraît-elle exclue, en tout cas pour longtemps ?

M. Georges FRÊCHE : Nous n'en avons aucunement besoin. La communauté d'agglomération est bourrée de fric, M. le Rapporteur, tout simplement parce qu'elle s'enrichit. Chaque année, les bases de la taxe professionnelle augmentent et celles du versement transport - le meilleur indicateur de l'activité économique - encore plus : depuis dix ans, le produit du versement transport augmente de 7 % par an en moyenne. Hier encore, j'accueillais une entreprise américaine qui nous amène 180 chercheurs. Nous sommes donc l'une des communautés d'agglomération de France qui s'enrichissent le plus. Pourquoi irais-je demander à l'impôt ménages des ressources que me procure la fiscalité apportée par les entreprises qui viennent s'installer chez moi ? Mes principaux alliés dans cette région, ce sont les patrons. C'est avec eux que je travaille.

M. le Rapporteur : Quel est le taux de chômage dans la communauté d'agglomération ?

M. Georges FRÊCHE : À cause de la politique de M. Jean-Pierre Raffarin, il est de 15 %.

M. le Rapporteur : Autrement dit, ce qui marche, c'est grâce à vous, et ce qui ne marche pas, c'est à cause de M. Jean-Pierre Raffarin !

M. Georges FRÊCHE : M. le Rapporteur, vous êtes un libéral et c'est tout à fait à votre honneur. Vous savez donc fort bien que, dans un système libéral, c'est le patronat qui est responsable du développement de l'emploi. Moi, je fais ce que je peux pour obvier aux échecs de la politique économique du Gouvernement que vous soutenez !

M. le Rapporteur : Cette politique pénalise tout le monde, sauf vous... Vous avez de la chance !

M. Georges FRÊCHE : De surcroît, comme tous les articles de journaux le soulignent, notre région est pénalisée par son retard de développement : elle n'a pas de secteur secondaire, si ce n'est dans le secteur du bâtiment qui à lui seul représente 42 % du secondaire contre 37 % au niveau national. Hors le bâtiment, nous n'avons aucune industrie, ce qui fait du reste que nous n'avons pas de pollution. Nous avons raté la révolution industrielle sous Napoléon III puis la IIIème République : comme en atteste la belle thèse de M. Raymond Dugrand3, l'argent de la région s'est investi dans les chemins de fer austro-hongrois ou russes et dans l'assainissement de la Mitidja... De ce fait, nous n'avons pas de grandes industries polluantes, mais surtout, pas d'industrie du tout. Dans le secteur de la recherche, Montpellier est la seule ville au monde qui accueille tout à la fois Aventis et Novartis, qui totalisent 1 800 emplois ; mais les médicaments sont fabriqués en Ardèche, à Aubenas, chez mon ami Pascal Terrasse, ce dont je me réjouis.

Nous ne pouvons donc nous développer que dans le secteur tertiaire, en favorisant la croissance des petites et moyennes entreprises qui sortent de nos pépinières. Nous sommes également plébiscités par la décentralisation, alors que l'ÉNA se considère comme « déportée » à Strasbourg - comportement d'un ridicule achevé, qui me soulève l'estomac : j'approuve sur ce point le courage de mon amie Edith Cresson. Reste qu'à chaque fois que l'on nous décentralise quelqu'un chez nous, pour un emploi créé nous nous retrouvons avec un chômeur de plus. Or depuis sept ou huit ans, on nous a ainsi décentralisé 4 000 emplois de recherche, particulièrement dans les domaines de l'agronomie tropicale et de la biopharmacie, CIRAD et autres. Et tous ces décentralisés descendent de Paris à deux, et si l'un des conjoints a son poste de chercheur, l'autre est à la recherche d'un emploi. Nous arrivons à lui en trouver un, mais seulement au bout de deux ou trois ans ; d'où une course-poursuite infinie. Je n'ai pas la chance des Toulousains qui ont bénéficié de l'ONIA4 après la guerre de 14-18, puis de l'aviation. Je m'en réjouis pour Toulouse où j'ai passé ma jeunesse. Mais ici, je dois faire avec ce que je peux. Cela explique notre taux de chômage structurel, encore aggravé par un deuxième handicap : le travail au noir. C'est l'un des rares domaines dans lequel je suis d'accord avec le préfet, qui explique que le Languedoc-Roussillon est, devant PACA, la région de France où le taux de travail au noir est le plus fort. Le travail au noir atteint 50 % en Grèce, 30 % en Italie, mais au moins 20 à 25 % chez nous. En théorie, nous avons beaucoup de chômeurs mais, à en juger auprès de la Banque de France à Montpellier, Perpignan et Béziers, nous sommes l'une des régions les plus riches de France en termes d'épargne. Malheureusement, cette épargne ne s'investit pas localement et remonte vers Paris par le canal de la centralisation bancaire.

Je ne voudrais pas vous faire un cours de sciences économiques - je n'oublie pas que je suis un peu économiste sur les bords -, mais je tenais, par respect pour votre Commission, à vous répondre sur le fond. J'ai promis de ne plus vous provoquer en permanence...

J'oubliais de vous indiquer que l'on nous en veut personnellement : on nous a enlevé 95 millions d'euros pour notre deuxième ligne de tram, mais cela ne nous empêche pas de la faire. Reste que M. Jean-Pierre Raffarin donne 45 millions d'euros pour le tram de M. Jean-Louis Borloo à Valenciennes, sans oublier le tram de Marseille... Mais on ne finance pas les trams de Clermont-Ferrand et Montpellier, parce que ce sont des villes socialistes !

M. le Président : Combien recevez-vous pour votre tram ?

M. Georges FRÊCHE : 5 millions d'euros, alors que Strasbourg et Bordeaux ont 20 millions ! Il vaut mieux s'appeler Juppé que Frêche si l'on veut être financé par l'actuel Gouvernement ! Mais je prendrai ma revanche en 2007, si Dieu me prête vie !

M. Jean-Pierre SOISSON : Cela a toujours été comme cela...

M. Georges FRÊCHE : N'ayez crainte, M. Jean-Pierre Soisson : la région ne m'a rien donné pendant dix-huit ans et cela m'a forcé à me présenter. Maintenant que je suis aux commandes, je remets les choses en place ! Pour l'État, il faudra attendre 2007, lorsque nous vous aurons renvoyés dans l'opposition !

Mme Claude DARCIAUX : Vous venez d'affirmer que la communauté d'agglomération n'avait pas fait augmenter la fiscalité de la ville centre. Il est effectivement très difficile de comparer la fiscalité des communes depuis qu'elles sont en communauté d'agglomération à taxe professionnelle unique avec ce qu'elle était du temps du district, qui prélevait une fiscalité ménages et une taxe professionnelle.

M. Richard MALLIÉ : Je le sais. D'où ma question.

Mme Claude DARCIAUX : Mais qu'en est-il des communes membres de la communauté d'agglomération ? Avez-vous pu constater une évolution de leur fiscalité dans la mesure où elles ne peuvent désormais agir que sur la fiscalité ménages si elles veulent accroître leurs ressources ? Vous avez à juste titre rappelé le bénéfice qu'aurait pu tirer la ville de Mauguio de la solidarité et de la « loi Chevènement », ou encore les avantages de la mutualisation dans le domaine des équipements ou de l'assainissement.

M. Georges FRÊCHE : Je suis à peu près certain de mes chiffres, même si je ne les ai pas avec moi. La taxe d'habitation, qui ne dépend pas de la communauté d'agglomération, n'a pratiquement pas connu d'augmentation dans les communes qui l'ont rejointe, si ce n'est dans une ou deux où elle a faiblement progressé pour des raisons qui ne dépendent absolument pas de nous.

S'agissant de la taxe professionnelle, nous avons entrepris de l'unifier dans les 32 communes membres de la communauté en trois ans, autrement dit dans le délai le plus court que permettait la loi. Engagé en 2002, le processus s'est achevé en 2004. Certaines petites communes, qui n'avaient que quelques artisans et une taxe professionnelle très basse, ont indéniablement vu leur taxe augmenter. En revanche, la taxe a baissé dans nombre d'autres communes, surtout de droite, à commencer par Castelnau-le-Lez, dont le maire est un député UMP chiraquien de mes amis, M. Jean-Pierre Grand, qui a vu son taux de TP passer de 24 % à 21,56 %, taux moyen de l'ensemble des communes de l'agglomération. Au total, la taxe professionnelle aura augmenté dans sept ou huit communes et diminué dans sept ou huit autres, dont bizarrement six de droite, par le jeu normal... de la normalisation. On ne peut donc pas nous accuser d'avoir cherché à favoriser nos amis, ce dont je me réjouis. Ajoutons que la décision a été prise à l'unanimité des maires, y compris ceux dont la taxe professionnelle a augmenté. Ce qui prouve qu'il y a aussi des gens intelligents...

Mme Claude DARCIAUX : Leur versez-vous une dotation de solidarité communautaire ?

M. Georges FRÊCHE : Bien entendu. Jamais nous n'aurions eu un vote à l'unanimité si nous n'avions pas compensé les distorsions... Mais pour nous, bourrés de fric comme nous sommes, ce n'est rien du tout.

M. le Rapporteur : En portant un regard rétrospectif, avez-vous parfois l'impression d'avoir commis une erreur dans votre communauté d'agglomération ? Si oui, laquelle ?

M. Georges FRÊCHE : Une erreur, moi ? Si j'en avais fait une, ce n'est pas à vous que je la confesserais, M. le Rapporteur ! Non. Je suis très fier et très content de moi. J'assume...

M. Richard MALLIÉ : Ça, on avait compris !

M. Georges FRÊCHE : Je ne vous le fais pas dire !

M. le Président : La commune de Montpellier, avez-vous dit, n'augmente pas les impôts et la communauté d'agglomération les a augmentés de 1 %. Avez-vous comparé ce que représentaient pour le contribuable, d'un côté, la progression de la fiscalité de la communauté d'agglomération et, de l'autre, celle de la région ? Pour le contribuable, tout se cumule...

M. Georges FRÊCHE : L'augmentation de 1 % de la fiscalité de la communauté d'agglomération, qui ne concerne que la seule taxe professionnelle, représente en fait à peu près la même chose que les 52 % de la région...

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Un paquet de cigarettes !

M. Georges FRÊCHE : Évidemment, puisque la part de la région dans la fiscalité locale ne représente que 4 %, autrement dit peanuts ! Vous raisonnez sur des petits chiffres. L'un d'entre vous, qui présidait le département de la Somme il y a quelque temps, avant que la gauche ne le gagne, y avait augmenté la fiscalité de 9 %.

M. le Président : La gauche n'a pas gagné la Somme...

M. Georges FRÊCHE : Ah bon ? Cela viendra, je le souhaite à mon ami Vincent Peillon ! Ce n'est qu'une question de temps ! Reste qu'une augmentation de 9 % des impôts départementaux représente bien plus qu'une augmentation de 52 % des impôts régionaux.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous êtes décidément content de vous...

M. Georges FRÊCHE : Je ne vous le fais pas dire !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Mais puisque vous voyez les choses avec un peu de recul, êtes-vous content de la façon dont est organisé notre pays, entre toutes ces multiples strates ? Sinon, laquelle supprimeriez-vous ?

M. Georges FRÊCHE : J'ai déjà dit ce que j'avais à dire dans La France ligotée5, qui s'est d'ailleurs vendu à 15 000 exemplaires - pas mal, pour un bouquin politique ! -, mais comme j'ai maintenant quatre départements sur cinq avec moi, je ne vais pas cracher dans la soupe !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Un peu de courage !

M. Georges FRÊCHE : Je suis comme Jaurès : je vais de l'idéal au pratique. L'Aude, l'Hérault, les Pyrénées-Orientales et le Gard me soutiennent dorénavant. Aussi, quoi que j'en pense, et je n'ai pas changé d'avis sur le fond, je suis devenu un ardent départementaliste !

Mais voulez-vous savoir ce que j'en pense réellement ? Il n'y a plus d'hommes politiques en France depuis la mort du général de Gaulle.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Et Chirac ?

M. Georges FRÊCHE : Non, Chirac est le meilleur élève de Mitterrand.

M. Jean-Pierre SOISSON : Et Mitterrand ?

M. Georges FRÊCHE : Mitterrand, c'est le meilleur depuis Mazarin, mais en division 2... En division 1, on peut mettre Louis XI, Henri IV, Louis XV, Napoléon Ier et évidemment Charles de Gaulle, comme l'ont du reste reconnu les Français, avec beaucoup de sagesse et de clairvoyance, lors d'une récente émission organisée au Sénat. Charles de Gaulle est le dernier grand homme politique de ce pays ; depuis, on n'a plus trouvé que des gens aux habits trop grands pour eux. Mitterrand était le roi de la tactique : M. Jean-Pierre Soisson, qui a été avec lui, contre lui, qui est le Fregoli de la politique, en sait quelque chose... C'est un malin, toujours du côté du manche et je lui en fais tous mes compliments ! Je remarque d'ailleurs qu'il se tait avec beaucoup de sagesse, tout comme M. Pierre Morel-À-L'Huissier !

En vérité, la France apparaît ridicule en Europe, avec ses 36 000 communes, plus que dans les 24 autres pays de l'Union européenne réunis. Nous avons des communes, des communautés de communes, sans compter le pagus de Clovis, vieille circonscription franque, que M. Charles Pasqua a réintroduite sous le nom de pays... Mais on garde l'arrondissement, qui ne veut plus rien dire mais pour lequel nous avons toujours le sous-préfet ! Plus les préfectures, les communautés d'agglomération, les communautés urbaines, les départements, les régions, l'État, Bruxelles... Bref, un empilement incroyable qui fait rigoler toute l'Europe !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Que proposez-vous ?

M. Georges FRÊCHE : Il faut en supprimer.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Lesquelles ?

M. Georges FRÊCHE : Vous ne vous figurez pas que je vais vous le dire !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Un peu de courage !

M. Georges FRÊCHE : J'ai appris avec l'âge à devenir prudent. Il faut en supprimer certaines... Le sénateur alsacien Daniel Hoeffel avait dit la vérité, mais il l'a payé dans les urnes ! Dans le pays de France, il ne faut pas avoir raison trop tôt.

M. le Président : Notre Commission d'enquête retiendra ce conseil...

M. Jean-Pierre SOISSON : Le débat fortifie et grandit M. Georges Frêche : plus nous débattons, plus il est en forme... La journée aura sur ce plan été pour lui positive !

M. Georges FRÊCHE : Merci, cher ami.

M. Jean-Pierre SOISSON : J'étais du reste venu en grande partie pour l'écouter, et j'en ai retenu deux ou trois enseignements.

Il y a effectivement trop de circonscriptions administratives en France. C'est un phénomène général. Cela dit, cher Georges, le raisonnement que vous tenez vis-à-vis de l'impôt en tant que président de la communauté d'agglomération n'est pas tout à fait le même que celui du président de région, quand bien même celle-ci représente beaucoup moins pour le contribuable.

Vous semblez heureux d'être président de la région. Vous avez été, je le dis sous ma propre responsabilité, un maire de Montpellier assez formidable. Que préférez-vous : la région, la mairie ou la communauté d'agglomération ?

Mme Claude DARCIAUX et M. Pascal TERRASSE : Très bonne question !

M. Georges FRÊCHE : Pour ce qui est de la mairie, contrairement à ce que je croyais, si avant ma maladie j'en portais le deuil, maintenant c'est fini. Elle ne me manque plus. Je n'y suis pas allé depuis trois mois que je suis à peu près rétabli.

La communauté d'agglomération, j'y suis à titre transitoire, pour que justice lui soit rendue, parce qu'elle a été massacrée par la région pendant dix-huit ans. Nous n'avons pas eu un rond pour l'orchestre, pas un rond pour le festival de Radio-France de Montpellier, pas un rond pour le Corum, pas un rond pour la piscine...

M. le Rapporteur : Ce n'est pas ce que le président Jacques Blanc a dit tout à l'heure...

M. Georges FRÊCHE : Il ment comme un arracheur de dents ! Sauf sous serment...

M. le Président : Nous vérifierons.

M. Richard MALLIÉ : Vous êtes sous serment tous les deux !

M. Georges FRÊCHE : Je vais vous donner les chiffres exacts. Pour le financement du Corum - un milliard de francs -, la subvention de la région a été de zéro. Alors que M. François Mitterrand a financé à 80 % l'opéra Bastille et que le nôtre - nous sommes un peu mégalos - compte 2 200 places, soit 200 places de plus ! Nous n'avons pas eu davantage de subventions de l'État : MM. François Mitterrand et Jack Lang me poursuivaient à l'époque de leur hostilité, pires que la droite... Il faut vous dire qu'ici, depuis dix-huit ans, affronter la droite, c'est des vacances ! Mes seuls véritables adversaires dans cette région, ce sont les mitterrandistes. Mais je les ai éradiqués : il reste quelques survivants dans l'Aude, mais ils n'en ont pas pour longtemps ! Dans les trois ou quatre ans qui viennent, je terminerai le boulot, n'ayez crainte ! M. Louis Giscard d'Estaing est étonné, il est encore jeunot en politique... Mais il s'y fera, comme son père, qui était un malin et un homme de qualité ! Il est dommage qu'il n'ait pas appris plus tôt : il serait revenu. Mais il était trop honnête à ses débuts : il disait ce qu'il pensait, or il ne faut pas ! Moi, si je le dis, c'est parce que je suis assez vieux !

Voilà les pourcentages des subventions de la région à l'agglomération : en 1999, 0 %. En 2000, 0 %. En 2001, 0 %. En 2002, 0,022 %. En 2003, 0,020 % ! Voilà les subventions accordées par la région à l'agglomération pendant cinq ans ! Sur dix-huit ans, M. Jacques Blanc s'est allié pendant douze ans au Front national : de 1986 à 1992 et de 1998 à 2004. Pendant six ans, il a fait affaire avec des écolos de droite qui lui ont servi d'appoint et il nous a alors tout supprimé : plus de subventions à l'opéra national et à l'orchestre national que j'ai eu l'honneur de créer. Six ans plus tard, il a redonné quelque chose à l'orchestre, mais très peu : 3 %, alors que la région Île-de-France accorde 72 % pour son orchestre, Nord-Pas-de-Calais 66 %, Bretagne 43 %, Pays-de-Loire 31 %, Lorraine 42 % et même Midi-Pyrénées 10 % ! Nous sommes remontés de 3 à 8 % ; l'an prochain, nous passerons à 16 % et je me fixe l'objectif de 50 % dans trois ans. Mais pour le moment, je fais le ménage et c'est parfaitement normal : l'orchestre national de Languedoc-Roussillon-Septimanie ira, dès cette année, donner des concerts à Perpignan et Nîmes et dans toutes les villes de la région. Il est normal qu'il soit financé par la région. Si nous sommes réélus à la mairie de Montpellier dans trois ans - je vais m'y employer en me présentant en deuxième place sur la liste pour conforter modestement mon amie Hélène Mandroux -, je continuerai à diriger cette communauté d'agglomération pour finir le ménage, avant d'en laisser dans trois ans la présidence à Mme Hélène Mandroux, me contentant de la seule région.

Je respecte beaucoup M. Jean-Pierre Soisson. Son alliance avec le Front national n'était finalement qu'un péché de jeunesse et je ne lui en veux pas vraiment...

M. Jean-Pierre SOISSON : Le péché de jeunesse, c'est Mitterrand !

M. Georges FRÊCHE : C'est le deuxième ! Vous auriez mieux fait de rester fidèle à Giscard, mais c'est votre problème. Pour ce qui me concerne, je vous aime bien, je vous respecte et j'ai apprécié ce que vous avez dit.

M. le Président : Mais il vous avait posé une question...

M. Georges FRÊCHE : Pour répondre à sa question, c'est vraiment la région qui me plaît désormais. D'abord pour des considérations sordides : à la ville, compte tenu de mes nombreux diplômes, on me prenait pour un intellectuel et on ne m'offrait que des livres. J'en avais assez... Maintenant, à la région, on m'offre des bouteilles de vin, des asperges, des fraises, des abricots... C'est un vrai plaisir et je m'y attache !

M. le Président : Nous avons compris ! C'est pourquoi nous ne vous poserons plus de questions et je suspends la séance avant de passer à l'audition suivante.

M. Georges FRÊCHE : Je vois que vous en savez assez sur l'agglomération et je vous en remercie ! Nous sommes malheureux, on nous frappe, mais nous tenons malgré tout !

Audition de M. Michel GAUDY,
Vice-président du conseil général de l'Hérault,
accompagné de M. Georges VINCENT,
Président du groupe Démocratie et République au conseil général,
M. Bernard ODE, Directeur général des services,
M. Jean CROS, Directeur du pôle des moyens,
M. Hervé CILIA, Directeur du pôle éducation et patrimoine,
et M. Patrick GERMAIN-GÉRAUD, Directeur de la solidarité départementale


(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 avril 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Michel Gaudy, Georges Vincent, Bernard Ode, Jean Cros, Hervé Cilia et Patrick Germain-Géraud sont introduits. M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. le Président : M. Michel Gaudy, vous avez la parole pour un exposé introductif.

M. Michel GAUDY : Le Président du conseil général, M. André Vezinhet, empêché, comme il vous l'a écrit, par un calendrier très chargé, vous prie d'excuser son absence, à laquelle il ne faut chercher aucune autre raison ni interprétation.

J'ai entendu, en arrivant, exposer la bonne santé financière de la communauté d'agglomération de Montpellier, et son peu de crainte de l'avenir. La situation du département est tout autre et, du fait, en particulier, de la décentralisation, nous voyons que les nuages vont continuer de s'accumuler dans les années à venir.

L'Hérault compte 970 000 habitants et 343 communes, et son développement démographique le place au premier rang des départements français, avec un taux de croissance annuel de 1,35 %, près de trois fois plus élevé que la moyenne nationale, qui est de 0,47 %. Chaque mois, notre département accueille 1 000 Héraultais de plus, ce qui implique pour les communes et le département beaucoup d'investissements routiers, éducatifs, etc. Pour ne donner qu'un exemple, au cours de la mandature 1998-2004, le département a construit neuf collèges pour faire face à la croissance des effectifs de collégiens.

Outre son dynamisme démographique, l'Hérault connaît une double exception en France. La première est le taux de création d'entreprises, qui a été de 15 % en 2003 contre 12 % au niveau national, le nombre d'emplois salariés augmentant de 23 % entre 1998 et 2003, contre 10,1 % au niveau national. Ces chiffres traduisent la dynamique économique du département. Mais la deuxième exception est que l'Hérault a l'un des plus forts taux de chômage du pays : il s'établit à 14,5 % contre 10 % au niveau national. Enfin, les bénéficiaires du RMI, allocataires payés et ayants droit confondus, représentent 5,7 % de la population contre 3,1 % au niveau national.

L'Hérault connaît donc une situation sociale exceptionnellement difficile, qui explique l'importance des dépenses sociales dans le budget départemental. Elles représentent près de 69 % des dépenses de fonctionnement, contre 59 % en moyenne nationale.

Le budget primitif 2005 excède 1 milliard d'euros, avec 717 millions d'euros en fonctionnement et 286 millions d'euros en investissement. Comment le conseil général construit-il ce budget, qui a quasiment doublé depuis 1998 ? Depuis six ans, une attention particulière est apportée à la réalisation budgétaire, bien que ce ne soit pas facile, pour ce qui est des investissements, pour une collectivité qui redistribue beaucoup d'aides aux communes et aux intercommunalités. Il n'empêche : 95 % des crédits de fonctionnement et 85 % des crédits d'investissement votés sont utilisés. Les crédits votés sont donc bien utilisés.

L'assemblée départementale a eu une politique fiscale très sage aussi longtemps qu'elle l'a pu : aucune augmentation en 2000 et en 2001 et aucune non plus en 2002 alors que la hausse était de 3,5 % en moyenne nationale. En 2003, l'augmentation a été de 1,95 % dans l'Hérault, pour une moyenne nationale de 4,3 %, elle a été nulle en 2004 quand la moyenne nationale était de 1,3 % ; elle est de 3 % en 2005 pour une moyenne nationale de 4,4 %. Ainsi, depuis cinq ans, la fiscalité dans le département de l'Hérault a augmenté de 5 % quand la fiscalité moyenne des départements métropolitains croissait de 14,2 %.

En dépit de cette sagesse fiscale, le département, de façon continue - de 1998 à 2002 inclus -, a fait évoluer ses recettes de fonctionnement plus vite que ses dépenses. Nous y sommes parvenus par la maîtrise de nos dépenses et par le dynamisme et l'attractivité de notre territoire pour les ménages et les entreprises, qui ont suscité un autofinancement supplémentaire que nous avons mis à profit pour nous désendetter, l'encours passant de 296 millions d'euros en 1998 à 125 millions d'euros en 2005. L'écart entre l'évolution des dépenses de fonctionnement et celle des recettes en a encore été amplifié et, sur la période considérée, le désendettement contribue presque autant à l'amélioration de l'équilibre que l'évolution des bases de la fiscalité directe.

Mais, à partir de 2003, la tendance s'est inversée. Cette année-là pour la première fois, les dépenses de fonctionnement croissent plus vite que les recettes - de près de 25 millions, malgré la hausse de 1,95 % du taux de fiscalité - et la même évolution est constatée en 2004. C'est que, comme le montrent les tableaux que vous nous avez demandés, les dépenses mises à la charge du département viennent déséquilibrer le cycle vertueux que nous avions pu tenir jusque-là.

La première cause de dépenses supplémentaires est l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, puisque l'on est passé de 9 millions d'euros de prestation spécifique dépendance en 2002 à 40 millions d'euros d'APA en 2003 et à 89 millions en 2005. Si l'on rattache les participations du FFAPA aux exercices correspondants, on observe que la participation nationale est passée de 50 % en 2002 à 31,5 % en 2005, ce qui traduit une réduction significative de l'aide de l'État. Le service départemental d'incendie et de secours est la deuxième cause de cette inversion de tendance, la participation du département passant de 10 millions d'euros en 2002 à 15 millions d'euros en 2003 et 19,3 millions en 2005. Enfin, le transfert du RMI s'est soldé par un déficit de plus de 6 millions d'euros pour l'exercice 2004. Certes, celui-là sera intégralement compensé, mais nous avons estimé le déficit lié à la charge du RMI à 17 millions d'euros à fin 2005. Or, l'extrapolation de l'évolution constatée au premier trimestre nous fait craindre un montant bien supérieur, de l'ordre de 28 millions d'euros en année pleine.

Quelles sont nos inquiétudes pour 2006 et les années à venir ? Comme vous l'aurez constaté, l'Hérault n'a jamais augmenté la fiscalité de manière préventive mais toujours après avoir mesuré l'impact des mesures nouvelles mises à sa charge par l'État. Ainsi, l'APA a été créée en 2002, mais la fiscalité n'a été augmentée qu'en 2003, lorsque la participation de l'État a chuté. De même, le RMI a été transféré au département en 2004, mais l'augmentation de la fiscalité n'a lieu qu'en 2005, après qu'une année complète a permis de jauger à la fois l'écart entre dépenses et recettes et l'évolution respective des deux agrégats. La fiscalité n'a pas davantage été augmentée en 2005 en prévision du transfert des TOS, des routes nationales et de l'application de la loi sur le handicap.

Avec la mise en place de la deuxième phase de décentralisation, nous avons créé une commission spéciale, présidée par M. Michel Guibal et composée des membres de la commission des finances élargie aux présidents de groupes politiques, chargée d'évaluer au jour le jour les transferts de dépenses et de recettes. Cette commission, qui ne fait ni dans l'esbroufe ni dans la fiscalisation anticipée, estime que l'augmentation de fiscalité des deux ans à venir sera d'au moins 10 %. Que l'on ne nous accuse pas de crier avant d'avoir mal : c'est la réalité qui nous conduit à vous faire part de nos inquiétudes, justifiées par l'expérience du RMI pour 2004.

Le Gouvernement nous dit que la seconde phase de décentralisation est sécurisée et justifie cette affirmation par trois arguments. D'abord, la compensation serait intégrale ; mais ce n'est pas le cas, et l'exemple du RMI nous montre que l'on s'en tient à une promesse pour 2004 mais pas au-delà. Ensuite, la compensation serait concomitante au transfert, mais ce n'est pas le cas non plus : il manque au département de l'Hérault 6 millions d'euros de recettes au titre de 2004 et, pour le premier trimestre 2005, près de 7,1 millions sur les recettes de TIPP, qui ne représentent elles-mêmes que 60 % des dépenses effectuées. Enfin, la compensation maintiendrait l'autonomie fiscale des collectivités territoriales ; ce n'est pas davantage le cas, puisque la recette de TIPP est plus une dotation, sur laquelle le conseil général n'a aucune prise, qu'un outil fiscal.

La deuxième phase de la décentralisation devait éviter les difficultés connues au moment de la première phase, notamment par l'inscription dans la Constitution de la garantie des recettes à l'euro près ; ce n'est pas ce que nous constatons. En revanche, lors de la première phase, des outils fiscaux dynamiques tels que la vignette ou les droits de mutation, dont les taux pouvaient être modulés, avaient permis aux départements de faire face.

Étant donné ce transfert massif de dépenses et notamment de dépenses sociales, c'est à dire de dépenses de fonctionnement, seul le transfert aux départements d'une part de la CSG leur permettra d'assumer leurs compétences. Le Président du conseil général de l'Hérault, M. André Vezinhet, défend cette thèse depuis la polémique sur le financement de l'APA en 2003 et, lors des Assises des conseils généraux qui viennent de se tenir à Nantes, le Président de l'ADF et des présidents de toutes sensibilités politiques sont parvenus à la même conclusion. C'est probablement dans ce sens qu'il faut travailler. Telle est, en toute objectivité, notre analyse.

M. le Rapporteur : Comment se répartit, compétence par compétence, l'augmentation de 10 % de la fiscalité que vous estimez nécessaire dans les deux ans à venir ? Votre évaluation tient-elle compte, pour le RMI, de l'ajustement annoncé par le Premier ministre ?

M. le Président : Une étude de l'Association des départements de France montre que l'augmentation nécessaire serait de 4 à 6 %, mais l'imprécision règne pour ce qui est de la charge des routes nationales transférées.

M. Michel GAUDY : Vous aurez observé que je me suis cantonné, dans mon propos, aux dépenses déjà transférées au département, sans tenir compte des transferts à venir, comme les TOS ou les routes nationales.

M. le Rapporteur : Ce dernier propos me trouble plus qu'il ne m'éclaire...

M. Michel GAUDY : M. Jean Cros, Directeur des services financiers, va vous répondre.

M. Jean CROS : Pour le budget 2005, l'assemblée départementale n'a voté aucun crédit ni pour les routes nationales ni pour les TOS. Pour réaliser notre estimation, nous avons tout d'abord pris en compte les dépenses sociales. À partir de 2006, il nous faudra faire face aux conséquences de l'application de la loi sur le handicap, qui aura un impact très fort sur les finances départementales. C'est en quelque sorte une seconde APA qui se profile là, et nous estimons à 40 millions d'euros notre charge à ce titre en 2006. Chacun se perdant en conjectures sur ce que sera la participation de l'État à ce dispositif via la CNSA, nous avons considéré qu'elle serait d'un tiers comme elle est d'un tiers pour l'APA, ce qui conduit à un écart de compensation de 17 millions d'euros. 

M. le Rapporteur : Est-ce là la stricte application de la mise en œuvre de la loi, ou l'avez-vous augmentée du fait de ce que M. Claudy Lebreton a appelé la « pression citoyenne » ?

M. Jean CROS : Les 40 millions d'euros représentent ce qu'il nous faudra sortir de nos caisses l'année prochaine pour appliquer la loi en fonction du nombre de personnes handicapées connues et de leur niveau de handicap - et encore notre estimation n'est-elle peut-être pas assez prudente puisque nous avons considéré qu'il n'y aurait pas d'augmentation en 2007. Je précise que, dans le département, le point de fiscalité, en 2005, est égal à 3,1 millions d'euros.

Pour ce qui est des fonds sociaux transférés dès cette année et notamment le fonds social logement, le déséquilibre, dès à présent quantifiable, est de 600 000 euros. Pour les TOS des collèges, le décalage entre les prévisions de dépenses et les prévisions de recettes de compensation correspondantes s'explique notamment par les modalités différentes de rémunération et de couverture retraite des personnels transférés.

M. le Rapporteur : Mais le temps de travail dans les collectivités territoriales étant vraisemblablement supérieur au temps de travail dans les service de l'État, ce qui sera versé en plus au titre des primes ne pourra-t-il être compensé par la disponibilité de la main d'œuvre et éventuellement par la modération des recrutements ?

M. Hervé CILIA : La durée légale de 1 607 heures annuelles travaillées s'applique à tous les fonctionnaires, qu'ils soient fonctionnaires de l'État ou territoriaux. Les enseignants ont un horaire moindre, pas les TOS.

M. le Rapporteur : Nos interlocuteurs de la région paraissaient pourtant penser qu'il pouvait y avoir là une marge d'optimisation et de négociation.

M. Hervé CILIA : Par contre, les primes mensuelles, pour les TOS de l'État, vont de 70 à 80 euros alors que dans les départements, les primes du personnel d'exécution s'élèvent à 150 euros en moyenne ; l'écart est donc très important. S'agissant des horaires, il n'y a aucune marge de négociation possible car les TOS transférés garderont leur statut puisqu'ils disposeront d'un statut spécifique.

M. Jean CROS : Nous avons aussi fait des hypothèses relatives aux 209 CEC et CES et nous estimons que ce que vous avez appelé la « pression citoyenne », notamment des parents d'élèves et des professeurs, qui nous ont déjà sollicités, peut amener le département à récupérer et à financer intégralement un tiers, puis deux tiers de l'effectif de ces personnels CEC et CES. Nous avons donc tenu compte de ce que cette charge ne sera pas compensée.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas ce que l'État nous dit. Pour ces personnels, vous estimez que vous ne bénéficierez d'aucune compensation ?

M. Jean CROS : Non.

M. le Rapporteur : Ces personnels ne sont-ils pas éligibles au nouveau dispositif d'emploi aidé ?

M. Jean CROS : Dans ce cas, le département paiera aussi.

M. Michel GAUDY : J'ajoute que ce dispositif n'est que transitoire.

M. Hervé CILIA : Surtout, la collectivité n'a pas le droit d'embaucher des agents non titulaires et des emplois aidés sur des emplois permanents. Aussi, pour un travail de TOS considéré comme permanent, nous devrons embaucher un fonctionnaire - sur un emploi, donc, non aidé. 

M. le Président : Les services de l'État devront clarifier ces questions.

M. Jean CROS : Je rappelle qu'il s'agit de prévisions et que le département a toujours attendu d'avoir la certitude de la charge avant d'augmenter la fiscalité. S'agissant des routes nationales, la seule certitude est qu'à partir de 2006, voire de 2007, 300 kilomètres seront transférés à l'Hérault, apparemment sans compensation.

M. le Rapporteur : Pourquoi sans compensation ?

M. Jean CROS : Parce que, selon ce que le ministère a fait savoir au Directeur des services techniques, l'État entend affecter sa part de financement antérieure aux routes qu'il conservera.

M. le Rapporteur : Je suis très surpris de ce que j'entends. Pour les emplois aidés, j'avais compris qu'un dispositif était prévu, destiné à la prise en charge d'une partie des charges patronales et, pour les routes nationales, qu'il y aurait deux sources d'apport : la part correspondant à l'investissement fait par le département jusqu'à maintenant sur la fraction du réseau routier national non transférée au département - en vertu du décroisement - et la récupération de la TVA , ce qui amoindrirait l'effort global du département.

M. Bernard ODE : Le Gouvernement a effectivement indiqué que, pour favoriser le financement nécessaire à la prise en charge des routes nationales transférées, les départements pourraient récupérer la TVA.

M. le Président : Mais cet effort supplémentaire de l'État porte uniquement sur la partie de la voirie nationale transférée aux départements qui était comprise dans le contrat de plan.

M. Bernard ODE : Dans le cadre du contrat de plan actuel, qui s'achève théoriquement en 2006 mais qui va sans doute se poursuivre jusqu'en 2008 ou 2009, l'État a pris l'engagement d'assurer les financements prévus. Mais, au-delà, nous avons chiffré, de concert avec nos collègues de la DDE, les travaux qui devront être faits au cours des quatorze ans à venir sur la voirie transférée : ils s'élèvent à 246 millions d'euros, soit 17,5 millions d'euros par an. Comme la participation actuelle de l'Hérault est de 4,5 millions par an au titre du contrat de plan, il restera 13 millions d'euros à trouver chaque année. Nous espérons donc l'aide de la région, qui sera elle-même appelée à participer à l'investissement sur la voirie nationale conservée par l'État.

M. le Rapporteur : Mais l'État met quand même de l'argent...

M. Bernard ODE : Pour ce qui est au contrat de plan actuel, oui, mais pas pour les travaux non prévus à ce contrat et qui seront à faire après.

M. le Rapporteur : J'avais cru comprendre, pour ma part, que la méthode consistait à faire la moyenne sur un certain nombre d'années antérieures à la décentralisation sur le linéaire routier concerné, et à répartir entre les départements la somme de référence, laquelle devrait être significativement supérieure à zéro.

M. le Président : Il convient de distinguer les routes nationales qui figurent dans les contrats de plan de celles qui n'y figurent pas. Pour les premières, des engagements ont été pris, mais comme les investissements réalisés ont été faibles, les crédits le sont aussi. L'objection présentée est donc juste, car l'état du réseau qui va être transféré impose que des travaux soient faits. L'obligation s'impose donc à l'État de donner une évaluation de l'ensemble de l'existant, en indiquant combien il en coûtera de l'entretenir en son état actuel.

M. le Rapporteur : Vous avez estimé la compensation à zéro ; mais qu'en est-il de la récupération de la TVA ?

M. Bernard ODE : La TVA sera en effet récupérée. J'en reviens aux chiffres : les travaux sont estimés à 17,5 millions d'euros par an, 246 millions d'euros en quatorze ans. Le département qui, dans le cadre du contrat de plan, dépense 4,5 millions d'euros chaque année, devra trouver la différence. Quant aux 2,5 millions d'euros destinés à l'entretien et aux 700 000 euros de travaux de confortement des ponts ou autres, ce ne sont pas des dépenses d'investissement.

M. Jean CROS : Il est une ligne budgétaire pour laquelle le déséquilibre est certain, et constaté par le comptable public : le RMI. Le déficit, que nous avons fait constater par le comptable public, était de 6 millions d'euros fin 2004, soit 2 points de fiscalité, et il était déjà de 7,1 millions d'euros à la fin du premier trimestre 2005, au bout de trois mois d'exercice, alors que nous avons prévu, sans doute imprudemment, un déficit de 17 millions d'euros pour l'exercice complet. Cette estimation apparaît bien basse si l'on considère que l'écart entre les charges et les recettes se creuse. Étant donné les caractéristiques de la population dans l'Hérault, nous estimons qu'il sera de 24 millions d'euros en 2007 pour ce seul dispositif.

M. le Rapporteur : Avez-vous une idée des économies et des gains d'efficacité que la décentralisation peut permettre dans l'exercice de telle ou telle compétence ?

M. Michel GAUDY : La première phase de la décentralisation a été une décentralisation de pouvoirs, puisque l'on nous a donné à la fois des compétences et les moyens de les assumer en nous transférant des impôts que nous pouvions moduler. Cette fois, on nous donne des charges supplémentaires, que nous avons décrites, mais uniquement des dotations pré-calculées qui ne correspondent pas aux dépenses que l'on nous impose.

M. le Rapporteur : Comment envisagez-vous de gérer la dépense ?

M. Michel GAUDY : Des efforts de gestion ont été faits, je l'ai dit, qui nous ont permis dans les années précédentes de ne pas augmenter la fiscalité en dépit de la situation sociale difficile du département et, alors que nous cumulons de nombreuses difficultés, nous assumons les charges nouvelles sans augmenter la fiscalité de façon importante. J'ajoute que la marge de manœuvre du département est considérablement réduite puisque, en raison de la part croissante des dotations, les augmentations fiscales portent sur des bases d'imposition de plus en plus faibles.

M. Jean CROS : Dans un département, l'écrasante majorité des dépenses sont des dépenses sur compétences et des dépenses obligatoires, ce qui ne signifie pas que des économies soient impossibles, comme le département de l'Hérault l'a montré à propos de l'aide médicale à la fin des années 1990. Il n'y a donc pas de fatalité telle que la dépense ne puisse être contenue, mais elle a une forte inélasticité à la baisse. En ma qualité de financier, je pense que, s'il fallait privilégier un domaine dans lequel on peut faire des économies, ce devrait être celui qui conduit le département à lever des impôts pour financer les compétences des autres : l'aide aux communes ou aux intercommunalités, poste qui représente une dépense de 60 millions d'euros pour le département de l'Hérault.

M. Michel GAUDY : Mais en tant qu'élu, j'observe que cela reviendrait à reporter la charge du transfert de compétences sur d'autres collectivités du grand millefeuille français, qui devraient accroître leur propre imposition.

M. le Rapporteur : Qu'en est-il de vos recettes, et en particulier des droits de mutation ?

M. Jean CROS : Après avoir connu un trou d'air au début des années 1990 - une diminution de 25 % des recettes -, les droits de mutation sont effectivement très dynamiques, depuis 1996 en tout cas, et bien orientés actuellement, puisqu'ils ont augmenté de 15 % par an en 2002, 2003 et 2004. Cela a permis au département de disposer de recettes de fonctionnement supérieures à ses dépenses sans augmenter la fiscalité locale, voire en la réduisant par le biais d'abattements à la base, tout en se désendettant. Mais ce sont des recettes volatiles, et l'on ne peut fonder des stratégies durables que sur la fiscalité locale directe.

M. Georges VINCENT : Je ne mets pas en cause la sincérité du propos et je me limiterai à de petits rectificatifs lorsque j'ai une appréhension différente des dossiers, compte tenu de ma sensibilité politique. Au demeurant, deux collaborateurs seulement étant affectés à l'opposition, nous ne pouvons pas faire une analyse très fine des données budgétaires et financières. Les atouts du département sont effectivement une démographie favorable et croissante et un dynamisme économique indiscutable. Il est également vrai que le taux de chômage et le nombre d'allocataires du RMI sont élevés ; toutefois, selon les indications de la Banque de France, l'Hérault est aussi un des départements dans lesquels l'échange de billets est le plus important, ce qui dénote indiscutablement une économie souterraine importante également. Il n'empêche que le fort taux de chômage et le grand nombre d'allocataires du RMI induisent d'importants besoins, si bien que la moitié du budget du département, le plus important de la région avec plus d'1 milliard d'euros, est consacrée à l'action sociale. De plus, le département intervient dans des domaines qui, pour être importants, ne sont pas de compétence départementale. Si certaines de ces interventions sont parfaitement justifiées, d'autres sont plus discutables, et il serait judicieux qu'au moment où de nouvelles compétences sont attribuées aux collectivités, chacune se recentre sur ses compétences propres.

L'évolution de la fiscalité est modérée, c'est vrai, mais il faut noter que l'on partait d'un niveau assez haut, ce qui rend la modération plus facile. Les dépenses tendent désormais à excéder les recettes. Non seulement, je l'ai dit, le département exerce des compétences qui ne lui reviennent pas, mais il lui arrive aussi d'élargir les siennes, par exemple en votant le RMA+, qui va plus loin que ce que la loi impose. Nous avons aussi une divergence sur l'exercice de compétences anciennes, notamment pour ce qui est des collèges. Il est exact que l'évolution démographique rend nécessaire la construction d'un nombre important de collèges, mais des éclaircissements sont nécessaires sur les modalités du transfert des collèges existant au moment de la décentralisation. En effet, les collectivités maîtres d'ouvrage des collèges préexistants continuent de devoir payer des annuités d'emprunt pour des bâtiments qu'elles n'ont plus, ce qui pose tout de même problème. Normalement, quand on transfère un bien, on transfère l'actif et le passif.

Je suis donc opposé à certaines dépenses. Je signale enfin que l'augmentation des recettes tient aussi à ce que la majorité départementale a vendu des éléments patrimoniaux, ce qui a contribué à la modération fiscale.

M. Michel GAUDY : Je ne laisserai pas dire que l'opposition serait maltraitée, alors qu'elle dispose, comme chaque groupe politique, d'un attaché et d'un secrétaire.

M. le Rapporteur : Dans le tableau 6 - Compétences transférées en 2005 - du document que vous nous avez transmis, il est précisé « hors TSCA ». Pourquoi ?

M. Jean CROS : Parce que la TSCA remplace une part de la DGF et ne compense, que de manière très marginale, le surcroît de charges induit par la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

M. Michel GAUDY : J'ajoute qu'en ma qualité de président du SDIS, j'attends que les textes relatifs à la prime de fidélisation et de reconnaissance des sapeurs-pompiers volontaires soient publiés, et je ne suis pas sûr que cette taxe couvrira tous les frais supplémentaires.

M. le Président : Elle ne les compensera pas.

M. Pascal TERRASSE : S'agissant du RMI, on parle de prévoir dans le collectif budgétaire une probable compensation en 2006 de la dépense engagée en 2004. Mais avez-vous payé le mois de décembre 2003 ?

M. Michel GAUDY : Non.

M. Patrick GERMAIN-GÉRAUD : Il y a une controverse sur ce point. Nous avons payé janvier 2004 mais nous nous sommes refusés à régler décembre 2003, comme d'ailleurs certains autres départements.

M. Pascal TERRASSE : Si bien que la législation met en difficulté la MSA et les caisses d'allocations familiales. Je vous remercie de cette réponse.

Autre question : à combien évaluez-vous le montant non compensé de la prime de fidélisation et de reconnaissance pour les sapeurs-pompiers volontaires de votre département ?

M. Michel GAUDY : Les textes n'étant pas parus, le calcul est impossible pour l'instant.

M. Pascal TERRASSE : Cela signifie-t-il que vous n'avez pas prévu d'augmentation des dépenses au titre du SDIS ?

M. Bernard ODE : Si. Nous avons prévu 2,1 millions d'euros.

M. Pascal TERRASSE : A quoi correspond cette somme ?

M. Michel GAUDY : Jusqu'en 2008, l'augmentation des dépenses des communes et des EPCI est limitée à l'inflation. Les dépenses des SDIS étant constituées à 70 % de dépenses de personnel qui augmentent plus vite que l'inflation, le département prend en charge un surcoût important.

M. Pascal TERRASSE : Les sapeurs-pompiers volontaires pourront bénéficier de leurs nouveaux droits d'ici fin 2005. Sur quel budget payerez-vous la prime de vétérance ?

M. Michel GAUDY : Je ne puis vous répondre, puisque nous ignorons quel sera le niveau de notre contribution. J'appartiens pourtant à la Conférence nationale des SDIS ; mais bien que nous ayons maintes fois posé la question, il ne nous a toujours pas été dit quelle serait la participation de l'État. Nous attendons de le savoir pour faire les calculs nécessaires.

M. Pascal TERRASSE : Il y a ce qui relève de la décentralisation, mais il y a aussi ce qui tient au désengagement de l'État, et les dispositifs nouveaux adoptés pour améliorer le sort de nos concitoyens, tels que l'APA ou la prestation de compensation du handicap. Vous avez évoqué avec insistance la situation difficile de l'emploi dans l'Hérault ; considérez-vous que l'APA a permis de créer des emplois ? Si tel est le cas, combien ?

M. Michel GAUDY : Environ 2 200 équivalents temps plein.

M. le Rapporteur : Des économies sont-elles envisageables, par ce biais, sur les dépenses de RMI ?

M. Patrick GERMAIN-GÉRAUD : Nous nous sommes attachés à former les allocataires du RMI qui avaient une appétence particulière pour les services de proximité, en commençant par un dispositif expérimental dans le Biterrois. Cela concerne à ce jour quelque 200 allocataires du RMI, nombre assez faible au regard du nombre total d'allocataires et des considérables efforts déployés, notamment en direction des employeurs.

M. Pascal TERRASSE : Le département exerce-t-il directement toutes les compétences qui lui sont dévolues ou en externalise-t-il une partie ?

M. Michel GAUDY : Cette question est souvent posée autrement, pour essayer de comparer les dépenses de personnel des différents départements. Le département de l'Hérault fait beaucoup pour son propre compte et externalise très peu de ses activités.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Vous avez évoqué les options fiscales du conseil général. À cet égard, la réduction de 10 % de la taxe d'habitation en 1998-1999 répondait-elle à un impératif idéologique ? Croyez-vous à la vertu de la baisse de l'imposition, question qui a suscité une polémique ce matin au cours de l'audition des représentants de la région ? Par ailleurs, vous nous avez expliqué que, « du fait de la décentralisation », vous redoutez de voir « les nuages s'accumuler » dans les années à venir. Mais vous ne nous avez rien dit du recrutement de 80 personnes par le conseil général entre 2000 et 2001 ; quels en ont été les motivations et le coût ?

M. Michel GAUDY : L'analyse de la fiscalité départementale ne doit pas s'arrêter à celle d'un taux particulier. Dans la région - je suis aussi conseiller régional -, le taux du foncier bâti a augmenté et, pour ce qui concerne la taxe d'habitation, le département de l'Hérault n'en a pas réduit le taux mais a introduit un abattement à la base pour charges de famille, qui se fait sur la valeur locative moyenne, si bien que la charge fiscale a diminué pour certaines catégories de la population et légèrement augmenté pour d'autres. J'appartiens à une famille politique que vous connaissez, et nous avons pensé que c'était faire œuvre d'une plus grande justice fiscale. Je souhaite que les « quatre vieilles », qui sont très injustes - la taxe d'habitation en particulier -, soient remplacées par d'autres impôts plus justes et plus en rapport avec la richesse des habitants.

Quant aux créations d'emplois, elles résultent d'une part du passage aux 35 heures, et d'autre part de l'aggravation des problèmes sociaux dans le département, qui nous ont contraints à augmenter l'effectif des services sociaux.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Quel a été le coût du passage aux 35 heures ?

M. Michel GAUDY : Qui a créé des emplois...

M. Patrick GERMAIN-GÉRAUD : Les 80 emplois créés ont coûté environ 2,4 millions d'euros, en se basant sur le niveau du salaire moyen.

M. Richard MALLIÉ : Je veux rassurer nos collègues conseillers généraux sur les transferts de ressources : la loi de finances rectificative prévoit une compensation, une fois adopté le compte administratif 2004, c'est-à-dire après le 30 juin.

M. Michel GAUDY : Et après ?

M. Jean CROS : Avec cette compensation, nous sommes toujours à 17 millions d'euros d'écart par rapport aux dépenses de RMI.

M. Richard MALLIÉ : Ce n'est pas ce que j'avais compris.

Mme Claude DARCIAUX : Vous avez dit tout à l'heure, M. Georges Vincent, que le département intervenait dans des domaines de compétences qui ne sont pas les siens. Faut-il y mettre fin ? Et peut-on chiffrer ces interventions ?

M. Georges VINCENT : Je n'ai pas les éléments pour le faire. Le département intervient en effet hors de ses compétences dans un grand nombre de domaines. On peut parfois le comprendre, comme par exemple dans le domaine de l'enseignement élémentaire et préélémentaire, où les aides aux communes pour les créations de classes sont de l'ordre de 250 000 francs par classe, ce qui est une somme relativement importante, et appréciable pour les élus. Mais d'un autre côté, l'enveloppe du Fonds d'équipement des communes urbaines (FECU) est insuffisante et mériterait d'être augmentée. Elle se rétrécit d'année en année, jusqu'à atteindre 397 000 euros cette année. Or, c'est quand même un élément important de l'amélioration du tissu urbain des communes et de la qualité de vie urbaine dans ces communes. D'un côté, le département accorde aux communes des aides hors de son champ de compétences, et de l'autre les aides du FECU sont insuffisantes. Le département intervient également dans les domaines sportif, culturel, économique, qui ne sont pas de sa compétence.

Mme Claude DARCIAUX : Le FECU n'est pas une compétence, c'est une subvention accordée aux communes. Sans les aides aux créations de classes, qui existent dans presque tous les départements, je ne sais pas comment feraient les petites communes. Je suis d'ailleurs souvent sollicitée, en tant que députée, par les maires de ma circonscription pour que je leur obtienne des aides plus importantes de la part du département.

M. Michel GAUDY : Si j'ai bien compris, l'objet de votre Commission d'enquête est de mesurer l'impact de la décentralisation sur la fiscalité locale, entre autres. Nous estimons qu'une partie importante de l'augmentation de la fiscalité départementale est due aux transferts de compétences de l'État. Si, pour compenser cette charge supplémentaire, nous réduisons nos aides aux communes, elles devront augmenter leur propre fiscalité, ce qui pèsera en fin de compte sur les mêmes contribuables. Le résultat sera le même.

M. Georges VINCENT : Une question a été posée tout à l'heure sur la multiplication des strates administratives. Le contribuable vit cette réalité d'une façon assez douloureuse, car chaque structure génère ses propres besoins. Dans un contexte de décentralisation, si l'on maintient les mêmes prestations à tous les niveaux, cela se traduira par une forte hausse de la fiscalité locale. Il faudra soit diminuer le nombre de strates, soit recentrer les compétences de chaque collectivité.

M. le Rapporteur : Si l'on regarde le tableau 6 relatif aux compétences transférées, il me semble que pour les routes nationales, et aussi, même si je reste plus prudent, pour les CES-CEC, il y a des compensations que vous n'avez pas fait figurer, mais les choses sont en train de se préciser. Si j'ai bien compris, vous attendez de voir ce qui se passe avant de prendre des décisions en termes de fiscalité. Cela me paraît mieux venu que de décider un impôt de précaution.

S'agissant du RMI, c'est le débat de fond de la décentralisation : la question est de savoir si vous avez une part dans la gestion du robinet de la dépense ou si vous vous contentez de constater l'éventuelle augmentation du nombre d'allocataires du RMI et d'aller voir l'État pour qu'il ajuste les ressources en conséquence.

M. Bernard ODE : La situation du chômage dans l'Hérault est très difficile depuis de nombreuses années. Il y a eu une hausse continue du nombre d'allocataires du RMI depuis la création du dispositif jusqu'au milieu des années 1990, puis une chute lorsque s'est améliorée la situation de l'emploi en 1997-1998-1999, enfin une nouvelle remontée. Je puis vous assurer que les services départementaux, sous l'autorité du président, font le maximum pour développer les structures d'insertion. Nous ne faisons pas de polémique sur les différents dispositifs mis en place par tel ou tel gouvernement : nous prenons tout ce qui peut être pris. Le Gouvernement a créé le RMA, nous l'avons amélioré cependant sur les points qui nous paraissaient receler des effets pervers en créant le RMA+. Nous devons être le premier département de France pour le RMA, car nous avons signé 94 conventions, sur un millier dans toute la France.

Mme Béatrice PAVY : Dans la Sarthe, nous en avons signé 104 !

M. Michel GAUDY : Nous ne sommes pas loin derrière !

M. Bernard ODE : Nous avons également mis en place dix plans d'insertion par l'économique. Depuis 1998, nous avons une plateforme emploi-service, qui a créé plus de 600 emplois, et nous développons les emplois de proximité. Nous faisons tout pour limiter le nombre des RMIstes, mais les outils dont nous disposons reviennent à utiliser une cuillère à café pour vider la baignoire ! Il n'y a aucune réticence de notre part à nous inscrire dans le nouveau plan de cohésion sociale de M. Jean-Louis Borloo. Le département travaille avec le service public de l'emploi depuis 1998 : nous n'avons pas attendu la loi qui vient d'être votée.

M. le Rapporteur : M. Pierre Mauroy avait suggéré la décentralisation des TOS. Le Gouvernement l'a fait. Quel avantage le conseil général y voit-il et qu'entend-il faire pour que ce transfert soit le plus avantageux possible ?

M. Michel GAUDY : M. Pierre Mauroy est, comme moi, un ancien enseignant. Je connais tous les problèmes que pose aujourd'hui l'entretien des établissements scolaires. Etant donné le grand nombre d'agents non remplacés, les problèmes de statut, le rôle du chef d'établissement et de l'intendant, je ne crois pas que ce soit une très bonne opération pour le département de récupérer environ 600 agents pour l'entretien des collèges, sachant en outre qu'il y a, derrière, la pression des élèves, celle des parents et celle des TOS existants. Il y aura sans doute un meilleur entretien, mais cela représentera au bout du compte, j'en suis persuadé, une charge supplémentaire pour les départements.

M. Hervé CILIA : Ce qui a été décidé, ce n'est pas le transfert de l'entretien, mais de la charge salariale, puisque le département n'aura pas la tutelle hiérarchique des personnels : ce sera l'établissement public local d'enseignement qui exercera cette tutelle, ce qui risque d'être source de difficultés importantes.

S'agissant des CES et des CEC, les services de l'État commencent à nous dire que nous aurons le droit d'embaucher un nombre équivalent d'emplois aidés, sans compensation financière véritable. En plus, on nous dit que ces gens étaient là pour être insérés, pas pour faire un travail de TOS.

M. Michel GAUDY : Très souvent, quand le législateur vote une mesure de décentralisation, il appuie son raisonnement sur des économies d'échelle supposées au départ. Or, le rapport publié cette année par la Cour des comptes sur les SDIS montre que les économies attendues se sont traduites en fait par des dépenses nouvelles.

M. le Rapporteur : Si j'ai bien compris, le département de l'Hérault sollicite plus les communes pour le SDIS que la loi ne le prévoit ?

M. Michel GAUDY : C'est une situation qui résulte de l'histoire. Au départ, tous les services étaient communaux. Puis nous avons départementalisé à la fois les moyens et les charges. Peut-être le département contribue-t-il encore aujourd'hui moins que la moyenne des départements français, mais cela ne résulte pas d'une volonté délibérée de charger les communes. Les communes ont continué de supporter la charge qui était la leur avant la départementalisation. Cependant, la seule variable d'ajustement aujourd'hui est la cotisation du département. Cette année, elle a augmenté de 9,5 % au lieu de 2 % pour celle des communes, elle avait augmenté de 10 % l'année dernière et de 12 % l'année précédente. Nous sommes donc dans une phase de rattrapage, puisque la contribution des communes est plafonnée.

M. Richard MALLIÉ : Les TOS, qui sont encadrés par les chefs d'établissement, seront transférés aux départements. La situation est la même pour les communes, qui gèrent les ATSEN encadrés par les directeurs des écoles maternelles. J'ai été maire plus de deux mandats, j'avais un ATSEN par classe maternelle sous l'encadrement du directeur d'école, le maire payait, et ça se passait très bien.

M. Hervé CILIA : La différence, c'est que le collège est un EPLE, établissement autonome, tandis que l'école est dans le budget municipal.

M. Richard MALLIÉ : Cela ne change rien !

M. le Président : J'ai encore trois questions. Sur le RMI, l'État a-t-il participé l'an dernier et les années précédentes au financement des activités d'insertion de l'ANPE ?

M. Patrick GERMAIN-GÉRAUD : Oui. Il y avait 21 postes de conseiller d'insertion professionnelle, financés pour moitié par l'État et par le département. Mais aujourd'hui, c'est terminé.

M. le Président : Dans le cadre de la compensation à l'euro près, quel volume de crédits vous sont transférés pour compenser ce retrait ?

M. Patrick GERMAIN-GÉRAUD : Nous sommes en discussion sur le transfert des agents des DDASS, mais les agents de l'ANPE, qui ne sont pas des personnels de l'État, ne sont, par définition, pas transférés. On nous dit très tranquillement qu'il s'agit pour les départements d'assumer la charge complète, l'État s'étant retiré du financement.

M. le Président : Donc, dans le cas d'espèce, la compensation à l'euro près ne fonctionne pas.

Autre question : vous avez signé des contrats d'insertion RMA, vous allez signer des contrats d'avenir. Avez-vous calculé le surcoût en 2005, par RMIste, du passage du RMI au RMA, et celui de la transformation du RMI en contrat d'avenir ?

M. Patrick GERMAIN-GÉRAUD : Nous avons fait ce calcul. Un bénéficiaire du RMI en CES nous coûte environ 3 000 euros par an, un contrat d'avenir sans doute 10 000 euros. Nous avions à peu près 1 000 titulaires de CES au RMI, faites le calcul !

M. le Président : Le coût varie d'un département à l'autre, mais il n'est pas difficile à calculer. Il suffit de prendre les crédits nationaux consacrés au RMI et de les diviser par le nombre des allocataires. On trouve un coût mensuel d'un peu plus de 300 euros. Or, dans le cadre d'un RMA ou d'un contrat d'avenir, le département paie 425 euros. Il y a là un surcoût qu'il faudra bien compenser.

Troisièmement, on a beaucoup évoqué la question de l'année de référence. Vous nous dites qu'en 2004, le déficit lié au RMI était de 6 millions d'euros. En 2005, il est déjà de 7 millions, et vous l'évaluez à 17 millions en année pleine. J'entends mon collègue dire : « on va vous compenser 2004 ». Le problème est de savoir quelle sera l'année de référence ? Selon la loi, c'est 2003. Qu'en pensez-vous ? Vous nous dites que si on prend 2003, le déficit sera de 17 millions d'euros en 2005, mais de combien sera-t-il si on prend 2004, c'est-à-dire si l'on compense le RMI sur la base des dépenses 2004 au lieu des dépenses 2003 ? C'est un peu compliqué, mais c'est important.

M. Jean CROS : Nous considérons que nous avons payé sur douze mois, pas sur treize, et que nous avons tout de même un déficit de 6 millions d'euros, d'ailleurs certifié par le comptable public. Quand nous prévoyons un déficit de 17 millions d'euros en 2005, c'est en escomptant 6 millions de recettes de compensation, sans quoi nous sortirions de l'épure : nous serions déjà à 7,1 millions d'écart au bout de trois mois.

M. le Président : Mais si vous aviez en 2005 les 6 millions d'euros de 2004, votre déficit serait de 11 millions d'euros au lieu de 17.

M. Jean CROS : Non. Les 17 millions d'euros tiennent compte des 6 millions d'euros. Sinon, nous serions à 23 millions.

M. le Président : Si l'année de référence était 2004 au lieu de 2003, au lieu de 17 millions vous seriez à 11 millions. C'est une question importante, et il faudra que le Gouvernement nous explique.

M. Jean CROS : Notre estimation est de 17 millions dans l'hypothèse prudente où il y aurait 6 millions de compensation par l'État. Sinon, c'est 23 millions d'euros.

J'ajoute un élément de mécanique budgétaire, que votre Commission doit avoir à l'esprit. Nous avions en quelque sorte un véhicule léger, un budget de 600 millions d'euros et une puissance fiscale (le point de fiscalité) de 2,9 ou 3 millions d'euros dans le moteur. Notre véhicule est passé de 600 millions d'euros à 1,1 milliard sans compter les transferts à venir (TOS, routes nationales, etc.). Notre véhicule est donc deux fois plus lourd mais il dispose de la même puissance fiscale. Nous n'avons en effet raisonné cet après-midi qu'à partir des charges nouvelles, mais nous n'avons pas parlé des 800 millions d'euros de charges que nous avions déjà, comme les transports, l'aide sociale à l'enfance, l'insertion, les handicapés. Or l'augmentation des droits de mutation et celle des bases fiscales nous permettent à peine de faire face à l'augmentation de ces charges, qui est de 2 % à 3 % par an.

M. le Président : Je vous remercie. Naturellement, nous n'avons pas pu, en une heure et demie, approfondir toutes les questions, mais il nous reste à procéder à trois auditions d'ici la fin de la journée...

Audition de M. Alain POULET,
Président de la communauté de communes du Pic-Saint-Loup,
accompagné de M. Pascal BONNAUD


(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 avril 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Alain Poulet et Pascal Bonnaud sont introduits.

M. le Président : Nous entendons maintenant M. Alain Poulet, Président de la communauté de communes du Pic-Saint-Loup, accompagné de M. Pascal Bonnaud.

M. le Président rappelle à MM. Alain Poulet et Pascal Bonnaud que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Alain POULET : Je commencerai par présenter rapidement les caractéristiques du territoire de la communauté de communes du Pic-Saint-Loup, puis la communauté de communes elle-même, et enfin les choix de financement qu'elle a faits.

Le territoire du Pic-Saint-Loup est tout à fait particulier. Situé au nord de l'agglomération de Montpellier, il n'a pas bénéficié des infrastructures importantes qui irriguent le sud de l'agglomération, comme le TGV, l'autoroute et l'aéroport, mais il ne s'est pas pour autant trouvé enclavé, car les sorties nord de Montpellier ont été aménagées, et aussi parce que c'est par là que passe l'A 750 qui va relier la ville à Clermont-Ferrand.

Il s'agit, en second lieu, d'un pays très vallonné, qui a de longue date une forte attractivité résidentielle, et cette attractivité va croissant, comme en témoigne la forte croissance démographique de la communauté, riche aujourd'hui de près de 35 000 habitants sur 17 communes. Elle a connu, entre 1999 et 2004, une progression de 20 %, voire de 30 % de sa population.

Le développement économique est parfaitement intégré au territoire : contrairement au sud de l'agglomération, qui connaît un développement du type « bord de route », on y trouve de nombreuses entreprises du secteur tertiaire, des ateliers produisant ou utilisant des technologies nouvelles, des antennes locales émanant d'entreprises de l'agglomération, et recherchant la proximité des centres de recherche. En outre, la viticulture y est de qualité et se maintient malgré la crise viticole, grâce à des appellations comme le cru Pic-Saint-Loup ou les Grès de Montpellier.

Le territoire a été bonifié depuis quarante ans, qui plus est, par une intercommunalité très vivante. C'est en effet en 1966 qu'a été créé par M. Gérard Saumade le SIVOM du Pic-Saint-Loup, dont le rôle s'est progressivement étendu. S'est notamment mise en place une filière exemplaire de traitement des déchets ménagers, depuis la collecte sélective jusqu'à l'incinération, dans le cadre du syndicat « Entre Pic et Étang », qui regroupe neuf communautés de communes.

La communauté du Pic-Saint-Loup s'inscrit dans une volonté ancienne, mais qui s'est heurtée à de très grandes difficultés de réalisation. À la fin de 1998, les seize communes du SIVOM ont décidé de se constituer en communauté de communes. La délibération a été transmise au préfet début 1999, mais la communauté n'a été créée qu'en novembre 2002, et avec quatorze communes seulement, Saint-Clément-de-Rivière et Saint-Gély-du-Fesc ayant été intégrées contre leur gré à la communauté d'agglomération de Montpellier. Le 1er janvier 2004, ces deux communes ont quitté la communauté d'agglomération pour rejoindre la communauté de communes du Pic-Saint-Loup, ainsi que la commune de Teyran qui souhaitait aussi sortir de la communauté d'agglomération mais ne pouvait pas rejoindre sa communauté de communes d'origine pour cause de non-continuité territoriale.

Les compétences de la communauté de communes sont : l'aménagement de l'espace communautaire et le développement économique, compétences obligatoires ; la protection et la mise en valeur de l'environnement, la politique du logement et du cadre de vie, la création, l'aménagement et l'entretien de voirie d'intérêt communautaire, la construction, l'entretien et le fonctionnement d'équipements culturels et sportifs, qui sont des compétences optionnelles ; l'entretien des cours d'eau d'intérêt communautaire, le contrôle des assainissements individuels, les animations sportives et de loisirs, l'action en faveur du maintien à domicile des personnes âgées, le transport des personnes à mobilité réduite, le soutien aux manifestations culturelles ou touristiques d'intérêt communautaire et la gestion de l'office de tourisme intercommunal, qui sont des compétences facultatives.

La communauté a fait le choix de la taxe professionnelle unique. Compétente en matière de déchets, elle perçoit la TEOM, ainsi que des revenus issus du transfert des charges des communes membres et de la DGF.

Le taux de taxe professionnelle est stabilisé à 14,41 %, moyenne pondérée des taux des 14 communes fondatrices, depuis la création de la communauté. Saint-Clément, Saint-Gély et Teyran ont connu une évolution plus erratique : leurs taux sont passés de 16,41 % en 2002 à 18,92 % en 2003, lorsqu'elles faisaient partie de la communauté d'agglomération, pour redescendre, lorsqu'elles ont rejoint la communauté de communes, à 17,42 % en 2004 et 15,91 % en 2005. Ils seront alignés sur 14,41 % en 2006. Alors que les communes d'origine ont retenu une durée de lissage de douze ans, celles entrées depuis ont une durée très inférieure, trois ans seulement, ce qui est conforme à la loi mais crée une distorsion.

La TEOM a baissé d'un point entre 2001 et 2005, passant de 12,17 % à 11,19 %, ce qui traduit la justesse de nos choix.

Quant à la DGF, soit 1,142 million d'euros, elle sert à financer l'administration générale de l'intercommunalité, les nouvelles compétences ainsi que l'autofinancement. Le transport des personnes à mobilité réduite a été mis en place en 2005, pour un coût de 103 000 euros, avec un transfert en provenance des communes évalué à 13 000 euros seulement. La mise en place de la téléalarme est évaluée à 15 000 euros, le soutien à des organismes à caractère social à 90 000 euros, l'un et l'autre sans transfert. Avec le solde, il est prévu de doter un fonds en faveur des logements à loyer modéré. Afin de faire face au problème du logement, la communauté a en effet mis en place un régime d'aide aux communes, sous forme de subvention ou de garantie, pour créer des logements à caractère social sur leur territoire, compte tenu de la cherté du foncier. Enfin, l'attribution de compensation reversée aux communes est importante, supérieure même aux recettes de taxe professionnelle : 2,904 millions d'euros contre 2,668 millions d'euros.

En conclusion, si la politique fiscale de la communauté de communes du Pic-Saint-Loup apparaît aujourd'hui comme très modérée, c'est certainement grâce à la prudence des élus, soucieux de la pression fiscale qui pèse sur les contribuables, mais aussi au fait qu'étant une communauté nouvelle, ayant un an d'existence sous sa forme actuelle, elle n'a encore réalisé aucun projet lourd et consommateur de crédits. Or des infrastructures manquent, notamment en matière sportive et culturelle, qui pourraient entraîner une tout autre situation fiscale si la communauté devait les assumer sans autres moyens que les siens. C'est pourquoi elle a besoin, comme les autres EPCI, d'une visibilité à long terme de ses ressources fiscales. À cet égard, elle prête une attention toute particulière à la réforme de la taxe professionnelle et souhaite que celle-ci aboutisse à un système clair et durable, qui ne décourage pas les communes de faire des efforts pour accueillir les entreprises. L'inclusion de la compensation de la part salaires de la TP dans la DGF, qui conduit au plafonnement de la TP, est donc très préoccupante à nos yeux.

M. le Rapporteur : Comment a évolué, sur le territoire intercommunal, le total impôts communautaires plus impôts communaux ? Au moment de la création de la communauté de communes, la fiscalité communale a-t-elle été réduite à due concurrence ? Depuis, y a-t-il eu des économies de gestion, des mutualisations de coûts, ou est-ce que l'exercice de compétences nouvelles a mobilisé des moyens de financement nouveaux ?

M. Alain POULET : La TEOM est à peu près stabilisée. En matière de TP, la volonté des élus est qu'elle reste le plus longtemps possible autour de 15 %, afin d'encourager les entreprises à s'implanter sur notre territoire. La fiscalité communautaire correspond pour l'essentiel à des compétences nouvelles, il y a peu de compétences anciennes transférées qui soient consommatrices de crédits.

M. Pascal BONNAUD : La communauté de communes, pour les compétences les plus lourdes, à savoir le développement économique et les déchets, est l'héritière d'un SIVOM très développé et très structuré, qui avait déjà réalisé d'importantes économies d'échelle. La baisse du taux de TEOM est largement due aux anticipations faites sur la réglementation, qui ont abouti à des choix pertinents, à la fois techniquement et écologiquement. Il n'y a pas eu d'effort frénétique à faire pour se mettre en règle, car les investissements avaient été faits auparavant sereinement.

M. le Rapporteur : Quelles sont vos relations avec la communauté d'agglomération de Montpellier ? D'autre part, vous avez évoqué l'attribution de compensation versée aux communes. Certaines communes vous ont rejoints récemment. Avez-vous connaissance des dispositifs dont elles bénéficiaient ?

M. le Président : Une précision supplémentaire sur ce point : vous nous avez dit tout à l'heure que l'attribution de compensation était légèrement supérieure aux recettes prélevées. Mais si vous restituez aux communes ce que vous prélevez sur elles, avec quoi assumez-vous vos compétences ?

M. Alain POULET : Nous sommes obligés de puiser dans la DGF pour compenser la différence, soit 300 000 euros. En fait, nous sommes confrontés au cas d'une commune dont les bases fiscales ont été amputées de manière importante par une entreprise d'envergure nationale qui a trouvé un système d'optimisation fiscale.

M. le Rapporteur : De quelle entreprise s'agit-il ?

M. Alain POULET : Il s'agit de Carrefour.

M. Pascal TERRASSE : Les pauvres, ils n'ont pas assez d'argent...

M. Alain POULET : En fait, on rembourse la taxe professionnelle sur la base de montants qui ne sont plus actuels, même si l'entreprise n'a pas modifié son implantation.

M. le Rapporteur : Quel est le système de dotation de la communauté d'agglomération ? Est-il différent du vôtre ? Est-il plus avantageux ? J'imagine que vous le savez, puisqu'il y a des communes qui en sont parties pour venir chez vous.

M. Alain POULET : Ces communes étaient dans le ressort du SIVOM du Pic-Saint-Loup et souhaitaient rester avec nous, mais elles ont été intégrées contre leur gré à la communauté d'agglomération, où elles ont fait un bref passage en 2002-2003. Je n'ai pas d'informations particulières sur les attributions de compensation. Nous avons repris ce qui était fait par la communauté d'agglomération, en respectant la réglementation.

M. Pascal BONNAUD : Le dispositif est très complexe, mais la réglementation, en cas de passage entre deux EPCI à fiscalité propre, nous oblige à reprendre la même attribution de compensation pratiquée dans la précédente intercommunalité.

M. le Président : Si une entreprise déménage, votre communauté perd de la taxe professionnelle, puisque vous êtes en TPU. J'ai du mal à comprendre pourquoi vous faites une compensation de solidarité et avec quels moyens vous fonctionnez. On peut se demander si on a affaire à une communauté faite uniquement pour avoir de la DGF, mais qui ne fait rien par elle-même et qui rend ses recettes aux communes ?

M. Pascal BONNAUD : Je me suis mal fait comprendre. Une précision très importante : à la différence de la communauté d'agglomération de Montpellier, la communauté de communes du Pic-Saint-Loup ne verse pas de dotation de solidarité communautaire (DSC), c'est-à-dire qu'il n'y a pas de retour vers les communes du fait de ressources propres à la communauté de communes. Chaque commune reçoit une attribution de compensation, égale au montant de taxe professionnelle que chaque commune percevait l'année précédant son entrée dans la communauté, conformément à la loi.

La preuve de la volonté d'intégration de la communauté de communes est justement qu'il n'y a pas de dotation de solidarité. C'est un gros effort demandé aux communes, car elles ne bénéficient pas de la croissance des bases de taxe professionnelle, par ailleurs modestes car nous ne sommes pas dans une région de grandes industries.

M. Pascal TERRASSE : Sur les 11 millions d'euros de dépenses de fonctionnement de l'EPCI, quelle est la part consacrée à l'enlèvement et à la gestion des ordures ménagères ?

M. Pascal BONNAUD : 3 millions d'euros, soit le produit de la TEOM.

M. Pascal TERRASSE : Donc le reste est lié à vos autres compétences, qui sont nombreuses. J'imagine toutefois, lorsque je constate qu'y figure le service de secours et de lutte contre l'incendie, qu'en fait vous ne servez que de boîte aux lettres aux collectivités départementales qui ont la compétence propre, car il ne peut y avoir de double compétence en la matière.

M. Pascal BONNAUD : En fait, pour cette compétence-là, il faut préciser l'intérêt communautaire, qui est l'organisation d'un schéma d'analyse du risque incendie. C'est pourquoi la communauté de communes s'est lancée, avec l'appui de la DDAF et de l'ONF, dans l'élaboration d'un plan de massif. Il ne s'agit en aucun cas de servir de boîte aux lettres pour les cotisations au SDIS.

M. Pascal TERRASSE : S'agissant de la TEOM, une réflexion est en cours au plan national, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, sur une réforme de cette taxe, ainsi que de la redevance, voire de la loi de 1992 sur les ordures ménagères. Chacun s'accorde aujourd'hui pour dire que le coût du traitement est appelé à croître du fait de la réglementation, et en particulier de la transposition des directives européennes. Pensez-vous qu'il soit efficace économiquement de gérer les ordures ménagères dans le cadre d'une communauté de 35 000 habitants, plutôt que dans une structure plus englobante, comme le département ?

M. Alain POULET : Ma réponse est conforme à ce que vous pensez. Il est impossible de gérer efficacement le problème dans le cadre d'une communauté de 35 000 habitants, et c'est d'ailleurs pourquoi notre communauté adhère à un syndicat mixte, « Entre Pic et Étang », qui regroupe neuf communautés de communes de l'Hérault et du Gard, soit 170 000 habitants. Au-dessous d'une centaine de milliers de tonnes, il est illusoire de vouloir travailler seul.

M. Pascal TERRASSE : Quel est le nombre de salariés de votre communauté de communes ? À combien s'élève la masse salariale ?

M. Alain POULET : Le nombre de salariés est compris entre 65 et 70, dont plus de 50 dans les services techniques, car nous travaillons en régie sur la collecte des déchets.

M. Pascal TERRASSE : Les salaires de ceux qui travaillent sur les déchets sont-ils payés par les 3 millions d'euros dont vous venez de parler, ou sont-ils intégrés à la masse salariale globale ? Il est clair qu'avec 3 millions d'euros, on ne paie pas 65 salariés !

M. Alain POULET : Je n'ai pas les chiffres ici. Je vous les ferai parvenir.

M. Pascal TERRASSE : J'ai une question que M. le Rapporteur aurait aimé poser. J'ai vu dans la liste des vice-présidents de votre communauté que certains avaient une affectation propre, et d'autres pas. J'imagine que les premiers ont droit à une indemnité, mais les autres ? D'autre part, les communes adhérentes ont-elles supprimé des adjoints à la culture, aux sports, et d'une façon plus générale dans les domaines de compétence de la communauté ?

M. le Président : De même, pourquoi le service de secours et de lutte contre l'incendie figure-t-il dans vos compétences ?

M. le Rapporteur : Et avez-vous vraiment besoin de 16 vice-présidents ?

M. Alain POULET : Nous avons 16 vice-présidents, plus le président, de sorte que chacune des 17 communes soient représentées au Bureau.

M. Pascal TERRASSE : Ce n'est pas obligatoire. Il y a, heureusement, des communautés qui n'ont que trois ou quatre vice-présidents.

M. Alain POULET : Si cela peut vous rassurer financièrement, les vice-présidents sans délégation reçoivent une indemnité des plus symboliques, de l'ordre d'une centaine d'euros.

M. Pascal TERRASSE : Par mois ou par an ?

M. Alain POULET : Par mois.

M. le Rapporteur : La question n'est pas centrale, mais il me semblait qu'il ne pouvait pas y avoir indemnité s'il n'y avait pas délégation ?

M. Pascal BONNAUD : Si. L'indemnité n'est cependant pas la même selon qu'il y a délégation ou non. Un vice-président peut en effet être amené à assurer certaines missions ponctuelles.

M. le Rapporteur : Est-ce bien légal ?

M. Pascal BONNAUD : Oui. Mais ce sont des montants symboliques, qui frisent la charité publique.

M. Pascal TERRASSE : Si je pose la question, c'est parce que nous essayons de comprendre les mécanismes qui peuvent expliquer l'évolution de la fiscalité locale. L'objectif que nous recherchons tous, quelle que soit notre sensibilité, c'est de faire des économies d'échelle. Les communes adhérentes ont-elles toujours des adjoints aux sports, alors que le sport est compétence communautaire ? La même question vaut aussi pour l'économie.

M. Pascal BONNAUD : En vertu de ses statuts, la communauté a une compétence en matière sportive et culturelle, mais la délibération sur l'intérêt communautaire doit en préciser la teneur. En l'espèce, il ne s'agit pas d'une compétence générale, mais d'une compétence très limitée : à l'école de rugby, au centre UCPA, ou à d'autres équipements existants ou à venir. Les communes n'en continuent pas moins à s'occuper de leurs équipes de football, de tennis de table ou autres. Les deux choses n'ont rien à voir. Pour l'économie aussi, il faut bien voir quels sont les statuts de la communauté et quel est l'intérêt communautaire. Il y a des opérations d'intérêt purement communal et des opérations d'intérêt communautaire, pour les seules zones d'activité supérieures à 3 hectares ou disposant d'un équipement intercommunal. La délégation d'un vice-président sur le sujet correspond strictement à cette compétence ainsi délimitée. Le fonctionnement d'une communauté de communes est extrêmement limitatif par rapport au fonctionnement communal.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vos 17 communes sont-elles à peu près de même taille, ou y a-t-il une commune-centre plus importante ?

M. Alain POULET : Il n'y a pas de commune centre. Les populations communales s'échelonnaient entre 120 et 7 500 habitants au recensement de 1999.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Appartenez-vous à un pays ?

M. Alain POULET : Nous essayons d'en constituer un, mais ce n'est pas très bien parti.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas une obligation...

M. Alain POULET : Mais il peut y avoir un intérêt !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Quel est votre sentiment sur la tendance naturelle au transfert des compétences ? Les citoyens ont une aspiration, quand il y a une communauté de communes, à s'adresser à elle quand on leur refuse une subvention ou la construction d'un stade. Si tout cela n'est pas bien géré, cela se traduira par une hausse de la fiscalité ou par une demande accrue de DGF en travaillant sur le coefficient d'intégration fiscale. Dans un cas, le contribuable local sera sollicité, dans l'autre ce sera le contribuable national. Vous nous dites que la fiscalité globale, communes et communauté confondues, est stable, mais n'y a-t-il pas un risque que cet équilibre dont vous vous prévalez soit détruit, et qu'apparaissent en même temps des conflits avec les communes les plus importantes, car pour que ce soit intéressant, il faut que des communes perdent leurs moyens et leur autonomie ? Enfin, y a-t-il eu beaucoup de personnels transférés des communes les plus importantes vers la communauté ? Je ne parle pas des petites bien sûr, car on ne peut pas couper en morceaux un secrétaire de mairie !

M. Alain POULET : Il est tout à fait vrai que les citoyens sont demandeurs de transferts de compétences, mais c'est beaucoup moins vrai pour les élus. Notre communauté de communes n'est pas boulimique en la matière. Elle a surtout des compétences d'origine, son optique n'étant pas de les multiplier.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Pensez-vous qu'on puisse résister ?

M. Alain POULET : Au moins un certain temps. La vocation d'une communauté de communes est de faire des équipements structurants, pas de petits équipements communaux.

S'agissant des transferts de personnels, ont été transférés à la communauté la quasi-totalité des personnels du SIVOM, à deux exceptions près, mais presque pas de personnels communaux : un seul cas sur vingt personnes.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : C'est-à-dire qu'on a augmenté de vingt l'effectif global ?

M. Alain POULET : Non, car l'effectif existait déjà au niveau du SIVOM, il était déjà intercommunal.

M. Richard MALLIÉ : Le SIVOM originel existe-t-il toujours ?

M. Alain POULET : À l'origine, le SIVOM comptait 17 communes. L'une d'elle était dans une situation tout à fait particulière, puisqu'elle faisait également partie du district de Montpellier, ancêtre de l'agglomération. C'est une bizarrerie de l'histoire. Les seize autres ont voulu créer la communauté du Pic-Saint-Loup, deux ont été intégrées de force dans la communauté d'agglomération de Montpellier et sont revenues par la suite, accompagnées d'une troisième qui n'avait plus de continuité territoriale avec sa communauté d'origine. Le SIVOM existe toujours, mais il n'emploie plus que deux personnes sur 50 ou 55, un ouvrier d'entretien et un conducteur de car. Il ne faut pas oublier que la communauté de communes n'a qu'un an et demi d'existence. L'objet est qu'il n'y ait plus, à brève échéance, qu'une seule structure intercommunale. Il faut nous laisser le temps de passer d'une structure à une autre.

M. Richard MALLIÉ : Les deux communes qui ont quitté la communauté d'agglomération de Montpellier touchaient une attribution de compensation - et continuent de toucher la même -, mais elles percevaient aussi la DSC, d'après ce qui nous a été dit par les représentants de la communauté d'agglomération. Or, si j'ai bien compris, comme vous n'arrivez pas à financer l'attribution de compensation par les recettes de TP à cause de cette entreprise qui ne paie plus et dont vous nous avez parlé, vous prenez sur la DGF et vous n'avez pas les moyens de donner de DSC. Quel est, dans ces conditions, l'avantage financier pour les communes qui vous ont rejoints ? J'avoue que je suis un peu surpris.

M. Alain POULET : C'est un avantage pour les contribuables, même si ce ne l'est pas pour les communes. Mais je ne suis pas sûr que les communes aient touché la DSC avant.

M. Richard MALLIÉ : C'est ce que nous a dit le Président de la communauté d'agglomération.

M. le Président : Il nous reste à vous remercier.

Audition de M. Francis IDRAC,
Préfet de la région Languedoc-Roussillon,
accompagné de M. Jacky COTTET, Directeur régional de l'équipement,
M. Jean-Paul AUBRUN, Directeur départemental des affaires sanitaires et sociales
et M. Christian NIQUE, Recteur de l'académie de Montpellier


(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 avril 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Francis Idrac, Jacky Cottet, Jean-Paul Aubrun, et Christian Nique sont introduits.

M. le Président : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue devant notre Commission d'enquête, chargée d'examiner l'évolution récente de la fiscalité locale, ses causes et ses conséquences, ainsi que les conditions d'une responsabilité mieux assumée des décideurs locaux et de l'État.

M. le Président rappelle à MM. Francis Idrac, Jacky Cottet, Jean-Paul Aubrun, et Christian Nique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Francis IDRAC : Ma présentation commencera par quelques éléments de cadrage indispensables pour comprendre la problématique de la fiscalité locale dans la région Languedoc-Roussillon, suivis d'aperçus sur la très grande diversité des politiques locales menées en la matière, pour se terminer par quelques indications sur les transferts de compétences, leurs compensations et leurs perspectives.

Parmi les éléments de cadrage, j'en relève deux principaux. Premièrement, cette région est la championne de France de la croissance démographique, avec un taux, d'après le dernier recensement, de 1,4 %, soit plus du double de la moyenne nationale qui est de 0,6 %, et plusieurs dixièmes de points au-dessus de la région voisine Midi-Pyrénées. Le dernier recensement, voilà deux ans, comptabilisait déjà 2 400 000 habitants ; nous sommes probablement aujourd'hui au-delà de 2 500 000 et nous attendons 300 000 habitants de plus dans les dix ans qui viennent, soit 30 000 habitants supplémentaires par an, plus de mille habitants par mois dans le seul département de l'Hérault. Précisons que cette formidable dynamique démographique est essentiellement due au solde migratoire.

Deuxième élément fondamental, la structure de l'économie de cette région, tertiarisée dans des proportions considérables : le secteur tertiaire représente les trois quarts de la richesse régionale. Mis à part un BTP très actif compte tenu de la dynamique démographique, il y a toujours eu fort peu d'industries en Languedoc-Roussillon. Ce tissu économique est pour l'essentiel constituée de PME : moins de 1 % des établissements de la région ont plus de cinquante salariés.

Cette situation et ce tissu très particuliers me paraissent expliquer deux phénomènes principaux, dont le premier, que j'ai coutume d'appeler le « paradoxe languedocien », veut que cette région soit sur tous les podiums, les bons et les mauvais, en même temps... Ainsi, la région Languedoc-Roussillon est championne de France en matière de chômage, avec un taux de 13,6 %, mais c'est aussi la seule où il baisse significativement, de quatre dixièmes de points sur les douze derniers mois. C'est également la région qui, avec Midi-Pyrénées, a le plus fort taux de création d'emplois nets : 9 600 emplois créés en 2004. Languedoc-Roussillon est également sur le podium pour les créations d'entreprises, mais le taux de survie des entreprises créées est parmi les plus bas de France. Cette situation paradoxale interdit une lecture classique de l'économie, ce à quoi il faut ajouter que notre produit intérieur brut est l'un des plus faibles de France.

Ce paradoxe languedocien me paraît expliquer en partie la situation des communes, des EPCI et des départements, particulièrement contrainte et tendue sur le plan financier. Le potentiel fiscal y est significativement inférieur à la moyenne nationale - 67 euros par habitants contre 77 -, la pression fiscale supérieure de 9 % et l'endettement largement au-dessus de la moyenne nationale. Le seul élément positif est la forte progression des bases de fiscalité ; encore celle-ci ne fait-elle finalement qu'accompagner l'impact de la croissance démographique, l'arrivée de tous ces nouveaux habitants se traduisant évidemment par une très forte demande de prestations de service public et d'équipements collectifs. Autrement dit, la situation des collectivités territoriales reste très tendue malgré la progression des bases.

Face à ce phénomène général, j'observe une très grande diversité dans les politiques fiscales conduites par les collectivités territoriales et, à l'inverse, une très grande continuité dans les concours de l'État.

Ainsi, alors que la ville de Montpellier n'a pas accru sa fiscalité depuis trois ans, le conseil régional a augmenté sa taxe professionnelle et le foncier non bâti de 80 %, après plusieurs années de stabilisation, voire de baisse sous la présidence de M. Jacques Blanc. Ainsi, des collectivités peuvent avoir un comportement très différent alors même qu'elles sont dirigées par le même homme, une autre en change radicalement sitôt qu'elle n'est plus dirigée par le même ; entre ces deux extrêmes, on retrouve des configurations plus classiques - agglomération de Montpellier, conseil général de l'Hérault - avec des augmentations mesurées de la fiscalité locale, ce qui est somme toute rassurant et tend à montrer que les élus ont les moyens de conduire les politiques qu'ils entendent et de définir le profil de progression fiscale qu'ils souhaitent.

Parallèlement, les concours de l'État restent en progression limitée mais constante : la DGF a crû entre 2004 et 2005 de 3,9 % pour la région, passant de 191 à 199 millions d'euros, de 3,7 % pour le département en tenant compte de la taxe sur les conventions d'assurance - de 161 à 167 millions d'euros -, de 9 % pour l'agglomération - de 59 à 65 millions d'euros -, et de 1,4 % pour la ville de Montpellier - de 55 à 55,8 millions d'euros. Si l'on prend la totalité des communes et des EPCI, la progression de 2003 à 2004 est forte pour la DGF, passée de 201 à 281 millions d'euros. Le total des fonds de concours de l'État à destination des mêmes sera quant à lui passé de 393 à 409 millions d'euros, suivant une courbe relativement régulière, en progression limitée mais constante.

Dès lors, comment interpréter l'impact des transferts de compétences, souvent avancé ici ou là pour expliquer les hausses de fiscalité de certaines collectivités ? Les principes en la matière sont particulièrement bien connus des parlementaires que vous êtes : les transferts de compétences feront l'objet d'une compensation financière intégrale, concomitante - autrement dit, avec régularisation en fin de parcours - et contrôlée par une commission qui vient de commencer ses travaux.

Le transfert de compétences à l'heure actuelle le plus significatif est celui du RMI aux conseils généraux. Ainsi, le conseil général de l'Hérault a reçu en 2004 une dotation de 128,5 millions d'euros pour une dépense qui s'établit finalement à 134,6 millions d'euros compte tenu d'une légère progression du nombre de RMIstes, soit une régularisation à venir de 6 millions d'euros - ce qui, comparé au budget du département ou encore à la progression de la DGF, elle-même de 6 millions d'euros, relativise quelque peu l'impact supposé des transferts de compétences sur la fiscalité. Les autres transferts d'ores et déjà opérés sont loin d'atteindre cet ordre de grandeur et ne sauraient expliquer les hausses les plus marquées de la fiscalité locale. Certes, celui des TOS est devant nous, mais il n'a pas encore eu d'impact sur les budgets des collectivités - et lorsqu'il produira cet impact, ce sera en recettes et en dépenses. Il en est de même pour les routes, dont le Gouvernement n'a encore arrêté ni la liste définitive ni celle des personnels qui iront avec. Le transfert de ces nouvelles compétences fera l'objet d'un transfert de ressources à l'euro près.

Au-delà de l'impact de la décentralisation, dont chacun a bien compris qu'il ne pouvait pas se vérifier dans les chiffres d'aujourd'hui, ni dans ceux d'hier, et qu'il ne pouvait être présenté que comme une perspective des budgets à venir, assorti des réserves que j'ai mentionnées, c'est surtout le thème du « désengagement de l'État » qui est avancé de façon récurrente.

Le terme même de « désengagement de l'État » est sujet à nombre d'abus de langage, à commencer par des abus de langage juridique : parler de « désengagement » laisse à entendre qu'un engagement n'aurait pas été respecté. Certes, la mise en œuvre de certains engagements prend plus de temps que prévu : c'est le cas d'une partie du contrat de plan État-région où, dans le domaine routier notamment, nous sommes en retard sur le taux nominal d'exécution. Mais cela a toujours été le cas pour tous les contrats de plan État-régions.

Il y a des abus de langage plus flagrants : ainsi, le Président de la communauté d'agglomération de Montpellier présente souvent le financement de la deuxième ligne de tramway comme un cas de désengagement de l'État, alors même que j'ai rappelé à cet agrégé de droit que l'on ne saurait confondre un acte de prise en considération, qui rappelait le taux maximum possible d'intervention, et une décision attributive de subvention, laquelle s'inscrit dans une fourchette allant de zéro à ce taux plafond.

Il est enfin des domaines où le désengagement de l'État est parfaitement contredit par la réalité des chiffres, particulièrement dans tous ceux liés à la cohésion sociale, où les dépenses de l'État se sont élevées à des sommets auparavant jamais atteints. Ainsi, en matière de logement social, nous avons financé en 2004 quelque 4 000 PLU, PLAI et PLS, contre 2 300 en 2003. De la même façon, la création de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, si elle ne s'est traduite en 2004 que par quelques subventions d'urgence, devrait mobiliser dans les mois qui viennent plus de 200 millions d'euros au bénéfice des collectivités territoriales qui font agréer leurs projets de restructuration urbaine.

Bref, le thème du désengagement de l'État me paraît devoir être pondéré au vu des nombreux cas où l'État va au-delà de ses précédents engagements, même si, je le reconnais volontiers, nous connaissons un certain retard dans l'exécution du contrat de plan, en raison des contraintes budgétaires et des mesures de régulation que vous connaissez bien.

M. le Rapporteur : Il est vrai que l'effort de l'État sur le territoire régional ne s'apprécie pas uniquement en additionnant les divers engagements de l'État au profit de chacune des collectivités territoriales ; il peut prendre d'autres formes. Avez-vous des tableaux de synthèse comparant l'effort global de l'État sur le territoire languedocien d'une année sur l'autre ?

M. Francis IDRAC : Je me livre tous les ans à un exercice peu aisé, qui consiste à donner une vision globale des interventions de l'État, hors dépenses de personnel, sur le territoire de la région et sur celui du département de l'Hérault. Ces indications sont consignées dans le rapport d'activité des services de l'État, dont la version 2003 est disponible et accessible sur Internet ; le rapport 2004 sera produit en juin.

Exercice difficile, ai-je dit, dans la mesure où je ne peux pas me contenter des chiffres fournis par la trésorerie générale, qui se décomposent en trois grands « paquets » : les dépenses de personnel, les retraites et le reste. C'est précisément ce reste qui m'intéresse le plus, c'est-à-dire les interventions de l'État, en fonctionnement comme en investissement. Or - et c'est toute la difficulté de l'exercice -, je tiens à y faire également figurer les dépenses de l'État qui ne transitent ni par la trésorerie générale, ni par la préfecture, et qui peuvent représenter des montants considérables : ainsi les financements qui sont originellement de l'État, mais qui transitent par le CNASEA et peuvent concerner des aides aussi bien au logement qu'à la personne, les CES, CEC et emplois jeunes, des aides à l'agriculture et à la viticulture, autant de « tuyaux » non maîtrisés par la trésorerie générale et qui n'en doivent pas moins figurer, à mon avis, dans l'effort de l'État. S'agissant des chiffres 2004, je pourrai vous les communiquer en avant-première.

M. le Rapporteur : M. Jean-Marie Bertrand, Directeur général de RFF, nous a affirmé voilà quelques jours que le montant prévu - et signé - dans l'actuelle génération de contrats de plan est neuf fois supérieur aux montants retenus dans la génération précédente, allant même jusqu'à s'interroger sur le bien-fondé et la vraisemblance de ce dimensionnement. Quelle est votre appréciation sur ce sujet ? Les retards à l'exécution des contrats de plan relèvent-ils du constat habituel ou prennent-ils une dimension particulière dans cette région, en apparaissant comme la conséquence d'une volonté délibérée d'affichage ? Autrement dit, n'a-t-on pas signé plus qu'on ne pouvait tenir ?

M. Francis IDRAC : Ce n'est assurément pas le cas pour le ferroviaire dans cette région, dans la mesure où les investissements prévus sont très limités et du reste en cours de réalisation. Dans le domaine routier en revanche, les investissements prévus ont connu la dérive de la hausse des coûts, classique mais conséquente, conjuguée au retard pris par l'État dans la mise à disposition des crédits budgétaires correspondants aux opérations prêtes à être réalisées. Mais globalement, le retard du CPER dans cette région n'est pas lié à une difficulté de portage des projets, à aucun stade de leur maturation : études, déclarations d'utilité publique, fouilles archéologiques, etc. La réflexion du Directeur général de RFF me paraît très marquée par le cas particulier, mais pesant, de la région Île-de-France, où les projets d'infrastructures, particulièrement ferroviaires, mettent souvent beaucoup de temps à arriver à maturité et, de ce fait, à être financés.

M. le Rapporteur : Nous avons entendu développer ce matin, et encore cet après-midi lors de l'audition du conseil général de l'Hérault, l'approche dite de l'« impôt d'inquiétude », liée aux imprécisions qui demeurent dans le chiffrage de l'impact des transferts de compétences, par exemple des TOS ou des routes. On peut évidemment regretter cette tentation de l'anticipation, quoique le vice-président du conseil général nous ait assuré qu'il attendrait le moment venu avant de prendre une décision. Quel est votre sentiment sur les conditions d'évaluation de ces transferts de charges ? Vous paraissent-ils précisément évalués ? Les choses vont-elles trop lentement ? Peut-on dire que les collectivités territoriales sont maintenues dans trop d'incertitude ?

M. Francis IDRAC : L'acte II de la décentralisation voit se répéter un phénomène connu à l'occasion de l'acte I : l'État transfère, en même temps que certaines compétences, les ressources que lui-même y consacrait durant les années précédentes, mais les collectivités qui les prennent en charge y affectent des moyens financiers souvent sans commune mesure pour répondre, en même temps qu'aux besoins, à une pression peut-être plus directe de leurs électeurs... De même que les équipements scolaires ont coûté aux collectivités beaucoup plus cher que ce qui avait été envisagé au moment de la décentralisation, je comprends que le même phénomène puisse se répéter avec les routes, par exemple. Aussi certaines collectivités brandissent-elles des chiffres invérifiables sur ce que leur coûtera le transfert d'une partie du réseau routier national dans la voirie départementale.

M. le Rapporteur : Mais elles affirment que ces chiffres sont d'autant plus invérifiables que l'État n'apporte lui-même aucun élément vérifiable...

M. Francis IDRAC : L'État est parfaitement capable de présenter le montant précis des dépenses qu'il a affectées à ce réseau routier dans les trois ou cinq années précédentes. Libre aux collectivités territoriales de trouver que c'est trop peu et que cela ne correspond pas à ce qu'elles feront sur ce même réseau routier lorsqu'elles l'auront en charge.

M. Pascal TERRASSE : Hors contrat de plan ?

M. Francis IDRAC : Oui, hors contrat de plan, dans le cadre de la décentralisation.

Les TOS également ont fait l'objet d'un comptage extrêmement précis. Hormis dans quelques situations mixtes très complexes, où il était très difficile de savoir ce qui ressortait à la compétence de la région, du département et de l'État, une estimation précise a pu être arrêtée et concertée avec les collectivités ; si celles-ci n'ont pas voulu signer les conventions, elles n'ont pas particulièrement contesté les chiffres établis par les services compétents.

M. le Rapporteur : M. le Recteur pourrait-il nous détailler ces chiffrages ?

M. Christian NIQUE : Le transfert des TOS recouvre en fait trois opérations successives : d'abord le transfert des missions, ensuite le transfert des services, et enfin seulement celui des personnels, lequel ne sera réalisé au mieux qu'au début de l'année prochaine. Il n'y a donc pour l'instant aucune conséquence pour les collectivités territoriales : l'État continue de rémunérer les personnels TOS. Le transfert des missions a été effectué au 1er janvier 2005 et les collectivités territoriales qui en sont aujourd'hui responsables transfèrent, en principe, les consignes de gestion des établissements scolaires au chef de service que je suis et aux inspecteurs d'académie. Le transfert des services s'effectue quant à lui en deux étapes : si les collectivités n'acceptent pas nos propositions de conventions - ce que n'ont fait ni la région, ni le département -, une commission de conciliation nationale examinera la situation puis des arrêtés interministériels transféreront les services.

M. le Rapporteur : Peut-on dire, comme on l'entend communément chez les départements ou les régions, que l'on ne sait pas où on va ?

M. Christian NIQUE : Pour ce qui concerne en tout cas l'Hérault et la région, les chiffres sont parfaitement précis et ne soulèvent aucune contestation. L'opposition est essentiellement de principe contre ce transfert, l'argument le plus souvent utilisé portant sur les CES et plus généralement les emplois aidés. Or jamais les CEC ou les CES n'ont eu vocation à remplir les fonctions dévolues aux TOS ; s'ils ont été mis dans les établissements scolaires, c'était dans le but d'y réaliser pour eux-mêmes une action d'insertion, passant par une mise au travail. Les CES et les CEC ont effectivement travaillé dans les établissements scolaires, mais jamais le nombre d'emplois TOS n'y a été diminué pour autant ; au contraire, nous les avons augmentés de plusieurs dizaines depuis deux ans dans la région.

M. le Président : Autrement dit, les collèges et les lycées peuvent fonctionner sans les contrats emploi-solidarité ?

M. Christian NIQUE : Les établissements scolaires fonctionnaient avant que les CES n'existent, avec le même nombre de TOS et même parfois moins qu'actuellement, mais ils ont pris des habitudes et, au-delà, engagé des actions nouvelles en profitant de ces nouveaux personnels mis à leur disposition.

M. le Président : Qui paiera les TOS en 2006 ?

M. Christian NIQUE : Tout dépendra de l'état d'avancement du plan en trois phases que j'évoquais. Si les arrêtés interministériels de transfert des services sont signés avant 2006, je transférerai les personnels par des arrêtés individuels d'ici au 1er janvier 2006, et ce seront alors les collectivités territoriales qui les paieront.

M. le Président : Seront-ils détachés ou mis à disposition ?

M. Christian NIQUE : Ils sont actuellement mis à disposition ; ils seront détachés à partir de 2006, mais en ayant le choix entre rester fonctionnaires de l'État mis à disposition de la collectivité ou devenir fonctionnaires de la collectivité. Seuls ces derniers seront formellement transférés ; les autres, tout en étant payés par la collectivité, resteront virtuellement fonctionnaires de l'État. Ils auront deux ans pour se décider.

M. le Président : Les crédits qui permettaient de payer les TOS suffiront-ils pour financer les salaires et les charges sociales ?

M. Christian NIQUE : Je n'ai pas compétence pour répondre sur ce sujet dans la mesure où la décision sera prise au niveau national, mais c'est le principe de l'opération.

M. le Rapporteur : Nous avons eu un dialogue avec le président du conseil régional, puis avec le vice-président du conseil général, sur la question des temps de travail, et j'ai découvert que le temps de travail des TOS en établissement n'était en réalité plus de 1 600 heures.

M. Christian NIQUE : À ma connaissance, il est bien de 1 600 heures.

M. le Rapporteur : À ma question de savoir si le système indemnitaire était plus avantageux que celui du temps de travail réel, le directeur général des services de la région a répondu qu'il y avait effectivement là un point de négociation, sans pouvoir en préjuger. Inversement, le vice-président du conseil régional ne m'a pas semblé relever l'intérêt de ma question.

M. Christian NIQUE : Je n'ai jamais été sollicité par les services de la région là-dessus et je ne crois pas qu'il y ait eu de modification du temps de travail des TOS, sinon pour ce qui touche au lundi de Pentecôte...

M. le Président : Quelle année prenez-vous comme référence pour calculer le nombre de TOS transférés ?

M. Christian NIQUE : Ont été retenus le 31 décembre 2004 dans la convention provisoire que nous avons proposée aux collectivités et le 31 décembre 2002 pour la convention définitive. Mais c'est la situation la plus favorable qui sera, au final, prise en compte.

M. Jean-Pierre SOISSON : Vous n'avez pas été approchés par les services de la région et du département ?

M. Christian NIQUE : Pas sur le sujet particulier du temps de travail. Mais pour le reste, nous nous sommes fréquemment rencontrés.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Nous avons entendu dire, lors d'une précédente audition, que les TOS transférés coûteraient, à compétences égales, plus cher pour deux raisons : les cotisations à payer à la CNRACL et un régime indemnitaire plus favorable, à tel point, du reste, que l'on peut se demander pourquoi les intéressés refuseraient d'être transférés aux collectivités territoriales. Cette question a-t-elle déjà été évoquée ?

M. le Président : Ce à quoi il faut ajouter la différence entre les taux de cotisations sociales payées par l'État et les collectivités territoriales : 15 % pour l'un, 45 % pour les autres...

M. Christian NIQUE : Sur les cotisations, je n'ai pas de réponse. Pour ce qui est des indemnités, il appartient aux collectivités territoriales de fixer celles de leurs fonctionnaires : ou bien elles les aligneront sur celles de leurs actuels techniciens ouvriers, ou bien elles conserveront le taux servi par l'éducation nationale. Mais ce sera leur choix et nous n'avons pas à le commenter.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous assurer que le temps de travail des TOS dans votre ressort est d'au moins 1 600 heures ?

M. Christian NIQUE : Votre question me trouble... Quoi qu'il en soit, ma référence à moi est bien de 1 600 heures.

M. le Président : Pourrions-nous avoir le statut actuel des TOS et celui qui devrait être déterminé par les collectivités territoriales ?

M. Christian NIQUE : Pour l'instant, il n'y a qu'un statut national, le même dans toutes les régions et tous les départements.

M. le Président : Mais il semblerait que le temps de travail prête à interrogation...

M. Christian NIQUE : Je ne suis pas persuadé que le nombre d'heures de travail soit mentionné dans le statut des TOS, mais dans le statut général de la fonction publique.

M. le Rapporteur : J'avais en tête une information venant du ministère de l'Intérieur, selon laquelle une approche particulière du temps de vacances induisait de fait un temps de travail inférieur à 1 600 heures. Or il semble que cela surprenne tout le monde...

M. Pascal TERRASSE : Les TOS travaillent pendant les vacances scolaires...

M. le Rapporteur : Pas totalement !

M. Pascal TERRASSE :... y compris en juillet.

M. le Président : Je n'en suis pas si sûr.

M. Pascal TERRASSE : J'ai eu suffisamment l'occasion d'examiner ces problèmes lorsque j'étais chef de cabinet au secrétariat d'État à l'enseignement technique.

M. le Rapporteur : Il me semble que cela ait changé depuis...

M. Pascal TERRASSE : Non, ils sont sur leur poste de travail. Quant à savoir ce qu'ils font, c'est un autre débat.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Autrement dit, on n'est pas sûr qu'ils travaillent !

M. le Président : Il serait bon en tout cas d'avoir là-dessus une réponse précise du représentant de l'État.

M. Christian NIQUE : Sauf erreur de ma part, leur temps de travail est de 1 607 heures, mais ils s'organisent sur l'année scolaire en fonction des besoins des établissements qui, du fait des temps de vacances assez longs, sont très spécifiques.

M. le Président : Il faut que le rectorat nous dise si l'on nous transfère aussi leurs services supports.

M. Christian NIQUE : La réponse est oui. Nous vous transférerons les services supports.

M. le Rapporteur : Sur le transfert des routes, maintenant ?...

M. Jacky COTTET : S'agissant des routes, les effectifs transférés au département seront compensés à l'euro près. Le principe de calcul a été défini par la loi, reste à en préciser les modalités, qui font actuellement l'objet de négociations entre le ministère et l'ADF. Comme dans d'autres départements, le débat, assez fort, se poursuit ici sur les effectifs, et particulièrement sur le transfert non seulement des équipes d'exploitation des routes, mais aussi des équipes qui travaillent à l'ingénierie, aux projets routiers, aux études et à leur réalisation, et des services supports, secrétariats et autres. Sur toutes ces questions, le ministre a donné satisfaction aux conseils généraux ; il faut encore définir précisément les modalités de calcul, département par département.

Le département de l'Hérault a pris une certaine avance puisque, en application de l'article 7,305 agents de la DDE travaillent d'ores et déjà dans des agences départementales, sous l'autorité fonctionnelle du conseil général. Ils seront transférés dès cette année, sitôt que seront sortis les textes statutaires. L'an prochain, il nous restera à transférer un effectif sensiblement moindre, en même temps que 380 kilomètres de routes. Ces questions de personnels ne soulèvent plus grand débat dans l'Hérault, dans la mesure où l'essentiel est déjà fait, le département ayant demandé l'application de l'article 7.

La répartition des crédits a été fixée par la loi : s'agissant des crédits de fonctionnement, autrement dit l'entretien courant, les patrouilles, la sécurité routière, etc., la moyenne retenue est celle des trois dernières années. Pour le gros entretien des routes, a finalement été choisie la moyenne des cinq dernières années, mais recalculée au niveau national afin d'éviter les distorsions entre départements et les effets d'aubaine. Les routes sont classées en cinq catégories, avec des normes spécifiques et un montant précis pour chacune. Nous devrions aboutir à un bon équilibre, d'autant que les crédits d'entretien, loin de connaître des gels, ont progressé au cours des dernières années.

M. le Président : Mais pour les crédits d'investissement ? Se calera-t-on sur les cinq années précédentes ?

M. Jacky COTTET : Une légère incompréhension subsiste sur ce point entre l'ADF et le ministère. La règle retenue est celle du décroisement.

M. le Président : Le décroisement vaut pour les investissements inscrits en contrat de plan. Mais en dehors ou à l'expiration du contrat de plan, l'État ne donnera plus de crédits d'investissement ?

M. Jacky COTTET : Les départements bénéficieront d'un retour de TVA de 15 %, ce qui n'était pas possible avec les fonds de concours.

M. le Président : Vous parlez des contrats de plan. Or, les 300 kilomètres de routes que vous transférez ne sont pas tous dans les CPER...

M. Jacky COTTET : Certes, mais le département paie actuellement pour des routes nationales qui, demain, seront du ressort exclusif de l'État.

M. le Président : Mais pour celles dont je parle, il n'y aura pas de crédits d'investissement.

M. Jacky COTTET : Il y en aura sur certaines. Et surtout, le conseil général, qui participe aujourd'hui à des opérations sur des routes nationales qui resteront du domaine de l'État, n'y participera plus demain. Par exemple, le conseil général ne sera plus appelé à cofinancer des opérations telles que la construction de l'A 750 ou de certaines déviations de Montpellier, dont l'État sera seul maître d'ouvrage demain. C'est cela qu'on appelle le décroisement, et qui représente dans ce département l'équivalent de 4 à 5 millions d'euros de fonds de concours que le conseil général apportait jusqu'alors au titre de sa participation au contrat de plan, et qu'il pourra désormais investir, s'il le souhaite, sur les routes nationales placées sous sa compétence. Ajoutons que l'ensemble des travaux sera éligible au remboursement de la TVA, ce qui n'est pas négligeable. Au total, l'État ne sera pas bénéficiaire dans cette opération, loin de là, mais cela aura un coût pour lui, comme pourra vous le dire le directeur des routes ; il est nécessaire de rassurer certains départements car les chiffres sont encore attendus.

M. le Rapporteur : On nous a assurés à plusieurs reprises que cela rapporterait plus d'argent aux départements, mais sans convaincre personne...

M. le Président : L'État donnera certes davantage que ce qu'il apporte maintenant, pendant tout le temps que durera le contrat de plan. Mais continuera-t-il ainsi une fois celui-ci terminé ? Je n'ai entendu aucun engagement de ce genre.

M. Jacky COTTET : Il est établi que le conseil général n'apportera plus de fonds de concours à l'État pour ses routes nationales.

M. le Président : Évidemment, puisqu'il les financera lui-même !

M. Jacky COTTET : Mais sur le réseau national, il fera « l'économie » des fonds de concours - 22,5 % en moyenne du coût des opérations routières - qu'il apportait jusqu'à maintenant.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Bon nombre d'opérations sur des routes nationales appelant des investissements lourds - des déviations par exemple - ont été inscrites aux contrats de plan. Ceux-ci ayant pris du retard, une part des investissements prévus se retrouvera dans le futur contrat de plan. Or, si les routes en question sont transférées, l'État n'y contribuera plus... Et le département ne fait aucune économie, car s'il se retrouve avec les 20 % qu'il finançait, il lui faudra bien financer les 80 % restant.

M. Jacky COTTET : Dans le futur contrat de plan, il ne lui sera plus demandé de fonds de concours pour financer l'A 750, dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par l'État.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Mais si le contrat de plan a pris du retard sur les routes nationales afin de privilégier les autoroutes, il ne restera plus que des nationales à financer, et ce sera exclusivement aux frais du département... Visiblement, une analyse approfondie, département par département, s'impose.

M. Jacky COTTET : Je suppose que le ministère réfléchit à la meilleure explication... Il faut ajouter que le système ne peut fonctionner, pour financer les investissements futurs, que pour autant que le conseil régional continue à participer aux opérations sur les routes transférées aux départements, comme il avait aidé l'État jusqu'à présent. Or c'est un des sujets d'inquiétude des conseils généraux.

M. le Président : Et vous attendez également que le conseil régional continue à participer aux investissements de l'État sur les routes qui lui resteront ? Ce n'est plus tout à fait du décroisement !

M. Jacky COTTET : La question de la poursuite de la participation du conseil régional, une fois les routes transférées aux conseils généraux, inquiète plus ces derniers que le principe du décroisement. Il y a donc un débat entre conseils généraux et conseils régionaux.

M. le Président : Et l'État souhaite que les régions continuent à participer aux opérations sur le réseau qu'il conserve ?

M. Jacky COTTET : Oui.

M. Pascal TERRASSE : Il ne faut pas rêver ! Je conçois qu'il est difficile pour des représentants de l'Administration de nous répondre, alors que nous n'avons pas encore auditionné leurs ministres de tutelle, ni leurs administrations centrales. Vous êtes dans l'expectative, et nous comprenons qu'il vous soit difficile d'apporter des réponses précises et techniques à nos questions. Vous venez de laisser entendre que les régions seront peut-être appelées à financer les routes nationales restant dans le réseau national ; c'est la première fois que je l'entends... Le conseiller technique en charge de ce dossier au ministère de l'Équipement ne m'avait pas, m'a-t-il semblé, tenu le même discours la semaine dernière. Nous lui en reparlerons...

M. le Préfet, pensez-vous que la fiscalité locale a une incidence sur l'évolution d'un territoire ?

M. Francis IDRAC : Bien sûr ! La fiscalité est incontestablement un outil de développement économique. Du reste, on a bien vu dans le passé, avant les lois d'intercommunalité, combien des politiques différentes en matière de taxe professionnelle pouvaient conduire à des distorsions parfois aberrantes et inciter à des implantations d'établissements fortement contributeurs sans rapport avec une logique urbaine. L'avènement des communautés à fiscalité intégrée, et notamment des communautés d'agglomération à taxe professionnelle unique, a de ce point de vue apporté un progrès très significatif.

M. Pascal TERRASSE : La croissance démographique de la région, avez-vous dit, n'est pas liée à un accroissement naturel, mais au solde migratoire. Comment celui-ci se répartit-il entre les départements ? Pensez-vous que la croissance démographique de certains territoires reste trop faible par comparaison avec celle des trois grandes agglomérations de la région que sont Montpellier, Perpignan et Nîmes ?

M. Francis IDRAC : Nous sommes très attentifs à cette question, à tel point que nous avons produit voilà dix-huit mois une étude prospective à quinze ans sur l'évolution démographique de la région. Les résultats du premier recensement « nouvelle méthode » montrent que nous sommes globalement au-dessus du scénario le plus dynamique qu'avait prévu l'INSEE.

Cette évolution se répartit en privilégiant à l'évidence l'espace littoral et le maillage urbain qui le ponctue, la région Languedoc-Roussillon ayant la chance de bénéficier d'un maillage de villes assez dense et structuré. Parallèlement, la problématique des « hauts cantons », autrement dit l'arrière-pays, évolue puisque l'on observe un rebond démographique dans les « hauts cantons » des départements littoraux et même en Lozère - l'A 75 n'y est pas étrangère. Mais la répartition spatiale du développement démographique est d'abord tournée vers la mer ; nous essayons du reste de contribuer à la maîtriser, ne serait-ce qu'au titre de la prévention du risque inondations.

M. Pascal TERRASSE : Une bonne part du « désengagement » de l'État tient aux retards pris dans l'exécution des contrats de plan, dont avez à juste titre rappelé qu'ils n'avaient rien d'une nouveauté. Reste que certains engagements appellent des réponses urgentes, particulièrement lorsqu'il s'agit d'hôpitaux locaux ou de routes à sécuriser. Pensez-vous que les collectivités territoriales puissent, le cas échéant, se substituer à l'État en attendant que celui-ci puisse trouver les financements nécessaires, dans des temps meilleurs ? Vous savez à quel point votre région est soumise aux aléas des pluies cévenoles comme des crues du Rhône. Faut-il à tout prix attendre que l'État dégage les financements nécessaires, alors que la sécurité des biens et des personnes est en jeu ? Les collectivités peuvent-elles intervenir en substitution, en attendant un hypothétique financement d'État ?

M. Francis IDRAC : S'agissant de la protection contre les inondations, le problème ne s'est pas tant posé au niveau de la mobilisation des crédits, au niveau du CPER comme des fonds européens, qu'à celui de la maturation de projets prêts à être financés. Il est toujours très difficile et très long de mettre au point des projets arbitrant valablement entre l'amont et l'aval, la rive gauche et la rive droite. La philosophie de la protection elle-même a évolué, dans la mesure où l'on s'est rendu compte que la technique des digues était finalement le système de protection le plus meurtrier et qu'il convenait d'adopter une approche différente de gestion dynamique des crues.

La protection contre les inondations appelle un effort considérable, que nous avons récemment chiffré à environ 700 millions d'euros. Mais c'est une problématique pour l'avenir ; les crédits disponibles, au niveau tant du CPER que des fonds européens, sont longtemps restés inemployés. Ainsi, la protection des basses plaines de l'Aude, à la suite des inondations de 1999, n'a toujours pas donné lieu à un projet faisant consensus.

D'une façon plus générale, on a déjà connu, dans d'autres régions, des cas où les collectivités ont voulu accélérer la réalisation de certains équipements, en portant elles-mêmes l'avance des fonds de concours attendus de l'État. La situation en Languedoc-Roussillon est un peu particulière dans la mesure où les collectivités y ont pratiqué le décroisement par anticipation : souvent, lorsque la région finançait, le département et l'agglomération n'y étaient pas et inversement... Ajoutons, à propos des routes, que si l'A 750 fait l'objet d'un financement dans le cadre du contrat de plan, l'A 75 est payée en totalité par l'État et représente un montant grosso modo égal à la somme des crédits routiers engagés au contrat de plan. Autrement dit, si l'État est en retard dans le CPER, il consent hors CPER un effort tout à fait considérable.

Si certains cas me paraissent justifier qu'une collectivité, estimant qu'il y a une réelle urgence, souhaite faire l'avance sur un financement à venir, de telles interventions doivent rester ponctuelles et ne pas obérer ses finances, ni celles de l'État.

M. Pascal TERRASSE : Vos services sont appelés, dans le cadre du plan Borloo, à se mobiliser en faveur des maisons pour l'emploi, en faisant appel à des financements des collectivités territoriales. Même s'il ne s'agit pas d'une obligation, les collectivités seront amenées à y participer, de même qu'elles seront appelées à financer les contrats d'avenir. Quelles lignes budgétaires pourront-elles, à votre avis, faire intervenir ?

M. Francis IDRAC : Non seulement les collectivités ne me semblent guère se soucier de savoir sur quelle ligne imputer cette dépense, mais elles manifestent un certain appétit pour ces dispositifs : les maisons pour l'emploi ont suscité un nombre de candidatures tout à fait respectable, dans cette région comme au niveau national, à tel point que le problème du ministre sera plutôt de sélectionner les candidats... Quant aux nouveaux dispositifs d'emplois aidés, ils devraient faire l'objet, tout comme les anciens, d'une prise en charge partielle par les collectivités territoriales. Mais si j'en juge par rapport à mes discussions avec le conseil général de l'Hérault, les collectivités semblent, dans ce domaine plus que dans d'autres, tout à fait disposées à accompagner la politique de l'État.

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Vous nous avez confirmé que le volet ferroviaire du CPER était, comparé à ceux d'autres régions, assez limité. Quel a été son taux d'exécution fin 2001, fin 2002 et fin 2003 ?

M. le Président : Les investissements prévus, avez-vous dit, sont limités. Pourquoi ? Mais quel est réellement l'état du réseau ? Est-il si bon qu'il ne justifie pas d'investissements ?

M. Francis IDRAC : Le contrat de plan actuel a été signé par le président du conseil régional précédent et le préfet de région précédent, sous un gouvernement précédent... Force est de constater que la part du ferroviaire y est assez limitée en termes d'engagements. Un certain nombre d'entre eux portaient sur les gares, et sont en cours d'exécution, même s'il m'a fallu personnellement m'assurer, l'automne dernier, que l'effort de l'État et de la région porterait simultanément sur la gare de Montpellier et sur celle de Perpignan... Pour la première, j'ai dû signer avec le nouveau président du conseil régional et, pour la seconde, reprendre le document signé par l'ancien - passons ! De plus, certains engagements inscrits dans le contrat de plan État-région relèvent soit du surbooking, soit du « sous-booking ». Ainsi la ligne Béziers-Neussargues fait-elle l'objet d'une inscription budgétaire qui ne correspond pas à grand-chose : totalement insuffisante si l'on vise à en faire une ligne de fret remontant vers Paris et totalement surabondante dans le cas de travaux d'entretien visant à assurer son niveau de prestations actuel.

En réalité, le grand sujet ferroviaire de la région figure en une phrase dans un document de plus de cent pages : c'est la perspective d'une ligne à grande vitesse entre Nîmes, Montpellier, Perpignan et l'Espagne. La rédaction, assez ambiguë, laisse à entendre que l'État en fera son affaire, alors qu'un dossier de ce genre appelle nécessairement des financements croisés provenant de l'État, des fonds européens, de RFF et des collectivités territoriales. Autrement dit, si j'ai qualifié le volet ferroviaire de « limité », c'est que l'enjeu essentiel ne figure pas dans le contrat de plan. À l'inverse, la partie routière est très détaillée.

M. le Président : Le temps nous étant compté, je remercie M. le Préfet et ses services de leurs réponses.

Audition de M. Guy PIOLÉ,
Président de la Chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon


(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 avril 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

M. le Président : M. le président, je vous souhaite la bienvenue devant notre Commission d'enquête, chargée d'examiner l'évolution récente de la fiscalité locale, ses causes et ses conséquences.

M. le Président rappelle à M. Guy Piolé que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, celui-ci prête serment.

M. le Président : Pouvez-vous au préalable nous préciser les domaines dans lesquels les contrôles actuellement menés par la Chambre régionale des comptes vous interdisent de nous répondre, sous peine de compromettre le travail en cours ?

M. Guy PIOLÉ : Il me faut effectivement formuler quelques rappels préalables, tout en me réjouissant d'avoir été invité à éclairer votre Commission d'enquête.

La Chambre régionale des comptes étant une juridiction collégiale, on comprendra que ma capacité d'expression ne soit pas absolue. Pour commencer, le fait de m'exprimer sur des contrôles en cours pourrait effectivement compromettre leur bon déroulement, sinon leur issue, en faisant peser sur eux un soupçon d'a priori ou de parti pris, dans la mesure où un membre d'une juridiction collégiale ne peut s'exprimer qu'après que le collège a arrêté sa position définitive. Ensuite, tout comme mes collègues magistrats, je suis tenu au secret professionnel, conformément à l'article L. 241-6 du code des juridictions financières, mais également au secret de l'instruction et au secret du délibéré que tous les magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes prêtent serment de défendre.

Vous comprendrez dès lors que ma capacité d'expression soit très limitée par le fait que les trois principales collectivités auxquelles vous vous intéressez, la région Languedoc-Roussillon, le département de l'Hérault et la communauté d'agglomération de Montpellier, sont en cours de contrôle. Rappelons pour mémoire que les chambres régionales des comptes ont deux missions essentielles de contrôle a posteriori : le contrôle des comptes du comptable public et l'examen de la gestion des ordonnateurs. Ces opérations sont en cours sur ces trois collectivités, ce qui m'interdit de m'exprimer sur leur contenu jusqu'à ce que la procédure soit menée à son terme.

M. le Président : Quand publierez-vous vos rapports ?

M. Guy PIOLÉ : Les investigations préalables à la contradiction devraient, pensons-nous, être terminées en 2005. Pour le reste, nous ne pouvons pas déterminer dans quels délais les destinataires de nos observations provisoires y répondront.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous apporter votre appréciation, au moins à dires d'expert, sur la nature et l'évolution de l'intercommunalité ? Un consultant, qui opérait sur la question des finances locales, nous a alertés sur l'évolution, assez inquiétante, de la situation financière de certaines structures intercommunales, appelant l'attention sur le cas de communautés de communes polarisées par de petites villes, dans lesquelles pourraient à court terme se produire des accidents analogues à ceux que nous avons connus naguère dans des communes comme Angoulême. Quelle appréciation portez-vous sur ces questions, qu'il s'agisse des pathologies que vous pourriez observer ou de la réalisation d'économies d'échelle rendues possibles par la mutualisation des coûts ?

M. Guy PIOLÉ : Mes éventuelles constatations ne pourraient qu'être issues des contrôles de la Chambre régionale des comptes... Je ne me crois pas en mesure d'apporter une valeur ajoutée « à dires d'expert » à partir de notre documentation. Ainsi que l'a rappelé le Premier président de la Cour des comptes lors de son installation, les juridictions financières sont des instances de contrôle et non d'études.

M. le Rapporteur : Mais sur le fondement des contrôles auxquels vous avez procédé ?

M. Guy PIOLÉ : Lorsqu'il est question de « pathologies », nous sommes dans le cadre procédural bien précis du contrôle budgétaire. Les préfets doivent nous saisir des budgets en déséquilibre ou en défaillance des collectivités territoriales en temps réel. Il s'agit dans ce cas d'une mission contemporaine et non plus rétrospective. Or, nous n'avons été saisis par les préfets d'aucun budget de commune, communauté de communes ou communauté d'agglomération en déséquilibre, en défaillance ou comportant une insincérité dans l'évaluation des risques. Autrement dit, nous n'avons pas en stock, dans notre pratique des dernières années, d'éléments de nature à préciser la menace dont vous faites état.

Pour ce qui est des contrôles que nous sommes en train de conduire, les juridictions financières, chambres et Cour des comptes, sont en train de mener ensemble une grande enquête sur l'intercommunalité à partir d'un échantillon de communautés d'agglomération et de communautés de communes défini au plan national. Elles devraient produire leurs conclusions d'ici à la fin de l'année 2005, peut-être dès l'automne. Je ne saurais en dire davantage tant que les procédures ne sont pas achevées.

M. Pascal TERRASSE : Les trois collectivités auditionnées aujourd'hui sont en cours de contrôle. S'agit-il d'un de vos contrôles périodiques habituels ? Ont-ils été demandés par les collectivités concernées, comme elles en ont la possibilité ? Ou bien avez-vous été saisis par l'autorité publique, en l'occurrence le préfet ?

M. Guy PIOLÉ : En premier lieu, nous n'avons pas été saisis par les autorités préfectorales, ce qui peut vouloir dire que les budgets en question ne posent pas de problèmes d'équilibre ou de défaillance, sauf dans le cas, très ponctuel, où il nous a été demandé de procéder à l'inscription de dépenses ou de crédits nécessaires au règlement de dépenses obligatoires. En second lieu, pour en revenir au contrôle a posteriori des trois entités concernées, il s'agit effectivement de contrôles périodiques : le dernier contrôle avait été produit en 2000 pour le département de l'Hérault, en 1999 pour la région et en 2000 pour le district, la communauté d'agglomération n'existant pas encore à cette époque. Ajoutons que notre participation à la grande enquête sur l'intercommunalité justifiait d'autant plus l'inscription du contrôle de la communauté d'agglomération dans notre programme.

M. le Rapporteur : À quelles inscriptions d'office avez-vous dû procéder ?

M. Guy PIOLÉ : De mémoire, sur les trois dernières années, nous n'avons rien inscrit pour le département de l'Hérault. Pour la région, nous avons eu trois dossiers : la participation de la région au budget d'un syndicat gestionnaire d'un parc naturel interrégional, le subventionnement d'une association intervenant dans le domaine de la formation et enfin le règlement d'une somme due à une société audiovisuelle, objet d'un litige entre la région et ladite société. Pour ce qui concerne la communauté d'agglomération, on a compté dix dossiers qui, pour l'essentiel, découlaient des modifications de son périmètre et des conséquences financières du départ de certaines communes membres : il fallait savoir précisément qui devait payer les emprunts et charges afférents à tel ou tel équipement qui, fugitivement, avaient fait partie du patrimoine de la communauté d'agglomération.

M. le Président : Pourrons-nous avoir connaissance des contrôles effectués dans le passé ? On nous a parlé ce matin d'un contrôle que vous auriez opéré sur une société d'économie mixte dans les années 1997-1998...

M. Guy PIOLÉ : Je peux vous fournir copie des documents produits à l'époque. La Chambre a effectivement compétence pour contrôler les comptes de SEM subventionnées ou contrôlées par des collectivités territoriales. Entre 1991 et 2001, plusieurs de ces organismes ont fait l'objet d'observations, dont je pourrai vous communiquer la liste.

M. le Rapporteur : Quel est le nom de l'association de formation qui a fait l'objet d'une inscription d'office ?

M. Guy PIOLÉ : LEF, Liaison Entreprises Formation.

M. Pascal TERRASSE : Nous en avons beaucoup parlé ce matin...

M. le Président : Pourrons-nous avoir le rapport ?

M. Guy PIOLÉ : Tout à fait. Ce sont des documents parfaitement communicables.

M. Pierre MOREL-À-L'HUISSIER : L'association LEF, dont je suis le président et qui accueille les demandeurs d'emploi sur l'ensemble du Languedoc-Roussillon, avait été victime d'un arrêt de financement par la région. D'où un conflit qui a pris fin voilà un mois, après un arrêt de la cour d'appel. Le président du conseil régional a mis en cause ce matin son prédécesseur et le préfet sur un problème d'insincérité ; il serait bon de rendre publique la réponse concrète que le préfet a apportée à cette demande de saisine.

M. le Président : Le président du conseil général nous a parlé également d'un contrôle sur le SDIS. Fait-il partie des vérifications en cours ou s'agit-il d'une opération antérieure ?

M. Guy PIOLÉ : Le SDIS de l'Hérault est l'objet de plusieurs affaires en cours. Nous avons produit en 2003 un rapport d'observation définitif sur ses comptes et sa gestion, document communicable ; mais nous avons également été saisis de plusieurs dossiers liés à des conflits entre le SDIS et des communes du département, le problème lancinant de la participation des communes au budget du SDIS faisant l'objet de litiges récurrents. Je pourrai vous communiquer ces documents.

M. le Président : M. le président, nous vous remercions, même si vous n'avez évidemment pu répondre à toutes nos questions. Nous ne manquerons pas de prendre connaissances de ces éléments au moment où paraîtra votre rapport.

2 «  Les modifications des services d'intérêt national, liées à la mise en service d'une infrastructure nouvelle ou consécutives à une opération de modernisation approuvée par l'État et qui rendent nécessaire une recomposition de l'offre des services régionaux de voyageurs, donnent lieu à une révision de la compensation versée par l'État au titre du transfert de compétences dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État. »

3 Raymond DUGRAND, Villes et campagnes en Bas-Languedoc. 1963.

4 Office national Industriel d'Azote, créé par la loi du 11 avril 1924, devenu en 1967 APC (Azote et produits chimiques), filiale de l'EMC (Entreprise minière et chimique), et AZF en 1984.

5 Georges Frêche, La France ligotée, Belfond, 1990.


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