Retour vers le dossier législatif

AUDITIONS (SUITE)

Audition de M. Alain PICHON,
Président de la 4ème chambre de la Cour des comptes,
et M. Jean-Philippe VACHIA,
Président de la Chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées


(Extrait du procès-verbal de la séance du 25 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Alain Pichon et Jean-Philippe Vachia sont introduits.

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons maintenant, dans le cadre d'une audition conjointe, M. Alain Pichon, Président de la 4ème chambre de la Cour des comptes, et M. Jean-Philippe Vachia, Président de la Chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées.

M. Jean-Philippe Vachia a été chargé, en liaison avec M. Alain Pichon, de coordonner une enquête sur l'intercommunalité et la mise en œuvre de la loi de 1999, conduite depuis plusieurs mois par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes. Outre son rôle de coordination, M. Jean-Philippe Vachia est chargé de préparer le rapport de synthèse qui devrait être rendu public à la fin de l'année.

La réflexion des juridictions est donc encore loin d'être stabilisée, et je me réjouis que MM. Alain Pichon et Jean-Philippe Vachia aient néanmoins fait prévaloir le rôle d'assistance du Parlement qui est celui de la Cour des comptes en venant s'exprimer devant nous. L'intercommunalité est en effet pour notre Commission d'enquête un sujet d'investigation important, sur lequel la synthèse est malaisée.

M. le Président rappelle à MM. Alain Pichon et Jean-Philippe Vachia que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Alain PICHON : C'est avec tout le respect dû à la Représentation nationale que je viens devant vous, en qualité de Président de la 4ème chambre de la Cour des comptes, compétente pour le ministère de l'Intérieur - je le précise parce qu'elle ne l'est pas, a contrario, pour le ministère des Finances, ce qui explique que notre approche soit une approche par la dépense plutôt que par la recette. Auparavant, j'ai été président de chambre régionale des comptes pendant onze ans, en Aquitaine d'abord, puis en Provence-Alpes-Côte-d'Azur, et je pourrai donc vous apporter ma contribution à ce titre.

Je dois préciser que la Cour des comptes en liaison avec les chambres régionales procède actuellement à une enquête globale interchambres sur le thème de l'intercommunalité, avec des contrôles portant sur un échantillon assez vaste. Nous avons pris contact à cette fin, au ministère de l'Intérieur, avec la Direction générale des collectivités locales, et, au ministère des Finances, avec la Direction générale de la comptabilité publique. Nous sommes encore en phase contradictoire, et attendons les réponses à nos relevés d'observations. La synthèse en sera faite au cours des semaines qui viennent, et c'est pourquoi, sans que nous soyons tenus par le secret de l'instruction proprement dit, nos propos seront nécessairement limités par le fait que nous n'avons pas épuisé cette phase contradictoire et que la Cour des comptes n'a pas arrêté le texte du rapport public particulier en chambre du conseil. Je suis néanmoins habilité - j'en ai parlé avec le Premier président - à livrer le fruit de mon expérience, à titre personnel, sans engager la Cour en tant que telle.

M. Jean-Philippe VACHIA : Nous avons estimé, dès la fin de l'année 2002, qu'il était indispensable d'enquêter sur les effets de la loi du 12 juillet 1999 relative à l'intercommunalité, dite « loi Chevènement », dans un cadre réunissant la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes. Les investigations ont été menées en 2003 et 2004, à la fois au niveau central et sur un échantillon plus que représentatif. Il s'agit en effet de la première enquête conduite par la totalité des chambres régionales des comptes de France, soit vingt-cinq juridictions, à l'exception des chambres territoriales d'outre-mer. L'échantillon est assez large : cinq communautés urbaines, plus de cinquante communautés d'agglomération, quelque quatre-vingts communautés de communes. L'enquête a porté également, pour chaque communauté considérée, sur les communes centres de ces communautés, sur les syndicats existants dans l'aire considérée, ainsi que sur une autre commune que la commune centre.

Nous nous sommes posé, en premier lieu, les questions suivantes. Ces communautés, exercent-elles réellement leurs compétences ou bien ne sont-elles que des communautés d'aubaine, visant uniquement à redistribuer des fonds ? L'efficacité de la gestion publique en a-t-elle été améliorée ? Le paysage territorial simplifié ? L'usager a-t-il pu constater une amélioration du service public ? Le contribuable s'y retrouve-t-il ? Ce sont des questions simples, mais qui appellent, bien sûr, des réponses nettement plus complexes.

Une première difficulté est qu'il n'y a pas seulement la « loi Chevènement » : il y a aussi la loi Pasqua, la loi Voynet, la loi SRU, la loi de 2002 sur la démocratie de proximité, la loi de 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, la loi de finances pour 2005, soit un « paquet » de textes divers, aux visées elles-mêmes diverses.

L'un de nos objectifs était, naturellement, de faire notre métier de base, c'est-à-dire vérifier la réalité et la régularité des transferts d'actifs et de passifs et, parallèlement, la réalité des transferts de compétences, avec un point essentiel : la définition de l'intérêt communautaire.

Notre deuxième objectif était de déterminer dans quelle mesure les responsables locaux se sont approprié le nouveau cadre financier et fiscal découlant de la TPU, point central de la « loi Chevènement ». C'est l'impôt de onze communautés urbaines sur quatorze, l'impôt unique des communautés d'agglomération, et désormais l'impôt d'un bon tiers des communautés de communes, les plus importantes en particulier. Or, il implique une redéfinition complète des grands équilibres, et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons fait une enquête aussi large. Nous ne pouvons plus nous borner à l'approche traditionnelle de la gestion financière des communes et de leurs groupements que nous avions auparavant, en raison des interdépendances.

Au final, quels sont les gains pour la collectivité - aussi bien humaine que territoriale - en termes d'économies, de nouveaux services, de productivité, de pression fiscale ? Il nous est difficile de répondre à ce stade, car les conclusions de notre rapport ne seront mises au point qu'à la fin de l'automne... Bien entendu, les juridictions financières n'ont pas de service statistique propre, et sont donc tributaires de la direction générale des collectivités locales et de la Direction générale de la comptabilité publique, mais ce que nous pouvons faire, c'est rapprocher ces données de ce que nous constatons localement, sur notre échantillon. Une autre limite tient au fait que les comptes disponibles, exploités, synthétisés au niveau national à l'heure actuelle sont ceux de 2003, étant donné que les collectivités sont seulement en train d'adopter leurs comptes administratifs pour 2004. Il est d'autant plus nécessaire de le souligner que nous avons le sentiment, à travers nos contrôles, que l'équilibre financier des collectivités s'est modifié en 2004-2005, ce qui rejoint les constatations faites par le ministère des finances et le ministère de l'intérieur à travers les statistiques de l'INSEE.

Je terminerai ce propos introductif par plusieurs observations générales.

Tout d'abord, lorsque nous parlons de la pression fiscale des intercommunalités, deux précisions méthodologiques doivent rester présentes à notre esprit. La première est qu'il faut considérer l'évolution cumulée des impôts communaux et communautaires, que l'on soit en TPU ou en fiscalité additionnelle. La seconde, et c'est une manière de critique que nous faisons aux données statistiques nationales, est qu'il faut, afin de mesurer le poids financier réel de l'intercommunalité, considérer tous les services publics, c'est-à-dire tous les budgets annexes, la fiscalité spécialisée et les financements affectés : la taxe - et accessoirement la redevance - d'enlèvement des ordures ménagères, la redevance d'assainissement, le prix de l'eau, le versement transport. Si l'on prend tout cela en compte, force est de constater une tendance générale, que l'on pouvait déjà percevoir en 2003 et qui devrait s'accentuer dans les années à venir, à l'accroissement de la pression fiscale globale sur le contribuable-usager.

En second lieu, nous avons le sentiment que les différents transferts ne sont pas achevés. Sur le papier, les intercommunalités ont toutes les compétences requises par leur statut, mais il est fréquent que l'intérêt communautaire ne soit pas défini, ou le soit insuffisamment, ce qui a un effet direct sur les transferts de charges, et donc d'actifs et de passifs. Dans les communautés à TPU, la recherche du consensus local a pu passer par l'adoption de stratégies qui n'étaient pas à l'avantage de la communauté, ce qui a eu pour effet de minimiser les charges qui lui étaient transférées. Ce phénomène peut avoir, à terme, des effets fâcheux.

S'agissant enfin de la question de savoir si l'intercommunalité a permis de réaliser des économies d'échelle, rien de patent ne ressort globalement. Nous avons naturellement des exemples de collectivités et communautés qui se sont efforcées de nous montrer qu'elles faisaient des économies, en réorganisant au niveau communautaire tel ou tel service. Mais globalement, on ne constate pas un mouvement général patent. Il convient toutefois de préciser que souvent, la constitution d'une communauté a été l'occasion de réorganiser et de redéfinir le fonctionnement de certains services publics locaux à une échelle communautaire. La plupart du temps, cela s'est traduit par un service amélioré, plus complet, plus étendu, ce qui a entraîné un recours accru à la fiscalité ou au financement spécialisé. C'est l'une des raisons de l'accroissement important de la TEOM. À cela s'ajoutent d'autres éléments explicatifs, étrangers à l'intercommunalité, comme la législation sur l'air, sur les déchets, etc., qui imposent aux collectivités des normes, des obligations et donc des coûts supplémentaires. Si l'on ne regarde que l'évolution de la TPU perçue par les communautés entre 2001 et 2003, la progression paraît certes modérée, mais si l'on tient compte de tous les éléments dont je viens de parler, la progression est nettement plus forte, et il nous semble qu'elle va se poursuivre en 2004-2005.

En conclusion, si la situation financière d'ensemble des intercommunalités n'inspire pas d'inquiétude, on peut néanmoins se demander ce qu'il en sera dans deux ou trois ans, une fois qu'elles auront achevé leur montée en charge et mis en œuvre leurs projets de développement.

M. Alain PICHON : Pour compléter cet exposé dont je partage le propos, nous avons l'impression que l'appareil d'État, face au développement de l'intercommunalité, « l'a jouée assez douce » au départ, et se trouve maintenant un peu désarmé devant le succès du mouvement. Échaudés peut-être par le relatif insuccès de la loi Joxe de 1992, les auteurs de la « loi Chevènement » ont « mis le paquet » pour que ça marche, notamment à coups d'incitations financières accompagnant la création de nouvelles intercommunalités. Peut-être aussi le moment était-il plus propice, la volonté de faire de l'intercommunalité un succès plus dans l'air du temps, mais le résultat en est que les accompagnements financiers conséquents ont été un facteur de succès, à tel point que l'État s'est vite trouvé dépassé sur le plan financier. Les crédits consacrés à la dotation d'intercommunalité ont explosé. Le ministère de l'Intérieur a dû faire face - avec, bien sûr, le concours du Parlement.

Je voudrais souligner également que les préfets avaient, par voies réglementaire et de circulaire, la possibilité d'inciter fortement les communes à se constituer en communautés, mais qu'en définitive, le succès du mouvement a été tel, de par la volonté des élus locaux eux-mêmes, qu'ils n'ont pas eu besoin de faire acte d'autorité, sauf dans quelques cas. Il y a eu parfois des dessins de périmètres difficiles ou surprenants pour tenir compte de certaines réalités locales, mais on ne peut pas dire que l'État ait dû faire preuve d'autorité : il a accompagné le mouvement, il l'a géré, mais il n'a pas eu à le diriger, voire à l'orienter.

Ce qui est plus préoccupant, et M. Jean-Philippe Vachia y a fait allusion, c'est la difficulté d'appréhender la situation financière et patrimoniale globale de la territorialité couverte par l'intercommunalité, faute de pouvoir retraiter - je n'ose même pas dire consolider, car cela suppose des principes comptables qui ne sont pas encore en application - les données. Il faut bien reconnaître que les statistiques de l'État ne sont pas encore opérationnelles, tant du point de vue des délais que de celui des logiciels de traitement des comptes. Je ne suis donc pas sûr qu'à terme, si « l'intercommunalité de projet » croissait et explosait au point d'entraîner une dégradation de la situation financière des collectivités concernées, les réseaux d'alerte que constituent les préfets et les TPG seraient suffisamment opérationnels pour détecter à temps les difficultés qui pourraient se présenter ! C'est un risque dont il faut être conscient, et l'appareil d'État devrait faire un effort d'adaptation pour mieux suivre et accompagner cette évolution.

M. le Rapporteur : Au début de nos auditions, nous avons entendu différents experts et consultants, parmi lesquels M. Michel Klopfer, qui nous a dit son inquiétude devant la situation financière de certaines intercommunalités, notamment des communautés de communes polarisées autour de petites villes. C'était selon lui un danger financier majeur. Nous n'avons pas pu beaucoup approfondir ce sujet avec lui, mais que vous inspire-t-il ?

M. Alain PICHON : J'espère que M. Michel Klopfer, que je connais bien, ne pèche pas par excès de pessimisme. Pour l'instant, on n'a pas constaté de séisme ni de drame, mais cela peut se produire. Quels sont les scénarios à risques ? Le cas, par exemple, d'une intercommunalité bâtie par regroupement de communes petites et moyennes, et où l'intercommunalité, notamment à TPU, a surtout fonctionné, les premières années, comme une sorte de « pompe » aspirante et refoulante, privilégiant l'aspect redistributif par rapport aux projets ou aux services intercommunaux. Cela peut s'expliquer par le fait qu'il faut se donner du temps pour monter des projets, pour faire émerger l'intérêt communautaire. Mais avec le passage en TPU et les effets d'aubaine qui l'accompagnent, on a souvent cherché à rassurer toutes les communes membres, en redistribuant au maximum, l'entité intercommunale conservant en fait très peu de moyens propres. Si des habitudes de ce type se prennent, le jour où il y aura un gros projet intercommunal à financer, soit le groupement se verra contraint de réduire la redistribution en faveur des communes pour garder plus d'argent au niveau intercommunal, soit il y aura un vrai risque de difficultés financières si la redistribution n'est pas ajustée à la baisse et qu'il faut néanmoins financer le projet.

M. le Rapporteur : Y a-t-il eu des cas qui ont pu amener M. Michel Klopfer à insister sur le risque couru par les intercommunalités polarisées autour de petites villes ?

M. Jean-Philippe VACHIA : Dans le cas, en effet, d'une communauté de communes bâtie autour d'une ville dominante qui ne joue pas totalement le jeu des transferts et qui récupère l'essentiel des reversements, nous partageons d'une certaine façon cette crainte, sous certaines conditions. Il est des cas où les charges transférées à la communauté ont été largement sous-estimées au départ, ce qui a conduit à surévaluer l'attribution de compensation reversée aux communes. La plupart du temps, la communauté reverse également aux communes une dotation de solidarité communautaire (DSC) qui s'avère n'être pas une dotation de péréquation mais un moyen de restituer les bases de TP, phénomène qui constitue au demeurant un sujet très important. En effet, on constate que la DSC obéit souvent, pour une part très majoritaire de son montant, à une logique de restitution des bases de TP et pour le reste à une vraie logique de péréquation. Le jour où une communauté qui effectue de tels reversements voudra lancer des projets d'équipement, elle ne pourra pas revenir sur les montants reversés.

Mise à part une certaine communauté urbaine dont vous comprendrez que je ne veuille pas la nommer, la minorité de cas où nous avons observé des tensions financières sont des communautés qui avaient véritablement commencé à lancer de grands investissements mais où la redistribution avait été trop généreuse au départ. Toutefois, il faut sans doute distinguer les communautés d'agglomération de certaines communautés de communes à qui l'on pourrait reprocher de n'être que des structures par trop ténues, des SIVOM rebaptisés communautés de communes, avec un intérêt communautaire très limité. J'ajoute que la libéralisation des fonds de concours par la loi du 13 août 2004 et le fait que, depuis l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2005, le numérateur du coefficient d'intégration fiscale (CIF) des groupements à TPU ne soit plus minoré que de l'attribution de compensation et de la moitié de la DSC, et non plus des reversements de fonds de concours, font que les collectivités ne sont plus désincitées à redistribuer.

Il y a tout un faisceau de critères qui peut aboutir à des difficultés financières, ce qui nous fait dire que la logique profonde de la TPU, même si elle n'apparaît pas dans la lettre de la loi de 1999, repose sur la définition d'une stratégie financière et fiscale coordonnée entre la communauté et les communes membres, sans quoi l'on risque d'aboutir à de graves désillusions. Il peut y avoir des pactes fiscaux, des pactes de redistribution, mais cela ne suffit pas : le pacte ne doit pas seulement porter sur le partage de la recette.

M. le Rapporteur : Mais il n'y a pas d'outils pour exprimer cette stratégie fiscale coordonnée ?

M. Jean-Philippe VACHIA : Non. Des communautés en ont une, mais ce n'est pas une obligation, c'est seulement une recommandation de bonne gestion, même si c'est absolument indispensable.

M. le Rapporteur : Où en est votre réflexion sur le service et sur l'impôt ? Le contribuable-usager s'y retrouve-t-il ?

M. Jean-Philippe VACHIA : Le sujet est très difficile. Nous avons recherché des exemples d'économies d'échelle, de services améliorés, de mutualisation. Nous avons trouvé des exemples de réussites en la matière. Mais il y a une limite, liée au fait que la réorganisation des services au plan communautaire se traduit la plupart du temps par une amélioration de ces derniers et donc par des hausses de fiscalité. Par exemple, les habitants des communes se situant à la périphérie des communes centres bénéficient le plus souvent d'une mutation qualitative et quantitative du service de ramassage des ordures ménagères mais, parallèlement, ils subissent une augmentation de la fiscalité spécialisée, qui ne s'accompagne pas forcément d'une diminution corrélative de la fiscalité généraliste. Au final, le service est meilleur mais le coût est plus élevé.

Y a-t-il des économies d'échelle ? En d'autres termes, peut-on obtenir autant avec moins de moyens, ou plus avec autant de moyens ? On a des exemples ponctuels mais les statistiques nationales permettent difficilement d'appréhender le phénomène globalement. S'agissant des personnels, on observe une augmentation globale des effectifs et des dépenses consolidées de personnel. On constate en effet qu'il y eu un transfert de personnels a minima des communes membres vers la communauté et un recrutement de nouveaux personnels par cette dernière, ce qui peut se justifier par le fait qu'elle a justement été créée pour faire ce que ne faisaient pas les communes séparément, mais cela a forcément un coût. Il existe des instruments vertueux, qui tendent à la mutualisation par le haut, par transfert de services aux communautés, réorganisation et remise à disposition de ceux-ci aux communes membres en tant que de besoin. Dans ce cas, il peut y avoir des gains de productivité. En revanche, passé un certain délai sans doute inévitable, si les dispositifs de mise à disposition des personnels de la commune centre au profit de la communauté se perpétuent, je ne vois pas comment on peut espérer aboutir à des gains de productivité au niveau de la communauté. Il y a des mutualisations plus ou moins bonnes. La bonne mutualisation est sans doute la mutualisation par le haut, c'est-à-dire fondée sur la mise à disposition par la communauté de services communautaires au profit des communes membres, mais elle ne peut produire ses effets que progressivement, après réorganisation des services.

M. le Rapporteur : Il y a là, par construction, des économies d'échelle, mais lorsque la mutualisation se fait dans l'autre sens ?

M. Jean-Philippe VACHIA : L'existence de systèmes de mise à disposition de services de la commune centre au profit de la communauté peut se justifier dans certains cas, surtout les premières années suivant la création de la structure intercommunale, pendant la période où les agents partagent leur temps entre la commune centre et le groupement. Cependant, à terme, perpétuer ce type d'organisation ne permet pas de réaliser de gains véritables au niveau de l'ensemble de l'agglomération. On reste dans un face-à-face entre la commune centre et la communauté : les autres communes membres ne bénéficient pas de retombées positives. Or, la création d'une intercommunalité peut être l'occasion de faire profiter toutes les communes membres d'un service de l'équipement ou des marchés, service unique qui réalisera d'abord les opérations propres de la communauté mais qui pourra aussi se mettre au service des communes membres. Si ces services restent ceux de la commune centre, on ne voit pas comment, à terme, l'existence d'une structure intercommunale peut entraîner des gains ou des avantages pour les autres communes membres.

M. le Rapporteur : Mais les autres communes peuvent en bénéficier, elles aussi ?

M. Jean-Philippe VACHIA : Oui, mais c'est plus compliqué. Il faut dans ce cas des conventions. En outre, les communes ne pourront faire autrement que de faire un appel à la concurrence auprès de la communauté, qui elle-même se retournera vers la commune centre pour lui demander de mettre un agent de ses services à disposition d'une autre commune. L'évolution vertueuse passe donc à notre avis par la mutualisation des services au niveau communautaire, étant entendu que certains services, notamment fonctionnels, peuvent continuer d'être partagés. Tout cela pour vous dire qu'actuellement, dans les faits, on ne constate pas beaucoup d'exemples patents d'économies, de gains etc. Mais cela ne signifie pas que toute dépense supplémentaire soit nécessairement un surcoût.

M. le Rapporteur : Comment appréciez-vous la configuration strasbourgeoise ?

M. Jean-Philippe VACHIA : Nous en avions parlé dans notre précédent rapport sur les communautés urbaines. C'est plutôt une bonne chose. Ils sont allés jusqu'au bout de la mutualisation. Cela dit, je ne sais pas si on peut généraliser l'expérience.

M. le Rapporteur : Il y a d'autres exemples de ce type ?

M. Jean-Philippe VACHIA : Non. Parmi les cinq communautés urbaines, 53 communautés d'agglomération et 86 communautés de communes de notre échantillon, c'est à peu près le seul exemple.

M. Alain PICHON : Le cas de Strasbourg a été observé avec intérêt par d'autres communautés urbaines de création plus récente, dont les responsables élus ont considéré que c'était une commodité propre à Strasbourg et qu'une telle absorption des services de la commune centre par la communauté urbaine était inenvisageable chez eux, au moins dans un premier temps. Pour compléter ce qu'a dit M. Jean-Philippe Vachia, la plupart des communautés urbaines ou d'agglomération récemment constituées, organismes nouveaux souhaitant s'affirmer, préfèrent souvent, plutôt que de « faire leur marché » en ressources humaines parmi le personnel des communes membres, recruter de nouveaux agents plus jeunes et plus qualifiés, en laissant les communes membres réaffecter les leurs à d'autres tâches, voire attendre qu'ils partent à la retraite, ce qui sera le cas d'un grand nombre d'entre eux d'ici cinq à dix ans. C'est plutôt cette stratégie qui a été choisie. Mais, en conséquence, le coût additionnel n'est pas négligeable.

M. Denis MERVILLE : Vos constats, qui s'appuient sur des cas précis, confirment ce que nous ressentons sur le terrain. J'évoquais tout à l'heure les incitations financières à l'intercommunalité et les avantages accordés au personnel - indemnités, droits acquis. Est-ce que votre enquête aboutit aux mêmes chiffres que l'on peut lire dans les revues de la DGCL ou du CNFPT, à savoir plus de 110 000 emplois supplémentaires créés ? Et si oui, comment réduire les dépenses dans ces conditions ?

Y a-t-il aussi des enquêtes sur l'évolution de la surface des bureaux, les dépenses d'études ou les dépenses de communication ? Il y a, par exemple, des intercommunalités qui éditent des bulletins distribués à 15 000 ou 16 000 personnes. Et je ne parle même pas des subventions. Les organismes divers qui demandaient des subventions aux communes s'adressent désormais également aux intercommunalités.

On a évoqué le problème de la gouvernance, dit qu'il fallait un contrôle des communes sur les intercommunalités. Ce n'est pas évident, c'est un peu théorique, même si les délégués à l'intercommunalité doivent rendre compte aux communes. Une des questions qui se posent est celle des compétences. Normalement, les compétences des intercommunalités sont déléguées par les communes. Quand j'étais responsable de SIVOM, nous avions construit une école de musique, une piscine, un gymnase, sur la base d'une délégation, d'un accord commun. Aujourd'hui, on a l'impression que l'intercommunalité veut faire beaucoup de choses que les autres faisaient déjà avant. Est-ce que l'usager s'y retrouve, y compris en tant que contribuable ? Il y a des demandeurs de subventions qui s'y retrouvent, surtout quand la commune et l'intercommunalité leur en accordent toutes les deux, mais tout cela a un coût. Serez-vous amenés à faire des propositions ?

M. le Président : Dans vos études, avez-vous observé une simplification du paysage, avec l'intercommunalité ?

M. Jean-Philippe VACHIA : C'est l'une des questions que nous avons posées systématiquement, et nous avons dû constater l'insuffisance de la simplification du paysage intercommunal. Tout d'abord, nous avons vérifié très attentivement si, dans tous les cas prévus par la loi, les syndicats ont bien été dissous, ou absorbés par les communautés. Dans l'ensemble, cela a été fait mais pas toujours de manière évidente. En effet, on constate souvent que des communautés de communes ont pris, par exemple, les compétences A, B, C, D, E et F, tandis qu'un syndicat intercommunal, SIVU ou SIVOM, conservait les compétences G et H, qui peuvent être des compétences assez voisines de celles de la communauté de communes, mais qui diffèrent en droit des compétences de la communauté de communes. Une myriade de SIVU et de SIVOM a ainsi été maintenue avec des compétences assez ténues.

M. le Président : Comment corriger cela ?

M. Jean-Philippe VACHIA : Cela dépend d'abord de la bonne volonté des élus. La seule chose que nous pouvons faire, de notre côté, c'est leur poser la question, leur demander si tel syndicat n'aurait pas dû être intégré dans tel groupement, dire le cas échéant qu'il est regrettable qu'il ne l'ait pas été, mais nous ne pouvons pas porter de jugement d'opportunité, même si ce n'est pas l'envie qui nous en manque.

M. le Président : Avez-vous une idée à nous suggérer ?

M. Jean-Philippe VACHIA : Il faudrait aller plus loin dans le processus d'absorption de ces syndicats, nous le dirons dans le rapport. Il y a d'autre part le mécanisme de substitution-représentation. Lorsqu'une communauté de communes se crée à partir d'un syndicat mais que certaines communes membres du syndicat ne sont pas membres de la communauté, le syndicat, par définition, survit, sous la forme d'un syndicat mixte. Nous assistons donc au développement de syndicats mixtes de différents types. Il peut y avoir de très gros syndicats mixtes au niveau des grandes agglomérations pour gérer le PDU ou le SCOT. Il y a également des syndicats mixtes de taille plus réduite, notamment en zone rurale. Certains sont des syndicats mixtes de syndicats mixtes, alors même que la création de telles structures est interdite par la loi et la jurisprudence. Nous en avons recensé un certain nombre. Ces syndicats mixtes de syndicats mixtes n'ont pas été créés ex nihilo, mais sont devenus des syndicats mixtes de second degré par l'effet du mécanisme de représentation-substitution.

Il est probable, c'est en tout cas mon opinion personnelle, qu'en zone rurale, ce phénomène est l'indice que les communautés de communes n'ont pas encore atteint une taille suffisante. Il faudrait encourager leur extension jusqu'à ce que leur périmètre coïncide avec celui des syndicats. Si une communauté de communes compétente en matière d'enlèvement et de traitement des ordures ménagères est obligée d'adhérer, pour la seule collecte, à un syndicat mixte de taille supérieure, c'est qu'il y a vraiment un problème de périmètre ! Pour le traitement, en revanche, cela peut se justifier, car le traitement ne peut s'organiser que sur un périmètre assez grand. On peut en effet comprendre qu'une usine d'incinération ne puisse être installée pour une seule communauté de communes. En zone urbaine, on peut sans doute aller plus loin dans la fusion des périmètres : sans aller jusqu'à dire que les intercommunalités doivent forcément coïncider avec les aires urbaines au sens de l'INSEE, il n'est pas forcément judicieux qu'il y ait un syndicat mixte pour le SCOT, un autre pour le PDU, etc.

S'agissant de la surface de bureaux, nous n'avons pas fait faire d'études...

M. Alain PICHON : Nous avions d'autres ambitions pour cette première enquête globale, mais cela fera sans doute partie des thèmes que nous privilégierons à l'avenir, et nous serons peut-être amenés à constater que l'intercommunalité a généré un train de vie, des facilités, des dépenses qui font parfois double emploi avec celles des communes membres.

S'agissant de la création de syndicats mixtes, elle résulte souvent du fait que le périmètre des intercommunalités ne coïncidait pas avec l'histoire, ou avec les lois de la physique. Par exemple, l'histoire a pu faire qu'un réseau de transports urbains ne coïncide pas avec le périmètre d'une communauté. Dans ce cas, à moins de fermer les lignes d'autobus, il faut créer en dehors de la communauté un syndicat mixte qui permette d'englober le périmètre du réseau de transports. S'agissant du service de l'eau et de l'assainissement, une intercommunalité peut être à cheval sur deux bassins versants. Il faut donc créer une structure supplémentaire pour gérer ce service dont le périmètre est déterminé par les lois de la physique. Il y a donc souvent un problème d'adéquation entre le périmètre de l'intercommunalité et l'héritage du passé ou les nécessités de la physique.

M. René DOSIÈRE : Vous avez dit que la loi de 1992 avait connu un relatif insuccès. En tant que président de la commission spéciale qui l'a examinée, je trouve l'affirmation un peu rapide. C'est vrai pour le milieu urbain, mais en milieu rural, c'est bien ce texte, couplé à la DDR dont le Président Augustin Bonrepaux a été un vigoureux défenseur, qui a lancé le mouvement.

M. Alain PICHON : Disons que 1992 a permis le succès de 1999...

M. René DOSIERE : Je préfère cette formulation...

Je comprends que l'intercommunalité ait pu générer des dépenses supplémentaires - mais aussi des recettes supplémentaires, ainsi que des services nouveaux. De ce point de vue, vous nous confirmez ce que les experts nous ont dit au début de nos auditions : les collectivités territoriales font beaucoup de choses, et cela peut amener une augmentation de la fiscalité, mais le public est somme toute plutôt satisfait. Je voudrais savoir si vous avez le sentiment que l'intercommunalité peut contribuer à améliorer la gestion locale, à éviter certaines dérives souvent relevées par les chambres régionales des comptes - projets mal étudiés, dérapage des dépenses -, voire à servir d'exemple aux communes ultérieurement ?

M. le Rapporteur : Pour compléter la question, observe-t-on des comportements qui consisteraient, par exemple, à faire à tel endroit une piscine dont la construction est justifiée, et à tel autre endroit un stade dont la justification serait moindre ?

M. René DOSIÈRE : La question ne va pas dans le même sens que la mienne !

M. le Rapporteur : C'est l'autre versant de la même question...

M. Jean-Philippe VACHIA : Il est assez difficile de répondre. L'intercommunalité peut certes aboutir à ce qu'envisage M. René Dosière, mais il ressort de nos constatations que cela reste une potentialité plutôt qu'une réalité. Pour prendre l'exemple, dont nous parlions voici un instant, des recrutements de cadres A au niveau communautaire, cela peut être bénéfique à terme, s'il s'agit de se doter enfin d'un volume de matière grise dont on ne disposait pas avant, par exemple dans le but de sécuriser les procédures de marché, de délégation ou de partenariat, mais cela ne se justifie que s'il y a vraiment une utilité. Ma réponse n'est donc pas tranchée.

Nous avons aussi pu observer des cas semblables à celui décrit par le rapporteur, où il existe un pacte, aux effets inflationnistes, consistant à assurer aux communes un certain retour, exprimé non pas en termes de reversements financiers, mais en termes d'équipements. J'ai un exemple précis en tête. Mais nous observons également des cas d'intercommunalités dans lesquels l'intérêt communautaire a été insuffisamment défini, ce qui entraîne des doublons entre les projets des communes et ceux de la communauté.

M. Alain PICHON : Pour l'instant, on constate que, dans beaucoup d'intercommunalités nouvelles, les transferts de personnels, de patrimoine, de moyens ne se font pas dans la clarté, dans la transparence. Nous n'en avons pas une connaissance comptable suffisante. Cela prend du temps, l'évaluation est difficile, il y a des méfiances, des inquiétudes, et il s'ensuit que les comptes ne donnent pas une image fidèle des transferts.

A priori, cependant, l'union fait la force, et l'intercommunalité est une personne morale de droit public plus puissante et mieux organisée pour négocier, que ce soit avec des prestataires de services publics ou privés, de sorte que l'usager y gagnera. Pour autant, constatera-t-on des économies d'échelle, évitera-t-on les équipements redondants ? Certes, les communes membres cesseront de se concurrencer en créant chacune une piscine ou une salle de spectacles, ce qui permettra d'éviter certains doublons inutiles. Mais le risque est que l'intercommunalité, qui est une structure beaucoup plus importante, souhaite se doter d'équipements plus volumineux, qui peuvent être disproportionnés, non pas au regard des exigences de la commune centre, mais par rapport aux besoins et aux attentes des petites communes périphériques. À cet égard, la taille relative des communes membres est déterminante. Dans le cas d'une intercommunalité qui comprend une commune centre de 200 000 habitants, entourée de plusieurs communes de 50 000 ou 60 000 habitants, le système est beaucoup plus équilibré que si la commune centre compte 800 000 habitants et la deuxième commune la plus peuplée 20 000 seulement. Lorsque le poids de la commune centre est trop prépondérant, l'équipement de l'intercommunalité risque d'être celui de la commune centre, ce qui peut alimenter la désillusion et la surenchère.

M. le Rapporteur : Et la hausse des dépenses publiques ?

M. Alain PICHON : Oui.

M. René DOSIÈRE : Compte tenu de votre expérience, avez-vous personnellement le sentiment que l'élection de l'intercommunalité au suffrage universel direct, ou en tout cas la possibilité donnée au citoyen de mieux savoir ce qui se passe et la nécessité pour les élus de se justifier devant eux, serait un instrument de régulation plus efficace ?

M. Alain PICHON : La question est délicate, et la « commission Mauroy », dont j'ai eu le grand honneur d'être l'un des deux membres fonctionnaires, l'avait d'ailleurs évoquée. Prétendre que la réponse a fait consensus serait trahir la réalité...

Mon sentiment personnel est que, devant le succès de l'intercommunalité, et compte tenu du fait qu'elle est amenée à voter l'impôt, je ne vois pas comment on pourrait en rester durablement au statu quo actuel. On a évoqué le contribuable, qui paie un peu plus, l'usager qui s'y retrouve en termes de qualité et de quantité du service même s'il est un peu plus sollicité sur le plan fiscal, mais il n'en demeure pas moins que l'intercommunalité souffre d'un déficit de lisibilité démocratique, et que le citoyen ne s'identifie pas à elle. Si l'on faisait des sondages, sans doute serait-on surpris de constater que le citoyen ne connaît pas bien les responsables ni même les sigles de ces structures intercommunales. Faut-il faire élire ces responsables au suffrage universel direct pour obtenir une adhésion citoyenne plus forte à l'intercommunalité ou conserver le système actuel de désignation et de délégation par les conseils municipaux ? Je pense qu'il ne faut pas précipiter les choses, ce sera peut-être prochaine étape, mais le véritable succès de l'intercommunalité passera nécessairement par une clarification vis-à-vis du citoyen. Qu'elle passe par une élection au suffrage universel direct ou par d'autres moyens, cette clarification sera incontournable. Mais cela pose évidemment la question du devenir des communes dans cette hypothèse.

M. René DOSIÈRE : Aujourd'hui, les intercommunalités prélèvent beaucoup plus d'impôts que les régions, dont les assemblées sont élues, elles, au suffrage universel.

Ma dernière question porte sur la taxe professionnelle. Compte tenu de son importance dans le financement des intercommunalités, avez-vous le sentiment que sa transformation - ou sa disparition, on ne sait pas encore très bien - soit de nature à modifier substantiellement leur fonctionnement ?

M. le Rapporteur : Dans les schémas de réforme envisageables, certains cherchent à accroître la spécialisation des impôts locaux. La TPU s'inscrit d'ailleurs dans une telle logique, même si celle-ci est un peu écornée par l'irruption d'une fiscalité ménages intercommunale. L'un des schémas de spécialisation envisagés, parmi de nombreux autres, consisterait à scinder les parts de la nouvelle TP selon leur logique, en destinant au niveau communal et intercommunal tout ce qui est assis sur le foncier et à d'autres niveaux l'imposition locale assise sur la valeur ajoutée ainsi que les droits de mutation. J'aimerais que vous réagissiez à cette idée.

M. Jean-Philippe VACHIA : Ne vous attendez pas à ce que nous refassions les travaux de la « commission Fouquet », ni ceux de l'ex-Conseil des impôts - désormais Conseil des prélèvements obligatoires...

Cela dit, nous avons une préoccupation forte : c'est la variabilité des ressources des intercommunalités. Il est urgent de redonner à celles-ci plus de visibilité, et il faut donc que la réforme intervienne vite. Ce qui nous a inquiétés, à la lecture des travaux de la « commission Fouquet », c'est qu'elle s'est étendue, comme de juste, sur l'impact éventuel de la réforme pour les entreprises, mais surtout sur la redistribution entre les communautés d'une part, les communes d'autre part, ce qui pourrait représenter un facteur d'incertitude et d'opacité, au sortir d'une période où la DGF a déjà beaucoup évolué.

Deuxièmement, ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui, la taxe professionnelle va principalement aux intercommunalités et si elle constitue leur principale ressource. C'est même assez logique, puisque leur raison d'être est de faire du développement économique, des zones d'activité, du développement urbain, et il n'est pas absurde qu'elles soient financées par un impôt unique sur l'entreprise. L'apparition d'une fiscalité mixte, pour répondre à la remarque du rapporteur, n'est pas un bon signe. Elle est souvent le symptôme de difficultés, sauf cas très particuliers - mais lorsqu'une communauté n'a pas intérêt à passer en TPU, elle le voit généralement tout de suite, et reste alors en fiscalité additionnelle. Quand une communauté à TPU passe en fiscalité mixte, c'est qu'il y a vraiment un problème de prospective.

Mon sentiment personnel est qu'on doit sans doute garder l'idée de la spécialisation fiscale. L'intercommunalité étant l'interlocuteur naturel des entreprises, il est assez naturel qu'elle perçoive les impôts sur les entreprises.

M. le Président : Vous avez dit que vous étiez préoccupés de savoir si les communautés exerçaient réellement leurs compétences. En avez-vous trouvé qui soient d'opportunité, c'est-à-dire cherchant seulement à obtenir des moyens supplémentaires ?

D'autre part, si j'ai bien compris, vous nous avez expliqué que la véritable augmentation était celle des coûts des services - l'eau, l'assainissement, les ordures ménagères... À quoi, selon vous, est-elle liée ? Et avez-vous observé aussi une hausse de la fiscalité générale, qui finance les autres compétences ?

M. Jean-Philippe VACHIA : Sur le premier point, sans vouloir « épingler » des communautés en particulier, il y en a un certain nombre qui, principalement parce que l'intérêt communautaire n'a pas été défini ou l'a mal été, n'exercent pas les compétences qu'elles devraient exercer. D'autres, qui ont défini l'intérêt communautaire, n'exercent leurs compétences qu'a minima, sur le papier, en consacrant des années à élaborer des plans ou des projets sans passer aux réalisations. Il y a là un opportunisme financier ou fiscal certain. C'est le cas notamment des communautés de communes à TPU qui ont, sur le papier, les compétences nécessaires à l'obtention de la bonification de DGF, mais qui ne les exercent pas réellement. L'une d'elles a ainsi été sanctionnée par le retrait de cette bonification.

Très souvent, dans nos observations de gestion, nous sommes amenés à dire aux communautés qu'elles doivent définir l'intérêt communautaire lorsqu'elles ne l'ont pas fait, ou à constater - sans le leur reprocher car nous n'en avons pas le droit - qu'elles n'exercent pas leurs compétences. Nous tâcherons de donner, dans notre rapport, une idée de la fréquence de ce phénomène.

Il y a un grand point d'interrogation, qui rejoint ce que nous disions tout à l'heure. Si ces communautés se mettent à exercer leurs compétences, et qu'elles n'ont pas les moyens de le faire parce qu'elles redistribuent trop, il y aura un effet de ciseau inquiétant.

Le phénomène est variable selon les régions, mais également dans le temps. Entre 1999 et 2002, il n'y a pas eu de définition de l'intérêt communautaire, mais sur la fin de la période étudiée, nous constatons que l'on s'y met, parfois en réponse à nos observations, du fait aussi de la date-butoir fixée par la loi du 13 août 2004. Nous allons, dans notre rapport d'observations définitives, recommander aux communautés de se hâter dans le cadre du droit positif actuel.

Sur la fiscalité générale, nous n'avons pas d'éléments globaux plus précis que ceux qu'ont pu vous fournir la DGCL ou l'Association des communautés de France. Ce qu'on constate, c'est que, quand une communauté de communes ou d'agglomération à TPU succède à un district, la fiscalité ménages additionnelle de ce dernier retourne aux communes qui l'ajoutent à leurs propres taux, tandis que la communauté d'agglomération fixe son taux de TPU, dans un nombre significatif de cas, au niveau maximal autorisé par la loi, c'est-à-dire au niveau du taux moyen pondéré de la TP par rapport aux bases. On part donc le plus souvent d'un niveau de taux élevé. Il y a généralement stabilité du taux la première et la deuxième année, puis le taux de TPU recommence à augmenter. Cette augmentation est parfois nécessaire car, bien que les lois de finances pour 2003, 2004 et 2005 aient introduit des mécanismes sophistiqués de découplage de l'évolution du taux de TP par rapport aux taux de la fiscalité ménages, il faut bien quand même que le niveau de la TP se fixe par rapport à celui de la fiscalité ménages. Ce que nous craignons, mais nous manquons de recul, c'est que l'on assiste maintenant à une augmentation de la pression fiscale généraliste qui viendrait s'ajouter à celle de la fiscalité spécialisée.

Quant aux services publics, que ce soit l'eau, l'assainissement ou les ordures ménagères, il y a des exigences techniques et des délais fixés par la loi qui sont source de surcoûts considérables. Nous avons constaté que le coût de la création d'usines d'incinération a abouti dans certains cas à une progression spectaculaire, plusieurs années de suite, de la TEOM. Nous avons également signalé dans nos publications l'augmentation régulière du prix de l'eau et de la redevance d'assainissement, qui obéit le cas échéant à de bonnes raisons, telle la nécessité d'éliminer les conduites en plomb. Dans le domaine des transports publics urbains, si l'on veut maintenir et développer la part modale réservée aux transports en commun dans les transports en général, il y aura un problème de ressources, et la Cour des comptes elle-même a cru devoir proposer l'extension du versement transport qui pèse sur les entreprises. Nous sommes donc dans une phase d'augmentation générale de la fiscalité affectée ou spécialisée.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas bien compris, tout à l'heure, pourquoi vous avez dit qu'il y avait un risque d'augmentation de la fiscalité générale. Il m'a manqué une étape de votre raisonnement.

M. Jean-Philippe VACHIA : Notre impression, qui n'est qu'une impression, est que la montée en charge de l'intercommunalité n'est pas terminée. Il y aura des projets de grands équipements, la création de nouvelles zones d'activité ou d'aménagement...

M. le Rapporteur : Qui ne peuvent pas s'ajuster sur une TPU qui a déjà augmenté...

M. Jean-Philippe VACHIA : Il faudra soit augmenter la TPU dans les limites fixées par la loi, soit recourir à une fiscalité mixte.

M. René DOSIÈRE : Ce sera pour une prochaine commission d'enquête...

Audition de M. Jean-Jacques TRÉGOAT,
Directeur général de l'action sociale,
accompagné de Mmes Annick BONY, Claire DESCREUX et Nicole ROTH
et de MM. Philippe DIDIER-COURBIN et Éloy DORADO


(Extrait du procès-verbal de la séance du 25 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

M. Jean-Jacques Trégoat, Mmes Annick Bony, Claire Descreux et Nicole Roth et MM. Philippe Didier-Courbin et Éloy Dorado sont introduits.

M. le Président : Le transfert aux conseils généraux de compétences nouvelles dans le domaine social constituant une lourde charge pour les finances départementales, notre commission d'enquête a souhaité vous interroger à ce sujet, et particulièrement sur le RMI-RMA, l'APA et l'application de la loi de 2005 sur le handicap, afin de faire le point sur les charges nouvelles et leur mode de gestion. Nous souhaitons aussi déterminer si leur compensation financière sera suffisante à l'avenir, compte tenu de la dynamique des charges et des ressources, notamment de la TIPP.

M. le Président rappelle à M. Jean-Jacques Trégoat, Mmes Annick Bony, Claire Descreux et Nicole Roth et MM. Philippe Didier-Courbin et Éloy Dorado que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Je traiterai pour commencer le RMI-RMA. La loi du 18 décembre 2003 a prévu le transfert aux départements de la pleine responsabilité du RMI et du pilotage des dispositifs d'insertion, avec une compensation financière sous la forme de TIPP, sur la base des dépenses exécutées par l'État en 2003 au titre du RMI. L'article 59 de la loi de finances initiale pour 2004 a prévu d'affecter à chaque département une fraction du taux de TIPP appliqué aux quantités de carburant vendues sur le territoire national, afin que le produit correspondant soit égal aux dépenses exécutées par l'État en 2003 sur le territoire considéré. Il a aussi prévu que les modalités définitives de compensation seraient fixées par une loi de finances suivant l'établissement des comptes administratifs des départements pour 2004, qui doivent être publiés le 30 juin au plus tard. Il a précisé également que la fraction du taux de TIPP attribuée à cette fin aux départements serait modifiée pour ajuster le produit de la recette transférée compte tenu de la mise en place du RMA et de l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RMI suite à la réforme de l'ASS, qui a entre-temps été abandonnée.

La loi de finances rectificative pour 2004, en son article 2, a ajusté la recette de compensation à hauteur de 85 millions d'euros, afin que soit respectée l'obligation constitutionnelle de stricte compensation. Mais la Direction générale de la comptabilité publique a constaté un écart entre les allocations servies par les départements en 2004 et les 4,941 milliards d'euros versés par l'État, montant qui correspond très exactement aux dépenses exécutées par l'État en 2003, telles que constatées par l'Agence comptable centrale du Trésor (ACCT). Aussi le Premier ministre a-t-il annoncé l'attribution aux départements d'une recette supplémentaire pour 2004, qui pourrait s'élever à 450 millions d'euros. Enfin, la Commission consultative d'évaluation des charges devrait se prononcer sur le droit à compensation définitive, qui fera l'objet d'un arrêté interministériel. En conclusion, l'État a assumé ses obligations relatives au transfert du RMI sur la base de compensation fixée par la loi et a pris l'engagement qu'au vu des comptes administratifs, un versement supplémentaire de l'ordre de 450 millions d'euros compenserait le surcroît éventuel de charges lié au RMA et le différentiel entre les dépenses des départements et les recettes issues de la fraction de TIPP qui leur est allouée, ce qui conduira à modifier le montant des fractions de tarif affectées.

M. le Rapporteur : Sur quelle année a porté l'ajustement de 85 millions d'euros ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Il a eu lieu en 2004 pour procéder à un ajustement concernant l'année 2003.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous préciser pourquoi la compensation du mois de décembre 2003 fait débat ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : La compensation étant calculée sur les décaissements, il faut distinguer les allocations payées par l'État en décembre 2003 des allocations dues au titre de ce mois. Les premières sont incluses dans la base de la compensation, au contraire des secondes, qui constituent des droits acquis mais qui ont été versées le 5 janvier 2004, et dont les conseils généraux ont donc supporté le coût. La base de la compensation porte sur les décaissements de l'État de janvier à décembre 2003, et donc sur les droits constatés de décembre 2002 à novembre 2003. Il n'y a pas de treizième mois dont la charge aurait été laissée aux départements sans compensation, laquelle est bien calculée sur douze mois de dépenses de l'État.

M. René DOSIÈRE : Je crois savoir qu'un contrat d'insertion-RMA coûte plus cher qu'un RMI, ce dont la compensation ne tient pas compte, car elle a été calculée avant la création du RMA. Ce coût supplémentaire sera-t-il compensé ou laissé à la charge des départements ? Comment chiffrez-vous le coût des charges annexes que constitue la gestion administrative de la compétence transférée ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Le RMA est un dispositif nouveau destiné aux bénéficiaires des minima sociaux, mais qui n'entre pas dans le cadre du transfert de compétences.

M. le Président : Mais qui entre dans le cadre d'une compétence nouvelle...

M. René DOSIÈRE : Le coût d'un CI-RMA est-il supérieur à celui d'un RMI ?

M. le Président : Et qu'en est-il des contrats d'avenir ?

M. Éloy DORADO : Le surcoût éventuel du CI-RMA, lié à l'aide forfaitaire à l'employeur versée par le département, varie selon la situation du foyer considéré et ses revenus, mais ni la CNAF ni la MSA ne disposent d'éléments permettant d'en évaluer précisément le montant global. Encore faut-il envisager le surcoût à l'aune des contrats enregistrés à ce jour et, selon les dernières données de la DREES, leur nombre excéderait à peine 1 300 pour l'ensemble du territoire. Bien que l'Etat n'ait pas l'obligation constitutionnelle de compenser ce surcoût éventuel, le législateur a tenu compte du RMA dans l'ajustement de la compensation prévu à l'article 59 de la loi de finances pour 2004.

M. le Président : Un surcoût existe donc, dont le financement pourrait conduire des départements à augmenter les impôts.

M. René DOSIÈRE : Dans une certaine mesure, si l'on compte en moyenne moins de quarante de ces contrats par département...

M. le Président : Le même surcoût vaut pour les contrats d'avenir.

M. René DOSIÈRE : S'ils ont le même succès...

M. le Président : Ils auront davantage de succès et il y aura un surcoût, qui ne sera pas compensé.

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Contrairement au RMI, le RMA n'est pas une compétence obligatoire mise à la charge des départements mais un outil supplémentaire mis à leur disposition. En fonction des éléments dont nous disposons, nous estimons le surcoût à 820 000 euros en 2004, montant à rapporter aux 4,9 milliards d'euros transférés.

M. le Président : Nous devons avoir confiance dans les dispositifs nouveaux prévus dans la loi, mais nous constatons qu'ils vont peser sur le budget des départements. Je le sais : j'ai déjà signé des contrats d'avenir, et d'autres demandes arrivent.

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Pour 2004, le surcoût éventuel du RMA sera pris en compte dans l'ajustement de la compensation financière qui aura lieu au vu des comptes administratifs des départements.

M. le Rapporteur : Cette extension va au-delà de ce que prévoyait la loi de 2003.

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Oui, mais pour apporter une réponse précise, celle-ci doit être analysée au regard de la loi de finances pour 2004 qui prévoyait que le montant de la compensation définitive prendrait en compte le coût du RMA (article 59).

M. le Rapporteur : Sur quelles bases le dispositif fonctionnera-t-il pour 2005 ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : La question n'est pas tranchée.

M. le Président : Et pourtant des dépenses sont prévues, qu'il faudra bien financer.

M. le Rapporteur : Allons plus loin, et imaginons que le nombre d'allocataires du RMI continue d'augmenter. Jusqu'à quelle année des ajustements sont-ils prévus ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : En droit, les comptes ont été bloqués lorsque le transfert de compétence a eu lieu et il n'est pas prévu de clause de revoyure. L'État s'est engagé à compenser les dépenses exécutées à une certaine date. On peut espérer qu'ensuite les départements, aidés par les outils mis à leur disposition par l'État, mèneront une politique active d'insertion qui permettra à nos concitoyens les plus fragiles de retrouver un emploi et qu'il y aura moins de RMIstes. Une dynamique est engagée.

M. René DOSIÈRE : Si l'État devait tout compenser, pourquoi transférer ?

M. le Rapporteur : J'en conviens, c'est pourquoi si l'on s'en tient à un raisonnement juridique, la compensation devrait être faite sur la seule base de 2003. Certains de nos interlocuteurs ont évoqué la « pression citoyenne » qui pèse sur les élus, et la difficulté qu'ils éprouvent à ne pas aller dans le sens des demandeurs. Cela vaut-il pour le RMI ? Qu'est-ce qui a changé dans sa gestion depuis que la charge en a été transférée aux départements ? Les missions locales d'insertion sont-elles plus exigeantes, ou éprouvent-elles de la difficulté à l'être ? Y a-t-il une dynamique politique des départements en faveur d'une autre gestion du RMI ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Le recul manque pour un bilan complet. Le département du Val-d'Oise a fait état, devant la Commission consultative d'évaluation des charges, d'une politique active d'emploi avec des partenariats noués notamment avec l'ANPE, dont il escompte une nouvelle dynamique d'insertion. On sait aussi que, nonobstant la pression locale et dans le respect du droit, certains départements procèdent à des contrôles de la situation des allocataires. Les départements ne sont donc pas totalement passifs face aux dispositifs dont ils ont la maîtrise. Nous n'avons pas de tableau de synthèse, car cette politique relève de la libre administration des collectivités, mais de ce que l'on entend et de ce qu'on lit, il ressort que la politique d'insertion fait l'objet d'une reprise en main par les départements et que la proximité n'est pas forcément un frein à un pilotage serré.

M. le Président : A-t-on une idée des économies que les contrôles ont permises ?

Mme Nicole ROTH : Des éléments sur l'organisation mise en place par les départements sont en cours de collecte et figureront dans le rapport d'évaluation dont la loi prévoit qu'il sera remis au Parlement en 2006.

M. le Président : Il nous aurait été utile de pouvoir l'inclure dans notre rapport...

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Le recul manque pour une étude sérieuse. En tant que fonctionnaire de l'État, je n'ai pas à me prononcer sur la manière dont les collectivités utilisent librement les dispositifs légaux mis à leur disposition.

M. le Président : Selon la presse, un département considère que les ressortissants des pays membres de l'Union européenne ne peuvent pas bénéficier du RMI, et les rumeurs vont bon train, selon lesquelles on assisterait à un afflux de ressortissants de pays de l'Est désireux de bénéficier de cette prestation. Quelle règle précise vaut pour l'octroi du RMI aux étrangers ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Même si la gestion du RMI a été transférée aux départements, il revient toujours à l'État de dire le droit. Le directeur de cabinet du ministre a signé récemment une note d'information très complète sur ce sujet complexe, dans laquelle il rappelle les dispositions permettant d'assurer un équilibre entre laxisme et rigorisme excessifs. Je la transmettrai à l'ADF pour diffusion à tous les départements.

Mme Claire DESCREUX : Cette note rappelle qu'il n'y pas de différence entre nationaux et Européens, à condition que ceux-ci aient droit au séjour, droit qui leur est donné au vu de leur autonomie financière au moment de leur entrée sur le territoire français. S'ils s'appauvrissent par la suite, ils peuvent demander le RMI et l'obtenir ; mais s'ils sont arrivés désargentés pour vivre aux crochets de l'État, ils ne l'obtiendront pas. Toute personne peut faire une demande de RMI, mais les demandes sont ensuite instruites en fonction de critères juridiques et jurisprudentiels. Par ailleurs, les statistiques ne montrent pas d'augmentation du nombre d'étrangers communautaires allocataires du RMI depuis l'élargissement de l'Union européenne.

M. le Président : J'en reviens aux CI-RMA et surtout aux contrats d'avenir, dont je suis convaincu qu'il y en aura beaucoup. Ils ont un coût, d'autant que le CNASEA entend se faire rémunérer pour verser la part de l'État. De même, les CAF qui, jusqu'à présent, géraient le RMI, expliquent qu'elles veulent bien continuer de le faire, mais à condition d'être désormais rémunérées par le département, tout comme la MSA, qui gérait pourtant aussi gratuitement pour le compte de l'État. Ce sont autant de frais de gestion supplémentaires à propos desquels une clarification s'impose. Par ailleurs, l'État ne finance plus les agents de l'ANPE antérieurement mis à la disposition des départements pour l'insertion des RMIstes, et la suppression de ce financement n'est pas compensée. Pourquoi ?

M. Éloy DORADO : Les départements n'ont pas l'obligation de recourir aux services d'un organisme particulier mais ils peuvent, s'ils le souhaitent, passer contrat avec le CNASEA, les CAF ou la MSA, afin que ces organismes versent directement les aides aux employeurs, tant en ce qui concerne les CI-RMA que les contrats d'avenir.

M. le Président : Les services des CAF ou de la MSA seront-ils assurés gratuitement ?

M. Éloy DORADO : Cette prestation ne fait pas partie des missions des CAF ; aussi, dans le respect du principe de la libre administration des collectivités territoriales, la facturation devra-t-elle être définie par contrat.

M. le Président : Autrement dit, ce service sera payant.

M. Éloy DORADO : Oui.

M. le Président : C'est donc un coût supplémentaire pour les départements.

M. Éloy DORADO : Il est librement consenti, puisque les départements peuvent choisir d'assurer cette gestion eux-mêmes.

M. le Président : Ce qui suppose qu'ils recrutent du personnel à cette fin. Et l'on se demande pourquoi les dépenses augmentent !

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : C'est une question d'organisation des conseils généraux. Les départements ont, de tout temps, consacré des crédits à la politique d'insertion. Cela n'a rien à voir avec le financement, nouveau, des allocations.

M. le Président : Faudrait-il alors remettre en cause certaines des actions prévues dans les plans départementaux d'insertion ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Comme pour l'État, les CAF et la MSA continueront de faire gratuitement ce qu'elles faisaient auparavant gratuitement, mais ces services préexistants doivent être distingués de la palette nouvelle désormais mise à la disposition des départements ; si une prestation nouvelle leur est demandée, elle pourra être facturée. Pour ce qui est de l'ANPE, la suppression, parfois réclamée, du co-pilotage par l'État de l'insertion des RMIstes a logiquement induit la fin du cofinancement des agents de l'ANPE chargés de cette politique d'insertion, qui ont cependant été laissés à la disposition des départements pendant six mois en 2004. Mais il ne s'agit pas d'une compétence transférée.

M. le Président : Donc, l'État fait des économies.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas parce que l'on supprime l'une des deux pédales d'un véhicule que l'on est obligé de renforcer l'autre.

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Je rappelle aussi que, dans le contexte de l'ouverture du marché du placement et pour se conformer au droit communautaire de la concurrence, l'Agence a été contrainte de facturer ses prestations à coût complet, ce qui explique aussi pourquoi certains départements considèrent qu'elle facture certaines prestations à un prix supérieur au tarif ancien. Mais ce n'est pas une dépense obligatoire, puisque les conseils généraux sont libres de recourir à l'ANPE, à un autre opérateur ou à leurs propres moyens pour le suivi des allocataires. Dans le même temps, les allocataires du RMI continuent de bénéficier des services de l'ANPE, et notamment des plans d'accompagnement personnalisés, dans les conditions du droit commun, comme tous les chômeurs. Il ne faut pas plus confondre accompagnement et insertion qu'allocation et insertion.

M. le Président : Ces réponses n'expliquent pas pourquoi l'État ne compense pas ce qu'il faisait jusqu'à présent. J'ai aussi découvert que le projet de loi relatif au développement des emplois de services allait modifier les contrats d'avenir, alors que j'en ai déjà signés. Qu'en est-il ? Nous ne sommes pas informés...

M. Éloy DORADO : La durée minimale du contrat était initialement de deux ans. Pour tenir compte des demandes des associations d'insertion, l'article 8 du projet de loi que vous avez cité prévoit que cette durée pourrait être comprise dans une fourchette allant de 6 à 24 mois. Pour le reste, rien de ce que prévoit la loi du 18 janvier 2005 n'est changé : si, après six mois de présence effective dans l'entreprise, le salarié en CDD est embauché en CDI, une aide forfaitaire est versée immédiatement à l'employeur par le CNASEA. Cette disposition a été précisée, en ce qui concerne les employeurs concernés, par un décret du 17 mars 2005. L'arrêté fixant, comme annoncé en juin 2004, le montant de l'aide à 1 500 euros est en cours de parution. Les premières embauches en CDI dans ce cadre pourront intervenir à partir de fin octobre 2005.

M. le Président : Venons-en à l'APA.

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : L'APA a connu une montée en charge très rapide, à un rythme plus soutenu que prévu. En effet, alors que l'on avait estimé le nombre de bénéficiaires à 500 000 au 31 décembre 2002, 550 000 au 31 décembre 2003 et 800 000 au 31 décembre 2004, leur nombre réel s'est établi, à ces dates, à 605 000, 792 000 et 865 000. La population potentiellement éligible à l'APA s'inscrivait dans une fourchette allant de 790 000 à 950 000 personnes ; les prévisions ont été fondées sur la partie basse de la fourchette, si bien que l'évolution de la dépense a été mésestimée. Aussi, en mars 2003, la réforme législative du dispositif a été menée avec célérité pour garantir, dans l'urgence, la continuité du service de l'allocation. Il convenait, au-delà, de pérenniser le dispositif par le partage de la prise en charge des dépenses ; ce fut l'objectif de la loi du 30 juin 2004 qui a institué la CNSA et la journée nationale de solidarité. Il sera ainsi possible d'affecter chaque année 400 millions d'euros de ressources pérennes à la Caisse, pour abonder le concours versé aux départements.

Les mesures d'urgence, en 2003, ont consisté dans le lancement d'un emprunt exceptionnel, une rationalisation des conditions d'ouverture des droits avec, notamment, l'abandon du caractère rétroactif de l'attribution de la prestation, un nouveau barème équilibré et des mesures de péréquation avec la création d'un concours spécifique pour les départements. Le montant de ce concours spécifique a été de 50 millions d'euros en 2003 et de 40 millions d'euros en 2004. Nous travaillons à sa répartition selon les critères de pondération définis dans la loi, qui ont un effet de péréquation.

M. le Rapporteur : Le taux d'intervention de l'État est très différent selon les départements. Pourquoi cette disparité ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : L'écart aurait été considérable si rien n'avait été fait, mais il a été réduit par les correctifs apportés.

Mme Annick BONY : La disparité initiale tient à la richesse fiscale des départements. Étant donné l'importance comparée du produit de la taxe professionnelle dans les Hauts-de-Seine et dans la Creuse, le taux d'intervention pour la prise en charge de l'APA n'est pas le même dans ces deux départements. En 2003, le taux brut d'effort fiscal pour l'APA variait, selon les départements, de 4,2 % à 93,6 %, le taux brut moyen s'établissant à 26,7 %. Après répartition du concours général, ce taux s'étageait de 2,1 % à 49,3 %, la moyenne étant de 15,4 %. L'allocation d'un concours spécifique supplémentaire de 50 millions d'euros avait pour objectif de contenir à 21 % au maximum le taux d'effort fiscal destiné à l'APA pour tous les départements.

M. le Rapporteur : Si bien que le concours spécifique a avantagé les départements riches ?

Mme Annick BONY : Non ; l'unique critère de distribution du concours spécifique étant le potentiel fiscal, il a avantagé les départements les moins nantis, dont la charge d'APA était excessive. Il vient en complément du concours général, réparti par itérations successives en fonction de la population, de la fiscalité, du nombre de bénéficiaires du RMI,...

M. René DOSIÈRE : Les comptes administratifs pour 2003 d'une part, les éléments dont nous disposons pour 2004 d'autre part, montrent que l'APA a entraîné une charge supplémentaire pour l'ensemble des départements, après prise en compte de la PSD et de la participation de la solidarité nationale, mais si cet accroissement participe de l'augmentation de la fiscalité, il ne suffit pas à l'expliquer.

M. le Rapporteur : Avez-vous mesuré l'impact de l'APA sur la fiscalité des départements ?

Mme Annick BONY : Selon la DGCL, le financement de l'APA n'explique pas toute l'augmentation de la fiscalité départementale, loin s'en faut. En 2002, soixante-six conseils généraux ont été amenés à relever leur fiscalité du fait de l'APA, de 3,5 % en moyenne.

M. le Rapporteur : Ces 3,5 % représentent-ils le besoin net ? Les droits de mutation ont augmenté au même moment...

Mme Annick BONY : C'est le taux fourni par la DGCL.

M. Jean-Jacques TRÈGOAT : Ce type d'analyses n'est pas de la compétence de la DGAS.

M. le Président : Les indications de la DGCL sont intéressantes, car une présidente de conseil général nous a dit, sous serment, avoir dû augmenter de 7,5 % la fiscalité départementale en 2005 à cause de l'APA. Voilà qui est curieux : si la hausse moyenne a été de 3,5 % en 2002, comment peut s'expliquer une nouvelle augmentation de 7,5 %, pour la même raison, en 2005 ?

M. le Rapporteur : Mme Anne d'Ornano a effectivement déclaré devoir augmenter de 7,5 % les impôts du Calvados, qui ne l'avaient pas été depuis dix ans, mais si elle a évoqué l'APA comme la principale raison de cette hausse, elle a mentionné une autre cause : l'application de la loi sur les 35 heures.

M. le Président : Je note pour ma part que le versement de l'APA créé une dépense supplémentaire. Venons-en aux dispositions de la loi du 11 février 2005 sur le handicap, pour déterminer si la journée nationale de solidarité permettra de financer à la fois l'APA et la prestation de compensation du handicap (PCH).

M. Jean-Jacques TRÈGOAT : Pour ce qui est de la PCH, nous en sommes à l'élaboration des décrets d'application, opération assez complexe car il s'agit d'un dispositif nouveau, qui suppose d'inventer un barème et des grilles d'évaluation, ce pour quoi la loi nous donne six mois. La journée nationale de solidarité rapportera 2 milliards d'euros par an, destinés pour 800 millions d'euros aux personnes handicapées, pour 800 millions d'euros aux personnes âgées et pour 400 millions d'euros au financement de l'APA. Le rôle de la CNSA ne se limitera pas à sanctuariser ces crédits ; la Caisse va signer avec l'État une convention d'objectif et de gestion qui la chargera de mettre au point l'évaluation et le suivi, avec les départements, du dispositif. L'évaluation se traduira dans un rapport annuel de la Caisse, et dans un rapport triennal remis au Parlement. Le Premier ministre a demandé au Premier président de la Cour des comptes un premier rapport d'étape fin 2005 et un autre fin 2006, sans attendre les contrôles a posteriori. Il y aura donc des remontées rapides d'informations statistiques pour un meilleur pilotage. Ce cadrage permettra que la CSNA, sous la tutelle de l'État, travaille avec l'ADF au suivi rigoureux et en temps réel de l'évolution de la nouvelle prestation.

M. le Rapporteur : Pour cette nouvelle prestation, où passe la frontière entre transfert de compétence et compétence nouvelle ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : La prestation créée par la loi du 11 février 2005 se substitue à l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), mais elle comporte aussi d'autres volets plus larges.

M. le Rapporteur : Il s'agit donc d'un transfert de compétence et d'un élargissement.

M. Philippe DIDIER-COURBIN : Aussi le département continue-t-il de financer la prestation, mais un financement complémentaire est prévu compte tenu du périmètre nouveau de la prestation.

M. le Rapporteur : L'objectif est-il de compenser la totalité du surcoût ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : Nous connaissons précisément les moyens que les départements consacrent à l'ACTP et ceux que la CNSA peut attribuer au nouveau dispositif. L'exercice consiste donc à paramétrer la nouvelle prestation en tenant compte de ces limites financières d'une part, des critères d'éligibilité et des montants d'aide envisagés d'autre part. Il faut à la fois que l'enveloppe suffise et que les critères soient réalistes.

M. le Rapporteur : Les critères d'attribution seront-ils nationaux ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : La loi prévoit que l'attribution de la prestation sera décidée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, sur la base d'une évaluation réalisée par une équipe pluridisciplinaire installée par la maison départementale, qui s'appuiera sur des outils qui auront valeur nationale.

M. le Rapporteur : Quelle marge est laissée aux départements ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : Des critères objectifs d'attribution seront définis mais la maison départementale, placée sous l'autorité du président du conseil général, gèrera un fonds départemental de compensation du handicap. Ce dispositif veillera à ce que des personnes handicapées ne soient pas confrontées à des dépenses dépassant 10 % de leurs revenus et permettra aux conseils généraux qui le souhaitent d'aller au-delà de la prestation prévue.

M. le Rapporteur : Comment ce fonds sera-t-il abondé ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : Nous espérons que les partenaires rassemblés au sein des sites pour la vie autonome, précurseurs de ce nouveau fonds, se maintiendront dans le nouveau dispositif. Ces sites extralégaux apportent des financements complémentaires pour les aides techniques et les aménagements du logement, l'ACTP étant limitée aux aides humaines. Les partenaires actuels sont l'assurance maladie, la mutualité, parfois le département, d'autres collectivités. L'État donne l'exemple, puisqu'il continuera d'apporter une contribution financière.

M. le Rapporteur : Sera-t-elle du même niveau que sa contribution actuelle ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : L'engagement a été pris par le Gouvernement que tous les moyens consacrés aujourd'hui aux CDES, aux COTOREP et aux sites pour la vie autonome seront mis à la disposition des maisons départementales.

M. le Rapporteur : C'est là que la pression citoyenne peut amener le conseil général à faire plus.

M. le Président : Les crédits de l'État sont-ils suffisants pour financer les dispositions légales ?

M. René DOSIÈRE : Vous souhaitez qu'il n'y ait pas de dépenses supplémentaires, mais nous constatons que de nombreuses variables entrent en jeu et font que ce ne sera peut-être pas le cas !

M. le Président : Comprenez que je me méfie... On nous a tellement dit que la TIPP était évolutive...

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Notre objectif est d'établir un barème en nous en tenant à l'enveloppe déterminée. Je rappelle par ailleurs que le conseil général aura la majorité au sein de la commission des droits et de l'autonomie pour ce qui relève de ses compétences. Il est extraordinairement difficile de savoir quelle sera la dépense à l'euro près. Mais il est prévu que les 40 % de la contribution de solidarité consacrés aux personnes handicapées seront ajustés entre la PCH, pour une part comprise entre 26 % et 30 %, et le financement des établissements pour personnes handicapées, cette part variant entre 10 % et 14 %. Il y a bien une marge de manœuvre prévue par la loi, en fonction de l'évolution des dispositifs : selon les besoins, on peut choisir de consacrer un peu plus aux personnes ou un peu plus aux établissements.

M. Philippe DIDIER-COURBIN : D'autre part, la CNSA versera à chaque département son concours au financement de la PCH en fonction de critères objectifs, dont le nombre de bénéficiaires de la prestation.

M. le Rapporteur : Le calcul sera-t-il forfaitaire ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : Il sera fondé sur des critères objectifs.

M. le Rapporteur : Si bien qu'une année donnée, les dépenses d'un département seront peut-être supérieures à ce qu'il recevra ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : La CNSA se fondera sur les chiffres de l'année précédente.

M. le Rapporteur : Un département dans lequel vivent de nombreuses personnes affectées d'un handicap lourd en sera-t-il de sa poche ou sera-t-il couvert ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : Étant donné les critères d'attribution retenus, il recevra davantage et le calcul tiendra compte des allocataires de l'actuelle ACTP, de l'AAH, de pensions d'invalidité, puis en plus de la PCH.

M. le Rapporteur : Si, en conservant à l'esprit la problématique de la compensation, on se projette à cinq ans, quelles dépenses nouvelles peuvent apparaître ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : La mécanique aura évolué d'ici là, puisque la PCH va progressivement s'ouvrir aux enfants (d'ici trois ans), mais en recyclant l'AES, puis aux personnes âgées (d'ici cinq ans).

M. le Rapporteur : Sans qu'à ce jour les conditions de financement de ces extensions n'aient été définies ?

M. Philippe DIDIER-COURBIN : Non.

M. le Rapporteur : Pourquoi, selon vous, les conseils généraux sont-ils, sincèrement semble-t-il, à ce point effrayés par l'impact financier de ce dispositif ?

M. le Président : De fait, le président de la commission des affaires sociales de mon conseil général est très inquiet.

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : Sans doute est-ce par référence à l'APA, qui a connu une augmentation très forte et très rapide. Mais, pour la PCH, avec la création de la CNSA, un financement pérenne, le paramétrage des barèmes et le travail d'évaluation avec les départements, la loi a apporté des garanties multiples qui devraient rassurer.

M. le Rapporteur : Est-ce une enveloppe fermée ou une enveloppe ouverte ?

M. Jean-Jacques TRÉGOAT : C'est une enveloppe définie dans les marges que je vous ai indiquées.

M. le Président : Je saisis l'occasion qui m'est donnée pour souligner que la journée nationale de solidarité a coûté à mon département avec la contribution de 0,3 %, le paiement d'une journée supplémentaire de ramassage scolaire. Puisque l'on cherche la cause des augmentations de dépenses, il faut penser à tout additionner. Je suis certain que vous avez rassuré M. le Rapporteur ; pour ma part, je suis prudent, et je verrai dans un an.

Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Yves CHAMARD,
Président de la Commission des finances du conseil général de la Vienne,
accompagné de M. Michel GRÉMILLON,
Directeur général adjoint chargé des finances et des affaires générales


(Extrait du procès-verbal de la séance du 25 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Jean-Yves Chamard et Michel Grémillon sont introduits.

M. le Président : Au cours de l'audition des représentants de l'Assemblée des départements de France, chacun a souligné la diversité des situations. Nous avons donc décidé d'entendre les représentants de conseils généraux issus des diverses tendances politiques et venus de départements aux caractéristiques différentes. Nous avons par ailleurs constaté que certains départements avaient régulièrement augmenté leurs impôts depuis cinq ans alors que plusieurs autres, comme l'Orne, n'y ont pas touché. Aussi avons-nous décidé d'inviter des représentants des uns et des autres, sans chercher à faire une quelconque fixation.

Le département de la Vienne a fortement accru ses impôts directs depuis quelques années. Sa majorité appartient à l'UMP. Nous souhaitons que vous nous expliquiez dans quelle mesure la situation de votre département vous paraît représentative et quels ont été vos choix politiques en matière de financement.

M. le Président rappelle à MM. Jean-Yves Chamard et Michel Grémillon que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Jean-Yves CHAMARD : C'est avec plaisir que j'ai accepté de représenter le président du conseil général de la Vienne, dont je préside la Commission des finances depuis 1982, autrement dit depuis que l'exécutif appartient aux élus, sous la présidence de M. René Monory jusqu'à l'année dernière, puis sous celle du sénateur Alain Fouché. Aussi m'attacherai-je à remettre en perspective, dans la mesure où j'en suis, avec eux, le principal organisateur, la politique financière et budgétaire de notre département.

Depuis que l'exécutif est aux mains des élus, le département de la Vienne s'est fixé plusieurs critères en matière budgétaire : rechercher toujours le meilleur rapport qualité-prix, y compris en allant voir ailleurs s'il est possible de faire mieux, systématiquement privilégier les investissements créateurs de richesses plutôt que de solliciter la fiscalité ou de recourir à l'emprunt - ainsi les Fonderies d'Ingrandes dans le passé, puis toute l'opération Futuroscope avec la création au total de plus de 7 000 emplois sur la technopole, privés et publics, y compris les 500 emplois permanents du parc lui-même. Enfin, à chaque fois que nous avons réussi à créer de la richesse ou à accompagner une création de richesse, nous avons essayé d'en faire trois parts : une première consacrée à la baisse de la fiscalité, une deuxième aux investissements créateurs de richesse - ainsi les bureaux installés sur la zone du Futuroscope pour accueillir les entreprises jusqu'à ce que le privé prenne le relais -, la dernière enfin à des dépenses supplémentaires pour mieux satisfaire les attentes de la population.

Pour ce qui est de la fiscalité, nous utilisons volontiers comme indicateur l'impôt ménages, qui correspond à la somme des produits du foncier bâti et la taxe d'habitation, divisée par le nombre d'habitants : c'est donc ce que paie en moyenne un habitant de la Vienne par an au titre de la taxe d'habitation et du foncier bâti.

En 1997, un habitant de la Vienne payait 73 euros ; nous étions le neuvième département le moins cher de France. Grâce à l'apparition d'une richesse supplémentaire, nous avions alors baissé les impôts de 5 %. Ils sont restés stables en 1998 et 1999, avant de baisser à nouveau de 6 % en 2000, un investissement extérieur nous ayant rapporté un surplus de taxe professionnelle, et encore de 1 % en 2001. Soit, au total, une baisse de 12 % sur six ans, ce qui a évidemment amélioré notre classement : 9ème en 1997, 5ème en 1998, 4ème en 1999, 2ème en 2000, la Vienne est devenue en 2000 le département le moins cher de France, avec 76,4 euros par habitant, la moyenne était alors de 122,7 euros.

Mais voilà qu'en 2002-2003, un véritable séisme financier s'abat sur les départements en général et sur la Vienne en particulier : ce séisme a pour nom APA, 35 heures et SDIS. De surcroît, pour notre malheur, un quatrième problème purement local vient nous frapper : les difficultés du Futuroscope.

Nous nous retrouvons donc en 2002 à préparer le budget 2003, essayant d'évaluer combien nous coûteront l'APA par rapport à la PSD, le SDIS avec ce double mécanisme assez diabolique, une réglementation augmentant le coût de fonctionnement cependant que l'écrêtement de la participation des communes oblige le département à payer le supplément, et enfin les 35 heures dont le coût se répercute directement sur la masse salariale du département, mais plus encore indirectement, tous les établissements avec prix de journée réclamant aussitôt une augmentation significative. Sans oublier le Futuroscope, pour lequel nous décidons, en plus d'une recapitalisation, de diviser le loyer par deux. Le conseil général de la Vienne, propriétaire du Futuroscope, en avait initialement confié l'exploitation à une société d'économie mixte dans laquelle il était majoritaire avant de la vendre au groupe Amaury pour 49 millions d'euros. Celui-ci s'étant retrouvé sur le point de déposer le bilan, nous avons repris le Futuroscope et la division par deux du loyer nous a coûté, en termes de moindres recettes, 2,7 millions d'euros par an. Ce qui, ajouté aux surcoûts de l'APA, du SDIS et des 35 heures, nous amène à environ 20 millions d'euros par an de dépenses supplémentaires ou de moindres recettes. Or, 20 millions d'euros correspondent à 24 points de fiscalité : plus la fiscalité est faible, plus le pourcentage doit être élevé pour récupérer un euro supplémentaire.

Bref, il nous fallait relever les impôts de 24 %. Nous choisissons, et nous le déclarons publiquement, de le faire sur trois ans, en commençant par le tiers : 8 %, la différence étant financée par l'emprunt. Jusqu'à 2003, j'étais parvenu - en me battant parfois contre M. René Monory qui était volontiers emprunteur - à limiter pendant toutes ces années l'emprunt à 55 millions de francs par an.

Mon idée, je ne l'ai pas caché à l'époque, était de faire trois fois 8 %. Mais en 2004, pour des raisons que je laisse à votre appréciation, j'ai été mis en minorité au sein de la majorité et je n'ai obtenu que 3 % - l'année 2004 n'était au demeurant pas totalement neutre à plusieurs égards. Cela nous a obligés, pour atteindre les 24 %, à relever les impôts de 13 % en 2005, ce que nous avons fait.

Nous savons exactement aujourd'hui ce que nous coûtent les différentes mesures pour 2005 : la baisse du loyer du Futuroscope, toujours de 2,7 millions d'euros ; le surcoût de l'APA par rapport ce que coûtait la PSD dans le compte administratif 2002, 11,4 millions d'euros...

M. le Président : S'agit-il de la dépense totale ou du surcoût ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Je dis bien le surcoût.

M. Michel GRÉMILLON : La dépense est de 27,2 millions et la recette de 15,8 millions.

M. Jean-Yves CHAMARD : En retirant le FFAPA, c'est-à-dire l'apport de l'État, et le coût initial de la PSD, nous arrivons à 11,4 millions d'euros - à affiner l'année prochaine au vu du compte administratif. Ce peut être à un million d'euros près.

Pour ce qui est de la RTT, nous savons faire le calcul en interne : nous avons créé 36 emplois dans les services du département...

M. le Président : Quand ?

M. Jean-Yves CHAMARD : J'ai moi-même négocié l'accord sur la réduction du temps de travail avec nos syndicats. Nous avons convenu de la création de 36 emplois étalés sur trois ans et de la pérennisation d'une série d'emplois-jeunes. Plus compliqué à évaluer, le surcoût dans les établissements sociaux dont nous payons le prix de journée. Nous avons donné notre accord à une augmentation de 10 % de leur masse salariale, étalée sur trois ans. Quelques établissements ont été au-delà, d'où certains problèmes.

M. le Rapporteur : Leur avez-vous demandé des progrès de productivité ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Un petit peu...

M. le Rapporteur : Pas beaucoup, dans la mesure où vous augmentez le prix de journée de 10 %.

M. Jean-Yves CHAMARD : En effet. Mais les établissements sociaux sont en permanence à vous expliquer qu'il faut, en fait, beaucoup plus de personnel compte tenu du vieillissement, de ceci, de cela... Au conseil général, nous nous sommes arrêtés à 6 % ; mais, pour les établissements sociaux, nous sommes donc allés jusqu'à 10 %. Peut-être avons-nous été trop généreux... Quoi qu'il en soit, les 36 emplois supplémentaires nous coûtent 900 000 euros par an à partir de la troisième année, la pérennisation des emplois jeunes 300 000 euros et 2,2 millions d'euros pour les établissements financés par prix de journée. Ce à quoi il faut ajouter l'augmentation de salaires des assistantes maternelles, dont il était impensable de réduire le temps de travail : une hausse sur trois ans de 5 %, puis 2 %, puis 2 % encore, négociée avec les syndicats, d'où un surcoût de 600 000 euros. Total en chiffres ronds pour la RTT : 4,1 millions d'euros.

S'agissant du SDIS, tous les conseillers généraux connaissent le problème : la loi et les décrets ont eu un double effet mécanique d'augmentation des coûts. Pour commencer, l'amélioration des statuts des sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires, a amené une meilleure rémunération, donc un surcoût ; mais celui-ci, pour les communes et les EPCI qui cofinancent les SDIS, a été plafonné en pourcentage et ne peut dépasser l'augmentation de la DGF. Pour parler simple, avec 10 % d'augmentation théoriquement payés moitié-moitié, si les communes ne paient que 3 %, les départements doivent financer 17 % ! Pour la Vienne, cela représente 2,2 millions d'euros.

Au total, baisse du loyer du Futuroscope incluse, nous arrivons à 20,4 millions d'euros pour 2005, soit bien 24 points de fiscalité, ce qui confirme à quel point notre évaluation de 2003 était proche de la réalité.

Nos 13 % d'augmentation en 2005 résultent de la stricte application d'une décision prise en 2003, elle-même conséquence de trois décisions législatives prises par le gouvernement précédent et de la situation du Futuroscope. Cela dit, pour élevé qu'il soit, ce chiffre de 13 % doit être rapporté à ce que nous aurions dû demander si nous avions eu une fiscalité plus lourde. Aussi me suis-je livré à une série de comparaisons et calculé ce que nous aurions dû faire si nous avions été dans la moyenne, puis dans l'Ariège. Je vous donnerai les chiffres dans un instant.

Un mot sur le Futuroscope. Au coût annuel, indiqué à l'instant, qui résulte de la division du loyer par deux, vient s'ajouter un coût en capital. Nous avons vendu la société d'exploitation 49 millions d'euros, mais nous avons dû injecter à ce jour, pour éviter la faillite, 40 millions d'euros et nous rachetons les parts de la société Amaury, conformément à l'accord négocié avec elle sur trois ans, à hauteur de 17 millions d'euros. Soit une dépense totale de 57 millions et donc, compte tenu du prix de vente, un surcoût réel de 8 millions que nous financerons une fois pour toutes en puisant dans nos réserves, c'est-à-dire avec l'argent inutilisé tel qu'il ressort des comptes administratifs.

Malgré cette augmentation de 13%, où en sommes-nous par rapport aux autres ? En 2004, notre impôt ménage était de 98 euros par habitant contre 147 euros en moyenne - 176 euros en Ariège : pour vous rejoindre, cher Augustin, il aurait fallu une augmentation non de 13 %, mais de 80 %.

M. le Président : Je connais la situation de l'Ariège et ses moyens ! Lorsqu'on compare les taux, il faut également comparer les bases.

M. Jean-Yves CHAMARD : Bien sûr ! Mais la Vienne n'a pas des bases excessivement larges. Au demeurant, je ne compare pas les taux, mais ce que paie réellement l'habitant. De combien avez-vous augmenté, si ce n'est pas indiscret ?

M. le Président : Cette année, de 5 %.

M. Jean-Yves CHAMARD : C'est donc un peu plus que je ne pensais. Mettons que l'on paie 180 euros en moyenne dans l'Ariège ; dans la Vienne, je n'en paierai que 112.

M. le Président : Cela montre qu'il faut faire encore beaucoup de péréquation.

M. le Rapporteur : Cela prouve que l'on peut encore augmenter beaucoup...

M. Jean-Yves CHAMARD : La Vienne n'est pas un département hyper-riche.

M. le Président : Cela prouve surtout qu'un taux d'augmentation ne veut rien dire.

M. Jean-Yves CHAMARD : Bien sûr ! C'est bien pour cela que je parle en euros par habitant.

Pour ce qui est du RMI, l'État s'étant engagé à rembourser à l'euro près, il n'aurait dû entraîner aucun surcoût, si ce n'est en trésorerie ; aussi n'avions-nous inscrit aucune dépense supplémentaire à ce titre dans notre budget 2004, le niveau de notre ligne de trésorerie étant suffisant. Dans le budget primitif 2005, nous avons inscrit un montant identique en recettes et en dépenses. Mais si la croissance des dépenses de RMI est supérieure à celle des recettes compensatoires, nous devrons utiliser une partie du reliquat du compte administratif 2005 pour financer la différence. Rappelons que nos 13 % d'augmentation découlent de décisions prises il y a trois ans et non d'une progression des charges du RMI.

Restent cinq domaines dans lesquels le département se substitue à l'État, et ce dès le budget 2005 : le fonds d'aide aux jeunes en difficultés, les CLIC, le fonds de solidarité logement, le fonds eau et énergie et la conservation du patrimoine rural non protégé. Nous avons pris pour hypothèse que la recette égalerait la dépense. Encore faut-il savoir que le total - 850 000 euros - équivaut à un point de fiscalité ; si d'aventure les dépenses, par insuffisance de contrôle ou autre raison, se mettaient à croître 10 % plus vite que les recettes, cela ne représenterait guère que 0,1 % de fiscalité, autrement dit rien de significatif.

Il ressort de tout cela, et la Vienne n'est pas un département très spécifique, qu'en aucun cas on ne saurait justifier en 2005 une augmentation des impôts départementaux par la décentralisation.

Qu'en sera-t-il pour 2006 et 2007 ? Nous allons bien entendu avoir les TOS...

M. le Rapporteur : Comment allez-vous faire avec les TOS ?

M. Jean-Yves CHAMARD : J'ai l'impression que nous pourrions peut-être les faire travailler un peu plus qu'ils ne travaillent aujourd'hui. À voir comment le système marche aujourd'hui, il doit y avoir des progrès de productivité possibles.

M. le Rapporteur : Avez-vous estimé la marge ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Pas encore ; nous ne les avons sous notre coupe théorique que depuis très peu de temps. Mais nous avons une idée, et quelques collègues présidents socialistes, auxquels je l'ai transmise, l'ont trouvée bonne.

Les TOS ont un système indemnitaire moins favorable que les agents des départements. Ils aimeraient bien être alignés ; mais, dans le même temps, ils ont fait grève, et avec eux les syndicats d'enseignants, au moment de la réforme des retraites, pour interdire aux départements de toucher à leur spécificité « collèges » et de les faire travailler ailleurs.

M. le Rapporteur : Et ils ont obtenu gain de cause sur le plan statutaire.

M. Jean-Yves CHAMARD : Effectivement. Aussi, pour nous, ce sera donnant-donnant. Ils veulent garder leur statut spécifique ? Leurs primes seront elles aussi spécifiques. Mais si certains, au cas par cas, acceptent de devenir salariés du conseil général, c'est-à-dire de travailler ailleurs que dans les collèges lorsqu'il n'y a rien à y faire, nous pourrions leur proposer les mêmes primes que les autres agents du département.

M. le Rapporteur : Cela supposerait de ne pas leur appliquer le statut particulier.

M. Jean-Yves CHAMARD : Cela supposerait de les faire passer du statut particulier au statut général.

M. le Rapporteur : Autrement dit, qu'ils abandonnent la « case d'arrivée » qu'on leur prépare actuellement pour rejoindre le statut général. Est-ce possible ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Sur la base du volontariat, évidemment.

M. le Rapporteur : Mais sera-t-il toujours possible de les employer dans les collèges ? Autrement dit, cela marcherait dans un sens, mais pas dans l'autre ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Absolument. Un TOS qui veut garder son statut ne travaillera qu'en collège, mais rien n'interdit, y compris aujourd'hui, au département d'embaucher des gens qui travailleront ici ou là, au collège et ailleurs.

M. le Rapporteur : Est-ce à dire que les embauches supplémentaires que vous envisagez ne se feront pas sous le statut de TOS ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Nous n'avons encore rien décidé ; cela devra être discuté. L'idéal serait de trouver un accord. La CFDT n'y paraît pas défavorable, en tout cas sur le terrain où elle défend l'idée d'un statut du personnel départemental, considérant tous les statuts spécifiques comme plutôt dévalorisants. De surcroît, cela permettrait d'améliorer la rémunération des intéressés.

Voilà pourquoi nous pensons ne pas devoir nous attendre, pour ce qui est des TOS, à un surcoût important ; mais ce sera bien entendu à vérifier.

Du côté du personnel de la DDE, l'idée d'une amélioration de la productivité n'est pas non plus totalement inimaginable. Si nous sommes en négociation serrée avec l'État, ce n'est pas tant sur le transfert des personnels de la DDE que sur celui des routes nationales.

M. le Rapporteur : Ces personnels étant compensés à l'euro près, pourquoi chercher des progrès de productivité ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Pour ne pas trop solliciter les contribuables. Je ne vois donc pas comment, à moins de se laisser aller à une particulière démagogie, un conseil général verrait augmenter ses dépenses de personnel du fait du transfert des agents de la DDE ou des TOS.

M. le Rapporteur : Faut-il à votre avis renforcer les effectifs des TOS dans les collèges ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Il faut commencer par mieux les utiliser.

M. le Rapporteur : Avez-vous évalué le temps de travail réel des TOS actuellement ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Pas encore. C'est un peu difficile tant que nous ne les avons pas sous notre coupe. Sans doute aurons-nous une dépense supplémentaire d'encadrement, mais mieux vaut payer un cadre qui ait le punch nécessaire pour redonner tout simplement envie : il est tellement plus agréable de voir son établissement se rénover, avec de la peinture fraîche et des équipements bien entretenus, que de tenir un balai ! Tant pour les TOS que pour les DDE, il n'y a aucune raison de penser que les masses salariales seront à terme supérieures aux sommes que l'État transfère.

Là où, en revanche, il y a un vrai problème, c'est d'abord sur le RMI. Nous en avons, du reste, déjà fait l'expérience dans le passé, lors de la première décentralisation, avec ce qu'on appelait l'aide sociale. La Vienne avait, à l'instar de ce que je propose aujourd'hui pour les TOS et les DDE, fait réaliser des audits pour améliorer l'efficacité des personnels, mais également des aides. Nous avons gagné de l'argent au début : le produit de la vignette et de la DGF était supérieur aux surcoûts.

M. le Rapporteur : Et ensuite ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Malheureusement, les politiques sociales, votées souvent à l'unanimité et souvent dans la démagogie par le Parlement dont je fais partie, ont considérablement aggravé la situation. Ainsi, pour l'APA, le Gouvernement Jospin n'avait pas prévu de remettre en cause la récupération sur succession : elle a été supprimée par un amendement parlementaire, cosigné par des députés de tous bords et adopté dans un bel élan de cœur ! Ce n'est pas la faute de M. Lionel Jospin, mais bien celle des députés.

M. le Président : Merci de votre sincérité...

M. Jean-Yves CHAMARD : Nous avons une nouvelle bombe devant nous, une nouvelle APA : la prestation de compensation du handicap. Dans le même élan unanime de solidarité, les différentes formations politiques ont été bien au-delà de ce que proposaient Mme Marie-Anne Montchamp et le Gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin. Et pourtant, que dit la Constitution ? Nous l'avons modifiée, rappelons-le, à cause de l'APA. Nous avons tous, reconnaissons-le, cher président, souffert d'une mesure non financée...

M. le Président : Je peux parler d'autant plus aisément de l'APA que j'avais regretté, à l'époque, de ne pas voir les députés de l'opposition protester davantage, et de ne pouvoir, en ma qualité de député de la majorité, déposer un amendement - qui s'était vu opposer l'article 40 ! Le président de la Commission des finances en avait lui-même convenu : les départements, qui se sentaient alors quelque peu menacés, tenaient à cette compétence supplémentaire. Et je reconnais que l'on s'est davantage battu au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.

M. Jean-Yves CHAMARD : Merci pour cette sincérité !

M. le Rapporteur : La Constitution parle de transferts de compétences ; or ce n'est pas le cas ici.

M. Jean-Yves CHAMARD : Effectivement, l'APA n'est pas un transfert de compétence, non plus que la prestation de compensation. Mais il me semble, de mémoire, qu'elle parle de création ou d'extension - j'avais déposé un amendement en Commission des finances là-dessus -ce qui est précisément le cas de l'APA. Il nous faut vérifier, y compris pour la nouvelle prestation de compensation du handicap qui, à un degré certes moindre, peut avoir les mêmes effets si l'État est tenu ou non de verser quelque chose.

M. le Rapporteur : L'équipe de la Direction générale de l'action sociale nous a expliqué que la prestation de compensation du handicap étant une prestation à enveloppe fermée, la somme dépensée ne peut qu'être égale à la somme octroyée, le reste étant affaire de répartition au vu de paramètres décrivant la situation objective de chaque département.

M. Jean-Yves CHAMARD : Je n'ai pas encore travaillé sur le sujet, mais notre directeur général adjoint chargé des affaires sociales, comme mon collègue vice-président chargé de ce secteur, me disent exactement le contraire.

M. Michel GRÉMILLON : Les échos que j'ai de ce texte me conduisent à prévoir une charge supplémentaire pour le département.

M. le Rapporteur : Il serait intéressant de la chiffrer. La grande majorité des départements partagent cette crainte. Pourtant, en dehors du problème du fonds de soutien, qui vient un peu en annexe et pour lequel on peut imaginer un possible débordement, le cas de la prestation en elle-même avait l'air limpide.

M. Jean-Yves CHAMARD : Je ne vois pas comment l'enveloppe peut être fermée.

M. le Rapporteur : Il y a une enveloppe déterminée à répartir.

M. Jean-Yves CHAMARD : Imaginez-vous dans la situation d'un handicapé. Vous passez devant une commission qui va déterminer le soutien à apporter pour compenser votre handicap : aide ménagère, appareillage, etc. Mais sa décision n'a rien à voir avec l'enveloppe, à moins d'imaginer que si tout a été distribué au 30 septembre, les cas non traités à cette date seront priés de revenir l'année suivante !

M. le Rapporteur : On nous a expliqué que le barème, en gros, était conçu en fonction de l'enveloppe de l'année précédente.

M. Jean-Yves CHAMARD : Autrement dit, si l'enveloppe diminue, on fait baisser le barème l'année suivante ?

M. le Rapporteur : Oui.

M. Jean-Yves CHAMARD : Je souhaite bien du courage à celui qui sera chargé de l'expliquer à un bénéficiaire dont l'état de santé se sera détérioré d'une année sur l'autre ! C'est irréaliste.

Revenons aux effets financiers de la décentralisation. Pour la Vienne, il n'y aura rien en 2005, les recettes égalant les dépenses, si ce n'est, au pire, 0,1 point de fiscalité. Le RMI peut être en revanche une source de dérapages. En imaginant qu'il se mette à coûter 10 % de plus d'une année sur l'autre, cela peut représenter pour la Vienne, où il en est actuellement à 30,6 millions, jusqu'à quatre points de fiscalité. Trois ou quatre, mais pas huit, ni treize, ni quinze. Nous, nous avons prévu zéro.

M. le Président : Nous sommes déjà assez d'accord sur vos 3 ou 4 %.

M. Jean-Yves CHAMARD : Peut-être ; mais on peut aussi penser que, d'ici deux à trois ans, l'augmentation du nombre des retraités devrait mécaniquement réduire le chômage et donc indirectement le nombre de bénéficiaires du RMI.

M. le Président : Tout le monde s'accorde sur une augmentation des impôts en 2005, mais on peut être plein d'espoir pour 2010, sinon 2015 !

M. Jean-Yves CHAMARD : Pour 2005, seul le RMI peut éventuellement justifier une augmentation de la fiscalité ; pour 2006, ni le transfert des TOS ni celui des personnels DDE ne devraient en justifier une. Pour les routes nationales, c'est une partie de bras de fer, mais cela n'apparaîtra qu'à la fin du contrat de plan...

M. le Président : Vous avez des problèmes avec les routes nationales ? Cela m'intéresse...

M. Jean-Yves CHAMARD : L'État essaie naturellement de nous en refiler un maximum... Nous sommes parvenus à un accord général, sauf sur la nationale 10, l'État n'y ayant pas, à notre avis, consacré suffisamment d'investissements.

M. le Président : Notre collègue Michel Bouvard m'a signalé que, dans son département, on lui transfère des tunnels qui coûteront très cher en remise aux normes. En est-il de même chez vous ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Il n'y a pas de tunnels dans la Vienne.

M. le Rapporteur : Mais la viabilité hivernale ?

M. le Président : Pas dans la Vienne...

M. Jean-Yves CHAMARD : Notre seul contentieux actuel avec l'État porte sur la nationale 10.

M. le Rapporteur : L'État veut transférer la RN 10 ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Les routes nationales parallèles aux autoroutes doivent être décentralisées. Ce qui n'est pas le cas au Sud de Poitiers, puisque la RN 10 file sur Angoulême et l'A10 sur Niort. Mais, plus haut, la RN 10 est strictement parallèle à l'autoroute, de l'échangeur de Châtellerault-Nord à celui de Poitiers-Sud ; l'État veut donc nous la transférer. Le contentieux porte sur le contournement de Poitiers, sur lequel de nombreux travaux - ronds-points, échangeurs, etc. - ont été programmés, mais non réalisés. Tout en acceptant la rétrocession de la RN 10 à deux fois deux voies au Nord de Poitiers, le département tient à ce que le contournement de Poitiers reste national, au moins jusqu'à ce que l'État ait fait les travaux prévus.

M. le Rapporteur : Sont-ils inscrits dans le contrat de plan ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Pour une petite partie seulement. Disons un ou deux ronds-points là où il en faut six...

M. le Rapporteur : La partie inscrite dans le contrat de plan est couverte.

M. Jean-Yves CHAMARD : Oui. Mais cela ne suffit pas.

J'ai beaucoup insisté pour que l'on ne fasse pas porter sur l'emprunt la non-augmentation des impôts, car je trouve de mauvaise politique de faire payer à ses enfants les dépenses que l'on fait aujourd'hui. Certains départements de Poitou-Charentes ont beaucoup sollicité la fiscalité, plus que nous au total, mais également beaucoup recouru à l'emprunt : ainsi la Charente et les Deux-Sèvres, ce qui me paraît totalement incompatible avec une gestion à long terme.

Pour ce qui est de la région Poitou-Charentes, Mme Ségolène Royal s'est répandue dans tous les journaux en expliquant que la forte augmentation de la fiscalité régionale - 19 % en moyenne entre les impôts directs, la carte grise en augmentation de 27 % et le reste - était en quelque sorte un « impôt Raffarin ». C'est un mensonge pur et simple, la décentralisation ne s'étant pas encore traduite, pour la région comme pour les départements, par un poids réel supplémentaire. En fait, Mme Ségolène Royal a voulu réduire la charge d'emprunt qu'elle considérait, à juste titre, trop élevée en la remplaçant par de la fiscalité. Mais M. Jacques Santrot, maire de Poitiers et membre du Comité des finances locales, vous le dirait comme moi : mieux vaut faire savoir en toute transparence que trop d'emprunt, ce n'est pas bon pour l'avenir, a fortiori lorsque l'on craint l'éventualité de nouvelles dépenses, et que l'on a décidé de reporter une partie de l'effort sur la fiscalité afin d'alléger la charge d'emprunt, ce qui n'a rien d'absurde, plutôt que de faire croire n'importe quoi. Je suis vraiment très remonté contre cette présentation totalement biaisée, ainsi qu'en témoigne la comparaison entre les budgets régionaux 2004 et 2005. La décentralisation n'est pour rien là-dedans, si ce n'est à la marge.

M. le Président : Comment fonctionne actuellement le Futuroscope ? Vous avez vendu votre société d'économie mixte à Amaury, puis vous l'avez rachetée et fait une nouvelle SEM ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Exactement : nous avons repris la main. L'idée ne nous plaisait guère, mais c'était ça ou le dépôt de bilan.

M. le Président : Et qui est venu dans la participation privée ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Toujours Amaury, qui joue le rôle de partenaire privé, conformément à l'accord négocié avec lui. Mais sur trois ans, 2005, 2006 et 2007, nous rachetons progressivement ses parts et nous devons trouver d'ici à la fin 2006 un nouveau partenaire afin de respecter le seuil de 15 % de capital privé dans une SEM. Nous sommes en négociations avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui pourrait jouer ce rôle, mais à la condition que nous présentions un compte équilibré. D'où des mesures assez drastiques visant à ramener le point d'équilibre de 2,1 millions de visiteurs à 1,5 ou 1,6 million. Nous sommes en passe d'y arriver, au prix d'une forte réduction du nombre de CDI - on n'a plus besoin du même nombre de salariés lorsque l'on est passé de 2,6 millions à 1,2 million de visiteurs -, mais sans le moindre licenciement, en parvenant à négocier 200 départs. L'objectif est d'atteindre l'équilibre des comptes en 2006 afin de permettre l'entrée de la CDC dans le capital.

M. le Président : Ne voyez aucune critique dans ma question ; seuls ceux qui n'entreprennent jamais rien ne connaissent pas de difficultés.

M. Jean-Yves CHAMARD : Tout à fait. Mais le Futuroscope génère énormément de recettes par ailleurs, sous forme de taxe professionnelle.

M. le Président : La seule question que certains pourraient se poser est de savoir si tout cela était bien de la compétence d'un conseil général...

M. le Rapporteur : Honni soit qui mal y pense !

M. Jean-Yves CHAMARD : Nous avons toujours privilégié, je l'ai dit, les investissements créateurs de richesses. Une étude sortira prochainement - nous pourrons vous la communiquer - qui montre l'impact du parc du Futuroscope sur l'économie locale : hier, c'était un champ de pommes de terre ou de tournesols, aujourd'hui, ce sont six mille emplois, donc des salaires, donc de la taxe professionnelle qui entre. À l'évidence, il fallait faire le Futuroscope.

M. le Rapporteur : En quoi le conseil général gère-t-il mieux le RMI que l'État ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Le fait d'être plus proche du terrain peut l'inciter à une action plus volontariste. En voici un exemple : l'intérêt de tous, des bénéficiaires du RMI comme du département qui le verse, est qu'il y en ait le moins possible. Sans cesse à la recherche de méthodes innovantes pour essayer de remettre les RMIstes au travail, nous en avons trouvé une dans le Bordelais, dont nous avons racheté, si j'ose dire, les « droits d'auteur ». Elle consiste à rapprocher l'offre et la demande. Nous avons constitué quatre ou cinq équipes qui, dans tout le département, vont voir les entreprises pour réfléchir avec elles sur leurs besoins de main-d'œuvre avant de chercher, dans le vivier des bénéficiaires du RMI, les candidats à leur présenter.

M. le Rapporteur : Qui mène cette action ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Le département lui-même, par le biais de ces cinq équipes de cinq salariés environ, dont l'unique travail est de faire de l'insertion professionnelle.

M. le Rapporteur : De l'insertion professionnelle de RMIstes.

M. Jean-Yves CHAMARD : En effet, et dans des emplois pour la plupart non aidés. Nous reprendrons cette méthode, en l'amplifiant, pour les emplois aidés, contrats d'avenir ou CI-RMA, encore peu développés.

M. le Président : Que faites-vous exactement dans les domaines de la technologie et de la communication ?

M. Jean-Yves CHAMARD : M. René Monory ayant été ministre de l'Éducation nationale et de bien d'autres domaines, nous avons essayé d'attirer à Poitiers des opérateurs publics dans le secteur de l'industrie de la connaissance, ainsi le Centre national d'enseignement à distance, dont le siège social est à Poitiers, avec 600 emplois dont une partie utilise les nouvelles technologies, ou encore le Centre national de documentation pédagogique, en cours de délocalisation malgré l'hostilité des syndicats. Parallèlement, nous avons amené sur le site du Futuroscope une partie de l'université de Poitiers qui s'est fortement développée dans ce secteur. Le département de la Vienne a été, en pourcentage, le premier financeur du développement de l'université dans ces domaines - pour la partie investissement, s'entend. Enfin, nos équipes de la direction de l'action économique ont été « draguer » dans toute la France des entreprises naissantes ou bien établies, comme Cégétel, afin d'amener sur la technopole du Futuroscope des activités allant de l'informatique appliquée aux centres d'appel, et qui ont permis la création de plusieurs centaines d'emplois.

M. le Rapporteur : Le conseil général de la Vienne a-t-il réfléchi à un éventuel recentrage de ses missions ? Certaines villes ou associations ont exprimé leur inquiétude à l'idée que le transfert des compétences n'amène les collectivités départementales ou régionales à se recentrer sur leurs missions propres. Avez-vous pris des décisions ou arrêté des perspectives à cet égard ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Oui, tout au moins dans certains domaines. Notre plus gros poste d'investissement jusqu'à 2002 était l'université, totalement hors compétences, mais M. René Monory croyait, à juste raison me semble-t-il, dans le développement de la matière grise. Aussi nous sommes-nous très fortement impliqués dans le cadre d'un contrat. Mais lorsque celui-ci se terminera, nous réduirons quelque peu la voilure en ne la maintenant que dans le domaine des nouvelles technologies de l'information. Nous allons donc, pour ce qui est de l'université, faculté de médecine et autres, nous recentrer. À l'inverse, nous entendons bien rester l'acteur majeur du développement économique de la Vienne, comme nous l'avons été ces quinze dernières années, et nous n'avons pas l'intention de réduire en quoi que ce soit notre intervention. La raison en est simple : c'est d'abord une question d'emplois, que toute collectivité a mission de favoriser, ensuite une question de ressources : tous ces nouveaux arrivants génèrent de la taxe professionnelle et du foncier bâti. Nous ne recentrerons donc pas notre action dans ce domaine.

M. le Rapporteur : Quelle est votre position sur la réforme de la taxe professionnelle ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Je cherche encore à comprendre pourquoi on a lancé cette idée...

M. le Président : Votre produit de taxe professionnelle a diminué en 2002. Est-ce dû au Futuroscope ?

M. Michel GRÉMILLON : Non, à l'effet de la suppression de la part salaires.

M. le Président : Mais pourquoi, après avoir augmenté en 2003, rediminue-t-elle en 2004 ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Je ne peux vous donner de réponse sur l'instant. Mais nous vous l'enverrons.

M. le Président : Le foncier non bâti ne représente certes pas grand-chose, mais ses bases augmentent de 10 % cette année...

M. Michel GRÉMILLON : Nous n'avons pas compris pourquoi.

M. le Président : Moi non plus !

M. Jean-Yves CHAMARD : C'est un impôt auquel on ne touche quasiment jamais.

M. le Président : La départementalisation des SDIS remonte à déjà quelques années. Votre participation augmente de 8,5 % cette année. Pourquoi ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Comme je l'ai expliqué, ce n'est pas le budget du SDIS qui augmente de 8,5 %...

M. le Président : Mais votre participation.

M. Jean-Yves CHAMARD : En effet.

M. le Président : Chez moi, elle n'a augmenté que de 3 ou 4 %.

M. Jean-Yves CHAMARD : Dites-moi comment vous faites : je me bats en permanence pour essayer de réguler le budget du SDIS ! S'il augmente de 6 % et la participation des communes seulement de 2 %, cela fait 9 % de plus pour le département. J'aimerais bien regarder comment vous faites. C'est ainsi que nous travaillons : nous allons voir où c'est mieux pour essayer de faire pareil.

M. le Rapporteur : Nous avons déjà évoqué avec le directeur de la défense et de la sécurité civiles du ministère de l'Intérieur les problèmes d'évolution du statut des sapeurs-pompiers. Nous en avons compris que la réforme proposait un repyramidage des corps avec des niveaux hiérarchiques conçus comme des plafonds, mais que la plupart des SDIS, et donc des conseils généraux, leur autorité de tutelle, avaient tendance à considérer ces plafonds comme une règle normale, d'où un effet de surencadrement.

M. le Président : J'ai pour ma part reçu, dans l'Ariège, une lettre du préfet m'expliquant que le SDIS devrait recruter quatre sapeurs-pompiers supplémentaires...

M. le Rapporteur : De quoi se mêle-t-il ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Répondez-lui : « D'accord, mais c'est vous qui payez ! »

M. le Président : Il doit bien y avoir une règle en la matière. Au demeurant, nous n'en avons retenu que deux.

M. Jean-Yves CHAMARD : Nous étions dans un système absurde, qui heureusement sera corrigé : nous ne contrôlions pas politiquement l'assemblée délibérative du SDIS, mais c'est nous qui supportions pratiquement la totalité de l'augmentation, celle des communes étant plafonnée !

M. le Rapporteur : La présidence du SDIS est revenue à l'opposition départementale ? Cela s'est vu dans certains départements...

M. Jean-Yves CHAMARD : Non, nous avons toujours su trouver un terrain d'entente et présenté une seule liste. Mais le problème n'est pas tant de tenir la présidence que d'avoir une majorité pour voter un budget conforme à notre volonté. J'avais moi-même démissionné du conseil d'administration tant la situation était devenue intolérable. Grâce à une heureuse réforme présentée par ce Gouvernement, et que nous avons votée, le budget du SDIS sera désormais proposé par le président du conseil général ; il peut être accepté ou refusé, mais nous ne serons plus dans la situation où certains décident et les autres paient - situation terriblement inflationniste, que nous avons connue dans la Vienne ; mais peut-être Augustin tient-il mieux ses troupes !

M. le Président : Ce n'est pas moi qui tiens les troupes, mais nous avons un colonel plutôt raisonnable...

Je vois avec plaisir que vous augmentez les subventions aux communes et à leurs groupements de 7 %. Mes collègues de la majorité diraient que ce n'est pas de votre compétence et que vous faites n'importe quoi ! Moi, je ne dis rien...

M. le Rapporteur : Je ne me permettrais pas de traiter ainsi les représentants des conseils généraux que nous auditionnons !

M. Jean-Yves CHAMARD : Nous avons également une stratégie destinée à éviter un phénomène que certains départements connaissent : la concentration de tout le développement du département dans une grande agglomération comme Limoges ou sur le seul axe Poitiers-Châtellerault. Aussi avons-nous pris le parti d'aider fortement les investissements des communes pour qu'il y fasse bon vivre et que, du coup, des gens travaillant à Poitiers n'hésitent pas à s'y installer, fût-ce à vingt ou vingt-cinq kilomètres de leur lieu de travail. Les derniers recensements montrent que quasiment tous les cantons de la Vienne progressent, à l'exception d'un ou deux, très excentrés : c'est, au moins pour partie, le résultat de cette politique très volontariste d'aide au développement communal. Et il n'est pas question de recentrer nos interventions au détriment de ces collectivités.

M. le Président : Connaissez-vous le personnel qui vous est attribué pour gérer le RMI ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Oui. Nous avons trouvé que ce n'était pas tout à fait suffisant, à tel point que nous avons dû créer des postes supplémentaires. L'État aurait pu mieux faire, j'en suis bien d'accord.

M. le Rapporteur : Je reviens sur les dispositions constitutionnelles. Le quatrième alinéa de l'article 72-2 dispose : « Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. »

M. Jean-Yves CHAMARD : Je suis l'auteur de l'amendement, repris par la Commission des finances, qui a introduit la notion d'extension. Autrement dit, il est clairement prévu que, en cas de dérapage, l'État doit payer, puisque c'est la création d'une nouvelle prestation. Mais si c'est à enveloppe fermée...

M. le Rapporteur : Qu'appelle-t-on extension de compétences ?

M. Jean-Yves CHAMARD : Un changement de statut ne peut évidemment pas être considéré comme une extension de compétences. Pour la prestation de compensation du handicap en revanche, il s'agit bel et bien d'une création. Mais le barème étant national, libre à l'État de le réduire d'une année sur l'autre pour rester dans le cadre de l'enveloppe. Et comme il n'osera jamais le faire, quelle que soit la couleur politique du Gouvernement, la dépense augmentera et il devra compenser.

M. le Rapporteur : Ou bien il osera et les départements décideront une sur-dépense. C'est un autre schéma...

M. Jean-Yves CHAMARD : Effectivement, c'est le piège : que l'État décide de baisser le barème, et les départements qui ne le voudront pas se retrouveront à payer en plus. Et la garantie constitutionnelle ne jouera pas. Autrement dit, on passerait de 100 à 90 et, comme la ville de Paris le fait encore pour les personnes âgées, le département financerait sur ses ressources propres une prestation départementale.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions de vos réponses.

Audition de M. Christian ESTROSI,
Président du conseil général des Alpes-Maritimes,
accompagné de M. Pierre BAYLE, Directeur général des services


(Extrait du procès-verbal de la séance du 26 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Christian Estrosi et Pierre Bayle sont introduits.

M. le Président : Nous ouvrons cette séance en accueillant M. Christian Estrosi, Président du conseil général des Alpes-Maritimes, accompagné de M. Pierre Bayle, Directeur général des services du département. Nous poursuivons l'audition des présidents de conseils généraux issus des diverses tendances politiques et venus de départements aux caractéristiques différentes.

La solidité des bases fiscales du département des Alpes-Maritimes lui a permis de stabiliser ses taux depuis plusieurs années. Je ne peux malheureusement pas juger de tout puisque nous n'avons pas encore reçu vos documents de synthèse ; j'espère que vous nous les ferez parvenir. Nous souhaitons que vous nous expliquiez dans quelle mesure la situation de votre département est particulière et quels ont été vos choix politiques en matière de financement et d'utilisation des recettes.

M. le Président rappelle à MM. Christian Estrosi et Pierre Bayle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Christian ESTROSI : Je m'étonne que vous n'ayez pas reçu nos documents administratifs, mais je suis prêt à vous les remettre immédiatement.

Contrairement aux idées préconçues, le département de Alpes-Maritimes n'est pas dans une situation idyllique, notamment sur le plan des recettes. Si je suis présent devant vous ce matin, c'est sans nul doute en raison du choix atypique du conseil général des Alpes-Maritimes consistant à ne pas alourdir ses impôts locaux, après la décision prise en 2001 de baisser de 12,6 % la taxe d'habitation, la taxe professionnelle et la taxe sur le foncier non bâti, qui se traduit, pour l'exercice 2005, par une perte de recettes de près de 40 millions d'euros. J'ai pris l'engagement de ne pas alourdir la fiscalité et j'entends le tenir jusqu'au terme de ce mandat.

Avant de vous exposer les orientations financières stratégiques du conseil général, je vous présenterai de la manière la plus objective la réalité économique et fiscale des Alpes-Maritimes. Quels sont, d'abord, les handicaps et les charges spécifiques à notre territoire ?

D'abord, il a un caractère montagnard et rural : plus de la moitié de son territoire impose par conséquent des surcoûts important pour la réalisation et l'entretien des infrastructures routières. Les zones rurales fragilisées sont frappées par la désertification, dans un contraste saisissant avec le littoral saturé, ce qui amène le conseil général à s'impliquer en matière de développement : 30 millions d'euros sont investis sur trois ans dans les syndicats mixtes de sept stations de sports d'hiver après plusieurs années sans neige, le conseil général contribuant ainsi à 95 % de leur équilibre financier. Nous conduisons une politique de maintien des services publics, assurons des services à la personne et faisons en sorte que des médecins se maintiennent en zone rurale.

Nous avons une population plus âgée que la moyenne nationale, ce qui n'est pas sans conséquences. La part de la population âgée de plus de 60 ans est de 26,6 %, contre 20,6 % au plan national. L'APA pèse tout particulièrement sur les finances départementales et la croissance du nombre de bénéficiaires n'est pas achevée. On compte 18 000 bénéficiaires fin 2004, pour une population départementale à peine supérieure au million d'habitants. La charge de cette allocation représente une dépense totale de 281,3 millions d'euros, hors rallonges des décisions modificatives, soit, prestation spécifique dépendance (PSD) déduite, un coût net pour la collectivité de 163 millions d'euros sur trois années de mise en œuvre. 87,6 millions d'euros ont été inscrits au budget pour 2005 en faveur de l'APA.

Notre département est également confronté à des phénomènes de chômage, de précarité et d'exclusion importants : le taux de chômage atteint 10,2 %, les bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé représentent 2,27 % du total national et ceux de l'allocation parent isolé 1,87 %, soit des taux sensiblement supérieurs au poids de la population des Alpes-Maritimes dans l'ensemble national.

La population touristique est nettement sous-estimée et les dotations d'État ne prennent en compte cet état de fait que partiellement : la population dite « DGF », qui ajoute un habitant par résidence secondaire, compte 150 000 habitants de plus que celle estimée par l'INSEE ; or nous recevons chaque année dix millions de visiteurs. Et il faut bien que nous assurions nos missions à leur égard.

Au plan fiscal, en matière de base de taxe professionnelle, les Alpes-Maritimes se situent à la dernière place de la strate des départements de plus d'un million d'habitants, de par la faiblesse de l'industrie et la prédominance des activités de services et de recherche. Son potentiel fiscal est par conséquent largement inférieur à la moyenne de la strate.

La solidarité nationale entre territoires s'exerce assurément par le biais des mécanismes de péréquation. Or la dotation globale de fonctionnement, dans les Alpes-Maritimes, a évolué moins vite que l'enveloppe nationale, du fait de la faible progression de la part péréquatrice : en 2003, le département a touché une DGF hors indemnisation du contingent d'aide sociale de 45,6 euros par habitant, soit un niveau très proche de la moyenne nationale. Quant à la dotation globale de décentralisation, elle est négative, puisque les Alpes-Maritimes sont l'un des trois départements dits surfiscalisés : cette ponction a représenté 20,4 millions d'euros en 2004, 20,2 millions en 2005. Nous ne contestons pas cet effort de solidarité, mais ses caractéristiques propres ne doivent pas être oubliées.

Nous avons cependant quelques atouts en matière de recettes fiscales, notamment des droits de mutation élevés et des bases dynamiques.

La fiscalité indirecte - 238 millions d'euros en 2003 - est constituée pour l'essentiel par les droits de mutation. Après des années difficiles dans la décennie 1990, le produit a sensiblement augmenté entre 2000 et 2003, la tendance se poursuivant depuis. À 215 euros par habitant hors produit compensé, c'est le produit le plus élevé de France. Les Alpes-Maritimes se situent à la deuxième place des départements de leur strate en termes de bases par habitant, tant sur la taxe d'habitation que sur le foncier bâti. Ces bases connaissent une évolution rapide : plus 10 % pour la taxe d'habitation et plus 7,4 % pour la taxe sur le foncier bâti entre 2000 et 2003.

Face à ce tableau contrasté, la collectivité départementale a choisi, sur ma proposition, une stratégie financière reposant sur trois principes : priorité à l'investissement, maîtrise des dépenses de fonctionnement et stabilité de la pression fiscale.

Dès 2000, le choix a été fait de privilégier la politique d'investissement pour apporter des réponses concrètes aux difficultés quotidiennes des Azuréens et améliorer les conditions de développement des entreprises. De 2000 à 2003, le conseil général a investi 820 millions d'euros, soit une moyenne de 205 millions par an ; les réalisations se sont amplifiées pour atteindre 241 millions en 2003. Les chiffres sont supérieurs à la moyenne de la strate : les Alpes-Maritimes ont investi 226 euros par habitant en 2002 contre 150 euros pour la strate.

Dès mon élection, j'ai souhaité renforcer cette priorité. En 2004, 273 millions ont été réalisés en investissement, avec en outre un taux d'exécution de 85 %, contre 77 % en 2003. Les crédits d'investissement inscrits au budget primitif 2005 atteignent le niveau sans précédent de 330 millions. Sur la base d'un audit réalisé par le cabinet Michel Klopfer, une politique de planification et de contractualisation a été engagée.

L'an passé, quatre grands programmes d'investissement ont donc été votés par l'assemblée départementale. Premièrement, d'ici à 2012, nous devrons ouvrir quinze nouveaux collèges, compte tenu du baby boom de l'an 2000 et des flux migratoires, sans compter mon engagement de doter chaque établissement d'un gymnase de type C - soit 21 gymnases - et notre politique de construction d'internats d'intégration dans les quartiers difficiles, pour prendre en charge du lundi au vendredi les élèves en difficultés familiales. Avec ces 6 internats à construire, tout cela représente 740 millions d'euros, planifiés sur 6 ans. Deuxièmement, nous engagerons 110 chantiers routiers sur six ans pour résorber les points noirs, soit un investissement de 1,02 milliard d'euros. Troisièmement, dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure (LOPSI), dont j'ai été le Rapporteur, nous construisons un hôtel de police et quatorze brigades et compagnies de gendarmerie. Quatrièmement, nous avons signé un contrat de plan départemental innovant avec les quatre grandes communautés d'agglomérations du département : sur les domaines de compétences dont elles se sont dotées, plutôt que de nous désengager, nous assurerons la mise en cohérence en investissant 220 millions sur six ans, qui doivent générer au total 1,2 milliard d'investissement avec des initiatives de nos partenaires, sur le territoire départemental. Grâce à cette politique de planification et de contractualisation, je sais exactement ce que je vais dépenser chaque année en investissement. Nous éviterons ainsi tout saupoudrage.

Les dépenses de fonctionnement ont augmenté significativement entre 2000 et 2003 : le département a dû assurer l'augmentation du contingent du SDIS de 33,6 % par an, les conséquences de l'ARTT sur son personnel - 104 créations d'emplois dans le secteur social pour 3,8 millions au budget primitif 2002 - et la montée en charge très rapide de l'APA. La stabilité attendue de l'APA n'est toujours pas intervenue puisque, sur les quatre premiers mois de 2005, nous avons enregistré un solde net de 130 nouveaux entrants par mois. Par ailleurs, la participation du FFAPA n'est plus que de 39 %, alors qu'elle représentait 49 % de la dépense constatée en 2002.

Sur la période 2000-2003, les dépenses de fonctionnement ont été financées grâce au dynamisme des recettes et par le recul de l'épargne et du fonds de roulement, élevé au début de la décennie. Pour l'avenir, sur la base d'un audit rétrospectif et prospectif, le conseil général inscrit ses dépenses dans un cadre clair et rigoureux. Le programme d'investissement de 2 milliards d'euros que j'ai signalé sera financé à hauteur de 750 millions d'euros par l'emprunt. La collectivité départementale approchera ainsi huit années de capacité de désendettement en 2010. Ce recours important à l'emprunt se justifie par un désendettement massif : la dette est passée de 600 à 50 millions d'euros, entre 1994 et 2004. La capacité de désendettement atteignait alors six mois.

La croissance des recettes est découplée des dépenses de fonctionnement de l'ordre de trois points. Ces prévisions intègrent les transferts financiers attendus au titre de l'acte II de la décentralisation et les initiatives que le conseil général pourrait prendre au titre de ses compétences nouvelles. Je tiens à dire qu'une maîtrise des dépenses de fonctionnement passe par un volontarisme direct et concret. Ainsi, entre 2003 et 2004, les dépenses de communication et de réception ont diminué de plus de 1,7 million d'euros, passant de 6,4 à 4,6 millions d'euros.

L'action départementale s'inscrit enfin dans une stratégie financière reposant sur une politique fiscale volontaire et attractive. Les coûts d'investissement comme le foncier, les coûts d'exploitation, les frais courants classiques des entreprises autant que ceux des salariés du public et du privé atteignent aujourd'hui des seuils dissuasifs et véritablement pénalisants pour permettre à une entreprise de s'implanter sur la Côte d'Azur ou d'y trouver le personnel qualifié qu'elle recherche. La difficulté est aggravée par un enclavement relatif, aux marches du territoire national.

Quel rôle peut jouer dans ce contexte la fiscalité départementale, alors même que les fiscalités communale et intercommunale sont déjà élevées ? En 2004, la moyenne des quatre taux d'imposition à la TP des quatre communautés d'agglomération était de 20,7 %, soit près de quatre points de plus que la moyenne nationale. Des écarts comparables touchent les taux communaux des impôts ménages. Vous comprendrez donc tout mon attachement aux effets de la stratégie financière départementale. En 2004, nos taux de fiscalité directe étaient de 10 à 20 % inférieurs à la moyenne nationale. J'ai l'ambition de conserver cette position au profit des Alpes-Maritimes, avec un double sentiment de détermination et de confiance.

Le recours à l'emprunt, accompagné d'une maîtrise des dépenses de fonctionnement, nous permettra de financer notre programme d'investissement 2004-2010 sans accroître le recours à la fiscalité.

S'il est aujourd'hui des départements qui augmentent leur fiscalité, ce ne peut être du fait de l'acte II de la décentralisation. Les véritables causes des hausses fiscales sont liées aux décisions du précédent gouvernement concernant l'APA et le SDIS, avec la loi de 2002 sur la démocratie de proximité. L'acte II, au vu des premiers transferts de moyens qui ont bénéficié au département des Alpes-Maritimes, est en effet bien compensé par l'État. Les chiffres du RMI en attestent : les 78 millions d'euros dépensés par le département seront compensés en deux temps, étant précisé que les Alpes-Maritimes attendent 2,6 millions d'euros au titre de l'engagement pris par le Premier ministre à hauteur de 435 millions d'euros pour l'ensemble des départements. À cet égard, je tiens à dire ma confiance dans le rôle imparti à la Commission consultative d'évaluation des charges.

Nous avons déjà mis en œuvre l'article 7 : depuis 2002, nous gérons 2 365 kilomètres de voirie départementale ; nous sommes donc complètement organisés pour faire face aux 300 kilomètres de voirie nationale qui nous seront transférés, dès lors que nous recevrons une compensation à l'euro près.

Si des inquiétudes m'incitent à la vigilance, elles n'ont pas trait à la loi du 13 août 2004, mais sont plus étroitement liées au financement de la prestation de compensation du handicap mise en place par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi me paraît prendre pour mauvais modèle l'APA, et son décret d'application fait dans mon département l'objet d'une attention particulière, puisque l'on estime à environ 15 millions d'euros le coût annuel à y compenser. Nous espérons donc que ce décret garantisse aux départements qu'ils n'auront aucune charge supplémentaire à assumer.

M. le Rapporteur : Merci pour cet exposé très clair.

Pouvez-vous préciser la nature de votre inquiétude à propos du handicap ? Le Directeur général de l'action sociale, hier, nous a affirmé que le système était cadré, équilibré, avec une enveloppe fermée de dépenses qui sera répartie en fonction du nombre et du paramétrage des allocataires. Pour être franc, je ne suis pas sûr d'avoir tout compris, d'autant que j'entends aussi les conseils généraux s'interroger.

M. le Président : Pour être clair, le Directeur général nous a assuré que les départements n'auraient pas à augmenter leur pression fiscale du fait de cette loi.

M. le Rapporteur : Après avoir annoncé l'absence de surcoût au titre de la prestation, il a simplement expliqué que la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées pourrait occasionner des initiatives supplémentaires, et par conséquent des surcoûts.

M. Christian ESTROSI : Le système sera donc équilibré ? Merci pour cette excellente nouvelle... mais j'attends qu'elle soit suivie de décrets. Il faudra que notre département reçoive 15 millions d'euros par an. Nous avons évidemment pris nos dispositions pour pouvoir ouvrir notre maison du handicap dès le 1er janvier prochain, et nous réfléchissons à d'éventuelles prestations supplémentaires. La décentralisation coûte certes de l'argent - la vision Defferre a même consisté à transférer des compétences, mais aucun moyen -, mais elle fait avancer la France : il suffit de comparer l'état actuel des établissements scolaires avec celui dans lequel ils se trouvaient avant leur livraison aux départements ou aux régions. Le jeu normal de la décentralisation, c'est que l'État compense à l'euro près les compétences transférées, puis que les collectivités prennent leur propre part de responsabilité sur le plus qu'elles peuvent apporter. Nous ne traînerons donc pas les pieds sur le handicap. En tout état de cause, nous attendons les textes d'application.

M. le Rapporteur : En quoi le conseil général gère-t-il mieux le RMI que ne le faisait l'État ? La décentralisation d'une compétence est-elle l'occasion de dépenser plus en faisant mieux ou de dépenser moins ? Quelles sont vos réflexions à propos du RMI, du transfert des TOS et de l'équipement ?

M. Christian ESTROSI : S'agissant du RMI, nous nous occupions de l'insertion bien avant le transfert de la gestion du revenu et nous étions classés parmi les bons élèves puisque le taux azuréen de RMIstes, depuis 2001, a régulièrement baissé.

M. le Président : Quel est le taux de RMIstes par rapport à la population ?

M. Christian ESTROSI : Nous en dénombrons 16 841 sur un million d'habitants, contre 22 000 en 2000.

M. le Président : Comment expliquez-vous cette chute ?

M. Christian ESTROSI : Par une politique d'insertion très dynamique et reconnue comme telle.

M. le Président : C'est la seule explication ?

M. Christian ESTROSI : Sincèrement, c'est uniquement imputable à l'excellente politique d'insertion menée par notre service social.

M. le Rapporteur : Sous-entendriez-vous, M. le Président, que certaines personnes seraient exclues du dispositif ?...

M. le Président : Absolument pas !

M. Christian ESTROSI : Nous n'avons aucune maîtrise des exclusions.

M. le Président : Tous les départements du bassin méditerranéen connaissent des taux supérieurs à 5 %, et vous faites exception. La qualité de l'habitat n'y est-elle pas pour quelque chose ? Dans les autres départements, les titulaires du RMI vivent dans des logements vétustes.

M. Christian ESTROSI : Non. En 2001, nous étions à 56 % de taux de contrat, en 2002 à 71 %, en 2003 à 78 %, en 2004 à 72 % et en 2005 à 73 %. Je vous parle de taux d'insertion : les RMIstes ne quittent pas le département, nous les insérons. Notre taux d'insertion est très largement supérieur à la moyenne nationale. C'est le résultat de l'action de nos services.

M. le Président : Quels sont les moyens mis en œuvre ?

M. Christian ESTROSI : De la formation, du logement, du retour vers l'emploi.

M. le Président : Mais quelles actions concrètes menez-vous ?

M. Christian ESTROSI : Nous agissons notamment en partenariat avec les entreprises : après l'Yonne, c'est dans les Alpes-Maritimes que le plus grand nombre de contrats RMA ont été signés.

M. le Président : Combien en avez-vous signés ?

M. Christian ESTROSI: Une soixantaine et, grâce à la nouvelle formule, déjà une quarantaine de plus depuis le début de l'année.

M. le Rapporteur : Sur 1 300 en France, ce n'est pas mal !

Depuis que la compétence RMI a été transférée, que faites-vous de mieux ?

M. Christian ESTROSI : Le contrôle est meilleur et nous couvrons de nouveaux publics ressortissant des États membres de l'Union européenne. De plus, nous rayons des listes les allocataires ayant refusé trois projets d'insertion.

M. le Rapporteur : Ce que vous ne pouviez pas faire auparavant ?

M. Christian ESTROSI : Nous pouvons aussi radier ceux qui touchaient également le RMI dans un autre département, ce que l'État, paradoxalement, ne faisait pas.

M. le Président : Votre département est frontalier. Des migrants ressortissant des pays de l'Est vous demandent-ils à percevoir le RMI ?

M. Christian ESTROSI : Chez nous, les migrants viennent plutôt des pays méditerranéens. Nous avons eu environ 600 demandes en 2004 et 2005. Nous avons donné instruction à la CAF de ne pas les accepter.

M. le Président : Sur quelle base juridique ?

M. Christian ESTROSI : Après avoir interrogé le ministère de l'Intérieur.

M. le Rapporteur : C'est la loi !

M. Éric RAOULT : Dans les Alpes-Maritimes, on applique la loi !

M. Christian ESTROSI : Je vous réponds précisément. Lorsque j'ai été confronté à cet afflux, j'ai saisi la direction départementale du travail qui m'a demandé de les prendre en charge, à ma grande surprise. J'ai donc interrogé le ministère de l'Intérieur qui m'a répondu très clairement par écrit qu'ils ne relevaient pas de la loi. Je l'ai fait savoir au directeur du travail et de l'emploi du département et j'ai donné instruction à la caisse d'allocations familiales, qui gère les dossiers par délégation.

M. le Président : Je suis tout à fait d'accord. Moi aussi, j'appliquerai la loi. Mais, s'ils ne touchent pas le RMI, que deviennent-ils ? Contrairement à certains, je n'exploite pas le problème de façon polémique mais je cherche à comprendre ce qu'il faut faire.

M. Christian ESTROSI : Je me contente, tout comme vous, de gérer mon conseil général et, lorsque je revêts cette casquette, mon problème n'est pas de savoir ce que mon pays va en faire. Je ne fais qu'appliquer la loi et rejeter leur dossier.

M. le Président : Mais que deviennent-ils ?

M. Christian ESTROSI : Ils font des tentatives ailleurs ! Ils semblent très mobiles.

M. le Rapporteur : Quelle est la politique de votre conseil général en matière de prise en charge des mineurs étrangers isolés ?

M. le Président : Bonne question !

M. Christian ESTROSI : Nous plaçons nombre d'entre eux au foyer de l'enfance.

M. le Rapporteur : Comment gérez-vous les flux ?

M. le Président : Sur ce dossier, la responsabilité financière incombe-t-elle au département ?

M. Christian ESTROSI : Oui, certainement.

M. le Président : Le département est responsable de la solidarité nationale ?

M. Christian ESTROSI : Je n'irai pas jusque-là, mais vous ouvrez là un grand débat sur la politique de la protection de l'enfance, qui, dans notre pays, connaît de graves dysfonctionnements à cause de la transversalité des compétences, comme l'a montré le rapport au Président de la République de Mme Claire Brisset, Défenseure des enfants. Les conseils généraux, juridiquement, sont censés être responsables de cette politique. Les juges pour enfants décident souvent de placements inadaptés et la protection judiciaire de la jeunesse est défaillante. Nos services sociaux interviennent à partir de signalements et d'enquêtes mais, si les bâtiments du foyer de l'enfance nous incombent et si nous finançons le personnel, la gestion des ressources humaines relève du ministère de la santé. Les mineurs étrangers isolés posent aussi un problème.

M. le Rapporteur : Vérifiez-vous leur minorité ?

M. Christian ESTROSI : Bien sûr !

M. Pierre BAYLE : Les juges en sont chargés.

M. le Rapporteur : Vous efforcez-vous de stimuler les juges pour qu'ils le fassent mieux ?

M. Christian ESTROSI : Absolument !

M. le Président : Je souhaiterais revenir sur l'APA. Pouvez-vous nous rappeler quels sont les taux de compensation de 2002 à 2004 ?

M. Christian ESTROSI : En 2002, les dépenses se sont élevées à 30 millions d'euros et les recettes à 17 millions d'euros, soit 12 millions d'euros de dépenses nettes pour le conseil général. En 2003, 70 et 30 millions d'euros, soit 39 millions de dépenses nettes. En 2004, 86 et 36 millions d'euros, soit 50 millions de dépenses nettes.

M. le Rapporteur : Et les TOS ?

M. Christian ESTROSI : En nombre de TOS, nous sommes la dernière académie de France. Lors du débat sur la loi relative à leur transfert, j'ai plaidé sans succès en faveur de la fixation d'un ratio de référence prenant en compte les effectifs scolarisés. Avec le recteur, la négociation s'est bien passée, et nous sommes parvenus à un accord portant sur la totalité de TOS transférés. Reste un débat sur les contrats car il existe des TOS non titulaires, souvent recrutés directement par les établissements scolaires : dans mon département, j'ai ainsi dénombré 243 contrats emploi solidarité et contrats emploi consolidé. J'ai enfin obtenu du Gouvernement que ces derniers soient également transférés et, compte tenu du manque d'effectifs, que me soit accordée une compensation à hauteur de 5 % des effectifs de TOS. Au total, grâce à ces transferts, nous serons en mesure de répondre complètement à cette responsabilité nouvellement transférée.

M. le Rapporteur : Dès lors que les emplois sont pourvus, il me semble que sont transférés les financements de tous les TOS, titulaires ou non.

Les TOS ne sont pas bien payés mais leur temps de travail est très en deçà des normes, surtout depuis la circulaire de M. Jack Lang de février 2002. Qu'en est-il dans votre département ? Comment imaginez-vous mieux gérer les TOS ?

M. Christian ESTROSI : Nous conduisons actuellement un audit, car nous ne parvenons pas aux mêmes chiffres, selon que nous prenons en compte les indications des syndicats, des principaux ou du recteur.

M. le Rapporteur : Ce n'est guère surprenant...

M. Christian ESTROSI : L'objectif de cet audit est de connaître l'état des lieux réel. Dans la mesure où nous financions déjà les équipements et où nous menons une politique dynamique en la matière, il ne me paraît pas anormal que la maîtrise du temps de travail et de la planification des personnels d'entretien nous incombe. Je trouve donc que c'est une très bonne mesure, d'autant que le dialogue social se passe bien et que les TOS, globalement, sont eux-mêmes plutôt favorables à ce rattachement.

M. le Rapporteur : Comment concilier le principe d'autorité du chef d'établissement sur ses TOS et les instructions de la collectivité locale en termes de temps de travail, d'organisation des plannings et d'harmonisation d'un établissement à l'autre ?

M. Christian ESTROSI : C'est un vrai sujet. J'ai été amené à réorganiser mes services : j'ai transféré la direction des collèges à la direction des services techniques et j'ai créé une nouvelle direction de l'éducation, qui sera chargée de la gestion des TOS et de la politique d'accompagnement scolaire : voyages, livres, équipement informatique, etc.

Toutefois, dès lors que les TOS deviennent personnels du conseil général, il m'aurait paru normal que les intendants de collège ne relèvent plus de l'éducation nationale mais du conseil général. Le principal n'aurait gardé la responsabilité que de l'enseignement. Malheureusement, ce n'est pas l'option qui a été retenue. Nous compenserons cette petite lacune par le dialogue et la concertation car il se trouve que nous entretenons d'excellentes relations avec les principaux de collège. Le législateur devra néanmoins se pencher de nouveau sur le sujet.

M. le Rapporteur : Et les personnels de l'Équipement ?

M. Christian ESTROSI : C'est le point le plus positif de tous.

M. le Président : Appliquez-vous l'article 7 ?

M. Christian ESTROSI : Absolument. Cette mesure a été appliquée de manière exemplaire. La quasi-totalité de personnels de l'Équipement avaient accepté d'être placés sous l'autorité fonctionnelle du président du conseil général pour la gestion de la voirie départementale ; ils se sont parfaitement intégrés. Par ailleurs, le conseil général a recruté pour compenser la réduction progressive des effectifs du personnel du ministère de l'Équipement au cours des vingt années précédentes et a organisé ses propres subdivisions, en dynamisant la gestion de son personnel.

Nous récupérons maintenant la compétence sur l'intégralité du réseau national - soit 300 kilomètres - après une négociation exemplaire avec le Directeur départemental de l'équipement. Les personnels de la direction ont là encore fait savoir qu'ils étaient favorables à rejoindre les services du département.

M. le Rapporteur : La question leur a déjà été posée ?

M. Christian ESTROSI : Oui. Nous allons fusionner les subdivisions départementales et nationales ; au total, nous n'en aurons donc plus que neuf au lieu de quatorze. Nous rationaliserons nos dépenses pour faire face aux tâches aujourd'hui assumées par l'État et disposer de plus de marges encore en vue de procéder à des investissements complémentaires.

J'ajoute que la quasi-totalité du parc de véhicules était déjà départementale et mise à la disposition de l'État.

M. le Président : Prendrez-vous directement en charge l'entretien du parc ?

M. Christian ESTROSI : Nous menons une étude chiffrée approfondie, en partenariat avec l'État, pour savoir si nous avons intérêt à lui laisser cette charge ou au contraire à la récupérer.

M. le Président : Les ouvrages d'art des routes transférées vous posent-ils des problèmes ?

M. Christian ESTROSI : Nous avons signé, en 2000, un excellent contrat de plan, dont le taux d'exécution s'élève à 59 %. Des chantiers importants de modernisation sont en cours sur toutes les voiries nationales. Dès lors que l'État s'engage à achever le contrat de plan, même avec du retard, cela signifie que nous récupérerons un réseau de voirie nationale en bon état.

M. le Président : N'avez-vous pas d'ouvrages d'art ou de tunnels à mettre en conformité ?

M. Christian ESTROSI : Un seul tunnel nous pose problème : celui de Tende, frontalier avec l'Italie, que nous avons refusé d'intégrer dans le réseau de voirie départementale ; nous ne l'accepterons que dès lors que les Républiques française et italienne l'auront remis en état.

M. le Président : Le même problème se pose en Savoie.

M. Christian ESTROSI : Absolument.

M. le Rapporteur : Le tunnel de Tende est donc le seul élément de voirie à rester dans le réseau national ?

M. Christian ESTROSI : C'est le seul. Un accord vient précisément d'intervenir entre les deux Gouvernements pour le lancement du chantier : la remise en état est prévue dans le contrat de plan et un second tube sera créé.

Je me bats par ailleurs pour que les personnels d'ingénierie des ouvrages d'art me soient confiés. La réflexion est en cours sur leur orientation future, avec deux options possibles : soit les recentrer vers les directions régionales de l'équipement, soit les orienter vers les départements, comme le mien, qui se voient transférer un kilométrage important de voirie nationale.

M. le Rapporteur : N'avez-vous pas le sentiment que les transferts de personnel d'encadrement sont lacunaires ?

M. Christian ESTROSI : Chez nous, cela se passe très bien.

M. le Rapporteur : Et le problème du personnel d'encadrement des DDE ? Avait-il déjà été réglé dans le cadre des négociations sur l'article 7 ?

M. Christian ESTROSI : Il n'a pas été réglé dans le cadre des négociations sur l'article 7 mais lors de la discussion en cours : le personnel d'encadrement, en accord avec le Directeur départemental, sera bien intégré au conseil général, pour notre plus grande satisfaction.

Sincèrement, parmi les transferts de compétences au bénéfice des conseils généraux, celui des routes nationales me paraît le plus efficace. Depuis plus de vingt ans, nous échouions à obtenir la mise en cohérence entre les voiries nationale et départementale. Nous présentons en effet la particularité de posséder une bande littorale très urbanisée et une zone rurale extrêmement désertifiée. Pour parvenir à rendre cohérent l'aménagement du territoire et à fluidifier la circulation, une addition de petites solutions suffit : nous avons dénombré 110 chantiers intéressants qui devraient nous permettre, sur les dix prochaines années, de résorber 20 % à 30 % de circulation, c'est-à-dire de sortir de l'asphyxie aux heures de pointe. Nous avons intégré ces dépenses dans notre plan d'investissement et, grâce à la décentralisation, nous pourrons bâtir sans augmenter la fiscalité.

M. le Président : Quel est le revenu par habitant des Alpes-Maritimes ?

M. Christian ESTROSI : Je vous le ferai connaître par courrier car je ne l'ai pas en tête.

M. le Président : Et quel est l'état de l'habitat ?

M. Christian ESTROSI : L'habitat est très disparate. De mémoire, 60 % des familles ont malheureusement un niveau de revenu qui les rend éligibles au logement social.

M. le Rapporteur : M. Jean-Yves Chamard, hier, nous a dit envisager de recruter les nouveaux personnels TOS dans le cadre du statut ordinaire de la fonction publique départementale. Sous réserve d'une vérification de la légalité d'une telle disposition, envisagez-vous aussi de prendre cette direction ?

M. Christian ESTROSI : En effet, quoique les droits à congés scolaires posent problème : nous examinons les moyens d'intégrer pleinement les personnels TOS, tout en essayant de légitimer cette spécificité.

Dans ma collectivité, les personnels travaillent dans une ambiance plutôt conviviale, chaleureuse. Je suis très attaché à leur confort et à leurs conditions de travail. Nous avons un comité des œuvres sociales qui propose des activités sportives et culturelles, des classes vertes et des classes de mer. Je crois avoir des agents départementaux heureux. Les TOS, actuellement agents d'État, voient par conséquent un certain intérêt à intégrer la fonction publique territoriale.

M. le Rapporteur : Le Président de la Commission des finances, de l'économie générale et du plan de notre Assemblée a coutume de dire que notre système fiscal local, par le jeu des exonérations, des dégrèvements et des plafonnements, est peu péréquateur : ces mécanismes joueraient fortement dans des départements riches, comme celui des Alpes-Maritimes, à moins que ce ne soit le reflet d'une situation sociale plus difficile qu'à première vue.

M. le Président : Un rapport du Sénat montre effectivement qu'en matière de taxe d'habitation, les restitutions aux départements n'ont pas d'effet péréquateur.

M. Christian ESTROSI : Ce n'est pas impossible, mais je vous rappelle que notre image est fausse : affirmer que les Alpes-Maritimes sont riches, c'est aller un peu vite en besogne. Dans bien des domaines, nous devons faire face à des dépenses largement supérieures à celles de bien des départements : l'APA compte 26 % d'allocataires contre une moyenne nationale de 20 % ; la population dite secondaire approche du double de la population principale quand les dotations sont calculées sur des bases inférieures ; la démographie scolaire augmente plus qu'ailleurs et nécessite des investissements considérables ; les dépenses du service départemental d'incendie et de secours sont passées, entre 1998 et aujourd'hui, de 18 millions à 53 millions d'euros, soit 406 euros par habitant, c'est-à-dire 30 % de plus que le niveau moyen des départements de la strate, le département étant très exposé aux intempéries.

M. le Président : Nous ne sommes pas là pour comparer la richesse des départements.

M. le Rapporteur : Mais il faut bien confronter les analyses. L'orateur peut-il achever son propos ?

M. le Président : C'est que l'heure tourne. Nous avons bien compris le sens de votre témoignage sur vos charges et votre fiscalité, et je pense qu'il n'est pas nécessaire que vous vous étendiez davantage.

M. Christian ESTROSI : Vous savez à quel point les droits de mutation sont fragiles.

Contrairement à ce qui nous est proposé avec la TIPP et la TSCA, dotées de bases automatiques, je préconise une réforme de la fiscalité qui nous donnerait la maîtrise totale de notre recette fiscale.

M. le Président : Ah ! Votre base de taxe professionnelle est relativement faible. Que pensez-vous de la réforme de la taxe professionnelle envisagée ?

M. Christian ESTROSI : Je suis très mesuré, compte tenu du caractère rural de mon département. Ainsi, dans le cadre du projet de schéma départemental des déchets ménagers, j'ai opté pour l'arrêt de toute incinération à l'horizon de quinze ans et je recherche des centres d'enfouissement technique en zone rurale. Certaines petites communes sont très intéressées, pour autant que toutes les précautions nécessaires soient prises, notamment concernant la nappe phréatique, et surtout à condition qu'elles en tirent un revenu sûr par le biais de la taxe professionnelle.

M. le Président : Votre position m'intéresse. Vous devriez faire part de votre inquiétude aux instances majoritaires dans le pays !

M. Christian ESTROSI : En tout cas, tant que l'Union européenne n'aura pas apporté de nouvelles garanties, je n'entends pas prendre davantage de risques dans mon département.

M. Éric RAOULT : Dans le mien, en l'espace de cinq ans, les dépenses de communication ont doublé. Il ne faut pas abuser de la communication. Qu'en pensez-vous ?

Les Alpes-Maritimes connaissent des problèmes d'immigration mais n'attirent plus les migrants. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Comment avez-vous procédé pour ne plus dépenser outre mesure en distribuant des aides sociales préoccupantes ? À cet égard, M. le Président, M. le Rapporteur, je suis disposé à vous faire part d'éléments chiffrés que le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, la semaine dernière, a omis de vous communiquer.

M. le Président : Je vous fais remarquer que j'ai demandé que, sur ce sujet, le droit soit appliqué.

M. Éric RAOULT : Je reconnais là votre sens de la légalité républicaine, M. le Président.

M. Christian ESTROSI : Quant à votre question sur les dépenses de communication, je dirais que mon choix a plutôt porté sur l'investissement. Je crois sincèrement que ce qui est vrai à l'échelle d'un pays l'est aussi à celle d'un territoire et je regrette que la France n'investisse pas davantage, quitte à emprunter - nous aurions des TGV partout et moins de chômeurs. C'est le choix que j'ai fait. Résultat, en 2004, j'ai créé 7 000 entreprises, le nombre des RMIstes n'a cessé de chuter et j'ai enregistré une progression du nombre de créations d'emplois ainsi qu'une baisse du nombre de demandeurs d'emploi. Je fais le pari qu'en permettant à nos entreprises de construire, de réaliser, d'investir, de rendre le territoire plus attractif, j'aurai moins de demandeurs d'emplois, moins de candidats à l'aide sociale, davantage de création de richesse et par conséquent davantage de recettes fiscales. Mais il a fallu que j'impose des choix drastiques à l'administration départementale, au protocole et à la communication. Pour cela, les élus ne pouvaient pas donner un mauvais exemple. J'ai ainsi réduit mes dépenses de communication de près de 30 %. Et, depuis trois ans, nous n'avons créé qu'une soixantaine d'emplois nouveaux, sur un total de 3 400 agents.

Nous éprouvons des difficultés à loger les actifs, car le parc locatif est en très mauvais état et 60 000 logements sont vacants. Nous mettons donc en place une politique d'aide au logement tendant à inciter les propriétaires d'immeubles insalubres à les réhabiliter en leur apportant des garanties de loyer. Nous soutenons aussi l'accession à la propriété pour les jeunes ménages en complétant le dispositif étatique de prêt à taux zéro par une prime de près de 9 000 euros. Nous passons des conventions avec des bailleurs sociaux pour favoriser le logement d'actifs. Le ministère de l'intérieur m'a accordé 250 policiers supplémentaires sur trois ans et, en contrepartie, je m'engage à les loger, sans parler de la construction de 14 brigades de gendarmerie. Le problème, pour les policiers comme pour les autres fonctionnaires, c'est que nous sommes classés en zone 3 alors que le prix du loyer au mètre carré est équivalent à celui de l'Île-de-France. Je demande donc, par ailleurs, un classement en zone 1, comme en Île-de-France, qui faciliterait leur installation dans des logements dignes.

Cette priorité au logement est destinée prioritairement aux actifs et aux personnes à réinsérer qui acceptent la règle du jeu. Il s'agit d'un choix politique qui permet aussi de peser sur nos résultats en matière de fiscalité locale.

M. le Président : M. Éric Raoult a bien fait de vous poser sa dernière question car votre réponse est extrêmement intéressante. M. Christian Estrosi, je vous remercie beaucoup pour votre témoignage. Ces auditions sont décidément très instructives.

Audition de M. Philippe LAVAUD,
Premier vice-président du conseil général de la Charente,
accompagné de M. Thierry GROSSIN-BUGAT,
Directeur général adjoint chargé des finances


(Extrait du procès-verbal de la séance du 26 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Philippe Lavaud et Thierry Grossin-Bugat sont introduits.

M. le Président : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous poursuivons l'audition de présidents de conseils généraux issus des diverses tendances politiques et venus de départements aux caractéristiques différentes, certains ayant augmenté leur fiscalité, d'autres pas.

Le département de la Charente est celui qui a le plus fortement augmenté ses impôts directs depuis 2001. Nous souhaitons que vous puissiez nous expliquer dans quelle mesure la situation de votre département est particulière et quels ont été vos choix politiques en matière de financement.

Je précise à l'intention des membres de notre Commission que le conseil général de la Charente est à majorité socialiste et que nous entendrons le 1er juin un autre département de la même tendance, la Nièvre, qui n'a pas modifié ses taux d'imposition depuis cinq ans. Au demeurant, aucun élu, quel qu'il soit, n'augmente les impôts par plaisir.

M. le Président rappelle à MM. Philippe Lavaud et Thierry Grossin-Bugat que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Philippe LAVAUD : Le département de la Charente compte parmi les cinq premiers conseils généraux dont les taux de la fiscalité directe locale ont le plus progressé ces quatre dernières années. Je me félicite que la Représentation nationale se soit saisie, au travers de votre Commission d'enquête, de cette question concernant l'évolution de la fiscalité locale.

Plusieurs départements, comme celui de la Charente, font désormais le constat d'une disparition quasi inéluctable de leurs marges de manœuvre, qui les conduira bientôt à ne plus pouvoir exercer que leurs seules compétences obligatoires, voire à ne plus pouvoir voter de budgets en équilibre, le montant des charges obligatoires dépassant les taux plafond des quatre taxes directes locales.

À ce sujet, il convient tout d'abord de souligner les très fortes disparités qui existent entre les départements pour ce qui concerne tant leurs charges que leurs ressources. Certains comme la Charente cumulent une richesse fiscale inférieure aux moyennes nationales alors qu'ils doivent faire face à des compétences dont l'exercice est d'autant plus coûteux que les publics visés sont généralement plus nombreux et plus défavorisés que sur d'autres territoires. Les chiffres de l'INSEE font état, pour la Charente, d'une population vieillissante et d'un taux de chômage certes inférieur à la moyenne nationale, mais supérieur à la moyenne régionale.

Durant une première période, les hausses de pression fiscale ont permis de maintenir les marges de manœuvre. Après plus de dix ans de stabilité des taux de la fiscalité directe ou indirecte, la période 2000-2004 a été marquée par une véritable rupture pour les finances départementales. En cinq ans, les dépenses de fonctionnement n'ont cessé d'augmenter plus rapidement que les recettes, alors même que les taux des quatre taxes directes progressaient de manière uniforme de 19 % entre 2002 et 2003 (5 % en 2002 et 14 % en 2003).

Sur cette période, les dépenses de solidarité sont passées de 44 % des dépenses de fonctionnement à 52 %, la charge nette de ces dépenses qui s'établissait en 2000 aux environs de 55 millions d'euros, atteignant 76 millions d'euros en 2003. Le point de fiscalité directe locale rapportant alors un peu moins de 900 000 euros, la hausse des taux de 19 % n'a pas suffi à compenser la dérive de ces seules charges.

Au même moment, les finances départementales absorbaient une progression de la contribution au service d'incendie et de secours de près de 4 millions d'euros, tandis que les charges de personnel évoluaient d'environ 7 millions d'euros.

Alors que début 2000, le département avait décidé d'utiliser sa forte capacité d'autofinancement - plus de 30 millions d'euros - au service d'une politique massive d'investissements, acceptant notamment de contribuer pour plus de 70 millions d'euros au cofinancement de travaux sur des routes nationales, la dérive de ses dépenses de fonctionnement aura conduit à une progression sans précédent du stock de sa dette, qui sera passée de 87 millions d'euros en 2000 à 180 millions d'euros en 2003.

En 2004 commence une seconde période, où les hausses de la fiscalité locale permettent seulement de faire face aux seules compétences obligatoires. Un an à peine après son installation, la nouvelle majorité a dû non seulement tirer les conséquences de la situation financière précaire du département, mais également faire face à des décisions qui hypothèquent un peu plus encore l'avenir.

La clôture de l'exercice 2004, marquée par une pause fiscale de circonstance, se traduit par un solde d'exécution budgétaire déficitaire et une nouvelle dégradation des indicateurs de gestion. Les dépenses de solidarité représentent désormais 57 % des dépenses de fonctionnement - contre 44 % en 2000 - et près des deux tiers si l'on y ajoute les frais de structures correspondant !

Cela augure mal du respect de la double garantie que le Gouvernement a pourtant souhaité inscrire dans la Constitution : les principes d'autonomie financière des collectivités territoriales et de compensation des compétences transférées.

Le niveau de dépendance des ressources du département ne cesse de croître, le produit de la fiscalité directe locale représentant désormais moins de 50 % de ses recettes, tandis que la fixation des taux, compétence exclusive des conseillers généraux, s'applique sur des bases en partie recentralisées. Que signifie dès lors l'autonomie fiscale, qui plus est en l'absence d'une véritable péréquation des ressources entre collectivités territoriales ?

Quant à la première année de transfert du RMI aux départements, elle se solde par un déficit de plus de 2,2 millions d'euros, le versement de la compensation de la charge correspondante étant différé de plus d'un an. Je signale que le décalage est déjà de 1,2 million d'euros pour le premier trimestre 2005 ! Sans parler des personnels, l'État n'ayant consenti à transférer que 2,6 équivalents temps plein, alors qu'il était de parfaite notoriété qu'il en affectait sept à ces missions. Vous trouverez parmi les documents qui vous ont été remis ce matin un vœu de l'assemblée départementale soulignant cet état de fait, qui est désormais reconnu par les services de l'État eux-mêmes.

Les choix fiscaux du département pour 2005 apparaissent comme une inéluctable variable d'ajustement : +14 % pour les taxes « ménages » et +16 % pour la taxe professionnelle, afin d'éviter la quasi-disparition de notre capacité d'autofinancement. Ils ont été combinés avec une diminution du train de vie de l'institution, partout où cela était possible, une première série de désengagements sur nos compétences facultatives, et une réduction conséquente de nos dépenses d'investissement afin que le stock de la dette, qui atteint 189 millions d'euros, commence à diminuer dès la fin de l'année : 10 millions d'euros d'investissements ont été supprimés sur cet exercice et le président du conseil général a fixé comme objectif de ramener la dette à 185 millions d'euros dès la fin de l'année.

Presque un an après le vote de l'acte II de la décentralisation, nous ne cessons de découvrir les coûts induits par les compétences qui nous seront effectivement transférées. La seule question, non encore tranchée, du cadre d'emploi spécifique pour les TOS des collèges, pour ne prendre que cet exemple, représente une charge potentielle supplémentaire de 800 000 euros en Charente !

M. le Rapporteur : Comment l'avez-vous calculée ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : À partir de bulletins de salaires d'agents employés dans les collèges, nous avons effectué une transposition dans les trois cadres d'emploi de la fonction publique territoriale. Compte tenu du régime indemnitaire adopté par l'assemblée départementale, l'écart entre la rémunération actuelle d'un agent de l'État et celle dont il bénéficierait s'il était intégré au sein de la collectivité dans un cadre d'emploi comparable est de 22 %.

M. le Rapporteur : Certains départements envisagent de négocier avec les personnels concernés une augmentation de rémunération en contrepartie d'un allongement du temps de travail réel, d'où un effectif moindre et une charge salariale plus légère. En gros, comme nous l'a indiqué le directeur de l'administration du ministère de l'éducation nationale, les TOS sont mal payés, mais leur temps de travail est très en deçà des normes usuelles de la fonction publique.

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : En l'absence de précisions et d'arbitrages, nous avons bien parlé de charge potentielle. Ajoutons que ce discours ne nous a jamais été tenu ni par le préfet ni par le recteur lors des entretiens auxquels assistait notre président : il lui avait été indiqué que le temps de travail des agents TOS dans les collèges était très précisément de 1 600 heures - voire 1 607 heures avec le lundi de Pentecôte. Plus encore, on nous soutenait que, pour assurer un tel horaire, ces agents étaient capables de travailler en réalité 48 heures par semaine ! Ce à quoi j'ai répondu que le code du travail interdisait formellement de travailler plus de sept jours constitutifs... Le double discours ne nous aide guère à défendre notre position face aux organisations syndicales auxquelles nous sommes également confrontés.

M. Philippe LAVAUD : En réalité, l'État n'assurera que la compensation des dépenses qu'il honore alors que les collectivités se retrouveront face à d'autres obligations qu'il leur faudra bien assumer : assurer ces personnels, cotiser pour garantir l'équilibre de la CNRACL, respecter les règles en matière de visites médicales professionnelles, etc.

Après le plan Borloo, la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, sans transférer à proprement parler des compétences, n'en crée pas moins des charges nouvelles pour les départements. Une première simulation sur la prestation de compensation du handicap (PCH), prenant en considération des hypothèses plutôt optimistes, fait apparaître une charge nette pour le budget charentais équivalant à quatorze points de pression fiscale supplémentaires...

M. le Rapporteur : Là encore, quel a été votre mode de calcul ? Le Directeur général de l'action sociale nous a expliqué hier qu'il s'agissait d'un système à enveloppe fermée, où le montant de l'allocation sera totalement conditionné par les ressources en provenance de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, qui injectées dans le système en abondement de l'actuelle ACTP. Autrement dit, par construction, aucune dérive n'est possible - pour autant que j'aie bien compris. Reste que pratiquement tous les conseils généraux ont exprimé la même crainte que vous, même si ce n'est pas toujours avec le même degré de précision.

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Il faudrait être devin pour vous donner une estimation tout à fait ajustée, les critères d'attribution de la PCH n'étant pas encore publiés...

M. le Rapporteur : Quatorze points, c'est relativement précis...

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Nous avons retenu comme hypothèse la moitié des actuels bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé et la moitié des bénéficiaires de la majoration pour tierce personne, ce qui représente pour nous une fois et demie le montant mensuel de l'ACTP. L'ANDASS, dont la représentativité n'est pas contestable, arrive à 1,7 en ayant choisi un autre indicateur.

M. le Rapporteur : Voilà pour la dépense. Et pour la recette ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Si l'on projetait le montant prévu par la CNSA au titre de la compensation, nous n'en serions qu'à la moitié de la dépense, dans la mesure où un quart seulement des 2,1 milliards d'euros dégagés notamment grâce au lundi de Pentecôte semble devoir être affecté au paiement de cette allocation. De l'autre côté, les plans d'aide au titre de la PCH, quand bien même on semble se diriger vers la mise en place d'une grille d'attribution, sont probablement moins verrouillés qu'on ne le dit. La question est posée de la représentativité des associations intéressées au sein de la maison du handicap ; elles ont déjà fait savoir, à l'occasion notamment de l'Assemblée des départements de France à Nantes, leur volonté d'établir des plans d'aide en fonction des « plans de vie » des intéressés, et pas seulement de critères objectifs.

M. le Rapporteur : Nous avons bien compris que les prestations supplémentaires apportées dans le cadre de la maison du handicap pouvaient donner lieu à des dépenses supplémentaires. Mais sur la prestation elle-même ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : La CNSA, qui vient nous visiter début juin, nous a déjà fait part d'une hypothèse de montant de 7 165 000 euros. Or nos projections, réalisées sur la base de critères plutôt optimistes, aboutissent à une dépense de 21,1 millions d'euros... Soit un écart de plus de 14 millions entre ce que semble devoir nous notifier la CNSA et la dépense potentielle que nous identifions !

M. le Rapporteur : C'est totalement contradictoire avec ce que nous avons entendu hier soir.

M. le Président : Tout à fait, et encore avec ce que nous avons entendu tout à l'heure.

M. Philippe LAVAUD : Ces constats ne relèvent pas de simples vues de l'esprit ; en témoigne l'audit récemment présenté à l'Assemblée des départements de France par le cabinet Ernst & Young et dont les conclusions sont parfois plus sombres que les constats que nous venons de dresser ici.

À un moment où les budgets des collectivités territoriales ont profité d'un dynamisme exceptionnel des droits de mutations et de taux d'intérêt particulièrement bas, tout retournement de conjoncture, comme on le constate aujourd'hui avec la croissance 2005, conduirait à faire passer la situation financière de plusieurs départements français de notre strate démographique de dégradée à désespérée, sinon impossible. Comment imaginer que des départements comme la Charente, qui ont su réussir de manière assez exemplaire et responsable la première décentralisation, puissent faire de l'acte II un succès alors que des incertitudes majeures pèsent encore sur la compensation des charges et que leurs marges de manœuvre budgétaires seront bientôt réduites à néant ?

À cet égard, la construction du budget de la Charente pour 2006 s'annonce comme un exercice d'autant plus périlleux que l'État s'apprête à annoncer une nouvelle réduction de l'impôt sur le revenu, rendant incompréhensible et inadmissible aux yeux de nombre de nos concitoyens ce système de vases communicants entre la fiscalité nationale et locale.

M. le Rapporteur : Comment votre conseil général cherche-t-il à améliorer l'exercice d'une compétence telle que le RMI, en termes de qualité, mais également en termes de coût ? En quoi le transfert d'une telle compétence ne saurait se résumer à un simple changement de panneau au-dessus du guichet ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Le département a déjà dû faire face à un premier choix, lié à la disparition du caractère obligatoire des 17 % de contribution à l'insertion. Le taux de contribution du département de la Charente est de 20 %, dépassant donc l'obligation légale. Nous avons toutefois décidé de le maintenir en 2005 dans la mesure où il nous permet d'obtenir un taux de contractualisation très élevé, de l'ordre de 85 à 86 % par an, plutôt satisfaisant par rapport aux taux nationaux.

L'organisation a évidemment souffert de l'insuffisance des transferts de personnels ; aussi nous sommes-nous résolus, comme l'a relevé la Chambre régionale des comptes lorsqu'elle nous a contrôlés, à laisser de côté toutes les questions relatives aux indus de paiement durant pratiquement tout l'exercice 2004 afin de privilégier l'aspect opérationnel et le service rendu, ce qui n'a évidemment pas amélioré la problématique « recettes ». Mais le département s'est attaché à maintenir son effort en faveur de l'insertion et à préserver ses relations avec la CAF, dans le cadre des conventions qui nous lient, afin que la prestation soit assurée. Mais la CAF est également un sujet d'inquiétude dans la mesure où, quand bien même la loi ne le lui permet pas encore, l'on sent bien chez elle une tendance à nous facturer une partie des prestations de service qu'elle effectue pour l'instant à titre gracieux. Autant de problèmes d'organisation que nous avons résolus, en donnant la priorité à l'opérationnel, afin d'éviter tout retard dans le traitement des dossiers de paiement et d'insertion des allocataires.

M. le Rapporteur : Je comprends les difficultés opérationnelles que vous avez rencontrées en 2004. Une fois celles-ci surmontées, peut-on envisager de nouvelles conditions de gestion à moyen terme ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Le premier objectif est de diminuer autant que faire se peut le nombre d'allocataires. Le département s'était investi dans une politique dite d'accès à l'emploi direct, adoptée par toutes les majorités successives, qui préfigurait en quelque sorte le RMA. L'objectif est de mettre en relation l'offre d'emploi exprimée par les entreprises et le public des RMIstes, grâce à des prospecteurs répartis sur le territoire, afin d'en sortir le plus grand nombre du dispositif. Engagée depuis dix-huit mois, cette action donnera lieu à une évaluation, au bout de trente à trente-six mois, afin de vérifier l'efficacité du dispositif, l'objectif étant de parvenir, comme y a réussi le département des Pyrénées-Atlantiques, de diminuer de 10 % l'effectif des bénéficiaires. Cette politique volontariste se poursuit, au-delà du dispositif RMA.

Nous faisons également porter l'effort sur le contrôle de gestion ; c'est ainsi que nous avons relevé plusieurs cas très sérieux, qui nous amèneront très prochainement au contentieux, de dossiers RMI ayant donné lieu à des paiements à tort pour des montants relativement considérables. Force a été de reconnaître une lacune au niveau de la CAF, soit qu'elle ne disposait pas des moyens, soit qu'elle ne s'investissait pas suffisamment. Il faut espérer que s'il s'agit seulement d'épiphénomènes ; quoi qu'il en soit, l'objectif est de mener l'action d'insertion en combinant les dispositifs afin que la fonction de contrôle puisse être simultanément mise en œuvre au cas où certains publics ne joueraient pas le jeu.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé du différé de compensation et d'un décalage en 2004, mais également d'un décalage en 2005. Que représente-t-il ? Vous attendez-vous à un décalage en 2006 ?

M. Philippe LAVAUD : Le décalage tient tout simplement à la progression continue du nombre de RMIstes depuis 2003, malgré les efforts du département et, depuis l'année dernière, de la nouvelle majorité régionale en matière d'emplois à temps plein, la population visée des 25-36 ans se retrouvant également parmi les allocataires du RMI. Force est de relever le décalage grandissant entre le nombre d'allocations versées et la compensation escomptée à travers la ressource provenant de la TIPP.

M. le Rapporteur : Autrement dit, si le nombre de RMIstes devait encore augmenter en 2006, il conviendrait d'analyser un décalage 2006 ?

M. Philippe LAVAUD : Il conviendrait d'anticiper un décalage 2006.

M. le Rapporteur : La gestion d'une compétence décentralisée ne suppose-t-elle pas à définir à l'instant t des ajustements de référence sur la base des chiffres 2003-2004, quitte à prévoir une clause de revoyure s'ils ont été mal appréhendés, avant de transférer la compétence en même temps que la ressource ? Peut-on concevoir que l'on revienne en 2015 se plaindre auprès de l'État ? Du reste, si le nombre de RMIstes baissait grâce au succès de votre politique, demanderiez-vous une clause de revoyure pour lui rendre de l'argent ?

M. le Président : Cette Commission s'intéresse aux augmentations de fiscalité en 2005. Bien sûr, il est normal de chercher à prévoir l'avenir...

M. le Rapporteur : Nous sommes sur le concept même du transfert de compétence.

M. Philippe LAVAUD : Le problème est que les mesures nouvelles se répercutent également sur toutes les allocations et mesures financées sur les budgets départementaux dans le domaine de l'accompagnement, de la formation et de l'insertion.

M. le Président : À combien avez-vous chiffré le décalage en 2004 ?

M. Philippe LAVAUD : À 2,2 millions d'euros.

M. le Président : Et aujourd'hui ?

M. Philippe LAVAUD : 1,8 million d'euros fin avril.

M. le Président : Vous avez prévu des recettes et des recettes en augmentation dans le budget 2005, mais sur la base d'un décalage analogue à celui de 2004. Ne craignez-vous pas de vous retrouver en déséquilibre ?

M. le Rapporteur : Je m'interroge, sur le plan méthodologique, sur la notion même de décalage pour 2005. En supposant qu'il puisse y avoir des problèmes de « calage au démarrage », compte tenu des mesures prises au plan national, ces causes exogènes n'existent pas en 2005 et la compétence est bien installée. Parlons de surcoût, mais en aucun cas de décalage.

M. le Président : Reste qu'après avoir auditionné plusieurs départements, le chiffre relevé fin avril représente déjà 75 % du décalage observé sur toute l'année 2004 ! Encore n'est-on aucunement assuré à ce jour de repartir sur la base de 2003 ou de 2004. Autrement dit, le décalage 2005 sera bien à la charge des départements si l'on ne procède pas à une révision de la référence.

M. le Rapporteur : Ce qui nous est demandé aujourd'hui, c'est que la référence ne soit pas 2003, mais 2004 complétée. Ce débat n'a pas encore abouti. Mais à supposer que la demande des conseils généraux soit satisfaite, cela ne réglerait pas le problème d'un décalage 2005.

M. le Président : Non, en effet.

M. le Rapporteur : Autrement dit, on assisterait à une demande constante de reconventionnement, ce qui me paraît assez contradictoire avec le principe même de décentralisation des compétences !

M. le Président : On constate une réalité...

M. Philippe LAVAUD : C'est également la conséquence de la fin de toutes les allocations spécifiques de solidarité, qui touche de plein fouet toute une série de populations. Malgré les dispositions que nous mettons en place, on impacte du même coup une autre mesure qui nous amène encore plus de demandeurs... Cela aussi est à prendre en considération.

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Je partage votre avis, M. le Rapporteur, sur le fait que, d'un point de vue théorique, la compétence une fois transférée doit être assumée. Toutefois, l'année 2004, mais également l'année 2005, ont été impactées par des mesures antérieures venues alourdir la charge. Quant à savoir si le budget sera équilibré, tout dépendra de l'attitude du préfet et du contrôle de légalité. Le département de la Charente avait adopté une attitude quelque peu offensive en inscrivant la même somme en dépenses et en recettes au titre de l'allocation RMI. Constatant en fin d'exercice le déséquilibre de 2,2 millions d'euros, le président du conseil général a émis un titre de recettes contre l'État du même montant... Le préfet a aussitôt intenté un recours gracieux dont l'échéance expire aujourd'hui. Je pourrai vous indiquer demain si le budget départemental clôturera demain avec un déficit de 2,2 millions d'euros ou à 100 000 euros d'équilibre comme prévu.

M. le Rapporteur : Annulez-vous le titre de recettes ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Peut-être faudra-t-il aller en contentieux devant le tribunal administratif... Peut-être le président décidera-t-il d'annuler le titre de recettes lorsqu'il fera voter le compte administratif le 24 juin.

M. le Président : Avez-vous signé des contrats d'avenir et inscrit une dépense à ce titre dans votre budget ? En avez-vous évalué le coût pour le département, sans même parler des RMA ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Oui. Une convention a été conclue au début du mois avec le préfet de la Charente, l'objectif étant évalué à 300 contrats.

M. le Président : Pensez-vous que cela ne coûtera rien au département ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Il faut au moins compter le coût du portage, la charge administrative pesant déjà potentiellement sur le département, ce qui devrait nous conduire à recruter. Nous aurons à la fin de l'année un premier bilan sur les différentiels de coûts et sur les frais de structure inhérents à la gestion de 300 contrats.

M. le Président : Sur l'APA, quelle a été la compensation de l'État de 2002 à 2004 ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Le département a bénéficié d'une compensation de 16 millions d'euros au titre de l'exercice 2002, qui représentait un peu moins de 50 % de la dépense. Pour 2003, la compensation a représenté 45 %, et à peu près 47 % pour 2004.

M. le Président : Autrement dit, la compensation a toujours été de presque 50 %.

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Quasiment, le département de la Charente ayant bénéficié d'un taux de compensation substantiellement plus élevé, le caractère rural de son territoire l'amenant à faire appel à des associations prestataires ou intermédiaires qui renchérissent substantiellement les coûts horaires. Ce qui explique que moins de 15 % des bénéficiaires à domicile paient directement la prestation, et dans 85 % des cas à des associations prestataires.

M. le Rapporteur : Les dépenses de personnel sont restées relativement stables entre 2003 et 2004, mais ont connu une augmentation significative en 2005. Pourquoi ? Combien de postes avez-vous créés en 2005 ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : En 2005, il s'agit d'une augmentation en trompe-l'œil liée à un changement de nomenclature comptable, suite à la réintégration des charges de personnel du laboratoire départemental d'analyse. La progression à périmètre constant est bien moins importante. Les créations correspondent pour l'essentiel à une quinzaine de recrutements au titre de la préfiguration de la maison du handicap - cinq ou six -, de la gestion de la partie ressources humaines des contrats d'avenir et de la préparation des transferts des TOS notamment, sachant que nous sommes moins concernés par la partie équipement.

M. le Président : Pourquoi avoir recruté des personnels pour les contrats d'avenir ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Ce personnel sera essentiellement destiné à renforcer la partie ressources humaines, afin de pouvoir gérer les différents types de contrats, les publics visés exigeant une gestion particulièrement attentive - et donc coûteuse en temps - des dossiers.

M. le Président : Allez-vous malgré tout contractualiser avec la CAF ou le CNASEA ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : La décision n'a pas encore été prise.

M. le Président : Vous n'avez pas parlé de la décentralisation des routes. Vous transfère-t-on beaucoup de routes ?

M. Philippe LAVAUD : Nous n'avons pas de transfert de routes.

M. le Président : Pas du tout ?

M. Philippe LAVAUD : Pas un kilomètre. Nous avions précédemment consenti un effort conséquent sur les routes nationales - 70 millions d'euros - dans le contrat de plan. De ce fait, aucune route n'est transférée au département de la Charente.

M. le Président : Vous êtes un cas particulier...

M. le Rapporteur : L'État n'a formulé aucune demande ?

M. Philippe LAVAUD : Cela s'explique : M. Jean-Pierre Raffarin, qui s'était précédemment engagé sur le volet routier, sait que notre département est allé au-delà de ses capacités propres, dans la mesure où, s'il a pu bénéficier de la récupération du FCTVA - qui n'est pas encore arrivée, mais va arriver -, il s'est retrouvé à supporter des charges énormes qui ont considérablement amputé ses marges de manœuvre. Prenant acte de nos efforts, l'État a sans doute jugé préférable de ne pas charger davantage la barque.

M. le Président : Pour la gestion des personnels, êtes-vous sous le régime de l'article 6 ou sous celui de l'article 7 ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : La partition n'a pas encore été opérée.

M. le Président : Savez-vous à peu près le nombre de personnes que vous allez récupérer ? Combien avez-vous de kilomètres de routes départementales ?

M. Philippe LAVAUD : Je n'ai pas le chiffre.

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Les relations dans ce domaine sont plutôt transparentes, et même plus qu'ailleurs. Au moins avons-nous ce motif de satisfaction...

M. le Président : Notre Commission constate...

M. le Rapporteur : Que tout marche !

M. le Président :... que les situations sont vraiment très disparates et varient considérablement d'un département à l'autre. Cela dit, nombre de départements, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition nationale, se plaignent des charges qu'on leur a transférées, et qu'ils ne savent pas trop comment financer.

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Le parc départemental de l'équipement suscite en revanche une véritable interrogation. Les agents sont très demandeurs...

M. le Président : De quoi ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : De connaître leur avenir.

M. le Président : Et que pensez-vous de leur avenir ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : En supposant que le département leur retire le « marché » correspondant à son parc, je vois mal quelle situation ils pourraient connaître en dehors du licenciement économique...

M. le Rapporteur : Ne sommes-nous pas dans une situation transitoire, de l'avis de tous ?

M. le Président : Pensez-vous vraiment assurer vous-mêmes la gestion ? Qui, de vous ou de l'État, détient la plus grande part du fonctionnement ?

M. Thierry GROSSIN-BUGAT : Nous sommes à peu près à 50-50. L'inquiétude porterait sur un transfert autoritaire.

M. le Président : Nous avons auditionné deux départements ce matin. Le premier, les Alpes-Maritimes, n'a pas augmenté ses impôts, le vôtre les a relevés de 13 %. Le produit prélevé par habitant au titre de la taxe d'habitation est de 107 euros dans les Alpes-Maritimes et seulement de 54,90 euros en Charente.

M. le Rapporteur : Et rapporté à la richesse des habitants ?

M. le Président : Nous la connaîtrons un jour... Cela montre en tout cas qu'une augmentation en pourcentage ne signifie rien.

M. le Rapporteur : Pas tout...

M. le Président : Je pourrais faire la démonstration inverse avec le foncier bâti, pour lequel nous avons d'un côté 110 euros par habitant, de l'autre 98 euros. Avec 13 % d'augmentation...

M. le Rapporteur : La tortue finit par rattraper le lièvre !

M. le Président :... le produit prélevé sera cette fois à peu près équivalent. Une augmentation de 13 % n'a donc rien de significatif et l'on ne saurait en tirer de conclusions au regard de l'objectif que nous poursuivons. Ce n'est pas une question...

M. le Rapporteur : Mais une déclaration.

M. le Président : En effet, et je souhaiterais que notre Commission en prenne note.

M. Philippe LAVAUD : La disparition de nos marges de manœuvre, ai-je dit, est à ce point inéluctable que même le relèvement des taux de fiscalité ne parvient pas à couvrir l'augmentation des charges. L'exemple de la Charente est assez éloquent : avec une taxe d'habitation à 7,55 % avec un taux plafond de 15,925 %, nous avons une marge d'augmentation d'à peu près 110 %. Sur le foncier bâti, nous sommes à 16,09 % et la moyenne nationale à 22,25 %, soit 38,3 % de marge de manœuvre. Sur le foncier non bâti, nous sommes à 33,13 % alors que le taux plafond est de 53 %, soit une marge de 61 %...

M. le Président : Les taux plafonds ne sont pas faits pour qu'on les atteigne !

M. le Rapporteur : Ce que vous dites est très inquiétant !

M. Philippe LAVAUD : Autrement dit, même en augmentant nos taux au maximum, y compris celui du plus dynamique, la taxe professionnelle - 10,76 %, taux plafond à 14,92 %, soit une marge de manœuvre de 38,7 % -, ce que personne ne souhaite, pas plus le Gouvernement que les présidents de conseils généraux, nous ne parviendrons pas à équilibrer nos charges.

M. le Rapporteur : Sous le bénéfice de vérifications factuelles, notamment à propos de la prestation de compensation du handicap.

M. le Président : En matière de taxe d'habitation, vous êtes pratiquement dans la moyenne nationale - légèrement au-dessus.

Messieurs, nous vous remercions.

Audition de Mme Marie-Christine LEPETIT
Directrice de la législation fiscale à la Direction générale des impôts,
accompagnée de M. Frédéric IANNUCCI, Sous-directeur


(Extrait du procès-verbal de la séance du 26 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

Mme Marie-Christine Lepetit et M. Frédéric Iannucci sont introduits.

M. le Président : Madame, Monsieur, je vous souhaite la bienvenue.

Le Rapporteur et moi-même avons eu un entretien avec les services de la Direction générale des impôts, à qui nous avons envoyé un questionnaire relatif à l'état des lieux. Mais nous souhaitons avoir aujourd'hui avec vous un échange sur les pistes de réforme de la fiscalité.

Dans quelle mesure l'État a-t-il prise sur la fiscalité locale ? Comment peut-il contribuer à la clarté du système fiscal local, tant pour les décideurs que pour les contribuables ? Quels sont les scénarios envisageables pour la taxe professionnelle ? Telles sont quelques-unes des questions sur lesquelles nous aimerions bénéficier de votre expertise.

M. le Président rappelle à Mme Marie-Christine Lepetit et à M. Frédéric Iannucci que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

Mme Marie-Christine LEPETIT : Je centrerai mon propos introductif sur la problématique d'ensemble de l'impôt local en général, en rappelant d'abord quelques grandes caractéristiques du système français actuel, avant de regarder comment, à nos yeux, se construit un impôt local idéal, pour constater enfin qu'il est bien difficile d'y parvenir dans la vraie vie...

La France se caractérise par une forme de paradoxe. Si la part des dépenses publiques locales dans le total des dépenses publiques y est relativement modeste en comparaison avec d'autres pays - 9,8 % dit le « rapport Fouquet », contre 23,9 % en Suède, 14,3 % en Espagne et 13,5 % en Italie, mais valeur supérieure à celle de l'Allemagne -, en regard, la part de financement issue de l'impôt y est plutôt plus élevée qu'à l'étranger : toujours d'après le rapport du président Olivier Fouquet citant des chiffres de Dexia, 57 % des ressources des collectivités proviennent d'impositions, taux nettement supérieur à ceux observés dans des pays réputés comparables : 27 % seulement en Espagne, 24 % en Italie. Seule la Suède est au même niveau que nous : 57 %. Encore s'agit-il de la situation observée avant que ne soit engagé l'acte II de la décentralisation.

Un autre phénomène caractérise la France : la part élevée d'impôt local sur laquelle les élus locaux ont une forme de maîtrise. Un impôt local doit-il par nature pouvoir être adapté au gré du décideur local ? Les réponses sont variées, tant en France que, plus globalement, au plan européen. Dans notre pays, où les impôts locaux sont relativement variés, la possibilité de modulation, soit par les taux, soit parfois par l'assiette, est plus élevée qu'à l'étranger. Ainsi que le montre la carte située à la page 18 du « rapport Fouquet »8, certains pays du Nord, mais également la Grèce, n'ont pas du tout d'impôts locaux, d'autres ont seulement du foncier, d'autres du foncier et d'autres impôts locaux sans maîtrise locale ; d'autres enfin, comme la France, l'Allemagne, l'Espagne et le Portugal, ont toutes sortes d'impôts, parmi lesquels certains dont la maîtrise appartient, au moins partiellement, aux décideurs locaux.

Il est à noter que, par l'effet notamment de la loi organique, l'idée de « cranter » pour le futur un niveau élevé de ressources fiscales au profit de nos collectivités territoriales est consacrée dans un texte validé au niveau constitutionnel alors qu'à l'inverse, en ce qui concerne les dépenses, nous sommes encore dans une situation transitoire, dans la mesure où nos dépenses publiques locales ont pour l'heure vocation à augmenter. La question se pose de savoir comment on pourra, à l'avenir, adapter la part fiscale des ressources des collectivités territoriales à une dépense normalement portée à croître.

Quelles pourraient être les caractéristiques essentielles, le cahier des charges d'un impôt local idéal ?

La première est que doit exister une forme de concordance entre la nature et la dynamique intrinsèques des dépenses publiques locales et celles des ressources mises entre les mains du décideur local. C'est une évidence, mais il est bon parfois de la rappeler. Ajoutons que cette caractéristique devrait se retrouver non seulement au niveau macro-économique, au niveau des grandes catégories de collectivités, mais également au niveau fin que constitue chaque collectivité territoriale, y compris à celui des plus petites communes.

Il paraît difficile de réunir beaucoup d'impôts répondant à cette caractéristique ; les bons candidats se retrouveront classiquement du côté des impôts fonciers. Dans la littérature économique en tout cas, on constate l'existence d'un lien solide et bien admis entre la caractéristique des services publics locaux classiques et l'imposition foncière. À mon sens, cela ne saurait pour autant suffire, dans la mesure où l'imposition foncière ne peut être relevée à des niveaux correspondant aux montants des dépenses que l'on souhaite financer.

Cette concordance, ou adéquation, ou mise en regard de la ressource fiscale et de la dépense doit d'autant plus être prise en considération que le territoire en cause sera de taille réduite. Les problèmes de stabilité, de garantie, de permanence des politiques dans le temps sont particulièrement aigus dans un espace limité n'offrant guère de possibilités de compensation ou de modification brutale, ni souhaitable ni souhaitée. Cette adéquation doit donc être regardée de manière encore plus attentive dans le cas de collectivités de petite taille. Un des moyens de résoudre cette difficulté consistera à ne pas raisonner en liant telle dépense à tel impôt, mais à adopter une logique de panel d'impôts ou de compensation entre différentes catégories de ressources.

Deuxième caractéristique : l'impôt doit évidemment être localisable. Ce point a été fortement débattu lors du vote de la loi organique sur les ressources fiscales et nous y reviendrons probablement à propos de la taxe professionnelle. Il est tout à fait stratégique de maintenir un lien fort entre le redevable local et un décideur local qui organise la politique de dépenses et de services publics qu'il souhaite. Là encore, l'impôt foncier fait partie des bons candidats ; pour d'autres, nous verrons que c'est plus compliqué.

Autre caractéristique - ne voyez aucune hiérarchie dans l'ordre de cette énumération -, qui correspond à un souhait fortement exprimé dans le cahier des charges défendus par nos élus locaux : parvenir à un impôt local dont ils aient une forme de maîtrise, par le jeu des taux, mais parfois aussi de l'assiette. Je pense notamment aux abattements de taxe d'habitation, mais on peut trouver bien d'autres exemples. Dans le cahier des charges d'une direction comme celle dont j'ai la responsabilité, on s'attachera à construire des impôts qui puissent faire l'objet de politiques spécifiques entre les mains de chaque collectivité territoriale.

Le contribuable de son côté n'est évidemment guère enclin à supporter des impôts locaux ou nationaux sans rapport avec ce qu'il juge être sa capacité de payer. Or certains grands impôts, qui étaient historiquement des impôts locaux, connaissent depuis une dizaine d'années une dynamique assez forte que les contribuables ont fini par juger insupportable. Ils l'ont exprimé assez fortement, tant et si bien que l'État s'est, au moins en matière de taxe d'habitation et de taxe professionnelle, de plus en plus substitué au contribuable local en en prenant à sa charge une part plus en plus substantielle. Cette évolution est probablement la conséquence d'une rupture, dans le cahier des charges, entre la capacité de payer du contribuable et la construction de l'impôt dans le cas d'espèce.

Rappelons enfin, au moins pour mémoire, qu'un impôt, national ou local, n'est un bon impôt que pour autant que l'on sache le contrôler et le gérer dans des conditions satisfaisantes. Les possibilités d'optimisation dégénèrent souvent en complexités intrinsèques sitôt que l'on fait marcher la machine à idées et il ne faut jamais perdre ce fil de retenue dans la réflexion, si l'on veut aboutir à des solutions qui tiennent la route.

Malheureusement, ce cahier des charges se heurte, dans la pratique, à une série de difficultés et de contraintes.

La condition de l'adéquation entre la dépense et la ressource ne paraît pas, aux yeux du fiscaliste en tout cas - nos collègues budgétaires ou de la DGCL ne tiendraient pas forcément le même langage -, l'élément du cahier des charges le plus difficile à satisfaire. C'est en fait une circonstance qui, en tant que telle, constitue d'autant moins un obstacle - n'y voyez aucune provocation, mais simplement une considération strictement technique -, que les impôts les plus fréquemment manipulés ont tendanciellement une dynamique grosso modo calée sur celle de la croissance économique. Certes, on peut trouver des exceptions dans un sens ou dans l'autre, certains désajustements sur des analyses à plus court terme, mais force est de reconnaître que les impôts ont une dynamique propre d'autant moins gênante que l'on ne raisonne généralement pas sur un impôt particulier, mais sur des ensembles d'impôts et dans le cadre de périodes relativement longues. Évidemment, s'il s'était agi d'une taxe sur le cheval, nul doute que son produit aurait beaucoup décru au cours des cent dernières années...

Il faut effectivement rester attentif aux phénomènes d'assèchement de certains impôts, liés à l'évolution de l'économie, au développement de stratégies d'optimisation ou encore à d'autres phénomènes mal maîtrisés sans pour autant être par nature liés à l'économie générale d'un impôt donné. Il est de notre responsabilité de fiscalistes de veiller à ce que ce constat général d'une dynamique naturelle d'un impôt par la croissance se trouve raisonnablement vérifié, mais cela ne pose, d'une manière générale, pas de grandes difficultés. Au demeurant, s'il apparaît que la dynamique propre d'un impôt ne suffit pas à garantir un montant de ressources, il est toujours loisible au législateur de prévoir des mécanismes de garantie de ressources. Il en existe d'ailleurs, dans le paysage juridique français actuel, par exemple pour répondre à un effondrement brutal et disproportionné des bases de taxe professionnelle de certaines collectivités. Ce n'est donc pas le point du cahier des charges le plus difficile à satisfaire. Il en va autrement des suivants.

Ainsi, localiser un impôt est, d'une manière assez générale, une opération difficile, hormis dans le cas du foncier. La question de la taxe professionnelle a été discutée devant le Parlement ; je n'y reviens pas, mais nous pourrons en parler au cours de nos échanges. Et pour ce qui est de l'impôt sur le revenu comme de la TVA ou des autres grands impôts, la localisation est loin d'être chose facile. Ainsi, le produit de la TVA, collecté au siège des entreprises, n'est pas représentatif des volumes achetés ici ou là par les consommateurs ; et pour ce qui est de l'impôt sur le revenu, force est de constater, à y regarder de plus près, que les revenus d'un foyer ne sont pas intrinsèquement liés au lieu d'habitation : pour un propriétaire bailleur, par exemple, une partie des ressources provient de lieux totalement différents.

Outre le problème de la règle qui permettra de décrire le rattachement entre un territoire et une imposition, il faut également se poser la question sous l'angle du contrôle. Les contribuables sont passés maîtres dans l'art de s'organiser pour faire en sorte que la taxation se trouve formellement logée ailleurs qu'à l'endroit où, spontanément, elle devrait se trouver... Ces débats se rencontrent particulièrement en matière de taxe professionnelle ; durant les travaux de la « commission Fouquet », certains responsables nous ont expliqué des montages particuliers auxquels donnaient lieu les salaires du temps où ils étaient taxables. Il faut donc veiller particulièrement à ce que le lien posé dans la règle soit bien vérifié et non pas contourné par les contribuables.

Quant à l'idée de donner à l'élu la capacité de décider du niveau de l'impôt, voire de sa répartition entre les contribuables, elle peut également se heurter à des difficultés de plusieurs ordres et pour commencer à des contraintes de nature communautaire : chacun a en tête le débat sur la TIPP, pour laquelle les choses évoluent positivement. Pour la TVA en revanche, les nécessités d'une harmonisation au plan communautaire interdisent de différencier son taux selon les territoires et donc de satisfaire à cette condition du cahier des charges, si tant est que l'on souhaite en faire, au moins pour partie, un impôt local.

Certaines difficultés peuvent être d'ordre constitutionnel : le Conseil constitutionnel est toujours très attentif au respect de plusieurs principes, au premier rang desquels celui de l'égalité des citoyens devant la loi fiscale. Ainsi, l'idée d'une application différenciée de l'impôt sur le revenu, qui pourrait varier d'un territoire à l'autre, pourrait être jugée non constitutionnelle. Même si ce point n'a pas encore été tranché, la question mérite d'être posée dans le cas de cet impôt, hautement symbolique et certainement le plus représentatif de l'idée de solidarité sur l'ensemble du territoire national.

Pour ce qui est enfin de la faculté contributive, donc du point de vue du citoyen, les « quatre vieilles » ont atteint un niveau d'imposition qui, dans bon nombre de cas de figure, outrepasse ce que l'on peut considérer comme étant le niveau adéquat. Le taux de prise en charge de la taxe d'habitation avoisine les 35 % ; l'équivalent de 7 milliards sur 24 milliards d'euros de taxe professionnelle est dégrevé ou plafonné à la charge de l'État. Or, non seulement ces niveaux sont très élevés, mais ils sont dynamiques et croissent rapidement, ce qui prouve bien, à mes yeux, que ces impôts ne suffiront pas à assurer une dynamique supplémentaire dans les ressources fiscales face à la croissance des dépenses.

Ajoutons qu'il faudra particulièrement veiller, avant tout pas supplémentaire dans le sens d'une croissance des impositions locales, au phénomène potentiel de ghettoïsation. Lorsque l'on raisonne sur des territoires exigus, sans prendre en considération les éléments de péréquation et autres moyens de distribuer de la ressource au plan local, on s'expose toujours au risque de voir la pauvreté appeler la pauvreté et la richesse attirer la richesse. Le souhait d'un niveau très élevé d'impôts locaux apparaît à cet égard en contradiction avec l'idée d'une forme de solidarité ou de péréquation. Si l'on n'y prend pas garde, on pourrait aboutir, pour certains impôts, à des situations particulièrement dommageables et critiquables au regard des possibilités de contribuables, qu'il s'agisse de personnes privées ou d'entreprises. Ce point doit appeler une particulière vigilance dans tout exercice de réforme de la fiscalité locale.

Au demeurant, ce phénomène d'inégalité entre les citoyens vaut aussi pour les collectivités : concentrer la ressource fiscale tout en sous-estimant les aspects de péréquation peut aboutir à maintenir des collectivités en situation de plus grande pauvreté qu'elles ne devraient l'être.

En conclusion, face à ce pincement entre une dépense qui ira croissant et un impôt local dont la proportion doit être maintenue à mesure de l'augmentation des dépenses, il va falloir trouver de nouveaux impôts locaux, à moins de changer un des termes du dispositif - dans le contexte actuel en tout cas, nous nous sommes obligés à trouver une réponse. Nous avons encore une petite marge de manœuvre, mais si les dépenses devaient beaucoup augmenter, nous aurons du mal à construire une masse d'impôts locaux répondant à tous les éléments de cahier des charges que je viens de citer. Nous serions forcément conduits à ouvrir un peu plus qu'on ne l'a fait jusqu'à présent le sujet du partage de l'impôt national, faute de pouvoir trouver des masses financières importantes et dont il serait possible d'adapter le taux et l'assiette. Ou bien, mériterait peut-être d'être reposée la question du choix entre un impôt national partagé ou une dotation dont le taux d'évolution est déterminé chaque année par les représentants de la Nation. Quoi qu'il en soit, en tant que fiscaliste, mais également en tant que fonctionnaire du ministère des finances, je ne peux me satisfaire de la situation actuelle et de la solution à laquelle nous sommes fatalement conduits : celle où le contribuable national se substituerait de plus en plus au contribuable local. Son double inconvénient est une corruption du lien entre l'élu local et les citoyens dont il a la charge, et une ressource budgétaire dont le montant est fixé par d'autres que les collectivités territoriales.

M. le Président : Vous nous avez beaucoup parlé de ce qu'il ne fallait pas faire, mais moins de ce qu'il fallait faire...

Comment ferez-vous pour localiser la taxe sur les conventions d'assurance ? Pouvez-vous nous parler de la réforme de la taxe professionnelle ? Vous nous avez dit qu'une modulation locale de la TVA se heurterait à un obstacle de nature communautaire ; l'idée d'une taxe professionnelle assise sur la valeur ajoutée ne serait-elle pas contraire aux règles communautaires, comme le disent certains ? Qu'en pensez-vous ? À défaut de possibilités de réforme du côté de l'impôt sur le revenu, il reste le foncier bâti. Que proposez-vous pour le réformer ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : S'agissant de la taxe sur les conventions d'assurance, les ministres avaient souhaité que soient expertisées les différentes pistes d'une localisation et d'une modulation par les départements. Un rapport a été confié dans ce sens à l'Inspection générale des finances, qui a été achevé et transmis à votre Commission d'enquête. Vous y trouverez des éléments qui, sur le plan technique, répondent à votre question.

La localisation peut être recherchée en essayant d'établir un lien entre le contrat d'assurance et le véhicule - puisqu'il s'agit en l'espèce de taxe sur les assurances automobiles. Or l'Inspection des finances constate que ce lien serait difficile à construire et à faire vivre, ne serait-ce que parce que les compagnies d'assurance ne sont pas à ce jour tenues de décrire précisément la localisation des véhicules de leurs clients, faute de pouvoir s'en assurer. Ajoutons que, selon les informations dont je dispose, les conditions actuelles d'immatriculation, qui permettent en principe d'établir un lien entre un département et un véhicule, seront prochainement modifiées, faisant du coup disparaître cette relation. Du reste, cela n'empêchera pas le débat nécessaire de s'ouvrir. Mais la localisation de la taxe sur les conventions d'assurance se heurte à des difficultés pratiques assez difficiles à surmonter si l'on veut construire et surtout sécuriser ce lien, d'autant que les compagnies d'assurance ne sont pas les plus commodément placées pour remplir cette mission. Il est une limite aux sujétions que l'État pourrait leur imposer en la matière. Au surplus, la répartition de la TSCA en fonction des immatriculations aboutit par nature à de fortes distorsions entre les départements, au point que la réponse pourrait être jugée comme n'étant pas la plus adéquate. Ces deux éléments, décrits de manière très précise et technique dans le rapport de l'Inspection des finances, ne manqueront pas d'alimenter la discussion entre le Gouvernement et le Parlement à la fin de l'année.

M. le Rapporteur : De quelles distorsions s'agit-il ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Lorsque le sujet a été posé lors de la loi de finances précédente, la taxe sur les conventions d'assurance n'avait pas été mise en regard d'une dépense nouvelle, mais seulement d'une part de DGF à due concurrence. Autrement dit, la question ne se posait pas en termes d'arrivée d'une nouvelle ressource destinée à financer une nouvelle dépense. Et si elle doit se poser ainsi, la réponse dépendra de ce que l'on veut financer ; or dans le cas présent, l'on ne trouve clairement pas, d'homothétie parfaite entre la manière dont se répartissent les dépenses entre les départements et la répartition de la taxe sur les conventions d'assurance au vu de l'actuel critère des immatriculations.

Donc, concrètement, si cette solution devait être maintenue, il faudrait prévoir un mécanisme de compensation assez important, car si l'on parvenait, comme c'est probable, à une bonne adéquation de la ressource et de la dépense au niveau de l'ensemble des départements, ce ne serait pas le cas au niveau de chaque département. C'est pourquoi, tout à l'heure, j'ai bien distingué la question de l'adéquation au niveau global de celle de l'adéquation au niveau de chaque collectivité.

Sur la localisation d'éventuelles ressources qui pourraient remplacer la taxe professionnelle, le « rapport Fouquet » a exploré toute une série de soldes de gestion susceptibles d'en constituer l'assiette. Il s'est également demandé si et comment on pouvait construire une forme de lien entre un impôt de cette nature et un territoire. La réponse est positive, pour peu que l'on admette l'idée de forfaitiser, de réputer ce lien plus que de le constater physiquement. Dans l'actuelle taxe professionnelle, du moins pour les contribuables taxés selon les règles de droit commun, ce lien est très mécanique, puisque l'impôt est assis sur l'établissement et que l'assiette est directement tirée de la valeur locative de l'immobilier et de la valeur des machines et autres biens mobiliers situés dans les usines ou les bureaux considérés. Mais lorsqu'on taxe un solde de gestion, il faut créer une règle permettent de considérer qu'une part de ce solde de gestion est réputé avoir été obtenu dans un lieu de production situé dans la commune X ou Y. Ce lien, même s'il n'est pas direct, existe et doit pouvoir être construit forfaitairement à partir d'éléments physiques et effectivement constatables sur le terrain à partir des déclarations de tous ordres des entreprises. On sait parfaitement construire une répartition forfaitaire d'un solde de gestion qui permettrait à chaque collectivité de taxer « son » morceau de solde de gestion à son taux. Donc, si la représentation parlementaire, sur la proposition du Gouvernement, souhaite s'engager vers un impôt local, avec un taux local, portant sur une part de solde de gestion, c'est possible.

S'agissant de la question juridique, celle de savoir si l'impôt italien auquel a fait allusion le Président Augustin Bonrepaux, l'IRAP9, sera jugé incompatible avec la directive TVA et si, dans l'hypothèse où elle choisissait de taxer la valeur ajoutée, la France pourrait tomber sous le coup de la même critique, plusieurs éléments de réponse peuvent être avancés.

Sur le plan de la procédure, la Cour de justice ne s'est pas encore prononcée à ce jour ; seules ont été publiées pour l'instant les conclusions de l'avocat général sur le cas particulier de l'IRAP. Or, à en croire l'avis général des juristes, spécialistes du droit public et privé en France, mais également dans les pays homologues, qui ont construit la TVA ou qui jugent assez souvent de ces questions, ces conclusions semblent s'inscrire en rupture forte, bien que l'intéressé s'en défende, avec les jurisprudences antérieures, suivant un raisonnement assez rapide, et de nature plus économique que juridique. En particulier, un impôt comme la TVA, qui est en fait une taxe sur le chiffre d'affaires, sur la consommation, se caractérise par l'existence d'un lien entre l'impôt et le prix. C'est là un point fondateur de l'interdiction que pose la directive aux États membres de créer des impôts qui ressemblent à une taxe sur le chiffre d'affaires. Or, aux yeux de M. F. G. Jacobs, l'IRAP, par le fait qu'il se répercute sur les prix, s'apparenterait à un impôt sur la consommation. Mais tous les impôts d'entreprise se répercutent dans les prix... On peut difficilement considérer qu'il serait interdit aux États membres de créer des impôts sur les entreprises autres que la TVA ! Ce raisonnement par l'absurde explique l'incrédulité des juristes quant à l'évidence du lien ainsi tissé par M. F. G. Jacobs entre un impôt sur un solde de gestion et les prix, alors que ce lien doit être réellement fort pour que l'impôt en question soit condamnable au regard de la directive TVA. Telle est en tout cas, sans préjuger de la position que prendront les juges, l'opinion des spécialistes de la question qui sont nombreux à penser que l'avocat général pourrait ne pas être suivi sur cette affaire, importante pour l'Italie.

S'agissant maintenant du cas français, et à examiner le détail des travaux menés sur la question de la valeur ajoutée, qu'ils aient été menés par M. Olivier Fouquet ou qu'ils figurent déjà dans l'actuel code général des impôts dans la mesure où une part significative des entreprises est déjà taxée sur la valeur ajoutée, on constate que l'assiette de l'impôt en question est, sur bien des aspects, différemment construite de celle de l'IRAP. Cela nous éloigne d'autant plus du raisonnement susceptible d'aboutir à une interdiction éventuelle de créer un impôt de cette nature. À supposer même que la Cour, en suivant un raisonnement à mes yeux bien audacieux, suive les conclusions de l'avocat général dans l'affaire de l'IRAP, la France aurait d'excellents arguments à faire valoir pour ne pas encourir une critique de même nature à propos d'un impôt assis sur la valeur ajoutée. De la sorte, la position adoptée par l'avocat général, qui a surpris l'ensemble des pays européens, ne me paraît finalement guère de nature à gêner la réflexion engagée pour réformer la taxe professionnelle.

Au-delà de l'IRAP, le Président Augustin Bonrepaux a également évoqué le cas de la TVA...

M. le Rapporteur : La question est plus générale et porte d'abord sur l'état actuel de la réflexion. Nous aimerions à cet égard avoir communication de la note que vous auriez transmise la semaine dernière à plusieurs acteurs du monde économique.

Mme Marie-Christine LEPETIT : Contrairement à ce qu'en a laissé entendre la presse, je ne peux que répéter qu'aucune note n'a été envoyée de ma part aux acteurs économiques... Je ne saurais donc vous communiquer quelque document de cette nature. Des échanges ont eu lieu avec certains de mes collaborateurs sur certains aspects de comptabilité, qui ont abouti à faire considérablement évoluer la réflexion. Aucune note n'est sortie de mon bureau à l'heure actuelle. Je suis donc désolée de ne pouvoir satisfaire formellement à cette demande.

M. le Rapporteur : Note ou pas note, où en est-on ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : La question est plus facile pour moi, car des travaux ont été menés sur le plan technique depuis la remise de son rapport par M. Olivier Fouquet. Précisons qu'il s'agit de démarches internes à l'administration et que le Gouvernement n'a pas encore pris, à ma connaissance, de position officielle. Je suppose que vous poserez la question au ministre du budget lorsque vous l'auditionnerez.

Ne disposant pas de position gouvernementale, je ne peux que vous faire part des travaux actuellement menés par l'administration. Ces travaux se sont assez naturellement situés dans le prolongement de ceux conduits par M. Olivier Fouquet. Ces travaux-ci avaient permis de « débroussailler » une très grande quantité de solutions possibles, chacune contenant des éléments précis - sur le plan de l'analyse juridique, de l'analyse économique, de l'analyse des transferts, de l'analyse des coûts, tant pour le budget de l'État que pour les collectivités, etc. - qui ont été relevés et comparés. De surcroît, les échanges qui ont eu lieu dans le cadre de cette Commission ont permis de constater, à défaut d'unanimité, une forme de convergence, sinon de large accord, sur les éléments qui, en définitive, forment la conclusion de la Commission présidée par M. Olivier Fouquet.

Quels sont ces éléments ? D'abord, l'idée qu'il est possible de remplacer l'actuelle taxe professionnelle par un impôt réellement local, au sens où serait maintenue la possibilité d'en voter le taux. Cet impôt pourrait respecter l'objectif économique de mieux répartir la charge contributive par catégories d'entreprises, tout en préservant des ressources stables et dynamiques pour les collectivités territoriales. Une manière d'y parvenir serait un panachage, permettant de conserver au futur impôt une assise foncière forte tout en ajoutant une part d'assiette sur un solde de gestion. Sur ce point particulier, plusieurs possibilités ont été évoquées ; M. Olivier Fouquet privilégiait plutôt la valeur ajoutée, après avoir comparé les avantages et les inconvénients des différentes formules possibles.

Telles sont les bases sur lesquelles les travaux techniques ont été entrepris au sein du ministère des finances, mais également à la DGCL, au ministère de l'Intérieur, afin d'approfondir certains sujets et de fournir aux ministres les éléments d'analyse susceptibles de déterminer leurs choix. Nous devrions très rapidement connaître la teneur de ce que pourrait être un vrai projet afin d'entamer la concertation annoncée au cours des consultations du mois de mars dernier.

M. le Rapporteur : Quels points vous paraissent les plus difficiles ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Disons les points les plus stratégiques, car ils ne sont pas forcément difficiles sur le plan technique. La première question est évidemment celle de l'assiette, ou des assiettes, - au choix - retenues. La deuxième est celle du niveau de l'impôt, à laquelle est liée celle de savoir si, à la faveur de la réforme de la taxe professionnelle, il est souhaité d'introduire un élément de spécialisation de l'impôt local, question déjà soulevée par la « commission Fouquet ». C'est un point très important de la réforme.

M. le Rapporteur : ...Et qui, en l'état actuel de la réflexion, ne serait pas écarté. Il fait toujours partie de l'éventail des propositions ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : C'est toujours un des points dont l'administration discute avec son ministre - ou plus exactement les administrations, plusieurs d'entre elles constatant que le sujet présente, en même temps que des inconvénients, certains avantages qui méritent d'être examinés. La question est, il est vrai, très difficile, d'abord parce que, à l'origine strictement technique, elle est peu à peu devenue, telle que l'a posée la « commission Fouquet », un débat politique. Quoi qu'on en pense, l'aspect technique et la dimension politique sont fortement liés. Et quand bien même on en reste au stade strictement technique, on ne peut qu'éprouver une forme de séduction intellectuelle à l'idée de clarifier la relation contribuable local-élu local en rendant plus univoque le lien entre un impôt et une collectivité. Par rapport au face-à-face et à l'élément de démocratie que comporte ce choix, il est plus satisfaisant de créer une forme de bijection - pardonnez-moi, je suis ingénieur de formation - que de se retrouver avec un impôt sur lequel quatre niveaux de collectivités votent des taux ou des morceaux de taux.

Au surplus, il est paradoxalement plus facile d'aborder cette question dans le cadre d'une réforme d'envergure que dans celui d'une réforme de faible importance. L'équation - le tableau carré entre ce qu'il faut donner aux communes, aux EPCI, aux départements, aux régions - est plus facile à résoudre, à supposer qu'elle ait une solution, lorsque l'on traite de masses importantes que lorsqu'on travaille sur de petites quantités. Le « rapport Fouquet » décrit dans une ses annexes quatre des solutions envisagées. Autrement dit, à la séduction intellectuelle vient s'ajouter le constat que la chose est possible, au moins sur le plan intellectuel.

En même temps, en y regardant plus en détail, on voit bien naître toute une série de difficultés techniques. Pour commencer, cela fait deux réformes en une : c'est plus lourd, plus compliqué, plus coûteux. Ensuite, dans le choix des possibles, il n'est pas toujours très facile de mettre en regard un niveau de collectivité territoriale et une ressource qui « ressemble » à ses dépenses, pour employer un terme imagé. Et lorsqu'on est content du lien que l'on a cru organiser entre un niveau de collectivité et un impôt, on s'aperçoit souvent que l'on a organisé en même temps d'affreux transferts. Supposons, par exemple, que l'on veuille faire remonter beaucoup d'impôt foncier au niveau du département, constatant que celui-ci assume un grand nombre de dépenses à caractère social et qu'il devrait bénéficier d'une ressource très stable, très liée aux ménages et aux éléments physiques présents. Mais ce faisant, on va remonter depuis les communes du foncier de toute nature - foncier bâti ou taxe d'habitation - en harmonisant de fait les taux, donc en créant des transferts. Chaque fois que l'on remonte de l'impôt existant d'un niveau local fin à un niveau un peu moins fin, mécaniquement on crée des transferts. C'est là une difficulté technique, mais également politique, parmi d'autres inconvénients relevés par le « rapport Fouquet ».

Au demeurant, créer pour les communes des impôts assis sur les soldes de gestion aboutit à des myriades de taux, ce qui n'est pas satisfaisant. Voyons plutôt ce que donnerait le contraire, c'est-à-dire en laissant le foncier au niveau communal - ce qui est validé par la théorie économique - et en construisant des impôts économiques aux niveaux départemental et régional. Cela fonctionne mieux au regard des problématiques de transfert comme au regard des impératifs de dynamique de l'impôt, par le fait qu'un département étant plus grand, il supportera mieux la conjoncture économique qu'une commune ou un ensemble de communes. Cela dit, est-il légitime qu'un département ou une région n'ait pratiquement que des impôts assis sur des soldes de gestion et très peu d'impôts « sécurisés », assis sur le foncier, par exemple ? On sent bien la contradiction entre le fait d'éviter des transferts, de rechercher une bonne adéquation et de vouloir un territoire suffisamment large... L'analyse précise montre que chaque schéma a ses avantages, mais également ses inconvénients. Aucune solution ne s'impose d'évidence, même si l'on s'aperçoit que certaines marcheraient plutôt mieux que d'autres. Le « rapport Fouquet » présente dans une fiche ce qui se fait de mieux et de plus récent sur le sujet et constitue un bon support de discussion pour ceux qui considéraient comme possible et souhaitable de faire, en même temps que la réforme de la TP, une réforme de spécialisation.

M. le Rapporteur : La question est donc toujours à l'ordre du jour.

Mme Marie-Christine LEPETIT : Elle n'est pas, à ma connaissance, davantage tranchée que les autres.

M. le Rapporteur : Il est une autre difficulté, que vous n'avez pas citée, évoquée hier lors d'une audition sur les questions d'intercommunalité : l'intercommunalité met en avant son engagement dans le développement économique, mais si l'impôt économique est remonté à un échelon supérieur, où sera la cohérence ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : C'est exact.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de la mise en parallèle de l'impôt et de sa destination. Nos auditions ont très souvent mis en lumière la contradiction qu'il y avait à affecter des parts de TIPP à des régions dont la mission consistait, entre autres, à développer des transports régionaux et à dissuader les usagers d'utiliser leur voiture particulière... Au-delà de son aspect « café du commerce », la remarque n'est pas inintéressante.

Mme Marie-Christine LEPETIT : Je la trouve, pour ma part, naturelle et, dans le contexte actuel d'évolution des dépenses locales, parfaitement légitime. Dans le cadre de mes responsabilités, j'ai pour ma part une vision pragmatique de ces questions : on me demande des impôts locaux, je suis bien obligée de proposer quelques choix. C'est bien pourquoi j'ai pris la peine de vous rappeler tout à l'heure les éléments qui structurent un impôt local, pardonnez-moi si cela vous a paru didactique et lassant. C'est mon quotidien : j'ai des quantités de demandes à satisfaire, mais bien peu de candidats qui satisfont toutes les conditions !

M. le Rapporteur : Sur les droits de succession, reste-t-il de la marge ? Et sur la redevance télévisuelle ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : En tant que fiscaliste, je ne suis pas totalement satisfaite en voyant transférer aux collectivités territoriales des impôts que l'on a envie de réformer parce qu'ils sont mal fichus. L'histoire de la vignette en est un bon exemple. Était-ce une bonne idée de la supprimer ? Je n'en sais rien. N'empêche qu'on l'a supprimée après l'avoir transférée... Est-ce vraiment satisfaisant ?

Autre exemple beaucoup plus ancien : les droits de mutation que l'on a donnés avant d'amorcer leur baisse, alors même que leur niveau très élevé était, on le savait, cause de frottements économiques très importants. Certes, on s'en est débrouillé ; mais en voyant des impôts mal fichus et dont on a envie d'organiser les dynamiques plutôt à la baisse, ma première proposition n'est pas de les transférer.

M. le Rapporteur : Qu'avez-vous comme impôts transférables dans votre panier ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Des impôts transférables avec pouvoir local, je n'en ai pas beaucoup...

M. le Rapporteur : Quels sont-ils ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : La valeur ajoutée est un bon impôt. On pourrait faire du partage d'impôt national sans vote de taux. Mais avant d'y songer, les solutions de type TSCA n'ont pas encore été totalement épuisées. Commençons par faire un inventaire des impôts dits « petits », dont le montant n'apparaît pas pour autant négligeable, dont la dynamique est correcte et dont on sait qu'ils ne mourront pas demain matin et qu'ils pourront accompagner la montée en puissance des dépenses.

M. le Rapporteur : Qu'avez-vous parmi ces petits impôts ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Vous me prenez un peu au dépourvu... La taxe sur les véhicules de société n'est peut-être pas le meilleur exemple, mais l'automobile offre de bonnes possibilités.

M. le Rapporteur : Il n'est pas sûr que notre Commission d'enquête propose le rétablissement de la vignette...

Mme Marie-Christine LEPETIT : Il se pourrait que Bruxelles le fasse - mais peut-être n'est-ce pas le moment de le dire !

Indépendamment de toutes ces pistes, celle des redevances mérite d'être explorée. Alors que nous avons tendance à privilégier l'imposition, bon nombre de pays raisonnent plutôt en termes de redevance pour service rendu et ont d'autres manières d'aller chercher de la ressource afin de financer leurs services publics locaux. Peut-être ne travaillons-nous pas suffisamment sur ces domaines qui ne relèvent d'ailleurs pas du champ de compétence de la DLF.

M. le Rapporteur : Et sur la TIPP ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Pour le fiscaliste, la TIPP est un impôt assez facilement transférable : il est, quoi qu'on en dise, localisable ; nous allons obtenir prochainement, nous en sommes convaincus, le droit d'en moduler les taux ; enfin, il est douteux qu'il soit sujet à d'énormes évolutions à la baisse - c'est en fait un impôt sur la consommation et il évolue comme tel.

M. le Rapporteur : Mais la structure de consommation évolue.

Mme Marie-Christine LEPETIT : C'est vrai, mais il y a dix ans, on aurait dit le contraire...

M. le Rapporteur : L'État connaît des moins-values de recettes de TIPP.

Mme Marie-Christine LEPETIT : La dynamique contemporaine est moins forte que celle que l'on a connue autrefois.

M. le Rapporteur : Les recettes encaissées en 2005 sont moindres que les prévisions de la LFI 2005. On peut évidemment considérer que cela fait partie du sort ; reste que les collectivités demandaient un impôt qui leur assurerait une sécurité et même une évolution positive.

Mme Marie-Christine LEPETIT : Jamais on ne parviendra à mettre en place, devant chaque nouvelle dépense permise dans une catégorie donnée de collectivité, un impôt qui lui corresponde exactement, avec la dynamique appropriée. Il faut davantage raisonner en mettant en rapport l'ensemble des dépenses et l'ensemble des impôts dans une catégorie donnée de collectivités.

M. le Rapporteur : C'est tout à fait cohérent, mais ce n'est pas ainsi que c'est généralement compris !

Mme Marie-Christine LEPETIT : Je parle en fiscaliste dont la boîte à malices n'est pas inépuisable. Nous vivons une époque de forte concurrence internationale et les faits sont têtus. Je comprends parfaitement - j'espère que mon propos introductif ne laisse planer aucune ambiguïté là-dessus - le choix qu'a fait la France en matière d'organisation et de financement de sa dépense publique locale. J'observe simplement que plus celle-ci augmentera, plus il sera difficile de satisfaire tous les éléments du cahier des charges. C'est totalement mécanique.

M. le Rapporteur : J'entends cela. Notre perception de l'impôt souffre d'une extraordinaire dispersion : il n'est que de relire le rapport Gilbert-Guengant sur le pouvoir d'achat des communes. Cela rend d'autant plus compliquées les réformes qui seraient de nature à perturber cette dispersion. À titre d'illustration, si certaines communes ont peu de dépenses, pas beaucoup d'habitants et une très forte taxe professionnelle - du fait de l'implantation d'une centrale nucléaire, par exemple -, on peut rencontrer des situations rigoureusement inverses. Comment intégrer cela dans la réflexion sur une réforme de la taxe professionnelle ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Distinguons le cas particulier de la centrale nucléaire du cas général. Une réforme de la taxe professionnelle devra conduire à envisager tous les cas d'espèce : s'il s'agit de calculer un taux d'équivalence sur la valeur ajoutée pour reconstituer le produit actuel, mieux vaudra éviter d'aller taxer tous les autres contribuables de la commune avec un taux soudainement plus élevé, la centrale nucléaire cessant du coup d'être imposée au niveau d'aujourd'hui ! Ce serait aberrant et aboutirait à des situations invraisemblables. Certaines situations particulières appelleront une particulière vigilance si nous réformons la taxe professionnelle dans le sens que propose le « rapport Fouquet ».

Au-delà des cas d'espèce, on rencontrera toujours, même avec des impôts locaux bien conçus, suffisamment nombreux et variés, des communes dans des situations objectivement plus faciles parce qu'elles auront un fort potentiel fiscal et en même temps des besoins publics parfois moindres, et d'autres cas symétriquement inverses. Ma conviction de fiscaliste est assez simple : la réponse ne se trouve pas dans la seule sphère fiscale. Un impôt local étant réputé être prélevé localement, on ne peut par construction prélever que ce qu'il y a... Si l'on est intrinsèquement pauvre, on prélèvera sur la pauvreté, donc à des taux élevés, donc personne ne viendra s'installer et donc les difficultés ne feront que s'aggraver. Il faut avoir politiquement conscience qu'il y a des limites à asseoir ses ressources sur la fiscalité et qu'il faut construire tout à la fois des réponses d'ordre fiscal et des réponses péréquatrices. À mon sens, l'un ne va pas sans l'autre. Cette question de la dispersion de la richesse est totalement autonome de celle de savoir si une collectivité territoriale a une politique dépensière ou économe. Ce sont vraiment deux sujets différents ; il est de fait qu'il y a en France des endroits plus pauvres que d'autres et, à mon sens, on ne corrigera pas ces inégalités par de l'impôt, mais par de la péréquation.

M. le Rapporteur : Vous avez noté tout à l'heure le niveau de l'impôt local élevé, trop au regard des possibilités contributives, à tel point que l'État a été requis comme contribuable. Ce peut être un indicateur, mais également un choix politique indépendant de ces considérations. Comment peut-on évaluer le maximum de ce que peut payer le contribuable local ? L'existence de mécanismes compensateurs en est-elle à vos yeux une mesure ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : C'est un indice, comme je l'ai indiqué tout à l'heure. Les quatre impôts historiques des collectivités territoriales ont crû très rapidement, en raison d'une dynamique des bases, mais également d'une dynamique des taux, la première étant elle-même issue de la dynamique économique et de l'actualisation annuelle des bases. Notons au passage que les taux ont davantage augmenté que l'impôt sur les sociétés ou l'impôt sur le revenu, mais cela n'a rien d'une fatalité. Reste que, du fait même de cette dynamique extrêmement forte, on sent bien, lorsque l'on fait des comparaisons avec l'étranger, que l'on demande trop à ce type d'impôt. Le foncier, par exemple, peut certes apporter de la ressource, mais pas au point d'être en disproportion avec sa capacité à générer lui-même de la richesse ou à perdre toute signification par rapport à l'occupant payeur - en l'occurrence les ménages.

M. le Rapporteur : Comment le mesurez-vous ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : D'abord au courrier que je reçois tous les jours... Cela s'est traduit par des réformes successives adoptées par le Parlement, prévoyant des exonérations, des dégrèvements, des plafonnements de toutes sortes... La chronique est connue pour la TH, la TP, elle commence à exister pour la taxe foncière et nous la verrons un jour pour les ordures ménagères si le mouvement se poursuit. Il ne s'agit pas de combattre cette évolution par nature ; il faut simplement admettre que ces impôts sont bien comme ils sont et que s'il y a d'autres besoins de ressources, peut-être faut-il aller chercher ailleurs.

On entend souvent répondre : « C'est parce que les bases foncières ne sont pas bonnes. » Peut-être est-ce à cela que pensait le Président Augustin Bonrepaux tout à l'heure en parlant du foncier bâti. Les bases sont effectivement perfectibles, à tel point que nous avons failli les réformer il y a une quinzaine d'années. Bien que la réforme n'ait pas eu lieu, l'administration a continué de faire vivre ces valeurs en concertation avec les élus locaux, mais je ne crois pas que la pierre philosophale soit à trouver dans une éventuelle future réforme des bases locales. Vous habitez un appartement pour lequel vous payez un loyer. Arrive un impôt une fois l'an. Si vous le trouvez très élevé au regard de votre loyer, disproportionné dans votre perception de ce que sont vos ressources et de ce que vous payez par ailleurs et que, par-dessus le marché, vous jugez que les services publics locaux ne fonctionnent pas, ce n'est pas en modifiant la valeur locative, en supprimant les quatre mètres carrés que vaut la baignoire et en ajoutant un coefficient d'environnement de 0,8 ou autre, bref en corrigeant cette « usine à gaz » pour la rendre plus claire, plus transparente et plus conforme aux valeurs actuelles, que l'on atténuera ce sentiment de disproportion ! La réponse n'est pas dans les valeurs locatives. Je ne dis pas qu'il ne faille pas les améliorer, mais cela ne réglera pas notre problème de montant et de niveau du foncier.

M. le Rapporteur : La connaissance des bases vous paraît-elle bonne ? Le maire que je suis est très frappé du caractère très inégalitaire, qu'il s'agisse des entreprises comme des particuliers lorsque les maisons ou les appartements sont rénovés. À examiner les bases déclarées, on a l'impression que l'hygiène en France en est restée à son niveau du début du XXème siècle...

Mme Marie-Christine LEPETIT : Peut-être parce que les baignoires comptent encore pour quatre mètres carrés...

Je comprends d'autant plus votre question qu'elle rejoint certaines de nos préoccupations internes. L'administration constate elle aussi, même si elle ne l'exprime pas de la même façon, qu'elle a trop rarement la possibilité d'obtenir un rafraîchissement des données permettant de mettre à jour les valeurs locatives. Mais le droit est ainsi : personne ne peut obliger un locataire ou propriétaire à déclarer les aménagements qu'il a réalisés, même lorsqu'il vend. De très nombreux travaux sont de nature à changer les valeurs locatives, mais sans pour autant déclencher juridiquement d'obligation de déclaration.

M. le Rapporteur : C'est là un vice investi dans le système...

Mme Marie-Christine LEPETIT : Oui. Il peut se corriger facilement.

M. le Rapporteur : Par des formules déclaratives ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Exactement. De même que les quatre mètres carrés de la baignoire...

M. le Rapporteur : La spécialisation éventuelle du foncier n'exigerait-elle d'ailleurs pas la mise en place d'obligations déclaratives ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Pas nécessairement. Reste qu'une mise à jour plus au fil de l'eau, plus pertinente, plus partagée, plus transparente vis-à-vis des contribuables passe, de mon point de vue, par un système déclaratif enrichi - et donc des sujétions supplémentaires pour les contribuables. Mais sachant que nous partons à peu près de zéro, il doit être possible d'en faire un petit peu plus...

M. le Rapporteur : S'agissant des effets « non vertueux » du système fiscal actuel, la cotisation nationale de péréquation ou encore les cotisations minimales de TP ne sont pas de nature à pratiquer des taux modestes. M. Pierre Méhaignerie citait l'exemple de collectivités au taux de taxe professionnelle modeste et dont on pouvait se demander à quoi cela leur servait, dans la mesure où elle se retrouvent à devoir payer un maximum au titre de la péréquation. Un tel régime vous paraît-il satisfaisant ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Ces questions sont totalement remises à plat dans la réforme de la taxe professionnelle telle que préconisée dans le « rapport Fouquet », ces dispositifs étant supprimés, cependant que l'État sort du jeu en cessant d'être un contribuable local. Cela répondrait à votre question. Si l'on devait en revanche rester avec une taxe professionnelle telle qu'elle existe aujourd'hui, force est de constater que le taux minimal n'est pas très élevé et que le phénomène pervers décrit par M. Pierre Méhaignerie se rencontre assez rarement. Il est de surcroît vraisemblable qu'il se raréfierait à mesure que le temps passerait.

M. le Rapporteur : Et s'agissant de la cotisation nationale de péréquation ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : C'est d'une certaine manière un impôt national puisqu'elle vient maintenant financer le budget de l'État ; de plus, à la différence de la cotisation minimale, elle se prélève quelles que soient la situation de taux et la taille de l'entreprise. Il s'agit donc d'un impôt additionnel à l'exemple de la taxe sur les chambres de commerce ou les frais de gestion et de recouvrement. C'est du moins le souvenir que j'en garde.

Rappelons, à propos de la cotisation minimale, qu'elle ne se déclenche, dans son format actuel, que pour des entreprises d'une taille relativement significative, au-dessus de 7,6 millions de chiffre d'affaires. Si une collectivité pratiquait des taux bas, cela profiterait à tous ses contribuables petits ou moyens.

M. le Rapporteur : Menez-vous un travail en commun avec le Trésor à propos de l'influence de la fiscalité et des finances locales sur le niveau des déficits et l'évolution des prélèvements obligatoires ? Chacun mesure aujourd'hui la part prise par la fiscalité locale. M. Jean-Luc Tavernier, Directeur des politiques économiques à la Direction générale du Trésor et de la politique économique, nous a fait part de ses soucis sur ce point. C'est d'ailleurs l'une des raisons d'être de notre Commission d'enquête. Vous-même travaillez davantage sur les questions de structures. Mais quels sont vos éléments de dialogue ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Nous travaillons très souvent ensemble, ainsi qu'avec la Direction du budget, sur ces questions. S'agissant plus particulièrement de la taxe professionnelle, nos trois directions sont représentées au comité de pilotage, de même que la DGCL.

M. le Rapporteur : M. Jean-Luc Tavernier vous sollicite-t-il sur des outils fiscaux qui permettraient de calmer l'évolution de la dépense et de l'impôt ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Pas directement. Le travail de M. Jean-Luc Tavernier consiste en une mise en perspective des problématiques de finances publiques. La DLF ne participe pas directement aux travaux concernant l'équation des finances publiques, les trends d'impôt ou de déficit, qui relèvent directement de la Direction générale du Trésor et de la politique économique ainsi que de la Direction du budget. Même si j'en suis tenue informée, cela n'est pas institutionnellement du ressort de la DLF.

M. le Rapporteur : Mais comment la problématique que je viens d'évoquer entre-t-elle en ligne de compte ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : D'une manière différente, lorsque nous sommes interrogés ou lorsque nous nous interrogeons nous-mêmes sur la réponse technique, fiscale, capable de freiner le mouvement de prise en charge de l'impôt local par l'État et de responsabiliser davantage les collectivités au moment où elles définissent leurs impôts. Cela se traduit, par exemple, dans les limitations de prise en charge de l'impôt local par l'État, sous forme de plafonnements, de gels de taux de TH ou encore de limitations du champ de certains dégrèvements. On nous a également demandé de réfléchir aux moyens de priver les collectivités territoriales du supplément d'impôt appelé dès lors que celui-ci est payé non par le contribuable local, mais par l'État. Cette question, techniquement très compliquée, n'a pas encore trouvé de réponse. Reste que, sur le plan conceptuel, elle est au cœur de votre problématique : la responsabilisation peut passer par le fait que l'État cesse de prendre en charge l'impôt local, de sorte que le contribuable local se retrouve le seul pénalisé, mais on peut également organiser le système afin que, passé un certain niveau de prélèvement, il ne soit plus possible de prélever sur cet impôt - auquel cas c'est la collectivité qui se trouverait mise devant ses responsabilités. Le problème est que, dans un système où de nombreux niveaux de collectivités interviennent sur le même impôt, il devient très difficile de savoir exactement la raison de l'augmentation ou pas de tel impôt que l'État cesserait de prendre en charge, et donc très compliqué de mettre au point des réponses construites - et qui marchent. Mais cela n'en fait pas moins partie des sujets sur lesquels nous pouvons travailler.

M. le Rapporteur : La fiche n° 13 de l'annexe III du « rapport Fouquet » rappelle que le taux de la cotisation nationale de péréquation dépend de l'écart entre le taux global de la taxe professionnelle des communes où se situent les établissements imposables et le taux national.

Mme Marie-Christine LEPETIT : Il y a donc bien un effet, comme vous l'indiquiez tout à l'heure. Merci de cette précision.

Je souhaiterais, pour achever ma réponse à votre question de tout à l'heure, ajouter un mot sur les questions stratégiques posées par la réforme de la taxe professionnelle. Comment organiser le passage de la situation actuelle à une éventuelle situation future pour les collectivités territoriales ? Quelles seront les règles en matière de reconstitution de produit, en matière de vote de taux ? Comment s'organiserait au besoin un tunnel de taux ? Y aura-t-il une limitation à l'évolution du taux ? Comment traiter les communes dont le taux d'équilibre est en bas de la fourchette, et surtout celles dont le taux d'équilibre est au-delà ? Toutes ces questions font évidemment partie des sujets sur lequel le Gouvernement devra se pencher de très près. Dans l'éventualité, assez probable, où quelques entreprises seraient perdantes, se posera la question de savoir comment organiser la transition entre la situation d'aujourd'hui et celle de demain : jusqu'à quel niveau de perte peut-on aller ? Par rapport à cette situation, comment la réforme s'organise dans le temps, comment la lisse-t-on ? Qu'est-ce que l'État prendra en charge, comment et à quel niveau ? Tout cela fait partie des sujets à examiner pour rendre possible une éventuelle réforme de la taxe professionnelle.

M. le Rapporteur : Réforme qui aura nécessairement un coût pour l'État...

Mme Marie-Christine LEPETIT : Qui a déjà un coût pour l'État. Avant la mise en place du dégrèvement pour investissements nouveaux (DIN), l'État, en net et en tendanciel annuel, payait entre 1,5 et 2 milliards d'euros ; il en paiera 2,8 supplémentaires après le dégrèvement pour investissements nouveaux. Autrement dit, fin 2007, il en sera de 1,5 à 2 milliards plus 2,8 milliards d'euros, pris sur son budget - ou sur son déficit... En votant le dégrèvement pour investissements nouveaux, l'État a déjà signé un chèque significatif ; il peut certes en faire un plus gros, mais celui-là est d'ores et déjà lié à la réforme dans la mesure où le dégrèvement pour investissements nouveaux a été mis en place en attendant la réforme.

M. le Rapporteur : Je suppose que les réponses écrites à notre questionnaire sont à venir, notamment pour ce qui touche au rapport de l'impôt local au revenu...

Mme Marie-Christine LEPETIT : En effet, les chiffres sont en cours de transmission.

M. le Rapporteur : Nous n'avons pas parlé de l'intercommunalité...

Mme Marie-Christine LEPETIT : Je sais que M. Dominique Schmitt vous en a longuement parlé. L'intercommunalité est évidemment un des points à prendre en considération dans une réflexion sur la réforme des impôts locaux. Nous sommes aujourd'hui dans une situation intermédiaire, car si l'intercommunalité est déjà potentiellement très développée, elle est encore loin de son aboutissement, notamment pour ce qui est des taux. C'est là un point d'articulation délicat avec une éventuelle réforme. Mais surtout, dans la mesure où le levier fiscal a déjà été largement utilisé avec l'unification du taux de taxe pesant sur les entreprises, une réflexion sur la réforme de la TP, à plus forte raison avec spécialisation, exigera de s'assurer de la permanence de la politique d'encouragement de l'intercommunalité souhaitée jusqu'à présent - où, à défaut, de mesurer et d'assumer de possibles effets collatéraux. C'était du reste un des éléments du cahier des charges posé par le Premier ministre en février 2004.

Il nous semble possible de préserver les outils d'intercommunalité et d'éviter qu'une éventuelle réforme de la taxe professionnelle ne vienne perturber la montée en puissance des intercommunalités. Mais c'est un point qui appelle vigilance et qui, techniquement, est assez difficile, d'autant que la superposition de textes divers et variés, à la lecture assez ardue, n'est pas de nature à permettre la meilleure visibilité... Reste que nous y veillons de très près. Les entreprises également y sont très attachées, si j'en juge d'après les propos tenus dans la « commission Fouquet » : les questions d'uniformisation des taux notamment les concernent tout particulièrement.

Cela m'amène à revenir sur la spécialisation. Imaginez que l'on ne mette que du foncier et aucun impôt économique au niveau communal. Que deviendraient les EPCI à TPU ? Des EPCI à foncier unique ?

M. le Rapporteur : C'était le but de ma question tout à l'heure...

Mme Marie-Christine LEPETIT : On peut l'envisager, reconstruire les mêmes logiques, mais tout est à rebâtir. Ce serait vraiment jouer au chamboule tout...

M. le Rapporteur : Cela dit, en termes d'évolution de la dépense, l'idée de la spécialisation de la recette a largement marqué les travaux de notre Commission depuis quelques semaines.

Mme Marie-Christine LEPETIT : Je comprends bien cette problématique. Simplement, il ne sera pas évident de se retrouver avec des EPCI qui n'auront plus de TPU, l'impôt économique étant parti ailleurs, au département, par exemple... Les reconstruire autour du foncier ? Ce n'est pas évident. Rien n'est jamais impossible : rédiger des textes, on sait faire... Reste que, sur le plan institutionnel, sitôt que l'on prive le champ communal d'un substitut à la TP, on rend beaucoup plus difficile la survivance du levier fiscal qui avait permis la construction des EPCI. Il faudrait tout reconstruire et mener trois ou quatre réformes en une.

M. le Rapporteur : Avez-vous constaté des effets d'aubaine parmi les régions, certaines ayant pu choisir d'augmenter la taxe professionnelle en 2005 en anticipant sur des compensations à l'occasion de réformes à venir ? D'ordinaire, on les annonce très peu de temps avant leur mise en œuvre pour éviter précisément les effets d'aubaine...

Mme Marie-Christine LEPETIT : Qu'a-t-on constaté lors de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation ? Des statu quo, quelques augmentations et même une baisse... Au demeurant, l'analyse des politiques de vote de taux n'est pas du domaine de la DLF, mais plutôt de la DGCL. De nombreux facteurs sont susceptibles d'expliquer les inflexions de la politique fiscale des régions.

M. le Rapporteur : L'exonération du foncier non bâti au profit des agriculteurs a été annoncée. Quels mécanismes de compensations a-t-on prévus ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Cette disposition ne figure pas dans le projet de loi qu'a déposé le Gouvernement ; c'est seulement la réaffirmation d'une annonce du Président de la République et les modalités d'une prochaine entrée en vigueur n'ont pas été, à ma connaissance, formellement décidées. Et pour ce qui est de la manière de la compenser, nous serions encore plus mis au pied du mur...

Plus globalement, cette question, sur le plan technique, est loin d'être facile à résoudre. Le foncier non bâti est certes, par comparaison avec ceux dont nous avons parlé ce matin, un impôt de petite taille ; en raisonnant sur la catégorie que constituent les communes, il doit être possible de le supprimer sans se heurter à la contrainte constitutionnelle relative au niveau des ressources propres. Encore faudrait-il veiller à ne pas en rencontrer une autre, par exemple celle qui touche à la libre administration de certaines communes. Autant de questions que l'on est forcément amené à se poser en parlant d'exonération.

Se pose également la question de l'adéquation de l'outil à sa cible. Qui souhaite-t-on exonérer ? Le foncier non bâti est-il le meilleur truchement si l'objectif est d'alléger la charge pesant sur l'agriculteur exploitant ? L'organisation même de l'exonération des terres agricoles soulève de nombreuses questions techniques qui mériteront, le moment venu, des arbitrages très précis.

M. le Rapporteur : Faut-il distinguer les feuilles d'impôt selon les collectivités ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Les contribuables croiront payer quatre impôts au lieu d'un...

M. le Rapporteur : Il faut que l'impôt soit douloureux pour rendre le contribuable vigilant...

Mme Marie-Christine LEPETIT : Moyennant un peu de temps pour l'administration, on peut évidemment faire ce que l'on veut. Mais cela peut coûter significativement plus cher.

M. le Rapporteur : Les frais de gestion actuellement perçus correspondent-ils bien à la réalité ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : Compte tenu du montant que l'État prend en charge au titre des dégrèvements, nous avons de la marge !

M. le Rapporteur : Les deux notions ne sont pas totalement corrélées...

Mme Marie-Christine LEPETIT : Une fraction du taux est tout de même destinée à financer les dégrèvements...

Sur la lisibilité des avis d'imposition, des travaux ont été entrepris pour essayer de mieux hiérarchiser les documents, séparer les niveaux de collectivités, bien faire apparaître les évolutions des bases et des taux, distinguer ce que l'État prenait en charge, etc. L'année dernière, la réforme de la redevance audiovisuelle a été l'occasion de nombreuses enquêtes et consultations des élus afin de s'assurer que l'introduction de la redevance ne perturberait pas la perception du document par le contribuable. D'une manière générale, ce sont des aspects auxquels la DGI est très attentive. Elle vérifie régulièrement auprès des contribuables que ses documents sont lisibles, afin de déceler les points insuffisamment compris.

M. le Rapporteur : Pourrait-on imaginer que ce soit l'occasion d'informations comparatives, au-delà des taux appelés, qui permettraient d'« étalonner » la contribution de chacun ?

Mme Marie-Christine LEPETIT : On peut l'imaginer, à l'exemple du document à caractère général joint à la déclaration d'impôts. La difficulté tient à ce que les finances des collectivités territoriales sont un sujet si complexe qu'il est très malaisé de se faire une religion au vu d'informations synthétiques. C'est un monde très divers qu'il est difficile de photographier de manière tout à la fois pertinente et synthétique. La richesse des rapports administratifs, qui collationnent les informations venant de 50 000 collectivités, donne parfois le tournis... Votre souci de mieux informer le contribuable est légitime, mais trouver le meilleur moyen d'y répondre n'est pas chose facile.

M. le Rapporteur : Mme la Directrice, nous vous remercions.

8

graphique

9 Taxe régionale sur la production italienne (Impôt Régional sur l'Activité Productive) et interdiction de taxes nationales sur le chiffre d'affaires autres que la TVA - Conclusions du 17 mars 2005, Banca popolare di Cremona, aff. C-475/03.


© Assemblée nationale