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N° 857

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 mai 2003.

RAPPORT D'INFORMATION

déposé en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE

SUR LA CRÉATION D'UNE TÉLÉVISION FRANÇAISE D'INFORMATION
À VOCATION INTERNATIONALE (1)

Président

M. François Rochebloine,

Rapporteur

M. Christian Kert,

Députés.

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TOME II

RAPPORT FINAL

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Audiovisuel

La mission d'information commune sur la création d'une télévision française d'information à vocation internationale est composée de : M. François Rochebloine, Président ; MM. Michel Herbillon, Didier Mathus, Vice-Présidents ; MM. Patrice Martin-Lalande, Frédéric de Saint-Sernin, Secrétaires ; M. Christian Kert, Rapporteur ;
Mme Martine Aurillac, MM. Pierre-Christophe Baguet, Jean-Louis Bianco, Patrick Bloche, Michel Françaix, Jean-Claude Guibal, Georges Hage, Emmanuel Hamelin, Pierre Lellouche, François Loncle, Éric Raoult, Dominique Richard, Éric Woerth, n...

INTRODUCTION 5

EXAMEN DU RAPPORT 7

AUDITIONS 9

Audition de M. Antoine BASBOUS, directeur de l'Observatoire des pays arabes 9

Audition de M. Mohammed EL OIFI, maître de conférence de relations internationales à l'Institut d'études politiques de Paris 15

Audition de M. Olivier POIVRE D'ARVOR, directeur de l'Agence française d'action artistique (AFAA) 21

Audition de M. Abdou DIOUF, secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie 25

INTRODUCTION

La mission d'information commune sur la création d'une télévision française d'information à vocation internationale a décidé de clore ses travaux au cours de sa réunion du mardi 14 octobre 2003.

Cette mission, dont la création avait été décidée par la commission des affaires sociales, culturelles et familiales et par la commission des affaires étrangères en décembre 2002, a remis un rapport d'étape le 14 mai 2003 après avoir auditionné de très nombreux professionnels des médias, les ministres chargés des Affaires étrangères et de la Communication et après avoir rencontré les responsables de BBC World, de Deutsche Welle et de CNN Europe. Ce rapport contient des préconisations précises sur le statut, la ligne éditoriale, les langues employées et les zones de diffusion de la future chaîne. Ces conclusions ont été adoptées à l'unanimité des membres de la mission, issus des quatre groupes de l'Assemblée nationale.

La mission d'information devait poursuivre ses travaux, afin de faire des propositions complémentaires sur les publics visés, les contenus et la tutelle de la chaîne. Elle souhaitait également assurer le suivi du projet et vérifier que les moyens nécessaires à son fonctionnement seraient dégagés par les pouvoirs publics.

En demandant en juin dernier à l'un des membres de la mission d'information commune de lui remettre de nouvelles propositions, l'exécutif n'a pas jugé utile de donner suite aux préconisations qu'elle avait adoptées à l'unanimité de ses membres. Il a, en revanche, fait savoir le 29 septembre dernier par la voix du justify">Dans ce cadre, les sociétés privées intéressées auraient pu participer à la future chaîne sur la base du volontariat, sans que l'Etat n'intervienne dans le choix de tel ou tel. Les participations de ces sociétés auraient en outre pu se concrétiser par des apports financiers ou de programmes.

Enfin, la mission avait préconisé de diffuser la chaîne en France, afin de sensibiliser l'opinion aux problèmes internationaux, et elle aurait logiquement été soumise au contrôle du CSA, contrairement au projet retenu par l'exécutif.

La mission d'information commune prend acte de la décision du Premier ministre. En conséquence, ne voyant plus l'utilité de poursuivre ses travaux, elle a considéré qu'elle devait y mettre un terme.

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EXAMEN DU RAPPORT

La mission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 14 octobre 2003.

Après que le président a rappelé les travaux de la mission depuis la publication du rapport d'étape le 14 mai dernier ainsi que le choix du Premier ministre de retenir un projet de chaîne très éloigné des propositions formulées par la mission, il a proposé de mettre un terme à ses travaux et d'accompagner les procès verbaux des auditions réalisées d'une déclaration liminaire expliquant cette décision.

La mission d'information commune a approuvé cette proposition à l'unanimité.

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AUDITIONS

Audition de M. Antoine BASBOUS, directeur de l'Observatoire des pays arabes

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Compte rendu de la séance du mercredi 21 mai 2003)

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Antoine Basbous, directeur de l'observatoire des pays arabes. Monsieur Basbous, vous êtes la première personnalité que nous auditionnons après la remise de notre rapport d'étape, le 14 mai dernier, qui a fait l'objet d'un consensus des différentes formations politiques qui composent notre mission.

Notre rapporteur a présenté un certain nombre de propositions intéressantes, mais ce projet n'est pas simple, son coût est important. Nous avons évoqué un grand nombre de zones d'influence, telles que l'Europe, le monde arabe : c'est la raison pour laquelle nous sommes heureux de vous recevoir afin que vous nous fassiez part de vot 'Arial'; font-size: 10pt">Pour bien percevoir le paysage médiatique arabe, je dois tout d'abord vous rappeler une chose essentielle : l'incursion, à partir de 1996, de la chaîne Al-Jazira. Avant cette date, chaque pays possédait une ou plusieurs chaînes dans lesquelles était exposée la journée du roi, du prince, du président de la République ; après avoir lu les télégrammes officiels, les journalistes passaient au Premier ministre, puis aux hommes forts du régime, c'est-à-dire les ministres de l'intérieur, des affaires étrangères, etc... 280 millions de téléspectateurs arabes regardaient ces chaînes, mais les dirigeants, dont l'image était exposée au journal du soir, eux, ne les regardaient pas. En 1996, Al-Jazira fait une irruption explosive dans le paysage médiatique arabe.

M. le Président : Elle a été créée subitement ?

M. Antoine Basbous : Le projet datait de 1994, mais elle apparaît, subitement, en effet, en 1996 : elle ne diffusait alors pas 24 heures sur 24 comme aujourd'hui. Cette chaîne a été un événement, car elle a brisé de nombreux tabous : fini les révérences, les émissions politiquement correctes qui se répandaient sur l'ensemble des chaînes. Par ailleurs, elle a eu l'intelligence de tenir compte des attentes de chaque téléspectateur arabe. Des débats étaient organisés autour des islamistes, des nationalistes, etc... Il y en avait pour tout le monde. De ce fait, pour un public arabe assoiffé de quelque chose qui lui ressemble, la provocation a bien marché. A tel point que cette chaîne a dû faire face à des fermetures de bureaux, des expulsions de journalistes dans plusieurs capitales : cela a eu pour conséquence de lui donner davantage d'énergie et surtout d'audience. Al-Jazira n'a donc pas pu être contrée par une chaîne nationale, même pas par la MBC, qui diffusait depuis Londres et qui appartenait à la famille royale saoudienne - au beau-frère du roi Fahd - et qui avait pour mission d'attirer le téléspectateur arabe et de faire concurrence aux chaînes internationales. En effet, cette chaîne est tombée dans les travers des chaînes nationales, à savoir le « révérencieux correct ». Elle a donc été rapidement éliminée. Les Etats conservateurs n'ayant pas trouvé de parade à Al-Jazira, ils ont lancé, en février dernier, une autre chaîne concurrente : Al-Arabia, basée à Dubaï.

M. le Président : Une chaîne d'information continue ou générale ?

M. Antoine Basbous : Cette chaîne est une chaîne d'information continue dans laquelle l'on trouve des capitaux koweïtiens, saoudiens, et qui émet sur la même zone d'influence. Cette chaîne a commencé à faire ses preuves, elle est richement dotée, dispose d'excellents correspondants - dont certains ont été débauchés d'Al-Jazira - mais n'a pas encore de colonne vertébrale, de ligne éditoriale : chaque journaliste fait ce qu'il veut.

Revenons au succès d'Al-Jazira. Pour la premi&e dernière guerre d'Irak. D'autre part, la Hayat-LBC, qui est en fait une fusion de la LBC libanaise et du journal londonien Al-Hayat, qui appartient au neveu du roi Fahd d'Arabie Saoudite. Cette chaîne payante est en train d'être mise en place, elle a commencé à fonctionner en février dernier - elle n'est pas totalement au point - et propose des rendez-vous d'information importants. On y trouve des correspondants d'Al-Hayat et de la LBC dans différentes capitales et sur des terrains très divers, tels que l'Irak. Il ne s'agit pas d'une chaîne d'information continue, puisqu'elle propose des programmes de divertissement extrêmement appréciés dans le Golfe. Le programme le plus regardé est celui dans lequel une jeune femme en maillot de bain sur des plages verdoyantes fait faire de la gym à d'autres personnes. Ce programme est très apprécié dans le Golfe. J'ai d'ailleurs une anecdote à vous raconter à ce sujet. Le PDG de la chaîne voulait se rendre de Riyad à Jeddah, mais les avions étaient pleins et il n'y avait aucun moyen de lui débloquer une place. Quand la personne qui s'occupait des vols a su qu'il s'agissait du président de la LBC, il lui a aussitôt débloqué une place parmi celles qui sont réservées aux princes !

M. le Président : Quel est son audimat ?

M. Antoine Basbous : Il n'existe pas d'institut de Médiamétrie dans ces pays. Cependant, Al-Jazira revendique 40 à 50 millions de téléspectateurs, non seulement dans le monde arabe, mais également à travers la diaspora. J'ai parfois entendu le chiffre de 100 millions, mais je le pense exagéré. Cela étant dit, qu'on l'aime ou qu'on la déteste, il est certain que l'on ne peut pas se passer d'Al-Jazira. Pas même les Saoudiens qui ont interdit à leurs journalistes de travailler pour elle. Ils ne veulent pas de publicité partant de l'Arabie sur Al-Jazira : c'est la raison pour laquelle ils ont créé Al-Arabia pour la concurrencer. Mais malgré cela, Al-Jazira est indispensable pour les dirigeants saoudiens, pour le peuple saoudien. Pourquoi ? Prenons l'exemple du conflit afghan : avant la chute de Kaboul, toutes les chaîne du monde, y compris CNN, s'appuyaient sur les images et les commentaires d'Al-Jazira, elle était donc incontournable. C'était la première fois, lors d'un conflit international, qu'une chaîne non anglo-saxonne était leader.

Et je pense qu'il en est allé de même lors du conflit irakien ; elle a envoyé des équipes à Bassorah avec les Américains, à Bagdad, à Mossoul, à Kirkouk, au Kurdistan, en Turquie... Elle a assuré une couverture qu'aucune autre chaîne n'a pu mettre en place. Et ils ont travaillé dans des conditions terrifiantes, le ministre de l'information irakien menaçant régulièrement les journalistes. Par exemple : un site militaire à côté duquel se trouvaient la Foire de Bagdad et le Croissant Rouge avait été touché par plusieurs tomahawks et les journalistes n'ont pu filmer que les dommages collatéraux et se sont vus donner l'ordre de diffuser ces images. Le contexte n'était donc pas facile pour les journalistes d'Al-Jazira - un des leurs est d'ailleurs mort sous les tirs américains - mais ils ont assuré un énorme travail. Peut-être pas toujours professionnel, mais cela s'expliq Comparons maintenant cette chaîne avec TF1 ou France 2. Leurs correspondants permanents à Washington, par exemple, ne sont pas nombreux. Al-Jazira, elle, a des correspondants permanents à la Maison-Blanche, au Pentagone, au Département d'Etat, à New York, et d'autres qui sont en stand by, toujours prêts à bondir au premier événement. Ce qui implique beaucoup de moyens, de disponibilité et une présence quotidienne.

Telle est la description que je puis vous faire de ce paysage médiatique ou télévisuel arabe. Voyons maintenant ce que l'on peut faire, en France, pour présenter une offre, sinon meilleure, tout au moins aussi bonne, sachant que le véritable concurrent de la future chaîne française est, à l'heure actuelle, Al-Jazira. D'autant que je n'imagine pas pour l'instant son déclin, ni le succès d'autres chaînes.

Un regard français sur l'actualité internationale serait intéressant, car il ne peut pas être soumis à des pressions comme peut l'être Al-Jazira. Il serait donc plus crédible et plus à même de faire face à d'éventuelles pressions. Par ailleurs, l'avis de la France, pays qui compte dans le concert des nations, est très important, tout comme son interprétation de l'actualité, contrairement au Qatar qui ne compte que 180 000 autochtones et 600 000 habitants. La France, actrice dans cette crise, comme dans toute autre crise internationale, peut avoir un regard qui sera attendu par les téléspectateurs arabes. De ce fait, si cette chaîne souhaite concurrencer Al-Jazira, elle devra disposer de moyens importants, de nombreux bureaux, de journalistes qui s'expriment en arabe et qui reflètent une certaine sensibilité. Je ne dirais pas une sensibilité arabe, sinon on transférerait les crises interarabes sur un média français ce qui serait totalement contre-productif. Je parle de sensibilité au sens de bonne compréhension de ce qui intéresse le public, de ses attentes et de ses priorités, à savoir la hiérarchisation de l'information.

Je pointerai deux difficultés majeures. D'une part, le recrutement des journalistes arabes. Nous n'en trouvons pas assez sur le marché : il va donc falloir les débaucher des chaînes existantes. Par ailleurs, il conviendra de les former, afin qu'ils ne ramènent pas avec eux les habitudes acquises dans telle ou telle autre chaîne. D'autre part, il convient de couper le cordon ombilical - tout au moins apparent - avec une quelconque autorité française. Prenons le dernier événement : les attentats de Casablanca. Pour que l'ambassadeur de France ne reçoive pas dix coups de téléphone de protestation concernant ce qu'auraient dit certains journalistes de la chaîne - parce qu'elle serait prise comme la voix de la France ou comme une chaîne d'Etat - et qu'il puisse dire qu'il n'a aucune influence sur cette chaîne, qu'il ne peut pas appeler et mettre aux arrêts de rigueur le rédacteur en chef, cette chaîne doit être indépendante ! Il faut que l'ambassadeur puisse affirmer qu'il s'agit bien d'une chaîne française créée dans la tradition française. Demain, la question du sort des quinze derniers touristes retenus en otages dans le sud algérien va se poser. L'événement sera couvert médiatiquement, le président algé différentes et qui ne s'entendent pas. Je parle du Maghreb, mais je pourrais citer les mêmes exemples pour le Machrek ou pour le Golfe. Lors de la crise irakienne, si certains propos avaient déplu aux Koweïtiens, l'ambassadeur aurait été convoqué. Il en aurait été de même lors des attentats de Riyad, si un journaliste avait accusé les islamistes inspirés des wahhabites de Ben Laden, disant que le wahhabisme a son berceau en Arabie, qu'il s'agit de la religion d'Etat... Je le répète, il me paraît indispensable de couper le cordon ombilical avec le gouvernement, l'autorité publique, afin de blinder cette chaîne, pour lui donner toute son autonomie, son indépendance. Le professionnalisme doit être l'expression éclatante de la culture de la diversité et du pluralisme français.

M. le Président : Monsieur Basbous, je vous remercie. Vous avez raison, nous sommes tous attachés à l'autonomie et à l'indépendance de cette chaîne. Vous avez parlé de professionnalisme, de pluralisme, c'est important et nous pouvons faire nôtres vos propos. Vous êtes d'origine libanaise, or TV5 a fait une progression assez considérable au Liban. Quelle est sa part de marché ?

M. Antoine Basbous : Médiamétrie ou autres instituts de sondage n'ont pas une réelle présence dans ce type de pays. Nous ne pouvons donc pas mesurer le taux d'audience de façon précise et scientifique. Je puis simplement vous dire que si l'on en juge par les réactions sur tel ou tel sujet, sur telle ou telle émission, TV5 est bien regardée au Liban comme ailleurs. Il s'agit d'une chaîne qui a une diversité et qui a fait preuve de professionnalisme pendant la guerre d'Irak. Elle a prolongé ses émissions d'information pour répondre aux attentes. Par ailleurs, ses chaînes partenaires ont fait la même chose, en prolongeant leurs journaux, en les orientant, en proposant une offre calibrée par rapport aux attentes du moment. TV5 a, de ce fait, connu une remontée de son audience pendant cette guerre.

M. le Président : Pensez-vous que TV5 puisse correspondre à cette attente de la voix de la France dans le monde arabe, tout en gardant son autonomie et son indépendance à l'égard du gouvernement français ? Peut-elle devenir la chaîne française d'information continue ou faut-il créer une nouvelle chaîne, sachant que son coût sera important ?

M. Antoine Basbous : Il me semble que TV5 n'est pas une chaîne uniquement française. Il s'agit d'une chaîne francophone. Ses partenaires seront-ils d'accord pour faire de TV5 l'instrument ou le vecteur d'une certaine culture ou d'un certain point de vue français ? Cette question mérite d'être posée de façon légitime. Mais si TV5 faisait l'affaire, nous ne serions pas en train d'examiner d'autres solutions ! Cette chaîne a répondu aux attentes, aux missions qui lui sont attribuées. Elle est composée de journalistes professionnels qui savent mesurer l'attente des téléspectateurs, qui connaissent les décalages horaires et la hiérarchie de l'information. Ils ont un savoir-faire. Je ne sais pas ce qu'il convient de faire avec TV5 dans la perspective d'une chaîne française d'information continue, mais il est certain qu'il serait bo permettre d'être réellement concurrentiels ou d'autres recettes doivent-elles être explorées ?

M. Antoine Basbous : Laissez-moi m'appuyer sur l'expérience la plus récente qui remonte à septembre 2002 avec les Etats-Unis, qui ont souhaité attaquer l'Irak sans autorisation de l'ONU, et l'opposition menée par la France au Conseil de sécurité. Pendant toute cette crise, le regard français n'a pas été exprimé par un instrument médiatique français. Cela étant dit, cette chaîne ne devra pas être le porte-parole exclusif du gouvernement français. Elle devra exposer le point de vue français sans faire de propagande : nous ne sommes plus à l'époque de l'ORTF ! Une chaîne française internationale aurait eu, pendant cette crise, une mission : celle d'exposer le point de vue français, sans pour autant le défendre, car les gens veulent se faire leur propre opinion.

Par ailleurs, cette chaîne doit-elle diffuser en arabe ou en français ? Une chaîne française fidélise les téléspectateurs francophones et répond à leurs attentes : ils n'ont pas à aller chercher ailleurs un regard international sur le conflit. S'agissant de la chaîne arabe, si l'objectif est de concurrencer Al-Jazira, il convient de faire sinon mieux, du moins aussi bien qu'elle. De ce fait, les projets et le budget doivent être à la hauteur des attentes. Il y a un rapport coût-attentes-ambition important. Dans un premier temps, une chaîne internationale française s'impose pour fidéliser un public, mais elle devra ensuite ratisser plus large pour répondre à ses ambitions, en s'exprimant, par exemple en arabe, mais aussi en anglais, en chinois, en espagnol ou en portugais. Tout dépendra des moyens que l'on mettra dans ce projet.

M. le Président : En effet, tout dépendra des moyens dont nous disposerons.

M. Dominique Richard : Monsieur le directeur, vous nous avez fait un état de lieux intéressant de l'évolution des médias audiovisuels dans les mondes arabes. Cependant, j'ai eu l'impression que cet état des lieux portait sur les seules télévisions arabes avec en face l'hypothèse d'une chaîne française. Mais le paysage audiovisuel ne se limite pas à cela. On ne doit pas oublier les chaînes anglo-saxonnes, CNN, Fox, BBC, qui émettent déjà. Comment une chaîne française peut-elle trouver une place à l'égard d'un public qui dispose déjà d'une information arabe et occidentale ? Ne risquera-t-elle pas d'être confinée à un certain public d'élite ?

M. Antoine Basbous : Je n'ai pas parlé des chaînes anglo-saxonnes, mais en effet elles sont présentes et très regardées par les élites. Justement, les élites seront sensibles à une chaîne française, au-delà de CNN et d'Al-Jazira. Que peut apporter de nouveau une chaîne française ? Tout d'abord, elle devra s'adresser à des personnes qui comprennent le français, première limite. Mais ce sont les élites, c'est-à-dire des personnes qui comptent, des dirigeants. Lorsqu'on a entendu le point de vue américain et celui d'Al-Jazira, on a envie supérieur ». Les médias locaux
- même Al-Jazira - sont donc suspectés d'être parties prenantes, de ne pas être totalement neutres. Le point de vue français est crédible : un produit fabriqué en Occident a toujours une plus grande valeur dans ces pays qu'un produit local.

M. Michel Herbillon : Monsieur le directeur, je vous remercie pour vos propos très intéressants. Dans le paysage actuel, les chaînes arabes ont-elles un marketing différent, s'adressent-elles à des publics différents ou leur ciblage est-il le même ? Par ailleurs, en quoi la chaîne française devra-t-elle se démarquer, dans les pays arabes, pour conquérir une audience qui est aujourd'hui celle des chaînes arabes et notamment d'Al-Jazira : outre la langue, quelle devra être sa spécificité ?

M. Antoine Basbous : Les trois chaînes que j'ai décrites, Al-Jazira, Al-Arabia, Abudhabi TV, parce qu'elles ont peu de programmes de divertissement, ciblent le même public et s'appuient sur la technologie la plus avancée pour s'imposer dans ce domaine. Elles ciblent aussi bien les dirigeants que le quidam qui comprend l'arabe, et en ciblant la base, on peut exercer des pressions sur les dirigeants. Certaines émissions déplaisent d'ailleurs parfois aux dirigeants, car elles ont eu des effets importants sur le peuple. Comment se démarquer ? Par un projet éditorial que le concepteur de la future chaîne devra trouver, avec des angles originaux, qui feront d'elle une chaîne plus attrayante que les autres, par une crédibilité sans faille, une neutralité dans les querelles interarabes et un cordon ombilical coupé avec les autorités françaises. J'insiste sur la neutralité, dans un monde où les tensions sont importantes, où la haine est publique : il n'est pas rare de voir dans des émissions un déversement de haine entre Irakiens et Koweïtiens, entre Algériens et Marocains, entre deux courants saoudiens, entre Palestiniens et Jordaniens...

M. Michel Herbillon : On voit cela toute la journée ?

M. Antoine Basbous : Non, mais dans certains programmes, la haine est au premier degré. Par exemple, contre les « impies » que sont les chrétiens et les juifs. Dans les émissions concernant le conflit israélo-palestinien la haine est quotidienne.

M. le Président : La future chaîne française pourrait justement jouer un rôle particulièrement important en ayant une tout autre approche.

M. Antoine Basbous : Tout à fait, en ayant une grande neutralité. La mission culturelle de cette chaîne sera de décrire tout en ne prenant pas position ; elle ne devra pas participer à la haine ambiante sur des sujets de tension majeure. Des partis arabes qui sont au pouvoir déversent de la haine sur leur adversaire afin de justifier leur présence, leur maintien au pouvoir pendant des décennies. Ils sacrifient les libertés publiques et privées au profit d'une cause, telle que la cause palestinienne. La spécificité d'une chaîne française lorsqu'elle s'exprime sur des conflits brûlants doit être de garder une certaine distance, de rester neutre, de ne pas pre étant donné qu'elle couvre les mêmes contrées qu'Al-Jazira, elle est reçue par tous ceux qui regardent cette chaîne. Il est donc certain que les téléspectateurs zappent régulièrement, regardent certains programmes qui les accrochent, tel que celui qui est diffusé de Washington : il s'agit d'une émission très intéressante, dans laquelle le journaliste invite des dirigeants américains de premier ordre et organise de très bons débats. Elle peut donc avoir un avenir si elle dispose d'une ligne éditoriale bien définie. Par ailleurs, en ce qui concerne les budgets, je n'ai pas de chiffre à vous donner. Nous sommes dans le monde arabe et il n'existe pas toujours de transparence sur les comptes. D'aucuns prétendent qu'Al-Jazira a coûté 60 millions de dollars pendant les cinq premières années afin qu'elle devienne, par la suite, autonome. Je ne dispose pas de chiffres pour ce qui concerne les autres chaînes. Cependant, le chiffre de 60 millions de dollars n'est pas très crédible. En effet, 37 % du capital est détenu par le ministre des affaires étrangères. Or entre les comptes publics et les comptes privés, il y a des tunnels que nous ne pouvons pas déceler. S'agissant du budget nécessaire à la création de la chaîne française, je suis tout à fait incapable de vous répondre. Ce n'est pas mon métier.

M. le Président : Monsieur Basbous, je vous remercie.

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Audition de M. Mohammed EL OIFI, maître de conférence de relations internationales
à l'Institut d'études politiques de Paris

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Compte rendu de la séance du mercredi 4 juin 2003)

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Mohammed El Oifi, professeur de relations internationales à l'Institut d'études politiques de Paris.

Nous sommes heureux de vous recevoir, car nous connaissons le travail que vous avez effectué sur Al-Jazira. Vous avez eu connaissance du rapport d'étape que nous avons remis, vous savez donc que cette mission est composée de membres à la fois de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires culturelles. Nous avons déjà réalisé un travail important, auditionné de nombreuses personnalités du monde de l'audiovisuel. Nous nous sommes déplacés en Allemagne, en Angleterre et j'espère que nous aurons l'occasion de rencontrer des journalistes d'Al-Jazira dans quelque temps, afin de savoir comment cette télévision fonctionne.

Le Président de la République a la ferme volonté de créer une chaîne d'information continue à vocation internationale, bien qu'il soit conscient qu'il existe des difficultés sur le plan économique. Ayant eu connaissance de vos travaux sur Al-Jazira, nous voudrions en savoir plus sur cette chaîne ; nous souhaitons également connaître votre sentiment quant à la création d'une chaîne française d'information internationale et les difficultés qu'elle pourrait rencontrer. Enfin, nous avons beaucoup parlé de son coût avec de nombreux interlocuteurs, et nous pensons que pour que cette chaîne soit crédible, elle doit disposer d'un minimum de moyens. Par ailleurs, pensez-vous que cette chaîne française pourra se faire une place parmi les chaînes existantes ?

Je vous laisse immédiatement la parole pour nous présenter un exposé liminaire, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Mohammed El Oifi : Monsieur le président, je vous remercie pour votre invitation. Je vais effectivement tenter de vous parler d'Al-Jazira, chaîne que je connais bien. Je vous présenterai mon exposé en trois temps. Tout d'abord, les éléments qu'il convient de connaître sur Al-Jazira. Puis, les raisons et les étapes de son succès. Enfin, l'articulation de cette chaîne avec la politique étrangère du Qatar, pays qui n'a aucun moyen de puissance et qui a acquis une influence intéressante.

Premièrement, les éléments pour connaître Al-Jazira - qui signifie la péninsule -.

Cette chaîne a été lancée en 1996, par l'émir du Qatar et son ministre des affaires étrangères. Le chiffre officiel du budget annuel d'Al-Jazira est de 30 millions de dollars, mais de nombreux spécialistes considèrent qu'il est plus élevé ; les pas et ne prétend pas le devenir dans les prochaines années. Elle emploie environ 400 personnes, elle est présente dans une quarantaine de pays et diffuse des informations - il s'agit d'une chaîne d'information continue - à peu près toutes les demi-heures. Mais elle ne diffuse pas uniquement de l'information, elle a beaucoup de programmes de débats, ce qui la rend très populaire dans le monde arabe, et des documentaires. Les grands débats sont rediffusés trois fois dans les deux jours qui suivent le direct.

Cette chaîne est émise en langue arabe - langue comprise du Maroc à Bagdad - mais depuis le 11 septembre 2001, les émissions les plus importantes sont rediffusées sous-titrées en anglais. Bien entendu, elle nourrit l'ambition de faire des émissions en anglais, mais il ne s'agit pour l'instant que d'un projet ; par ailleurs, les Américains ne sont pas favorables au fait qu'Al-Jazira devienne une chaîne anglophone.

Si ce projet aboutissait, si l'américain moyen pouvait y accéder facilement, cela créerait des problèmes, les tensions entre le monde arabe et les Etats-Unis étant très importantes, tout comme les intérêts. L'information provenant du monde arabe doit donc être plus ou moins contrôlée pour qu'elle corresponde, au moins en partie, aux décisions de l'administration américaine afin qu'il n'y ait pas d'effet de nuisance. Il s'agit donc d'une question qui est discutée au plus haut niveau avec les Américains.

Les locaux d'Al-Jazira sont très modestes, voire ridicules. Je pense que les Qataris ont fait ce choix délibérément. Les locaux ne leur coûtent donc pas grand-chose et, par ailleurs, les charges sociales n'existent pas, l'électricité, l'eau, tous ces frais généraux qui peuvent être très lourds dans certains pays, sont offerts gratuitement par l'Etat du Qatar.

Al-Jazira est ce que l'on appelle une chaîne panarabe. Dans le système d'information d'un Arabe moyen, il y a trois niveaux : la télévision nationale, la télévision internationale - les informations en arabe qui viennent de l'extérieur - et le niveau panarabe, dans lequel des Etats s'engagent dans des entreprises de communication en oubliant un peu les origines et la nationalité de la chaîne. Al-Jazira est donc une chaîne panarabe, une chaîne qui a l'ambition d'être regardée par tous les Arabes et d'être légitime, ne pas être simplement considérée comme une chaîne nationale.

J'en viens maintenant aux raisons et aux étapes du succès d'Al-Jazira. Les raisons de son succès doivent être comprises dans le contexte arabe, au début, et non pas international. Toute la stratégie du Qatar, au point de vue médiatique, consistait à essayer de se distinguer de l'Arabie Saoudite. Depuis une vingtaine d'année, l'Arabie Saoudite avait une stratégie de monopole par rapport aux médias arabes : elle achetait ou créait tous les grands médias panarabes. Aujourd'hui, 90 % des chaînes sont financées par des Saoudiens et dirigées par des Libanais.

Face à cette stratégie de mon très légitime, puisqu'elle émettait du monde arabe.

Deuxièmement, les hommes. Les Qataris ont diversifié le recrutement des journalistes - Egyptiens, Libanais, Syriens, Maghrébins, Soudanais, etc. Recrutement représentatif qui lui donne une légitimité importante. Surtout, ils ont évité la concentration des Libanais, comme dans les médias saoudiens.

Troisièmement, les idéologies. Les Qataris ont voulu s'aligner sur ce qui se passe dans le monde arabe : ils ont souhaité que cette chaîne reflète ce qui se dit dans le monde arabe, avec la confrontation chaotique sans vainqueur entre les éléments du nationalisme arabe, un peu d'islamisme, un peu de libéralisme. Chaque sensibilité est représentée au cours des différentes émissions, ce qui donne un effet d'identification idéologique qui rassemble un maximum de personnes.

Al-Jazira a donc acquis sa légitimité qui fait d'elle, aujourd'hui, une voix arabe reconnue - même si elle est combattue et contestée - ne reflétant pas le point de vue du Qatar.

M. le Président : Pourquoi est-elle combattue et contestée ?

M. Mohammed El Oifi : Elle est contestée par ceux que l'apparition de cette chaîne a pénalisés : des journalistes, des Etats arabes, tels que le Maroc, la Tunisie, le Koweït, la Jordanie - qui ont retiré leurs ambassadeurs du Qatar à cause d'une émission - ou d'autres Etats qui refusent son implantation chez eux : Arabie Saoudite, Koweit, Jordanie, et qui ont expulsé des journalistes. Elle est également contestée par des intellectuels arabes qui la considèrent comme une chaîne parfois populiste ou qui sème la zizanie. Cependant, cette contestation ne fait que légitimer Al-Jazira, puisqu'elle permet à toutes les opinions de s'exprimer.

Quelles sont les étapes de ce succès ? Comment Al-Jazira a acquis une visibilité dans le champ médiatique arabe, puis international ?

La visibilité dans le champ médiatique arabe a été obtenue en 1998, à l'occasion des frappes contre l'Irak, sous l'administration Clinton. La consécration comme chaîne dominante dans le monde arabe a eu lieu pendant la deuxième Intifada, en 2002. Enfin, troisième étape, le 11 septembre et la guerre contre l'Irak. Ce conflit a été un test pour Al-Jazira, qui a pu confirmer son autonomie par rapport aux Américains et à l'émir du Qatar, en ne faisant aucune concession, sa position étant opposée à celle de l'émir.

M. le Président : Mais cela ne lui pose pas de problème financier ? Ce sont tout de même les fonds publics du Qatar qui la financent.

M. Mohammed El Oifi : Je répondrai à cette question dans la troisième partie de mon exposé, quand je vous parlerai de l'articulation de la politique étrang&egrav puisque l'on considère qu'avec l'installation de la base militaire américaine sur le tiers du territoire qatari, il n'est plus indépendant. D'ailleurs, M. Bush accueille demain l'émir du Qatar sur la base militaire ; ce n'est pas l'émir qui accueille le président des Etats-Unis dans son palais !

Ce qui nous intéresse, dans cette politique étrangère, c'est que le Qatar a réussi a obtenir une grande influence sur les affaires arabes, et parfois internationales, alors qu'il est dépourvu de tout facteur de puissance - une petite population, un petit territoire, pas d'industrie, pas de tradition culturelle ou diplomatique. Il a su s'adapter à la mondialisation, et a saisi deux types d'évolution dans cette région.

D'une part, Al Jazira a profité de l'autonomisation de l'opinion publique arabe par rapport à la politique grâce à l'urbanisation, à l'alphabétisation et à la politisation des individus. De ce fait, l'idée du pouvoir sur la politique n'est pas forcément partagée par une majorité de la population ; le Qatar a rapidement compris qu'il fallait avoir l'opinion publique comme alliée contre les gouvernements. Cet alignement sur l'opinion publique donne donc à Al-Jazira un pouvoir très important, puisqu'elle peut la mobiliser - nous l'avons vu en Egypte, en Arabie Saoudite - contre leur gouvernement. Si demain, Al Jazira décide de donner une interprétation de ce qui se passe à Rabat ou à Charm El-Cheikh en Egypte, elle a la possibilité d'imposer cette position. Nous l'avons vu pendant la guerre contre l'Irak : le jour où elle a affirmé qu'il s'agissait non pas d'une guerre de libération, mais d'une invasion - même si la base américaine est située à quelques kilomètres de la chaîne - tous les médias arabes se sont alignés sur cette position. Son pouvoir d'influence est d'autant plus important qu'elle a compris que, peut-être, l'autonomisation de l'opinion publique dans le monde arabe est durable.

D'autre part, elle a également compris qu'il y avait un espace public arabe, dont la genèse date du début du siècle. Grâce à l'intensification et à la densification de la communication dans cet espace une opinion dominante va se dégager, notamment sur les problèmes considérés par la population comme intéressant l'ensemble des pays du monde arabe.

Al-Jazira tente donc de contrôler cet espace, mais l'on sent qu'elle est l'esclave de deux maîtres. D'une part, l'opinion publique arabe. Si demain Al-Jazira change sa ligne éditoriale, n'est plus regardée par les Arabes, le Qatar n'existe plus - comme il n'existait pas avant l'apparition d'Al-Jazira.

D'autre part, les Etats-Unis. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui considèrent que les Etats Unis ont provisoirement réussi à dominer la région ; or le Qatar a besoin de protection - il a été attaqué par l'Arabie Saoudite en 1991.

Le problème est que ces deux maîtres n'ont pas les mêmes idées, ni les mêmes intérêts, ils ne s'aiment pas. Al-Jazira, en grand stratège, maintient une tension. Elle est utilis&e considère que, pour l'instant, financer cette chaîne par la publicité ou autres est impossible. En 1996, à sa création, le ministère de l'information qatari a été dissout. Il y a peut-être là une ambiguïté, mais on la retrouve un peu dans toutes les institutions dans le Golfe : il existe, par exemple, des usines extraordinaires qui ne sont absolument pas rentables et qui ne le seront jamais mais qui sont considérées comme des entreprises commerciales. Toute la sociologie de la communication nous montre que le financement n'a rien à voir avec la ligne éditoriale d'une chaîne, avec son objectivité, son indépendance. Il existe des chaînes à financement public très objectives et très respectées, ainsi que des chaînes à financement privé détestables, pas objectives. Le problème du financement est en fait celui du coût.

En ce qui concerne le limogeage du directeur d'Al-Jazira, je dirais qu'il s'agit d'une des rares qataris, dans la région, à être très compétent dans ce domaine. Il est considéré comme très intègre et a une très bonne réputation. Les gens d'Al-Jazira vous diront qu'il était directeur général depuis 1997 et ne pouvait pas le rester indéfiniment. Or, il vient d'être remplacé par celui qui était directeur avant lui. Certaines personnes l'accusent d'être trop proche du directeur du conseil d'administration, un membre de la famille de l'émir à qui l'on prête des solidarités islamique et arabe. Il aurait soit disant collaboré avec le régime de Saddam Hussein moyennant finances. Tout cela aurait été découvert par les Américains, dans les archives du ministère de l'information de Bagdad.

Les causes du limogeage de cette personne ne me paraissent pas claires. Je ne peux admettre qu'il ait collaboré avec les Irakiens, simplement parce que les Américains auraient trouvé des documents... Je demande à voir.

M. le Rapporteur : Monsieur El Oifi, supposons, pour une raison quelconque, qu'Al-Jazira devienne hostile à un pays tel que la France. L'influence qu'elle peut avoir auprès d'une clientèle habitant en France - les informations, la ligne éditoriale - pourrait-elle être dangereuse pour la sécurité intérieure de notre pays ? Le fait qu'elle ne diffuse qu'en arabe signifie-t-elle qu'elle cantonne son ambition au seul monde arabe et n'envisage pas d'aller porter sa vision du monde arabe sur d'autres continents ? Enfin, face à l'information diffusée dans le monde arabe par Al-Jazira, quelle chance donnez-vous à une chaîne française d'information continue, qui diffuserait en arabe, de la concurrencer sur son propre terrain ?

M. Mohammed El Oifi : En ce qui concerne votre première question, sachez que déjà de nombreuses personnes considèrent que le message diffusé par Al-Jazira est hostile à la France, notamment certaines émissions religieuses. En réalité, il convient de tenir compte de la sociologie des personnes d'origine arabe, musulmane ou maghrébine qui vivent en France. Beaucoup d'entre elles ne parlent pas l'arabe ; elles n'ont donc pas un accès direct à Al-Jazira. Le seul accès qu'elles peuvent avoir passerait par les le Par ailleurs, certaines personnes de haut niveau parlent d'Al-Jazira comme étant non pas une chaîne arabe mais une chaîne internationale. Enfin, elle a le projet de créer une chaîne en anglais. Mais, je le répète, ce projet est compliqué à mettre en œuvre par rapport aux Etats-Unis.

Les Arabes affirment qu'ils n'ont pas accès aux médias américains qui sont contrôlés : leur voix n'est donc pas entendue. Si demain les Arabes peuvent s'adresser directement aux Américains - la diplomatie populaire - beaucoup de choses changeront, notamment en ce qui concerne l'interprétation du problème israélo-arabe, la relation entre l'islam et les Etats-Unis, etc. C'est la raison pour laquelle les Américains combattent ce projet, considérant qu'il pourrait constituer, pour le Qatar, une erreur fatale. Cela étant, Al-Jazira a la possibilité de construire un tel projet puisque tous ses journalistes sont trilingues - ce qui contribue à son succès. A l'extérieur du monde arabe, notamment aux Etats-Unis, il existe une importante diaspora qui parle très bien l'anglais, qui possède un très bon niveau d'instruction ; il lui est donc très facile de trouver 30 ou 40 journalistes pour travailler sur une telle chaîne.

Enfin, vous m'avez demandé si une chaîne française diffusant en arabe pourrait concurrencer Al-Jazira. Il est vrai que le champ médiatique arabe est devenu très concurrentiel, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, parce que l'on assiste à une multiplication de chaînes. Les Saoudiens ont investi 300 millions de dollars, un mois avant le début des frappes en Irak, dans la chaîne de télévision Al-Arabia. Cela n'a pas été une grande réussite, puisqu'elle a été obligée de s'aligner sur Al-Jazira. Les journalistes ont très bien compris que s'ils ne parlaient pas comme Al-Jazira, ils ne seraient pas écoutés. Cela prouve, par ailleurs, que depuis qu'il existe une opinion publique, on ne peut plus lui raconter n'importe quoi et qu'il convient de tenir compte, au moins partiellement, de ses aspirations.

Une chaîne de télévision française pour le monde arabe n'est réellement possible que s'il existe également un projet européen, ou français. C'est le positionnement stratégique de la France dans la région qui donnerait une pertinence à ce que dirait cette chaîne, et non pas le contraire. Le champ médiatique dans la région est devenu concurrentiel, les Américains ont déjà une chaîne de télévision privée qui émet, depuis la semaine dernière, de Dubaï ; elle est contrôlée par CBS. Cependant, tous ces investissements peuvent être réalisés en pure perte, la résistance au discours américain dans la région étant très forte. Les pays qui n'ont pas de présence militaire dans le monde arabe et qui ne sont pas considérés comme des pays hostiles par la population peuvent faire passer un message qui peut servir à la fois leurs intérêts et ceux des pays de la région.

Je le répète, nous avons maintenant affaire, dans la région, à une véritable opinion publique : elle conteste la politique, elle a sa propre version de la politique, Est-elle arabe ou musulmane, est-elle diverse ? Le second maître étant l'Oncle Sam, n'y a-t-il pas une place pour une autre voix qui ne serait pas automatiquement celle de la France ?

M. Mohammed El Oifi : En ce qui concerne les chances pour une chaîne française de s'implanter dans la région, je pense sincèrement que, sur le plan symbolique, tout est réuni pour que cela marche. La paralysie des gouvernements arabes est telle, face à cette énorme pression américaine - qui est tout simplement un chantage de tous les jours - que si la France présente un projet qui donnerait le sentiment aux Arabes qu'ils ne sont pas seuls, elle a une chance. La France bénéficie d'une image très favorable - pas partout, les Koweitiens n'apprécient pas la position de la France - le Saoudien moyen, l'Egyptien, le Syrien, et même l'Irakien moyen apprécient le politique étrangère de la France. En effet, je lis la presse irakienne tous les jours, et l'opinion publique irakienne, par rapport aux Etats-Unis, n'est pas unanime : il s'agit d'un pays sous occupation, son opinion est donc celle d'un pays occupé, c'est-à-dire que ceux qui disent non à l'Amérique sont mis en prison.

Si symboliquement tout est réuni, il convient de trouver le bon message. Tout d'abord, en étudiant l'offre des chaînes arabes, qui sont de deux types : d'une part, celle d'Al-Jazira, qui est une chaîne libre, contestataire, qui ne respecte rien, et, d'autre part, celle des Saoudiens et des Libanais, qui cherche le consensus en ménageant les Etats-Unis. Mais cette voix n'est pas bien acceptée dans la région. Il convient donc de trouver une ligne entre la contestation qatarie et le discours saoudien. Il ne faut pas oublier que la BBC anglaise, de 1939 à 1967 était une radio qui informait environ 90 % des élites arabes dans la région ; ils ont donc l'habitude d'écouter les médias étrangers, justement parce qu'ils n'ont pas confiance en leurs propres médias. Une voix crédible qui vient de l'extérieur me semble donc tout à fait possible.

S'agissant des chiffres, de la part d'audience, les statistiques ne sont pas fiables. J'ai vu beaucoup d'études très contradictoires. Al-Jazira n'est pas la chaîne la plus regardée dans le monde arabe ; les chaînes les plus regardées sont une chaîne saoudienne, la MBC et une chaîne libanaise, la LBC, non pas pour leur information, mais pour leurs divertissements. Al-Jazira est destinée à des personnes très politisées. C'est la raison pour laquelle un publicitaire va s'intéresser davantage à ces chaînes de divertissement qui attirent un nombreux public plutôt qu'à Al-Jazira. Mais bien entendu, à chaque événement - et dernièrement, l'attentat au Maroc - 80 % des téléspectateurs regardent Al-Jazira ; la version des médias nationaux marocains sur cet attentat n'intéresse pas du tout les Marocains. Son pouvoir d'influence est donc énorme.

La contestation d'Al-Jazira dans la presse arabe témoigne de cette importance : tous les jours, depuis au moins quatre ans, une dizaine d'articles - marocains, algériens, tunisiens, etc. - contestent la version des faits d'Al-Jazira. C'est de cette façon que l'on mesure son pouvoir d'influence : les journalistes arabes sont événements qui ont secoué le monde arabe se sont imposées comme interprétations dominantes.

Enfin, l'opinion publique arabe est un thème très important. Bourdieu a écrit, dans un article très connu, que l'opinion publique n'existait pas. Il s'agit donc d'une notion très compliquée. Dans le monde arabe, il y a trois écoles. La première considère qu'il y a, non pas une opinion publique, mais une « rue arabe », à savoir, la passion, les manifestations, une opinion publique pas encore structurée. La deuxième considère qu'il n'existe que des opinions publiques nationales. Enfin, la troisième considère que, parfois, sur certaines grandes idées concernant la région, il y a bien une opinion publique arabe autonome. Prenons par exemple les événements qui se passent aujourd'hui en Irak, dans les Territoires occupés, dans les relations avec les Etats-Unis, l'attitude par rapport à l'islamisme, à Ben Laden... Il existe une opinion publique arabe dominante - 51 % de la population. Et cela, je le constate lors de mes voyages, à travers la presse de différents pays. Quels sont les pays, les personnes, les journalistes qui sont favorables à ce que font les Américains aujourd'hui en Irak ? Ils sont très peu nombreux. Nous n'avons recensé, au cours de nos travaux, qu'une trentaine de journalistes arabes favorables aux Américains.

M. le Président : Monsieur El Oifi, je vous remercie beaucoup pour toutes ces réponses aussi claires que précises.

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Audition de M. Olivier POIVRE D'ARVOR, directeur de l'Agence française d'action artistique (AFAA)

Présidence de M. Christian KERT, Rapporteur

(Compte rendu de la séance du mercredi 11 juin 2003)

M. Christian Kert, président : Monsieur Poivre d'Arvor, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Je vous rappelle que nous avons remis un rapport d'étape le 14 mai dernier, rendant compte de la façon dont nous envisageons la structure de la future chaîne. Nous poursuivons notre mission et cette fois-ci nous nous intéressons à ce que pourraient attendre d'une telle chaîne les différents publics dans le monde. Nous évaluons également l'état de la concurrence et tentons de déterminer les programmes qu'il serait utile de diffuser. C'est justement pour vos connaissances des publics à travers le monde que nous avons souhaité vous entendre. Pensez-vous qu'il existe une demande d'informations françaises et d'une vision française sur l'actualité du monde ? Nous pensons que cette chaîne doit être diffusée en français, mais nous ne fermons pas la porte à l'usage d'autres langues, telles que l'anglais et l'arabe.

Nous avons commencé à définir le cahier des charges et les structures : un groupement d'intérêt public qui rassemblerait aussi bien des chaînes publiques que privées comportant une banque d'images et de programmes frappé de constater que les Britanniques, qui sont pourtant moins proches de la culture que les Français, sont attachés à deux choses qui représentent leur pays à l'étranger : d'une part, le British Council - personne en France dans le grand public ne connaît la direction générale de la coopération internationale et du développement, la direction du Quai d'Orsay qui s'occupe des échanges et du développement culturel - et d'autre part, la BBC World Service qui constitue leur audiovisuel extérieur. En France, je ne suis pas certain, même si cette chaîne se bonifie d'année en année, que les Français soient attachés à TV5. La première difficulté sera justement de faire en sorte que cette chaîne ne soit pas uniquement un objet - au bon sens du terme - de propagande ou une voix de la France à l'étranger, mais aussi une chaîne à laquelle les citoyens, et non pas seulement les technocrates, les politiques, etc., soient attachés. Or, pour des raisons d'ordre sociologique, cela n'est pas gagné. Par ailleurs, il convient de se méfier du fantasme moyen qui consiste à dire que la France n'est pas présente à l'étranger : il s'agit d'une réaction épidermique, lorsqu'on rentre dans sa chambre d'hôtel, que l'on met la télévision et que l'on ne trouve pas de chaîne française. Le but n'est donc pas de satisfaire les Français en voyage à l'étranger et les expatriés. Le public visé doit être un public étranger.

Bien entendu, il existe une vision française. Mais cela peut paraître parfois un peu arrogant de penser que nous avons une manière de regarder le monde qui serait si différente des autres. Bien entendu, les événements récents - la guerre contre l'Irak - me donnent tort, mais je ne pense pas qu'il y ait une vision française qui puisse passer de manière lisible sur une chaîne de télévision. Nous vivons dans un monde globalisé et notre différence se situe non pas sur des questions d'ordre économique, ou d'ordre social ou politique - même si une chaîne d'information peut faire passer un certain nombre de messages différents - mais sur la culture. La lecture de la France qu'a le public du Moyen-Orient et de l'Afrique est liée à un patrimoine culturel exceptionnel que nul autre pays au monde ne peut revendiquer. Nous, nous le revendiquons et l'exportons depuis la Révolution française, avec le sentiment - peut-être arrogant - qu'il existe un modèle français, une exception française, une démocratie française, des principes, des valeurs. J'étais à Saint-Pétersbourg récemment, et il est frappant d'apprendre que Catherine II, en 1780, a acheté la bibliothèque de Voltaire !

Si l'on veut concurrencer Al-Jazira, CNN ou BBC, il convient véritablement d'incorporer une dose intelligente et très forte de culture - bien entendu, pas comme Arte, qui est une chaîne culturelle à part entière. Il conviendra évidemment de savoir l'exposer, de la présenter de manière forte et non pas de se limiter à une présentation des grands événements culturels en France. Ce qui manque aujourd'hui et qu'aucune chaîne n'a réussi à faire, c'est un programme qui rendrait compte de cette incroyable globalisation culturelle, de la richesse des cultures de toutes les nations. Nous qui insistons e concurrence est forte.

M. Christian Kert, président : Et en ce qui concerne les langues que nous souhaitons utiliser ?

M. Olivier Poivre d'Arvor : Je suis heureux de savoir que vous voulez diffuser en anglais et en arabe. La francophonie rencontre des problèmes. Prenons les chiffres en Espagne, qui était un grand pays francophone : aujourd'hui, les personnes qui comptent, y compris dans le domaine culturel, la génération des 30-35 ans, ne parlent plus le français. Si la francophonie reste politiquement importante, elle est en voie de disparition : nombre d'étudiants africains vont aux Etats-Unis ou à Londres faire leurs études. L'utilisation de l'anglais et de l'arabe me paraît donc indispensable et il s'agira d'une différence de plus en notre faveur : CNN existe en espagnol, mais je ne sais pas si la BBC a des émissions en langue étrangère.

M. Frédéric de Saint-Sernin : En vous écoutant, monsieur Poivre d'Arvor, je me posais la question des publics cibles. On comprend la vocation de cette chaîne qui est de montrer l'esprit français à l'étranger. Je comprends votre opinion sur le fait qu'elle ne doive pas être une chaîne destinée aux voyageurs français. Nous voyons bien comment, culturellement, la France rayonne à l'extérieur. C'est finalement le message que l'on souhaite faire passer et il s'agit d'un message d'autant plus prégnant dans le contexte international actuel. Cependant, la culture française, qui était celle d'une certaine élite, s'est réduite : d'où le problème de la cible et celui du message. J'ai l'impression qu'il existe une grande confusion entre notre vision historico-démocratique, qui s'adresse aux peuples d'Afrique ou du Proche-Orient, et le problème culturel qui s'adresse à des cibles plus élitistes de ces pays.

M. Olivier Poivre d'Arvor : Vous avez raison de faire ce constat. Cela étant dit, ce que l'on appelle la culture française, celle que l'on veut exposer au reste du monde et notamment au Moyen-Orient et en Afrique, c'est aussi un fort métissage. Aujourd'hui, les musiques africaines - Youssou n'Dour, Kalhed, Faudel - sont surtout produites en France et un peu à Londres et à New York. Si l'on en rend compte de cette activité, on va sensibiliser ces publics.

Prenons l'exemple de la littérature française : quels livres sont traduits ? En 1968, 65 romans français étaient traduits au Royaume-Uni, l'année dernière, 12 ont été traduits, dont 9 sont en langue française, mais d'origine africaine ou des Caraïbes : Glissant, Chamoiseau, Tahar Ben Jelloun, etc. Il ne faut donc pas hésiter à pousser ce type de culture, très métissée, sur de telles chaînes. Il n'y a que les cyniques qui pensent que la culture à la télévision ne peut pas faire recette. Je voyage beaucoup en Afrique et je suis frappé de constater que les personnes les plus modestes, qui ne savent pas écrire, écoutent des émissions culturelles - je dirais même, austères - sur RFI ! Je pense donc qu'il faut y aller de manière audacieuse, cela nous distinguera des autres chaînes de pure information.

Par ailleurs, alors que l'on parle toujours des cours de la bourse - de Tokyo, de Londres ou de Francfort - il serait intéressant de montrer qu'il n'y a pas que l'économie qui soit globalisée, mais qu'à Rio, Kinshasa, Londres, Paris, il se passe des choses formidables dans le domaine culturel. Peut-être faudrait-il réaliser des petits flashes de deux trois minutes par grandes villes, car il ne faudra pas oublier de solliciter l'élément urbain.

M. Frédéric de Saint-Sernin : Pensez-vous que les publics ciblés puissent s'intéresser à la vision politique de la France ? CNN est regardée par un grand nombre de personnes à 20 heures, pensez-vous que ces publics auraient plutôt envie de zapper pour regarder une vision française de l'actualité ?

M. Olivier Poivre d'Arvor : Je ne parle pas des décideurs, bien entendu, mais du grand public : celui-ci attend de l'information certes, mais du rêve également. Je ne voudrais pas être trop radical, car le monde arabe, par exemple, s'intéresse à la position française en ce qui concerne le processus de paix au Moyen-Orient. Mais cette position n'intéresse pas les Africains. Quant au Maghreb, il n'intéresse pas l'Afrique subsaharienne, etc. S'agissant du commentaire quotidien de l'actualité, sauf en situation de crise, comme nous venons de le vivre, et peut-être sur la question du Moyen-Orient, sincèrement, il y a certainement peu d'attentes de la part de ces publics.

M. Dominique Richard : En matière de production culturelle, existe-t-il un marché international d'images ? La France pourrait-elle produire des images qui seraient reprises par un certain nombre d'autres médias internationaux ?

M. Olivier Poivre d'Arvor : Je ne peux pas vous assurer, aujourd'hui, que d'autres chaînes européennes reprendront les programmes que la France aura produits. Cependant, par exemple, à une certaine époque, l'émission « Apostrophes » était regardée à travers le monde et, surtout, sa diffusion par cassettes était considérable ! Nous avons peut-être intérêt à produire des programmes pas très coûteux, car je suis persuadé que nous trouvons toujours des acheteurs, que ce soit en Espagne, en Allemagne, ou même auprès de la BBC. Par ailleurs, si ces programmes sont libres de droits, d'autres chaînes internationales les achèteront.

M. Christian Kert, président : Nous avons évoqué les publics cibles, mais nous nous sommes aussi interrogés quant au public m&e 160;Nice People ». Par exemple, ce berger qui a recueilli Guillaumet dans les Andes, quand son avion s'est écrasé, est un personnage incroyable, qui vient d'être décoré de la Légion d'honneur.

M. Christian Kert, président : En ce qui concerne l'information, la question de la ligne éditoriale est primordiale. Nous avons auditionné les deux ministres concernés - M. de Villepin et M. Aillagon - et nous avons bien compris que le Quai d'Orsay verrait bien cette chaîne comme un outil, sans être pour autant un porte-voix de la diplomatie française, tandis que le ministre de la culture a montré sa volonté de créer une chaîne « ni hostile, ni servile ». Il s'agit d'une question délicate : jusqu'où une chaîne peut-elle être indépendante par rapport à une diplomatie qu'elle ne peut pas mettre en difficulté ?

M. Olivier Poivre d'Arvor : M. de Villepin est un bon communiquant - ce qui est assez nouveau - les autres ministres, qui étaient des ministres de grande qualité, n'ayant pas cette capacité à transmettre de manière publique une certaine image de la France. Mais si vous voulez rendre cette chaîne un peu sexy - elle doit être attirante, désirable - ne demandez surtout pas au Quai d'Orsay de la fabriquer, ce n'est pas son métier, même si il y a là une mine d'informations. Si nous avons une vision à choisir, ce serait donc forcément celle de la culture, plus libre.

M. Christian Kert, président : Vous êtes le premier à nous dire que cette chaîne devra être désirable !

M. Olivier Poivre d'Arvor : Cette chaîne n'a de sens que si elle est regardée ! Cela peut paraître un peu arrogant, mais il existe un désir de France à l'étranger, fondé sur des images, des connaissances, Victor Hugo, la tour Eiffel, les petites femmes de Paris, le charme de la province, le Festival d'Avignon, les grands couturiers, le parfum, etc. Or tout cela est de l'ordre du désir. Il y a tout de même quelque chose de paradoxal à vouloir faire aujourd'hui une chaîne française à vocation internationale dans le cadre de l'Europe. En effet, nous devrions penser à une chaîne européenne, qui impliquerait nos partenaires de l'Union européenne. Donc si l'on veut une chaîne 100 % française, il convient absolument de jouer sur le stéréotype, sur le cliché, sur ce qui fait que l'on nous aime ou que l'on nous déteste, sur ce désir de France qui est bien particulier.

M. Christian Kert, président : Je vous remercie de nous donner envie de continuer à vouloir construire une chaîne désirable !

M. Olivier Poivre d'Arvor : J'ai eu l'occasion, il y a deux ans, de parler d'un projet de ce type à Marc Tessier et à Jérôme Clément et j'avais bien perçu qu'ils étaient intéressés par une chaîne internationale qui traiterait des questions culturelles. Il y a donc un enjeu formidable. Si vous allez au bout de ce projet, je suis persuadé que vous serez remerciés par la nation style="text-align: center">Audition de M. Abdou DIOUF, secrétaire général de
l'Organisation internationale de la Francophonie

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Compte rendu de la séance du mercredi 2 juillet 2003)

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir fait l'honneur de répondre à notre invitation. Nous avons été chargés, dans le cadre d'une mission commune entre la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et la commission des affaires étrangères, de mener une réflexion concernant la création d'une future chaîne de télévision d'information continue à vocation internationale - que certains appellent CNN à la française.

Nous avons déjà produit un rapport d'étape, auditionné une vingtaine de personnalités, et nous nous sommes rendus en Allemagne au siège de la Deutsche Welle, et en Angleterre aux sièges de la BBC et de CNN. Mais aujourd'hui, nous nous posons quelques questions, notamment celle de savoir si nous devons continuer les auditions ou cesser notre travail après la vôtre.

Je vous laisse immédiatement la parole pour que vous nous disiez ce que vous pensez de l'idée du Président de la République de créer une telle chaîne, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Abdou DIOUF : Monsieur le président, Madame et Messieurs les députés, mes premiers mots aujourd'hui seront pour vous remercier vivement de m'avoir invité pour échanger avec vous sur le sujet que vous avez à traiter au moment où vous préparez vos conclusions finales. Vous remercier également d'attacher ainsi de l'importance à la voix de la Francophonie, qui est elle-même engagée, depuis de longues années, dans ce combat pour relever les défis essentiels de l'information et de la communication en général, et de l'audiovisuel en particulier.

Depuis ma prise de fonction en janvier dernier à la tête de l'Organisation internationale de la Francophonie, je me suis intéressé de très près à ce projet de chaîne française d'information internationale lancé par le Président de la République, M. Jacques Chirac, avec conviction et clairvoyance. Au cours des six derniers mois, j'ai reçu et écouté de très nombreux responsables de l'audiovisuel français, ainsi que les principaux responsables gouvernementaux et experts chargés d'élaborer ce grand projet. J'ai lu avec intérêt dans la presse les commentaires des uns et des autres. J'ai évoqué ce sujet avec certains interlocuteurs des Etats et gouvernements membres de l'OIF. Et puis j'ai, bien entendu, suivi vos travaux, et en particulier votre précieux rapport d'étape diffusé en mai dernier. Ce rapport a permis d'approfondir une problématique complexe et de dé dans mes précédentes fonctions à la tête de l'Etat sénégalais, toujours considéré les médias comme une priorité et un élément majeur de la construction de la démocratie. J'ai défendu la liberté de la presse, le pluralisme, la modernisation technique, l'ouverture au reste du monde. J'ai soutenu les grands projets des médias francophones dans le monde, et en particulier les développements audiovisuels internationaux français. Et depuis que j'occupe ces fonctions de secrétaire général de la Francophonie, je suis encore plus fermement convaincu que nous avons devant nous un enjeu stratégique vital qui conditionne la réussite de toutes nos ambitions. C'est pour cela, qu'en m'informant sur ce projet de chaîne française d'information internationale, j'ai largement confirmé mon préjugé favorable, et je saisis l'occasion de cet échange avec vous, Monsieur le président, Madame et Messieurs les députés, pour vous dire que mon appui à la réussite de cette chaîne est clairement acquis. Une chaîne française forte, crédible, qui véhicule dans le monde en temps réel une information, des analyses et des éclairages de l'actualité, qui exprime une autre vision du monde, est sans conteste une nécessité.

Vous avez dans vos travaux bien fait ressortir les difficultés et les contraintes d'une telle entreprise.

Les contraintes financières d'abord, qui sont toujours une première haie à franchir dans un tel parcours. Nous savons tous qu'une grande ambition a un prix et le ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, l'a dit devant vous : « Le projet de chaîne française d'information continue ne doit pas être traité au rabais ». Il a ainsi exprimé une volonté politique dont je salue le courage.

Deuxième série de contraintes : celles qui sont liées à l'audiovisuel national et extérieur français, qui reviennent souvent dans les interventions de personnalités que vous avez invitées. Je ne me prononcerai pas sur cet aspect qui relève des autorités françaises, mais je constate qu'il y a dans ce secteur, en France, de grandes compétences et une solide expérience internationale qui pourront donner à ce projet de chaîne toutes les chances de succès.

Vous avez vous-même commencé à dégager les premiers éléments du profil de cette future chaîne. J'en ai retenu quelques uns qui me paraissent très pertinents.

Le fonctionnement de cette chaîne doit être totalement spécifique pour diffuser efficacement en temps réel et en continu une information internationale de qualité. Un fonctionnement en effet d'autant plus spécifique que la chaîne doit s'adresser à des publics lointains, et surtout à des publics différents selon les zones géographiques. Or nous savons bien qu'il existe, d'une part, une concurrence très forte des grandes chaînes anglo-saxonnes, des nouvelles chaînes arabes, d'autres chaînes européennes et d'autre part, une loi de la proximité qui fait qu'une information télévisée ne peut-être reç

L'émergence d'une société mondiale de l'information est devenue une dimension majeure de la mondialisation. Les moyens de communication sont des outils puissants et les progrès très rapides des technologies ouvrent des possibilités nouvelles d'échanges quasiment infinies. Mais si la technologie se mondialise, les contenus ne doivent pas s'uniformiser. Dans ce contexte, en effet, le vrai danger c'est cette uniformisation de l'information, favorisée par la concentration des grands groupes.

C'est pour cela que toutes les visions du monde doivent pouvoir s'exprimer, que la pluralité est la condition de la diversité, donc du dialogue. C'est pour cela que sur un sujet aussi sensible que l'information internationale, les messages ne peuvent être vraiment reçus et compris que s'ils sont aussi diffusés dans les langues immédiatement comprises par les publics visés. Les médias sont un vecteur indispensable et efficace de la langue française que nous avons en partage et doivent davantage jouer ce rôle de propulsion du français dans le monde. Et en Francophonie, tous nos programmes dans ce secteur vont dans ce sens.

Mais pour aller plus vite et plus loin dans cette dynamique forte et implacable de la mondialisation de l'information, il paraît désormais nécessaire de parler les langues des autres. Les expériences d'Euronews et de RFI sont à cet égard des points de départ utiles.

Globalement, je constate que dans les zones francophones, la diffusion de l'information en français a notablement progressé ces dernières années. La radio, avec RFI en particulier, mais aussi avec l'émergence de radios privées locales, occupe une position tout à fait honorable. Les télévisions francophones ont également progressé grâce aux satellites et aux câbles. C'est dans les zones où la Francophonie est la moins bien implantée, en Amérique du Nord ou en Asie par exemple, que nos valeurs et nos idées ont le plus de difficulté à être diffusées et bien comprises. Vous l'avez vous-même noté dans votre rapport d'étape : l'objectif d'une diffusion en anglais, en arabe, en espagnol, en portugais, en chinois sera pour cette nouvelle chaîne un élément clé de sa réussite. Au-delà, il paraîtrait même utile et efficace que la future chaîne puisse mettre ses images originales à la disposition des télévisions locales qui ne souhaitent pas rester dépendantes des réseaux internationaux dominants.

Nous-mêmes à l'OIF, c'est le sens que nous donnons à notre combat pour la diversité culturelle et linguistique et aux efforts que nous déployons pour renforcer une coopération indispensable avec les autres grandes aires linguistiques y compris dans le domaine de la communication et des nouvelles technologies. C'est également le but principal que nous visons dans les travaux que nous sommes en train de mener pour apporter cette vision de la diversité au processus du Sommet mondial sur la société de l'information qui se déroulera dans deux capitales francophones, à Genève en décembre prochain et à Tunis en 2005.

C'est e en particulier dans le domaine des satellites, et celui d'un contenu exprimant la diversité culturelle. Créer ainsi une chaîne multilatérale francophone était une démarche unique et audacieuse. Depuis vingt ans, les bouleversements considérables du paysage audiovisuel mondial ont largement confirmé que la vision francophone était juste. Et le parcours de notre chaîne, opérateur direct de l'OIF, prouve que cette entreprise correspondait à un véritable besoin, qui dépasse largement le seul cadre de l'information, et qui, en se consolidant en tant que chaîne généraliste et multiculturelle, apporte sa contribution au dialogue des civilisations.

Le fonctionnement d'une chaîne multilatérale, impliquant des responsables des chaînes publiques partenaires, des hauts fonctionnaires, des ministres, est souvent lourd, complexe et délicat. De ce point de vue, les critiques contre TV5 ont été fréquentes et souvent sévères, forgeant parfois une image négative de la chaîne. Certains sont même allés jusqu'à préconiser ou annoncer la fin de l'expérience.

Or la réalité qu'il faut bien quand même enfin admettre aujourd'hui, c'est que le concept de TV5, multilatéral et multiculturel s'est révélé suffisamment fort et légitime pour surmonter ces lourdeurs de fonctionnement et le scepticisme de certains. Je sais que la France a joué un rôle dynamique et constructif avec les autres partenaires pour simplifier et rendre plus performant l'organisation et le fonctionnement de TV5. Les décisions prises lors de la conférence ministérielle de Vevey en 2000, puis de Niagara on the lakes en 2001, et en particulier la création de TV5 Monde et l'adoption de nouveaux axes stratégiques clairs, ont constitué une étape majeure dans la progression de la chaîne.

Ces décisions lui ont permis de mieux affirmer son identité, de rééquilibrer ses programmes, d'améliorer son habillage, d'accélérer ses efforts de pénétration mondiale. TV5 est un vecteur fort des idées et des valeurs de la Francophonie : ses résultats d'audience souvent remarquables par rapport à CNN, la BBC, la Deutsche Welle le démontrent.

Je suis d'accord avec le ministre des affaires étrangères, M. Dominique de Villepin quand il rend hommage aux équipes de TV5 qui ont su, lors des événements intervenus en Irak, se transformer en chaîne d'information continue. Mais paradoxalement, la leçon que nous devons tirer de ce succès conjoncturel réside dans la confirmation flagrante du besoin et des attentes à l'égard d'une information internationale et francophone, mais aussi dans la certitude qu'en l'état actuel des choses, ce n'est pas TV5 qui peut totalement répondre à ce besoin et ces attentes.

Soyons clairs sur deux points : d'abord, TV5 doit rester une chaîne généraliste, avec son identité et son spectre large balayant toutes les dimensions de la diversité culturelle, dont celle d'une information francophone de référence. L'information constitue bien entendu un « mur porteur » de cet édifice, puisque sans elle c'est toute la crédibili pose la même question que le ministre des affaires étrangères : comment ne pas lâcher la proie pour l'ombre ?

Face aux contraintes à surmonter pour créer cette nouvelle chaîne d'information, certains cherchent à imaginer toutes sortes de solutions ou de combinaisons avec l'espoir de rationaliser les dispositifs existants. C'est bien sûr la loi de l'exercice difficile dans lequel vous êtes engagés. Vous avez le recul, la compétence et l'autorité pour définir cette future chaîne d'information. C'est pour cela que je suis venu vous livrer avec franchise, sans aucune arrière-pensée, les quelques idées que je peux tirer de mon expérience et qui guident mon action aujourd'hui. J'ai la conviction que votre rôle d'écoute, de réflexion et de recommandation sera déterminant dans les choix qui vont être effectués.

Je vous remercie, Monsieur le président, Madame et Messieurs les députés, pour votre attention.

M. le Président : Je vous remercie, Monsieur le président. Ma première question concerne la proposition que nous avons faite de faire participer TV5 au groupement d'intérêt public, par la mise à disposition de sa rédaction et par la reprise d'une partie des journaux de la future chaîne. Vous avez très justement rappelé, d'une part, que cette chaîne généraliste bénéficiait d'une position importante - son audience a même progressé ces derniers mois - et d'autre part, qu'elle a su informer, de manière précise, sur la guerre d'Irak, pour un coût tout à fait raisonnable.

M. Abdou DIOUF : Je pense en effet que TV5 peut trouver sa place dans ce projet ; je suis tout à fait d'accord avec les propositions que vous avez formulées à ce sujet.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, nous partageons tous votre sentiment sur l'utilité et la nécessité de conserver la qualité de TV5, qui rend de grands services. Notre interrogation est la suivante : comment la future chaîne française d'information continue pourrait-elle tout à la fois servir la Francophonie et conquérir d'autres publics que le public francophone ?

Vous avez mentionné les langues qui pourraient être utilisées ; nous avons émis le souhait, dans notre rapport d'étape, que l'on puisse y parler, d'abord le français, puis l'anglais et l'arabe. Nous avons également préconisé, afin que les publics ne se déshabituent pas à la pratique de la langue française, que lorsque cette chaîne émettra dans une autre langue, il y ait un sous-titrage en français. Pensez-vous que cet outil nous permettra de conquérir de nouveaux publics et de renforcer l'impact de la France - de sa diplomatie et de son audiovisuel - sur celui de la Francophonie ? Enfin, pensez-vous que cette recherche d'une meilleure information de la Francophonie est encore nécessaire ou est-elle suffisante - notamment avec TV5 ?

M. Abdou DIOUF : Notre ambition à tous est de défendre les valeurs de été faite par le Président de la République est bien la création d'une chaîne française d'information continue à vocation internationale, ce qui ne veut pas dire la même chose qu'une chaîne francophone. En substance, la France ne peut pas avoir la prétention, à elle seule, d'incarner l'ensemble de la Francophonie. Il existe donc là une difficulté éventuelle pour l'institution que vous représentez : comment confier à la France, seule, la possibilité d'être une voix dans le monde, au-delà de la seule vision française de l'actualité, de l'ensemble de la Francophonie - à côté de TV5 ?

Par ailleurs, de part votre expérience, avez-vous une idée précise de l'attente qu'il peut y avoir ici ou là - du monde francophone ou pas - d'une voix différente, notamment française ? Si cette attente existe, quel type de format télévisuel serait le plus approprié ? De l'information « chaude » ou une actualité diverse et variée ?

M. Abdou DIOUF : Il s'agit bien d'une chaîne française d'information, mais je ne peux pas m'empêcher de penser et de me réjouir du fait que ce sera un plus pour la Francophonie. Si la voix de la France est portée à travers le monde, la Francophonie en bénéficiera forcément.

C'est la raison pour laquelle nous voulons sauvegarder également le message francophone qui passe par l'intermédiaire de TV5. Je suis donc favorable à la création de cette chaîne et au maintien de TV5, dont les moyens et la marge de progression doivent être maintenus ; il ne s'agit pas de déshabiller Paul pour habiller Pierre. Nous avons besoin du caractère multilatéral de la Francophonie dans son combat pour la langue et les valeurs francophones.

Par ailleurs, il me semble, en effet, qu'il existe une très forte demande dans le monde. Un grand nombre d'Etats frappent à la porte de la Francophonie : des Etats aussi divers que le Venezuela, le Soudan, la Libye, l'Autriche, la Hongrie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, etc. Je reçois des demandes tous les jours, mais je suis obligé de les tempérer et de faire respecter les règles de notre organisation pour étudier ces dossiers. Cette demande est liée aux valeurs qu'incarnent la France et la Francophonie. Le Président de la République française a pris la décision de rattacher le Haut conseil de la Francophonie à notre organisation - il s'appelle maintenant « Conseil consultatif ». Je reçois des demandes de personnalités du monde entier qui souhaitent devenir membres de ce Haut conseil de la Francophonie, même de Russie, de Chine, etc. La demande existe donc bien. Je ne dis pas que tous ces pays sont francophones, mais ils se présentent eux-mêmes comme des pays francophiles qui souhaitent devenir des observateurs dans la Francophonie.

Je reviens du Canada, dont les places fortes de la Francophonie sont le Canada fédéral, le Québec et le Nouveau-Brunswick ; mais vous trouvez également des minorités francophones, dans les autres provinces, qui veulent s'affirmer. Le gouvernement m'a d'ailleurs proposé, lors de ma prochaine visite, d'e ressentez ces attentes ? Comment s'expriment-elles ? Sont-elles les mêmes selon les pays francophones - il me semble que non ? S'agit-il d'une attente d'informations, de magazines culturels, d'une attente économique ? Nous vous posons cette question pour nous permettre d'aller plus loin dans le cahier des charges de cette nouvelle chaîne.

M. Abdou DIOUF : Les attentes sont multiples et concernent tous les secteurs que vous venez de citer. Cependant, l'attente en informations, exprimant une vision du monde différente de celle que l'on a l'habitude de nous proposer, de cette pensée unique qui s'exprime dans le monde, est la plus importante - étant donné que TV5 est une chaîne généraliste et multiculturelle.

Si la future chaîne est, au départ - je vous prie de m'excuser, monsieur le président - une sorte de CNN à la française, à savoir une chaîne d'information continue, mais qui exprime une autre vision du monde - comme TV5 l'a fait pendant la guerre en Irak -, qui ne soit pas unipolaire, monopolistique, hégémonique, le plus que nous recherchons sera atteint. Ensuite, selon les évolutions, nous verrons bien si des adaptations sont nécessaires.

Mme Martine AURILLAC : Monsieur le président, parmi les problèmes que la mission a soulevés, il y a celui de la ligne éditoriale. Nous souhaitons que cette chaîne soit celle de la vision de la France, mais pas de la voix de la France au sens de « la voix de son maître ». Dans cette optique, ne pensez-vous pas qu'il y aurait la place pour un certain nombre de magazines, de documentaires d'information sur divers sujets dans le monde, par lesquels la France pourrait faire entendre davantage son mode d'appréhension des problèmes ? Par ailleurs, quel est selon vous, pour le premier format que nous souhaitons, à savoir une diffusion en français, en langue arabe et en anglais, le budget dont il faudrait disposer ?

M. Abdou DIOUF : En ce qui concerne votre seconde question, Madame, je vous répondrai honnêtement, comme lorsque j'étais étudiant : « Vous me posez là une colle ! » Seuls les techniciens, les spécialistes pourront vous répondre, en fonction des objectifs que vous aurez arrêtés.

S'agissant de votre première question, je pense que cette chaîne d'information continue devra effectivement laissait une place à des débats, des documentaires, des magazines.

M. le Président : Monsieur le président, je vous remercie d'avoir répondu à toutes nos questions ; vos réponses viennent enrichir la réflexion de notre mission.

M. Abdou DIOUF : Je ne suis pas sûr d'avoir enrichi le débat, mais je vous ai dit ce que je pensais !

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N° 857 - Rapport : Télévision française d