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le 27 janvier 2003

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N° 563

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 janvier 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 390) de M. Georges HAGE et plusieurs de ses collègues, tendant à la création d'une commission d'enquête afin d'évaluer les risques présentés par certains produits toxiques utilisés dans les entreprises et menaçant la santé des salariés,

PAR M. Pierre-Louis FAGNIEZ,

Député.

--

Risques professionnels.

INTRODUCTION 4

I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 6

II. SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 7

TRAVAUX DE LA COMMISSION 9

INTRODUCTION

Le 21 novembre 2002, M. Georges Hage et les membres du groupe des député(e)s communistes et républicains ont déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale une proposition de résolution (n° 390) tendant à la création d'une commission d'enquête afin d'évaluer les risques que présentent certains produits toxiques utilisés dans les entreprises et menaçant la santé des salariés qui y sont exposés.

Pour les auteurs de la proposition de résolution, le rapport de cette commission d'enquête devrait établir précisément et rapidement (avant le 31 mars 2003) la liste des produits chimiques dangereux que manipulent de nombreux salariés dans les entreprises et étudier les conséquences néfastes sur leur santé pouvant, dans de trop nombreux cas, entraîner leur décès par cancers professionnels.

I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La recevabilité de cette proposition de résolution doit s'apprécier au regard des dispositions conjointes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

La première condition de recevabilité est relative à la définition précise, soit des faits qui donnent lieu à enquête, soit des services publics ou des entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion. La proposition de résolution vise en fait à procéder à une étude épidémiologique et non à examiner des faits précis ou des entreprises publiques particulières. Cela ne ressort donc pas vraiment du champ habituel d'investigation d'une commission d'enquête parlementaire.

La seconde condition de recevabilité concerne la mise en _uvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre en date du 26 décembre 2002, le garde des sceaux a fait connaître que plusieurs procédures judiciaires se rapportant aux risques professionnels ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution sont en cours sur l'ensemble du territoire national, notamment en ce qui concerne les conséquences sanitaires de l'exposition de salariés à l'amiante dans diverses entreprises. Il conviendrait donc de restreindre fortement le champ d'investigation de la commission d'enquête pour que la proposition de résolution soit recevable.

II. SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION

D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

Ne souhaitant toutefois pas proposer le rejet de cette proposition de résolution pour des seules raisons de recevabilité, le rapporteur estime nécessaire de préciser pourquoi il ne lui semble en tout état de cause pas opportun de créer une commission d'enquête sur les risques des produits toxiques pour la santé des salariés.

Au cours des trois dernières années, l'action des pouvoirs publics a été caractérisée par une vigilance, une action et une réflexion très soutenues en matière de santé et de sécurité au travail, compte tenu du renforcement des exigences de sauvegarde de la santé au travail. En effet, les défis à relever sont constants. Outre l'impact de la catastrophe survenue, le 21 septembre 2001, à l'usine AZF de Toulouse, les questions de santé et de sécurité au travail sont devenues centrales. Tant l'institution judiciaire (cf. Cour de cassation, arrêt du 28 février 2002) que l'opinion publique attendent de la part des entreprises une obligation de résultat et de la part des pouvoirs publics une vigilance sans défaut. L'évolution des connaissances scientifiques et techniques et l'influence de la construction européenne ont renforcé la nécessité d'une approche globale, cohérente et dynamique de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles qui s'impose ainsi comme une priorité collective de longue durée.

Pour répondre à ces objectifs, le ministère chargé du travail s'est engagé dans la voie d'une réforme de structure visant à rénover la politique de prévention des risques professionnels. Les partenaires sociaux sont quant à eux à l'origine de l'accord interprofessionnel sur la santé au travail du 13 septembre 2000 et gèrent eux-mêmes de nombreux dispositifs, notamment les caisses régionales d'assurance maladie, l'Agence nationale d'amélioration des conditions de travail (ANACT) ou l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS).

Dans le cadre du plan à moyen terme de la branche accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de sécurité sociale, une réflexion est actuellement menée par les partenaires sociaux siégeant à la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle vise notamment à mieux faire connaître les valeurs et pratiques de prévention que la branche préconise vis à vis des employeurs pour la mise en _uvre d'une politique de maîtrise des risques professionnels. Ce plan à moyen terme sera en outre actualisé en 2003 afin de mieux prendre en compte les maladies professionnelles et d'intégrer des actions à l'égard des salariés précaires.

S'agissant de l'amiante, parallèlement aux mesures d'interdiction, les conclusions de l'expertise collective indépendante menée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) en 1996 ont entraîné la mise en place d'un dispositif réglementaire particulièrement développé afin d'assurer une protection efficace des travailleurs encore exposés à l'amiante.

Ce dispositif réglementaire fixe des mesures générales de prévention s'appliquant à toute activité pouvant exposer les travailleurs à l'amiante : il s'agit notamment du maintien à niveau d'exposition le plus bas possible et, en tout état de cause, en deçà de la valeur limite d'exposition, d'une obligation de formation et d'information des travailleurs, ainsi que de la mise en _uvre et de l'entretien d'équipements de protection adaptés - tels les masques respiratoires.

Ces mesures générales de prévention sont complétées par des mesures qui doivent être spécifiquement mises en _uvre en fonction de l'activité menée. Ainsi les entreprises qui interviennent pour désamianter des bâtiments ou des équipements doivent-elles respecter une réglementation technique particulière dans la mise en _uvre de leurs chantiers de retrait. De plus, elles ont l'obligation de soumettre chaque plan de retrait aux services de l'inspection du travail ainsi qu'au médecin du travail. Pour les travaux de retrait de matériaux friables contenant de l'amiante - travaux qui peuvent entraîner des risques importants pour les travailleurs si des mesures de protection ne sont pas mises en _uvre -, seules peuvent intervenir des entreprises ayant obtenu un certificat de qualification, délivré par un organisme accrédité, sur la base d'un référentiel technique homologué. La réglementation française, entièrement refondue, est donc très complète, actualisée, et assure le niveau de protection le plus élevé d'Europe.

Les éthers de glycol forment quant à eux une famille d'une trentaine de substances chimiques utilisées dans la composition ou la fabrication de produits à usage industriel et domestique très variés, en raison de leurs propriétés de solvant. Leur usage, qui s'est nettement réduit, a concerné principalement les peintures, encres, colles, vernis, les produits pour la métallurgie et la mécanique, ainsi que les produits cosmétiques, ménagers ou pharmaceutiques.

Les études scientifiques ont mis en évidence des effets toxiques pour certains éthers de glycol. A ce jour, neuf éthers de glycol sont classés ou en cours de classement comme toxiques pour la reproduction en catégorie 2, au sens de la classification européenne. La classification s'effectue en effet au niveau européen en s'appuyant sur des sources scientifiques internationales, indépendantes!et validées. Elle comporte schématiquement trois catégories d'effets (cancérigène, mutagène ou toxique pour la reproduction) et trois niveaux de danger :

- catégorie 1 : les effets sont prouvés chez l'homme ;

- catégorie 2 : les effets sont prouvés chez l'animal mais seulement présumés chez l'homme ;

- catégorie 3 : suspicion d'éventuels effets mais les données sont insuffisantes.

S'agissant plus précisément de la toxicité pour la reproduction, un agent est classé comme tel quand il peut présenter des effets sur la fertilité masculine ou féminine (altération des fonctions ou de la capacité de reproduction) ou induire des effets néfastes, non héréditaires, sur le développement de la descendance.

En milieu professionnel, les éthers de glycol reprotoxiques de catégorie 2 sont!soumis au régime juridique très strict des agents cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, lequel comporte - pour la protection de tous les salariés - l'obligation de substitution d'un tel agent par un produit non dangereux ou moins dangereux, sauf impossibilité technique (l'obligation de substitution est donc une interdiction « décentralisée » au niveau de l'activité), l'organisation d'un suivi médical renforcé et l'organisation de la traçabilité des expositions.

Saisi début 1998, le ministère chargé du travail a demandé à l'INSERM, compte tenu de la complexité du problème, de réaliser une expertise collective (procédure multidisciplinaire et contradictoire sur la base de toutes les données scientifiques disponibles). Les résultats de cette expertise indépendante ont été rendus publics en octobre 1999. Un plan d'action a aussitôt été annoncé et lancé par l'Etat, allant nettement au-delà des recommandations de cette expertise collective. Une campagne de contrôles prioritaires de l'inspection du travail sur les éthers de glycol, centrée sur la substitution, a ainsi été lancée en 2001 et poursuivie en 2002.

Les ministères chargés du travail et de la santé, soucieux de continuer à prendre en compte toutes les données scientifiques pertinentes, ont provoqué en octobre 2000 une nouvelle réunion des experts scientifiques puis ont organisé, en avril 2002, une journée d'échanges entre la communauté scientifique et les acteurs sociaux, afin que ces derniers puissent présenter les travaux ou enquêtes dont ils disposent et les soumettre à l'évaluation des experts scientifiques. Aucun élément scientifique nouveau n'est alors apparu qui serait de nature à modifier l'évaluation initiale des risques.

La France, en se dotant d'un régime juridique commun aux agents les plus dangereux (cancérigènes, mutagènes et, - situation unique en Europe -, toxiques pour la reproduction), offre le niveau de protection des travailleurs contre le risque d'exposition aux éthers de glycol le plus élevé d'Europe.

En l'absence d'éléments nouveaux et pertinents de nature à remettre en cause les dispositions déjà prises, les ministères chargés du travail et de la santé se situent toujours dans une logique de veille active. Il va de soi qu'en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques, toutes les évolutions normatives sont ouvertes, sans écarter, au besoin, l'hypothèse d'une interdiction de telle ou telle substance. Le gouvernement a ainsi été saisi, le 7 décembre 2002, d'un avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF) proposant l'interdiction de sept éthers de glycol (dérivés de l'éthylène) classés comme toxiques pour la reproduction en catégorie 2. Cet avis est en cours d'instruction par les services ministériels afin de savoir quelle suite lui donner.

Les moyens d'expertise scientifique en la matière existent donc en nombre suffisant. Créer une commission d'enquête n'est de toute façon pas le moyen le plus approprié pour procéder à des études épidémiologiques. Il revient plutôt à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ou au nouvel Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, de procéder, le cas échéant, à de telles études.

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, le rapporteur conclut au rejet de la proposition de résolution n° 390.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné la proposition de résolution au cours de sa réunion du mardi 21 janvier 2003.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Simon Renucci a plaidé en faveur de la mise en place d'une commission d'enquête sur ce sujet important. Certes l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé pourrait traiter ce thème, mais cette structure qui doit être prochainement mise en place devra déjà s'intéresser à un champ très vaste de sujets. Il est souhaitable que l'opposition et la majorité puissent réfléchir de manière constructive et commune sur un problème sensible appelant des réponses plurielles, dans un souci d'anticipation et d'évaluation.

M. René Couanau s'est interrogé sur la façon dont les victimes de l'amiante ont été à ce jour indemnisées. Il semblerait, tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif, que les indemnisations aient été insuffisantes par rapport aux demandes faites par les victimes.

M. Jean Le Garrec a fait les remarques suivantes :

- Il convient de prendre pleinement conscience de l'importance du problème des cancers de l'amiante. Il semblerait que 13 % des dossiers déposés concerneraient des salariés ayant travaillé dans la région de Dunkerque.

- La question de l'indemnisation des victimes pose un certain nombre de difficultés, dont certaines d'ordre juridique. Le barème d'indemnisation n'a d'ailleurs toujours pas été adopté par le conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) car le montant des indemnisations proposées est très inférieur à celui des indemnisations demandées par les victimes. Les partenaires sociaux doivent se mettre d'accord sur cette difficile question.

- On peut s'interroger sur la volonté du gouvernement de donner de nouvelles responsabilités aux représentants du patronat en matière de maladies professionnelles et d'accidents du travail, notamment au sein du conseil d'administration du FIVA. Cela paraît d'autant plus surprenant que le MEDEF ne siège plus à la Caisse nationale d'assurance maladie.

Le président Jean-Michel Dubernard a précisé que le FIVA ayant été créé en loi de financement de la sécurité sociale, il revient le cas échéant au rapporteur pour l'assurance maladie et les accidents du travail d'en suivre la mise en place.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution.

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N° 0563 - Rapport sur la proposition de résolution créant une commission d'enquête sur l'évaluation des risques présentés par certains produits toxiques utilisés dans les entreprises et menaçant la santé des salariés (M. Pierre-Louis Fagniez)


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