Version PDF
Retour vers le dossier législatif

graphique

N° 707

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 mars 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 645) de MM. Guy LENGAGNE et Didier QUENTIN, RAPPORTEURS DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE, sur la sécurité maritime en Europe (COM [2002] 780 final / E 2186, COM [2003] 001 final / E 2201),

PAR M. Jean-Marc LEFRANC,

Député.

--

Transports par eau.

INTRODUCTION 5

I.- ZONE DE TRANSIT MARITIME, L'UNION EUROPÉENNE DOIT SE DOTER DE NORMES SPÉCIFIQUES DE SÉCURITÉ MARITIME POUR RENFORCER LA PROTECTION DES ETATS CÔTIERS. 9

A.- LA NÉCESSITÉ D'UNE MOBILISATION DE L'UNION EUROPÉENNE POUR LA SÉCURITÉ MARITIME. 9

B.- L'EXTENSION DES POUVOIRS DES ETATS CÔTIERS SUR LEUR ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE (ZEE) 11

C.- UNE SURVEILLANCE ACCRUE DU TRAFIC MARITIME DANS LES ZONES PARTICULIÈREMENT VULNÉRABLES 12

II.- UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION DES RISQUES POUR LE TRANSPORT MARITIME 14

A.- LE PROJET DE RÈGLEMENT EUROPÉEN INTERDISANT LE RECOURS À DES PÉTROLIERS À COQUE UNIQUE POUR LE TRANSPORT DU FIOUL LOURD. 14

1. Eliminer les pétroliers à simple coque 14

2. Sécuriser le transport maritime des fuels lourds 18

B.- LE CONTRÔLE DE L'ÉTAT D'ENTRETIEN DES NAVIRES 21

1. Des contrôles efficaces et approfondis 21

2. Les contrôles de l'Etat du Port 22

C.- L'IMPORTANCE DU FACTEUR HUMAIN DANS UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION DES RISQUES DU TRANSPORT MARITIME 23

D.- DES LIEUX OU DES PORTS REFUGE POUR L'ACCUEIL DES NAVIRES EN DÉTRESSE 24

III. - AMÉLIORER L'INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DES POLLUTIONS PAR LES HYDROCARBURES 26

A.- LE RÉGIME ACTUEL DE RESPONSABILITÉ CIVILE DES ARMATEURS EST UNE INCITATION À RECOURIR À DES NAVIRES SOUS-NORMES 26

B.- RÉFORMER LE RÉGIME DE RESPONSABILITÉ EN INCITANT TOUS LES ACTEURS DU TRANSPORT MARITIME À RECOURIR À UNE FLOTTE DE QUALITÉ 28

IV.- RENFORCER LES SANCTIONS EN CAS DE POLLUTION 30

A.- DES SANCTIONS PÉNALES POUR LES ATTEINTES À L'ENVIRONNEMENT 30

B.- UNE VOLONTÉ DE RÉPRESSION QUI S'ÉTEND À LA ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE ET À LA HAUTE MER MAIS QUI RISQUE DE SE HEURTER À DES DIFFICULTÉS DE PREUVE 30

EXAMEN EN COMMISSION 33

MESDAMES, MESSIEURS,

La Commission des affaires économiques est saisie d'une proposition de résolution présentée par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne relative à la sécurité maritime en Europe.

Suite au naufrage du pétrolier Prestige le 13 novembre dernier, les pays directement touchés par cette catastrophe mais aussi les autorités européennes ont décidé de prendre de nouvelles initiatives pour renforcer la politique commune de sécurité maritime.

Le premier acte symbolique résulte du sommet franco-espagnol de Malaga qui a abouti à la décision de restreindre l'accès à la zone économique exclusive (zone des 200 milles) pour les pétroliers de plus de 15 ans d'âge à coque unique et transportant des produits particulièrement polluants comme le fioul lourd lorsque leur mauvais état d'entretien ou les conditions climatiques défavorables les rendent particulièrement dangereux pour le littoral des Etats côtiers.

Dès le 28 novembre, le Portugal annonçait son intention de se joindre à l'initiative franco-espagnole.

Les autorités communautaires ont joué rôle très actif dans la gestion de la crise du naufrage du Prestige en aidant les autorités espagnoles à trouver chez leurs homologues européens des ressources tant en compétences qu'en moyens matériels pour organiser en urgence les premières opérations de dépollution des côtes galiciennes.

Outre ce rôle de coordination des moyens logistiques et humains, la Commission a souhaité profiter de cette mobilisation de tous les acteurs concernés pour faire progresser la définition d'une politique commune de sécurité maritime.

Dès le 3 décembre 2002, la Commission publiait une communication destinée au Parlement européen et au Conseil visant à définir les actions prioritaires pour rendre plus efficace la lutte contre les pollutions maritimes et contre les navires vétustes présentant potentiellement des risques majeurs pour l'environnement en raison de cargaisons particulièrement polluantes.

Le Conseil des ministres des transports, le 6 décembre 2002, comme le Conseil européen de Copenhague les 12 et 13 décembre, ont été l'occasion pour les autorités politiques de l'Union européenne de réaffirmer leur ferme volonté de poursuivre et d'améliorer la politique commune de sécurité maritime. Elles se sont félicitées des propositions émises par la Commission visant à :

·  accélérer la transposition en droit interne des directives européennes qui avaient été adoptées en mars et décembre 2000, suite au naufrage de l'Erika et communément appelées directives du Paquet «Erika» I et «Erika» II ;

·  demander aux États membres de recruter un nombre suffisant d'inspecteurs pour parvenir à un taux de contrôle suffisant des navires faisant escale dans les ports européens, cet effort de contrôle devant être, de plus, homogène dans l'ensemble des ports européens pour éviter que, du fait de l'insuffisance du nombre ou du manque de rigueur des contrôles, certains ports ne deviennent, de facto, « des ports de complaisance » au sein même de l'Union européenne ;

·  modifier le régime international de responsabilité en cas de pollution par les hydrocarbures afin de restreindre le droit des armateurs à limiter leur responsabilité dans le cas où l'accident résulte d'une faute de leur part et faire en sorte que les autres acteurs de la chaîne du transport, tels que les affréteurs, les exploitants, les gestionnaires nautiques, puissent être impliqués pour l'indemnisation des dommages ;

·  créer un régime spécifique de responsabilité pénale et d'indemnisation pour des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ou par d'autres rejets illégaux de substances liquides nocives. La mise en cause de la responsabilité pénale est apparue indispensable en raison du caractère peu dissuasif des règles de responsabilité civile édictées par le droit international (Convention CLC et Convention FIPOL) ;

·  créer un système d'agrément communautaire des certificats de compétence des marins délivré par des pays tiers à l'Union européenne afin de lutter contre les équipages sous qualifiés qui sont une menace constante pour la sécurité du transport maritime ;

·  protéger les zones littorales européennes en interdisant, dans la zone économique exclusive (ZEE), le transit de bateaux vétustes présentant une menace grave pour l'environnement marin.

Cette dernière mesure est très délicate à définir sur le plan juridique car le droit international de la mer repose sur le principe de la liberté de navigation et du droit de « passage inoffensif », les restrictions à la liberté de passage étant très limitées. De plus le respect de l'environnement et la protection du littoral des états côtiers ne figurent pas comme des objectifs prioritaires de la Convention du droit de la mer de 1982 dite Convention de Montego Bay.

La résolution proposée doit conforter la position du Gouvernement français, qui lors du prochain Conseil des ministres des transports de l'Union européenne, les 27 et 28 mars 2003, doit obtenir des autres états membres l'adoption d'une position commune sur la proposition de la Commission visant à accélérer l'élimination des pétroliers à simple coque, avalisant ainsi au niveau communautaire, l'accord de Malaga.

Afin de minimiser le risque d'accidents comme celui de l'Erika ou du Prestige, la Commission propose un règlement interdisant le transport de fioul lourd dans des pétroliers à simple coque à destination ou au départ des ports de l'Union européenne.

De plus, la Commission insiste auprès du Conseil pour qu'il lui accorde sans tarder un mandat de négociation pour faire en sorte que les pays candidats à l'adhésion ainsi que les pays d'Europe centrale, principaux exportateurs de fioul lourd par voie maritime, appliquent les mêmes principes dans le cadre d'accords qui devront être conclus entre les administrations dans les structures de coopération existantes, comme le mémorandum d'entente de Paris sur le contrôle par l'État du port et Euro-Med.

Au-delà des décisions qui seront prises lors du prochain « Conseil transports » de l'Union européenne, ne nous voilons pas la face, une politique commune de sécurité maritime sera difficile à mettre en œuvre, chaque Etat membre ayant sa propre culture maritime et des intérêts divergents.

Une fois l'émotion suscitée par la catastrophe du Prestige retombée, la mobilisation des Etats membres risque de s'évanouir comme ce fut le cas après la catastrophe de l'Erika.

Votre rapporteur tient à souligner que la France doit rester un des moteurs de cette politique volontariste de sécurité maritime et traduire en actes concrets sa détermination, par exemple en transposant dans les plus brefs délais les directives « Erika » I et « Erika» II.

L'adoption de cette résolution traduit la volonté des parlementaires français de soutenir les initiatives de la Commission européenne qui, avec constance depuis le naufrage de l'Erika, œuvre pour un droit européen de la sécurité maritime alors que les Etats membres se sont fréquemment montrés réticents à adopter unilatéralement des mesures pour encadrer le transport maritime.

Il faut pourtant se rendre à l'évidence : le système juridique international de régulation du transport maritime défini par l'Organisation maritime internationale (OMI) est devenu totalement inefficace pour promouvoir la sécurité maritime.

Il faudrait plutôt parler aujourd'hui de désordre maritime international, le droit international de la mer actuel ne parvenant pas à surmonter des contradictions majeures :

- son impuissance à trouver un équilibre entre les exigences de la liberté de navigation et le droit des Etats côtiers à protéger leur environnement ;

- le fossé existant entre la densité du cadre normatif institué dans le cadre de l'OMI et la violation fréquente de ces règles en totale impunité pour les navires battant pavillon de complaisance.

L'Union européenne ne peut pas ignorer le rôle joué par l'OMI mais doit, en urgence, consolider l'espace maritime européen où il doit être possible de concilier une liberté régulée du transport maritime et une protection du patrimoine maritime.

I.- ZONE DE TRANSIT MARITIME, L'UNION EUROPÉENNE DOIT SE DOTER DE NORMES SPÉCIFIQUES DE SÉCURITÉ MARITIME POUR RENFORCER LA PROTECTION DES ETATS CÔTIERS.

A.- LA NÉCESSITÉ D'UNE MOBILISATION DE L'UNION EUROPÉENNE POUR LA SÉCURITÉ MARITIME.

Le transport maritime est un secteur qui a longtemps été régi par le seul principe de liberté et, au plan international, le droit de la mer a toujours pour objectif d'assurer la liberté de navigation avec le droit inaliénable pour tout navire de passage inoffensif au large des côtes d'Etats souverains dont le pouvoir de police se limite aux eaux territoriales.

Longtemps, l'OMI, instance spécialisée de l'ONU pour les questions maritimes, est restée la seule instance internationale chargée d'adopter des normes internationales pour promouvoir la sécurité maritime tout en préservant la liberté de navigation.

En raison du poids des pavillons de complaisance dans cette instance et de la lenteur de l'adoption de ses conventions par les Etats adhérents, il est devenu évident qu'une politique offensive de sécurité maritime ne pouvait reposer uniquement sur les initiatives de l'OMI.

Au sein de l'Union européenne, la nécessité d'une politique commune maritime n'a émergé que lentement ; la catastrophe de l'Amoco Cadiz par exemple ne s'était traduite que par des déclarations d'intention sans force contraignante.

Les premiers éléments d'une politique commune de sécurité maritime datent de l'introduction de la majorité qualifiée et de la compétence accordée au Conseil pour prendre « les mesures permettant d'améliorer la sécurité des transports » suite au traité de Maastricht.

Mais ce sont essentiellement des catastrophes maritimes qui ont provoqué un sursaut des Etats membres et qui ont permis d'élaborer les premiers aspects d'une politique originale de sécurité maritime européenne.

La marée noire provoquée par le naufrage de l'Erika a conduit à l'adoption de deux séries de directives dites «Erika» I et «Erika» II qui sont les premières mesures concrètes pour un droit unilatéral européen de sécurité maritime qui ne cherche pas à nier l'existence de normes internationales élaborées au sein de l'OMI mais qui cherche à les compléter et à résoudre les problèmes spécifiques des états côtiers européens.

L'Union européenne a, en effet, une position particulière au plan du trafic maritime.

Même si l'Union européenne compte peu de grandes nations maritimes, il convient de garder à l'esprit que les marchandises arrivant ou quittant l'Europe représentent près de 60 % du transport maritime mondial.

Quant aux hydrocarbures, l'Union européenne occupe la première place mondiale dans le commerce des produits pétroliers. A titre de comparaison, ses importations de pétrole brut représentent environ 27 % du commerce mondial total contre 25 % pour celle des Etats-Unis. Près de 90 % du commerce de pétrole avec l'Union européenne se fait par voie maritime (le reste étant acheminé par oléoduc, transport terrestre ou voies navigables intérieures). Pour les années à venir, compte tenu des prévisions de la demande de produits pétroliers, une augmentation croissante du déplacement des pétroliers est attendue.

Chaque année, 800 millions de tonnes de produits pétroliers sont transportées à destination et au départ des ports communautaires. Environ 70 % des transports par pétrolier dans l'Union se font au large des côtes de l'Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord (30 % s'effectuant via la Méditerranée), ce qui fait de ces zones les endroits les plus vulnérables aux marées noires, comme en témoigne le naufrage de l'Erika. De surcroît, de nombreux pétroliers traversent les eaux de l'Union sans y faire escale, ce qui représente un volume - et donc un danger - supplémentaire. Les grands ports pétroliers de l'Union sont Rotterdam, Marseille, Le Havre, Trieste et Wilhelmshaven. Le pétrole importé est essentiellement issu du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Les exportations européennes (champs pétrolifères de la mer du Nord) ont pour destination principale l'Amérique du Nord.

Le marché du transport de pétrole brut est dominé par les pétroliers de gros tonnage (plus de 200 000 tonnes). Toutefois, les navires utilisés en mer du Nord sont d'une taille plus modeste, allant de 5 000 à 50 000 tonnes. C'est à peu près 1 500 à 2 000 navires qui circulent dans les eaux européennes chaque année.

Aujourd'hui, l'Union européenne est confrontée à un nouveau phénomène qui comporte des risques majeurs au plan environnemental : une part croissante du trafic maritime est un trafic de transit, les navires en provenance de l'Extrême-Orient passent au large des côtes espagnoles puis françaises pour ensuite franchir la mer du Nord et ont généralement pour destination les ports de la Fédération de Russie ou des Etats Baltes. Ces navires, souvent anciens, ne procèdent pas à des escales commerciales dans les ports de l'Union européenne et ne s'arrêtent que pour se ravitailler en carburant, ce qui empêche les Etats membres de pouvoir exercer à leur encontre les pouvoirs de contrôle de l'Etat du port.

Le cas du Prestige est à ce titre exemplaire car ce navire très ancien avait une cargaison de fioul lourd très polluant, à faible valeur ajoutée, que son propriétaire avait décidé de transporter de la Fédération de Russie en Extrême-Orient car les cours du marché de ce produit y étaient beaucoup plus élevés que sur le marché européen (le fioul lourd 380 cst se négociait au moment des faits à 125 dollars/tonne à Rotterdam et à 185 dollars/tonne à Singapour).

Le développement de ce trafic de transit, dont l'Union européenne ne tire aucun bénéfice mais supporte tous les risques environnementaux, doit conduire l'Union européenne à adopter des mesures adaptées pour préserver son littoral et ses ressources maritimes.

Une des premières mesures à envisager est l'extension des prérogatives reconnues aux Etats côtiers qui, jusqu'à présent, ne s'étendent qu'aux eaux territoriales.

B.- L'EXTENSION DES POUVOIRS DES ETATS CÔTIERS SUR LEUR ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE (ZEE)

La législation adoptée après l'Erika vise à chasser les navires sous-normes des ports des Etats membres. Cependant, ces navires qui évitent d'ores et déjà les ports de l'Union, afin de se soustraire aux inspections, continuent à naviguer au large de nos côtes, y compris dans la mer territoriale et dans la zone économique exclusive (ZEE) des Etats membres.

Le droit international de la mer limite fortement, sur le plan législatif et au niveau de la mise en œuvre, les mesures que les pays côtiers peuvent prendre pour protéger leurs eaux côtières des dangers que la navigation fait peser sur l'environnement. Ainsi, des restrictions rigoureuses limitent les mesures qu'un pays côtier peut éventuellement prendre pour refuser à un bateau l'accès à ses eaux côtières, même s'il est reconnu que le navire est en très mauvais état ou s'il est interdit d'accès dans tous les ports de l'Union européenne. L'équilibre entre les intérêts du transport maritime et le respect de l'environnement, tel qu'il est établi dans la convention des Nations unies sur le droit de la mer, en particulier ses articles 211 et 220, penche lourdement en faveur des intérêts du transport maritime.

Or, l'avantage donné à la liberté de navigation aux dépens de la protection de l'environnement ne reflète pas les préoccupations des citoyens européens.

Récemment, l'Espagne et la France ont conclu un accord après le naufrage du Prestige pour interdire l'accès de leur ZEE respective à tout pétrolier de plus de 15 ans transportant du fioul lourd, cette interdiction se justifiant par le risque très élevé représenté par ces bateaux sous-normes.

Il convient en effet de rappeler que la Convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 autorise l'Etat souverain à intervenir en haute mer en cas d'accident ayant ou pouvant avoir pour conséquence une pollution par hydrocarbures ou par d'autres substances nocives (en application du protocole de 1973) mais ce droit d'intervention est limité aux cas de menace grave et imminente.

Pour justifier leur action au plan juridique, la France et l'Espagne ont fait valoir l'article 56 alinéa b de la convention sur le droit de la mer dite de « Montego Bay » qui énonce que l'Etat côtier est compétent « pour la protection et la préservation du milieu marin ».

Quant à l'article 220 de la convention, il précise les pouvoirs que l'Etat côtier peut exercer lorsqu'il a de sérieuses raisons de penser qu'un navire naviguant dans sa ZEE a commis une infraction aux règles et normes internationales. L'article 220 indique que cette infraction peut revêtir la forme de rejets importants dans le milieu marin, qui ont causé ou risquent d'y causer une pollution notable, ou encore celle de rejets qui ont causé ou risquent de causer des dommages importants au littoral ou aux intérêts connexes de l'Etat côtier ou à toutes ressources de sa mer littorale ou de sa ZEE. Dans le premier cas, l'Etat côtier peut procéder à l'inspection matérielle du navire. Dans le second cas, il peut « notamment ordonner l'immobilisation du navire conformément à son droit interne ».

Dans le cadre de l'accord franco-espagnol de Malaga, il apparaît que c'est l'article 56 de la convention qui a été invoqué, en vue de limiter le transit dans la zone des 200 milles des pétroliers à simple coque transportant du fioul lourd.

Aux termes de cet accord, dont le Portugal a également appliqué les dispositions, les parties sont convenues d'une mesure d'application immédiate pour contrôler les navires dangereux du même type que le Prestige, c'est-à-dire les pétroliers de plus de quinze ans à simple coque, transportant du fioul lourd ou du goudron et dépourvus de dispositifs de mesures de niveau et de pression des hydrocarbures dans les soutes.

Dorénavant, les armateurs et affréteurs de ce type de navires se présentant à l'entrée de la ZEE de la France et de l'Espagne devront obligatoirement fournir toutes les informations requises concernant l'Etat du pavillon, la nature exacte de la cargaison, la société de classification, les contrôles effectués sur le navire dans le ports de départ avant l'appareillage, l'ensemble des opérateurs concernés par l'application commerciale. En cas de doute, il sera procédé à une inspection en mer par des contrôleurs de l'Etat côtier et le navire pourra être refoulé.

En ce qui concerne la France, il a été procédé à 28 refoulements de navires depuis la conclusion de l'accord de Malaga.

Le Conseil « Transports » du 6 décembre 2002 a décidé que, dans l'attente d'une réglementation européenne, les Etats membres qui le souhaitent, doivent, comme la France et l'Espagne, pouvoir prendre de telles mesures. C'est ainsi que le gouvernement italien vient de prendre un décret allant dans ce sens.

Votre rapporteur souhaite vivement que les Etats membres décident collectivement et non pas simplement par une action coordonnée de chaque membre de l'Union de définir de nouvelles prérogatives des Etats côtiers dans la ZEE lorsque la préservation de l'environnement est menacée ou lorsque les normes de la sécurité maritime ont été violées.

C.- UNE SURVEILLANCE ACCRUE DU TRAFIC MARITIME DANS LES ZONES PARTICULIÈREMENT VULNÉRABLES

Il s'agit d'une proposition d'inspiration française que soutiennent, pour le moment l'Espagne et le Portugal, dont l'objectif serait d'obtenir de l'OMI la reconnaissance de zones particulièrement vulnérables, par application de l'article 211, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer.

Cet article prévoit en effet que « (...) lorsque les règles et normes internationales visées au paragraphe 1 (1) ne permettent pas de faire face d'une manière adéquate à des situations particulières et qu'un Etat côtier est raisonnablement fondé à considérer qu'une zone particulière et clairement définie de sa zone économique exclusive requiert l'adoption de mesures obligatoires spéciales pour la prévention de la pollution par les navires (...), cet Etat peut (...) adresser à cette organisation une communication concernant la zone considérée (...). Si l'organisation décide qu'il en est ainsi, l'Etat côtier peut adopter pour cette zone des lois et règlements visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires qui donnent effet aux règles et normes ou pratiques de navigation internationales que l'organisation a rendues applicables aux zones spéciales ».

Ces dispositions ont déjà été appliquées pour la Grande Barrière de corail australienne en 1990, l'archipel cubain de Sabana-Camaguey en 1997, la mer de Wadden (Allemagne, Danemark et Pays-Bas) en octobre 2002.

Pour l'Union européenne, il serait souhaitable de prévoir une protection particulière pour le détroit du Pas-de-Calais où le trafic est très dense, ou les bouches de Bonifaccio en raison de l'exceptionnelle richesse écologique de la zone située entre la Corse et la Sardaigne.

Pour les zones à protéger pour des raisons écologiques on s'orienterait plutôt vers une restriction de la liberté de navigation en interdisant par exemple le passage de navires de marine marchande dépassant un certain tonnage.

La Commission européenne envisage donc de négocier avec l'OMI pour définir des zones où la liberté de trafic ne serait plus la règle mais où, au contraire, les autorités maritimes procèderaient à un guidage des navires similaire aux procédures du contrôle aérien.

II.- UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION DES RISQUES POUR LE TRANSPORT MARITIME

A.- LE PROJET DE RÈGLEMENT EUROPÉEN INTERDISANT LE RECOURS À DES PÉTROLIERS À COQUE UNIQUE POUR LE TRANSPORT DU FIOUL LOURD.

1. Eliminer les pétroliers à simple coque

Suite au naufrage de l'Erika, la Commission européenne avait proposé d'adopter une législation prévoyant l'élimination progressive des pétroliers à simple coque selon un calendrier similaire à celui adopté par les Etats, soit entre 2005 et 2015 selon le tonnage. Mais le règlement n° 417/2002 finalement adopté le 18 février 2002 n'a pas prévu de mesures aussi drastiques en raison de divergences entre les pays membres.

Le règlement précité qui est applicable depuis le 1er septembre 2002 s'est aligné sur le dispositif adopté au niveau international au sein de l'OMI portant modification de l'annexe I de la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) 73/78 - règlement  13G.

Un bref historique de cette question permettra de comprendre les enjeux socio-économiques de l'élimination accélérée des pétroliers à simple coque.

A la suite de la catastrophe de l'Exxon Valdez survenue le 24 mars 1989, qui a répandu 40 000 tonnes de pétrole brut sur les côtes de l'Alaska - c'est-à-dire, cinq à six fois moins que l'Amoco Cadiz sur les côtes bretonnes - le Congrès américain a adopté l'Oil Pollution Act (OPA).

Cette loi impose l'usage obligatoire de la double coque pour tous les nouveaux pétroliers, cette technique étant réputée permettre de protéger les citernes de cargaison contre l'avarie et de réduire ainsi le risque de pollution.

Elle prévoit, en outre, un calendrier d'interdiction progressive des navires à simple coque très complexe, sur la base de critères tenant compte de l'âge et du tonnage.

Après la décision unilatérale des Etats-Unis, l'OMI a été obligée de réagir. En juillet 1993, sont donc entrés en vigueur d'importants amendements à la convention MARPOL 73/78, qui prévoient un plan d'introduction progressive des nouvelles prescriptions pour les pétroliers à simple coque de plus de 20 000 tonnes de port en lourd livré avant le 6 juillet 1996 (règle 13G).

Dans sa communication sur la sécurité du transport maritime pétrolier, la Commission européenne a fait paraître le tableau suivant, résumant de manière aussi synthétique que possible les différences d'échéances entre l'Oil pollution Act de 1990, la convention MARPOL et les mesures contenues dans le projet de règlement de la Commission européenne qui avait été présenté dans le cadre du paquet « Erika I » en 2000.

ÉCHÉANCIER COMPARATIF DE L'INTERDICTION
DES PÉTROLIERS À SIMPLE COQUE

Etats-Unis

(OPA 90)

International

(MARPOL)

UE

(PROPOSITION)

Catégorie 1 :

Pétroliers à simple coque, taille « MARPOL », sans citerne protectrice

2010

2007/2012

2005

Catégorie 2 :

Pétroliers à simple coque, taille « MARPOL », avec protection partielle de la zone des citernes de cargaison

2010/2015

2026

2010

Catégorie 3 :

Pétroliers à simple coque en dessous de la taille « MARPOL » (moins de 20 000 tpl)

2015

Aucune échéance

2015

Source : Commission européenne.

La Commission européenne avait estimé lors de la préparation des directives Erika 1 que les mesures qu'elle proposait permettraient de conduire à une diminution massive du nombre de pétroliers autorisés à naviguer dans les eaux européennes.

Ainsi, les navires à simple coque MARPOL destinés au transport de brut d'une taille supérieure à 20 000 tonnes et ceux destinés au transport des autres hydrocarbures de plus de 30 000 tonnes représentaient, en 2000, 2 000 unités. Selon la Commission européenne, le système proposé conduirait à retirer environ 70 % de ces 2 000 navires sur la base de la limite d'âge (28 ans) avant 2010 et environ 30 % d'entre eux (soit près de 600 navires) sur la base de l'échéance de 2010.

S'agissant des navires inférieurs à ces dernières dimensions, leur nombre était alors estimé à environ 3 000 unités. Les mesures proposées devaient avoir pour effet de retirer 70 % des navires avant 2015 sur la base de la limite d'âge (soit 25 ans), tandis que le reste serait éliminé à compter de l'échéance de 2015.

En parallèle, les services de la Commission comme certains pays neutres de l'Union européenne avaient œuvré pour que la réglementation internationale évolue.

Or, c'est par une résolution adoptée le 27 avril 2001 et entrée en vigueur le 1er septembre 2002, que l'OMI a fixé un nouveau calendrier du retrait des navires à simple coque.

Le tableau ci-dessous permet de saisir les différences entre l'ancienne et la nouvelle réglementation de l'OMI.

RÉGLEMENTATION ADOPTÉE DANS LE CADRE DE L'OMI

Ancienne réglementation

Nouvelle réglementation

Catégorie 1 :

Pétroliers à simple coque, taille « MARPOL », sans citerne protectrice

2007/2012

2007

Catégorie 2 :

Pétroliers à simple coque, taille « MARPOL », avec protection partielle de la zone des citernes de cargaison

2026

2015

Catégorie 3 :

Pétroliers à simple coque en dessous de la taille « MARPOL » (moins de 20 000 tpl)

Aucune échéance

Source : Commission européenne.

Entré en vigueur le 1er septembre 2002, comme la résolution de l'OMI, le règlement 417/2002 du 18 février 2002 introduit ainsi les règles fixées par l'OMI dans le droit communautaire.

Malgré les améliorations qu'il apporte, ses dispositions sont toutefois moins ambitieuses que celles qui ont été proposées à l'origine par la Commission. C'est pourquoi celle-ci a suggéré à la suite du naufrage du Prestige de revenir aux dispositions qu'elle avait initialement proposées.

Actuellement, le règlement précité s'applique aux pétroliers à simple coque entrant dans les ports ou les terminaux en mer relevant de la juridiction d'un Etat membre et des pétroliers battant le pavillon d'un Etat membre.

Ce règlement ne peut donc résoudre le problème des pétroliers en transit dans les eaux européennes.

Le calendrier de retrait est le suivant :

- 2007 pour les pétroliers à simple coque de la catégorie 1 : ce sont des transporteurs de brut d'un port en lourd égal ou supérieur à 20 000 tonnes ainsi que les transporteurs de produits pétroliers d'un port en lourd égal ou supérieur à 30 000 tonnes, non équipés de citernes à ballast séparé ;

- 2015 pour les pétroliers à simple coque des catégories 2 et 3. Les premiers ont le même port en lourd que ceux de la catégorie 1, mais sont équipés de citernes à ballast séparé. Quant aux seconds, ils ont une taille inférieure à celle des pétroliers des catégories 1 et 2 mais un port en lourd supérieur à 5 000 tonnes.

Le prochain Conseil des ministres des transports devrait avoir à se prononcer sur la nouvelle proposition de règlement qui vise à revenir au calendrier initial de la Commission (2) :

- les pétroliers de la catégorie 1 sont les bâtiments les plus vulnérables et les plus vieux. Leur retrait devrait être assuré dans les plus brefs délais. La date limite pour l'exploitation de ces pétroliers est donc ramenée de 2007 à 2005 avec une limite d'âge de 23 ans. ;

- les pétroliers de la catégorie 2 - dits pétroliers MARPOL - offrent une meilleure protection contre les risques d'échouage et d'abordage. En accord avec la loi américaine de 1990 sur la pollution par les hydrocarbures (Oil Pollution Act), la Commission avait proposé 2010 comme délai ultime et une limite d'âge de 28 ans ;

- pour les petits pétroliers d'un port en lourd inférieur à 20 000/30 000 tonnes (catégorie 3), qui sont souvent exploités dans le trafic régional, les règles fixées par le règlement n° 417/2002 ne diffèrent que légèrement de celles de la proposition « Erika I » initiale. Il est cependant proposé que pour ces bateaux la limite d'âge ne doive en aucun cas dépasser 28 ans, tout comme pour la catégorie 2.

Les incidences économiques de l'application de ce règlement ont été analysées par la Commission européenne.

La Commission est consciente du fait que l'abandon progressif des pétroliers à simple coque au profit de pétroliers à double coque aura un impact sur le prix des produits pétroliers. Une étude sur la législation américaine Oil Pollution Act publiée en 1998 par le Conseil national de la recherche des Etats-Unis a conclu que l'impact de cette mesure sur le coût des produits pétroliers pouvait être estimé à environ 10 cents par baril, ou un dixième du coût du transport, qui lui-même ne représente que de 5 à 10 % du coût total du produit. L'impact final sur le prix des produits pétroliers à la livraison sera donc inférieur à 1 %. Comparé au coût nécessaire pour réparer les conséquences d'une pollution pétrolière majeure provoquée par un accident tel que celui de l'Erika ou du Prestige, la Commission estime que ce coût additionnel est supportable si, par une telle mesure, on peut éviter que de telles catastrophes ne se reproduisent dans les eaux européennes. Il s'agit selon la Commission d'un prix raisonnable à payer pour parvenir à une réduction du risque de pollution.

Elle rejette aussi l'argument présenté par certains professionnels qui ont souligné que le retrait accéléré des pétroliers à simple coque risquait de conduire à une pénurie de moyens de transport maritime.

2. Sécuriser le transport maritime des fuels lourds

Constatant que les deux grandes marées noires de ces dernières années, celle de l'Erika et du Prestige, avaient été provoquées par du fuel lourd, les autorités européennes ont décidé de prendre des mesures spécifiques pour ce type d'hydrocarbures.

En effet, le développement du transport maritime des fuels lourds, particulièrement polluants en cas d'avarie, ne résulte pas du hasard mais s'explique par l'évolution des normes antipollution dans les pays européens et par l'intégration dans le commerce mondial du secteur des hydrocarbures de la Fédération de Russie. Comme le souligne M. Francis Vallat, président de l'Institut français de la mer, dans un récent article de la Revue maritime : « Jusqu'en 1995, les accidents de pétroliers transportant du fuel lourd sont très rares. Et pour cause, les raffineries vendent sur place leurs produits à des électriciens locaux. La vague écologiste en Europe du nord conduit à interdire de brûler ce combustible dans les centrales de la zone. Il générait dans les conditions de production des fumées non lavées des années 80 trop d'acides sulfurique et nitrique (d'où les pluies acides). Dorénavant les raffineries de cette zone produisent - malgré la progression des techniques de raffinage vers la conversion profonde - des fuels lourds en excédent pour le marché local. Ils sont exportés à bas prix à des électriciens éloignés par voie maritime ».

Il convient en outre de préciser que les raffineries de l'Europe centrale, et celles de la Fédération de Russie, n'ayant pas modernisé leur équipement produisent une proportion de fuel lourd qui atteint en moyenne 30 % de leur production totale alors que les raffineries de l'Union européenne utilisent des technologies plus avancées pour traiter les hydrocarbures et ne produisent en moyenne que 16 % de fuel lourd.

L'Union européenne a donc décidé de proposer au Conseil et au Parlement, dans ce projet de règlement, d'interdire le transport des produits pétroliers les plus lourds dans les pétroliers à simple coque à destination ou au départ des ports d'un Etat membre de l'Union européenne.

Le fioul lourd est un des types de pétrole les plus polluants. Compte tenu de sa valeur commerciale relativement limitée et du fait qu'il présente un risque d'incendie ou d'explosion moindre, il est fréquemment transporté dans des navires plus anciens qui arrivent en fin de vie, et qui présentent les risques les plus élevés sur le plan de la sécurité.

Les catégories de pétrole lourd retenues sont le fioul lourd, le brut lourd, les huiles usagées ainsi que le bitume et le goudron. Lorsqu'ils se répandent dans la mer, les pétroles lourds se comportent autrement que les produits pétroliers légers. Leur faible volatilité et leur grande viscosité (résistance à l'écoulement) font que les pétroles lourds s'évaporent plus lentement que les huiles plus légères et qu'ils se dispersent difficilement. De ce fait, ces huiles lourdes tendent à se maintenir en nappes, ne se dégradent que très lentement, et peuvent causer des dommages écologiques très importants aux écosystèmes des milieux marins et côtiers.

VOLUME DES IMPORTATIONS ET EXPORTATIONS ANNUELLES
DE PRODUITS PÉTROLIERS

(extra-UE et intra-UE) par la voie maritime, total UE

(en millions de tonnes)

Produits

Importation

Exportation

Fioul lourd

35,7

28,2

Brut lourd*

70,0

0

Bitume et goudron

0,18

0,55

Huiles usagées

0

0

Total des transports de produits pétroliers au

départ ou à destination des ports de l'UE

env. 800,0

Source: Eurostat (COMEXT)

*Estimation : En 2001, le brut lourd représentait approximativement l5% de tout le pétrole brut importé dans l'Union européenne.

D'après les indications données par l'industrie, la capacité des pétroliers à double coque est dès à présent suffisante pour garantir que la présente proposition ne risque aucunement de perturber la sécurité des approvisionnements.

Votre rapporteur insiste sur la nécessité de compléter ce projet qui ne concerne que les navires faisant escale dans les ports de l'Union ou battant pavillon d'un des Etats membre pour parvenir à adopter des mesures similaires avec les pays limitrophes de l'Union européenne qui exportent de grandes quantités de fuels lourds et tout particulièrement la Fédération de Russie.

Dans sa communication « sur le renforcement de la sécurité maritime suite au naufrage du pétrolier Prestige », la Commission insiste d'ailleurs auprès du Conseil pour qu'il lui accorde sans tarder un mandat de négociation pour faire en sorte que les pays candidats à l'adhésion ainsi que les pays voisins concernés par le transport de fioul lourd dans les eaux de l'Union appliquent les mêmes principes dans le cadre d'accords qui devront être conclus entre Etats dans les structures de coopération existantes comme le mémorandum d'entente de Paris sur le contrôle de l'Etat du Port et Euro-Med.

Certains Etats membres ont déjà appliqué cette décision. Ainsi, l'Espagne a-t-elle été le premier pays à proposer l'interdiction d'accès à ses ports des navires à simple coque transportant des fiouls lourds et des goudrons. L'Italie a également pris la même mesure, par un décret qui a été publié le 23 février 2003. Enfin, en ce qui concerne la France, c'est le décret visant à transposer la directive du 27 novembre 2000 relative aux installations portuaires de réception des déchets qui contiendra des dispositions analogues.

Ce projet de règlement ne fait pas l'unanimité.

Certains professionnels ont souligné que certains navires à simple coque, bien entretenus, ne présentaient pas de risques particuliers alors que le calendrier d'élimination systématique conduira à détruire des navires encore utiles, l'application d'un calendrier de retrait systématique des navires à compter d'une certaine ancienneté risquant d'inciter les armateurs peu scrupuleux à ne plus entretenir leur navire deux ou trois ans avant la date de retrait obligatoire, ce qui n'aurait pas été le cas si un mécanisme de contrôle approfondi avait été mis en place pour déterminer si, au-delà d'une certaine ancienneté, un navire pouvait continuer à naviguer avec tel ou tel type de cargaison.

Il est aussi reproché à la Commission européenne d'avoir une trop grande confiance dans le système de la double coque, alors que les praticiens soulignent que des risques spécifiques apparaîtront, notamment pour la surveillance de la deuxième coque qui sera sujette à des problèmes de corrosion. Certains professionnels constructeurs de navires ou anciens officiers ont ainsi fait valoir qu'hormis l'avantage de conduire au renouvellement de la flotte, cette technique ne possède pas toutes les vertus qu'on lui prête. Car, d'une part, elle ne protège le navire d'un risque de pollution que lorsque la vitesse de collision est peu élevée. D'autre part, elle accroîtrait les risques d'explosion et d'incendie. Enfin, l'étroitesse du ballast - soit deux mètres - entre les deux coques, espace rempli de tirants et de renforts de structure, empêche les inspections de la coque.

C'est pourquoi, votre rapporteur souscrit tout à fait aux demandes formulées par la résolution de la Délégation pour l'Union européenne lorsqu'elle précise que le projet de règlement doit être amendé pour imposer des mesures spécifiques de prévention des risques pour les navires à double coque tels que des détecteurs de gaz pour prévenir les risques d'explosion.

A moyen terme, votre rapporteur estime également nécessaire de revoir les normes d'inspection périodique des navires pour tenir compte de l'usure prématurée de certaines parties des navires à double coque qui devront faire l'objet d'un examen attentif. Les professionnels ne possèdent pas encore l'antériorité nécessaire pour confirmer ou infirmer les craintes émises au sujet des doubles coques selon lesquelles ces navires demanderaient un entretien plus régulier et seraient plus fragiles que les navires à simple coque.

Votre rapporteur souscrit également à la demande émise par la résolution d'étendre le champ d'application de ce futur règlement à tout navire transportant des matières dangereuses même si cette extension du champ d'application ne pourra se faire dans l'immédiat compte tenu de la diversité des produits dangereux et des spécificités de leur mode de transport.

Il convient en effet de rappeler que la convention SOLAS (convention relative à la sécurité de la vie humaine en mer) recense dans son chapitre VII plus de 5 000 substances dangereuses réparties en quatre groupes, en se basant sur deux critères : le mode d'expédition (vrac ou colis) et l'état physique des marchandises (liquide, solide, gazeux).

De plus, la distinction entre matières dangereuses et matières polluantes est relative. On s'aperçoit que la qualification d'une même marchandise en produit polluant peut varier en fonction de son mode de transport.

L'inclusion du transport des produits chimiques dans ce projet de règlement posera aussi un problème spécifique de définition des produits considérés comme dangereux car les Etats membres de l'Union européenne n'ont pas tous adhérés à la convention HNS (3) alors que la réglementation européenne a pu faire référence à la classification des produits prévue par la convention SOLAS ou la convention MARPOL alors qu'elle ne pourra pas se référer à la méthodologie de la convention HNS.

B.- LE CONTRÔLE DE L'ÉTAT D'ENTRETIEN DES NAVIRES

1. Des contrôles efficaces et approfondis

Plusieurs types de contrôles existent pour s'assurer de l'entretien régulier des navires mais il s'avère que seule une collaboration efficace entre les services des affaires maritimes des Etats côtiers chargés des inspections lors des escales commerciales, les sociétés de classification qui procèdent à la vérification de l'état des navires pour le compte des armateurs et les services maritimes de l'Etat du pavillon peut conduire à une prise en compte globale des problèmes d'entretien des navires.

La principale difficulté actuelle est d'obtenir l'historique des réparations d'un navire et spécialement si celui-ci est rattaché à un pavillon de complaisance. En effet, le droit de la mer prévoit que « les navires naviguent sous le pavillon d'un seul Etat et se trouvent soumis à sa juridiction exclusive en haute mer ».

La loi du pavillon est l'expression de la souveraineté d'un Etat sur un navire mais elle implique également des obligations de cet Etat vis-à-vis des navires immatriculés sous son pavillon. Seul l'Etat du pavillon est garant du respect par ses navires des obligations de l'OMI et de l'OIT.

De nombreux pavillons de complaisance choisissent de déléguer leur pouvoir de contrôle à des sociétés de classification qui jouent alors le rôle de certificateur du respect des normes OMI par les navires du pavillon vis-à-vis des tiers.

Les sociétés de classification ont donc un rôle essentiel dans le contrôle des normes de sécurité et d'entretien des navires.

Les récents accidents de l'Erika et les premiers éléments de l'enquête technique relative au Prestige soulignent l'importance de contrôler l'état de structure du navire en raison des multiples réparations qui ont été faites sur ces anciens navires.

Or, il s'avère que la vérification des structures ne peut se faire correctement lors des visites annuelles ou lors des contrôles par l'Etat du port, car lors de leur exploitation il est impossible de procéder à des sondages dans les citernes des pétroliers ou de descendre à l'intérieur des citernes à ballast pour vérifier l'état de leur corrosion.

C'est pourquoi, il est apparu nécessaire à la délégation pour l'Union européenne de compléter les procédures de contrôle exercées sur les navires entrant dans la zone économique exclusive (ZEE) d'un Etat membre ou dans un port européen en prévoyant que le bateau doive fournir un certificat européen de conformité de structure délivré par un Etat membre et sous sa responsabilité. Ce document sera opposable aux Etats durant sa période de validité.

Cette demande vise à contrecarrer certaines sociétés de classification qui avaient tendance à être assez laxistes lors des contrôles approfondis portant vérification de l'état des structures, lorsque le navire en question relevait d'un pavillon de complaisance.

Votre rapporteur salue d'ailleurs le travail des instances communautaires pour contrôler les sociétés de classification.

Seules les sociétés de classification agréées au niveau communautaire sur la base de la directive 94/57/CE peuvent exercer leur activité pour le compte des Etats membres de l'Union européenne. Ces organismes doivent respecter des critères rigoureux de qualité établis par la directive, et qui ont encore été renforcés à la suite du naufrage de l'Erika. Les services de la Commission surveillent plus étroitement les sociétés de classification agréées afin de vérifier constamment qu'elles respectent les critères imposés.

A ce propos, il a été signalé à plusieurs reprises aux sociétés de classification que pour conserver leur agrément au niveau communautaire, elles devraient continuer d'obtenir de bons résultats en matière de sécurité et de prévention de la pollution pour tous leurs navires, quel que soit leur pavillon et la région du monde dans laquelle ils naviguent. Les services de la Commission ont indiqué clairement qu'ils appliqueraient rigoureusement les nouvelles dispositions de la directive et qu'ils n'hésiteraient pas à entreprendre une procédure en vue du retrait provisoire ou permanent de l'agrément de l'Union européenne pour les organismes qui ne fourniraient pas suffisamment de garanties en matière de sécurité.

Enfin, il conviendrait de se pencher sur la pratique des sociétés de classification qui consiste à délivrer des certificats de navigabilité pour un navire, à la fois dans le cadre de relations commerciales, au nom de l'armateur, et d'autre part, par délégation, au nom de l'Etat du pavillon censé contrôler ce navire. La société de classification peut ainsi apparaître comme juge et partie. Une telle initiative devrait en premier lieu avoir pour objectif d'examiner avec les sociétés de classification déjà agréées au niveau communautaire, les possibilités de modifier ces pratiques dans le sens d'une plus grande séparation entre ces différents contrôles.

2. Les contrôles de l'Etat du Port

Il convient de souligner les progrès effectués pour améliorer les contrôles sur les navires faisant escale dans un port européen. La directive modifiée 95/21/CE sur le contrôle de l'Etat du port a mis en place un contrôle renforcé par un meilleur ciblage des navires à risques. L'inspection doit être systématique pour les navires dont le coefficient de ciblage est supérieur à 50, ce coefficient étant déterminé par la conjonction de plusieurs facteurs (âge, historique des contrôles, structure du navire, marchandises transportées...).

Lors de sa dernière communication la Commission européenne a cependant attiré l'attention des Etats membres sur les grandes différences constatées dans la pratique des contrôles, certains Etats membres n'étant pas encore en mesure de respecter l'objectif quantitatif de contrôle fixé à 25 % par le Mémorandum de Paris. De plus, il s'avère que la méthodologie des contrôles est très hétérogène, certains ports se contentant de procéder à une vérification de la documentation de bord obligatoire, décrivant les opérations de maintenance effectuées sans procéder à un examen direct de l'état d'entretien du navire.

C.- L'IMPORTANCE DU FACTEUR HUMAIN DANS UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION DES RISQUES DU TRANSPORT MARITIME

Il est généralement admis que 80 % des événements de mer (simple avarie ou accident beaucoup plus grave) ont pour origine la défaillance d'un ou plusieurs membres d'équipage.

L'importance du facteur humain dans les accidents maritimes est aujourd'hui largement mise en évidence par le bureau enquête accident BEA Mer, les assureurs et les autorités portuaires.

Le mode de recrutement des équipages est préoccupant en termes de sécurité. En effet, le recours systématique par les armateurs à des sociétés spécialisées dans la fourniture de marins « les manning operators » conduit à la constitution d'équipages hétérogènes et dont le niveau de formation, notamment pour les postes d'exécution, laisse souvent à désirer.

De plus, les difficultés de communication, dues à l'hétérogénéité linguistique des équipages, constituent un facteur de risque supplémentaire en situation de crise lorsqu'il faut procéder à des manœuvres délicates.

Le manque de stabilité des personnels sur un navire conduit aussi à une moindre qualité de la maintenance des navires, les marins ne considérant plus le bateau comme « leur outil » et ne percevant pas l'intérêt de bien l'entretenir dès lors qu'ils ne travaillent que quelques mois à bord.

Au plan international, il convient de rappeler que la convention sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille dite convention STCW, adoptée en 1978 et profondément modifiée en 1995, établit des minima internationaux de formation pour les équipages.

Depuis 1997, un sous-comité de l'OMI chargé de vérifier son application par les Etats de pavillon, a pour fonction de vérifier les méthodes de formation et de délivrance des brevets d'aptitude professionnelle par les Etats partie à la convention.

C'est la seule convention dont l'OMI contrôle l'application, ce qui limite les abus les plus criants, certains Etats pouvant voir l'habilitation donnée à leurs marins nationaux non reconnue au plan international.

De gros progrès restent cependant à faire dans ce domaine.

Le 13 janvier 2003, la Commission a présenté un projet de modification de la directive 2001/25/CE relative au niveau minimal de formation des gens de mer afin de mieux contrôler la qualification professionnelle des gens de mer formés par des pays tiers à l'Union européenne (4).

La nouvelle procédure proposée est basée sur la reconnaissance d'un pays tiers après évaluation des systèmes de formation et de délivrance des brevets aux gens de mer plutôt que sur la reconnaissance d'un brevet individuel pour l'embauche d'une personne spécifique. Selon la procédure proposée, ce sera l'Agence européenne pour la sécurité maritime qui instruira les demandes introduites par les Etats membres qui veulent recourir à des marins formés par des pays tiers. Après cette évaluation, la décision de reconnaissance de la validité de la qualification professionnelle délivrée par tel Etat tiers sera prise par la Commission et sera opposable à l'ensemble des Etats membres, chaque autorisation étant délivrée pour cinq ans.

L'Agence européenne pour la sécurité maritime sera aussi chargée du suivi des habilitations communautaires accordées à tel ou tel Etat tiers pour vérifier le maintien de la qualité professionnelle dispensée par ces Etats.

Votre rapporteur tient à saluer cette initiative européenne car elle permettra de mieux garantir la bonne formation des équipages, facteur essentiel pour la sécurité du transport maritime.

D.- DES LIEUX OU DES PORTS REFUGE POUR L'ACCUEIL DES NAVIRES EN DÉTRESSE

Le récent naufrage du Prestige a démontré l'importance de disposer, au plan européen, de zones refuge spécialement aménagées pour l'accueil des navires en difficulté. En effet, le Prestige a dérivé pendant plusieurs jours après avoir subi une grave avarie de coque parce qu'il n'existait pas de plan préalable de sauvetage permettant de remorquer ce navire vers un port ou une zone préalablement définie. Les premiers éléments de l'enquête technique après accident permettent de penser que le port espagnol de Vigo, situé à proximité du lieu de l'avarie, n'aurait pu accueillir efficacement le Prestige car aucune méthodologie préalable d'organisation du remorquage et de préparation du port n'existaient.

C'est pourquoi la Commission européenne a demandé une application anticipée de la directive 2002/59/CE relative à la mise en place d'un système communautaire de suivi de trafic des navires et d'information qui devait entrer en vigueur en février 2004.

Cette directive prévoit l'obligation pour les Etats membres d'établir des plans en vue d'accueillir des navires en détresse dans les eaux relevant de leur juridiction.

La Commission européenne souhaite parvenir pour la mi-2003 à ce que les Etats membres aient défini, de manière concertée, une méthodologie pour parvenir à mieux gérer les situations de crise risquant d'entraîner le naufrage d'un navire et une pollution marine.

Au-delà de la définition de zones ou de ports refuge, il convient de déterminer comment mettre en réseau les équipements mobiles disponibles tels que les remorqueurs et les prestataires de service susceptibles d'intervenir en urgence. Dans ce rôle de coordination des moyens, l'Agence européenne pour la sécurité maritime aura un rôle majeur à jouer.

De multiples problèmes ne sont pas encore résolus et des dissensions sont déjà apparues au sein des Etats membres sur le point de savoir si ces lieux refuge devaient être rendus publics ou si seules les autorités maritimes respectives devaient en avoir connaissance.

Au plan juridique, la question la plus délicate à résoudre semble être la définition des responsabilités juridiques respectives lorsqu'un navire en difficulté, dérouté vers un port refuge, sur décision d'une autorité publique, occasionne de graves dégâts à l'environnement à proximité de ce port refuge.

Les armateurs français ont attiré l'attention sur cette difficulté soulignant que « le commandant est juridiquement responsable de la conduite du navire et selon les conventions internationales les obligations d'indemnisation sont donc à la charge de l'armateur. Si la gestion nautique d'une catastrophe, en particulier la décision de dérouter un navire vers un port refuge, est prise par une autorité publique et non par le commandant, il faut en tirer les conséquences en terme de responsabilité. » (Journal de la marine marchande du 28/02/2003).

Au plan national, il convient de préciser que M. Dominique Bussereau, Secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, auprès du ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, a chargé une mission interministérielle de lui faire des propositions pour la définition d'une méthodologie pour l'organisation de ces plans de secours pour les navires en détresse.

Votre rapporteur estime lui aussi très important que la définition de ces lieux refuge soit établie de manière coordonnée par les Etats membres, chaque Etat devant rester maître de ses décisions d'accueillir ou non un navire en perdition mais chaque Etat membre ayant intérêt à une mise en commun des capacités d'expertise et des matériels nécessaires à la gestion des situations de crise.

III. - AMÉLIORER L'INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DES POLLUTIONS PAR LES HYDROCARBURES

A.- LE RÉGIME ACTUEL DE RESPONSABILITÉ CIVILE DES ARMATEURS EST UNE INCITATION À RECOURIR À DES NAVIRES SOUS-NORMES

Votre rapporteur reprendra ici l'excellente analyse faite par MM. Quentin et Lengagne, rapporteurs pour la délégation pour l'Union européenne.

Au titre du paquet Erika II, la Commission a présenté, en décembre 2000, une proposition de règlement relative à la mise en place d'un fonds d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.

Ce texte a pour objet de porter remède à certaines lacunes que recèle le régime international d'indemnisation de ces dommages.

Ce dernier repose sur deux mécanismes. Le premier est celui de la convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1969 dite CLC, modifiée par un protocole de 1992.

La responsabilité du propriétaire est objective et n'est dès lors pas conditionnée par une faute ou une négligence de sa part. Le propriétaire est en principe autorisé à limiter sa responsabilité à un montant en rapport avec le tonnage du navire. Ce montant s'élève à 90 millions d'euros maximum pour les plus gros navires et, dans le cas de l'Erika, à seulement 13 millions d'euros environ. Le propriétaire du navire ne perd son droit de limiter sa responsabilité que s'il est établi que le dommage par pollution « résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l'intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ». La convention CLC exige également des propriétaires qu'ils souscrivent une assurance en responsabilité et accorde aux requérants le droit d'intenter une action directe contre l'assureur dans les limites de la responsabilité du propriétaire.

Le régime CLC est complété par le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL) institué par la convention Fipol de 1971, afin d'indemniser les victimes lorsque la responsabilité du propriétaire ne suffit pas à couvrir les dommages. Il est possible d'y recourir dans trois cas : lorsque les dommages dépassent la responsabilité maximale du propriétaire (c'est le cas le plus fréquent) ; lorsque le propriétaire peut invoquer à sa décharge l'un des motifs prévus dans la convention CLC ; et lorsque le propriétaire (et son assureur) est dans l'impossibilité matérielle de remplir ses obligations. Le montant maximal de l'indemnisation autorisée par le Fipol s'élève à environ 200 millions d'euros. Le Fipol est financé par les contributions des entreprises ou autres entités recevant des hydrocarbures transportés par mer. En cas de déversement d'hydrocarbures, par conséquent, toutes les entités recevant des hydrocarbures établies dans les Etats parties à la convention Fipol contribuent à l'indemnisation et aux dépenses administratives supportées par le Fonds, indépendamment de l'endroit où la pollution s'est produite. Le Fipol ne verse aucune indemnisation si la pollution résulte d'un acte de guerre ou a été causée par un navire de guerre. Il faut également qu'il soit prouvé que les hydrocarbures proviennent d'un pétrolier.

Les protocoles aux deux conventions sont entrés en vigueur en 1996.

Les Etats-Unis , qui ont leur propre régime d'indemnisation - celui établi par l'Oil Pollution Act de 1990 - ne participent pas à ce régime international de responsabilité et d'indemnisation. Ce dernier suscite trois séries de critiques, touchant respectivement à la longueur des délais d'indemnisation, l'insuffisance des plafonds d'indemnisation et à son champ d'application restrictif.

S'agissant de la longueur des délais d'indemnisation, il est clair qu'une simplification de l'instruction des demandes d'indemnisation devrait être entreprise.

Concernant les victimes de l'Erika, le Secrétaire général du Fipol a fait savoir que 75 % environ des demandes d'indemnisation sont aujourd'hui réglées, 10 % des demandes ayant été rejetées pour cause d'irrecevabilité.

Pour ce qui est de l'insuffisance des plafonds d'indemnisation, il est clair qu'en ayant été fixés - au début des années 80 - à environ 200 millions d'euros, ils ne permettent pas de couvrir toutes les catastrophes, qu'il s'agisse de celle de l'Erika ou du Prestige - puisque le montant des dommages a été estimé respectivement à 300 millions et à un milliard d'euros. En tout état de cause, ce plafond est très nettement inférieur à celui prévu par l'Oil Spill Liability Fund établi par la législation américaine, lequel est fixé à un milliard de dollars.

C'est pourquoi la Commission critique, à juste titre, le projet - qui sera examiné lors d'une conférence diplomatique au mois de mai prochain - de relever de 50 % le plafond actuel, qui atteindrait alors environ 300 millions d'euros.

Enfin, le système international souffre du caractère restrictif de son champ d'application, ce qui, là encore, le fait apparaître comme moins efficace que la législation américaine. A la différence de cette dernière, il ne permettrait pas d'appliquer le principe pollueur-payeur de façon satisfaisante.

En effet, la responsabilité du propriétaire, qui est la seule à pouvoir être mise en cause en cas de pollution, est fixée en fonction du tonnage du navire, c'est-à-dire à un niveau qui peut être inférieur au montant des dommages. Il en va autrement aux Etats-Unis où la législation instaure une responsabilité illimitée du propriétaire. Dans les faits, si celle-ci est limitée par le jeu du montant que les assureurs acceptent de garantir, elle l'est néanmoins à un niveau très élevé qui atteint un milliard de dollars.

En second lieu, l'encadrement de la responsabilité prévue par la convention CLC va si loin qu'elle interdit expressément d'adresser des demandes à d'autres acteurs (dont les exploitants, les gérants et les affréteurs), qui peuvent fort bien exercer sur le transport une influence aussi grande que le propriétaire du navire. C'est pourquoi la Commission préconise l'abrogation de ces dispositions restrictives.

Quant aux dommages couverts, ils se limitent essentiellement aux dommages et aux pertes matérielles et économiques. Pour ce qui est des dommages environnementaux, le régime couvre les mesures préventives, dont les coûts de dépollution et les « mesures raisonnables de remise en état qui ont été effectivement prises ou qui le seront ». Les pertes causées à l'environnement en tant que tel ne font l'objet d'aucune indemnisation, à la différence de ce qui prévaut dans la législation américaine.

B.- RÉFORMER LE RÉGIME DE RESPONSABILITÉ EN INCITANT TOUS LES ACTEURS DU TRANSPORT MARITIME À RECOURIR À UNE FLOTTE DE QUALITÉ

Ce sont ces diverses lacunes qui ont amené la Commission à annoncer - dans l'exposé des motifs du projet de règlement - qu'elle soumettrait à l'OMI ou, le cas échéant, au Fipol, une demande destinée à modifier la convention sur la responsabilité sur trois points repris par le dernier considérant de la proposition de règlement :

- l'instauration d'une responsabilité illimitée du propriétaire, s'il est établi que les dommages causés par la pollution résultent d'une négligence grave de sa part ;

- l'abrogation de la disposition interdisant des demandes d'indemnisation à l'encontre de l'affréteur, du gérant et de l'exploitant des navires ;

- le réexamen du régime de l'indemnisation pour les dommages causés à l'environnement.

Les dispositions du projet de règlement destinées à régler, au plan communautaire, la question de l'insuffisance des limites existantes, prévoient d'abord la création d'un fonds d'indemnisation complémentaire en Europe - appelé fonds Cope - dont le plafond - fixé à un milliard d'euros - sera identique à celui prévu par la législation américaine. Ce fonds aura ainsi pour vocation d'indemniser les victimes des marées noires survenues dans les eaux européennes, dont les demandes sont recevables au titre du régime international, mais dépassent les limites du Fipol.

Il convient de souligner que même si la création du fonds Cope constitue un progrès il n'en demeure pas moins qu'il repose sur les mêmes principes et règles que le Fipol puisqu'il ne sera qu'un fonds complémentaire.

Par ailleurs, la question de l'amélioration de l'indemnisation des pollutions constitue un point de divergence très sensible entre les Etats membres. Le Conseil des chefs d'Etat ne s'est toujours pas prononcé sur cette question alors que le Parlement européen a pris position sur le projet Cope dès le 14 juin 2001.

Votre rapporteur soutient pleinement les termes de la résolution qui demande de responsabiliser tous les acteurs de la chaîne du transport maritime notamment les affréteurs qui tirent profit d'un transport maritime peu onéreux.

Votre rapporteur émet le vœu que les instances communautaires étudient la faisabilité d'une modification du régime actuel de responsabilité pour relever substantiellement le plafond de responsabilité et prévoir une obligation d'assurance aussi bien à la charge de l'armateur que de l'affréteur pour couvrir les dommages en cas d'accident entraînant des pollutions maritimes.

Ce relèvement substantiel des plafonds de responsabilité conduirait à un assainissement rapide de la flotte marchande.

En effet, les assureurs contraints de couvrir les préjudices seront les premiers à imposer des contrôles très rigoureux sur les navires qu'ils devront assurer. Le contrôle des navires à risques ne dépendra donc plus de la seule détermination (plus ou moins marquée) des administrations des Etats membres, elle sera directement stimulée par les opérateurs privés soucieux de gérer, en bonne intelligence, la couverture du risque...

Votre rapporteur est conscient des difficultés de mettre en œuvre une telle réforme car celle-ci a peu de chances d'aboutir dans le cadre de l'OMI, les principales puissances maritimes ne souhaitant pas la refonte des conventions CLC et Fipol. En cas d'échec de la prochaine convention diplomatique de l'OMI, les Etats membres devront néanmoins envisager d'adopter unilatéralement de nouvelles règles en matière d'indemnisation des dommages causés par les hydrocarbures.

IV.- RENFORCER LES SANCTIONS EN CAS DE POLLUTION

A.- DES SANCTIONS PÉNALES POUR LES ATTEINTES À L'ENVIRONNEMENT

La Commission vient de publier le 5 mars 2003 une proposition de directive relative à la pollution causée par les navires et à l'introduction de sanctions notamment pénales en cas d'infraction de pollution.

Cette proposition fait suite à la demande exprimée par les chefs d'Etat européens lors du sommet de Copenhague du 13 décembre 2002 de prendre de nouvelles mesures spécifiques pour sanctionner « les voyous des mers » mais elle répond aussi à une préoccupation beaucoup plus ancienne qui est celle de sanctionner les rejets intentionnels d'hydrocarbures en mer communément appelés « dégazages ». Ces rejets représentant une source très importante de pollution des milieux maritimes contre lesquels il est très difficile de lutter en raison de leur dispersion. La Commission a donc présenté une directive qui traite spécifiquement des sanctions à infliger en cas d'infractions à l'origine de pollution causée par des navires.

Cette directive a d'abord pour objet d'introduire dans le droit communautaire les règles définies par le Convention Marpol 73/78, relative aux rejets de déchets et de résidus d'hydrocarbures à la mer, avec des exigences plus sévères pour « les zones spéciales » comme par exemple la mer Baltique, la mer Méditerranée, la Manche et la région de la mer du Nord.

La directive établit que les infractions en matière de rejets sont des infractions pénales et elle fournit des indications sur le caractère dissuasif des sanctions à infliger. La Communauté ne disposant pas d'une compétence matérielle dans le domaine pénal, ce projet de directive ne pouvait prévoir une échelle de sanctions uniforme pour l'ensemble des Etats membres.

La Commission a insisté sur le fait que les personnes morales devaient pouvoir être reconnues responsables de pollution afin que des sanctions leur soient appliquées dans toute la Communauté.

Le projet de texte prévoit par ailleurs que les sanctions pénales doivent être indépendantes des responsabilités civiles des personnes impliquées et qu'elles ne doivent pas être assurables.

B.- UNE VOLONTÉ DE RÉPRESSION QUI S'ÉTEND À LA ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE ET À LA HAUTE MER MAIS QUI RISQUE DE SE HEURTER À DES DIFFICULTÉS DE PREUVE

La partie du projet de directive relative aux hydrocarbures comprend des dispositions nouvelles importantes car elle s'appliquera aussi aux infractions réalisées en haute mer.

Ce projet de directive s'inscrit dans la continuité de la politique de la Commission européenne qui souhaite renforcer les prérogatives des états côtiers pour la lutte contre la pollution. En indiquant clairement que cette directive s'applique en haute mer, la Commission marque sa volonté très nette de se démarquer d'une lecture « libérale » du droit de la mer.

L'adoption de cette directive ne suffira pas à renforcer la lutte contre les pollutions marines, car il reviendra à chaque Etat membre de définir une échelle de sanctions mais surtout de fixer les modalités de preuve qui pourront être acceptées par les autorités judiciaires.

La réussite de cette législation de répression des atteintes à l'environnement supposera, de plus des actions coordonnées entre Etats membres pour que les différentes autorités de police puissent contribuer à la surveillance des opérations de dégazage-déballastage alors qu'il n'existe pas en matière de pollution de « droit de suite » qui permet à une autorité de police d'arrêter un contrevenant sur le territoire maritime d'un autre Etat.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 19 mars 2003, la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire a examiné, sur le rapport de M. Jean-Marc Lefranc, la proposition de résolution de MM. Guy Lengagne et Didier Quentin (n° 645) sur la sécurité maritime en Europe (COM [2002] 780 final / E2186, COM [2003] 001 final / E2201, puis a procédé à l'examen de cette proposition.

M. Jean Marc Lefranc, rapporteur, après avoir rappelé quelques dates clé sur la politique commune de sécurité maritime, a commenté les principales dispositions de cette résolution.

Expliquant que cette résolution portait d'abord sur les mesures susceptibles de prévenir les avaries maritimes et les pollutions massives, il a noté que l'obligation de recourir aux pétroliers à double coque n'était pas en tant que telle « la solution miracle » pour promouvoir un transport maritime plus sûr, le principal avantage de cette mesure étant d'accélérer le renouvellement des flottes.

Il a souligné que des mesures complémentaires devaient être prévues comme l'extension de cette obligation pour le transport de matières dangereuses même s'il a reconnu que cette obligation serait difficile à mettre en œuvre en l'absence de document juridique de référence définissant ce que sont les matières dangereuses ou polluantes et en raison du faible nombre d'Etats ayant adhéré à la Convention HNS de 1996, relative à l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses.

Abordant le point 3 relatif au contrôle des qualifications des marins, il a expliqué que la Commission européenne avait élaboré une proposition de directive pour contrôler plus efficacement le niveau de qualification de certains diplômes délivrés par les Etats tiers à l'Union, la Commission devant délivrer un agrément, opposable à tous les Etats membres, certifiant la qualité du diplôme délivré après une instruction menée par l'agence européenne de sécurité maritime.

Il a ensuite présenté le point 4 faisant obligation aux navires de disposer d'un plan de crise pour faire face aux pollutions qu'ils pourraient provoquer.Il a expliqué que la délégation pour l'Union Européenne s'était inspirée de la législation américaine dite « Oil pollution act » concernant le traitement des sinistres. Cette législation impose aux navires qui vont faire escale aux Etats-unis de faire connaître aux gardes-côtes un plan de réponse si leur arrivée au port provoquait une pollution suite à une avarie. L'armateur doit ainsi indiquer comment il entend fournir des moyens de dépollution soit par ses propres moyens soit par un contrat en cours avec des prestataires spécialisés et capable d'intervenir rapidement sur site.

Le rapporteur a indiqué que la formulation de ce paragraphe lui paraissait trop imprécise et qu'une étude préalable devait être menée pour apprécier si cette mesure pouvait être transposable à l'Union européenne. Il a en effet souligné que les caractéristiques du trafic maritime européen étaient très différentes de celles des Etats-Unis. Il a donc fait part de son intention de présenter un amendement tendant à supprimer cet alinéa.

De nombreux naufrages ayant révélé que les navires avaient été fragilisés par un mauvais entretien, le rapporteur a expliqué, en commentant le point 5, que la délégation souhaitait renforcer les contrôles sur l'état d'entretien des navires en imposant aux navires transitant dans la ZEE d'un Etat membre ou faisant escale dans un port européen, la détention d'un certificat européen de conformité de structure qui serait délivré par un organisme de classification agréé au niveau européen.

Abordant la question des lieux refuge pour accueillir les navires en détresse, il a expliqué que la Commission avait demandé à chaque Etat membre de fournir pour le mois de juillet prochain un plan d'urgence listant des ports ou des zones refuge. Il a souligné que rien ne pourrait être décidé avant d'avoir éclairci un certain nombre de points :

- la question du financement des investissements portuaires et du matériel de remorquage pour assister les navires en détresse ;

- en cas de sinistre, les responsabilités respectives de l'armateur obligé de dérouter son bateau, de l'autorité publique qui aura décidé du choix de telle zone refuge et de l'autorité portuaire qui organisera les opérations d'assistance ;

- l'opportunité de publier la liste de ces zones refuge.

Le rapporteur a aussi fait connaître son accord sur la création « de zones particulièrement vulnérables » qui, en raison d'un trafic intense, seraient des zones où la liberté de trafic ne serait plus la règle mais où au contraire, les autorités maritimes procèderaient à un guidage des navires similaire aux procédures du contrôle aérien.

Passant à la deuxième partie de la résolution qui traite du régime de responsabilité civile des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et des règles d'indemnisation, il a indiqué qu'il lui paraissait important d'obtenir que le fonds complémentaire du Fipol soit porté, lors de la prochaine conférence diplomatique de l'OMI en mai 2003, à un milliard d'euros pour parvenir à une meilleure indemnisation des dommages directs et indirects provoqués par les pollutions.

En cas d'échec de la conférence, il a estimé que les Etats membres devraient créer un fonds européen dénommé Cope, pour créer un troisième niveau d'indemnisation afin de prendre en charge des dommages qui ne peuvent être éligibles au mécanisme du Fipol.

Il a ensuite attiré l'attention des commissaires sur la deuxième demande de la Délégation qui est d'une toute autre portée car elle souhaite remettre en cause le système de plafonnement de responsabilité des armateurs prévu par la convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (convention dite CLC).

Afin d'inciter les affréteurs à recourir à une flotte de qualité, il a expliqué que la Délégation souhaitait rendre possible la mise en cause de la responsabilité des différents intermédiaires du transport maritime alors que sous le régime actuel seul l'armateur est considéré comme responsable. Il a conclu en indiquant que cette réforme paraissait très difficile à mettre en œuvre dans le cadre de l'OMI et supposerait alors que tous les Etats membres de l'Union européenne soient d'accord pour dénoncer leur adhésion aux Conventions Fipol et CLC pour créer un régime propre à l'Union européenne.

Abordant la partie sur les sanctions, il s'est félicité de l'initiative de la Commission qui a proposé une directive tendant à prévoir des infractions pénales en cas de non respect des règles posées par la Convention Marpol sur l'interdiction des rejets en mer d'hydrocarbures. En revanche, il a fait part de son désaccord avec la demande formulée par la délégation tendant à ce que les autorités françaises demandent qu'une réflexion soit engagée sur la notion de crime contre l'environnement.

Constatant qu'une législation nationale et communautaire était en voie d'être adoptée pour renforcer la répression des atteintes à l'environnement, il a indiqué qu'il proposerait la suppression de cette notion de crime contre l'environnement.

Il a enfin abordé la question de l'opportunité de créer un corps de gardes-côtes européens comme le propose la délégation en soulignant que cette demande lui paraissait tout à fait prématurée compte tenu de l'organisation actuelle de l'Union européenne car elle conduisait au transfert d'une compétence de police, en l'occurrence la police maritime, à l'Union européenne. Il a alors indiqué qu'il proposerait un amendement tendant à la création d'un corps français de gardes-côtes.

M. Jean-Sébastien Vialatte, intervenant au nom du groupe UMP, a indiqué que le renforcement des règles de sécurité applicables au transport maritime de matières dangereuses ou polluantes devenait urgent après le naufrage du Prestige intervenu le 19 novembre 2002, soit trois ans seulement après la catastrophe de l'Erika.

Ce renforcement s'annonce délicat, dans la mesure où la pollution marine ne se limite pas aux dégâts considérables causés par le naufrage de navires peu fiables, mais résulte également, notamment en Méditerranée, des dégazages et des déballastages sauvages. Cette seconde forme de pollution représente de 1,5 million de tonnes de rejets par an, soit 20 fois plus que la pollution du Prestige et 90 % des pollutions par hydrocarbures.

Il est donc urgent d'élaborer une politique européenne pour remédier aux nombreux dysfonctionnements du transport maritime des matières dangereuses, pour mettre en place un arsenal pénal contre les navires à l'origine des pollutions et répondre aux attentes de l'opinion publique.

Les mesures prises au sommet franco-espagnol de Malaga, telles que la limitation de l'accès à la zone des 200 milles pour les pétroliers de plus de 15 ans, le renforcement du contrôle des navires par l'Etat du port et la fixation d'objectifs à plus long terme en matière de sécurité maritime, montrent que la France est consciente de la nécessité de mettre en place une politique volontariste.

Il a indiqué que le groupe UMP était favorable à l'adoption de cette proposition de résolution sur la sécurité maritime en Europe, dans la mesure où celle-ci comportait des dispositions essentielles en matière de prévention, d'indemnisation, de sanction et de contrôle des pollutions maritimes :

- au titre de la prévention, la proposition de résolution préconise d'accélérer l'interdiction des navires à simple coque et d'étendre cette interdiction aux transports de toutes les matières dangereuses, ainsi que de mettre en place une procédure harmonisée de vérification de la qualification des marins des pays tiers. La détermination de lieux refuges pour les navires en difficulté est également essentielle, même s'il parait délicat de dévoiler ces lieux aux populations locales, et nécessaire de prévoir un financement adapté à destination des collectivités locales ;

- au titre de l'indemnisation, la proposition demande de porter à 1 milliard d'euros le fonds complémentaire du Fipol lors de la prochaine conférence diplomatique de l'Organisation maritime internationale (OMI). Pour mémoire, le FIPOL était abondé à hauteur de 180 millions de dollars, alors que les dommages liés à l'Erika ont été évalués à 300 millions de dollars et ceux du Prestige à 1 milliard de dollars. La proposition souhaite élargir l'indemnisation aux dommages indirects d'un naufrage, et le cercle des responsables aux armateurs, aux propriétaires et aux sociétés de classification ;

- au titre des sanctions, la proposition de résolution approuve le principe de sanctions pénales pour toutes les personnes responsables d'une pollution. A cet égard, M. Jean-Sébastien Vialatte s'est associé aux réserves émises par le rapporteur concernant la notion de crime contre l'environnement. Il a observé que cette notion était par ailleurs en contradiction avec la compétence attribuée au tribunal de grande instance de Marseille pour les infractions liées à la pollution maritime par le projet de loi sur la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République ;

- au titre du contrôle, le projet de résolution prend acte des efforts accomplis en France pour porter le taux de contrôle des navires à 25 %, et demande la modification de la directive européenne fixant les modalités d'agrément des sociétés de classification.

En tant qu'élu du littoral du Pas-de-Calais, zone particulièrement exposée aux risques de pollution, M. Léonce Deprez a indiqué qu'il approuvait la proposition de résolution, dans la mesure où celle-ci tendait à réduire la vulnérabilité des côtes françaises à la pollution maritime.

Il a indiqué que la collision survenue récemment entre deux navires au large de Dunkerque avait montré cependant que le risque d'un naufrage peut provenir d'une défaillance de pilotage et estimé qu'il conviendrait donc de modifier le titre III de la proposition afin d'instaurer le principe d'un double pilotage des navires.

M. Patrick Ollier a fait remarquer qu'il existait des systèmes d'alarme à bord des navires destinés précisément à pallier d'éventuelles défaillances humaines.

M. Daniel Paul s'est étonné que cette proposition de résolution soit discutée en commission avant que la commission d'enquête sur l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et l'évaluation de leur efficacité n'ait été en mesure d'achever ses travaux, soulignant que certaines des solutions préconisées par cette proposition de résolution pourraient être infirmées par les résultats de la commission d'enquête. Il a regretté également que le rapport sur la catastrophe du Prestige, fourni aux membres de la commission d'enquête, n'ait pas été examiné dans le cadre de cette proposition de résolution.

Observant que la commission d'enquête sur le naufrage de l'Erika avait montré que la France n'était pas défaillante en matière de contrôle des navires, mais que sa position géographique l'exposait particulièrement à la pollution maritime, il a jugé que la catastrophe du Prestige conduisait à s'interroger sur les moyens juridiques dont disposait la France pour prévenir une pollution provenant d'un naufrage intervenant au-delà de la zone des 200 milles ou dans les eaux territoriales étrangères, causée par un navire qui n'avait pas été contrôlé en France.

Il a donc estimé que la seule solution efficace consistait à éliminer les navires européens ne répondant pas aux normes techniques en vigueur par une action internationale et à refuser que des navires étrangers ne répondant à ces normes puissent venir dans les eaux européennes, notant qu'un navire à double coque dont l'entretien est défectueux était en effet plus dangereux qu'un navire à simple coque, en raison des risques d'explosion. Après avoir souligné qu'avec l'élargissement, l'Europe s'ouvrait à de nouveaux Etats tels que Malte, la Bulgarie ou la Roumanie, qui n'avaient pas commencé à appliquer le moindre contrôle, il a conclu son intervention en observant que la résolution était en décalage complet tant par rapport aux véritables enjeux de la sécurité maritime que par rapport aux travaux de la commission d'enquête en cours, ajoutant que le problème des équipages n'y était pas abordé.

Le président Patrick Ollier a rappelé que la proposition de résolution visait à préciser la position française en vue d'une décision communautaire, ce qui justifiait un débat indépendant de ceux qui pourront être menés dans le cadre de la commission d'enquête, en application de l'article 88-4 de la Constitution et de l'article 151-2 du Règlement.

M. Christophe Priou a indiqué que la résolution proposait certaines solutions sur lesquelles la commission d'enquête pourrait revenir, notamment s'agissant des problèmes liés à la double coque et aux gardes-côtes européens. Il a par ailleurs insisté sur le fait que la France devait transposer dans les meilleurs délais les mesures du « paquet » Erika I et Erika II.

M. Jacques Le Guen a souligné la nécessité de faire référence aux navires anti-pollution dans la proposition, dans la mesure où la prévention des naufrages ne suffit pas à écarter la possibilité d'un accident. Il a également souhaité que soient évoqués les moyens de renforcer l'attractivité du pavillon français, dans la mesure où la France ne peut influer sur l'élaboration des règles de la navigation mondiale en ne représentant que 0,4 % de la flotte marchande et 0,5 % du tonnage transporté par la mer.

En réponse à ces différentes questions, M. Jean-Marc Lefranc a apporté les précisions suivantes :

- le projet de loi sur l'adaptation des moyens de la Justice aux évolutions de la criminalité devrait contenir certaines dispositions sur la compétence des tribunaux en matière de pollution maritime, et permettre la prise en compte des dégazages sauvages dans le code de l'environnement;

- certains instruments techniques d'alerte permettent déjà de pallier la faillibilité des pilotes, même si cette assistance ne permet pas de prévenir tous les incidents ;

- la résolution a pour objectif de conforter la position française en vue du Conseil européen des transports prévu pour la fin du mois de mars, sans préjuger des résultats des travaux de la commission d'enquête ;

- la France doit effectivement transposer les mesures prévues à la suite de la catastrophe de l'Erika ;

- le texte d'une résolution n'est pas approprié pour comporter une mesure visant à renforcer l'attrait du pavillon français.

La Commission est ensuite passée à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution.

· Article unique

La Commission a adopté un amendement rédactionnel présenté par M. Jean-Marc Lefranc, rapporteur.

Elle a par ailleurs examiné un amendement présenté par M. Jean-Marc Lefranc, rapporteur, visant à supprimer la notion de crime contre l'environnement.

Le président Patrick Ollier est convenu du fait que la mention de la notion de crime contre l'environnement pouvait prêter à un amalgame non souhaitable avec celle de crime contre l'humanité.

M. Léonce Deprez ayant indiqué que le terme d'infraction était cependant trop faible et méritait d'être remplacé par la notion d'infraction grave, le président Patrick Ollier a répondu que cette modification pouvait laisser penser que certaines infractions mineures étaient autorisées.

La Commission a alors adopté l'amendement du rapporteur.

La Commission a ensuite examiné un amendement présenté par M. Jean-Marc Lefranc, rapporteur, visant à demander aux autorités françaises de créer un corps de gardes-côtes national.

M. Jacques Le Guen a indiqué que cette mesure à caractère national ne trouvait pas sa place dans une proposition de résolution destinée aux autorités européennes.

M. Jean-Marc Lefranc, rapporteur, a déposé un sous-amendement prescrivant une coordination avec les Etats de l'Union européenne pour la mise en place de gardes-côtes nationaux.

La Commission a adopté cet amendement ainsi modifié

Puis, elle a adopté la proposition de résolution (n° 645) ainsi modifiée.

·

· ·

En conséquence, la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire vous demande d'adopter la proposition de résolution, dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur la sécurité maritime en Europe (COM [2002] 780 final/E 2186,
COM [2003] 001 final / E 2201)

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 417/2002 du Parlement européen et du Conseil du 18 février 2002 relatif à l'introduction accélérée des prescriptions en matière de double coque ou de normes de conception équivalentes pour les pétroliers à simple coque, et abrogeant le règlement (CE) n° 2978/94 (document E 2186),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2001/25/CE du Parlement européen et du Conseil concernant le niveau minimal de formation des gens de la mer (document E 2201),

I. Au titre de la prévention :

1. Considère que l'obligation de recourir aux pétroliers à double coque, tout en présentant l'avantage de permettre le renouvellement des flottes, ne préserve pas les navires de tous les risques, en particulier ceux pouvant résulter d'une explosion ou d'un incendie ;

2. Estime que les mesures prévues par la proposition de règlement susvisée, dont l'objet est d'imposer le transport du pétrole par des navires à double coque à compter de 2005, doivent être modifiées afin :

- d'en étendre le champ d'application à tous les navires transportant des matières dangereuses ;

- d'imposer des détecteurs de gaz, pour prévenir les risques d'explosion, notamment pour les navires à double coque ;

3. Approuve le principe des mesures contenues dans la proposition de directive relative à la formation des gens de mer, en particulier l'instauration d'une procédure harmonisée de vérification des qualifications des professionnels des pays tiers recrutés par les Etats membres ;

4. Demande que le futur projet de réglementation communautaire, destinée à contrôler l'entrée d'un navire dans la zone économique exclusive d'un Etat membre ou en escale dans un port de l'Union européenne, prévoie l'obligation de présenter un certificat européen de conformité de structure, délivré, sous sa responsabilité, par un Etat membre de l'Union européenne et opposable aux autres Etats durant sa période de validité ;

5. Suggère que les plans destinés à accueillir des navires en détresse dans les eaux territoriales des Etats membres, conformément aux dispositions de la directive 2002/59/CE du 27 juin 2002, soient établis de façon coordonnée ;

6. Soutient le projet de création de zones particulièrement vulnérables, en raison d'un trafic intense ;

7. Souhaite que l'Union européenne et les Etats membres développent une coopération active :

- avec certains Etats tiers dont ils importent des hydrocarbures, afin qu'ils puissent appliquer les règles communautaires en cours de discussion ;

- avec certains Etats tiers figurant sur la liste noire du Mémorandum d'entente de Paris, afin de lutter contre les navires sous-normes ;

- en vue d'instaurer un système international de validation des connaissances des gens de mer.

II. Au titre de l'indemnisation :

1. Souhaite :

- que la conférence diplomatique prévue en mai 2003 à l'Organisation maritime internationale puisse porter à un milliard d'euros le montant du fonds complémentaire du FIPOL ;

- qu'elle parvienne à améliorer la convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dite CLC :

·  afin de responsabiliser tous les acteurs de la chaîne du transport et d'élargir le cercle des responsables ;

·  afin d'en élargir le champ d'application à tous les dommages directs et indirects.

2. Considère qu'en cas d'échec de la conférence diplomatique précitée, les Etats membres devraient adopter la proposition de règlement de la Commission créant un troisième niveau d'indemnisation.

III. Au titre des sanctions :

1. Approuve le projet de la Commission visant à ce que les Etats membres infligent des sanctions pénales à toute personne physique ou morale responsable d'une pollution, en raison de sa négligence grave et de sa violation des dispositions concernant les déversements illicites en mer, notamment à l'occasion des dégazages et déballastages ;

2. Demande que les autorités françaises présentent un mémorandum à la Commission et à l'Organisation maritime internationale, en vue d'engager d'urgence une réflexion sur la notion d'infraction portant atteinte à l'environnement.

IV. Au titre du contrôle :

1. Se félicite des efforts accomplis par les autorités françaises en vue de porter le plus rapidement possible le taux des contrôles à celui prévu par la directive 2001/106/CE du 19 décembre 2001, relative au contrôle par l'Etat du port ;

2. Demande que la directive 2001/105/CE du 19 décembre 2001 fixant les modalités d'agrément des sociétés de classification soit modifiée, afin d'assujettir ces dernières à un régime de responsabilité illimitée et de dissocier clairement leur rôle de classification et celui de contrôle.

V. Au titre des mesures générales :

1. Souhaite que les autorités françaises achèvent le plus rapidement possible la transposition des directives des paquets Erika I et II ;

2. Demande aux autorités françaises de créer un corps de garde-côtes national en coordination avec les Etats de l'Union européenne concernés.

VI. Dans l'immédiat :

Demande au Gouvernement français d'être très attentif à la mise en application rapide des normes proposées par la Commission, compte tenu des déclarations préoccupantes de la Présidence grecque.

N° 0707 - Rapport sur la proposition de résolution sur la sécurité maritime en Europe (M. Jean-Marc Lefranc)

1 () Ce paragraphe dispose que : « Les Etats, agissant par l'intermédiaire de l'organisation internationale compétente ou d'une conférence diplomatique générale, adoptent des règles et normes internationales visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin par les navires (...).

2 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 417/2002-COM (2002) 780 final.

3 () Convention HNS : Le Conseil, dans sa décision du 18 novembre 2002 a pris l'engagement d'accélérer les procédures d'adhésion et de ratification de la convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l'indemnisation des dommages liés au transport par mer de substances novices et potentiellement dangereuses.

4 () Proposition de directive modifiant la directive 2001/25/CE - COM (2003)1 final.


© Assemblée nationale