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le 26 mai 2003

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N° 878

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 mai 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 646) de M. NOËL MAMÈRE, tendant à créer une commission d'enquête relative aux conditions d'attribution d'une fréquence à la chaîne Khalifa TV,

PAR M. Michel HERBILLON,

Député.

--

Audiovisuel et communication.

INTRODUCTION 5

I.- SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 7

II.- SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 9

TRAVAUX DE LA COMMISSION 13

INTRODUCTION

Le 12 mars 2003 a été mise en distribution la proposition de résolution (n° 646) déposée par M. Noël Mamère tendant à créer une commission d'enquête relative aux conditions d'attribution d'une fréquence à la chaîne Khalifa TV.

Cette commission serait notamment chargée d'examiner les conditions d'attribution de la fréquence octroyée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à Khalifa TV, de vérifier si les règles fixées par la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée concernant l'origine des investissements et la procédure relative à la candidature à une fréquence ont été respectées et de faire des propositions tendant à améliorer le contenu des conventions passées entre le CSA et les sociétés candidates à une fréquence.

Selon l'usage, le rapporteur examinera la recevabilité de la proposition de résolution, avant de s'interroger sur l'opportunité de créer une telle commission d'enquête.

I.- SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête s'apprécie au regard des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires  et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

La première exigence posée par ces textes est de déterminer avec précision, dans la proposition de résolution, les faits pouvant donner lieu à enquête.

En l'occurrence, M. Noël Mamère souhaite éclaircir les conditions d'attribution, par le CSA, d'une fréquence à la chaîne Khalifa TV et vérifier que les règles de procédure prévues par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ont bien été respectées.

Si, comme cela sera démontré dans la deuxième partie de ce rapport, l'objet même de la commission d'enquête est juridiquement erroné, les faits visés sont formulés de façon suffisamment précise pour justifier, a priori, la création d'une commission d'enquête.

La seconde exigence concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

Par lettre du 7 avril 2003, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait savoir à M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, qu'il n'y a aucune procédure judiciaire en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.

La proposition de résolution est donc recevable.

II.- SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION
D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

Si les conditions de recevabilité semblent réunies, il reste à déterminer s'il convient, en opportunité, de créer ou non une commission d'enquête sur « l'attribution d'une fréquence à Khalifa TV ».

∙ Le démarrage de cette chaîne de télévision, diffusée sur le satellite, a été quelque peu chaotique puisqu'une première demande de conventionnement avait été déposée auprès du CSA le 28 août 2002 et immédiatement suivie, le 3 septembre, du lancement de la chaîne et du début de ses émissions, en toute illégalité. A la suite d'un échange de courriers entre la direction de la chaîne et l'autorité de régulation, d'un changement de l'équipe dirigeante de la chaîne et d'une menace de saisie du procureur de la République, Khalifa TV a mis fin à ses émissions illégales le 25 octobre.

A la suite du dépôt d'un nouveau dossier de conventionnement le 31 octobre, la chaîne a finalement été conventionnée pour une durée de deux ans par le CSA, siégeant en réunion plénière, le 10 décembre 2002.

Selon les informations communiquées au rapporteur par le CSA, M. Rafik Abdelmoumen Khalifa est l'unique actionnaire de Khalifa TV, société française par actions simplifiée (SAS) au capital de 10 millions d'euros. Son format est celui d'une chaîne généraliste à dominante musicale. Les programmes, tels qu'ils ont été présentés au CSA, devaient se composer de 50 % de vidéomusiques faisant une large place au raï, de programmes diversifiés en langue française (magazines, retransmissions sportives, débats), d'un module d'information quotidien « de quelques minutes » en kabyle et en arabe et d'une émission « interculturelle » réalisée en coopération avec la mosquée de Paris.

Khalifa TV est bien sûr destinée à la population d'origine maghrébine vivant en France, mais ce sont les téléspectateurs algériens équipés d'une parabole qui sont sa principale cible commerciale (soit 4 millions de foyers sur les 4,5 millions que compte la population algérienne).

Le dossier de candidature déposé auprès du CSA précisait que le financement de la chaîne serait couvert par des « apports en capital de son actionnaire unique » ainsi que par des rentrées publicitaires. Le coût annuel de la chaîne était estimé à 35 millions d'euros.

 L'auteur de la proposition de résolution s'interroge sur les « conditions d'attribution d'une fréquence » à la chaîne Khalifa TV et, plus particulièrement, sur le respect, par le CSA, « des règles concernant l'origine des investissements » fixées par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Dénonçant la gestion des fonds du groupe Khalifa « dont l'origine reste opaque », il considère que le CSA n'a pas exercé correctement son « pouvoir de contrôle des capitaux d'une chaîne de télévision privée » en ne menant pas, de façon satisfaisante, son « enquête préalable » sur l'origine du financement de la chaîne Khalifa TV.

Toute cette argumentation repose sur un malentendu juridique.

Les dispositions évoquées par M. Noël Mamère ne concernent pas les services de télévision distribués par câble ou par satellite, mais ceux diffusés par voie hertzienne. Ce n'est que pour ces derniers que le CSA - compte tenu du contexte de rareté des fréquences qui caractérise la diffusion hertzienne - est amené à « attribuer une fréquence » par le biais d'un appel à candidatures, comme le prévoit l'article 30 de la loi de 1986 précitée. Dans le cadre de cet appel à candidatures, afin de permettre au CSA de faire son choix entre les dossiers et de vérifier que le service respecte le dispositif anti-concentration prévus par la loi (et notamment le plafond de détention de 49 % du capital), ce même article 30 prévoit effectivement que les déclarations de candidature doivent indiquer « l'origine et le montant des financements prévus ainsi que la composition du capital, des organes dirigeants et des actifs de cette société ainsi que de la société qui la contrôle au sens du 2° de l'article 41-3. » (troisième alinéa).

Mais rien de tout cela n'est prévu pour les chaînes du câble et du satellite, dont l'autorisation et le conventionnement sont encadrés par les articles 33-1 et 33-2 de la loi de 1986 précitée. Dans le contexte d'abondance qui caractérise la diffusion par câble et satellite, le CSA n'a pas été investi par la loi du même type de responsabilités qu'en matière de diffusion hertzienne, les enjeux en termes de pluralisme et de liberté d'expression n'étant pas comparables.

Pour conventionner et du même coup autoriser la diffusion d'un service de télévision par câble et/ou par satellite, le CSA doit donc vérifier que celui-ci respecte :

- d'une part les principes fondateurs d'exercice de la liberté de communication fixés à l'article 1er de la loi, c'est à dire le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion ainsi que la sauvegarde de l'ordre public ;

- d'autre part les obligations légales et réglementaires applicables à ce type de service, notamment en matière de production et de diffusion d'œuvres audiovisuelles (article 33 de la loi de 1986 précitée).

L'article 33-1 ajoute que, « pour les services de télévision dont les programmes comportent des émissions d'information politique et générale, la convention précise les mesures à mettre en oeuvre pour garantir le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion ainsi que l'honnêteté de l'information et son indépendance à l'égard des intérêts économiques des actionnaires ». Il n'est donc nullement question de contrôle du capital de la chaîne et de l'origine de son financement.

Seul un refus par la chaîne candidate de se conformer à ces obligations pourrait justifier un rejet de la demande de conventionnement par le CSA. Dans le cas contraire, sa décision pourrait être contestée devant le Conseil d'Etat pour excès de pouvoir. Jusqu'à présent, il existe un seul exemple de refus d'autorisation : il s'agissait d'une chaîne proche du PKK, auparavant conventionnée en Grande Bretagne et à laquelle l'autorisation a été retirée à la suite d'appels à des immolations par le feu. Son dossier a alors été présenté au CSA mais le PKK figurant sur la liste des organismes terroristes établie par le ministère des affaires étrangères, le risque potentiel pour la préservation de l'ordre public était trop important et la convention a été refusée.

∙ Khalifa TV a signé le 10 décembre 2002 avec le CSA une convention dans laquelle elle a pris l'engagement de respecter les obligations qui sont habituellement prévues dans les conventions des chaînes câble et satellite (pluralisme des courants de pensée et d'opinion, honnêteté de l'information et des programmes, respect des droits de la personne, maîtrise de l'antenne) et a adopté la signalétique des programmes. Le CSA n'avait donc aucun motif juridique pour refuser son conventionnement à cette chaîne, dont le deuxième projet était parfaitement conforme à notre législation.

Les seules précautions qu'il lui était possible de prendre était de diminuer l'autorisation à deux ans alors que la durée normale est de cinq (ce qu'il a fait en rétorsion à la diffusion de la première version de la chaîne sans convention) et d'introduire dans la convention une exigence d'information en cas de modification de l'actionnariat et de strict respect du pluralisme.

Pour le reste, le Conseil ne dispose d'aucun moyen juridique qui lui permettrait d'enquêter sur l'origine des fonds qui sont investis dans des entreprises audiovisuelles. Comme pour toute candidature à une diffusion sur le satellite, il s'est fait communiquer les statuts de la société ainsi que la copie de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés (« extrait K bis »), documents tous parfaitement en règle. Il ne saurait donc en aucun cas être mis en cause pour un manquement à une obligation d'enquête préalable... qui n'existe pas !

Pour accorder une convention dans le domaine du câble et du satellite, le CSA ne saurait tenir compte des campagnes de presse, voire même des déboires financiers de l'actionnaire, fût-il unique, de la chaîne. De plus, s'il y avait une investigation à mener sur les fonds à l'origine de Khalifa TV, ce type d'action relèverait plus du tribunal de commerce, voire du juge judiciaire que du CSA.

Par contre, celui-ci étant responsable du respect par Khalifa TV des dispositions figurant dans la convention, il a décidé, le 1er avril dernier, de mettre celle-ci en demeure de respecter sa grille de programme, la chaîne ne diffusant plus que des vidéomusiques depuis le 23 mars. Dans son courrier informant le président de la chaîne de cette mise en demeure, M. Dominique Baudis, président du CSA, s'est d'ailleurs interrogé sur la véracité des informations financières qui avaient été fournies lors du conventionnement.

Depuis le 9 avril la chaîne a été mise en redressement judiciaire pour une durée de six mois. Le liquidateur judiciaire a informé le CSA de la nouvelle situation de la chaîne et lui a proposé de lui communiquer toute information qu'il jugerait nécessaire.

Par ailleurs, le parquet de Paris ayant ouvert une enquête préliminaire sur les opérations financières du groupe Khalifa à la suite de la transmission aux services du procureur de la République de rapports établis par le service TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), le président du CSA a écrit le 12 mai dernier au ministre de l'économie et des finances pour savoir « si des éléments de ces rapports mettraient en cause la société anonyme par actions simplifiées Khalifa TV ».

Le rapporteur tient à signaler que tous ces courriers, ainsi que les éléments du dossier de Khalifa TV (statuts, extrait K bis, convention, courriers) lui ont été communiqués par le CSA dès qu'il en a fait la demande. Son président et le conseiller chargé des chaînes du câble et du satellite, M. Joseph Daniel, ont fait preuve de la plus grande coopération pour éclairer l'Assemblée nationale sur les conditions de conventionnement de la chaîne Khalifa TV.

On ne peut donc accuser le CSA d'avoir mal exécuté les missions que lui fixe la loi à l'égard de la chaîne Khalifa TV. Ni son indépendance ni la qualité de son action ne sauraient ici être mises en cause.

Au bénéfice des observations qui viennent d'être formulées, le rapporteur conclut donc au rejet de la proposition de résolution n° 646.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné, sur le rapport de M. Michel Herbillon, la présente proposition de résolution au cours de sa séance du 21 mai 2003.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié le rapporteur pour la grande précision de son exposé et a regretté l'absence de M. Noël Mamère, qui aurait pu apporter des éclairages utiles au travail de la commission.

M. Pierre Hellier a indiqué que si l'argumentation sans faille du rapporteur l'a totalement convaincu de l'absence de responsabilité du CSA dans ce dossier, il ne peut que regretter l'absence, au sein de la législation actuelle, de moyens de contrôle de l'origine des fonds des chaînes de télévision, qui apparaît parfois douteuse. D'autres voies devraient pouvoir être utilisées.

Après avoir exprimé son accord avec l'argumentation juridique présentée par le rapporteur, M. Frédéric Dutoit s'est interrogé sur l'impossibilité pour le CSA de vérifier l'origine des fonds des chaînes candidates, surtout lorsque, comme dans le cas présent, les modalités de conventionnement (autorisation limitée à deux ans au lieu de cinq et obligation d'informer le Conseil de toute évolution du capital) témoignent de l'existence de doutes à cet égard. Il serait donc souhaitable, comme le demande M. Noël Mamère dans sa proposition de résolution, que la commission réfléchisse à la meilleure façon d'améliorer le contenu des conventions passées entre le CSA et les sociétés candidates à une fréquence.

Tout en reconnaissant qu'une commission d'enquête n'est sans doute pas le meilleur moyen de répondre au problème visé, M. Didier Mathus a souligné l'exceptionnelle célérité du CSA pour accorder cette autorisation à la chaîne Khalifa TV, rapidité qui contraste avec la méticulosité ordinairement mise en œuvre pour signifier aux chaînes les manquements à leurs obligations ou encore pour autoriser des radios associatives. Cette autorisation a été accordée dans un contexte trouble voire saugrenu, comme en témoigne par exemple le fait de confier la direction de la chaîne à la tante du propriétaire. De plus, plusieurs professionnels de la communication se sont enrichis à cette occasion en signant des contrats avec Khalifa TV dans des conditions exorbitantes du droit commun. Les circonstances qui ont accompagné cette autorisation sont donc tout à fait étranges et la justesse du raisonnement juridique du rapporteur ne change rien au trouble qui se dégage de toute cette affaire.

M. Jean-Pierre Door a indiqué que si le rapport vide clairement la question de la création d'une commission d'enquête, l'origine des fonds apparaît néanmoins douteuse, à telle enseigne qu'une procédure est actuellement ouverte au parquet de Paris. Il a ensuite souhaité avoir des précisions sur les rapports entretenus par le groupe Khalifa et le milieu sportif en matière de sponsoring.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a indiqué qu'il partage les interrogations des commissaires quant à l'origine des fonds du groupe Khalifa mais que l'objet de la proposition de résolution ne vise que la chaîne de télévision et non le groupe dans son ensemble. Une proposition de résolution tendant à la création d'un commission d'enquête portant sur l'ensemble des activités du groupe Khalifa, également déposée par M. Noël Mamère, a d'ailleurs été récemment rejetée par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Une procédure judiciaire est en cours et le CSA s'est enquis auprès du ministère des finances de l'éventuelle implication du groupe Khalifa dans les trafics financiers internationaux. La commission n'est par ailleurs pas chargée du contrôle des actions de sponsoring du groupe, qui est du ressort des tribunaux de commerce.

En tout état de cause, le CSA est très vigilant quant à l'évolution de cette chaîne mais seule une modification de la loi lui permettrait de disposer des pouvoirs d'investigation nécessaires à un réel contrôle de l'origine des financements des services audiovisuels qu'il doit autoriser. Les parlementaires qui sont sensibilisés à cette question doivent donc mener une réflexion en ce sens.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution n° 646.

N° 0878 - Rapport sur la proposition de résolution créant une commission d'enquête sur l'attribution d'une fréquence à la chaîne Khalifa TV (M. Michel Herbillon)


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