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le 24 juin 2003

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N° 949

(2ème partie)

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (N° 823) relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France,

PAR M. Thierry Mariani,

Député.

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Étrangers.

Sommaire

Accès au début du rapport

Article 20 (art. 22 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Allongement du délai dans lequel le juge doit statuer sur les recours spéciaux dirigés contre les arrêtés de reconduite à la frontière 8

1. Le recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière 8

2. Les mesures proposées 9

Article 21 (art. 23 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Réexamen périodique des motifs des arrêtés d'expulsion 9

1. L'expulsion : une durée illimitée 10

2. Un réexamen systématique 10

Article 22 (art. 25 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Protection relative contre les mesures d'expulsion au bénéfice de certaines catégories d'étrangers 12

1. Les catégories d'étrangers bénéficiant d'une protection relative 12

2. Des exceptions pour des faits de délinquance particulièrement graves 13

Article 23 (art. 25 bis [nouveau] de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Coordination 14

Article 24 (art. 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Protection absolue contre les mesures d'expulsion au bénéfice de certaines catégories d'étrangers 14

1. Les catégories d'étrangers bénéficiant d'une protection absolue 15

2. Des exceptions limitées, pour des faits qui permettent de relativiser la réalité du lien qui unit l'étranger à la France 15

Article 25 (art. 26 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Reconnaissance mutuelle des mesures d'éloignement 18

Article 26 (art. 28 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Assignation à résidence à titre probatoire et exceptionnel : « l'expulsion avec sursis » 20

1. L'assignation à résidence 20

2. Les limites de la procédure en vigueur 20

3. Les mesures proposées 21

Article 27 (art. 28 ter de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Modification par coordination des règles de relèvement ou d'abrogation des interdictions du territoire et des arrêtés d'expulsion 22

1. L'obligation de résider hors de France 22

a) Le relèvement d'une interdiction du territoire 22

b) L'abrogation d'un arrêté d'expulsion 22

c) L'obligation de résider hors de France 23

2. Une modification liée à la mise en œuvre de la procédure de réexamen périodique des arrêtés d'expulsion 23

Article 28 (art. 29 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Modification des règles d'instruction des dossiers de regroupement familial - Délivrance d'une carte de séjour temporaire 24

1. L'instruction des dossiers : des visites plus ciblées ; une participation renforcée des maires 24

2. Les conditions de délivrance d'un titre de séjour 26

a) Une distinction entre le droit au séjour et le statut 26

b) Une condition de vie commune renforcée 27

Article 29 (chapitre VII de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Coordination liée à l'introduction de la notion de protection temporaire 29

Article 30 (art. 32 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Protection temporaire 29

1. La directive 29

2. La transposition 30

a) Le bénéfice de la protection temporaire 30

b) La délivrance d'un titre de séjour 30

c) Protection temporaire et droit d'asile 30

d) Les exclusions 31

e) Le regroupement des familles 31

Article 31 (art. 32 ter de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Coordination liée à la réforme du droit d'asile et à l'introduction de la notion de protection temporaire 31

Article 32 (art. 34 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Vérification de l'authenticité des actes d'état civil étrangers et sursis à statuer sur les demandes de visas 32

Article 33 (art. 35 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Réforme du régime de la rétention des étrangers 33

A. LES LOCAUX ET LES CENTRES DE RÉTENTION 34

1. La législation en vigueur 34

2. Les insuffisances de la législation 36

B. LES MESURES PROPOSÉES 38

1. Le placement en rétention 39

a) La décision initiale 39

b) Les étrangers pouvant être placés en rétention 39

2. Le maintien en rétention 40

a) La première saisine du juge 40

b) La prorogation de la rétention 42

c) L'appel 44

3. L'utilisation de moyens de télécommunication 44

4. Le déplacement des étrangers placés en rétention 45

5. Les garanties et les droits de l'étranger en rétention 46

a) La communication des droits et leur exercice 46

b) Le maintien en rétention pour une durée « strictement nécessaire » 47

c) Le bénéfice de l'aide juridictionnelle 47

d) La transparence et le contrôle 47

Article 34 (art. 35 quater de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Aménagement des règles applicables au maintien en zone d'attente 49

1. Les zones d'attente 49

a) La législation 49

b) État des lieux 50

2. Les modifications apportées à l'article 35 quater 52

a) La création de zones d'attente dans des lieux proches du littoral 52

b) Les transferts entre zones d'attente 52

c) La sécurité juridique du maintien en zone d'attente 53

c) L'organisation des audiences 54

Articles additionnels après l'article 34 (art. 35 sexies [nouveau] de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Encadrement juridique des modalités de notification des droits et du recours à l'interprétariat pour les personnes placées en rétention ou maintenues en zone d'attente 57

(art. 35 septies [nouveau] de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Codification des dispositions relatives à la passation de marchés groupés pour les centres de rétention 57

TITRE II DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE CIVIL 57

Article additionnel avant l'article 35 (art. 21-2 du code civil) Allongement de la durée de mariage exigée pour une déclaration d'acquisition de nationalité française 58

Article 35 (art. 21-27 du code civil) Relèvement de l'incapacité d'acquisition de la nationalité 58

1. Le régime strict de l'article 21-27 du code civil 58

2. L'assouplissement du régime de l'article 21-27 du code civil 59

Articles additionnels après l'article 35 (art. 25-1 du code civil) Élargissement des conditions de déchéance de la nationalité française 63

(art. 47 du code civil) Contrôle des faux documents d'état civil 63

(art. 63 du code civil) Audition des futurs époux 63

Après l'article 35 63

Article 36 (art. 170 du code civil) Contrôle des mariages célébrés à l'étranger 63

1. Le régime du mariage célébré à l'étranger 64

2. L'institution d'un contrôle des mariages célébrés à l'étranger 64

Article 37 (art. 175-2 du code civil) Contrôle des mariages de complaisance 66

1. L'impuissance de l'officier de l'état civil face aux mariages de complaisance 66

a) L'existence de liens étroits entre droit des étrangers et mariage 66

b) Les moyens insuffisants dont disposent les officiers de l'état civil pour lutter contre les mariages de complaisance 70

2. La mise en place d'un contrôle efficace 75

Après l'article 37 78

Articles additionnels après l'article  37 (art. 21-24 du code civil) Précision des critères de naturalisation 78

(art. 190-1 du code civil) Abrogation 78

TITRE III DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE PÉNAL ET LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE 78

Article 38 (art. 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 [nouveaux], 213-2, 222-48, 414-6, 422-4, 431-19 et 442-12 du code pénal) Aménagement des peines, motivation spéciale et protection absolue en matière d'interdiction du territoire 79

1. Interdiction du territoire et aménagement des peines 79

2. Protection relative et protection absolue 80

a) L'obligation de motivation spéciale 80

b) La protection absolue 81

Article additionnel après l'article 38 (art. 132-40 et 132-48 du code pénal) Interdictions « conditionnelles » du territoire français 84

Article 39 (art. 41 du code de procédure pénale) Enquêtes préalables sur la situation personnelle et familiale de certains étrangers passibles d'une peine d'interdiction du territoire 84

1. Le manque d'informations sur la situation familiale des étrangers mis en cause 84

2. Une enquête préalable portant sur la situation personnelle et familiale de l'étranger mis en cause 85

Article 40 (art. 702-1 du code de procédure pénale) Assouplissement des conditions de relèvement des interdictions du territoire 86

1. Les conditions de recevabilité d'une demande de relèvement 86

2. Un assouplissement en cas de remise en liberté d'un étranger incarcéré 87

Article additionnel après l'article 40 (art. 725-1 [nouveau] du code de procédure pénale) Possibilité pour l'État de confier à des personnes privées, à titre expérimental, le transfert des étrangers retenus en centre de rétention ou en zone d'attente 87

Article 41 (art. 729-2 du code de procédure pénale) Suspension de l'interdiction du territoire en cas de libération conditionnelle 88

1. L'interdiction du territoire et les mesures de réinsertion 88

2. La suspension de l'ITF et la libération conditionnelle 89

TITRE IV DISPOSITIONS DIVERSES 89

Article 42 Règlement des situations passées 89

Après l'article 42 91

Article 43 (art. 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) Entrée en vigueur 91

Article 44 (art. 3 de la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002) Passation de marchés groupés pour les centres de rétention 92

1. Les marchés groupés 92

2. Les mesures proposées 93

Article additionnel après l'article 44 Dispositions transitoires 94

Article 45 Habilitation du Gouvernement au titre de l'article 38 de la Constitution 94

1. Un régime juridique particulier 94

2. Une habilitation au titre de l'article 38 95

SUITE ET FIN DU RAPPORT


Article 20

(art. 22 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Allongement du délai dans lequel le juge doit statuer sur les recours spéciaux dirigés contre les arrêtés de reconduite à la frontière

Le présent article augmente le délai dans lequel le juge administratif est tenu de statuer sur un recours en excès de pouvoir dirigé contre un arrêté de reconduite à la frontière, dans le cadre de la procédure spéciale mise en œuvre par l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.

1. Le recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière

L'article 22 bis prévoit, aujourd'hui, que l'étranger qui a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut demander l'annulation de celui-ci (1) devant la juridiction administrative. La demande doit être formulée dans un délai qui a été porté, par la loi n° 98-349 du 11 mai 1998, à :

-  quarante-huit heures en cas de notification par voie administrative ;

-  sept jours en cas de notification par voie postale.

Le recours ouvre des droits : concours d'un interprète, communication du dossier, assistance d'un conseil, procédure contradictoire, audience publique.

La requête est jugée par un juge unique : le président du tribunal administratif ou son délégué, qui se prononce sur l'arrêté de reconduite à la frontière et, s'il en est simultanément saisi, la décision fixant le pays de renvoi et celle du placement en centre de rétention.

Il doit statuer dans un délai qui, indépendamment du mode de notification de l'arrêté, est également fixé à quarante-huit heures, à compter de la saisine (2).

Le recours suspend la procédure : si l'intervention d'un arrêté de reconduite à la frontière peut entraîner le placement immédiat de l'intéressé dans un centre de rétention, le II de l'article 22 bis précise qu'il ne peut être exécuté avant l'expiration du délai de recours (soit quarante-huit heures ou sept jours selon les cas) ou, si le président du tribunal administratif ou son délégué est saisi, avant qu'il n'ait statué.

En revanche, l'appel du jugement du président du tribunal administratif ou de son délégué, qui peut intervenir dans un délai d'un mois, n'est pas suspensif. Dès lors, l'arrêté qui n'a pas fait l'objet d'une annulation en première instance devient exécutoire d'office, au même titre que celui qui n'a pas été contesté devant la juridiction administrative dans les délais précités (article 26 bis de l'ordonnance). À l'inverse, son annulation met fin immédiatement au placement en centre de rétention et donne lieu à la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas.

2. Les mesures proposées

En pratique, la juridiction administrative rencontre des difficultés croissantes pour respecter le délai de quarante-huit heures dans lequel elle doit statuer. Dans tous les cas, les conditions d'exercice d'une justice sereine ne sont pas remplies.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement propose de porter ce délai de quarante-huit à soixante-douze heures, cette mesure étant corrélée avec l'allongement de la durée de rétention mis en œuvre par l'article 33 du projet de loi.

Le rapporteur a constaté, au cours de ses auditions, combien ce changement était apprécié par les praticiens : tant l'Union syndicale des magistrats administratifs que le syndicat de la juridiction administrative lui ont fait valoir qu'il permettra un traitement plus adapté des dossiers et une organisation rationnelle des audiences au sein des tribunaux.

On observera, néanmoins, que, s'agissant des recours contre les arrêtés notifiés par voie postale, les délais qui encadrent la procédure n'ont jamais été respectés, notamment à Paris où il est fréquent que le tribunal se prononce plusieurs mois après leur exercice.

La Commission a examiné un amendement présenté par M. Etienne Pinte, allongeant de 48 à 72 heures le délai de recours dont dispose l'étranger faisant l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, en cohérence avec l'allongement de la durée de rétention, et précisant que ce délai courait à compter du placement de l'étranger dans un centre de rétention. Le rapporteur a jugé souhaitable de répondre au problème posé par l'arrivée trop tardive des étrangers dans les centres de rétention, qui ne leur permet pas toujours d'exercer leur droit de recours, mais a estimé que s'il convenait, soit d'allonger le délai de recours, soit de le faire courir à compter de l'arrivée de l'étranger dans le centre de rétention, le cumul des deux solutions était excessif. Il a donc suggéré à l'auteur de l'amendement d'en proposer une nouvelle rédaction lors de la réunion que la Commission tiendra en application de l'article 88 du Règlement. M. Etienne Pinte a accepté de retirer son amendement.

La Commission a donc adopté l'article 20 dans la rédaction du projet de loi.

Article 21

(art. 23 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Réexamen périodique des motifs des arrêtés d'expulsion

Le présent article s'inscrit dans le cadre de la réforme de la législation relative à l'expulsion et à l'interdiction du territoire mise en œuvre par le projet de loi (3). Il complète l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 afin de consacrer le principe d'un réexamen périodique des motifs ayant justifié le prononcé d'une expulsion.

1. L'expulsion : une durée illimitée

Le régime de l'expulsion est actuellement déterminé par les chapitres 5 et 5 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Sous réserve des dispositions particulières instituées au profit de certaines catégories d'étrangers, une telle mesure peut être prise « si la présence sur le territoire français d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ».

À la différence des interdictions provisoires du territoire, un arrêté d'expulsion reste toujours valable tant qu'il n'a pas été abrogé.

De plus, les possibilités d'abrogation sont strictement encadrées par le second alinéa de l'article 23 de l'ordonnance :

-  l'abrogation peut intervenir à tout moment dès lors que l'intéressé en fait la demande ;

-  lorsque la demande est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission des expulsions (dite « comex ») composée, outre le préfet, du président du tribunal de grande instance (tgi) ou d'un juge délégué par lui, d'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tgi et d'un conseiller du tribunal administratif ; le chef du service des étrangers à la préfecture assure les fonctions de rapporteur et le directeur départemental de l'action sanitaire et sociale ou son représentant est entendu.

2. Un réexamen systématique

Le présent article complète ces dispositions par un troisième alinéa qui prévoit un réexamen systématique, tous les cinq ans à compter de la date d'adoption des arrêtés d'expulsion, des motifs ayant donné lieu à la décision initiale, sans que l'étranger concerné soit tenu de le solliciter.

Ce réexamen obéit aux règles présentées ci-après :

-  l'administration prend en compte l'évolution de la menace que représente pour l'ordre public la présence en France de l'intéressé, les changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et les garanties de réinsertion professionnelle ou familiale qu'il présente ;

-  la commission visée à l'article 24 de l'ordonnance n'est pas consultée, contrairement à ce qui est prévu lorsque la demande d'abrogation résulte d'un acte volontaire de la personne concernée ;

-  l'absence de notification explicite d'une décision d'abrogation dans un délai de deux mois équivaut à une décision implicite de refus (4;

-  la décision, qu'elle soit explicite ou implicite, est susceptible d'un recours contentieux.

Cette mesure, recommandée par le groupe de travail sur la « double peine », s'articule avec d'autres dispositions du projet de loi :

-  l'article 27 prévoit que la règle instituée par l'article 28 bis de l'ordonnance, selon laquelle il ne peut être fait droit à une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion que si le ressortissant étranger réside hors de France, ne s'appliquera pas à la procédure de réexamen instituée par le présent article ;

-  l'article 42 prévoit la délivrance d'une carte de séjour temporaire aux étrangers ayant fait l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire, sous réserve que leur demande soit présentée dans un délai d'un an, qu'ils résident en France et qu'ils appartenaient à la date où la mesure fut prise à leur encontre à une catégorie dite « protégée ».

Plus largement, on observera que les possibilités de relèvement des interdictions du territoire sont également élargies par l'article 40 du projet de loi.

Au total, ces mesures représenteront une issue « honorable » pour de nombreux étrangers qui ont fait l'objet d'un arrêté d'expulsion dans le passé et qui, bien qu'ils ne représentent plus une menace pour l'ordre public, sont contraints à vivre en France de façon clandestine pour ne pas rompre les liens particulièrement forts qu'ils possèdent dans notre pays.

Au demeurant, dans un arrêt du 23 février 2000, le Conseil d'État a ouvert la voie à cette évolution législative en considérant que l'atteinte portée au respect de la vie privée et familiale d'un étranger, garantie par les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit toujours être considérée lorsqu'elle est invoquée à l'appui d'une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion, y compris si l'intéressé ne réside pas hors de France contrairement à ce que prévoit l'article 28 bis précité (5).

La Commission a rejeté un amendement de M. Etienne Pinte obligeant l'administration à notifier et à motiver ses refus dans le cadre de la nouvelle procédure d'abrogation des arrêtés d'expulsion, le rapporteur ayant opposé le poids considérable d'une telle obligation pour les services administratifs. Elle a adopté l'article 21 sans modification.

Article 22

(art. 25 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Protection relative contre les mesures d'expulsion
au bénéfice de certaines catégories d'étrangers

Le présent article s'inscrit dans le cadre de la réforme de la législation relative à l'expulsion et à l'interdiction du territoire mise en œuvre par le projet de loi (6). Il modifie l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui reconnaît déjà à certaines catégories d'étrangers une protection relative contre les mesures d'expulsion. Les nouvelles dispositions qu'il met en œuvre s'articulent avec celles qui figurent à l'article 24 du projet de loi (article 26 de l'ordonnance), instituant un régime de protection absolue contre les expulsions.

1. Les catégories d'étrangers bénéficiant d'une protection relative

Les étrangers concernés par les dispositions du présent article sont ceux dont il est admis, depuis plusieurs années, que leurs liens avec la France justifient une protection relative contre les mesures d'expulsion et, accessoirement, les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière. De ce point de vue, les catégories visées ne sont pas nouvelles : comme on l'a vu dans l'exposé général, elles sont déjà mentionnées dans la liste qui figure aujourd'hui à l'article 25 de l'ordonnance.

Cette liste est apurée, néanmoins, des catégories qui bénéficieront désormais d'une protection absolue. Par ailleurs, son ordre est remanié de façon à ce qu'elle corresponde à la liste qui figure à l'article 131-30 du code pénal, relatif à la protection contre les interdictions du territoire. Il s'agit donc, sous réserve d'un certain nombre de conditions, des personnes visées actuellement au 5° (parent d'enfant français), 4° (conjoint de Français), 3° (résidant habituellement en France depuis plus de quinze ans ou régulièrement depuis plus de dix ans) (7), 6° (invalide) et 8° (atteint d'une maladie grave (8)) de l'article 25 de l'ordonnance.

On relève, néanmoins, plusieurs changements qu'il est important de signaler.

Tout d'abord, la catégorie des parents d'enfants français résidant en France est modifiée. En effet, ne bénéficieront de la protection relative contre les expulsions que les parents qui exercent l'autorité parentale « et » qui subviennent effectivement aux besoins de l'enfant : les deux conditions deviennent cumulatives alors qu'elles étaient jusqu'à présent alternatives. Ce durcissement s'inscrit dans le cadre d'une volonté plus globale de lutter contre les « paternités » de complaisance (voir le commentaire de l'article 12 du projet de loi, qui procède à la même modification en ce qui concerne les possibilités d'obtention de droit d'une carte de résident).

Une catégorie n'est pas reprise : celle des étrangers résidant régulièrement en France et n'ayant pas été condamnés à une peine au moins égale à un an d'emprisonnement sans sursis. En effet, dans le prolongement de l'article 75 de loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, qui prévoit que la commission de certains actes (traite, proxénétisme, racolage, exploitation de la mendicité, mendicité agressive et vol à la tire dans les transports) est de nature à entraîner le retrait d'un titre de séjour de courte durée et une reconduite à la frontière, le Gouvernement considère qu'il est justifié d'éloigner un étranger à la moindre infraction dès lors que son seul lien avec la France réside dans la régularité de son séjour. Par coordination, sont supprimées les exceptions à la règle ainsi abrogée, qui concernaient, essentiellement, les délits liés à l'immigration clandestine.

Pour le reste, les étrangers mineurs de dix-huit ans (1°) et ceux qui justifient résider en France depuis l'âge de dix ans au moins (2°) ne sont plus visés, l'article 24 du projet de loi (article 26 de l'ordonnance) leur reconnaissant une protection absolue contre les mesures d'éloignement.

2. Des exceptions pour des faits de délinquance particulièrement graves

Comme dans le droit actuel, il est précisé que ces catégories d'étrangers ne pourront faire l'objet ni d'un arrêté d'expulsion, ni d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.

Toutefois, cette protection demeure relative. En effet :

-  à l'exception de ceux qui sont atteints d'une maladie grave et, bien sûr, des bénéficiaires d'une protection absolue, les étrangers concernés ne peuvent en bénéficier que s'ils ne font pas l'objet d'une condamnation définitive à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans ;

-  sur la base de l'article 26 de l'ordonnance, renuméroté 25 bis par l'article 23 du projet de loi, l'expulsion peut être prononcée en dépit de cette protection dès lors qu'elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique.

Dans ces circonstances, l'administration aura encore la possibilité de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion en utilisant la nouvelle procédure d'assignation à résidence à titre probatoire et exceptionnel instituée par l'article 26 du projet de loi.

La Commission a adopté l'article 22 dans la rédaction du projet de loi, après avoir rejeté deux amendements : le premier proposé par M. Etienne Pinte, substituant une condition alternative à l'exigence cumulative subordonnant la protection de l'étranger, le projet de loi prévoyant qu'il doit à la fois exercer l'autorité parentale et subvenir aux besoins de l'enfant ; le second de M. Bruno Bourg-Broc durcissant les sanctions contre le recours frauduleux au mariage pour échapper à l'expulsion en cas de condamnation pénale.

Article 23

(art. 25 bis [nouveau] de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Coordination

Le présent article s'inscrit dans le cadre de la réforme de la législation relative à l'expulsion et à l'interdiction du territoire mise en œuvre par le projet de loi (9). Il reprend, dans un article numéroté 25 bis, les dispositions qui figurent actuellement à l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, tout en procédant à quelques mesures de coordination et à des améliorations formelles.

Les trois alinéas qu'il comprend prévoient que :

-  l'étranger peut être expulsé sans procédure contradictoire ni consultation de la « comex » en cas d'urgence absolue ;

-  l'étranger peut être expulsé même s'il bénéficie d'une protection relative (articles 22 du projet de loi et 25 de l'ordonnance) en cas de « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État » ou la « sécurité publique » ;

-  l'étranger peut être expulsé en urgence absolue, y compris s'il figure sur la liste de l'article 25, lorsque les deux conditions précitées sont cumulées.

La clause particulière excluant les étrangers mineurs de dix-huit ans du champ d'application de cet article n'est pas reprise compte tenu de la disposition générale les concernant qui est introduite à l'article 26 de l'ordonnance par l'article 24 du projet de loi.

La Commission a adopté l'article 23 sans modification.

Article 24

(art. 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Protection absolue contre les mesures d'expulsion
au bénéfice de certaines catégories d'étrangers

Le présent article s'inscrit dans le cadre de la réforme de la législation relative à l'expulsion et à l'interdiction du territoire mise en œuvre par le projet de loi (1).

Il modifie l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, afin de reconnaître à certaines catégories d'étrangers ayant noués des liens particulièrement forts avec la France une protection absolue, et non plus relative comme à l'article 25 de l'ordonnance (article 22 du projet de loi), contre les expulsions. Ce faisant, il procède à la principale modification proposée par le projet de loi en ce qui concerne la procédure administrative d'éloignement du territoire.

1. Les catégories d'étrangers bénéficiant d'une protection absolue

S'agissant de la liste des étrangers protégés de façon absolue contre les mesures d'expulsion, le présent article traduit fidèlement la recommandation suivante du groupe de travail sur la « double peine » : « L'objectif de la réforme est d'empêcher deux types de situations : d'une part, l'éloignement des étrangers qui sont en France depuis l'enfance, pour lesquels la double peine correspond à un bannissement ; d'autre part, l'éloignement d'étrangers qui provoquerait l'éclatement de familles stables ».

Ainsi, quatre catégories d'étrangers sont visées :

-  celui qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis au moins l'âge de treize ans : cette avancée, la plus importante, a été saluée par la plupart des personnes auditionnées par le rapporteur (10) ;

-  celui qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

-  celui qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis trois ans au moins soit avec un français, soit avec un étranger résidant régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

-  celui qui réside régulièrement sur le territoire national depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France : dans cette hypothèse, conformément aux règles nouvelles déjà exposées par le rapporteur à propos de l'article 12 du projet de loi sur le renforcement du contrôle de l'effectivité des paternités, l'étranger devra exercer même partiellement l'autorité parentale à l'égard de l'enfant « et » subvenir effectivement à ses besoins.

2. Des exceptions limitées, pour des faits qui permettent de relativiser la réalité du lien qui unit l'étranger à la France

Le groupe de travail sur la « double peine », après avoir insisté sur la nécessité de mettre en place ce régime de protection absolue, a néanmoins formulé un certain nombre de recommandations au sujet des exceptions qu'il convient de prévoir.

En premier lieu, il a considéré que : « S'agissant des exceptions aux protections absolues, il conviendra de veiller à ce que la liste des comportements en cause soit rédigée de manière suffisamment large pour ne pas viser des infractions précisément déterminées. En effet, si la plupart des mesures d'expulsion sont fondées sur des infractions et des condamnations pénales effectives, certaines procèdent parfois d'une accumulation précise de faits qui donnent à penser que la personne est dangereuse alors même qu'elle n'a pas commis d'infraction précise ou que les preuves pénales n'ont pas pu être réunies. Dans le contexte international actuel, il s'agit principalement d'étrangers sur lesquels pèsent de très sérieuses présomptions de connexion avec des réseaux islamistes. »

Par ailleurs, il a proposé de ne pas prévoir d'exception au principe des protections absolues pour le trafic de stupéfiants, considérant que ce type de délinquance était bien pris en compte au plan pénal. On observera, toutefois, que le projet de loi ne vise pas non plus le trafic de stupéfiants dans la liste des exceptions à la protection absolue contre les interdictions du territoire (article 38 du projet de loi), contrairement à ses recommandations.

A contrario, il a suggéré que soient pris en compte d'autres types de comportements répréhensibles auxquels le droit pénal ne répond qu'imparfaitement : « Il apparaît que l'administration a des difficultés à éloigner du territoire des personnes dont les propos publics menacent la cohésion sociale (négationnisme, incitation à la haine raciale, provocation aux crimes, apologie de certains comportements, infractions à la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse). L'action pénale ne lui est pas d'un grand secours sur ce point tant en raison de la prescription très brève des infractions à la loi de 1881 sur la presse, qu'en raison des modes croissants de diffusion de ces propos. » De fait, cette exception s'inscrit dans le prolongement de la politique menée par le Gouvernement depuis un an contre les comportements et les actes à caractère discriminatoire (11), qui l'a d'ailleurs conduit à proposer, dans le cadre du projet de loi en cours d'examen portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, de porter de trois mois à un an le délai de prescription précité, notamment pour tenir compte des spécificités liées à la diffusion des messages sur Internet (12).

Le premier alinéa du paragraphe I met en œuvre ces différentes recommandations. Il prévoit, en effet, que la protection absolue ne prévaudra pas en ce qui concerne les faits :

-  de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État ;

-  liés à des activités à caractère terroriste ;

-  constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes.

Toutefois, l'expulsion, si elle est décidée dans de telles circonstances, devra être précédée, « sauf en cas d'urgence absolue », d'une consultation de la « comex » (article 24 de l'ordonnance).

Enfin, comme le rapporteur l'a déjà signalé dans son commentaire de l'article 23 du projet de loi, on relève que le paragraphe II du présent article écarte, de manière générale, du champ des expulsions et des arrêtés de reconduite à la frontière, les mineurs de dix-huit ans.

La Commission a tout d'abord rejeté un amendement présenté par M. Etienne Pinte limitant aux étrangers ayant effectivement « commis » les délits qui constituent des exceptions aux régimes de protection le champ des expulsions.

Elle a ensuite examiné un amendement présenté par M. Jean-Pierre Grand, excluant du bénéfice de la protection contre l'expulsion toute personne étrangère condamnée pour trafic de stupéfiants. Le rapporteur s'est opposé à cet amendement, dont il a considéré qu'il remettait en cause l'équilibre qui caractérise la réforme de la double peine.

M. Georges Fenech a estimé au contraire que l'adoption de cet amendement était nécessaire pour assurer l'éloignement des trafiquants de stupéfiants condamnés par la justice, laquelle ne devait pas se trouver ainsi désarmée. Il a souligné que le terme de « double peine » procédait d'un abus de langage, l'éloignement de l'étranger ayant commis un délit étant soit une peine d'interdiction du territoire prononcée à titre principal, soit une peine complémentaire intervenant comme mesure de sûreté, comme c'est également le cas de l'expulsion ; il a insisté sur le fait que les nationaux pouvaient également faire l'objet d'un cumul de peines, puisqu'à la peine principale peut s'ajouter, par exemple, l'interdiction de se rendre dans une zone géographique déterminée. Il a considéré qu'il ne s'agissait donc pas de juger deux fois une personne pour les mêmes faits mais de préserver le droit, auquel recouraient tous les États souverains, d'éloigner des individus jugés dangereux pour la sécurité publique. Il s'est également ému de l'expression de « quasi-Français » utilisée pour définir les étrangers intégrés, ayant tissé des liens avec la France, rappelant que le droit ne connaissait pas cette notion ambiguë. Il a ajouté que, motivée par le fait que ces étrangers n'avaient plus de lien avec leur pays d'origine, la suppression de la possibilité pour le juge de prononcer cette mesure d'éloignement ne tenait pas compte du fait que, s'agissant notamment d'étrangers impliqués dans le trafic de stupéfiants, ces liens étaient encore bien réels, qu'il s'agisse du lien linguistique, des allers et retours fréquents entre la France et ce pays pour organiser le trafic, voire de la fuite dans ce pays en cas de menace de poursuites. M. Georges Fenech s'est donc étonné que ce raisonnement, appliqué dans le domaine du terrorisme, ne le soit pas également en matière de trafic de stupéfiants, alors même que c'est bien souvent ce trafic qui finance les réseaux terroristes. Ajoutant que la France serait le seul pays au monde à ne pouvoir déclarer certains étrangers « persona non grata », il a estimé qu'une telle mesure présentait en outre le risque d'exacerber la xénophobie. Opposant à l'argument relatif aux familles séparées celui des familles victimes de la drogue, il a plaidé pour que l'on continue à s'en remettre, en la matière, à la sagesse des juges, qui doivent d'ailleurs motiver les interdictions du territoire qu'ils prononcent.

Le président Pascal Clément a estimé que, si le droit en vigueur devait être modifié, c'était précisément à cause de certaines décisions de justice contestables, dont les conséquences avaient choqué l'opinion publique.

Le rapporteur, rappelant que la paternité de l'expression de « quasi-Français » revenait au ministre de l'Intérieur, a confirmé qu'elle reposait non sur un fondement juridique mais sur une réalité sociologique indéniable, et formait l'un des éléments essentiels de l'équilibre du texte. Il a souligné, en outre, que la Commission avait précédemment adopté un amendement permettant le retrait du titre de séjour à l'étranger qui se serait rendu coupable de trafic de stupéfiants.

M. Etienne Pinte, en écho aux propos du président Pascal Clément, a rappelé que le débat n'aurait pas lieu aujourd'hui si l'interdiction du territoire n'avait pas été prononcée de manière abusive pendant des décennies. M. Christian Estrosi, tout en se déclarant sensible à l'argumentaire développé par M. Georges Fenech, a estimé que la réforme de la « double peine » conduirait les juridictions à prononcer des peines principales plus lourdes. M. Christian Vanneste a insisté pour que soit abandonnée l'expression de « quasi-Français » et souligné que la protection dont bénéficient les trafiquants de stupéfiants se justifiait d'autant moins que leur activité est intrinsèquement liée à leur pays d'origine puisque le délit est souvent perpétré précisément en relation avec celui-ci.

À l'issue de ce débat, la Commission a rejeté l'amendement n° 15.

Elle a également a rejeté deux amendements de M. Etienne Pinte élargissant l'interdiction d'expulsion aux étrangers ayant résidé « habituellement » depuis plus de vingt ans en France, et à ceux résidant « habituellement » depuis plus de dix sur notre territoire et qui sont parents d'enfants français. Puis elle a rejeté un amendement du même auteur réduisant de vingt à quinze ans le délai de résidence protégeant l'étranger en situation régulière d'une mesure d'expulsion.

Après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 94), la Commission a rejeté l'amendement n° 2 de M. Bruno Bourg-Broc, fixant à cinq ans au lieu de trois la durée du mariage permettant d'éviter l'expulsion, ainsi qu'un amendement de M. Etienne Pinte fixant cette même durée à deux ans. Elle a également rejeté, par coordination avec ses votes précédents, deux amendements du même auteur.

La Commission a adopté l'article 24 ainsi modifié.

Article 25

(art. 26 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Reconnaissance mutuelle des mesures d'éloignement

Le présent article introduit dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 le principe de la reconnaissance mutuelle des mesures d'éloignement au sein de l'Union européenne. Ce faisant, il transpose en droit français les dispositions de la directive n° 2001/40/CE du Conseil du 28 mai 2001 (13).

· La directive du 28 mai 2001, adoptée sur initiative française, répond à la nécessité d'assurer une plus grande efficacité dans l'exécution des mesures d'éloignement et une meilleure coopération entre les États membres, au moyen d'une reconnaissance mutuelle des décisions prises dans ce sens.

Bien qu'elle constitue un développement de l'acquis de Schengen, le Royaume-Uni a notifié, dès le 18 octobre 2000, son souhait de participer à son adoption et à son application.

Elle devait être transposée, en principe, avant le 2 décembre 2002.

· Cette transposition suppose de modifier l'article 26 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui résulte de l'article 6 de la loi n° 92-190 du 26 février 1992 portant modification de ladite ordonnance.

En effet, le second alinéa de l'article 26 bis prévoit que, lorsqu'un étranger non ressortissant communautaire a fait l'objet d'un signalement (14) aux fins de non-admission en vertu d'une décision exécutoire prise par l'un des autres États parties à la convention de Schengen et qu'il se trouve irrégulièrement sur le territoire français, le préfet peut décider qu'il sera d'office reconduit à la frontière (15).

Il est donc proposé de compléter cette disposition afin de permettre également l'éloignement d'office d'un étranger ayant fait l'objet d'une décision d'éloignement prise par un autre État membre.

On signalera que, par coordination, l'article 33 du projet de loi, modifiant l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, complète la liste des motifs pouvant justifier un placement en centre de rétention, en faisant également référence à l'étranger qui, « faisant l'objet d'un signalement ou d'une décision d'éloignement visés au deuxième ou au troisième alinéa de l'article 26 bis de la présente ordonnance, ne peut quitter immédiatement le territoire français ».

Cette mesure témoigne de l'intérêt d'une meilleure coopération entre les États membres en matière de maîtrise des flux migratoires, bien que son efficacité demeure en partie liée à l'élargissement du Système d'information Schengen (sis), en termes d'accessibilité aux administrations et de champ des informations saisies.

On signalera, par ailleurs, que l'article 7 de la directive prévoyait également que : « Les États membres compensent entre eux les déséquilibres financiers qui peuvent résulter de l'application de la présente directive, lorsque l'éloignement ne peut se réaliser aux frais du (des) ressortissant(s) d'un pays tiers concerné(s). » Or, les critères et les modalités de cette compensation n'ont pas encore été arrêtés. Conformément au souhait exprimé par la plupart des États membres, la Commission a récemment présenté une proposition de directive du Conseil sur les modalités de compensation financières liées à l'application de la directive 2001/40/EC (16), qui va dans le sens de la prise en charge par l'État auteur de la mesure d'éloignement des frais résultant de son exécution. Toutefois, une majorité des États membres semble favoriser le principe d'un remboursement à chaque opération des dépenses engagées (frais de voyage et escorte), plutôt que celui d'une compensation des soldes annuels.

La Commission a adopté l'article 25 sans modification.

Article 26

(art. 28 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Assignation à résidence à titre probatoire et exceptionnel :
« l'expulsion avec sursis »

Le présent article, qui s'inscrit dans le cadre de la réforme de la législation relative à l'expulsion et à l'interdiction du territoire mise en œuvre par le projet de loi (17), procède à une réécriture de l'article 28 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Ce faisant, il étend les possibilités d'assignation à résidence, afin de combler un vide juridique et de permettre le recours à cette formule à titre probatoire (18).

1. L'assignation à résidence

Le régime administratif de droit commun de l'assignation à résidence est actuellement défini par l'article 28 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : « L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière et qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français en établissant qu'il ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays peut, par dérogation à l'article 35 bis [relatif au placement en rétention], être astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés (...). La même mesure peut, en cas d'urgence absolue et de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique être appliquée aux étrangers qui font l'objet d'une proposition d'expulsion. »

La décision d'assignation à résidence appartient, selon les cas, au ministre de l'intérieur ou, pour les mesures d'éloignement dont il a compétence, au préfet. L'arrêté ministériel ou préfectoral détermine la limite territoriale de l'assignation, le délai dont dispose l'étranger pour s'y rendre et les modalités concrètes de sa surveillance. La mesure n'est pas limitée dans le temps, bien qu'elle soit destinée à n'avoir qu'un caractère provisoire, sauf dans l'hypothèse où elle est décidée pour suspendre les effets d'une expulsion décidée en urgence absolue pour des raisons de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique : dans ce cas, elle ne peut excéder un mois.

Le non respect des conditions et des modalités de l'assignation à résidence est puni de trois ans d'emprisonnement.

2. Les limites de la procédure en vigueur

Les assignations à résidence décidées sur le fondement de l'article 28 de l'ordonnance ne concernent, en principe, que des situations dans lesquelles il existe une impossibilité matérielle de procéder à l'éloignement de l'étranger concerné (motif médical, absence de documents de voyage, etc.).

Toutefois, en raison des difficultés importantes auxquelles elle est parfois confrontée pour l'exécution de certaines « doubles peines » particulièrement difficiles (refus d'embarquement, mobilisation des associations et des médias, grèves de la faim, etc.), l'autorité administrative utilise, depuis plusieurs années, les assignations à résidence à d'autres fins que celles prévues par la loi. Il peut s'agir de rechercher une solution alternative à l'éloignement qui agrée l'ensemble des parties, voire de tester la capacité d'amendement d'un étranger expulsé : dans tous les cas, l'arrêté d'expulsion ou de reconduite à la frontière n'est pas mis à exécution, au moins dans un premier temps.

Certes, ces mesures n'ont pas de base légale, mais les intéressés n'ont aucun intérêt à les contester.

Dans le cadre de la réforme de la « double peine », le Gouvernement propose, en conséquence, de rapprocher la pratique et la loi et de consacrer réellement le principe des « expulsions avec sursis ».

3. Les mesures proposées

Le présent article introduit, à l'article 28 bis de l'ordonnance, la possibilité d'assigner à résidence, « à titre probatoire et exceptionnel », les étrangers qui bénéficient d'une protection relative contre les mesures d'expulsion (article 25 de l'ordonnance dans sa rédaction issue de l'article 22 du projet de loi) mais à l'encontre desquels une telle mesure est néanmoins décidée pour l'une des raisons suivantes :

-  condamnation à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans (dernier alinéa de l'article 25 de l'ordonnance) ;

-  nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique (2° de l'article 25 bis de l'ordonnance).

Dans ces circonstances, l'assignation à résidence sera assortie d'une autorisation de travail, ce qui paraît normal dans une perspective de réinsertion. De fait, si l'article 28 de l'ordonnance ne le prévoit pas, l'expérience montre que l'administration accepte déjà, généralement, de délivrer une telle autorisation lorsqu'elle utilise l'assignation à résidence comme une mise à l'épreuve d'un étranger expulsé.

Enfin, l'assignation à résidence pourra être abrogée à tout moment « en cas de faits nouveaux constitutifs d'un comportement préjudiciable à l'ordre public », ce qui aura pour effet de rendre exécutoire la mesure d'éloignement.

La Commission a adopté un amendement du rapporteur créant un nouveau cas d'assignation à résidence pour les étrangers malades qui, en vertu de l'article 22 du projet de loi, bénéficient d'une protection contre les mesures d'éloignement, son auteur ayant fait valoir que leur état de santé ainsi que l'accès aux soins dans le pays de renvoi étaient susceptibles d'évoluer (amendement n° 95).

Elle a également adopté deux amendements du rapporteur, l'un de codification (amendement n° 96), l'autre étendant à la nouvelle procédure d'« expulsion avec sursis » les obligations de présentation aux services de police et de gendarmerie, ainsi que les sanctions en cas de non respect par l'étranger de ses obligations (amendement n° 97).

La Commission a adopté l'article 26 ainsi modifié.

Article 27

(art. 28 ter de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Modification par coordination des règles de relèvement ou d'abrogation des interdictions du territoire et des arrêtés d'expulsion

Le présent article s'inscrit dans le cadre de la réforme de la législation relative à l'expulsion et à l'interdiction du territoire mise en œuvre par le projet de loi (19). Il reprend et modifie, par coordination, dans un nouvel article numéroté 28 ter, les dispositions qui figuraient, jusqu'à présent, à l'article 28 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, supprimées par l'article 26 du projet de loi, relatives à la procédure de relèvement d'une interdiction du territoire ou d'abrogation d'un arrêté d'expulsion.

1. L'obligation de résider hors de France

a) Le relèvement d'une interdiction du territoire

L'interdiction du territoire prononcée à titre de peine accessoire peut faire l'objet d'un relèvement, selon les modalités fixées par l'article 702-1 du code de procédure pénale (20). Ainsi, une demande peut être, par voie de requête, présentée à cet effet à la dernière juridiction qui l'a prononcée, à l'issue d'un délai de six mois après la condamnation initiale. En cas de refus opposé à cette première requête, une autre demande ne peut être présentée que six mois plus tard. Il en est de même, éventuellement, des demandes ultérieures. Il importe de préciser que l'article 40 du projet de loi modifie l'article 702-1 précité du code de procédure pénale, afin d'assouplir les conditions de relèvement des interdictions du territoire.

b) L'abrogation d'un arrêté d'expulsion

L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé, en application du second alinéa de l'article 3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. L'article 3 du décret n° 82-440 du 26 mai 1982 précise que cette abrogation est appréciée par l'autorité qui a prononcé l'expulsion ; le silence gardé pendant plus de quatre mois vaut décision de rejet (article 3-1). Les conditions de fond de l'abrogation sont inverses de celles de l'expulsion elle-même : en toute hypothèse, la menace pour l'ordre public ou la nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique ne doit plus exister.

c) L'obligation de résider hors de France

Dans les deux cas, l'article 28 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ajoute une condition de recevabilité supplémentaire : il ne peut être fait droit à une demande de relèvement d'une interdiction du territoire ou d'abrogation d'un arrêté d'expulsion que si le ressortissant étranger réside hors de France. Toutefois, deux exceptions sont prévues :

-  lorsque l'étranger subit en France une peine d'emprisonnement : l'exécution de l'arrêté est alors suspendue et l'intéressé, qui est certes en France mais qui ne s'est pas soustrait à sa mise en œuvre, peut en demander l'abrogation ;

-  lorsque l'étranger fait l'objet d'une assignation administrative à résidence, auquel cas sa présence en France n'est pas irrégulière, ce qui justifie qu'il puisse demander l'abrogation de l'arrêté pris à son encontre.

2. Une modification liée à la mise en œuvre de la procédure de réexamen périodique des arrêtés d'expulsion

Le présent article réaffirme le principe selon lequel une demande de relèvement ou d'abrogation d'une interdiction du territoire ou d'une mesure d'expulsion n'est recevable que si l'étranger a quitté le territoire français. Toutefois, il prévoit, s'agissant des mesures administratives d'éloignement, une nouvelle exception à la règle en écartant de son application la mise en œuvre du troisième alinéa de l'article 23 de l'ordonnance, c'est-à-dire la procédure de réexamen périodique des motifs des arrêtés expulsion instituée par l'article 21 du projet de loi. Par ailleurs, il complète la référence existante à l'assignation à résidence afin de tenir compte du nouveau cas introduit par l'article 26 du projet de loi.

Autrement dit, le fait que l'intéressé se trouve encore sur le territoire français ne fera pas obstacle à ce réexamen périodique. L'exposé des motifs du projet de loi est d'ailleurs explicite : « Ce dispositif s'applique même si l'étranger ne remplit pas les conditions de recevabilité d'une demande d'abrogation de l'arrêté d'expulsion, c'est-à-dire même s'il ne réside pas à l'étranger, mais se maintient clandestinement en France ».

Comme on l'a vu, cette mesure législative a été précédée d'une évolution jurisprudentielle concordante : dans son arrêt Etanji du 23 février 2000, le Conseil d'État a considéré que l'atteinte portée au respect de la vie privée et familiale d'un étranger, garantie par les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, devait toujours être considérée lorsqu'elle est invoquée à l'appui d'une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion, y compris si l'intéressé ne réside pas hors de France comme le prévoit l'article 28 bis de l'ordonnance (21).

La Commission a adopté deux amendements du rapporteur, l'un de codification (amendement n° 98) et l'autre de conséquence avec le nouveau cas d'assignation à résidence prévu par l'amendement n° 95 à l'article 26 pour les étrangers malades (amendement n° 99).

Elle a ensuite adopté l'article 27 ainsi modifié.

Article 28

(art. 29 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Modification des règles d'instruction des dossiers de regroupement familial
- Délivrance d'une carte de séjour temporaire

Le présent article modifie l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, principale disposition de son chapitre 6 intitulé : « Du regroupement familial ». Le Gouvernement propose de réviser les règles afférentes à l'instruction des demandes de rapprochement des personnes d'une même famille ainsi que les droits ouverts par cette procédure sur le plan du séjour. Ce faisant, il participe d'une réforme d'ensemble auxquels concourent également les articles 7, 13 et 14 du projet de loi.

1. L'instruction des dossiers : des visites plus ciblées ; une participation renforcée des maires

Les paragraphes I et II du présent article adaptent les modalités selon lesquelles les agents de l'office des migrations internationales (omi) procèdent à l'instruction des dossiers de regroupement familial (22).

On rappellera, tout d'abord, que le regroupement familial est subordonné à des conditions tenant à :

-  la durée de la présence régulière sur le sol français de l'étranger, dit « regroupant », qui souhaite être rejoint par sa famille : cette durée doit être d'au moins un an ;

-  la nature du titre de séjour qu'il détient, dont la durée de validité doit être également d'au moins un an ;

-  ses ressources financières, qui doivent être stables et suffisantes, le SMIC étant le niveau à partir duquel un refus ne peut plus être opposé ;

-  ses conditions de logement : 16 m² pour deux personnes, 25 m² pour trois personnes, 34 m² pour quatre personnes, etc. (23).

La Commission a rejeté un amendement de M. Nicolas Perruchot modifiant les critères de ressources du regroupement familial, le rapporteur, tout en exprimant son accord sur le fond, ayant fait valoir que le barème figurant dans l'amendement n'avait pas sa place dans un texte législatif. Elle a également rejeté un amendement du même auteur modifiant les conditions de superficie des logements, après que le rapporteur eut estimé qu'il était difficile de prévoir des critères uniformes pour tout le territoire national.

Le regroupement familial n'est autorisé que pour les conjoints et descendants ; il doit être sollicité pour l'ensemble des membres admissibles de la famille du demandeur.

Afin de vérifier si les conditions relatives au logement sont bien remplies, les agents de l'omi sont tenus, aujourd'hui, de procéder à une visite du domicile du demandeur. Il est proposé que ces vérifications sur place ne soient plus, formellement, systématiques : les agents de l'omi y procéderaient « si nécessaire ».

Auditionné par le rapporteur, M. Henri Toutée, président de l'omi, a justifié cette mesure en expliquant que, parmi les dossiers qui lui sont soumis, il convient de distinguer : ceux qui présentent toutes les garanties et pour lesquels il n'est pas besoin de procéder à une enquête plus approfondie ; ceux qui ne remplissent pas les conditions légales, notamment en termes de ressources, et qui feront l'objet, en toute hypothèse, d'une réponse négative ; ceux qui se situent entre ces deux extrêmes et qui sont les seuls, en réalité, pour lesquels il est utile de se rendre sur place. Le projet de loi va donc permettre à l'omi de se concentrer sur ces derniers (ce qui semble être déjà le cas dans certains départements) et, ce faisant, de réduire ses délais d'enquêtes et redéployer des moyens.

Par ailleurs, les liens entre l'omi et les maires sont renforcés.

En effet, la loi prévoit aujourd'hui que le maire doit être consulté à l'issue de l'enquête de l'omi. La circulaire du 1er mars 2000 précise que cette consultation a pour but de « compléter utilement l'avis de l'omi, compte tenu de sa connaissance de la réalité des activités économiques et du parc immobilier de sa commune, notamment en matière de salubrité ». Plus précisément : « Le maire doit émettre un avis au regard des informations émanant de l'omi fixées par la loi en ce qui concerne les ressources, et par le règlement pour les conditions de logement. Il ne s'agit en aucun cas d'un avis en opportunité (...) et aucun élément sur la situation sociale du demandeur ne peut être pris en considération pour fonder un refus. » (24)

L'avis du maire est réputé favorable à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication du dossier.

Il est proposé que, désormais, le dossier soit communiqué au maire, et son avis recueilli, non plus « à l'issue » mais « au cours » de l'instruction, afin de mieux l'associer à son déroulement.

La Commission a adopté un amendement du rapporteur améliorant la procédure de vérification des conditions de logement et de ressources requises dans le cadre d'une demande de regroupement familial, en substituant les services communaux à ceux de l'office des migrations internationales pour la mise en œuvre des opérations de contrôle (amendement n° 100).

2. Les conditions de délivrance d'un titre de séjour

Les paragraphes III et IV du présent article modifient les conditions de délivrance d'un titre de séjour aux étrangers entrés en France au titre du regroupement familial.

a) Une distinction entre le droit au séjour et le statut

Aujourd'hui, en application du principe général fixé par le paragraphe III de l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : « Les membres de la famille, entrés régulièrement sur le territoire français au titre du regroupement familial, reçoivent de plein droit un titre de séjour de même nature que celui détenu par la personne qu'ils sont venus rejoindre (...) ». Il peut donc s'agir soit d'une carte de résident, ce qui est le plus fréquent, soit d'une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». Dans tous les cas, ce titre de séjour confère à son titulaire le droit d'exercer une activité professionnelle (article 30 bis de l'ordonnance).

À ce principe général, le paragraphe III du présent article substitue de nouvelles dispositions qui prévoient que : « Les membres de la famille, entrés régulièrement sur le territoire français au titre du regroupement familial, reçoivent de plein droit une carte de séjour temporaire, dès qu'ils sont astreints à la détention d'un titre de séjour » (25).

Ce changement s'articule avec d'autres dispositions du projet de loi : l'article 13, qui supprime le principe de la délivrance de droit d'une carte de résident (article 15-5° de l'ordonnance) ; l'article 14, qui prévoit la délivrance, à l'issue d'un délai de cinq ans, aux personnes entrées en France au titre du regroupement familial, d'une carte de résident, sous réserve d'une intégration satisfaisante dans la société française (article 15-13° de l'ordonnance). On rappellera que ce délai de cinq ans a été ramené, s'agissant du regroupement familial, à deux ans, par l'amendement n° 79 adopté à l'article 10.

Ces dispositions combinées ne remettent pas en cause le droit constitutionnel de mener une vie familiale normale, dont bénéficient tous les étrangers dès lors qu'ils vivent en France de manière stable et régulière (26). Elles introduisent simplement, pour reprendre une expression utilisée par M. Jean Gaeremynck, directeur de la population et des migrations, lors de son audition par le rapporteur, une distinction entre le droit au séjour, d'une part, et le statut, d'autre part : le premier est garanti, un titre de séjour étant délivré en toute hypothèse aux familles qui remplissent les conditions du regroupement ; l'octroi d'une carte de résident, en revanche, est subordonné à une durée suffisante de présence sur le sol français et à une condition d'intégration.

b) Une condition de vie commune renforcée

Le paragraphe IV de l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit que, pendant l'année qui suit sa délivrance, le titre de séjour qui a été délivré au conjoint rejoignant peut être retiré, s'il s'agit d'une carte de résident, ou son renouvellement refusé, s'il s'agit d'une carte de séjour temporaire, en cas de rupture de la vie commune avec le « regroupant ».

Le paragraphe IV du présent article supprime, par coordination, la référence à la carte de résident, car le seul titre désormais susceptible de faire l'objet d'une telle décision - par définition durant les cinq premières années - est la carte de séjour temporaire.

Par ailleurs, il prend en compte l'éventualité d'une rupture de la vie commune intervenant entre l'arrivée en France du rejoignant et la délivrance à son profit d'un titre de séjour : le préfet ou, à Paris, le préfet de police, pourra, dans une telle hypothèse, refuser la délivrance initiale de la carte de séjour temporaire (27).

La Commission a adopté l'amendement n° 3 de M. Bruno Bourg-Broc allongeant le délai pendant lequel la carte de séjour temporaire remise au conjoint d'un étranger peut être retirée ou non renouvelée en cas de rupture de la vie commune, ainsi qu'un sous-amendement de M. Christian Vanneste fixant à deux ans au lieu de cinq ans le délai proposé (sous-amendement n° 101).

Ces dispositions sont effectivement de nature à mettre fin à certains abus liés à la procédure du regroupement familial. Toutefois, le rapporteur observe que la question des demandes de regroupement « sur place », pour des enfants ou conjoints souvent entrés ou restés illégalement en France, n'est pas traitée, bien qu'elle soit explicitement qualifiée de « détournement de procédure » par la circulaire du 7 mai 2003 (28).

Comme on l'a vu dans l'exposé général, le nombre des « admissions au séjour », par opposition aux « introductions », s'est élevé, en 2001, à 2 808, selon les chiffres de l'OMI. À Paris uniquement, comme le montre le tableau ci-après qui reproduit des données émanant de la préfecture de police, près de 900 décisions ont été rendues, en 2002, sur des dossiers de ce type. Certes, à peine 20 % de ces demandes ont été acceptées et, de surcroît, une partie importante d'entre elles étaient conforme à la législation en vigueur (par exemple en cas de mariage entre deux ressortissants étrangers, l'un résidant en France sous couvert d'une carte permanente de dix ans, l'autre sous couvert d'une carte d'étudiant, ou lorsque la présence de jeunes enfants rend difficile un retour). Mais, pour le reste, en l'absence de sanction, hormis sur le plan de l'accès aux prestations sociales, ce phénomène risque de prendre des proportions de plus en plus inquiétantes.

DÉCISIONS RELATIVES AU REGROUPEMENT FAMILIAL À PARIS

1998

1999

2000

2001

2002

Total des décisions

1 799

2 152

2 180

2 764

2 621

- dont introductions

978

1 191

1 532

1 709

1 722

- dont admissions sur place

821

961

648

1 055

899

Pourcentage des admissions
sur le total des décisions

46

45

30

38

34

Admissions refusées

289

322

403

833

716

Pourcentage des refus admissions sur le total des admissions

35

34

62

79

80

Source : préfecture de police de Paris.

Il importe, en conséquence, de prévoir des dispositions afin qu'il ne soit plus possible pour un étranger d'abuser de la légalité de son séjour sur le territoire national en faisant venir les autres membres de sa famille en violation des dispositions légales prévues par le droit français.

La Commission a été saisie d'un amendement du rapporteur proposant que les demandes de regroupements familiaux illégaux dits « sur place » soient sanctionnées par le retrait du titre du séjour de la personne à l'origine de la demande.

M. Bernard Roman s'est interrogé sur le sort du requérant qui voit son titre de séjour retiré alors qu'il est depuis plusieurs années en France. Le rapporteur a admis que la sanction proposée était sévère mais a estimé nécessaire de mettre fin aux détournements de procédure qui ne font qu'accroître le flux des sans-papiers. M. Bernard Roman a suggéré qu'on se contente de prévoir le refus d'enregistrement des demandes de regroupement familial formulées dans ces conditions. S'interrogeant sur l'efficacité de la sanction proposée par le rapporteur, M. Xavier de Roux a estimé qu'elle risquait de conduire à une multiplication des sans-papiers, la possibilité d'octroyer un titre de séjour temporaire d'un an au requérant sanctionné ne figurant même pas dans l'amendement présenté par le rapporteur. Mme Valérie Pecresse a estimé que le titulaire d'une carte de résident, qui séjourne en France depuis au moins dix ans, avait un droit au regroupement familial, ajoutant qu'il était difficilement envisageable de renvoyer les enfants dans leur pays d'origine. Après avoir souligné les difficultés de la situation actuelle, qui conduisent à des détournements de procédure contestables, le président Pascal Clément a considéré que la sanction proposée était effectivement sévère. Bien que M. Étienne Pinte eût jugé l'amendement du rapporteur difficilement applicable, la Commission l'a adopté (amendement n° 102).

La Commission a également adopté l'amendement n° 20 de M. Gérard Léonard refusant le bénéfice du regroupement familial aux enfants nés en France mais ayant quitté le territoire sans leurs parents pour une longue durée et tentant d'y revenir par cette voie. Son auteur a expliqué que cette disposition éviterait des situations qui posent de réelles difficultés d'intégration.

La Commission a adopté l'article 28 ainsi modifié.

Article 29

(chapitre VII de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Coordination liée à l'introduction de la notion de protection temporaire

Le présent article modifie l'intitulé du chapitre VII de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (« Des demandeurs d'asile »), afin de prendre en compte, par coordination, l'introduction, par l'article 30 du projet de loi, commenté ci-après, de la notion de protection temporaire. Il est proposé que ce chapitre s'intitule désormais : « Des demandeurs d'asile et des bénéficiaires de la protection temporaire ».

La Commission a adopté l'article 29 sans modification.

Article 30

(art. 32 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Protection temporaire

Le présent article introduit dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 la notion de « protection temporaire », qui est destinée à être offerte à des personnes déplacées en cas d'afflux massif et, a priori, momentané, de populations en difficulté. Ce faisant, il transpose en droit français les dispositions de la directive n° 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001.

1. La directive

L'élaboration de la directive du 20 juillet 2001 a été profondément marquée par les mouvements de population qui sont intervenus, en Europe, au cours de la décennie passée, notamment lors des crises successives des Balkans.

La France, comme les autres États membres, a assumé, dans ces circonstances, son devoir de protection en décernant aux personnes intéressées (11 000 lors de la crise du Kosovo) des autorisations provisoires de séjour, assorties, le cas échéant, d'une autorisation de travailler ; par la suite, un programme de retours volontaires suivi, en tant que de besoin, de mesures d'éloignement forcé, a été mis en œuvre.

Toutefois, les États membres de l'Union européenne ont pris conscience de la nécessité de gérer ces situations de façon plus concertée, en mettant en place un dispositif exceptionnel permettant d'offrir une protection qui soit à la fois immédiate et temporaire et de répartir la charge financière induite par l'accueil des personnes déplacées.

La directive a été élaborée à cet effet (29). Le Royaume-Uni a notifié, dès le 27 septembre 2000, son souhait de participer à son adoption et à son application. Elle devait être transposée, en principe, avant le 31 décembre 2002.

2. La transposition

Afin de transposer les dispositions de la directive, le présent article confère à l'article 32 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, devenu sans objet depuis que la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 a repris ses dispositions dans la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952, une rédaction nouvelle dont les dispositions sont présentées ci-après.

a) Le bénéfice de la protection temporaire

Le paragraphe I de l'article 32 renvoie à l'article 5 de la directive pour ce qui est des modalités d'ouverture du bénéfice de la protection temporaire.

L'existence d'un afflux massif de personnes déplacées sera constatée par une décision du Conseil de l'Union européenne prise sur proposition de la Commission et adoptée à la majorité qualifiée. La décision devra décrire les groupes de personnes qui bénéficient de la protection, l'ampleur estimée des mouvements de population, la date d'entrée en vigueur du dispositif et les informations relatives à leurs capacités d'accueil transmises par les États membres. Elle sera fondée sur : l'examen de la situation et l'ampleur des mouvements de population ; l'opportunité d'instaurer la protection temporaire au regard des possibilités d'action sur place ; les informations communiquées par les États membres, la Commission, le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (hcnur) et les autres organisations internationales concernées.

b) La délivrance d'un titre de séjour

Le paragraphe II prévoit la délivrance aux étrangers concernés d'un titre de séjour, provisoire et renouvelable, et, le cas échéant, conformément à l'article 12 de la directive, d'une autorisation de travail.

Comme le prévoit l'article 4 de la directive, le bénéfice de la protection temporaire sera accordé pour une durée d'un an renouvelable deux fois, soit trois ans au total.

On soulignera, toutefois, que le Conseil, sur proposition de la Commission, pourra à tout moment mettre fin à la protection temporaire (article 6 de la directive).

c) Protection temporaire et droit d'asile

Le paragraphe III prévoit les articulations nécessaires entre la protection temporaire et le droit d'asile, conformément aux dispositions du chapitre IV de la directive.

Les deux statuts ne sont pas cumulables. En revanche, l'étranger bénéficiant de la protection temporaire conservera la possibilité de déposer à tout moment une demande d'asile : dans cette hypothèse, il bénéficiera de la protection durant la période d'examen de sa demande, ainsi qu'à l'issue de celle-ci en cas de réponse négative. De fait, obéissant à des règles différentes et répondant à des situations distinctes, les deux régimes ne doivent pas influer l'un sur l'autre : une personne peut avoir besoin d'une protection temporaire sans remplir les conditions requises pour bénéficier du statut de réfugié politique.

d) Les exclusions

Le paragraphe IV prévoit les cas d'exclusion du bénéfice de la protection temporaire, conformément à l'article 28 de la directive.

Deux hypothèses sont prévues :

-  « s'il existe des raisons sérieuses de penser » qu'une personne a commis des faits extrêmement graves en dehors du territoire français avant l'octroi du bénéfice de la protection temporaire (crime contre la paix, crime de guerre, crime contre l'humanité, crime grave de droit commun ou agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies) ;

-  lorsque la présence d'une personne sur le territoire représente une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État.

e) Le regroupement des familles

Le paragraphe V renvoie à l'article 15 de la directive pour ce qui est du droit de la famille d'un étranger ainsi protégé (son conjoint et, le cas échéant, son partenaire non marié engagé dans une relation stable ; ses autres parents proches qui vivaient au sein de l'unité familiale au moment des évènements) de le rejoindre.

Il est précisé que, dans cette circonstance, les membres de la famille reçoivent, sous réserve d'une éventuelle menace à l'ordre public, un document provisoire de séjour de même nature que celui détenu par la personne qu'ils sont venus rejoindre.

La Commission a adopté deux amendements, l'un rédactionnel (amendement n° 103), l'autre de précision (amendement n° 104), présentés par le rapporteur, ainsi que l'article 30 ainsi modifié.

Article 31

(art. 32 ter de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Coordination liée à la réforme du droit d'asile et à l'introduction de la notion de protection temporaire

Le présent article modifie l'article 32 ter de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui prévoit que l'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié a été définitivement refusée doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une mesure d'éloignement.

Les modifications proposées prennent en compte : la suppression de la notion d'asile territorial et l'introduction, par le projet de loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952, en cours d'examen, de la notion de « protection subsidiaire » ; l'introduction, par l'article 30 du projet de loi, de la notion de « protection temporaire ».

Ainsi, l'article 32 ter de l'ordonnance du 2 novembre 1945 s'appliquera désormais non seulement à l'étranger auquel la qualité de réfugié a été refusée, mais également à celui qui n'a pas obtenu, qui a été exclu ou qui ne bénéficie plus de la protection subsidiaire.

Dans tous les cas, il devra quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une des mesures d'éloignement et, le cas échéant, des pénalités prévues aux articles 19 et 22.

La Commission a adopté un amendement de précision du rapporteur (amendement n° 105), ainsi que l'article 31 ainsi modifié.

Article 32

(art. 34 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Vérification de l'authenticité des actes d'état civil étrangers
et sursis à statuer sur les demandes de visas

Le présent article étend les possibilités existantes de vérification des actes d'état civil étrangers suspectés d'être frauduleux. Il introduit, pour leur mise en œuvre, un mécanisme de sursis à statuer en matière de délivrance des visas.

Actuellement, l'article 34 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit que, par dérogation aux dispositions de l'article 47 du code civil (30), les autorités chargées de son application peuvent demander aux agents diplomatiques ou consulaires français la légalisation ou la vérification de tout acte d'état civil étranger en cas de doute sur son authenticité.

Toutefois, cette disposition est insuffisante face à l'ampleur de la fraude à l'état civil dans certains pays : il apparaît qu'un tel phénomène ne saurait être combattu avec efficacité qu'au moyen d'un contrôle en amont, au niveau des postes consulaires et préalablement à la délivrance d'un titre de séjour.

En effet, d'après l'étude d'impact, 30 % à 80 % des actes produits auprès des consulats dans plusieurs pays d'Afrique francophone sont contrefaits. Selon le ministère des affaires étrangères, dans certains pays, le pourcentage moyen des actes frauduleux atteint 95 %.

De même, il convient d'avoir à l'esprit que, selon une étude réalisée en novembre 2002 par l'inspection générale de l'administration du ministère de l'intérieur, plus de 90 % des « sans papiers » sont entrés en France de façon légale, sur la base d'un visa de tourisme dont l'échéance n'a pas été respectée ; le non respect de l'obligation de retour dans un délai de trois mois serait d'environ 10 % pour les nationalités les plus sensibles.

En conséquence, le présent article propose de compléter l'article 34 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 de façon à permettre aux agents diplomatiques ou consulaires, en cas de doute et de leur propre initiative, de procéder aux opérations de vérification lorsqu'ils sont saisis d'une demande de visa ou de transcription d'un acte d'état civil.

Par ailleurs, il confère, par dérogation aux dispositions de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (31), un effet suspensif, en ce qui concerne les demandes de visa, aux opérations de vérification engagées à des fins d'authentification.

Le sursis à statuer vaudra pour une première période de six mois ; lorsque les vérifications n'auront pas abouti malgré les diligences effectuées, la suspension pourra être prorogée « pour une durée strictement nécessaire et qui ne peut excéder six mois ».

Ce délai est justifié par la longueur des procédures de vérification de l'authenticité des actes, qui dépend en grande partie de la collaboration des autorités locales : dans plus de 50 % des cas, selon l'étude précitée du ministère des affaires étrangères, ces procédures excèdent la durée de six mois.

Cette mesure, particulièrement opportune, n'est pas exclusive d'une réflexion plus large pouvant conduire à modifier directement l'article 47 du code civil. En effet, il est assez fréquent, notamment dans les pays où la corruption est une pratique répandue, que des documents d'état civils authentiques mais obtenus par des voies frauduleuses soient présentés aux autorités françaises : en cas de doute et même rédigés dans les formes usitées dans ledit pays, ces documents, que l'on peut qualifier de « vrais-faux », ne devraient pas faire foi. Le rapporteur prendra une initiative, à ce sujet, après l'article 35 du projet de loi.

La Commission a adopté l'article 32 sans modification.

Article 33

(art. 35 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Réforme du régime de la rétention des étrangers

Le présent article procède à une réécriture intégrale de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui organise le placement en rétention des étrangers ayant fait l'objet d'une décision d'éloignement du territoire français. Les nouvelles dispositions mises en œuvre sont destinées à accroître le taux d'exécution de ces mesures, dans le respect des droits et garanties des personnes concernées.

A. LES LOCAUX ET LES CENTRES DE RÉTENTION

1. La législation en vigueur

En application de l'article 35 bis précité, le maintien en rétention d'un étranger peut être ordonné par le préfet lorsque son éloignement, décidé par l'autorité administrative ou judiciaire, ne peut être mis en œuvre immédiatement, et qu'une surveillance particulière est nécessaire pour s'assurer de l'exécution de la décision.

La durée maximale de la rétention est actuellement de douze jours :

-  48 heures sur le fondement de la décision préfectorale initiale ;

-  cinq jours sur autorisation du juge des libertés et de la détention (jld) (32) ;

-  cinq jours enfin, de nouveau sur autorisation du jld, en cas d'urgence absolue et de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ou d'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement en raison du comportement de l'intéressé.

L'étranger placé en rétention n'est pas assimilable à un détenu : il fait l'objet d'une procédure que la Cour de cassation qualifie de « mesure de surveillance et de contrôle ». La loi précise, d'ailleurs, que le maintien en rétention s'effectue dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ; elle reconnaît à l'étranger des droits étendus et lui permet de communiquer librement avec son consulat ou les personnes de son choix. À titre exceptionnel, elle prévoit même que l'étranger qui dispose de garanties de représentation effectives peut être assigné à résidence.

Enfin, le décret n° 2001-236 du 19 mars 2001 relatif aux centres et locaux de rétention administrative a conféré à ces structures un véritable statut juridique et a fixé des normes minimales en termes de conditions d'hébergement, de restauration et de détente, d'assistance juridique et matérielle, sous réserve d'un délai de mise en conformité de trois ans.

Il distingue les « centres » de rétention administrative (cra), à vocation nationale, et les « locaux » de rétention administrative, appartenant à la police ou la gendarmerie, dont l'usage, limité à 48 heures, est résiduel, lorsque les circonstances de temps ou de lieu font obstacle au placement dans un centre.

L'office des migrations internationales (omi) est chargé de l'accueil, l'information et le soutien moral et psychologique des étrangers dans la perspective de leur départ. Une convention est passée entre l'État et une association, la cimade en l'occurrence, afin de garantir l'exercice effectif des droits de l'étranger.

L'arrêté du 24 avril 2001 désigne, dans son annexe I, les centres de rétention mentionnés à l'article 2 du décret du 19 mars 2001.

LISTE DES CENTRES DE RÉTENTION

Lieu

Préfecture

Ministère

Capacité

Bobigny

Seine-Saint-Denis

Intérieur

30

Bordeaux

Gironde

Intérieur

8

Calais-Coquelles

Pas-de-Calais

Intérieur

79

Geispolsheim

Bas-Rhin

Défense

18

Hendaye

Pyrénées-Atlantiques

Intérieur

15

Le Mesnil-Amelot

Seine-et-Marne

Défense

68

Lille-Lesquin

Nord

Intérieur

21

Lyon-Saint-Exupéry

Rhône

Intérieur

53

Marseille

Bouches-du-Rhône

Intérieur

48

Nanterre

Hauts-de-Seine

Intérieur

26

Nantes

Loire-Atlantique

Intérieur

10

Nice

Alpes-Maritimes

Intérieur

68

Paris

Paris

Intérieur

194

Rivesaltes

Pyrénées-Orientales

Défense

18

Rouen

Seine-Maritime

Intérieur

6

Sète

Hérault

Intérieur

14

Toulouse

Haute-Garonne

Intérieur

20

Versailles

Yvelines

Intérieur

20

Morne-Vergain

Guadeloupe

Intérieur

20

Cayenne

Guyane

Intérieur

38

Le Chaudron

Réunion

Intérieur

9

Le Lamentin

Martinique

Intérieur

10

Pamandzé

Mayotte

Intérieur

100

TOTAL

893

Source : ministère de l'intérieur.

2. Les insuffisances de la législation

Comme on l'a vu dans l'exposé général, 80 % des mesures d'éloignement ne sont pas exécutées. L'encadrement juridique de la rétention des étrangers y est pour beaucoup, une personne auditionnée par le rapporteur ayant même considéré que : « L'article 35 bis fait de la France le maillon faible de l'Europe en matière de lutte contre l'immigration clandestine ». La durée de rétention est insuffisante et les failles de la législation sont à l'origine de vices de procédure qui entraînent la remise en liberté de nombreux étrangers.

En effet, la durée de douze jours actuellement autorisée est la plus contraignante des États européens : comme en témoigne le tableau ci-après, elle est de deux mois en Italie, six mois en Autriche, dix-huit mois en Allemagne, illimitée sous certaines conditions au Royaume-Uni et en Finlande.

DÉLAIS DE RÉTENTION EN EUROPE

Pays

Durée rétention
administrative

Durée rétention
juridictionnelle

Durée totale
rétention

Observations

Allemagne

48 heures

6 mois,
prorogeable d'un an

18 mois,
exceptionnellement

Durée moyenne de
15 jours à 4 mois

Autriche

2 mois

6 mois

Belgique

2 mois
(5 mois maximum)

5 mois

Prolongation jusqu'à
8 mois en cas de menace
à l'ordre public

Danemark

72 heures

25 jours

28 jours

Possibilité d'assignation
à résidence

Finlande

4 jours

Illimitée

Pas de délai maximum

Contrôle toutes les deux semaines par le tribunal d'instance

France

48 heures

Période de 5 jours,
renouvelable une fois

12 jours

Espagne

72 heures

37 jours

40 jours

Grèce

3 jours

3 mois

3 mois et 3 jours

Irlande

8 semaines maximum

8 semaines

Italie

30 jours

30 jours

60 jours

Luxembourg

1 mois
prorogeable deux fois

3 mois

Pays-Bas

10 jours

18 jours,
puis le juge statue
toutes les 48 heures

Illimitée en théorie

En pratique
six semaines

Portugal

48 heures

60 jours

60 jours

Durée appréciée tous les 8 jours par le juge

Royaume-Uni

Pas de délai prévu

Pas de délai prévu

Aucun délai prévu

Suède

2 semaines
2 mois si une décision d'expulsion a été prise

Deux mois
renouvelables

Aucune législation :
les autorités ont
toute latitude

Source : ministère de l'intérieur.

Une durée de rétention de douze jours ne permet pas de faire face aux difficultés matérielles inhérentes à l'éloignement d'un étranger.

De plus, elle ne suffit pas pour obtenir les laissez-passer consulaires nécessaires à cet éloignement, soit pour des raisons pratiques objectives, soit du fait de la réticence de certaines autorités étrangères qui tirent prétexte de sa brièveté pour ne pas délivrer les documents requis.

Comme le montre le tableau ci-après, le taux de délivrance de ces laissez-passer était à peine de 26,88 % en 2002 (28,2 % en 2001) : il s'agit de la principale cause de non renvoi des étrangers.

LAISSEZ-PASSER CONSULAIRES DÉLIVRÉS EN 2002

Consulats

Laissez-passer
demandés

Laissez-passer
obtenus dans les délais
utiles

Laissez-passer
obtenus hors délais

Laissez-passer
refusés

Demandes restées sans
réponse

% de
laissez-passer
obtenus par rapport au laissez-passer
demandés

albanie

266

135

2

85

44

50,75

algérie

3 289

1 264

23

1 523

479

38,43

angola

125

8

1

75

41

6,40

bulgarie

41

25

4

2

10

60,98

cameroun

191

27

97

67

14,14

cap vert

49

7

1

19

22

14,29

chine

465

176

28

157

104

37,85

congo (brazzaville)

223

43

3

114

63

19,28

congo (kinshasa)

270

68

7

123

72

25,19

cote d'ivoire

280

8

1

131

140

2,86

égypte

471

9

2

234

226

1,91

guinée

131

16

80

35

12,21

haïti

45

2

5

12

26

4,44

inde

240

6

3

108

123

2,50

liban

50

35

15

0,00

mali

694

237

49

172

236

34,15

maroc

2 401

474

23

1 462

442

19,74

mauritanie

82

2

1

49

30

2,44

nigeria

100

21

2

31

46

21,00

pakistan

141

5

86

50

3,55

phillipines

10

5

1

4

50,00

pologne

153

76

10

46

21

49,67

roumanie

762

546

7

145

64

71,65

sénégal

257

68

2

144

43

26,46

sri lanka

97

38

18

41

39,18

tunisie

2 067

338

75

1 294

360

16,35

turquie

200

132

7

30

31

66,00

vietnam

17

2

9

6

11,76

yougoslavie

178

9

1

87

81

5,06

autres pays

2 689

550

23

1 366

750

20,45

total

15 984

4 297

280

7 735

3 672

26,88

Source : ministère de l'intérieur.

Soucieux de renforcer l'exécution effective des mesures d'éloignement, le Gouvernement propose d'allonger de façon significative la durée maximale de rétention. Il suggère également d'aménager la procédure afin de limiter les libérations consécutives à des vices de forme, dont la fréquence a déjà été évoquée par le rapporteur.

B. LES MESURES PROPOSÉES

Le Gouvernement propose au Parlement une réforme d'ensemble de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Le nouveau dispositif, dont le mode d'insertion dans l'ordonnance a fait l'objet d'un amendement rédactionnel du rapporteur adopté par la Commission (amendement n° 106), est exposé ci-après.

1. Le placement en rétention

a) La décision initiale

Le placement en rétention est ordonné par le préfet ou, à Paris, par le préfet de police : cette règle, déjà en vigueur aujourd'hui, est réaffirmée par le septième alinéa du paragraphe I du présent article. Celui-ci précise, néanmoins, qu'il intervient après l'interpellation de l'étranger, le cas échéant à l'expiration de sa garde à vue, ou à l'issue de son incarcération en cas de détention.

Sur ce fondement, un étranger pourra être maintenu en rétention, comme dans le droit actuel, pour une durée de 48 heures au plus, dans un « local » ou, le cas échéant, dans un « centre » de rétention (dixième alinéa du paragraphe I) : cette distinction reprend, comme on l'a vu, une disposition déjà introduite dans le décret du 19 mars 2001.

On relève, toutefois, que si le préfet dispose généralement d'un pouvoir d'appréciation, le placement en rétention de certaines catégories d'étrangers est de droit.

b) Les étrangers pouvant être placés en rétention

· La liste des étrangers dont le placement en rétention peut être ordonné est précisée par les six premiers alinéas du paragraphe I de l'article 35 bis.

Comme dans le droit en vigueur, est concerné, dès lors qu'il ne peut quitter immédiatement le territoire français, l'étranger devant être remis aux autorités compétentes d'un État de la Communauté européenne en application des accords de réadmission transcrits à l'article 33 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (notamment la convention de Schengen).

Peut également être placé en rétention l'étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion et qui ne peut quitter immédiatement le territoire national.

De même, est susceptible d'être placé en rétention l'étranger qui fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Il est indiqué, toutefois, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent, que cet arrêté doit avoir été « édicté moins d'un an auparavant ». Cette précision prend en compte l'évolution de la jurisprudence, le juge ayant déjà considéré que la mise en œuvre d'une décision d'éloignement dépourvue de mesures d'exécution pendant une durée anormalement longue devait donner lieu à un réexamen de la situation individuelle de l'intéressé (33).

Par coordination avec les dispositions introduites par l'article 25 du projet de loi (article 26 bis de l'ordonnance) en matière de reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement, est concerné, désormais, l'étranger faisant l'objet d'un signalement de non admission ou d'une mesure d'éloignement de la part d'un autre État membre de l'Union européenne.

Enfin, il est fait référence, comme dans le droit en vigueur, à l'étranger ayant déjà été placé en rétention au titre de l'un des cas précédents mais qui n'a pas déféré à la mesure d'éloignement dans un délai de sept jours à l'issue de ce placement. Est également prévu le cas de l'étranger qui a déféré à cette mesure mais qui est revenu sur le territoire français alors qu'elle était encore exécutoire. Sur ces deux circonstances, la Commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 107).

· À ces différentes catégories s'ajoute celle des étrangers ayant fait l'objet, de surcroît, d'une peine d'interdiction du territoire, dont le placement en rétention est soit de droit, soit possible. Les dispositions nécessaires sont prévues par le paragraphe VIII de l'article 35 bis.

L'étranger ayant fait l'objet d'une interdiction du territoire prononcée à titre de peine principale et assortie de l'exécution provisoire est placé de plein droit en rétention, comme dans le cadre de la législation en vigueur. La décision initiale est donc prise de facto par le juge et non par l'autorité administrative : c'est la raison pour laquelle le Gouvernement propose que, désormais, le juge des libertés et de la détention ne se prononce plus, dans cette hypothèse, sur le maintien en rétention à l'issue d'un premier délai de quarante-huit heures, mais uniquement à la fin de la première phase de rétention judiciaire, fixée à quinze jours en application des dispositions présentées ci-après.

L'étranger ayant fait l'objet d'une interdiction du territoire prononcée à titre de peine complémentaire peut être placé en rétention, le cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement, mais selon les mêmes formes et conditions que les autres catégories d'étrangers.

2. Le maintien en rétention

a) La première saisine du juge

Toute mesure ayant pour effet de priver un homme de sa liberté appelle une intervention de l'autorité judiciaire, qui en est la gardienne au terme de l'article 66 de la Constitution. C'est la raison pour laquelle l'article 35 bis en vigueur prévoit qu'un placement en rétention doit faire l'objet d'une information immédiate du procureur ; le juge des libertés et de la détention se prononce sur les conditions de la rétention à l'issue d'un délai de quarante-huit heures.

Le Gouvernement propose de reformuler les modalités de l'intervention de l'autorité judiciaire.

Tout d'abord, le procureur de la République n'est plus mentionné, une information directe du juge du siège étant privilégiée : selon les termes du septième alinéa du paragraphe I, le jld sera saisi « sans délai ». En fait, cette modification est sans portée, le dixième alinéa prévoyant toujours qu'il devra statuer dans un délai maximum de quarante-huit heures.

La Commission a adopté deux amendements du rapporteur. Le premier tend à rétablir le principe, actuellement en vigueur, d'une information du procureur de la République dès le placement d'un étranger en rétention (amendement n° 108). Le second revient à une saisine du juge des libertés et de la détention à l'issue d'un délai de quarante-huit heures et clarifie la portée de l'ordonnance qu'il rend dans cette circonstance ; il précise, par ailleurs, les modalités de notification des droits aux étrangers en rétention en indiquant que ces informations leur seront communiquées dans une langue qu'ils comprennent, et permet au juge des libertés et de la détention de statuer dans une salle d'audience spécialement aménagée à proximité immédiate d'un centre de rétention (amendement n° 109).

S'agissant de la durée de la rétention, le jld pouvait, jusqu'à présent, comme on l'a vu, prolonger le maintien de l'étranger pour un délai de cinq jours au plus. Le dixième alinéa du paragraphe I prévoit, désormais, qu'il pourra prolonger la rétention pour une période de quinze jours, selon des modalités clarifiées par l'amendement n° 109 de la Commission déjà évoqué.

À ce stade, le juge ne se prononce que sur les trois conditions légales du maintien en rétention, que le préfet a déjà dû apprécier avant lui : existence d'une mesure d'éloignement ; impossibilité de l'exécuter immédiatement ; nécessité de la rétention pendant « le temps strictement nécessaire » au départ (paragraphe V). Il convient de rappeler, toutefois, que cette première intervention du juge ne concerne pas les étrangers placés de plein droit en rétention car ayant fait l'objet d'une interdiction du territoire à titre de peine principale et assortie de l'exécution provisoire.

Les onzième et douzième alinéas du paragraphe I prévoient, par ailleurs, que le jld peut également ordonner, « à titre exceptionnel » et sous réserve de garanties de représentation effectives, non pas le maintien en rétention de l'étranger mais son assignation à résidence.

Comme dans le droit en vigueur, l'intéressé sera tenu de remettre ses documents d'identité à un service de police ou de gendarmerie : le texte précise, néanmoins, qu'il devra s'agir de « l'original » (34). Des précisions qui ne figuraient, jusqu'à présent, qu'à l'article 28 de l'ordonnance, sont également reprises : l'étranger devra se présenter périodiquement auprès des services de police ou de gendarmerie en vue de l'exécution de la mesure d'éloignement et ne résider que dans les lieux fixés par le juge, généralement à l'adresse qu'il a déclarée comme étant la sienne (voir le commentaire de l'article 26 du projet de loi).

De plus, le dispositif est mieux encadré afin que son caractère exceptionnel soit réellement respecté. Ainsi, il est prévu que le juge devra spécialement motiver sa décision lorsque l'étranger concerné s'est déjà soustrait, dans le passé, à l'exécution d'une mesure d'éloignement : cette hypothèse a déjà été considérée comme un motif valable de refus d'assignation à résidence pour absence de garantie de représentation effective, mais il convient d'unifier la jurisprudence.

Enfin, le non respect des obligations d'assignation pourra entraîner l'application des sanctions prévues par l'article 27 de l'ordonnance en cas de soustraction à une mesure d'éloignement (trois ans d'emprisonnement, interdiction du territoire de dix ans au plus et reconduite d'office à la frontière).

La Commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 110), ainsi qu'un second amendement du même auteur prévoyant que le procureur de la République devra être saisi « dans les meilleurs délais » et non pas « immédiatement » en cas de non respect par un étranger des modalités de son assignation à résidence, afin de donner plus de souplesse à la procédure (amendement n° 111).

b) La prorogation de la rétention

Comme on l'a vu, l'article 35 bis prévoit, aujourd'hui, qu'à l'issue des sept premiers jours de rétention, le maintien de l'étranger dans des locaux n'appartenant pas à l'administration pénitentiaire ou, le cas échéant, dans la résidence dans laquelle il a été assigné, ne peut être prorogé, pour une durée maximale de cinq jours, que sur une nouvelle autorisation du jld (35). Cette hypothèse est limitée, dans le droit actuel, à des circonstances précises mettant directement en cause le comportement de l'étranger lui-même : urgence absolue et menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ; impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement du fait de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation de son identité ou de son obstruction volontaire à l'éloignement. À défaut, la liberté est la règle.

Le principe de cette prorogation est repris par le présent article, à l'issue d'un délai non plus de sept mais de dix-sept jours conformément aux dispositions précédemment exposées. Concomitamment, la durée de la prorogation et ses motifs sont élargis par les paragraphes II et III du nouvel article 35 bis, qui prévoient, désormais, deux procédures différentes qu'il convient de présenter séparément.

· Le paragraphe II reprend, dans l'ensemble, les motifs actuellement énumérés par l'article 35 bis comme pouvant donner lieu à une prorogation de la rétention.

On relève, toutefois, que les conditions d'« urgence absolue », d'une part, et de « menace d'une particulière gravité pour l'ordre public », d'autre part, jusqu'à présent cumulatives, deviennent alternatives. De fait, ce cumul de deux circonstances pourtant déjà extrêmement graves isolément était si exigeant que l'administration ne l'invoquait jamais (36), préférant se référer à la perte ou la destruction des documents de voyage, la dissimulation d'identité ou l'obstruction. Sans doute ce caractère cumulatif reproduisait-il l'exigence posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986. Mais on doit considérer que, à l'époque, le juge avait d'abord voulu censurer une disposition à laquelle il reprochait d'« étendre indistinctement à tous les étrangers qui ont fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une mesure de reconduite à la frontière la possibilité de les retenir pendant trois jours supplémentaires ». Tel n'est pas le cas en l'espèce.

Les autres hypothèses de prorogation (destruction des documents de voyage, dissimulation d'identité, obstruction à l'éloignement) sont reprises à l'identique. Issue de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998, la formulation retenue désigne des circonstances dans lesquelles il est établi que l'étranger tente de faire obstacle à son éloignement : là encore, tous ne sont pas concernés « indistinctement », pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel dans sa décision précitée ; il ne s'agit pas non plus de simples « difficultés particulières faisant obstacle au départ d'un étranger », contrairement à ce que prévoyait une autre disposition législative également censurée par le Conseil en 1993 (n° 93-325 DC du 13 août 1993).

Sur ces fondements, le juge peut ordonner que l'étranger soit maintenu en rétention pour une nouvelle période, qualifiée de « maximale », de quinze jours.

· Le paragraphe III introduit un second cas de prorogation de la rétention qui n'était pas prévu par le droit en vigueur. Les hypothèses visées sont les suivantes : défaut de délivrance ou délivrance trop tardive des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ; absence de moyens de transport approprié ; mise en œuvre d'une procédure d'éloignement groupé avec un ou plusieurs pays membres de l'Union européenne.

Assurément, dans ces circonstances, la non exécution de la mesure d'éloignement tient moins au comportement de l'étranger qu'à une impossibilité matérielle de la mettre en œuvre. C'est la raison pour laquelle le dispositif est particulièrement encadré.

En effet, il est précisé, en premier lieu, que, dans tous les cas, le juge ne peut être saisi d'une demande de prorogation fondée sur les motifs précités que si les obstacles visés n'ont pu être surmontés « malgré les diligences de l'administration ».

Par ailleurs, la délivrance du document de voyage, l'existence d'un moyen de transport ou la mise en œuvre d'une procédure groupée « doit intervenir à bref délai ».

Enfin, dans ce cadre, le maintien en rétention ne peut être ordonné que pour une durée maximale de soixante-douze heures, renouvelable deux fois, soit neuf jours au plus.

Ainsi, le dispositif mis en place est suffisamment précis, tant sur le plan des motifs qui justifient sa mise en œuvre que sur celui du contrôle de la procédure par l'autorité judiciaire. Les observations formulées par le Conseil constitutionnel en 1986 et en 1993, lorsque le législateur avait visé indistinctement des « difficultés particulières faisant obstacle au départ d'un étranger » ou la simple absence de document de voyage permettant le départ, ont été prises en compte.

La Commission a adopté un amendement de M. Nicolas Perruchot tendant à préciser que la deuxième prolongation du maintien en rétention d'un étranger en raison de difficultés matérielles retardant son éloignement ne peut être ordonnée par le juge qu'une seule fois et pour une durée de cinq jours (amendement n° 113). Elle a également adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 112).

c) L'appel

Comme dans le cadre du droit actuel, le paragraphe IV prévoit que les ordonnances rendues par le JLD sont susceptibles d'appel, dans un délai de vingt-quatre heures, devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué ; celui-ci doit statuer dans les quarante-huit heures. Ont qualité pour relever appel de l'ordonnance l'étranger, le préfet et le parquet (37).

En revanche, ne figure plus dans l'article 35 bis, depuis la loi n° 98-349 du 11 mai 1998, la possibilité de conférer un caractère suspensif à ce recours. Dès lors, l'appel de l'administration ne fait pas obstacle à une remise en liberté ordonnée par le premier juge : dans bien des cas, un succès éventuel est sans portée pratique, l'étranger libéré ne pouvant plus être retrouvé.

De plus, après quelques hésitations, la Cour de cassation a finalement estimé que, lorsque le premier juge a autorisé la prolongation d'une rétention et que l'étranger a fait appel, le fait que le juge d'appel ne rende pas sa décision dans le délai légal de quarante-huit heures entraîne non seulement son dessaisissement mais aussi « la caducité, à compter de l'expiration de ce délai, de la décision déférée de prolongation du maintien en rétention de l'étranger » (38).

Le Gouvernement devait surmonter ces difficultés et propose, sans aller jusqu'à rendre à l'appel son caractère suspensif, d'autoriser le maintien en rétention de l'étranger durant l'examen d'une demande formulée dans ce sens à l'initiative des personnes ayant qualité à agir.

Ainsi, lorsque l'appelant le demandera, la requête sera immédiatement formée et transmise au premier président ou à son délégué, qui décidera, par une ordonnance motivée, rendue contradictoirement et non susceptible de recours, s'il y a lieu de lui donner droit ; la décision sera prise en fonction des « garanties de représentation dont dispose l'étranger », comme en matière d'assignation à résidence. Si l'ordonnance donne effectivement un effet suspensif à l'appel, l'intéressé est « maintenu à la disposition de la justice » jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond.

3. L'utilisation de moyens de télécommunication

Le paragraphe VI prévoit que, s'agissant des audiences prévues pour le maintien ou pour la prorogation de la rétention, le juge pourra avoir recours, sur proposition du représentant de l'État, à des moyens de télécommunication. Toutefois, l'usage de ces procédés est subordonné au consentement de l'étranger. Cette disposition illustre le recours croissant à ces techniques qui, en permettant au juge de statuer à distance, sont de nature à surmonter des difficultés objectives et à assurer une gestion plus rationnelle des effectifs de police et de gendarmerie chargés d'escorter les personnes qui comparaissent.

Ainsi, depuis deux ans, le recours à la visioconférence est devenu fréquent pour les audiences du tribunal de première instance, du tribunal supérieur d'appel ou du juge des libertés et de la détention de Saint Pierre et Miquelon, en matière civile comme en matière pénale (39) : le rapporteur a constaté, en se rendant, le 5 juin dernier, au service d'administration générale de la cour d'appel de Paris, que cette technique semblait donner satisfaction à l'ensemble des intervenants.

Des auditions de témoins ou de personnes impliquées dans des procédures sont également parfois organisées à la demande de juridictions étrangères.

Enfin, le recours à la visioconférence est prévu par l'article 706-71 du code de procédure pénale pour certaines auditions, interrogatoires et confrontations. L'article 35 de la loi n° 2002-1138 d'orientation et de programmation pour la justice a étendu cette possibilité à la présentation aux fins de prolongation de la garde à vue ou de la retenue judiciaire. L'article 706-97 que l'article 1er du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, en cours d'examen, propose d'insérer dans le code de procédure pénale, procède à une nouvelle extension, qui concerne, cette fois, la prolongation de la détention provisoire.

La Commission a adopté trois amendements de précision du rapporteur (amendements n°s 115, 116 et 117). Comme on l'a vu, elle a également admis, à l'initiative de M. Christian Vanneste qui a sous-amendé dans ce sens l'amendement n° 109 du rapporteur, que le juge des libertés et de la détention puisse statuer dans une salle d'audience spécialement aménagée à proximité immédiate d'un centre de rétention.

4. Le déplacement des étrangers placés en rétention

Le deuxième alinéa du paragraphe VII introduit, également, une disposition nouvelle, qui prévoit que, pendant toute la durée de la rétention, l'autorité administrative pourra déplacer l'étranger dans un autre centre de rétention, sous réserve d'une information des jld compétents des lieux de départ et d'arrivée.

Jusqu'à présent, ce type de transfert n'était prévu que par le décret n° 2001-236 du 19 mars 2001 (40) et par la circulaire publiée le 13 juillet de la même année (41).

La Commission a adopté un amendement de précision du rapporteur (amendement n° 118).

5. Les garanties et les droits de l'étranger en rétention

Les droits de l'étranger en rétention sont réaffirmés, précisés ou reformulés par le présent article.

a) La communication des droits et leur exercice

En application des huitième et neuvième alinéas du paragraphe I et dès la saisine du jld, l'intéressé : se voit remettre une copie de la saisine ; est informé de ses droits, le cas échéant par l'intermédiaire d'un interprète ; a la possibilité de demander l'assistance d'un conseil, d'un médecin, et de communiquer avec son consulat et une personne de son choix.

Ces dispositions ne sont pas nouvelles, sous réserve des précisions qui sont apportées quant aux modalités de l'interprétariat : « En cas de nécessité résultant de l'impossibilité pour l'interprète de se déplacer, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication ». On relève que cette possibilité a déjà été introduite dans le code de procédure pénale, à l'article 706-71 relatif à l'utilisation des moyens de télécommunications au cours de la procédure, par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002. L'article 34 du projet de loi propose également de la prévoir à l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans le cadre des zones d'attente (voir infra).

Comme on l'a vu, l'amendement n° 109 de la Commission, précédemment adopté, a clarifié les modalités de notification des droits aux étrangers en rétention, en précisant que ces informations leur seront communiquées dans une langue qu'ils comprennent. En réponse à M. Christian Decocq qui souhaitait savoir comment serait déterminée la langue que les étrangers sont censés comprendre et suggérait de prévoir qu'il s'agirait de celle qu'ils déclarent comprendre, le rapporteur a indiqué qu'il présenterait après l'article 34 du projet de loi un amendement allant dans ce sens et prévoyant que la langue retenue en accord avec l'étranger au début de la procédure serait conservée tout au long de celle-ci.

La Commission a également rejeté les deux amendements présentés ci-après de M. Etienne Pinte.

-  Le premier prévoit la communication à l'étranger se trouvant dans un centre de rétention de la date et de la destination prévue pour son éloignement. M. Etienne Pinte a précisé que l'ignorance des ces éléments était source de stress et de tension supplémentaires pour les étrangers qui pouvaient en outre souhaiter être reconduits vers une autre destination que celle de leur pays d'origine. Le rapporteur a fait observer que la communication à l'étranger de la date à laquelle il serait éloigné risquait de le conduire à se mutiler pour éviter cet éloignement, par désespoir ou à des fins dilatoires.

-  Le second prévoit la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour à un étranger dont l'éloignement n'a pu être réalisé à l'issue de la période de rétention pour des raisons indépendantes de sa volonté, afin de lui permettre d'effectuer des démarches administratives pour régulariser sa situation. M. Etienne Pinte a fait valoir que certains étrangers restaient pendant des années sur le territoire français, légalement mais sans titre de séjour, et qu'il fallait éviter de les maintenir sciemment en situation irrégulière. Il a cité à ce propos le cas d'une personne réfugiée en France pour des raisons politiques depuis dix ans et ne disposant pas de titre de séjour. Le rapporteur a indiqué qu'il était défavorable à ce que l'on permette la régularisation d'étrangers que l'administration n'avait pas réussi à éloigner et précisé que l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoyait déjà la régularisation de ceux qui sont en situation irrégulière depuis dix ans. M. Nicolas Perruchot a fait observer que cette mesure n'irait pas dans le sens d'une exécution renforcée des décisions d'éloignement.

En revanche, la Commission a adopté un amendement du rapporteur prévoyant que parmi les droits notifiés à l'étranger placé en rétention devra figurer la possibilité dont il dispose de demander l'asile et précisant que cette demande ne sera recevable que si elle est formulée dans les cinq jours, afin qu'elle puisse être examinée dans des délais compatibles avec la mise en œuvre éventuelle de la décision d'éloignement dont il fait l'objet (amendement n° 114).

b) Le maintien en rétention pour une durée « strictement nécessaire »

Le paragraphe V indique, comme dans le droit actuellement en vigueur, que l'étranger ne peut être maintenu en rétention que « le temps strictement nécessaire à son départ ».

De même, si la juridiction administrative annule la mesure d'éloignement, il est « immédiatement » mis fin au maintien en rétention de l'étranger, qui est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas.

c) Le bénéfice de l'aide juridictionnelle

Le premier alinéa du paragraphe VI réaffirme le droit pour un étranger placé en rétention de bénéficier de l'aide juridictionnelle. Cette disposition s'articule avec la possibilité qui lui est reconnue par le huitième alinéa du paragraphe I de demander l'assistance d'un conseil « dès la saisine du juge des libertés et de la détention et pendant toute la période de la rétention ».

d) La transparence et le contrôle

Les premier, troisième et quatrième alinéas du paragraphe VII ainsi que le paragraphe IX du présent article reprennent ou introduisent des dispositions relatives à la transparence et au contrôle des régimes de rétention.

· Parmi les dispositions reprises du droit en vigueur figurent : l'obligation pour le préfet de tenir à la disposition de toute personne les éléments d'information relatifs à la rétention d'un étranger (date et heure du placement, lieu exact de celui-ci, décision éventuelle de prolongation) ; la tenue dans les lieux de rétention d'un registre mentionnant l'état civil des personnes retenues ainsi que les conditions de leur maintien ; la possibilité, pour le procureur de la République ou le jld, pendant toute la durée de la rétention, de se transporter sur les lieux, de vérifier les conditions du maintien des étrangers et de se faire communiquer le registre précité.

La Commission a adopté un amendement de précision du rapporteur (amendement n° 119).

· La disposition qui imposait au procureur de visiter les locaux de rétention au moins une fois par semestre n'est pas reprise dans le nouvel article 35 bis.

La Commission a adopté un amendement tendant à rétablir le principe d'une visite des lieux de rétention par le procureur de la République, chaque fois qu'il l'estime nécessaire et au moins une fois par an (amendement n° 120).

· Le paragraphe IX prévoit la création d'une commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention, chargée de veiller au respect des droits des étrangers retenus et à la qualité des conditions de leur hébergement : elle pourra effectuer des missions sur place et faire des recommandations au Gouvernement.

La Commission a adopté un amendement du rapporteur précisant les missions de cette commission (amendement n° 121).

La composition de la commission, dont les titulaires seront nommés par décret, est la suivante : un membre ou ancien membre de la Cour de cassation, président ; un membre ou ancien membre du Conseil d'État ; une personnalité qualifiée en matière pénitentiaire ; deux représentants d'associations humanitaires ; deux représentants des principales administrations concernées.

La Commission a examiné l'amendement n° 14 de Mme Geneviève Colot prévoyant la présence de trois députés et de trois sénateurs au sein de la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention. Après que le rapporteur eut exprimé son accord de principe, tout en jugeant trop élevé le nombre proposé de parlementaires, la Commission a adopté cet amendement sous-amendé à l'initiative de M. Guy Geoffroy pour réduire la présence des parlementaires à un sénateur et un député (sous-amendement n° 122).

On rappellera, par ailleurs, que l'article 720-1-A du code de procédure pénale autorise les députés et sénateurs à visiter à tout moment, non seulement les locaux de garde à vue et les établissements pénitentiaires mais, également, les centres de rétention et les zones d'attente.

· Le paragraphe X prévoit qu'un décret en Conseil d'État définira les modalités selon lesquelles les étrangers maintenus en rétention bénéficient d'actions d'accueil, d'information et de soutien, pour permettre l'exercice effectif de leurs droits et préparer leur départ.

Il convient de signaler, enfin, que l'amélioration des conditions d'hébergement sera facilitée par les dispositions de l'article 44 du projet de loi, qui étendent aux centres de rétention la nouvelle procédure du « marché groupé » et autorisent le recours à des prestataires privés pour certaines fonctions non régaliennes de gestion des locaux.

La Commission a adopté l'article 33 ainsi modifié.

Article 34

(art. 35 quater de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Aménagement des règles applicables au maintien en zone d'attente

Le présent article modifie l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui organise le maintien dans des zones d'attente des étrangers non admis sur le territoire français ou qui sollicitent l'asile politique aux frontières de notre pays.

Les modifications apportées à la législation en vigueur renforcent, sur plusieurs points, l'efficacité du dispositif. Certaines innovations relatives, notamment, à l'utilisation des moyens de télécommunication pour les traductions et les audiences et au caractère suspensif des recours, ont également été introduites dans l'article 35 bis de l'ordonnance, relatif aux centres de rétention, par l'article 33 du projet de loi.

1. Les zones d'attente

a) La législation

En application de l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945, un étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne, et qui n'est pas autorisé à y entrer, qui demande son admission au titre de l'asile ou dont le transit est interrompu, peut être maintenu dans une zone d'attente le temps :

-  « strictement nécessaire » à son départ, s'agissant des non admis et des personnes en situation de transit interrompu ;

-  nécessaire à un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas « manifestement infondée », s'agissant des demandeurs d'asile.

Dans tous les cas, le maintien en zone d'attente ne peut durer plus de vingt jours :

-  quarante-huit heures, renouvelables une fois, sur décision du chef de service de contrôle aux frontières ou d'un fonctionnaire désigné par lui ;

-  huit jours sur autorisation du juge des libertés et de la détention (jld) ;

-  huit jours enfin, à titre exceptionnel, de nouveau sur autorisation du jld.

Le fait que le Conseil constitutionnel ait admis, dans sa décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, qu'un délai de quatre-vingt-seize heures puisse s'écouler avant l'intervention du juge, soit deux fois plus que dans le cadre de la rétention administrative, témoigne de l'importance des éléments de fait et de droit qui distinguent les deux régimes. En particulier, l'étranger est libre de quitter la zone d'attente à tout moment pour une destination située hors de France. Informé de ses droits, il peut demander l'assistance d'un interprète et d'un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix. L'article 35 quinquies de l'ordonnance dispose, d'ailleurs, que : « Sont matériellement distincts et séparés les locaux qui ne relèvent pas de l'administration pénitentiaire et qui sont soit des zones d'attente, soit des zones de rétention ».

b) État des lieux

Il existe, en France, 122 zones d'attente. Situées dans les gares ferroviaires ouvertes au trafic international, les ports et les aéroports, elles s'étendent des points d'embarquement et de débarquement à ceux où sont effectués les contrôles des personnes. Elles incluent, conformément à la loi, sur l'emprise ou à proximité de la gare, du port ou de l'aéroport, un ou plusieurs lieux d'hébergement garantissant aux étrangers des « prestations de type hôtelier ».

· Parmi toutes les zones d'attente, celle de l'aéroport de Roissy, visitée par le rapporteur le 27 mai dernier, occupe une place centrale :

-  sur les 26 787 procédures de non admission décidées sur le territoire métropolitain en 2002, 20 800 personnes ont été placées en zone d'attente, dont 19 000 environ à Roissy (près de 250 personnes y sont maintenues, chaque jour, en moyenne) ;

-  sur un total de 7 786 demandes d'asile déposées aux frontières en 2002, 7 617, soit 97,8 % d'entre elles, l'ont été également à Roissy.

Sur les quatre premiers mois de l'année en cours, 6 649 personnes ont été placées en zone d'attente, dont 6 070 à Roissy.

· Entre 40 % et 50 % des étrangers placés en zone d'attente, selon les années, pénètrent effectivement sur le territoire français. Les failles de notre législation y sont pour beaucoup.

Les données statistiques de la police aux frontières font apparaître que, en 2002, sur les 19 079 personnes placées en zone d'attente à Roissy, 10 715, soit 56 %, ont été réembarquées ou ont pris un vol de continuation dans les 96 premières heures, avant l'intervention du jld : ce ratio est en progression, en grande partie du fait du renforcement des contrôles aux portes mêmes des avions qui ont augmenté de 21 % l'année dernière.

Les 8 364 restants ont été présentés au juge des libertés. Parmi eux, 3 312 (soit 17 % des placements initiaux et 40 % des personnes présentées au juge la première fois) l'ont été une seconde fois à l'issue du délai de douze jours.

Or, le tableau ci-après fait apparaître que :

-  une minorité des demandes d'asile présentées ont été jugées « manifestement infondées » au sens de l'article 35 quater, le taux d'entrée oscillant selon les années entre 75 et 90 % ;

-  21 % des personnes présentées au tribunal de grande instance et 19 % en appel ont été libérées à l'issue de l'audience : ce ratio, pourtant déjà très important, est en baisse par rapport à 2001 (il était, respectivement, de 40 % et 24 %).

STATISTIQUES RELATIVES À LA ZONE D'ATTENTE DE ROISSY

Nombre de
personnes
placées en zone
d'attente

Nombre de
personnes
présentées
TGI / CA

Nombre de
refus de
maintien
TGI / CA

Nombre
d'asiles/admissions
% admissions

Procédures
article 27

Nbre d'admis total toutes
procédures confondues
% par rapport au nombre initial
de personnes placées en ZA

1998

7749

2679
2357/322

373

2999/2492
83 %

87

-

1999

12895

5026
4540/486

1298
1208/90

5411/4851
90 %

257

-

2000

16866

8292
7544/748

3846
3688/158

7582/6491
86 %

274

6765
40 %

2001

21492

14032
12490/1542

5598
5233/365

10138/8689
86 %

392

10653
50 %

2002

19079

14833
11707/3126

3048
2443/605

8146/6443
79 %

547

7944
42 %

Source : ministère de l'intérieur.

Les libérations ordonnées par le juge sont liées, dans une proportion significative, au flou procédural qui résulte de l'article 35 quater.

Ainsi, une étude de la police aux frontières a montré que, parmi les 2 443 refus de prolongation du maintien en zone d'attente décidés par le tribunal de grande instance en 2002, 20 motifs pouvaient être relevés, quatre d'entre eux expliquant 49 % de ces décisions (1 187 cas) : délais excessifs entre le contrôle, l'interpellation ou la mise à disposition et la notification du maintien en zone d'attente (525 cas, soit 21 % de l'ensemble) ; vices de forme procédurale (11 %) ; minorité de l'étranger (9 %) ; délai excessif de traitement de la demande d'asile (11 %) ; avis à parquet non horodaté (150 cas) ; irrégularité relative à l'interprétariat (144 cas) ; irrégularité au regard du droit au « jour franc » (104 cas) ; absence d'avis à parquet (89 cas) ; etc.

De toute évidence, la perméabilité de nos frontières doit beaucoup à l'utilisation abusive de la procédure du droit d'asile : on relève, à cet égard, qu'à peine la moitié des demandes sont « spontanées », les autres n'étant présentées par l'étranger qu'après son placement en zone d'attente, ce qui devrait suffire pour douter de ses motivations réelles.

La Commission a adopté un amendement du rapporteur prévoyant que, lorsqu'un étranger non admis dépose une demande d'asile dans les quatre derniers jours de la durée légale de son maintien en zone d'attente, celle-ci sera prorogée d'office de quatre jours (amendement n° 131), un amendement de M. Nicolas Perruchot proposant que sous réserve d'une information préalable ils ne puissent déposer une demande que dans les 24 heures suivant leur arrivée sur le territoire français ayant été retiré en conséquence par son auteur.

Toutefois, les failles de la législation jouent également, comme on l'a vu, un rôle important, et c'est pour y remédier que le Gouvernement propose, à travers le présent article, de réformer la procédure de l'article 35 quater.

2. Les modifications apportées à l'article 35 quater

Le présent article apporte à l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945 les modifications présentées ci-après.

a) La création de zones d'attente dans des lieux proches du littoral

Le paragraphe I modifie le premier alinéa du I de l'article 35 quater afin de prévoir, désormais explicitement, que des zones d'attente peuvent être créées non seulement dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international, un port ou un aéroport, mais également à proximité du lieu de débarquement en cas d'arrivée par la voie maritime.

De fait, certaines filières n'hésitent pas à organiser des débarquements massifs de clandestins par la voie maritime afin de déborder les dispositifs légaux destinés à faire face à ce type de situations. L'échouage, sur les côtes françaises, en février 2001, du cargo « East Sea », avec à son bord plus de 900 migrants d'origine kurde, suffit à justifier la nécessité de la mesure proposée.

b) Les transferts entre zones d'attente

Le paragraphe II complète le I de l'article 35 quater afin de prévoir des possibilités de transfert entre zones d'attente.

D'ores et déjà, il arrive que des étrangers soient transférés d'une zone d'attente à une autre, par exemple de Marseille à Paris, lorsque leur départ du territoire national ne peut être réalisé à partir de la gare, du port ou de l'aéroport dont dépend le lieu dans lequel ils sont maintenus. Cette possibilité est expressément prévue par le paragraphe VIII de l'article 35 quater.

Au-delà, comme on l'a vu, s'il existe 122 zones d'attente en France, plus de 99 % des étrangers qui font l'objet d'une décision de maintien arrivent dans les aéroports parisiens, à Roissy notamment. Dès lors, comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi : « Dans les sites où le placement d'un étranger est exceptionnel, les conséquences en termes d'organisation du service, les coûts matériels et humains engendrés sont disproportionnés ». L'étude d'impact précise que : « La très faible fréquentation de ces zones d'attente ne justifie pas que soit réalisée la mise à niveau nécessaire ».

Le projet de loi propose, en conséquence, notamment pour pouvoir faire face à des dépassements subits d'occupation dans des zones d'attente dont la fréquentation est habituellement limitée, d'autoriser des transferts vers une autre zone d'attente où des conditions d'hébergement satisfaisantes peuvent être offertes.

La Commission a adopté deux amendements du rapporteur déplaçant, dans l'article 35 quater, des dispositions relatives au transfert des étrangers maintenus en zone d'attente, afin d'encadrer juridiquement ces opérations, notamment sur le plan de l'information de l'autorité judiciaire (amendements n°s 124 et 130).

c) La sécurité juridique du maintien en zone d'attente

Plusieurs dispositions sont proposées afin de remédier à l'imprécision des textes en vigueur, qui sont à l'origine de vices de procédure parfois invoqués pour demander la libération des étrangers à l'issue du quatrième puis du douzième jour de leur placement en zone d'attente.

· Ainsi, le paragraphe II étend les limites de la zone d'attente : confortant la jurisprudence de la Cour de cassation, il prévoit, désormais expressément, qu'elles épousent, sans qu'il soit besoin de prendre une décision particulière, celles des lieux dans lesquels l'étranger doit se rendre dans le cadre de la procédure (le tribunal de grande instance par exemple) ou en cas de nécessité médicale (l'hôpital).

· Le paragraphe III modifie le premier alinéa du II de l'article 35 quater afin d'actualiser le grade à partir duquel une personne est habilitée à prononcer un placement en zone d'attente : il pourra s'agir, comme actuellement, du chef de service de contrôle aux frontières ou d'un fonctionnaire désigné par lui, mais ce dernier devra être au moins brigadier et non plus inspecteur.

Cette mesure répond à plusieurs considérations. Il convient de préciser, tout d'abord, que le grade d'inspecteur a été remplacé par celui de lieutenant en application de la réforme des corps de la police nationale engagée en 1995. Au-delà, la possibilité pour certains agents du corps de maîtrise et d'application, au demeurant susceptibles d'obtenir, depuis 1998, la qualité d'officier de police judiciaire, de prendre une décision de placement en zone d'attente, simplifiera la gestion des effectifs sur les emprises concernées, compte tenu de la diminution du nombre d'officiers de la police aux frontières qui y sont affectés.

Des efforts de formation seront cependant nécessaires pour accompagner ce changement (42).

La Commission a adopté un amendement de précision du rapporteur (amendement n° 125).

· Le paragraphe IV complète le premier alinéa du II de l'article 35 quater en ce qui concerne les modalités de l'information du parquet.

En effet, l'article 35 quater prévoit que la décision de placer une personne en zone d'attente doit être portée « sans délai » à la connaissance du procureur de la République. Bien que la jurisprudence semble admettre, désormais, que la simple mention de l'avis au parquet suffise, sans que sa justification doive être versée au dossier, il est proposé de prévoir explicitement que, lorsque cet avis indique que l'information a été effectuée dans les conditions requises, la mention fait foi de sa date et de son heure.

Il convient de préciser que l'absence de preuve de la réalité de l'information du parquet est encore fréquemment invoquée devant le jld pour obtenir une admission sur le territoire français. D'après les informations communiquées au rapporteur, le non horodatage de l'avis au parquet représentait, en 2002, 6 % des motifs retenus par le tribunal de grande instance de Bobigny pour refuser de prolonger des placements en zone d'attente, contre 18 % en 2001.

La Commission a adopté deux amendements du rapporteur prévoyant que le procureur de la République devra être informé « dans les meilleurs délais », et non plus « sans délai », des décisions de maintien en zone d'attente (amendements n°s 126 et 127).

· Le paragraphe V complète le II de l'article 35 quater afin de préciser les modalités de recours à l'interprète auquel a droit l'étranger placé en zone d'attente. Il est indiqué que : « En cas de nécessité, résultant de l'impossibilité pour un interprète de se déplacer, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication ». Dans cette circonstance, une présence physique de l'interprète aux côtés de l'étranger ne sera donc plus requise, contrairement à la règle consacrée par la Cour de cassation en 1999 en l'absence de disposition législative dans ce sens (43).

Comme on l'a vu, cette possibilité, déjà prévue par l'article 706-71 du code de procédure pénale relatif à l'utilisation des moyens de télécommunications au cours de la procédure (44), est également introduite dans le cadre du régime de la rétention des étrangers par l'article 33 du projet de loi, modifiant l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.

La Commission a adopté un amendement du rapporteur codifiant, dans l'ordonnance du 2 novembre 1945, les modalités de prise en charge par l'État des honoraires et indemnités des interprètes requis dans le cadre des procédures de maintien en zone d'attente (amendement n° 133).

Au delà, on rappellera que la sécurité juridique du dispositif mis en place aux frontières est également renforcée par l'article 1er du projet de loi, qui modifie l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 afin de prévoir que le refus de signer la décision de non admission vaudra désormais renoncement au bénéfice du jour franc.

c) L'organisation des audiences

· Le paragraphe VI modifie les deux dernières phrases du premier alinéa du III de l'article 35 quater, relatives au lieu dans lequel statue le juge des libertés et de la détention lorsqu'il est saisi d'une demande de maintien en zone d'attente.

Actuellement, il est prévu que le jld statue au siège du tribunal de grande instance (tgi), sauf dans les ressorts définis par décret en Conseil d'État où il statue publiquement dans une salle d'audience spécialement aménagée sur l'emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire.

Les modifications apportées aux dispositions en vigueur par le présent article ont essentiellement pour effet de prévoir que, dès lors qu'une salle d'audience a été spécialement aménagée sur l'emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, le jld y statue de droit. Dans le cas contraire, il statue au siège du tgi. L'objectif recherché est, au premier chef, de délocaliser, de Bobigny à Roissy, les audiences qui s'y tiennent au titre de l'article 35 quater, auxquelles le rapporteur a assisté à deux reprises au cours de la période récente.

Cette question suscite un large débat. Une telle délocalisation ne serait pourtant pas une nouveauté en droit français : ainsi, l'article L. 7-10-1-1 du code de l'organisation judiciaire prévoit déjà que les juridictions peuvent tenir des audiences « foraines », certes à titre provisoire, hors de l'enceinte du tribunal. En l'espèce, organiser des audiences dans des lieux proches des zones d'attente serait intéressant tant pour les étrangers (conditions matérielles plus confortables, ni déplacements ni attente) que pour la collectivité (gestion plus rationnelle des effectifs de police) et, finalement, la justice elle-même.

Il convient de préciser que, selon l'étude d'impact, les audiences au tgi de Bobigny mobilisent, en moyenne, soixante fonctionnaires par jour pour assurer les escortes. De fait, le rapporteur a constaté, sur place, l'ampleur des moyens mobilisés, ainsi que les conditions difficiles imposées aux personnes qui comparaissent du fait de ce transfert (lever matinal, transport, attente, etc.). Il a également visité la salle d'audience qui a été construite dans l'enceinte de la nouvelle zone d'attente de Roissy, inaugurée en janvier 2001 par le précédent ministre de l'intérieur. Si des efforts de signalisation semblent indispensables pour faciliter l'accès du public, les locaux, modernes, jamais utilisés, sont susceptibles d'offrir aux magistrats et aux avocats des conditions de travail plus confortables que celles dont ils disposent à Bobigny.

IMPACT POUR LA POLICE NATIONALE DES TRANSFERTS ROISSY-BOBIGNY
(article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945)

ANNÉE 2002

Nbre de
présentations

Nbre de
fonctionnaires

Durée
audience

Heures fonctionnaires

Nbre de véhicules

Moyenne
véhicules /jour

Nbre de rotations

Moyenne
rotations /jour

Nbre total km

Moyenne
km/jour

11 710

8 240

2 922 H 30

66 743 H 40

1 191

3

389

1

50 480

138

Dont 1 bus et 2 véhicules

ANNÉE 2003 (janvier à mi-mai)

Nbre de
présentations

Nbre de
fonctionnaires

Durée
audience

Heures fonctionnaires

Nbre de véhicules

Moyenne
véhicules /jour

Nbre de rotations

Moyenne
rotations /jour

Nbre total km

Moyenne
km/jour

5 429

3 326

701 H 11

17 932 H 24

455

3

186

1

24 720

189

Dont 1 bus et 2 véhicules

Source : Ministère de l'intérieur.

La Commission a adopté un amendement du rapporteur spécifiant que, concomitamment aux audiences de maintien en zone d'attente qui pourront désormais se tenir dans une salle aménagée sur une emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, une seconde audience pourra être organisée au siège du tribunal de grande instance dans l'hypothèse où un nombre trop important d'étrangers devraient comparaître (amendement n° 129).

Par ailleurs, il est proposé de prévoir les mêmes dispositions que celles qui ont été introduites à l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 par l'article 33 du projet de loi, en ce qui concerne la possibilité, par décision du juge, sur proposition du représentant de l'État et avec l'accord de l'intéressé, que les audiences prévues, en l'occurrence, pour le maintien en zone d'attente, se déroulent avec l'utilisation de moyens de télécommunication. Comme on l'a vu, cette technique est utilisée de façon satisfaisante, depuis deux ans, pour les audiences du tribunal de première instance, du tribunal supérieur d'appel ou du juge des libertés et de la détention de Saint Pierre et Miquelon, en matière civile comme en matière pénale.

· Le paragraphe VII complète le III de l'article 35 quater afin de modifier les modalités selon lesquelles un appel peut être formé contre la décision du juge saisi d'une demande de maintien en zone d'attente au-delà de quatre jours à compter de la décision initiale.

Actuellement, il est prévu que l'ordonnance du juge est susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué : saisi sans forme, il doit statuer dans les quarante-huit heures. Ont qualité pour relever appel de l'ordonnance l'étranger, le préfet et le parquet. L'appel n'est pas suspensif.

Comme pour la rétention (article 33 du projet de loi), il est proposé que, sans conférer à l'appel un caractère suspensif de plein droit, l'étranger puisse être maintenu en zone d'attente durant l'examen de la demande formulée dans ce sens à l'initiative des personnes ayant qualité à agir. La décision devra être prise « au vu des pièces du dossier ».

Au-delà, la Commission a également adopté deux amendements du rapporteur :

-  le premier clarifie les modalités de la notification des droits aux étrangers placés en zone d'attente et précise que ces informations doivent leur être communiquées dans une langue qu'ils comprennent, un autre amendement supprimant en conséquence des références à ces droits mentionnées par ailleurs dans le dispositif de l'article 35 quater de l'ordonnance (amendements n°s 123 et 128) ;

-  le second porte de six mois à un an la fréquence minimale obligatoire de visite des zones d'attente par le procureur de la République, par cohérence avec les dispositions prévues en ce qui concerne les lieux de rétention et les locaux de garde à vue (amendement n° 132).

Puis la Commission a adopté l'article 34 ainsi modifié.

Articles additionnels après l'article 34

(art. 35 sexies [nouveau] de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Encadrement juridique des modalités de notification des droits
et du recours à l'interprétariat pour les personnes placées en rétention
ou maintenues en zone d'attente

La Commission a examiné un amendement du rapporteur définissant un cadre juridique pour les échanges d'informations entre l'administration et les étrangers placés en rétention ou maintenus en zone d'attente.

Le rapporteur a indiqué que cet amendement visait à apporter aux étrangers des garanties telles que l'obligation de s'adresser à eux dans une langue qu'ils comprennent et de recourir à un interprète en cas de nécessité. Il a ajouté que, dans le même temps, il les obligerait à utiliser la même langue du début jusqu'à la fin de la procédure, afin de combattre certaines manœuvres dilatoires, et faciliterait le recours à l'interprétariat par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Il a expliqué, enfin, que le recours croissant à l'interprétariat nécessitait d'encadrer l'exercice de cette profession et que l'amendement proposait à cet effet d'imposer des règles minimales de compétence et de secret professionnel.

La Commission a adopté cet amendement (amendement n° 134).

Un amendement de M. Nicolas Perruchot prévoyant l'établissement d'une liste nationale des interprètes habilités à intervenir dans le cadre des procédures engagées sur le fondement des articles 35 bis et 35 quater de l'ordonnance, ayant été jugé satisfait, a été retiré par son auteur.


(art. 35 septies [nouveau] de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Codification des dispositions relatives à la passation de marchés groupés pour les centres de rétention

La Commission a adopté un amendement du rapporteur codifiant dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 les dispositions de l'article 44 du projet de loi, relatives à la passation de marchés groupés pour la conception, la construction, l'aménagement, l'entretien, l'hôtellerie et la maintenance des centres de rétention (amendement n° 135).

TITRE II

DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE CIVIL

Sous l'influence du droit français, les droits européens de la nationalité ont convergé : les États de l'Union européenne, à l'exception de l'Autriche, de la Grèce et du Luxembourg, mélangent droit du sang et droit du sol pour attribuer leur nationalité. Le droit français reste cependant marqué par une originalité : la possibilité d'acquérir aisément la nationalité française par alliance, à raison du mariage (45). Cette particularité donne un prix singulier au mariage et rend élevé le risque de mariage de complaisance. Les statistiques confirment cette évolution : sans assimiler mariages mixtes et mariages de complaisance, il faut bien constater que le nombre d'acquisition de nationalité par le mariage, en moins de dix ans, a progressé de manière significative, passant de 19 493 en 1994 à 26 056 en 2000.

Les techniques utilisées pour lutter contre ce type de fraude sont multiples : contrôle de l'union avant la célébration, contrôle des mariages célébrés à l'étranger, contrôle de la pérennité du mariage dans le temps (maintien de l'existence de l'union et de la communauté de vie). Mais les modalités pratiques de leur mise en œuvre empêchent leur efficacité. Dans la volonté de rendre ces contrôles efficaces et dans un souci d'équilibre, le présent titre modifie le code civil dans un double objectif : assurer un traitement global de la question de la « double peine » (article 35), lutter contre les mariages de complaisance (articles 36 et 37).

Article additionnel avant l'article 35

(art. 21-2 du code civil)


Allongement de la durée de mariage exigée pour une déclaration d'acquisition de nationalité française

La Commission a adopté un amendement du rapporteur allongeant d'un à deux ans la durée minimale de mariage exigée du conjoint étranger de français pour effectuer une déclaration d'acquisition de la nationalité, en cohérence avec l'allongement, adopté à l'article 11, de la durée de mariage minimale exigée pour l'obtention d'une carte de résident (amendement n° 136).

Article 35

(art. 21-27 du code civil)


Relèvement de l'incapacité d'acquisition de la nationalité

Dans le cadre du traitement global de la question de la « double peine », cet article précise le régime d'acquisition de la nationalité en modifiant l'article 21-27 du code civil relatif aux règles générales d'empêchement pour l'ensemble des modes d'acquisition de la nationalité française.

1. Le régime strict de l'article 21-27 du code civil

L'article 21-27 du code civil, issu de l'article 79 de l'ancien code de la nationalité, dispose que l'expulsion, l'interdiction judiciaire du territoire ou le séjour irrégulier, d'une part, et certaines condamnations pénales, d'autre part, conduisent l'autorité publique à refuser à la personne concernée l'acquisition de la nationalité française ou la réintégration par décret dans cette nationalité.

Nul ne peut acquérir la nationalité française s'il a fait l'objet soit d'un arrêté d'expulsion non expressément rapporté ou abrogé, soit d'une interdiction du territoire français non entièrement exécutée. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993, a considéré que l'incapacité prévue en cas d'interdiction du territoire était conforme à la Constitution dès lors que cette sanction est prononcée par l'autorité judiciaire. En revanche, il a estimé, dans la même décision, que constituait une sanction disproportionnée au regard de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen (46) le fait de priver du droit à l'acquisition de la nationalité française du fait de la naissance l'étranger frappé par un arrêté de reconduite à la frontière ou sous le coup d'un arrêté d'assignation à résidence. L'incapacité s'applique aussi à l'étranger dont le séjour en France est irrégulier au regard des lois et conventions relatives au séjour des étrangers en France.

En outre, et c'est l'hypothèse qui nous intéresse ici, nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité s'il a fait l'objet soit d'une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme (47), soit, quelle que soit l'infraction considérée, s'il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement, non assortie d'une mesure de sursis. La rigueur de l'article 21-27 peut s'étendre aux condamnations prononcées à l'étranger. Ainsi, le Conseil d'État, dans un arrêt en date du 5 décembre 1986, Berkopec, a admis que de telles condamnations pouvaient être prises en compte au titre de l'article 79 de l'ancien code de la nationalité.

Cette incapacité d'acquérir la nationalité française disparaît en cas de réhabilitation prononcée sur le fondement de l'article 133-12 du code pénal. Par ailleurs, en application des dispositions de l'article 775-1 ou de l'article 775-2 du code de procédure pénale, la mention d'une condamnation peut être exclue du bulletin n° 2 du casier judiciaire. L'autorité chargée de constituer le dossier de demande d'acquisition de la nationalité française ne peut avoir accès, en tant qu'autorité administrative (48), qu'à ce seul bulletin. Un étranger condamné qui souhaite acquérir la nationalité française et qui bénéficie d'un bulletin n° 2 vierge ne devrait donc pas se voir opposer une condamnation qui aura disparu.

En revanche, la grâce, dès lors qu'elle emporte seulement dispense d'exécuter la peine conformément à l'article 133-7 du code pénal, laisse subsister la condamnation et l'incapacité qui en découle. La rigueur de l'article 21-27 n'atteint pas non plus les enfants mineurs susceptibles d'acquérir la nationalité française en application des articles 21-7, 21-11, 21-12 et 22-1 du code civil.

2. L'assouplissement du régime de l'article 21-27 du code civil

Dans la logique de la réforme de la « double peine » et conformément aux conclusions du groupe du travail réuni par le ministre de l'intérieur sur cette question, le présent article permet, dans le rappel explicite des règles de réhabilitation, d'atténuer la rigueur du régime de l'article 21-27 du code civil, lorsque la perte du droit à acquisition de la nationalité française est liée à une condamnation à une peine d'emprisonnement ferme minimale de six mois. Le fait de perdre définitivement tout droit à l'acquisition de la nationalité française alors même que le demandeur, certes condamné, s'est amendé en purgeant sa peine, apparaît disproportionné. Le fait de pouvoir espérer obtenir la nationalité française pourra contribuer à rendre la peine plus efficace. Ainsi, le présent article précise le régime de prescription. Comme le souligne l'exposé des motifs « dès lors que les étrangers qui ont des liens très importants avec le territoire français ne pourront plus être éloignés, il est cohérent de leur permettre d'acquérir la nationalité française si leur comportement a changé, plutôt que de les maintenir pour toujours dans la situation d'être ni expulsables, ni éligibles à la nationalité française ».

Il est proposé d'étendre explicitement, au-delà des seuls mineurs, la liste des personnes susceptibles d'échapper à l'incapacité d'acquisition de la nationalité sur le fondement de l'article 21-27 à deux catégories d'étrangers :

- les personnes condamnées ayant bénéficié d'une réhabilitation de plein droit ou d'une réhabilitation judiciaire conformément aux dispositions de l'article 133-12 du code pénal ;

- les personnes dont la mention de la condamnation a été exclue du bulletin n° 2 du casier judiciaire, conformément aux dispositions des articles 775-1 et 775-2 du code de procédure pénale.

S'agissant de la première catégorie, il convient de souligner que toute personne frappée d'une peine criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle peut bénéficier, soit d'une réhabilitation de plein droit, soit d'une réhabilitation judiciaire accordée dans les conditions prévues par le code de procédure pénale. La réhabilitation efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent de la condamnation. En application du deuxième alinéa de l'article 769 du même code, les fiches relatives à des condamnations effacées par la réhabilitation de plein droit ou judiciaire sont retirées du casier judiciaire.

La réhabilitation est acquise de plein droit à la personne physique condamnée qui n'a subi aucune condamnation nouvelle à une peine criminelle ou correctionnelle. Le régime de la réhabilitation est modulé en fonction de la gravité de la peine. Pour la condamnation à l'amende ou à la peine de jours-amende, la réhabilitation est acquise après un délai de trois ans à compter du jour du paiement de l'amende ou du montant global des jours-amende, de l'expiration de la contrainte par corps ou du délai de l'incarcération ou de la prescription accomplie. Ce cas ne nous intéresse pas puisque l'article 21-27 du code civil ne commande l'incapacité d'acquisition de la nationalité qu'à partir de six mois d'emprisonnement.

Pour la condamnation unique soit à un emprisonnement n'excédant pas un an, soit à une peine autre que la réclusion criminelle, la détention criminelle, l'emprisonnement, l'amende ou le jour-amende, c'est-à-dire à une peine alternative prévue par l'article 131-6 du code pénal, un travail d'intérêt général ou une peine de substitution autorisée par les articles 131-11 ou 131-18, la réhabilitation n'est possible qu'après un délai de cinq ans à compter soit de l'exécution de la peine, soit de la prescription accomplie. Ce cas ne nous intéresse que pour la partie comprise entre six mois et un an d'emprisonnement.

Enfin, pour la condamnation unique à un emprisonnement n'excédant pas dix ans ou pour les condamnations multiples à l'emprisonnement dont l'ensemble ne dépasse pas cinq ans, la réhabilitation est acquise après un délai de dix ans à compter soit de l'expiration de la peine subie, soit de la prescription accomplie.

La réhabilitation judiciaire, en application de l'article 786 du code de procédure pénale, ne peut être demandée qu'après un certain délai, plus court que celui qui s'applique en cas de réhabilitation de plein droit : il est d'un an pour les condamnés à une peine contraventionnelle, de trois ans pour les condamnés à une peine correctionnelle et de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle. À l'inverse de ce qui est prévu pour la réhabilitation de droit, aucune condition quant au nombre des condamnations n'est posée. En revanche, le demandeur doit avoir fait preuve de sa bonne conduite, ce dont il est dispensé en cas de réhabilitation légale pour laquelle l'expiration du délai laisse présumer de la bonne conduite. La demande est faite auprès du procureur de la République. La décision est prononcée par la chambre de l'instruction.

S'agissant de la deuxième catégorie d'étrangers susceptibles de voir levée l'incapacité d'acquisition de la nationalité, l'article 775-1 du code de procédure pénale précise que le tribunal qui prononce une condamnation peut exclure expressément sa mention au bulletin n° 2, support naturel de preuve des incapacités, soit dans le jugement de condamnation, soit par jugement rendu postérieurement sur la requête du condamné. L'exclusion de la mention d'une condamnation au bulletin n° 2 emporte relèvement de toutes les interdictions, déchéances ou incapacités de quelque nature qu'elles soient résultant de cette condamnation.

En outre, depuis la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988 portant amnistie et en application de l'article 775-2 du code précité, les condamnés à une peine ne pouvant donner lieu à réhabilitation de plein droit bénéficient, sur simple requête, de l'exclusion de la mention de leur condamnation au bulletin n° 2, à l'expiration d'un délai de vingt années à compter de leur libération définitive ou de leur libération conditionnelle non suivie de révocation, s'ils n'ont pas, depuis cette libération, été condamnés à une peine criminelle ou correctionnelle.

RELÈVEMENT PAR RÉHABILITATION OU EFFACEMENT DU BULLETIN N° 2
DU CASIER JUDICIAIRE DE L'INCAPACITÉ D'ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ

Types de peines

Quantum

Délai avant réhabilitation de plein droit (*)

Délai avant effacement du bulletin n° 2




Peines faisant l'objet d'une réhabilitation de plein droit

Emprisonnement supérieur à 6 mois et inférieur à 1 an

Peines autres que réclusion criminelle, la détention criminelle, l'emprisonnement, l'amende ou le jour-amende



5 ans


Sans délai si décision du juge le jour du jugement

Délai entre condamnation et décision du juge saisi après le jugement par le condamné

Peines inférieures à 10 ans d'emprisonnement

Peines multiples inférieures à 5 ans d'emprisonnement



10 ans

Peines ne pouvant faire l'objet d'une réhabilitation de plein droit

Peines supérieures à 10 ans de peine privative de liberté

Peines multiples supérieures à 5 ans d'emprisonnement



-

20 ans sauf nouvelle condamnation criminelle ou correctionnelle

(*) la réhabilitation emporte l'effacement de la condamnation du casier judiciaire.

La procédure d'acquisition de nationalité, par naturalisation ou par déclaration, exige, dans la plupart des cas, la présentation d'un extrait du casier judiciaire. Or, comme on l'a vu, l'autorité administrative ne peut avoir accès qu'au bulletin n° 2 de ce casier. Ainsi, la procédure de réhabilitation et celle d'exclusion des condamnations du bulletin n° 2 ont pour effet de rendre ce dernier vierge. En conséquence, l'autorité administrative n'aura aucun moyen de déclarer l'irrecevabilité de la demande sur le fondement de l'article 21-27 du code civil.

Néanmoins, sur le fondement des articles 21-23 et 21-24 du code civil, elle conservera une marge d'interprétation. En effet, dans le cas d'une procédure de naturalisation, elle pourra toujours refuser l'acquisition de la nationalité française par un étranger « s'il n'est pas de bonnes vie et mœurs » ou « s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française ». Ainsi, le Conseil d'État a admis que la mise en examen pour des faits graves suffisait à fonder l'absence de bonnes vie et mœurs et justifiait le rapport d'un décret de naturalisation (49).

L'administration conserve également une marge d'appréciation lorsque le condamné devient conjoint de français et qu'il peut, sur ce fondement, demander la nationalité française par déclaration après un an de mariage. En effet, sur le fondement de l'article 21-4 du code civil, le « Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'État, pour indignité ou défaut d'assimilation, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger ». Par exemple, dans un arrêt Gotio du 30 décembre 1992, le tribunal administratif de Nantes a admis qu'était constitutive d'une indignité la condamnation pour abus de confiance et escroquerie en 1975 et 1976 malgré son effacement par une réhabilitation.

La Commission a adopté l'article 35 sans modification.

Articles additionnels après l'article 35

(art. 25-1 du code civil)


Élargissement des conditions de déchéance de la nationalité française

La Commission a adopté un amendement de M. Christian Estrosi incluant, dans les critères fondant la déchéance de la nationalité française, les faits ou actes d'une gravité particulière, tels que les actes de terrorisme, intervenus antérieurement à l'acquisition de la nationalité française (amendement n° 137).

(art. 47 du code civil)

Contrôle des faux documents d'état civil

La Commission a adopté un amendement du rapporteur instituant une procédure de contrôle des documents d'état civil présentés par les étrangers à l'appui, par exemple, d'une demande d'admission au séjour ou d'accès à la nationalité française, afin de lutter contre un phénomène de fraude qui s'est développé très fortement ces dernières années et qui touche jusqu'à 80 % des documents présentés par les ressortissants de certains États (amendement n° 138).

(art. 63 du code civil)

Audition des futurs époux

Sous réserve d'une modification rédactionnelle proposée par le rapporteur, la Commission a adopté un amendement de M. Nicolas Perruchot créant la possibilité pour l'officier de l'état civil de procéder à l'audition commune des futurs époux, de demander à l'étranger de justifier de la régularité de son séjour et d'informer, en cas de séjour irrégulier, le préfet (amendement n° 139).

Après l'article 35

La Commission a rejeté un amendement n° 10 de M. François Scellier liant la célébration du mariage d'un étranger à la régularité de son séjour, après que le rapporteur eut souligné qu'il contrevenait aux dispositions de l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives à la liberté du mariage.

Article 36

(art. 170 du code civil)


Contrôle des mariages célébrés à l'étranger

Cet article insère deux alinéas après le premier alinéa de l'article 170, afin de permettre de lutter efficacement les mariages de complaisance célébrés à l'étranger. Selon le Haut Conseil à l'intégration, le nombre d'unions entre Français et étranger transcrites par les services consulaires français a augmenté de près de 89 % entre 1994 et 2002, passant de 20 607 à 38 915, dépassant le nombre de mariages mixtes célébrés sur le territoire national (50).

1. Le régime du mariage célébré à l'étranger

Pour qu'un mariage célébré à l'étranger entre un Français et un étranger soit reconnu en France, il convient que la loi personnelle des futurs conjoints soit respectée et donc que les conditions posées par le droit français, tenant en particulier à la réalité du consentement, aient été respectées pour le conjoint français. Le premier alinéa de l'article 170 du code civil dispose que : « Le mariage contracté en pays étranger entre Français et entre Français et étranger sera valable, s'il a été célébré dans les formes usitées dans le pays, pourvu qu'il ait été précédé de la publication prescrite par l'article 63, au titre des actes de l'état civil, et que le Français n'ait point contrevenu aux dispositions contenues au chapitre précédent ».

En vertu de l'article 63 du code civil, avant la célébration du mariage, l'officier de l'état civil, à savoir le maire ou ses remplaçants légaux délégués (51), doit faire une publication par voie d'affiche apposée à la porte de la maison commune. Cette publication doit énoncer les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs époux, ainsi que le lieu où le mariage devra être célébré. L'officier de l'état civil ne pourra procéder à la publication, ni, en cas de dispense de publication, à la célébration du mariage, qu'après la remise, par chacun des futurs époux, d'un certificat médical datant de moins de deux mois, attestant, à l'exclusion de toute autre indication, que l'intéressé a été examiné en vue du mariage.

L'article 146-1 du code civil, inséré par l'article 31 de la loi du 24 août 1993 précitée dispose que le mariage d'un Français, même contracté à l'étranger, requiert sa présence.

En outre, pour que le mariage célébré à l'étranger soit valable en France, il doit faire l'objet d'une transcription par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises. L'article 170-1 du code civil prévoit que si l'agent consulaire présume un mariage insincère, qui pourrait encourir la nullité au titre des articles 184 (défaut de consentement, erreur sur la personne), 190-1 (fraude à la loi) ou 191 (célébration non publique, sans officier public) du code civil, il en informe immédiatement le ministère public et sursoit à la transcription. Dans ce cas, c'est le procureur qui se prononce sur la transcription dans un délai de six mois, le silence valant décision implicite d'acceptation de la transcription. Il reste qu'il est difficile pour le responsable de la transcription de s'assurer de la sincérité du mariage. Il convient donc de lui donner les moyens de mener sa tâche dans les meilleures conditions possibles.

2. L'institution d'un contrôle des mariages célébrés à l'étranger

La proportion de mariages mixtes célébrés à l'étranger s'est accrue. Leur nombre a augmenté fortement, la progression atteignant 61 % entre 1994 et 2000. Elle a concerné principalement l'Algérie, la Tunisie, le Maroc et la Turquie. Pour ce seul pays, le nombre de mariages mixtes célébrés localement est passé de 353 en 1994 à 2 138 en 2000. Par ailleurs, un phénomène se développe : de jeunes Françaises sont mariées de force à l'occasion des vacances d'été dans leur pays d'origine. Si le mariage est célébré selon la loi locale, les autorités françaises n'ont aucun moyen de contrôler la réalité du consentement de la jeune femme et doivent se contenter de transcrire l'acte de mariage sur les registres de l'état civil, ce qui a des incidences sur les droits d'entrée et au séjour du conjoint étranger sur le territoire français.

Pour assurer une transcription authentique du mariage célébré selon la loi locale et déceler les mariages de complaisance ou les mariages forcés, la présence des deux époux sera requise à la fois lors de la publication des bans, quand les époux présenteront leur certificat médical et au moment de la transcription sur les registres de l'état civil. Ces trois moments seront autant d'occasions pour les autorités diplomatiques ou consulaires de s'assurer de la cohérence du projet nuptial et de la réalité du consentement des deux époux.

Le présent article prévoit que la présence des deux époux n'est pas requise lorsque, par exception, les attributions de l'état civil consulaire, relatives notamment à la transcription, mais aussi à la célébration, sont exercées par les services centraux du ministère chargé des affaires étrangères. Ce cas, prévu par l'article 7 du décret n° 62-921 du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives aux actes de l'état civil, se présente pour les pays dans lesquels la France n'est pas représentée, du fait en particulier du défaut de reconnaissance de la souveraineté de l'État en cause, de la fermeture du poste consulaire ou de la rupture des relations diplomatiques. En outre, en application du deuxième alinéa de l'article premier du décret n° 46-1917 du 19 août 1946, modifié par le décret n° 94-1029 du 30 novembre 1994, en cas d'événement exceptionnel survenu dans l'État où se situe un poste consulaire, le ministre des affaires étrangères peut momentanément confier tout ou partie des attributions du poste normalement compétent à un officier de l'état civil relevant d'un autre poste consulaire ou aux officiers de l'état civil du service central.

La Commission a adopté un amendement du rapporteur allégeant la procédure en n'obligeant plus les autorités diplomatiques et consulaires à requérir systématiquement la présence des deux époux lors d'une demande de transcription d'un mariage (amendement n° 140). Puis elle a rejeté un amendement présenté par M. Nicolas Perruchot instituant un dispositif d'aide et de protection pour celui des époux qui dénoncerait auprès des autorités précitées un mariage auquel il ne consent pas librement, après que le rapporteur a souligné le caractère coûteux de ce mécanisme, qui le rend irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.

La Commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 141) puis l'article 36 ainsi modifié.

Article 37

(art. 175-2 du code civil)


Contrôle des mariages de complaisance

Cet article, qui remplace l'actuel article 175-2 du code civil introduit par la loi du 30 décembre 1993, crée un dispositif plus efficace de lutte contre les mariages de complaisance dans un souci d'équilibre entre liberté matrimoniale et sauvegarde de l'ordre public.

1. L'impuissance de l'officier de l'état civil face aux mariages de complaisance

L'existence de liens étroits entre droit des étrangers et mariage justifie de s'assurer que le mariage soit sincère. Encore faudrait-il que les moyens dont dispose l'officier de l'état civil lui permettent de le faire. Or, l'état du droit lui offre bien peu de possibilités d'empêcher que ne soit célébré un mariage de complaisance.

a) L'existence de liens étroits entre droit des étrangers et mariage

En 1993, le nombre d'étrangers mariés à un conjoint français qui devenaient, par ce fait, français, était limité à 15 246 personnes. En 2000, 150 000 étrangers ont acquis la nationalité française, dont 77 500 par décret et 64 000 par déclaration. Parmi ces derniers, 26 000 étrangers ont acquis la nationalité française à raison du mariage, soit environ un cinquième du total des acquisitions.

En 2001, 127 550 étrangers ont acquis la nationalité, dont 57 000 par déclaration. Le nombre de ceux qui ont acquis la nationalité par mariage a légèrement baissé à 24 000. Cette diminution masque une augmentation du nombre de déclarations souscrites : ce dernier est passé de 24 000 à 28 000 entre 2000 et 2001. Ce décalage s'explique par deux phénomènes : le taux de refus d'enregistrement a progressé de 4,8 % à 6,5 % en 2001 (1 590 décisions de refus d'enregistrement de déclarations à raison du mariage) ; le délai moyen de traitement des déclarations, qui traduit un ralentissement de l'activité des services, est passé de 276 jours en 2000 à 282 jours en 2001.

ACQUISITIONS DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE À RAISON DU MARIAGE

1992

1994

1996

1998

2000

2001

Nombre d'acquisitions

15 061

19 493

19 127

22 113

26 056

23 994

Source : ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

LES LIENS ENTRE MARIAGE ET DROIT DES ÉTRANGERS

Conditions
de recevabilité

Carte de séjour temporaire
(article 12 bis de l'ordonnance de 1945)

Carte de résident
(article 15 de l'ordonnance de 1945)

Acquisition
de la nationalité
(article 21-2 du code civil)

Avant 1993

Durée du mariage

Pas de régime particulier d'attribution

Sans délai

6 mois (1)

Autres conditions

Conjoint de nationalité française

Conjoint de nationalité française

Communauté de vie continue

Lois de 1993 et de 1997

Durée du mariage

1 an

1 an

2 ans

Autres conditions

- Absence de polygamie

- Entrée régulière

- Conjoint de nationalité française

- Communauté de vie

- Transcription sur les registres de l'état civil français

- Absence de menace pour l'ordre public

Conjoint de nationalité française

Communauté de vie continue

- Transcription sur les registres de l'état civil français

- Absence de menace pour l'ordre public

Conjoint de nationalité française

Communauté de vie continue

- Séjour régulier

Proposition du rapport « Weil » de 1997

Durée du mariage

Sans délai

2 ans

2 ans

Autres conditions

- Absence de polygamie

- Entrée régulière

- Conjoint de nationalité française

- Transcription sur les registres de l'état civil français

- Absence de menace pour l'ordre public

- Communauté continue de vie

- Conjoint de nationalité française

- Transcription sur les registres de l'état civil français

- Absence de menace pour l'ordre public

- Communauté continue de vie

- Conjoint de nationalité française

- Séjour régulier

État du droit (lois du 16 mars et du 11 mai 1998)

Durée du mariage

Sans délai

1 an

1 an

Autres conditions

- Absence de polygamie

- Entrée régulière

- Conjoint de nationalité française

- Transcription sur les registres de l'état civil français

- Absence de menace pour l'ordre public

- Communauté continue de vie

- Conjoint de nationalité française

- Transcription sur les registres de l'état civil français

- Absence de menace pour l'ordre public

- Communauté continue de vie

- Conjoint de nationalité française

- Séjour régulier

Projet de loi

Durée du mariage

Sans délai

2 ans

1 an

Autres conditions

- Absence de polygamie

- Entrée régulière

- Conjoint de nationalité française

- Transcription sur les registres de l'état civil français

- Communauté de vie

- Absence de menace pour l'ordre public

- Communauté continue de vie

- Conjoint de nationalité française ;

- Transcription sur les registres de l'état civil français

- Absence de menace pour l'ordre public

- Communauté continue de vie

- Conjoint de nationalité française

(1)  Ce délai de six mois a été institué par la loi n° 84-341 du 7 mai 1984. Dans la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973, la déclaration pour l'acquisition de la nationalité pouvait avoir lieu dès la célébration du mariage.

- La procédure de déclaration

Les liens entre le droit des étrangers et le mariage sont étroits. Le mariage d'un étranger avec un conjoint de nationalité française impose un régime juridique privilégié au regard de l'obtention de titres de séjour - comme on l'a vu aux articles 7 et 11 du présent projet de loi -, de la protection contre des mesures d'éloignement au nom du respect de la vie familiale, mais aussi au regard de l'acquisition de la nationalité française et de la protection à l'égard de l'expulsion (52). Ce sont ces liens qui donnent tout leur prix aux mariages de complaisance.

En application de l'article 21-1 du code civil, consacrant l'indépendance et l'égalité entre les conjoints au regard de la nationalité, le mariage n'exerce pas d'effet de plein droit sur cette dernière. Mais l'article 21-2, ancien article 37-1 du code de la nationalité, prévoit que l'étranger ou l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai d'un an à compter du mariage (53), acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie n'ait pas cessé entre les époux et que le conjoint ait conservé sa nationalité française. Le délai d'un an est supprimé lorsque naît, avant ou après le mariage, un enfant dont la filiation est établie à l'égard des deux conjoints, si les conditions relatives à la communauté de vie et à la nationalité du conjoint français sont satisfaites.

La déclaration doit être faite auprès du tribunal d'instance auprès duquel doit être constitué un dossier. Le dossier constitué, le déclarant reçoit un récépissé qui fait courir les délais d'enregistrement de la déclaration et d'opposition du Gouvernement. Le tribunal transmet la demande au ministère chargé des naturalisations qui instruit la demande et décide d'octroyer ou non la nationalité. En cas de réponse positive, le tribunal remet à l'intéressé la déclaration dûment enregistrée ainsi qu'un livret d'accueil dans la nationalité française. Le service central de l'état civil établit alors, sur demande, les actes d'état civil français liés à l'acquisition de la nationalité.

- Les refus d'enregistrement

Lorsque la déclaration ne répond pas aux conditions légales, en application de l'article 26-3 du code civil, le ministre chargé des naturalisations doit refuser de l'enregistrer dans un délai d'un an à compter de la date du récépissé de dépôt de la déclaration de nationalité (54).

Par ailleurs, sur le fondement de l'article 26-4 du même code, le ministère public peut contester l'enregistrement de la demande « en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration constitue une présomption de fraude. » L'autorité administrative se fonde sur une enquête diligentée par le préfet de résidence du déclarant, enquête qui porte sur la réalité de la communauté de vie, l'assimilation à la société française et la moralité du déclarant ainsi que sur la régularité du séjour.

- Les possibilités d'opposition

L'article 21-4 du même code ouvre au Gouvernement une faculté d'opposition à l'acquisition de la nationalité française d'un étranger conjoint d'un Français pour cause d'indignité ou défaut d'assimilation dans un délai d'un an à compter de la délivrance du récépissé de déclaration. Ces éléments sont les seuls motifs à être admis aujourd'hui à l'appui d'une opposition. L'absence de communauté de vie ne constitue pas un motif d'opposition mais une cause d'irrecevabilité de la déclaration. 90 % des procédures concernent un défaut d'assimilation linguistique et 10 % une indignité. 99 décrets d'opposition en Conseil d'État ont été pris sur ce fondement en 2001 ; ce nombre tend à stabiliser après une baisse régulière (173 décrets en 1996).

Le juge administratif contrôle la qualification des faits retenus par l'administration constitutifs d'un défaut d'indignité ou d'assimilation.

Le motif d'indignité, le plus souvent retenu, repose sur l'existence de condamnations pénales et se rapproche de la notion d'atteinte aux « bonnes vie et mœurs » visée par l'article 21-23 du code civil. Le juge vérifie néanmoins que les condamnations ne sont pas trop anciennes, le délai étant d'autant plus court que les infractions sont d'une gravité relative. L'annulation de la décision d'opposition a, par exemple, été prononcée par le juge dans le cas d'une condamnation à six mois avec sursis pour infraction à la législation sur les stupéfiants commises quatre ans auparavant (55). À l'inverse, certains faits n'ayant pas encore donné lieu à des sanctions pénales peuvent être constitutifs d'indignité s'ils sont particulièrement graves, à l'exemple de l'usage d'une arme à feu au cours d'une querelle ayant provoqué la mort d'une personne et les blessures d'une autre, alors même qu'aucune condamnation pénale n'était encore intervenue. Dans ce cas, le principe de la présomption d'innocence ne fait pas obstacle à la prise en compte, pour mesurer l'indignité de l'individu, de faits n'ayant pas encore fait l'objet d'une décision d'une juridiction de jugement (56).

Le motif de défaut d'assimilation s'apprécie dans les mêmes conditions que la notion d'assimilation à la communauté française visée à l'article 21-24 du code civil. En conséquence, la méconnaissance de la langue française, à condition qu'elle soit avérée, constitue un défaut d'assimilation. Ainsi, le Conseil d'État a rejeté une requête déposée contre un refus de l'acquisition de la nationalité française soulignant que l'intéressé « ne pouvait soutenir une conversation courante en français, ne savait pas l'écrire et ne le lisait qu'avec de grandes difficultés » (57). Le rejet des valeurs essentielles de la société française, prouvé par l'appartenance à un mouvement extrémiste, constitue également un motif de défaut d'assimilation (58). De même, le Gouvernement peut légalement s'opposer à l'acquisition de la nationalité à raison du mariage en cas de bigamie, révélant un défaut d'assimilation à la communauté française.

La confrontation des règles relatives au mariage et à l'acquisition de la nationalité française pour des ressortissants étrangers entraîne de nombreuses difficultés pour le législateur, confronté au risque du mariage de complaisance, mais aussi aux responsables locaux chargés de célébrer les mariages. Des filières organisatrices de mariages de complaisance ou « mariages blancs » ont été créées. L'augmentation du nombre de mariages entre un ressortissant français et un ressortissant étranger masque, pour partie, ce phénomène.

b) Les moyens insuffisants dont disposent les officiers de l'état civil pour lutter contre les mariages de complaisance

On l'a vu dans le commentaire sur l'article 11, qui allonge de un à deux ans la durée du mariage ouvrant droit à l'obtention d'une carte de résident, l'Union européenne s'est saisie de cette question, dans la résolution du Conseil du 4 décembre 1997 précitée. Mais, face à la liberté matrimoniale inscrite dans l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les maires disposent de peu de moyens pour lutter contre les « mariages blancs » (59) et peuvent, en conséquence, éprouver le sentiment de cautionner l'immigration clandestine. Sur le fondement de l'article 146 du code civil, qui exige le consentement des deux époux, les maires peuvent certes refuser de célébrer les mariages « douteux » ou, tout du moins, différer leur célébration. Mais cette voie s'avère étroite et peu concluante.

- L'existence d'indices

En effet, dans ce domaine, les pouvoirs de l'officier de l'état civil restent relativement limités. L'instruction générale relative à l'état-civil (igrec) dispose, dans sa rubrique n° 95, que l'officier de l'état civil « n'a aucune qualité pour procéder à des investigations quelconques pour s'assurer au préalable de la légalité ou de la sincérité des déclarations des comparants », sous peine de se rendre coupable de voie de fait. S'il lui appartient, en vertu des articles 144 et suivants du code civil, de vérifier que les conditions de forme et de fond du mariage, sont remplies, il doit se contenter d'un contrôle formel, n'ayant aucune compétence pour procéder à une enquête.

D'abord, l'officier de l'état civil reçoit le certificat médical prénuptial qui doit être daté de moins de deux mois. Il pourra être attentif aux certificats émanant d'un médecin installé dans une commune avec laquelle les futurs conjoints paraissent n'avoir aucune attache. La production de certificats émanant du même médecin pour plusieurs mariages mixtes peut constituer également des indices. Ensuite, en application de l'article 74 du code civil, l'officier de l'état civil doit s'assurer de la résidence ou du domicile des époux. Mais la production d'une simple attestation sur l'honneur suffit. Enfin, les futurs époux doivent produire un acte de naissance de moins de trois mois. Cette ancienneté est portée à six mois si cet acte a été délivré dans un consulat ou dans un département ou territoire d'outre-mer. Cette disposition ne s'applique pas aux actes délivrés par les autorités étrangères qui sont, en conséquence, valables quelle que soit leur date de délivrance, mais qui doivent être traduits et légalisés par les services consulaires.

Par ailleurs, l'officier de l'état civil doit s'assurer que le projet de mariage n'est pas contraire à l'ordre public français, ce qui implique le respect des dispositions en matière d'âge des futurs époux et de l'interdiction de la polygamie. Il doit donc s'assurer de l'absence d'une précédente union non dissoute. En application de l'article 70 du code civil, chacun des futurs époux étrangers doit remettre un document qui comporte des mentions similaires à celles figurant sur un extrait d'acte de naissance en droit français. À défaut, l'officier de l'état civil sollicite la production d'un certificat de capacité matrimoniale ou d'un certificat de coutume.

La circulaire du garde des Sceaux du 16 juillet 1992 relative à l'harmonisation des pratiques des parquets en matière de consentement au mariage énumère certains indices susceptibles d'éveiller les soupçons de l'officier de l'état civil : retards répétés et anormaux pour produire les pièces du dossier de mariage, projets de mariage successivement reportés ou annulés, comportant parfois un changement en la personne de l'un des futurs conjoints, présentation du dossier de mariage et accomplissement des diverses formalités par un tiers servant d'interprète entre les futurs époux, ou par un seul des époux sans que l'autre y soit jamais associé ; état d'hébétude ou existence de traces récentes de coups constatés lors du dépôt du dossier ou de la cérémonie ; déclarations mêmes rétractées, du futur conjoint sur les pressions qu'il subit ; projets de mariage de couples différents comportant les mêmes témoins ; reconnaissance d'une situation personnelle ou sociale particulière qui laisse présumer que l'intéressé ne peut accepter l'union en toute liberté (à titre d'exemple : domiciliation dans une structure d'accueil pour handicapés mentaux) ; attitude distante des époux, présence d'un témoin ou d'un membre de la famille qui sert d'interprète entre les époux constatée lors de la célébration. Le simple fait que l'un des époux soit en situation irrégulière en France, s'il n'est corroboré par aucun élément du dossier, ne peut laisser présumer aujourd'hui que le mariage futur déroge à l'obligation du consentement.

- La possibilité de saisir le procureur de la République avant la célébration

Lorsqu'il existe des indices sérieux laissant présumer que le mariage envisagé est susceptible d'être annulé au titre de l'article 146 du code précité (60), l'officier de l'état civil peut saisir le procureur de la République en application de l'article 175-2 du même code. Il informe les intéressés de cette saisine. Saisi par l'officier de l'état civil, sur le fondement de l'article 175-2 explicité par la rubrique n° 347 de l'igrec, le procureur de la République peut faire application des articles 172 et suivants du code civil.

Il dispose de quinze jours pour donner son approbation, tacite ou expresse, au mariage.

Dans le même délai, il peut dire son opposition. Il n'a pas nécessairement besoin d'être saisi par l'officier de l'état civil pour le faire. L'article 175-1 précise que « le ministère public peut former opposition pour les cas où il pourrait demander la nullité du mariage ». Le droit d'intervention du parquet n'apparaît pas illogique : le ministère public figure parmi les personnes à qui la loi permet de demander la nullité du mariage, en application de l'article 184 du code civil ; s'il peut ainsi agir une fois l'union célébrée, a fortiori, peut-il l'empêcher. De plus, en vertu de l'article 423 du code de procédure civile, en dehors même des cas spécifiés par la loi, le ministère public « peut agir pour la défense de l'ordre public à l'occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci ». Le droit d'opposition est également reconnu aux parents des futurs époux (articles 173 à 175 du code civil) et au conjoint non divorcé (article 172). Les futurs époux peuvent saisir le tribunal de grande instance d'une demande de mainlevée de l'opposition, la charge de la preuve de l'absence de consentement incombant au parquet. Le tribunal doit se prononcer dans un délai maximal de dix jours. Le juge vérifie alors la volonté des futurs époux de vivre une véritable union matrimoniale. La décision du tribunal est susceptible d'appel devant la cour d'appel, qui disposera également de dix jours pour se prononcer.

Le ministère public peut également décider qu'il sera sursis à la célébration pendant un mois maximum. Ce délai permet de diligenter une enquête de nature à vérifier la réalité du consentement. À l'expiration de ce délai, si le procureur n'a pas exprimé son opposition, le mariage sera célébré. Chacun des futurs époux peut contester la décision de sursis devant le président du tribunal de grande instance dans les mêmes conditions que pour une décision d'opposition. Une circulaire en date du 8 février 1994 a précisé que le sursis est indépendant de l'attribution d'un titre de séjour ou de la prise d'une mesure d'éloignement. Le futur conjoint en situation irrégulière peut ainsi faire l'objet d'une reconduite à la frontière si, pendant ce sursis, son visa vient à expiration. Le Conseil d'État n'a pas jugé ce type de mesure contraire à l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme (61). Le juge judiciaire n'a pas considéré que le refus à un étranger d'un visa d'entrée après qu'il a fait l'objet d'un arrêté de reconduite exécuté constitue une voie de fait (62).

PROCÉDURE DE SAISINE DU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE
(article 175-2 du code civil, en vigueur)

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Mais comme l'a souligné le ministre de la justice, en réponse à une question écrite posée par notre collègue Georges Fenech, « trop souvent, l'enquête diligentée par le procureur de la République (...) ne permet pas d'établir l'absence d'intention matrimoniale des futurs conjoints. Ces enquêtes peuvent, en effet, faire apparaître des ramifications diverses voire de véritables réseaux nécessitant des investigations complémentaires approfondies » (63). Dans ce contexte, le délai d'un mois s'avère trop court.

- L'existence d'un contrôle a posteriori aléatoire

L'article 190-1 du code civil, issu de la loi du 24 août 1993 précitée, a également prévu un contrôle a posteriori : « le mariage qui a été célébré en fraude à la loi peut être annulé à la demande de l'époux de bonne foi ou du ministère public formée dans l'année du mariage ». Ce système s'ajoute ainsi à la nullité du mariage sur le fondement de l'article 184 du code civil, c'est-à-dire l'action ouverte à tout intéressé sans condition de délai pour défaut du consentement. Le juge considère qu'un consentement n'ayant porté que sur les effets secondaires du mariage, lorsque le seul but du mariage est l'acquisition de la nationalité française par exemple, est assimilable à un défaut de consentement (64).

Des cas de fraude ont pu être constatés dans les contextes suivants : mariage contracté en échange d'une somme d'argent ou en échange d'une promesse de divorce rapide dans le but unique d'obtenir la délivrance d'une carte de résident, communauté de vie ayant cessé dix mois après le mariage et quelques jours après la remise du titre de séjour ; au surplus, l'épouse avait introduit une procédure de divorce à la suite de la rupture de la vie commune, mariage moins de deux mois après l'entrée en France avec une ressortissante française qui, quatre mois auparavant, avait envisagé de se marier avec un ressortissant turc afin de lui permettre de rester en France, union à laquelle le parquet avait fait opposition ; époux français ayant déclaré avoir contracté un mariage de complaisance ; conjoint étranger ayant continué à entretenir des relations avec sa concubine pendant toute la durée de son mariage, a eu des enfants avec elle et l'a épousée immédiatement après le divorce, etc. Le contrôle a posteriori, par définition, intervient trop tard.

Enfin, il convient de souligner que le délai d'annulation d'un mariage pour défaut de consentement est illimité, sous réserve de la prescription trentenaire. La cour d'appel de Paris a ainsi rappelé qu'une demande en nullité sur le fondement du défaut total de consentement prévu par l'article 146 du code civil échappait à la prescription quinquennale de l'article 1304 du même code (65).Or, les mariages de complaisance, dès lors qu'ils sont gouvernés par la seule volonté de rechercher un effet secondaire de l'union matrimoniale, s'apparentent à des mariages « simulés » susceptibles d'entrer dans le cadre de l'article 146. Cette solution a été confirmée à maintes reprises par la jurisprudence. Par exemple, la cour d'appel de Paris, dans une décision du 16 octobre 1958, a annulé un mariage conclu dans le seul but d'acquérir la nationalité française faut d'intention conjugale.

Les dispositions législatives autorisent les mariages mixtes, mais imposent, par ailleurs, que le séjour du conjoint étranger sur le territoire soit régulier. Or, rien ne permet de s'assurer qu'au moment de la célébration du mariage, cette règle est respectée ou bien que la sincérité du mariage justifie la régularisation. Il convient donc de mettre en place un mécanisme efficace qui garantisse le respect de la loi.

2. La mise en place d'un contrôle efficace

Pour assurer un contrôle efficace des mariages de complaisance, le présent article propose quatre novations par rapport au régime actuel de saisine du procureur de la République en cas de doute sur la sincérité du mariage entre un ressortissant français et un ressortissant étranger :

- il prévoit la possibilité pour le maire de demander au futur conjoint étranger de justifier d'un droit au séjour ;

- il fait de l'absence de justification un indice sérieux laissant présumer que le mariage est susceptible d'être annulé sur le fondement du caractère insincère du consentement ;

- il organise, en l'absence de justification, l'information immédiate du préfet par l'officier de l'état civil ;

- enfin, il permet au procureur de la République saisi par l'officier de l'état civil de surseoir à la célébration pour un mois renouvelable une fois.

Conformément au principe constitutionnel de liberté matrimoniale, la situation irrégulière d'un étranger en France ne constitue pas un obstacle juridique à son mariage (66). Comme il est rappelé dans le troisième alinéa de la rubrique n° 385 de l'igrec, il n'est donc pas possible de subordonner sa célébration à la production d'un titre de séjour. En revanche, l'irrégularité du séjour peut faire suspecter le mariage de complaisance et peut faire obstacle à la recevabilité d'une déclaration de nationalité à raison du mariage sur le fondement du troisième alinéa de l'article 21-27 du code civil.

Dans ce contexte, rien n'interdit aux autorités d'être informées de cette situation et de vérifier qu'il n'y a pas de lien entre l'irrégularité du séjour et un éventuel mariage de complaisance, qui, lui, est interdit par la loi. En vertu du présent article, lorsqu'un étranger souhaite se marier avec un ressortissant français en France ou lorsqu'un étranger souhaite se marier avec un autre étranger en situation régulière, l'officier de l'état civil pourra désormais lui demander quelle est sa situation au regard du droit au séjour.

Si l'étranger ne justifie pas d'un droit au séjour, le maire en informera immédiatement le préfet. Ce dernier pourra lui-même indiquer, par exemple, si l'étranger concerné ne fait pas l'objet d'ores et déjà d'une procédure de reconduite. En outre, la reconduite à la frontière, qui résulterait de l'information du préfet par le maire, n'interdira pas en elle-même la célébration du mariage (67). Cette procédure aura, de manière indéniable, un effet dissuasif sur les mariages gouvernés par la seule volonté d'obtenir une régularisation de son séjour, voire l'acquisition de la nationalité française. La quadruple modification apportée par le présent article permettra de garantir une enquête sérieuse sur la réalité du mariage mixte dont il est demandé la célébration, sans pour autant diminuer les garanties de recours offertes aux demandeurs.

Le procureur devra motiver sa décision de sursis et sa décision de renouvellement de sursis. Comme c'est d'ores et déjà le cas, les demandeurs, y compris si l'un d'eux est mineur, pourront, en effet, saisir le président du tribunal de grande instance de la décision de sursis ou de la décision de renouvellement de sursis prononcée par le procureur de la République. Ledit président bénéficiera de dix jours pour se prononcer. De la même façon, en cas d'appel, la cour d'appel bénéficiera de dix jours pour statuer. Ces dispositions vont également dans le sens du renforcement du sérieux de l'examen de la situation. Ainsi, cet article répond aux exigences de recours et de respect de la liberté matrimoniale rappelées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions précitées du 13 août 1993 et du 22 avril 1997.

L'intervention du préfet permettra aux maires de se voir déchargés du poids du contrôle de l'immigration irrégulière qui pèse actuellement de facto sur eux, alors qu'ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour s'opposer à un mariage dont la sincérité est douteuse parce que la régularité du séjour n'est pas avérée. Elle favorisera un traitement égal de toutes les situations sur le territoire. En effet, laisser aux seuls maires le soin de déterminer le caractère potentiellement frauduleux d'un mariage mixte peut conduire structurellement à des pratiques disparates.

Dans ce domaine, l'État, incarné par l'autorité préfectorale, doit assumer ses responsabilités. L'intervention du procureur de la République garantit, par ailleurs, la poursuite des procédures de mariage sincère et interdit les « voies de fait » que constitueraient des refus infondés de célébrer un tel mariage. Une telle position avait déjà été prise par certains tribunaux. La cour d'appel de Paris dans une décision du 25 avril 1997 avait ainsi précisé que « loin d'avoir commis une voie de fait, c'est à bon droit et conformément au devoir de sa charge que le maire, informé de la situation irrégulière d'un étranger postulant pour la seconde fois au mariage avec une citoyenne française, pour des raisons ne lui apparaissant que trop évidentes, a saisi le procureur de la République dans la limite des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi et sursis à mariage suspect dans l'attente de l'enquête de ce magistrat ».

PROCÉDURE DE SAISINE DU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE
(article 175-2 nouveau du code civil)

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La Commission a adopté un amendement présenté par M. Nicolas Perruchot (amendement n° 142) par coordination avec l'amendement n° 139, ainsi que deux amendements rédactionnels du rapporteur (amendements nos 143 et 144). Puis elle a adopté l'amendement n° 22 de M. François Scellier prévoyant que la décision prise par le procureur de la République, à l'issue de la deuxième période de sursis, d'accepter la célébration du mariage mixte ou de s'y opposer, sera motivée. Elle a adopté l'article 37 ainsi modifié.

Après l'article 37

La Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde devenu sans objet. Après que le rapporteur eut précisé que l'article 21-4 du code civil prévoyait d'ores et déjà la possibilité pour le Gouvernement de s'opposer, pour indignité ou défaut d'assimilation, à une déclaration d'acquisition de nationalité française par un ressortissant étranger de conjoint français, la Commission a rejeté un amendement présenté par M. Nicolas Perruchot ajoutant aux critères de recevabilité de la déclaration la connaissance de la langue française et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté.

Articles additionnels après l'article  37

(art. 21-24 du code civil)


Précision des critères de naturalisation

Sous réserve d'une modification rédactionnelle proposée par le rapporteur, la Commission a adopté un amendement de M. Nicolas Perruchot précisant que la connaissance des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté faisait partie des critères permettant à l'autorité chargée de la naturalisation d'apprécier l'assimilation du demandeur (amendement n° 145) .

(art. 190-1 du code civil)

Abrogation

La Commission a adopté un amendement de M. Nicolas Perruchot abrogeant l'article 190-1 du code civil qui ouvre la possibilité au ministère de public de demander l'annulation d'un mariage célébré en fraude à la loi dans un délai d'un an, ce qui a pour effet de limiter le délai de prescription à une année et d'empêcher l'annulation des mariages de complaisance qui auraient été révélés un an après leur célébration (amendement n° 146).

TITRE III

DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE PÉNAL
ET LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

Les articles du titre III du projet de loi, numérotés 38 à 41, concernent la peine d'interdiction du territoire français et ses modalités d'exécution. Ils s'inscrivent dans le cadre de la réforme générale de la législation relative aux mesures d'éloignement proposée par le Gouvernement (68).

Article 38

(art. 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 [nouveaux],
213-2, 222-48, 414-6, 422-4, 431-19 et 442-12 du code pénal)


Aménagement des peines, motivation spéciale et protection absolue
en matière d'interdiction du territoire

Le présent article propose de modifier l'article 131-30 du code pénal qui, comme on l'a vu dans l'exposé général, prévoit actuellement :

-  la possibilité de prononcer des peines d'interdiction du territoire, lorsque la loi le permet, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit ;

-  l'obligation pour le tribunal de motiver spécialement sa décision au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale de l'étranger, lorsque celui-ci appartient à une catégorie bénéficiant d'une « protection relative ».

Les nouvelles dispositions mises en œuvre tendent à mieux prendre en compte la situation personnelle et familiale des étrangers en reconnaissant à certains d'entre eux une protection absolue contre les peines d'interdiction du territoire. Par ailleurs, elles permettent aux étrangers condamnés, concomitamment, à une peine d'emprisonnement et à une interdiction du territoire, de bénéficier de mesures d'aménagement au cours ou à l'issue de leur incarcération.

1. Interdiction du territoire et aménagement des peines

Le troisième alinéa de l'article 131-30 du code pénal dispose que : « Lorsque l'interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son application est suspendue pendant le délai d'exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin. »

Dans l'intervalle, comme l'a relevé le groupe de travail, l'existence d'une interdiction du territoire fait obstacle à la plupart des démarches de réinsertion susceptibles d'être proposées au condamné : « Il a en effet été observé, d'une part, que, durant leur détention, les étrangers qui sont sous le coup d'une mesure d'itf sont souvent exclus des programmes de formation professionnelle et ne peuvent exercer un travail. La pénurie de travail en prison n'est pas étrangère à cet état de fait, mais elle n'en est pas la seule cause. De nombreux responsables d'établissements pénitentiaires considèrent qu'il n'est pas opportun de proposer une formation professionnelle ou un travail à un détenu qui va quitter le territoire français une fois purgée sa peine de prison. »

Cette situation n'est pas satisfaisante. Même en passe d'être éloigné, un étranger ne peut se voir refuser toute chance de réinsertion, y compris si celle-ci doit avoir lieu dans son pays d'origine. Surtout, on ne peut écarter la possibilité qu'un étranger modifie son comportement durant son incarcération : il convenait donc d'envisager une articulation entre les mesures d'aménagement et une éventuelle demande de relèvement d'une itf.

En conséquence, le paragraphe I du présent article propose de remplacer les alinéas quatre à dix de l'article 131-30 du code pénal (relatifs aux catégories d'étrangers bénéficiant d'une protection relative, ces dispositions étant reprises et modifiées par le paragraphe II) par une nouvelle formulation qui prévoit expressément que : « L'interdiction du territoire français prononcée en même temps qu'une peine d'emprisonnement ne fait pas obstacle à ce que cette peine fasse l'objet, aux fins de préparation d'une demande en relèvement, de mesures de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de placement sous surveillance électronique ou de permissions de sortir ».

Cette disposition complète l'article 41 du projet de loi, qui permet aux étrangers condamnés à titre complémentaire à une peine d'interdiction du territoire de bénéficier de mesures de libération conditionnelle, la décision d'éloignement pouvant alors être suspendue.

2. Protection relative et protection absolue

Le paragraphe II du présent article insère, après l'article 131-30 du code pénal ainsi modifié, deux articles, numérotés 131-30-1 et 131-30-2, qui définissent les nouveaux régimes de protection dont bénéficieront les étrangers ayant des liens particuliers avec la France au regard des peines d'interdiction du territoire.

Ces changements s'articulent, comme on l'a vu, avec les modifications proposées par les articles 22 et 24 du projet de loi en matière d'expulsion.

a) L'obligation de motivation spéciale

Le nouvel article 131-30-1 désigne les catégories d'étrangers qui, comme dans le droit en vigueur, ne pourront faire l'objet d'une interdiction du territoire qu'au travers d'une décision « spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale » de l'intéressé.

Pour l'essentiel, ces catégories reprennent celles qui figurent aujourd'hui à l'article 131-30. Les dispositions proposées appellent, néanmoins, les observations suivantes.

On relève, en premier lieu, que l'exigence d'une décision spécialement motivée n'est plus requise qu'en matière correctionnelle. En fait, cette précision ne modifie pas le droit en vigueur car, hier comme aujourd'hui, les jugements rendus en matière criminelle ne sont jamais motivés.

En deuxième lieu, la liste de l'article 131-30-1 est harmonisée avec celle qui figure à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (article 22 du projet de loi), relatif à la protection relative contre les mesures d'expulsion.

Toutefois, à l'occasion de cette harmonisation, des modifications limitées sont apportées aux catégories visées actuellement à l'article 131-30 :

-  les parents d'enfants français résidant en France devront désormais exercer l'autorité parentale « et » subvenir effectivement aux besoins de l'enfant : les deux conditions, jusqu'à présent alternatives, deviennent cumulatives (voir les commentaires relatifs aux critères d'une parentalité effective à propos des articles 12 et 22 du projet de loi) ;

-  la catégorie des étrangers résidant en France depuis l'âge de dix ans n'est pas reprise, dans la mesure où ceux-ci bénéficieront désormais d'une protection absolue ;

-  la référence à l'étranger qui justifie par tous moyens qu'il réside habituellement en France depuis plus de quinze ans est complétée par une nouvelle catégorie : celui qui réside « régulièrement » en France depuis plus de « dix ans » ;

-  l'étranger atteint d'une maladie grave n'est protégé que s'il ne peut pas bénéficier d'un traitement approprié dans « le pays de renvoi », et non plus dans « le pays dont il est originaire ».

Enfin, le paragraphe III supprime les dispositions du code pénal qui, pour certaines infractions limitativement énumérées, écartent l'exigence de la motivation spéciale : crime contre l'humanité (article 213-2), trafic de stupéfiants (222-48), atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation (414-6), terrorisme (422-4), participation à un groupe de combat (431-19) et fausse monnaie (442-12). Ces exceptions, héritées du passé et qui étaient surtout destinées à nuancer les protections absolues instituées par la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991 renforçant la lutte contre le travail clandestin et l'organisation de l'entrée et du séjour irréguliers d'étrangers en France, n'ont pas de justification réelle s'agissant d'une simple exigence de motivation spéciale.

On observera, pour conclure, que la portée concrète de l'exigence de motivation spéciale s'améliore, sous le contrôle de plus en plus étroit de la Cour de cassation : une motivation reposant uniquement sur la gravité des faits sans considération approfondie pour la situation personnelle et familiale de l'intéressé ne satisfait pas aux prescriptions de l'article 131-30 (69). Les dispositions mises en œuvre par le présent article sont de nature à conforter cette évolution.

b) La protection absolue

· Le nouvel article 131-30-2 énumère les catégories d'étrangers à l'encontre desquels il ne sera désormais plus possible de prononcer une peine d'interdiction du territoire. Cette liste est identique à celle qui figurera à l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (article 24 du projet de loi), relatif à la protection absolue contre les mesures d'expulsion :

-  l'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis au moins l'âge de treize ans (70) ;

-  l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

-  l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis trois ans au moins soit avec un français, soit avec un étranger résidant régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

-  l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France : dans cette hypothèse, il devra exercer même partiellement l'autorité parentale à l'égard de l'enfant « et » subvenir effectivement à ses besoins.

On relève, néanmoins, que le mariage, s'agissant aussi bien de la protection absolue que relative, ou la naissance de l'enfant, s'agissant de la seule protection absolue, doivent être antérieurs aux faits ayant entraîné la condamnation ; en revanche, ces critères ne sont pas pris en compte en ce qui concerne les mesures de police que sont les procédures administratives d'éloignement.

· Comme pour les expulsions, la protection est écartée dans un nombre très limité de circonstances.

Ainsi, elle ne pourra être invoquée par l'étranger qui en bénéficie en raison de ses liens familiaux en France dès lors que les infractions à l'origine de sa condamnation ont été commises à l'encontre de son conjoint ou de ses enfants.

Par ailleurs, conformément aux recommandations du groupe de travail, elle ne s'appliquera pas pour certains faits qui, dans l'ensemble, correspondent à ceux pour lesquels le législateur a prévu que le juge pourrait prononcer une interdiction du territoire sans obligation particulière en termes de motivation (ces exceptions étant supprimées, comme on l'a vu, par le III de l'article 131-30-1). La spécificité des crimes et délits visés, dont la liste ne recoupe pas nécessairement, pour des raisons déjà évoquées, celle qui figure à l'article 26 de l'ordonnance en matière d'expulsions, est qu'ils sont spécifiquement dirigés contre la France, ses institutions ou ses valeurs fondamentales :

-  atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation (trahison, espionnage, atteintes aux institutions de la République ou à l'intégrité du territoire national) ;

-  terrorisme ;

-  infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous ;

-  infractions les plus graves en matière de fausse monnaie.

Contrairement à l'avis du groupe de travail, les infractions à la législation sur les produits stupéfiants ne figurent pas dans la liste des exceptions au principe des protections absolues.

La Commission a rejeté sept amendements de M. Etienne Pinte allant dans le sens d'une protection renforcée contre les interdictions du territoire des étrangers ayant des liens en France :

-  le premier permet aux parents d'enfants français de bénéficier plus aisément de la protection « relative » qui oblige le juge à motiver sa décision, en rendant alternatives les deux conditions prévues par le projet de loi tenant à l'exercice de l'autorité parentale et au fait de subvenir effectivement aux besoins de l'enfant ;

-  le deuxième et le troisième suppriment le critère d'antériorité du mariage avec un ressortissant français ou de naissance de l'enfant français par rapport aux faits à l'origine de la condamnation, critère qui conditionne l'accès des étrangers aux catégories protégées contre les mesures d'éloignement ;

-  le quatrième, le cinquième et le sixième ouvrent le bénéfice de la protection absolue aux étrangers qui résident en France « habituellement », et non pas « régulièrement », depuis plus de vingt ans, ou depuis plus de dix ans s'ils sont mariés depuis trois ans avec un ressortissant français, ou depuis plus de dix ans s'ils sont parents d'un enfant français sur lequel ils exercent l'autorité parentale et dont ils subviennent aux besoins ;

-  le septième ouvre le bénéfice de la protection absolue aux étrangers qui résident en France depuis plus de dix ans et qui sont mariés depuis plus de deux ans, au lieu de trois ans, avec un ressortissant français.

Elle a également rejeté trois amendements de M. Bruno Bourg-Broc élargissant, au contraire, la possibilité de prononcer des interdictions du territoire :

- le premier (n° 6) porte de un à cinq ans la durée de mariage avec un ressortissant français permettant à un étranger de bénéficier d'une protection relative contre les mesures d'éloignement ;

-  le deuxième (n° 8) porte de trois à cinq ans la durée de mariage avec un ressortissant français permettant à un étranger résidant par ailleurs régulièrement en France depuis plus de dix ans de bénéficier d'une protection absolue ;

-  le troisième (n° 9) exclut du bénéfice de la protection absolue les étrangers ayant commis des délits dans des circonstances de récidive.

La Commission a rejeté, par ailleurs, l'amendement n° 16 de M. Jean-Pierre Grand maintenant la possibilité pour le juge de prononcer des interdictions du territoire en cas d'infraction à la législation sur les stupéfiants.

Puis elle a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 147), ainsi que l'amendement n° 7, identique, de M. Bruno Bourg-Broc, relatifs à la durée de mariage requise pour le bénéfice de la protection contre les mesures d'éloignement. Elle a également adopté un amendement du rapporteur complétant le dispositif proposé par le Gouvernement pour systématiser l'obligation pour le juge de motiver ses décisions d'éloignement à l'encontre des étrangers bénéficiant d'une protection relative, en visant également la loi du 17 juin 1998 relative à la législation sur les armes chimiques (amendement n° 148).

La Commission a ensuite adopté l'article 38 ainsi modifié.

Article additionnel après l'article 38

(art. 132-40 et 132-48 du code pénal)


Interdictions « conditionnelles » du territoire français

La Commission a adopté un amendement du rapporteur permettant aux juridictions, dans le cadre d'une peine d'emprisonnement avec mise à l'épreuve, de prononcer également de façon conditionnelle une peine d'interdiction du territoire à titre complémentaire (amendement n° 149).

Article 39

(art. 41 du code de procédure pénale)


Enquêtes préalables sur la situation personnelle et familiale de certains étrangers passibles d'une peine d'interdiction du territoire

Le présent article prévoit que des enquêtes sociales devront être diligentées avant que puisse être requise une peine d'interdiction du territoire à l'encontre d'un étranger invoquant son appartenance à une catégorie protégée contre les mesures d'éloignement.

1. Le manque d'informations sur la situation familiale des étrangers mis en cause

La situation personnelle et familiale des étrangers n'est pas suffisamment prise en compte par les juridictions qui prononcent des peines d'interdiction du territoire, y compris lorsque la personne en cause est susceptible d'entrer dans l'une des catégories visées à l'article 131-30 du code pénal relatif aux motivations spéciales. De fait, la « commission Chanet » avait déjà relevé que le ministère public et les magistrats du siège se heurtaient à un manque d'information sur les éléments de personnalité des prévenus au moment de requérir ou de prononcer une interdiction du territoire, en particulier dans le cadre des procédures de comparution immédiate (71).

Par la suite, la circulaire adressée aux juridictions par la garde des sceaux le 17 novembre 1999 (72) avait appelé l'attention des magistrats sur la nécessité de respecter une certaine proportionnalité entre l'atteinte à la situation privée et familiale de l'étranger et les impératifs liés à la préservation de l'ordre public. Elle ajoutait : « Il conviendra de donner toutes instructions utiles aux procureurs de la République pour que leur politique d'action publique tienne compte, autant qu'il est possible, du degré d'intégration personnelle et familiale en France des étrangers susceptibles d'encourir une peine d'interdiction du territoire français. »

De ce point de vue, malgré le caractère plus exigeant de la motivation spéciale, les résultats sont encore insuffisants. Le groupe de travail sur la « double peine » considère que plusieurs facteurs sont susceptibles d'expliquer cet échec : silence des personnes mises en cause, insuffisance des enquêtes de police, impossibilités matérielles, etc. C'est la raison pour laquelle, parmi les aménagements de procédure nécessaires, il suggérait, dans le prolongement des recommandations du « rapport Chanet », de prévoir, dans certaines circonstances, la réalisation d'enquêtes sociales préalables. Il s'agissait même, au terme de son étude, de sa proposition n° 1, qui est ainsi mise en œuvre par le présent article.

2. Une enquête préalable portant sur la situation personnelle et familiale de l'étranger mis en cause

Aux termes de l'article 41 du code de procédure pénale, le procureur de la République a la faculté de prescrire des enquêtes dites « de personnalité », destinées à obtenir des informations sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale d'une personne poursuivie et de développer les mesures alternatives à l'incarcération. À cet effet, il peut requérir, au même titre que le juge d'instruction sur le fondement de l'article 81, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le service de la protection judiciaire de la jeunesse ou toute association ou personne physique habilitée aux fins de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne. La prescription de cette enquête est même obligatoire avant toute réquisition de placement en détention provisoire concernant un majeur de moins de vingt et un ans lorsque la peine encourue n'excède pas cinq ans.

S'écartant des recommandations du « rapport Chanet », le groupe de travail a considéré qu'il était « irréaliste et inutile » de rendre obligatoires ces enquêtes préalablement à toute condamnation d'un étranger à une peine d'interdiction du territoire français. En revanche, il a jugé qu'elles devraient être diligentées dès lors qu'un étranger se prévaut de son appartenance à une catégorie protégée.

Dans ce sens, le présent article complète l'article 41 du code de procédure pénale :

-  l'enquête sera diligentée lorsqu'une personne déclarera, avant la saisine de la juridiction compétente, se trouver dans l'une des situations visées par les articles 131-30-1 ou 131-30-2 du code pénal, qui reconnaissent à certaines catégories d'étrangers une protection relative ou absolue contre les mesures d'éloignement en raison de leurs liens personnels ou familiaux en France ;

-  elle devra être prescrite par le procureur de la République, avant qu'il ne requière une interdiction du territoire, auprès, selon les cas, de l'officier de police judiciaire compétent, du service pénitentiaire d'insertion et de probation, du service de la protection judiciaire de la jeunesse ou de toute personne ou association habilitée ;

-  l'objet de l'enquête est clairement défini : vérifier le bien fondé de la déclaration de l'étranger mis en cause ;

-  deux exceptions sont prévues qui concernent les infractions à la législation sur le séjour : celles-ci ne concernent guère, a priori, des étrangers susceptibles d'entrer dans les catégories visées aux articles 131-30-1 ou 131-30-2 du code pénal.

Ainsi, la mise en œuvre de cette mesure permettra de pallier le manque d'informations dont disposent les magistrats et de donner une portée renforcée aux protections relatives et absolues instituées par le projet de loi.

La Commission a adopté l'article 39 sans modification.

Article 40

(art. 702-1 du code de procédure pénale)


Assouplissement des conditions de relèvement
des interdictions du territoire

Le présent article assouplit les règles qui encadrent les demandes de relèvement d'une peine d'interdiction du territoire prononcée à titre accessoire.

1. Les conditions de recevabilité d'une demande de relèvement

Les conditions de recevabilité d'une demande de relèvement d'une itf sont fixées par l'article 702-1 du code de procédure pénale :

-  la demande doit être, par voie de requête, présentée à la dernière juridiction qui l'a prononcée, à l'issue d'un délai de six mois après la condamnation initiale ;

-  en cas de refus, une autre demande ne peut être présentée qu'à l'issue d'un nouveau délai de six mois ; il en est de même, éventuellement, des demandes ultérieures.

En revanche, la demande de relèvement concernant une peine d'interdiction du territoire prononcée à titre principal est irrecevable : si tel n'était pas le cas, le relèvement aboutirait à la suppression de toute peine pour l'infraction en cause.

2. Un assouplissement en cas de remise en liberté d'un étranger incarcéré

Le présent article assouplit ces conditions en indiquant que : « En cas d'interdiction du territoire prononcée à titre de peine complémentaire à une peine d'emprisonnement, la première demande peut toutefois être portée devant la juridiction compétente avant l'expiration du délai de six mois en cas de remise en liberté. La demande doit être déposée au cours de l'exécution de la peine ».

Cette disposition permettra, dans tous les cas, de réexaminer la situation d'un étranger à l'occasion de sa sortie de prison. Elle avait été explicitement recommandée par le groupe de travail sur la « double peine ». Celui-ci avait également plaidé pour que son champ d'application soit circonscrit aux peines complémentaires : « Les itf prononcées à titre de peines principales concernent essentiellement les infractions à la législation sur les étrangers, c'est-à-dire des étrangers qui ne sont pas des "double peine" et pour lesquels il n'y a pas de nécessité d'assouplir les conditions du relèvement ». Elle est d'autant plus importante que les articles 38 et 41 du projet de loi permettront, par ailleurs, aux détenus condamnés à une itf à titre complémentaire de bénéficier, durant leur incarcération, de mesures de réinsertion, voire de libérations conditionnelles.

On rappellera, par ailleurs, que les articles 21 et 27 du projet de loi modifient également les conditions d'abrogation des arrêtés d'expulsion en prévoyant une procédure de réexamen périodique des motifs desdits arrêtés et en écartant, dans ce cadre, l'obligation pour l'étranger concerné de résider hors de France fixée par l'article 28 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.

La Commission a adopté l'article 40 sans modification.

Article additionnel après l'article 40

(art. 725-1 [nouveau] du code de procédure pénale)


Possibilité pour l'État de confier à des personnes privées,
à titre expérimental, le transfert des étrangers retenus
en centre de rétention ou en zone d'attente

La Commission a examiné un amendement de M. Christian Estrosi prévoyant que, à titre expérimental, l'État pourra confier à des personnes privées habilitées à exercer des activités de sécurité des missions de transfert des personnes placées en centre de rétention ou en zone d'attente. M. Christian Estrosi a expliqué que l'externalisation des « tâches indues » assumées par les forces de l'ordre faisait partie des objectifs de la loi d'orientation du 29 août 2002. Considérant que l'escorte des prisonniers était une de ces tâches, il a suggéré que ce processus débute par l'accompagnement des étrangers retenus, qui mobilise déjà plus de soixante fonctionnaires de police par jour pour les seuls transferts entre l'aéroport de Roissy et le tribunal de grande instance de Bobigny.

Le rapporteur, favorable à cet amendement, a souligné que les personnes concernées ne pouvaient être assimilées à des délinquants et que le dispositif était proposé à titre expérimental. M. Gérard Léonard s'est au contraire déclaré réservé, observant que la loi d'orientation avait mentionné la question des « charges indues » sans préconiser pour autant l'externalisation des transferts. Il a jugé qu'une certaine prudence s'imposait, non seulement en raison du coût de cette formule mais également pour des motifs de principe. Le président Pascal Clément a fait part de son scepticisme quant au caractère opérationnel du dispositif proposé, dont il a néanmoins approuvé l'orientation.

La Commission a adopté cet amendement (amendement n° 150).

Article 41

(art. 729-2 du code de procédure pénale)


Suspension de l'interdiction du territoire en cas de libération conditionnelle

Le présent article modifie l'article 729-2 du code de procédure pénale afin de rendre possibles les mesures de libération conditionnelle pour les étrangers condamnés à une peine complémentaire d'interdiction du territoire.

1. L'interdiction du territoire et les mesures de réinsertion

Actuellement, l'article 729-2 dispose que : « Lorsqu'un étranger condamné à une peine privative de liberté est l'objet d'une mesure d'interdiction du territoire français, de reconduite à la frontière, d'expulsion ou d'extradition, sa libération conditionnelle est subordonnée à la condition que cette mesure soit exécutée ».

Dès lors, le groupe de travail sur la « double peine » a constaté que : « L'existence d'une peine d'itf interdit légalement toute mesure d'aménagement de la peine qui conduirait l'intéressé à séjourner sur le territoire français, mais à l'extérieur de la prison (73). Il en est ainsi des permissions de sortir, des chantiers extérieurs, du régime de semi-liberté et des libérations conditionnelles. Seule une libération conditionnelle aux fins d'exécution de la mesure d'itf est possible (article 729-2 du code de procédure pénale). C'est d'ailleurs le seul cas où la libération conditionnelle n'a pas à être demandée par l'intéressé, mais peut au contraire lui être imposée. La peine d'itf fait également obstacle au prononcé de mesures alternatives à la détention, notamment la peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve. Cette conséquence de la peine d'itf - qui est très logique sur le plan juridique - constitue de facto un obstacle sérieux à la réinsertion des personnes condamnées. Ces mesures d'aménagement des peines sont en effet considérées comme des facteurs importants de réussite dans le processus de réinsertion des délinquants. C'est sans doute ce qui explique que, parfois, cette conséquence légale de la peine d'itf n'est pas respectée. L'examen des dossiers signalés au ministère de l'Intérieur entre décembre 2002 et mars 2003 a montré que certaines personnes condamnées à des peines complémentaires d'itf ont bénéficié de mesures de cette nature durant leur détention. »

C'est pourquoi il considérait, notamment, que : « Le régime de l'itf ne doit plus faire obstacle aux mesures de libération conditionnelle », qui sont les plus efficaces en termes de réinsertion des délinquants.

2. La suspension de l'ITF et la libération conditionnelle

Le présent article met en œuvre cette recommandation. Il prévoit que, par exception aux dispositions précitées de l'article 729-2, le juge de l'application des peines ou la juridiction régionale de la libération conditionnelle pourra accorder une libération conditionnelle à un étranger faisant l'objet d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire français en ordonnant la suspension de l'exécution de cette peine pendant la durée des mesures d'assistance et de contrôle.

On rappellera que la durée de ces mesures d'assistance et de contrôle ne peut être inférieure à celle de la partie de la peine non subie au moment de la libération ; elle peut la dépasser pour une période maximum d'un an. Leur durée totale ne peut excéder dix ans, mais ne peut être inférieure à cinq années lorsque la peine en cours d'exécution est une peine perpétuelle.

À l'issue de la période ainsi déterminée, l'absence de révocation de la mesure d'interdiction du territoire entraînera son relèvement de plein droit.

La Commission a adopté l'article 41 sans modification.

TITRE IV

DISPOSITIONS DIVERSES

Article 42

Règlement des situations passées

Le présent article s'inscrit dans le cadre de la réforme de la législation relative à l'expulsion et à l'interdiction du territoire (74). Il propose de régulariser, au regard du droit au séjour, la situation de certains étrangers ayant fait l'objet, dans le passé, d'une mesure d'éloignement du territoire alors qu'ils bénéficieraient, aujourd'hui, sur le fondement des dispositions introduites par le projet de loi, d'une protection quasi-absolue.

À cet effet, il prévoit la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à celui qui, à la date de la promulgation de la loi, justifiera « par tous moyens » :

-  qu'il réside en France ;

-  qu'il appartenait, lorsque la décision d'éloignement fut prise à son encontre, à l'une des catégories bénéficiant, sur le fondement de l'article 26 de l'ordonnance (article 24 du projet de loi) ou de l'article 131-30-2 du code pénal (article 38 du projet de loi), d'une protection absolue.

La Commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que la date à laquelle est examinée la situation de l'étranger au regard des nouvelles dispositions du projet de loi en matière de protection absolue contre les mesures d'éloignement est le 30 avril 2003, et non celle de la promulgation de la loi, afin d'éviter tout comportement opportuniste de la part des requérants (amendement n° 151).

En revanche, par coordination avec ses précédents votes, la Commission a rejeté cinq amendements modifiant les catégories d'étrangers susceptibles de bénéficier de ces dispositions, dont quatre de M. Etienne Pinte et un de M. Bruno Bourg-Broc (n° 5). Elle a ensuite adopté deux amendements rédactionnels identiques, le premier du rapporteur (amendement n° 152), le second de M. Bruno Bourg-Broc (amendement n° 4).

Trois conditions de recevabilité, présentées ci-après, sont par ailleurs prévues :

-  la demande devra être formulée dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi ;

-  la mesure d'éloignement ne doit pas avoir été fondée sur des motifs qui constituent des exceptions au régime des protections absolues : atteintes aux intérêts fondamentaux de l'État, activités à caractère terroriste et actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes, pour les expulsions ; atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, terrorisme, infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous et fausse monnaie pour les interdictions du territoire ;

-  l'étranger ne doit pas non plus avoir commis de tels faits depuis qu'il a fait l'objet de la mesure d'expulsion ou de la peine d'interdiction du territoire.

La Commission a adopté deux amendements du rapporteur complétant les dispositions transitoires du projet : le premier garantit que la carte de séjour ne sera délivrée en aucun cas aux étrangers « protégés » ayant commis des faits qui entrent dans le champ d'application des exceptions aux régimes de protection (amendement n° 153) ; le second indique que cette délivrance emportera relèvement de plein droit de l'interdiction de territoire français qui n'aurait pas pu être prononcée en application des dispositions de la loi nouvelle (amendement n° 154).

Au total, dès lors que la décision était prise de réformer le système dit de la « double peine », il était évident que la question du « pardon » devrait être examinée pour les actes commis dans le passé. C'est d'ailleurs bien sous cet angle que le Gouvernement conçoit cette disposition : « De nombreux étrangers, pères de familles françaises, sont actuellement sous le coup de peines d'interdiction du territoire français ou de mesures d'expulsion dont ils n'obtiennent ni le relèvement, ni l'abrogation alors même que leur comportement au regard de l'ordre public impliquerait qu'une nouvelle chance leur soit accordée et que leur famille soit reconstituée ». Les principes du droit pénal relatifs à la rétroactivité de la loi la plus « douce » n'étant pas susceptibles de s'appliquer aux mesures d'expulsions, ni aux interdictions du territoire passées en force de chose jugée, le règlement de ces situations supposait une disposition législative expresse.

Cette mesure s'articule avec d'autres dispositions du projet de loi, notamment les articles 21 et 27 qui instituent une procédure de réexamen systématique, tous les cinq ans, des motifs des arrêtés d'expulsion. L'article 40 atténue, par ailleurs, la rigueur des règles prévues en matière de relèvement des peines d'interdiction du territoire.

On observera, toutefois, que la limitation du champ d'application du présent article aux seuls étrangers qui se trouvent sur le territoire national revient, de facto, à « récompenser » ceux qui se sont maintenus en France dans l'illégalité. Comme le ministre l'a indiqué lors de son audition par la commission, il conviendra donc que des instructions soient délivrées aux postes consulaires afin de faciliter la délivrance de visas aux ressortissants étrangers qui ont effectivement été éloignés du territoire alors qu'ils bénéficieraient aujourd'hui du nouveau régime de protection.

Un débat s'est ensuite engagé sur un amendement de M. Etienne Pinte précisant que la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire aux étrangers expulsés de France après y avoir séjourné plus de dix ans ou ayant des enfants nés en France devait intervenir, au plus tard, un an après la date d'obtention d'un visa de retour sur le territoire. Le rapporteur a indiqué qu'il n'était pas favorable à ce que la loi fixe des règles aussi rigides qui relèvent du pouvoir réglementaire. Après que le président Pascal Clément eût fait part des difficultés que rencontraient les étrangers expulsés pour revenir sur notre territoire alors même qu'ils sont parents d'enfants français demeurant en France, la Commission a rejeté cet amendement. Elle a également rejeté un amendement du même auteur excluant du bénéfice de la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire les personnes « condamnées » pour les délits mentionnés au I° de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et non les personnes qui sont simplement « suspectées » de les avoir commis comme le prévoit le projet de loi.

Après l'article 42

La Commission a rejeté un amendement de M. Etienne Pinte, permettant aux étrangers déjà expulsés, mais relevant des catégories de personnes qui ne pourront plus être éloignées en vertu de la loi nouvelle, de revenir en France lorsqu'ils y ont leurs attaches familiales. Le rapporteur a, en effet, objecté qu'un examen au cas par cas était préférable à un dispositif automatique.

Article 43

(art. 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)


Entrée en vigueur

Selon les termes de son article 22, le protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée signée à Palerme le 12 décembre 2000 n'entrera en vigueur que le quatre-vingt-dixième jour suivant la date de dépôt du quarantième instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion. Aujourd'hui 23 États seulement ont ratifié ce protocole.

Le présent article prévoit donc que les dispositions de l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, relatives à ce protocole et introduites par l'article 16 (V) du projet de loi, ne seront applicables qu'à compter de la publication au Journal officiel de la République française, et donc de son entrée en vigueur, dudit protocole.

Après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 155), la Commission a adopté l'article 43 ainsi modifié.

Article 44

(art. 3 de la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002)


Passation de marchés groupés pour les centres de rétention

Afin d'améliorer les conditions d'accueil des étrangers dans les centres de rétention, le présent article étend à ces structures le bénéfice de la procédure des « marchés groupés » prévue par l'article 3 de la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.

1. Les marchés groupés

Les marchés groupés ont été institués, dans la loi du 29 août 2002, pour faciliter la conception, la construction, l'aménagement, l'entretien et la maintenance des immeubles affectés à la police ou à la gendarmerie nationales, ainsi qu'aux armées ou aux services du ministère de la défense. Concomitamment, l'article 3 de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice a prévu un dispositif analogue en ce qui concerne les établissements pénitentiaires. Par la suite, les articles 118 et 119 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 ont étendus le bénéfice de ces mesures à la conception, la construction et l'aménagement des infrastructures nécessaires à la mise en place du réseau de communications cryptées acropol, ainsi qu'aux immeubles affectés à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris ou à la formation des personnels qui concourent aux missions de défense et de sécurité civiles.

Aux termes de l'article 3 de la loi du 29 août 2002, l'exécution de la mission doit résulter d'un contrat passé selon les procédures prévues par le code des marchés publics. Toutefois, aucune convention particulière n'est désignée : ainsi, il n'est pas prévu qu'un cahier des charges soit préalablement approuvé par décret en Conseil d'État, ce qui contribue également à alléger la procédure.

Si le marché est alloti, c'est-à-dire divisé, les offres portant simultanément sur plusieurs parts peuvent faire l'objet d'un jugement global et non lot par lot, ce qui est favorable à l'équilibre économique de l'ensemble de l'opération.

En revanche, il est interdit de recourir, pour ces opérations globales, à certains financements privés tels que le bail emphytéotique (article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales), la location avec option d'achat ou le crédit-bail (articles L. 34-3-1 et 34-7-1 du code du domaine de l'État). Ainsi est empêchée la constitution de droits réels au profit d'un opérateur privé qui serait chargé de l'ensemble des opérations de conception, construction et aménagement et qui, notamment, souhaiterait, pour garantir son emprunt, hypothéquer l'ouvrage qu'il a réalisé.

Dans tous les cas l'objectif est le même : la possibilité de confier à un seul cocontractant l'ensemble des phases de construction doit permettre de raccourcir les délais.

2. Les mesures proposées

Le présent article étend ce dispositif aux centres de rétention. De fait, deux raisons au moins justifiaient cet élargissement :

-  l'entrée en vigueur prochaine des normes contraignantes d'hébergement et de séjour prévues par le décret n° 2001-236 du 19 mars 2001 relatif aux centres et locaux de rétention, son article 18 prévoyant que les structures existantes devront être mises en conformité dans un délai de trois ans (soit d'ici à mars 2004) ;

-  l'allongement du délai de rétention prévu par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (article 33 du projet de loi), un séjour pouvant aller jusqu'à trente-deux jours supposant des conditions d'accueil mieux adaptées.

Il est précisé, toutefois, que ces marchés groupés pourront concerner, en l'occurrence, non seulement la conception, la construction, l'aménagement, l'entretien et la maintenance des centres de rétention, mais également « l'hôtellerie ».

De fait, l'expérience des établissements pénitentiaires montre que les entreprises privées s'acquittent souvent mieux que l'autorité administrative de certaines missions purement logistiques, telles que la maintenance, la restauration, la blanchisserie, voire l'animation d'activités socio-éducatives. Les associations présentes dans les centres de rétention ayant souvent dénoncées la médiocrité des prestations qui y sont offertes, le Gouvernement a souhaité prévoir les modalités juridiques d'un transfert destiné à améliorer l'ensemble des services relevant, traditionnellement, de l'hôtellerie.

Toutefois, les limites de cette opération sont clairement établies, le paragraphe B du présent article précisant que : « L'enregistrement, la surveillance et le transfert des personnes retenues sont confiés à des agents de l'État ». Autrement dit, la discipline et la coercition, ainsi que l'ensemble des tâches qui requièrent la détention d'armes à feu, sont des missions de souveraineté qui ne peuvent être exercées que par l'autorité publique.

La Commission a adopté un amendement de suppression présenté par le rapporteur (amendement n° 156), les dispositions de l'article 44 ayant été précédemment codifiées dans l'ordonnance du 2 novembre 1945. Un amendement de coordination présenté par M. Christian Estrosi relatif au transfert par des personnes privées des étrangers placés en rétention ou en zone d'attente (autorisé par l'amendement n° 150 adopté par la Commission après l'article 40) tombant, le rapporteur a suggéré à son auteur de le transformer ultérieurement en sous-amendement à l'amendement n° 135 adopté par la Commission après l'article 34.

Article additionnel après l'article 44

Dispositions transitoires

La Commission a adopté un amendement du rapporteur, créant un article additionnel qui prévoit des mesures transitoires, afin de maintenir la possibilité de présenter des demandes d'asile territorial jusqu'à l'entrée en vigueur, au 1er janvier 2004, de la loi modifiant la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, en cours d'examen, qui définit le régime applicable aux bénéficiaires de la protection subsidiaire (amendement n° 157).

Article 45

Habilitation du Gouvernement au titre de l'article 38 de la Constitution

Le présent article habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances, conformément à l'article 38 de la Constitution, les mesures législatives nécessaires à l'extension et à l'adaptation des dispositions du projet de loi en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, dans les îles Wallis-et-Futuna, à Mayotte et dans les Terres australes françaises.

1. Un régime juridique particulier

L'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 n'est pas applicable dans les territoires précités. En effet, le régime juridique de l'entrée et du séjour des étrangers résulte, dans ces collectivités, des textes suivants :

-  l'ordonnance n° 2000-371 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans les îles Wallis et Futuna ;

-  l'ordonnance n° 2000-372 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en Polynésie française ;

-  l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte ;

-  l'ordonnance n° 2000-374 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans les Terres australes et antarctiques françaises, qui a modifié la loi statutaire n° 71-569 du 15 juillet 1971 ;

-  l'ordonnance n° 2002-388 du 20 mars 2002 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en Nouvelle-Calédonie.

Ces textes définissent des conditions d'entrée et de séjour proches de celles qui figurent dans l'ordonnance n° 45-2658 mais adaptées aux statuts particuliers des collectivités concernées.

Dès lors, les changements mis en œuvre par le présent projet de loi supposaient d'être transposés. Or, le Gouvernement juge préférable de procéder à cette adaptation par voie d'ordonnances, comme cela fut déjà le cas à plusieurs reprises dans le passé. Il invoque, à l'appui de cette demande, les deux arguments suivants :

-  les délais nécessaires à la consultation des autorités locales compétentes ne doivent en aucun cas retarder l'adoption du projet de loi ;

-  certaines dispositions doivent être non seulement étendues mais adaptées, ce qui suppose de connaître de façon précise et exhaustive l'ensemble des mesures que le Parlement aura décidé, au terme du débat parlementaire, de mettre en œuvre.

2. Une habilitation au titre de l'article 38

L'autorisation donnée au Gouvernement s'inscrit dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, dont le premier alinéa dispose que : « Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».

Ainsi, le Gouvernement peut proposer au Parlement de se dessaisir momentanément de sa compétence, à la condition, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, qu'il « indique avec précision, lors du dépôt d'un projet de loi d'habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des mesures qu'il propose de prendre ».

De fait, dans le présent projet de loi, le domaine de l'habilitation est précisément déterminé puisqu'il s'agit d'adapter ses dispositions dans les territoires précités. Dans certaines circonstances, ces adaptations auront des conséquences sur le régime applicable « sur l'ensemble du territoire de la République », notamment en ce qui concerne la validité des cartes de résident délivrées dans ces collectivités ainsi que celle des mesures d'éloignement et des interdictions du territoire qui y sont prononcées.

Les projets d'ordonnance devront être soumis à la consultation des autorités locales concernées. Conformément à l'article 38 de la Constitution, est fixé le délai pendant lequel le Gouvernement est habilité à légiférer par ordonnances (un an à compter de la promulgation de la loi), ainsi que celui dans lequel il devra déposer le ou les projets de loi portant ratification (dix-huit mois après cette promulgation).

La Commission a adopté l'article 45 dans la rédaction du projet de loi.

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La Commission a adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France (n° 823), modifié par les amendements figurant au tableau comparatif ci-après.

 


1 () En sa qualité de mesure de police, l'APRF doit être motivé.

2 () La circonstance que le jugement soit rendu plus de quarante-huit heures après l'enregistrement de la requête ne l'entache pas d'irrégularité (CE, 9 juin 2000, Harrane).

3 () Articles 21, 22, 23, 24, 26, 27, 35, 38, 39, 40, 41 et 42 du projet de loi.

4 () L'article 3-1 du décret n° 82-440 du 26 mai 1982 prévoit, actuellement, un délai de quatre mois.

5 () Conseil d'État, Etanji, 23 février 2000, n° 196721.

6 () Articles 21, 22, 23, 24, 26, 27, 35, 38, 39, 40, 41 et 42 du projet de loi.

7 () Les preuves nécessaires pour justifier d'une présence habituelle en France sont précisées dans la circulaire NOR/INT/D/03/00047/C du 7 mai 2003. Leur nombre (en principe deux par an, dont une certaine, s'agissant de la résidence habituelle) et leur nature (certaine, valeur probatoire réelle, valeur probatoire limitée) sont déterminants.

8 () Une étude réalisée en novembre 2002 par l'inspection générale du ministère de l'intérieur révèle, néanmoins, que l'état de santé de l'étranger est trop souvent invoqué de façon abusive. L'article 12 bis 11 de l'ordonnance, qui prévoit la délivrance d'une carte de séjour temporaire aux personnes atteintes d'une pathologie d'une exceptionnelle gravité, fait l'objet de détournements préoccupants : « C'est la faille majeure du système, l'ultima ratio des sans papiers ».

9 () Articles 21, 22, 23, 24, 26, 27, 35, 38, 39, 40, 41 et 42 du projet de loi.

10 () L'article 12 bis 2° de l'ordonnance prévoit la délivrance de la carte de résident à l'étranger qui justifie par tout moyen avoir sa résidence habituelle en France depuis l'âge de « dix » ans. L'articulation de ces différentes dispositions pouvant aboutir à créer une nouvelle catégorie d'étrangers ni régularisables ni expulsables, la Commission a modifié l'article 12 bis à l'initiative de M. Etienne Pinte (amendement n° 74 à l'article 7).

11 () Voir la loi n° 2003-88 du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémites ou xénophobes.

12 () Voir, à ce propos, le commentaire de l'article 16 de ce projet de loi dans le rapport de M. Jean-Luc Warsmann, n° 856, tome 1, 14 mai 2003, pages 195 et suivantes.

13 () La directive du 28 mai 2001 relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement des ressortissants de pays tiers a été analysée avant son adoption par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne : voir le rapport d'information n° 2667 présenté, le 19 octobre 2000, par M. Alain Barrau.

14 () Signalement au Système d'information Schengen (SIS).

15 () Ces décisions de reconduite d'office à la frontière ne peuvent faire l'objet que d'un recours en annulation de droit commun et non du recours suspensif prévu par l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (CE, avis, 22 mai 1996, Lautaru).

16 () Document MIGR.9 - COM 2003.49 final du 6 février 2003.

17 () Articles 21, 22, 23, 24, 26, 27, 35, 38, 39, 40, 41 et 42 du projet de loi.

18 () Les dispositions qui figurent, aujourd'hui, à l'article 28 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, relatives à la procédure de relèvement d'une interdiction du territoire ou d'abrogation d'un arrêté d'expulsion, sont reprises et modifiées dans un nouvel article, numéroté 28 ter, inséré dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 par l'article 27 du projet de loi.

19 () Articles 21, 22, 23, 24, 26, 27, 35, 38, 39, 40, 41 et 42 du projet de loi.

20 () La demande de relèvement concernant une peine d'interdiction du territoire prononcée à titre principal est irrecevable. En effet, dans le cas contraire, le relèvement aboutirait à la suppression de toute peine pour l'infraction en cause.

21 () Conseil d'État, Etanji, 23 février 2000, n° 196721.

22 () Etablissement public à caractère administratif, l'office des migrations internationales (OMI) est soumis à la tutelle du ministre du travail. Chargé, en premier lieu, d'introduire les travailleurs étrangers et les membres de leur famille, il exerce, néanmoins, d'autres missions, parmi lesquelles figure la mise en œuvre de la procédure de regroupement familial. L'office a également la responsabilité de donner aux étrangers non admis sur le territoire français, ayant sollicité l'asile politique ou dont le transit est interrompu, sur les emprises aéroportuaires de Roissy, Orly et Lyon Satolas, toutes informations sur leurs droits et leurs conditions de rétention, et d'assurer les liens avec l'extérieur (familles, consulats, avocats, administrations, associations, etc.).

23 () Les conditions liées au logement du demandeur sont présentées par le rapporteur dans le commentaire de l'article 2 du projet de loi.

24 () Journal officiel Assemblée nationale, Réponse ministérielle n° 30346, 13 septembre 1999, page 5385.

25 () Ces nouvelles règles ne sont pas opposables aux nationalités relevant des « régimes spéciaux », notamment les Algériens, les Tunisiens et les Marocains.

26 () En se référant au dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel a érigé le droit de l'étranger à mener une vie familiale normale en principe constitutionnel : « Si le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; (...) figurent parmi ces droits et libertés (...) le droit de mener une vie familiale normale ». Dans la même décision, le Conseil constitutionnel précisait que le droit de l'étranger de mener une vie familiale normale « comporte en particulier la faculté pour ces étrangers de faire venir auprès d'eux leurs conjoints et leurs enfants mineurs sous réserve de restrictions tenant à la sauvegarde de l'ordre public et à la protection de la santé publique » (13 août 1993, n° 93-325 DC).

27 () Ce changement était également annoncé par la jurisprudence : dans un arrêt du 16 juin 1998 (Louzati), le Conseil d'Etat a estimé que le préfet avait pu légalement refuser la délivrance d'un titre de séjour à une ressortissante comorienne à l'expiration du récépissé de demande qui lui avait été remis en France en novembre 1996 dans le cadre du regroupement familial, dès lors qu'aux dires mêmes de la requérante, elle avait quitté le domicile conjugal en mars 1997. On signalera, néanmoins, qu'il n'est pas applicable aux Algériens.

28 () NOR/INT/D/03/00047/C du 7 mai 2003, page 12.

29 () La directive du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil avait été analysée, avant son adoption, par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne : voir le rapport d'information n° 2667 présenté, le 19 octobre 2000, par M. Alain Barrau.

30 () Qui dispose que : « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers, fait en pays étranger, fera foi, s'il a été rédigé dans les formes usitées dans ledit pays ».

31 () Qui dispose que : « Sauf dans les cas où un régime de décision implicite d'acceptation est institué (...), le silence gardé pendant plus de deux mois par l'autorité administrative vaut décision de rejet ».

32 () La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 a substitué, en l'espèce, le JLD au président du tribunal de grande instance ou à son délégué. Il se prononce sur la demande de l'administration tendant à maintenir l'étranger en rétention. Sa décision est, comme on le verra, susceptible d'appel. Il convient de préciser, toutefois, que l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, qui motive, généralement, le placement en rétention, est également susceptible d'appel, dans un délai de quarante-huit heures à compter d'une notification par voie administrative ou de sept jours en cas de notification par voie postale. Toutefois, ce contentieux s'exerce devant la juridiction administrative : le président du tribunal administratif ou son délégué statue dans un délai de quarante-huit heures, que l'article 20 du projet de loi propose de porter à soixante-douze heures (article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945).

33 () Voir les trois arrêts du Conseil d'État rendus dans les mêmes termes : 18 février 1998, préfet des Alpes-Maritimes.

34 () Dans sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, le Conseil constitutionnel a indiqué, néanmoins, que la liberté d'aller et venir comportant également le droit de quitter le territoire national, le document retenu doit être restitué à l'étranger à toute demande de sa part en vue d'un départ effectif. Par ailleurs, la retenue du passeport ne fait pas obstacle à l'exercice des droits qui ne sont pas subordonnés à la régularité du séjour et ne doit être opérée que pour une durée strictement proportionnée aux besoins de l'autorité administrative.

35 () La lettre de la loi permet la prolongation de l'assignation à résidence aussi bien que celle de la rétention. Toutefois, jusqu'à présent, les services préfectoraux n'ont guère sollicité la prolongation des assignations à résidence.

36 () Les circulaires ministérielles se réfèrent, néanmoins, aux situations suivantes : étranger expulsé selon la procédure d'urgence absolue, frappé d'une interdiction judiciaire du territoire français pour un crime ou délit grave de droit commun, voire reconduit à la frontière suite à un retrait ou un refus de titre de séjour pour un motif d'ordre public.

37 () Les parties ayant le droit d'appel ont également celui de se pourvoir en cassation, dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision rendue.

38 () Cass. 2e civ., 21 février 2002, Ben Ali c/ préfet de police.

39 () Voir les articles L. 952-6 et L. 952-7, R. 952-2 à R. 952-4 du code de l'organisation judiciaire.

40 () Son article 3 prévoit que : « Les centres de rétention administrative ont vocation à recevoir les étrangers mentionnés à l'article 1er, sans considération du lieu de leur résidence ou du département dont le préfet les a placés en rétention ».

41 () DLPAJ/NOR/INT/00100209C.

42 () Les fonctionnaires titulaires au moins du grade de brigadier sont également habilités à notifier un refus d'admission sur le territoire français par l'article 1er du projet de loi.

43 () Cass. Civ., 7 octobre 1999, n° 98-50038.

44 () Issu de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.

45 () Sénat, Service des affaires européennes, Division des études de législation comparée, L'acquisition de la nationalité par le mariage, Les documents de travail du Sénat, Série Législation comparée, juillet 2002.

46 () « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

47 () Dans le code pénal, sont réprimés au titre des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, trahison, espionnage (article 411-1) et autres atteintes aux institutions de la République ou à l'intégrité du territoire (article 412-1) et à la défense nationale (article 413-1).Les actes de terrorisme sont visés aux articles 421-1 et suivants.

48 () Y compris lorsqu'il s'agit d'un magistrat : agissant en sa qualité d'autorité administrative, il ne peut en aucun cas requérir le bulletin n° 1 du casier.

49 () Conseil d'État, 26 octobre 1998, M. Barboura.

50 () Haut Conseil à l'intégration, Les parcours d'intégration, 2002, page 94 et ministère des affaires étrangères.

51 () Article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales.

52 () En application du 4° de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, l'étranger marié depuis au moins un an avec un conjoint de nationalité française ne peut être expulsé, à la condition que la communauté de vie n'ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française.

53 () Ce délai d'un an a été institué par l'article premier la loi n° 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité. Auparavant, il était, fixé, depuis la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité, à deux ans.

54 () Ce délai d'un an a été institué par la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité. Il est de six mois pour les autres déclarations de nationalité depuis la loi du 16 mars 1998 relative à la nationalité.

55 () Conseil d'État, 1er février 1993, Ghourbi.

56 () Conseil d'État, 13 mai 1996, Shafiq.

57 () Conseil d'État, 26 octobre 1998, Avci. A contrario, 29 juillet 1998, Mme Attoumani.

58 () Conseil d'État, 14 octobre 1998, Amiour.

59 () Voir, par exemple, question écrite n° 22194 du rapporteur au ministre de la justice en date du 30 novembre 1998, Journal officiel Questions Assemblée nationale, 1er mars 1999.

60 () « Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement. »

61 () Par exemple, décision du 26 juin 1991, Lazaar.

62 () Tribunal de grande instance de Paris, 24 janvier 1994.

63 () Réponse ministérielle à la question n° 7812, Journal officiel Questions Assemblée nationale, 10 mars 2003, page 1 857.

64 () Par exemple, Cour de cassation, première chambre civile, 17 novembre 1981, Taieb.

65 () Cour d'appel de Paris, 11 juin 1974.

66 () Voir, notamment, réponse du ministre de l'intérieur à une question écrite (réponse n° 12442, Journal officiel Questions Sénat, 18 janvier 1996).

67 () Cour de cassation, deuxième chambre civile, 10 mai 2001 : il n'y a pas atteinte à la liberté matrimoniale et aux articles 12 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme, lorsqu'un officier de l'état civil a saisi le parquet en constatant que le passeport du futur conjoint ne comportait pas de visa d'entrée et qu'à la suite de cette saisine, il a fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière.

68 () Voir également les articles 21, 22, 23, 24, 26, 27, 35 et 42 du projet de loi.

69 () Voir, à titre d'illustration : Cass. crim., 27 avril 2000, n° 99-84.559, Bull. crim. 2000 n° 172, page 501.

70 () Comme on l'a vu dans le cadre du commentaire de l'article 24 du projet de loi, ce seuil de « treize » ans soulève une difficulté au regard de l'article 12 bis 2° de l'ordonnance, qui prévoit la délivrance de la carte de résident à l'étranger qui justifie par tout moyen avoir sa résidence habituelle en France depuis l'âge de « dix » ans : l'articulation de ces deux dispositions pourrait aboutir à créer une nouvelle catégorie d'étrangers ni régularisables ni expulsables.

71 () Ce manque d'information explique en partie pourquoi la voie administrative offre, paradoxalement, davantage de garanties que la voie judiciaire : le passage de l'étranger devant la commission d'expulsion prévue par l'article 24 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 lui permet de faire valoir ses observations et, le cas échéant, d'invoquer sa situation personnelle et familiale.

72 () CRIM 99 - 13 E1.

73 () Cass. crim. 25 mars 1987, bull. Crim. n° 143.

74 () Articles 21, 22, 23, 24, 26, 27, 35, 38, 39, 40, 41 et 42 du projet de loi.


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