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le 10 avril 2006

N° 3008

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 avril 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 2871) de M. Daniel PAUL,

tendant à créer une
commission d'enquête
chargée d'examiner le
déroulement des opérations
concernant l'
ex-porte-avions « Clemenceau »
depuis décembre 2002, d'
évaluer la charge financière
en résultant
pour l'État et les solutions à mettre en œuvre pour que notre pays
assume ses responsabilités en matière de déconstruction de navires civils et militaires,

PAR M. Daniel Mach,

Député.

--

S O M M A I R E

_____

Pages

INTRODUCTION 5

I. -  SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 7

II. -  SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 8

1. Le déroulement des faits est largement connu 8

a) Des tentatives avortées de démantèlement à l'étranger 8

b) La réalisation d'un désamiantage partiel à Toulon 9

c) Une procédure d'exportation interrompue 10

2. L'évaluation de la charge financière pour l'Etat 11

3. La question pendante du démantèlement des navires en fin de vie 13

TRAVAUX DE LA COMMISSION 19

INTRODUCTION

Le 16 février 2006, une proposition de résolution (n° 2871) tendant à la création d'une commission d'enquête a été déposée par M. Daniel Paul et les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Cette commission devrait avoir un triple objet : tout d'abord examiner le déroulement des opérations concernant l'ex-porte-avions Clemenceau depuis décembre 2002, ensuite évaluer la charge financière en résultant pour l'Etat et, enfin, étudier les solutions à mettre en œuvre pour que la France assume ses responsabilités en matière de déconstruction de ses navires civils et militaires.

En application de l'article 140 du Règlement, il revient à la commission saisie de se prononcer sur la recevabilité et sur l'opportunité de cette commission d'enquête.

I. -  SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête doit être appréciée au regard des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

Ces textes posent deux critères stricts. D'une part, les commissions d'enquête doivent porter soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. D'autre part, il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

La proposition de résolution remplit effectivement la première condition. Le déroulement des opérations concernant le porte-avions ex-Clemenceau, depuis décembre 2002, et la charge financière en résultant pour l'Etat constituent bien des faits déterminés.

S'agissant de la seconde condition, le Garde des Sceaux a été saisi par le Président de l'Assemblée nationale par une lettre en date du 20 février 2006. Il a fait parvenir la réponse suivante le 3 avril 2006 :

« J'ai l'honneur de vous faire savoir qu'à ce jour, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille est saisi d'une plainte déposée le 15 février 2006 par le Ministère de la Défense, relativement aux conditions de désamiantage de l'ancien porte-avions Clemenceau.

 Les faits dénoncés font l'objet d'une enquête préliminaire.

Par ailleurs, le 6 mars 2006, le Ministère de la Défense a adressé au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille une nouvelle dénonciation à l'encontre de la société Technopure pour avoir commis un faux dans la passation du marché public concernant le désamiantage du navire « Porte n° 9 » de la Marine nationale.

Ces éléments sont susceptibles de faire obstacle à la discussion de la résolution, mais je vous laisse bien évidemment le soin d'apprécier son bien fondé. »

Cette dernière formulation est traditionnelle dans les courriers relatifs à des demandes de création de commissions d'enquête. Toutefois, l'interprétation stricte de l'ordonnance n° 58-1100 précitée oblige à constater que l'existence même de procédures judiciaires en cours, quel qu'en soit l'objet, fait obstacle à la création d'une commission d'enquête et que, dès lors, la proposition de résolution est irrecevable.

Le rapporteur n'entend cependant pas se limiter à ce seul argument pour proposer le rejet de la proposition. Les questions posées par l'auteur de la proposition ne sont pas mineures et appellent un examen au fond de l'opportunité de la création d'une commission d'enquête.

II. -  SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

1. Le déroulement des faits est largement connu

Il n'appartient pas au rapporteur de récapituler en détail l'ensemble des opérations concernant l'ex-Clemenceau. Toutefois, il semble que la publicité des faits est bien établie et que ces derniers ne constituent pas à eux seuls un motif de création de commission d'enquête, comme en témoigne le bref rappel suivant.

a) Des tentatives avortées de démantèlement à l'étranger

Le Clemenceau a été retiré du service actif et placé en position de « réserve spéciale » le 2 mars 1998. Il servait alors de réservoir de pièces de rechange au profit du Foch, lui-même vendu au Brésil en 2000. Le retrait définitif du service, ou condamnation, a été décidé par le ministre de la défense le 16 décembre 2002. Devenu la coque Q 790, le bâtiment a été remis à la direction nationale des interventions domaniales (DNID), qui en est dépositaire depuis décembre 2002.

A l'issue d'un appel d'offres européen, un premier contrat a été conclu avec une société espagnole (Gijonesa de Desguaces) le 12 juin 2003 pour un désamiantage et un démantèlement en Espagne.

Le premier départ de la coque est intervenu en octobre 2003 à destination de l'Espagne. Après constatation que la coque naviguait en fait vers la Turquie, l'ordre de retour vers Toulon a été donné. Intercepté en Méditerranée par la frégate Guepratte, la coque a été conduite à Toulon le 18 octobre 2003.

Dès le 20 octobre 2003, la DNID signe un nouveau contrat de cession avec la société Ship Decommissionning Industry (SDI), filiale du groupe allemand Eckhardt marine. Ce contrat prévoit la vente de la coque pour un prix de 175 000 euros hors taxes et un démantèlement en Inde, après un désamiantage préalable en Grèce. Le 23 juin 2004, prenant acte du refus d'acceptation par la Grèce, le contrat est modifié substantiellement par un avenant qui prévoit toujours un démantèlement en Inde, mais avec un désamiantage partiel désormais réalisé à Toulon.

b) La réalisation d'un désamiantage partiel à Toulon

Outre une modification du prix de la coque, ramené à 100 000 euros, cet avenant détaille de façon beaucoup plus précise les conditions d'exécution du désamiantage partiel, d'une part, et du démantèlement en Inde, d'autre part.

· En ce qui concerne le premier point, il est prévu que la société Technopure procédera au « retrait de l'amiante friable directement visible et accessible sans travaux de découpe ou de déconstruction portant atteinte à l'intégrité du navire ». Bien entendu, cette opération doit être réalisée dans le respect de la législation en vigueur en matière d'amiante, de protection des travailleurs et d'élimination des déchets. Il est prévu que la neutralisation des déchets amiantés aura lieu par enfouissement. Le contrôle général des armées, exerçant les fonctions d'inspection du travail dans les armées, est compétent pour vérifier la bonne application de la réglementation sur l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail pendant la durée du chantier dans l'enceinte militaire. Aux termes du contrat, il a également pour mission de valider a priori le plan de désamiantage.

Selon les information fournies par le ministère de la défense, le chantier de désamiantage ne débutera effectivement qu'en novembre 2004 en raison des difficultés rencontrées par SDI et Technopure pour satisfaire aux exigences du contrôle général des armées.

Fin mars 2005, l'institut de soudure, expert indépendant prévu par le contrat pour examiner l'achèvement des travaux, constate que la société Technopure n'a pas désamianté deux zones sur dix. SDI décide de rechercher une autre société pour terminer les travaux désamiantage prévus à Toulon. Un deuxième avenant au contrat est signé le 28 juillet 2005 et prend en compte le remplacement de Technopure par la société Prestosid. Les travaux sont achevés par cette dernière début septembre 2005. A cette date, l'ex-Clemenceau était techniquement prêt à partir en Inde.

Des incertitudes persistent sur le tonnage exact d'amiante extrait du bâtiment par Technopure. Elles ont donné lieu, à la demande du ministre de la défense, à un rapport du contrôle général des armées, remis le 10 février 2006. Celui-ci conclut tout d'abord à une insuffisance de surveillance du chantier, ayant créé un contexte favorable à d'éventuelles irrégularités. En ce qui concerne l'écart entre le tonnage effectivement constaté à l'arrivée au centre d'enfouissement de Bellegarde (85 tonnes) et les chiffres figurant sur les bordereaux de départ de Toulon (115 tonnes), le rapport ne tranche pas mais privilégie la thèse d'une surestimation du poids initial. Enfin, le rapport considère utile une enquête judiciaire sur les conditions de la disparition des équipements en métaux non ferreux. Lors de son audition par la commission de la défense le 22 février 2006, le ministre de la défense a indiqué avoir déposé une plainte portant sur ces disparitions et sur les irrégularités éventuelles en matière de tonnage d'amiante retiré du navire. Une enquête préliminaire est en cours.

· La seconde originalité du contrat avec SDI tenait aux garanties apportées pour le démantèlement en Inde.

Tout d'abord, l'Etat restait propriétaire de la coque jusqu'à l'achèvement des opérations de démolition en Inde, celles-ci devant être assurées à Alang, dans l'Etat du Gujarat, par l'entreprise Shree Ram Vessels Scrap. L'avenant précité au contrat prévoyait un transfert de technologie et de savoir-faire entre la société chargée du désamiantage et la société de désamiantage indienne, consistant à former les opérateurs indiens à l'occasion des phases de désamiantage à Toulon et à les familiariser avec les équipements et techniques aux normes européennes. Le désamiantage final devait de surcroît être effectué sous contrôle et encadrement de la société de désamiantage française, avec un contrôle final par un expert indépendant pour certifier du retrait des pièces amiantées dans le respect de la législation européenne en vigueur. Enfin, il était prévu que les déchets amiantés soient enfouis, dans un centre situé à Odhav (Pit n° 2).

c) Une procédure d'exportation interrompue

La procédure d'exportation de la coque de l'ex-Clemenceau en Inde a fait l'objet de nombreux recours juridiques, l'un deux conduisant finalement à la décision du Président de la République de rapatrier le bâtiment.

· A la demande du secrétariat général de la défense nationale (SGDN) le 17 mars 2005, une demande d'accord préalable est déposée par l'état-major de la marine. La commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) répond par un avis favorable, émis par l'ensemble des ministères à voix délibérative (ministères des affaires étrangères, de la défense, de l'économie, des finances et de l'industrie).

Une procédure au fond a alors été introduite devant le tribunal de grande instance de Paris par l'association nationale de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA) et l'association Ban Asbestos, portant notamment sur la qualification à apporter au bâtiment, déchet ou matériel de guerre. Par un jugement du 5 juillet 2005, les juges se sont déclarés incompétents au motif que le contrat liant l'Etat et SDI contenait des clauses exorbitantes du droit commun et ont en conséquence rejeté les requêtes des associations.

Cette analyse a été confirmée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 11 octobre 2005, indiquant que les dispositions exorbitantes du droit commun résultaient de l'exercice de prérogatives de puissance publique s'agissant d'un matériel de guerre.

Juridiquement, rien ne s'opposait plus à l'appareillage et, le 10 novembre 2005, l'agrément de la procédure d'exportation était décidé au cours d'une réunion interministérielle. Le 29 novembre, l'autorisation d'exportation de matériel de guerre est signée par le SGDN. L'autorisation de passage en douanes est intervenue le 16 décembre.

Un recours des associations précitées en référé auprès du tribunal administratif de Paris, ainsi qu'un recours de Greenpeace et du comité anti-amiante de Jussieu, sont rejetés par les ordonnances du 30 décembre 2005. Le lendemain, l'ex-Clemenceau appareille.

· Le 6 janvier 2006, le comité d'experts auprès de la Cour suprême indienne est saisi du dossier pour examen. Le 6 février, il rend un avis favorable à l'acceptation du navire, par sept voix contre trois. Le 13 février, la Cour suprême, mécontente du travail du comité, demande à la marine indienne de créer un comité d'experts aptes à juger de l'état d'un navire de guerre.

Dans le même temps, après négociations commerciales et envoi de documents à l'Egypte, l'ex-Clemenceau est autorisé à franchir le canal de Suez le 22 janvier, l'ensemble des frais de transit étant supporté par SDI.

Enfin, le 15 février, statuant en formation de référé, le Conseil d'Etat annule les ordonnances du 30 décembre 2005 du tribunal administratif de Paris et suspend l'autorisation d'exportation du matériel de guerre délivrée le 29 novembre 2005. Le Conseil d'Etat a en effet estimé qu'il existait un doute sérieux quant à la méconnaissance du règlement n° 259/93 du Conseil du 1er février 1993 concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne. Le même jour, le Président de la République décide le retour du bâtiment à Brest.

C'est au tribunal administratif de Paris, saisi au fond par les associations le 26 décembre 2005, qu'il appartiendra de trancher en première instance la question de la nature de la coque de l'ex-Clemenceau.

2. L'évaluation de la charge financière pour l'Etat

La création d'une commission d'enquête ne semble pouvoir davantage être justifiée par ce motif.

D'une part, on peut légitimement penser que l'évaluation et l'analyse de ce coût relèvent du travail normal de contrôle du Parlement, exercé tout particulièrement par le rapporteur des crédits de la défense et, dans une moindre mesure, par les rapporteurs pour avis concernés de la commission de la défense nationale et des forces armées.

D'autre part, le rapporteur est d'ores et déjà en mesure d'apporter des précisions utiles.

Les conséquences financières du rapatriement de l'ex-Clemenceau sont liées à la rupture du contrat avec SDI et à la prise en charge du remorquage jusqu'à Brest.

· A la suite de la décision du retour du navire, l'Etat et SDI sont convenus d'un commun accord de mettre fin au contrat prévoyant le démantèlement du navire en Inde.

L'Etat va donc tout d'abord rendre à SDI le prix de la coque (100 000 euros aux termes de l'avenant du 23 juin 2004 au contrat de cession de la coque), avec les intérêts au taux légal, la taxe forfaitaire domaniale de 4 % pour frais de vente et la caution versée par SDI en garantie de ses engagements (300 000 euros). Au total, ce premier poste représente 404 000 euros, hors intérêts.

Ensuite, l'Etat remboursera à la société toutes les dépenses qu'elle a utilement engagées pour la réalisation du projet, sur production de justificatifs. Selon les informations fournies par le ministère de la défense, les principales dépenses sont :

- des travaux directement utiles à l'Etat et qui ne sont plus à faire. Il s'agit des opérations de désamiantage et de retrait de produits dangereux, comme le tritium, qui avaient été menées à Toulon (4,5 millions d'euros) ;

- le coût du transport de la coque (remorquage, assurance et passage de Suez) (1) ;

- des dépenses d'ingénierie et des coûts administratifs.

Au total, ces remboursements ne devraient pas dépasser 9,122 millions d'euros.

Enfin, de manière transactionnelle et forfaitaire, l'Etat indemnisera la société des préjudices de toute nature subis par elle à hauteur de 1,878 million d'euros.

Au total, l'ensemble de ces remboursements atteindrait donc 11,404 millions d'euros.

Le ministère de la défense a également précisé que, par cette rupture de contrat, « SDI transfère à l'Etat tous ses droits sur un sous-traitant français qui a engagé un litige, ce qui permettra à l'Etat de demander à cette société le remboursement de certaines prestations payées mais non effectuées ». De plus, « l'Etat et SDI ont constaté qu'il était impossible de prévoir quels pourraient être éventuellement les litiges qui seraient suscités par les entreprises indiennes du fait de l'arrêt du projet. La transaction intervenue ne traite donc pas de ces litiges à ce jour purement éventuels ».

· En ce qui concerne le remorquage en cours de l'ex-Clemenceau, selon les informations précitées, il fait l'objet d'un contrat classique de type Towcon, pour Tow Contract, signé avec la société de droit panaméen ITC, basée aux Pays-Bas.

Il prévoit le remorquage initial par le Sumatras puis son remplacement au large de Mombasa par le Sable Cape, remorqueur plus puissant mieux à même d'affronter le mauvais temps au sud de Bonne-Espérance.

Les différences par rapport au contrat Towcon classique tiennent au fait que l'Etat est l'assureur de la coque et qu'en cas de litige avec ITC, le tribunal compétent est français.

Le montant est de 725 000 euros, hors charges de gazole. Celles-ci seront facturées à l'Etat par ITC, sur présentation des justificatifs.

3. La question pendante du démantèlement des navires en fin de vie

· Le cas de l'ex-Clemenceau est certes emblématique par l'aspect symbolique de ce type de navire de guerre, mais il est loin d'être isolé. Le problème du démantèlement des navires en fin de vie prendra de plus en plus d'importance dans les années à venir compte tenu de l'augmentation des exigences en matière de respect de l'environnement, d'une part, et du flux considérable de navires à traiter, d'autre part. On estime actuellement à environ 700 le nombre de navires de commerce détruits dans le monde tous les ans. Ce chiffre serait susceptible de doubler d'ici à 2008 sous le simple effet de l'interdiction des pétroliers à simple coque. Outre l'évolution de la réglementation en matière de sécurité maritime, les variations du flux à venir dépendront largement de celles des taux de fret.

Si l'on s'en tient aux marines militaires, les flux de navires à traiter et démanteler sont certes moindres, mais leur cas soulève le même type de difficultés.

Pour un bâtiment de guerre trois options principales sont possibles lorsqu'il est décidé, pour des raisons d'obsolescence, de mettre fin à son activité opérationnelle : la cession ou la vente à une autre marine, le tir pour exercice et le démantèlement.

En ce qui concerne la première solution, certains des bâtiments de la marine nationale possédant un potentiel utilisable et ne répondant plus aux besoins opérationnels sont cédés à des marines étrangères, « à chaud », en activité de service opérationnel. Ce fut notamment le cas du Foch, vendu au Brésil.

Selon les informations fournies par le ministère de la défense, l'utilisation de coques comme cibles est permise à titre d'exception par les diverses conventions internationales relatives aux immersions « dans la mesure où il ne s'agit pas d'immersion mais " d'un dépôt sur le fond à des fins autres que la simple élimination " et dans la mesure où l'opération n'est pas incompatible avec les dites conventions ». Les marines militaires, y compris la marine nationale, conservent donc la possibilité de poursuivre des tirs sur coque, tout en les limitant strictement à la nécessité de tester et valider l'efficacité de nouveaux armements et de maintenir l'entraînement de leurs équipages en conditions réelles. Il convient dans ces cas de procéder à la dépollution préalable de la coque et à une étude d'impact environnementale.

Enfin, le démantèlement concerne principalement les navires de grande taille, en raison de la plus grande facilité pour valoriser leur masse métallique.

En France, chaque année, le chef d'état-major de la marine diffuse les prévisions d'admission et de retrait du service actif des bâtiments de la flotte. Ces prévisions indiquent que, d'ici 2017, la marine nationale devra gérer environ 80 coques de plus de 120 tonnes retirées du service actif.

La prise en compte de l'ampleur du problème posé par les navires en fin de vie a commencé aux Etats-Unis dans les années 1995-1996 et au Royaume-Uni à partir de 2002-2003, dans ce dernier cas à la suite des difficultés concernant le contrat de démolition de quatre anciens ravitailleurs américains en Grande-Bretagne.

Aux Etats-Unis, la tradition a historiquement consisté à privilégier la filière nationale de démantèlement, sans toutefois s'interdire d'exporter ce type de travail, notamment dans les années 1970. Toutefois, le durcissement des lois fédérales concernant l'exportation du PCB, décidé par l'Environmental Protection Agency en 1994, et un début de prise de conscience de l'état déplorable des chantiers de démantèlement étrangers ont conduit l'US Navy à suspendre volontairement, à partir de décembre 1997, toute exportation de navire en fin de vie à des fins de démolition. Cette suspension volontaire prévaut encore aujourd'hui. De fait, la filière nationale a fait l'objet d'une priorité certaine au milieu des années 90, pour tenter de valoriser l'activité de démolition à travers l'élaboration de procédures permettant de respecter les conditions de travail et de protéger l'environnement (2). Ce travail a notamment abouti à la parution, en septembre 1999, d'un projet global édité par l'US Navy (Navy's Ship Disposal Project), véritable guide de bonne conduite dont la phase pilote s'est conclue, en 2002, par l'attribution à des chantiers nationaux de quatre contrats de démantèlement d'ex-navires de guerre.

Il reste qu'un retard certain a été pris puisqu'en septembre 1999, 63 navires de l'US Navy et 14 appartenant aux Gardes Côtes étaient en attente de démantèlement. Ce stock doit être comparé aux 34 bâtiments (civils et militaires) démantelés aux Etats-Unis entre 1991 et 1997.

Les Etats-Unis ne s'interdisent pas d'autres solutions, telles que la vente à d'autres marines, la transformation en musées, l'utilisation comme cible, voire de couler les bâtiments comme récifs.

A titre d'illustration, pour ce qui concerne les porte-avions retirés récemment du service :

- le dernier porte-avions à avoir été ferraillé est le Coral Sea, en 1993 ;

- trois sont en réserve inactive (Ranger en 1993, Independance en 1998 et Constellation en 2003) mais il n'est pas prévu qu'ils reprennent du service et attendent que des décisions définitives soient prises ;

- plusieurs ont été transformés en musée ou sont en attente de l'être (le dernier, le Midway, à San Diego en 2004) ;

- un a été coulé par grands fonds à 300 nautiques des côtes de Virginie en mai 2005 (America) et un autre, l'Oriskany, désarmé depuis 1976, devrait l'être en mai 2006.

S'agissant du Royaume-Uni, le problème se pose dans les mêmes termes, mais son ampleur est moindre car les Britanniques ont toujours privilégié la vente d'occasion de leurs anciens navires plutôt que la démolition directe, non seulement pour des raisons financières mais également pour contourner la difficulté posée par l'absence d'une véritable réglementation internationale en matière de démantèlement.

Toutefois, l'affaire précitée de l'importation de quatre anciens bâtiments civils américains pour démolition dans un chantier anglais, survenue en 2003, est à l'origine d'une véritable prise de conscience de l'exigence de prendre en compte la problématique du démantèlement, en élaborant une politique sur ce sujet. Le gouvernement britannique semble n'en être aujourd'hui qu'au stade de la réflexion.

Plus de 40 bâtiments de la Royal Navy doivent être retirés du service d'ici la prochaine décennie, dont une dizaine pourraient être destinés à la revente à court terme. Les deux derniers navires britanniques démantelés dans des chantiers étrangers sont l'ex-HMS Olwen et l'ex-HMS Olna, vendus en 2000 à un chantier indien d'Alang.

· Comme dans la presque totalité des dossiers touchant à la chose maritime, la recherche de solutions ne peut être limitée au seul cadre national. Des évolutions sont en cours et la France y participe activement.

L'Organisation maritime internationale (OMI) a confirmé la nécessité de disposer de prescriptions obligatoires en matière de recyclage des navires en adoptant la résolution A.981, qui mettait à la charge du comité de la protection du milieu marine (MEPC) l'élaboration d'un instrument juridique contraignant. Dans le cadre de ce comité, la Norvège a présenté à la fin de 2005 un projet de convention tendant à rendre obligatoire un certificat attestant de l'existence de la traçabilité des produits dangereux sur un navire en vue de recyclage et démantèlement en fin de vie. Ce projet évoque un rôle de contrôle à la fois des Etats de pavillon et des Etats de port. Le Royaume-Uni propose par ailleurs des normes pour la gestion des infrastructures de démantèlement. La signature d'une convention contraignante est évoquée à l'horizon 2008-2010. Les projets précités prévoient que les bâtiments militaires ne sont pas directement concernés mais que chaque pays s'efforce de les traiter avec la même rigueur. La France est représentée dans ses travaux par le ministère des transports, avec le concours du ministère des affaires étrangères et du secrétariat général à la mer.

Par ailleurs, la conférence des Etats parties à la convention de Bâle (3) a donné en 1999 mandat aux deux groupes de travail technique et juridique d'établir des directives pour une gestion écologiquement rationnelle du démantèlement des navires. Ces directives ont été adoptées par la convention en décembre 2002 mais ne sont pas juridiquement contraignantes, chaque pays pouvant s'y référer pour les procédures, procédés et pratiques à suivre pour une gestion écologique des installations de démantèlement.

L'Organisation internationale du travail (OIT) est également très active et a adopté en octobre 2003 un document intitulé « Sécurité et santé dans le secteur de la démolition des navires ». La France y est représentée par le ministère du travail.

Enfin, le conseil environnement de juin 2005 a invité l'OMI à « lancer sous son égide le plus vite possible, en coopération avec la convention de Bâle et l'OIT, la négociation d'un instrument obligatoire sur le démantèlement des navires, respectant l'environnement et prévoyant un système de contrôle d'un niveau équivalant à celui de la convention de Bâle ».

A la suite de l'annonce du retour en France de l'ex-Clemenceau, il a été décidé d'améliorer la coordination des différents ministères intervenant sur ces questions en créant une mission interministérielle, associant les ministères de la défense, des transports, du travail, de l'économie, des finances et de l'industrie, de l'écologie et du développement durable, ainsi que des affaires étrangères et des affaires européennes. Cette mission a pour objectif de proposer des solutions au problème des navires civils et militaires en fin de vie.

L'Assemblée nationale n'est pas restée inactive. A la suite de l'audition précitée du ministre de la défense sur la situation de l'ex-Clemenceau le 22 février 2006, la commission de la défense nationale et des forces armées a ainsi nommé Mme Marguerite Lamour rapporteure d'information sur le démantèlement des navires de guerre lors de sa réunion du 1er mars 2006.

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, le rapporteur conclut au rejet de la proposition de résolution.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné la présente proposition de résolution au cours de sa séance du mardi 4 avril 2006.

M. Daniel Mach, rapporteur, a présenté son rapport et, en conclusion, a demandé à la commission de rejeter la proposition de résolution

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Daniel Paul a souligné le caractère emblématique du Clemenceau et a déploré ses pérégrinations. Cette affaire a conduit le groupe communiste et républicain à s'interroger sur trois points.

Tout d'abord, des dysfonctionnements ont été mis en évidence au cours de cette affaire, notamment par les médias comme l'a fait par exemple l'émission de télévision diffusée la veille sur France 2 ; ceux-ci doivent être soigneusement analysés.

Ensuite, le coût des opérations, évalué à environ 11 millions d'euros, n'est pas anodin. Le recours à une société de remorquage de droit panaméen, même basée aux Pays-Bas, apparaît de surcroît peu convenable pour un des anciens fleurons de la marine nationale.

Enfin, il convient d'évaluer la réalité de la collaboration avec les salariés indiens, tant en matière technique que sanitaire. De ce point de vue, il serait intéressant de voir si le chef d'état-major de la marine réitérerait aujourd'hui les réponses qu'il a apportées lors de son audition par la mission d'information portant sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante. Le suivi médical proposé par les autorités françaises aux travailleurs indiens apparaît bien dérisoire lorsqu'on sait que les cancers liés à l'amiante se déclarent en moyenne au bout de 37 ans. En outre, la formation qui aurait été fournie aux salariés indiens semble n'avoir concerné que cinq personnes et pour une durée de seulement cinq jours, ce qui est bien peu pour enseigner les bonnes pratiques en matière de désamiantage.

M. Daniel Paul a considéré que la mission interministérielle récemment créée n'interdisait nullement au Parlement d'examiner la succession de décisions ayant conduit à ce fiasco, même si la commission de la défense a, par ailleurs, désigné une de ses membres pour mener une mission d'information sur les navires en fin de vie. Il y va du rôle du parlement et de l'honneur du pays. Il est toujours bénéfique de faire apparaître la vérité, afin de mettre fin à des allégations et à des rumeurs.

Le rang politique et maritime de la France, puissance mondiale, justifie la mise en place d'une filière complète de désamiantage et de déconstruction des navires. Les sites nécessaires existent déjà, de même que les compétences humaines et techniques. La ville du Havre, par exemple, dispose d'une forme et d'un dock flottant de dimensions suffisantes pour accueillir des navires comme le Clemenceau. La décision finale devra prendre en compte non seulement les divers sites disponibles, mais aussi traiter du sort réservé aux métaux et aux déchets, comme l'amiante, retirés des navires.

Il est urgent de prendre une décision et la commission d'enquête aurait vocation à examiner ces questions et à formuler des propositions.

M. Daniel Mach a déclaré comprendre les interrogations ayant conduit au dépôt de la proposition, mais il a rappelé que celle-ci n'était juridiquement pas recevable dans la mesure où une enquête judiciaire est en cours.

Mme Patricia Adam a regretté que la constitution de la mission d'information sur les navires en fin de vie se soit déroulée dans la précipitation, ce qui a abouti à écarter certains parlementaires du sujet.

Le démantèlement du Clemenceau est un dossier sensible dont la médiatisation n'est sans doute pas terminée. La France doit faire preuve de responsabilité en matière environnementale et se montrer respectueuse tant des salariés qui ont construit ce navire que des militaires qui l'ont servi. Le Clemenceau doit être traité avec dignité.

Cette affaire a cependant le mérite de poser la question de la dépollution et du démantèlement des navires en fin de vie. Un projet européen responsable doit être élaboré, même s'il est vrai que le coût de ces opérations s'avère plus faible en Inde qu'en Europe. Le respect dû à l'environnement doit conduire cette dernière à s'abstenir d'exporter ses déchets, surtout lorsqu'ils sont dangereux. Par son importance, cette question rend nécessaire la mise en place d'une commission d'enquête, moins pour s'attarder sur les erreurs commises dans le passé que pour étudier les solutions d'avenir. Une chaîne de démantèlement des avions en fin de vie a été mise en place à Tarbes, pour un coût d'ensemble de 60 millions d'euros. Ce dernier montant doit être comparé aux onze millions d'euros déjà dépensés en pure perte pour le Clemenceau.

M. Jean Lemière a souligné que le travail réalisé par la mission d'information sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante, dont il a été le rapporteur, répond largement aux questions évoquées par la proposition de résolution. Le rapport d'information a présenté 51 propositions et il a été adopté à une très large majorité, seuls les membres du groupe communiste s'étant abstenus. Le cas du Clemenceau pose la question du désamiantage et, surtout, du transport des produits dangereux, thème principal de la convention de Bâle. Or, sur les points abordés par la proposition de résolution, le rapport de la mission d'information apporte des réponses. D'une part, il prône la création d'une filière de démantèlement des navires en fin de vie. D'autre part, s'agissant du sort à réserver aux déchets de l'amiante, il propose de favoriser la solution de l'inertage, c'est-à-dire leur vitrification, la mission formulant d'ailleurs l'espoir qu'une deuxième usine de vitrification soit installée en France.

La mission d'information a réalisé un travail sérieux, en auditionnant tous les acteurs qui furent parties prenantes du dossier du Clemenceau. Elle a aussi bien entendu Mme Thebaud-Mony, représentant l'association Ban Asbestos, que le chef d'état-major de la marine, l'amiral Oudot de Dainville. Le rapport issu des travaux de la mission, particulièrement fouillé, a requis dix mois de travail. Certes, il n'aborde pas seulement le traitement du Clemenceau, mais sur ce sujet précis la mission s'est aussi efforcée de fournir un travail rigoureux. Par ailleurs, ce dernier sera complété par celui de Mme Marguerite Lamour, qui s'est vu confier un rapport d'information sur le démantèlement des navires en fin de vie. M. Jean Lemière a indiqué qu'avec M. Jean Le Garrec, président de la mission, il avait adressé au début du mois de février un courrier au Premier ministre afin de le mettre en garde sur le dossier du Clemenceau. Pour autant, sans doute l'ex-porte-avions fut-il un des navires les plus propres jamais arrivés au large de l'Inde pour y être démantelé.

Il faut se garder d'être manichéen et de céder à la tentation bien française de l'autoflagellation. Une association écologiste reconnue, Robin des Bois, a salué le travail effectué par le ministère de la défense et notamment son souci de mettre en place un véritable partenariat technologique avec l'Inde. On peut aussi rappeler que l'Inde est le premier pays importateur d'amiante, tandis que les Etats-Unis, qui n'ont d'ailleurs signé ni la convention de Bâle ni le protocole de Kyoto, s'autorisent à couler leurs navires en fin de vie.

Somme toute, dans le traitement du Clemenceau, la France n'a nullement à rougir de son action. La commission de la défense a fait son travail, notamment avec l'audition de la ministre, en février dernier, et la nomination d'un rapporteur d'information. La mission d'information sur l'amiante a mené à bien le sien. La réalité s'avère sans doute plus complexe qu'on peut le penser, mais in fine ce dossier du Clemenceau mérite un jugement positif.

M. Jean Michel a rappelé que nombreux sont les parlementaires qui réclament que le Parlement dispose de davantage de pouvoirs, afin d'obtenir un rééquilibrage entre l'exécutif et le législatif. Or, si le Parlement est chargé de voter la loi, il a aussi le pouvoir d'exercer son contrôle sur l'action du Gouvernement. L'opposition se montre toujours unanime pour souhaiter exercer un contrôle étendu de l'exécutif et pour demander que soient transmises au Parlement toutes les informations nécessaires. Néanmoins, une fois dans la majorité, les parlementaires ont tendance à s'opposer tout aussi unanimement à la mise en œuvre des procédures de contrôle existantes - commissions d'enquête et missions d'information - lorsqu'un dysfonctionnement survient.

Pourtant, au-delà des divergences politiques de ses membres, il serait tout à l'honneur de la commission de la défense de réaliser un travail approfondi et complet sur le dossier du Clemenceau, pour lequel apparaissent de réels dysfonctionnements des services de l'Etat.

Comme l'a rappelé le rapporteur, la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête obéit à deux critères. D'une part, elle doit porter sur des faits déterminés, ce qui est bel et bien le cas dans cette affaire ; d'autre part, elle ne doit pas concerner des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires. Au cours de la précédente législature, ce deuxième critère a été apprécié de façon souple : deux commissions d'enquête portant sur la Corse ont été créées, l'une présidée par M. Jean Glavany, l'autre par M. Raymond Forni, peu après l'assassinat du préfet Erignac, alors qu'existaient des poursuites judiciaires. De même, la crise dite de la « vache folle » a donné lieu au dépôt de plaintes, mais n'en a pas moins fait l'objet d'une commission d'enquête. Certes, deux plaintes ont été déposées par le ministère de la défense sur les conditions de désamiantage du Clemenceau et sur la commission d'un faux par la société Technopure dans la passation du marché public concernant le désamiantage du navire. Pour autant, l'argument de l'irrecevabilité avancé par le rapporteur n'est pas convaincant, car le Parlement n'a pas à s'intéresser aux relations entre cette société et le ministère de la défense.

Le dossier du Clemenceau laisse apparaître des dysfonctionnements évidents, tristes et graves, qui ont porté atteinte à l'image même de la France dans le monde. Alors même que le Président de la République se fait légitimement l'avocat de la protection de l'environnement dans les enceintes internationales, les pouvoirs publics français ne sont guère apparus cohérents, s'agissant du traitement du Clemenceau, avec les principes ainsi énoncés.

Plusieurs difficultés peuvent être identifiées. Tout d'abord, nul n'est en mesure de dire quelle quantité d'amiante le Clemenceau contenait, du fait de l'absence inadmissible de tout état des lieux préalable. Le porte-parole du ministère de la défense avait ainsi avancé des chiffres très variables pour la quantité d'amiante restant à retirer, s'inscrivant sur une échelle de un à dix. Ensuite, la procédure retenue par le ministère de la défense semble discutable, puisque, lorsque la première entreprise choisie dans le cadre d'un appel d'offres pour assurer le désamiantage a été écartée, c'est l'entreprise arrivée deuxième pour ce même appel d'offres qui a été ensuite appelée, sans que soit relancée la procédure, comme le requiert le code des marchés publics. Enfin, le contrat conclu avec la société Technopure stipule que l'amiante constitue un déchet dangereux et prévoit une obligation de transport et de traitement dans un centre d'enfouissement adapté.

Au total, compte tenu de ces différents éléments, la création d'une commission d'enquête apparaît parfaitement justifiée et elle devrait permettre, plus largement, de définir des solutions pour le démantèlement des navires en fin de vie, dans un cadre français et sans doute européen.

Le président Guy Teissier a relevé que l'ensemble des commissaires étaient pleinement informés des faits et que la ministre de la défense avait déjà pu apporter toutes les réponses à ces mêmes questions lors de son audition.

M. Gilbert Meyer a fait part de sa perplexité devant la nature des débats. La ministre de la défense s'est expliquée pendant deux heures sur le sujet et s'est efforcée d'apporter toutes les réponses possibles. Par ailleurs, M. Jean Lemière s'est également exprimé sur les travaux de la mission d'information portant sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante, dont il était rapporteur. Que cherche-t-on de plus maintenant sur ce problème qui concerne de fait de nombreux autres pays ? Faut-il reprocher au ministère de la défense d'avoir recherché une solution pour régler le problème du Clemenceau ? Peut-être faudrait-il se poser une autre question : pourquoi le Clemenceau est-il resté en rade de Toulon pendant des années sans que le gouvernement ne prenne de décision ? Il convient de prendre acte de la situation et de rechercher une solution.

M. Jean-Michel Boucheron a estimé que l'argument juridique avancé par le rapporteur n'était pas pertinent. Il a déjà été créé, sous la précédente législature, des commissions d'enquête alors que des procédures judiciaires étaient en cours sur des points de détail. La situation est toujours la même : lorsqu'un problème survient, l'opposition demande la création d'une commission d'enquête ; le gouvernement invite alors sa majorité à s'y opposer ; celle-ci s'y emploie pour protéger le Gouvernement. Une telle attitude ne sert ni le Parlement, ni l'exécutif, puisque, dans une grande majorité des cas, les dysfonctionnements mis en évidence ne sont pas liés à des décisions politiques.

Après avoir déclaré partager le souhait d'une augmentation des pouvoirs du Parlement, M. Jérôme Rivière a estimé que le problème du Clemenceau s'inscrivait dans la durée. Or, la proposition de création d'une commission d'enquête propose d'examiner les faits seulement à partir de 2002. Il ne peut s'agir là que d'une utilisation politique de cette affaire. La commission d'enquête ne devrait pas être centrée uniquement sur ce navire alors que la difficulté soulevée va bien au-delà. Une mission d'information portant sur le démantèlement des navires de guerre a été mise en place ; il faut à tout le moins en attendre les conclusions.

L'affaire ratée du démantèlement du Clemenceau relève d'une guerre économique menée contre la France, Greenpeace ayant été instrumentalisé par certains de nos concurrents économiques. Exposer à nouveau le pays, c'est prendre le risque de perdre une nouvelle bataille.

M. Philippe Folliot a estimé que l'affaire du Clemenceau avait pris un caractère passionnel et n'avait en conséquence pu être traitée avec le recul nécessaire. L'épave du navire appartient désormais au ministère des finances et on peut donc s'interroger sur l'opportunité du renvoi de la proposition de résolution à la commission de la défense. Le sujet posé ne peut être réduit au seul Clemenceau et il convient de l'examiner plus largement, avec moins de passion.

M. Michel Voisin s'est déclaré choqué par les propos tenus sur les modalités de désignation du rapporteur de la mission d'information portant sur le démantèlement des navires de guerre. Il a rappelé que, lors de cette nomination, aucune autre candidature n'avait été présentée.

Le président Guy Teissier a estimé que médias et journalistes ne pouvaient imposer à la représentation nationale leur vision de la justesse des faits. Si une émission concernait hier soir l'ex-Clemenceau, un autre programme portait sur l'affaire du Rainbow Warrior. Le parti communiste s'était-il soucié, à l'époque, de la création d'une commission d'enquête ? Les informations présentées dans une émission de télévision ne peuvent justifier à elles seules la création d'une commission d'enquête. Au demeurant, une information reprise dans l'émission « Complément d'enquête » a été ici passée sous silence : compte tenu de la valeur de la tonne de ferraille en France, aucun chantier de démolition ne serait rentable.

Comment expliquer que la France soit montrée du doigt pendant que les Américains « océanisent » leurs navires et que les Russes les laissent rouiller sans que cela provoque de réaction ? On peut aussi observer que Greenpeace n'a pas réagi au désamiantage de navires britanniques en Inde. N'aurait-il pas mieux valu faire front commun autour du ministre de la défense pour soutenir son projet, puisqu'il en allait de l'honneur de la France ?

Le président Guy Teissier a regretté que les élus n'aient pas fait preuve de davantage de solidarité pour trouver une solution honorable. Lors de son audition, la ministre de la défense a ainsi proposé la mise en place en France d'une filière de désamiantage, malgré l'étroitesse du marché. La puissance publique ne peut toutefois pas contraindre les armateurs privés à démanteler leurs navires en France.

La mission d'information sur les navires en fin de vie n'a pas été créée dans la précipitation, même s'il fallait aller vite compte tenu de la situation. L'opposition a été associée à de nombreux rapports d'information au cours de cette législature et les conclusions du rapport d'information seront discutées par la commission.

Il a ensuite récusé toute comparaison avec la commission d'enquête sur la Corse, dont le sujet très large ne pouvait être réduit à l'assassinat du préfet Erignac, objet d'une enquête judiciaire. Dans l'affaire du démantèlement de l'ex-Clemenceau, la lettre du Garde des Sceaux est dépourvue de toute ambiguïté et, en vertu de l'article 141 du Règlement de l'Assemblée nationale, la constitution de la commission d'enquête proposée n'est juridiquement pas possible.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution.

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N° 3008 - Rapport fait par M. Daniel Mach au nom de la commission de la défense sur la proposition de résolution A (n° 2871) de M. Daniel PAUL, tendant à créer une commission d'enquête chargée d'examiner le déroulement des opérations concernant l'ex-porte-avions « Clemenceau » depuis décembre 2002, d'évaluer la charge financière en résultant pour l'État et les solutions à mettre en œuvre pour que notre pays assume ses responsabilités en matière de déconstruction de navires civils et militaires

1 () Le passage du canal de Suez a été facturé près de 1,6 million de dollars à SDI.

2 () Entre 1991 et 1996, l'US Navy a été contrainte de reprendre 20 des 52 navires de guerre vendus en vue de leur démolition à des chantiers nationaux, en raison de procédures judiciaires de violation des règles environnementales.

3 () La convention de Bâle, signée le 22 mars 1989 et entrée en vigueur le 5 mai 1992, porte sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination.


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