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Groupe de travail Assemblée nationale - Sénat
sur la crise financière internationale

Contribution de M. Paul Giacobbi, député de la Haute-Corse (Apparenté SRC)

 

5 novembre 2008

Réduire l'océan des liquidités spéculatives pour prévenir le tsunami financier

 

La crise actuelle, la plus grave mais pas la première de toutes celles qui ont secoué le monde financier et monétaire depuis les années 70, est la résultante de décennies de déséquilibres structurels au pian international.

Les déficits américains joints aux privilèges indirectement accordés au dollar d'être l'unité de compte, l'instrument des transactions et la réserve de la valeur au plan international, ont généré un océan de liquidités internationales qui, dépassant par son volume et de très loin ce qui est nécessaire aux transactions et aux crédits internationaux, ne peut s'employer que dans la spéculation.

A intervalles réguliers, de véritables tsunamis financiers provoquent sur les terres de l'économie réelle des dégâts considérables. Aucune digue réglementaire ne peut nous protéger de ces cataclysmes que seule une réduction délibérée de cette gigantesque masse liquide pourrait prévenir efficacement.

Le système s'est largement auto entretenu en ce sens que des pays où des pans entiers de l'économie sans production réelle se sont habitués à vivre et parfois très largement, d'une activité financière purement spéculative. Un orfèvre en la matière, George Soros, qui y a gagné quelques milliards de dollars, remarquait que les perversions des outils financiers ont été en réalité l'instrument par lequel l'Amérique a pu, pendant de longues années, drainer à son profit l'épargne du reste du monde.

Si la réglementation, nationale et internationale, est évidemment indispensable, elle ne peut être mise en oeuvre qu'à moyen terme et devra l'être avec une grande prudence pour éviter des effets imprévus bien souvent contraire à ceux que l'on escomptait.

En revanche, il nous faut aborder dans l'urgence la question fondamentale de la réforme du système monétaire international qui doit se doter d'une unité de compte, d'un instrument de réserve et à défaut d'un outil de transaction, d'un système de compensation, tandis qu'il faudra bien absorber, à travers ce nouveau système, les masses spéculatives privées et les réserves des instituts d'émission principalement libellées en dollars aujourd'hui.

Cette indispensable et urgente réforme est ici abordée à travers quatre idées :

-          l'économie mondiale, malade de la spéculation (I)

-          la genèse de la liquidité spéculative (II)

-          la crise la plus grave n'a pas encore éclaté (III)

-          quelques pistes réalistes pour réduire la masse spéculative, équilibrer les paiements et restaurer les mécanismes de marché (IV)

 

I. L'économie mondiale, malade de la spéculation

Les cinq principaux marchés qui devraient équilibrer le système capitaliste international - le marché monétaire, celui des devises, celui des matières premières ainsi que le marché financier, voire les1 marchés obligataires - ne fonctionnent plus et depuis longtemps sur la base de la confrontation rationnelle de l'offre et de la demande car leurs principaux acteurs ne sont plus du tout ceux qui achètent ou qui vendent les valeurs qui caractérisent le marché mais des personnes totalement extérieures à ces valeurs qui jouent, sur la base de martingales mathématiques complexes, dans l'espoir de toujours gagner.

1.1 Marchés des matières premières

Ainsi le NYMEX, marché new-yorkais des matières premières est-il phagocyté par des opérateurs qui n'ont aucun besoin pour leur activité des matières qu'ils échangent mais qui jouent sur ce marché comme d'autres joueraient au casino.

L'augmentation délirante des prix du pétrole, ou plus exactement les index des pétroles légers sur les marchés « spot », puis sa diminution presque équivalente lors des derniers mois ne peut s'expliquer uniquement par l'évolution réelle de l'offre et de la demande. D'ailleurs, il n'a jamais manqué de matières premières pétrolières et au pire moment de la spéculation, quand les cours atteignaient plus de 150 dollars le baril, pour les variétés de brut légères côtées sur les marchés, des cargaisons entières de pétrole très lourds n'arrivaient pas à trouver preneur.

La consommation des pays occidentaux et des pays émergents n'a pas diminué de manière significative entraînant une division des cours par deux, tandis que la production est plutôt restée stable voire en diminution. En réalité, les spéculateurs sur les marchés pétroliers ont tout simplement eu besoin de liquidités, ce qui les a fait vendre massivement leurs stocks virtuels et ramené le marché aux alentours d'un prix d'équilibre proche de celui défini, il y a quelques mois déjà, par l'Agence Internationale de l'Energie, soit environ 70 dollars le baril.

1.2 Marchés de devises

De même, la valeur des devises et l'évolution de leur cours sur les marchés internationaux n'a plus aucun lien avec les soldes des balances de paiements, les taux d'intérêt et les inflations respectives. Seule une spéculation effrénée souvent irrationnelle, peut expliquer des mouvement erratiques qui affectent essentiellement le dollar, l'euro, la livre Sterling et le yen.

1.3 Marchés monétaires

Les taux d'intérêt sur les marchés interbancaires ne sont pas beaucoup plus rationnels et les « taux directeurs » des banques centrales, à supposé qu'ils puissent continuer à être appelés ainsi dans une période où ils se sont éloignés de quatre ou cinq points voire plus des taux interbancaires, atteignent en particulier aux Etats-Unis des niveaux, 1% pour la Fed aujourd'hui, qui ne s'expliquent que par la volonté délibérée de continuer à fournir une liquidité quasi gratuite à des spéculateurs au bord de la ruine.

1.4 Marchés boursiers

Il faudrait certainement donner le prix Nobel d'économie à l'analyste qui parviendrait à discerner une logique dans les mouvements boursiers de ces dernières années, ou à mettre en évidence une corrélation même élastique entre la valeur d'une action sur le marché et les perspectives de bénéfices ou de pertes d'une entreprise cotée ou une appréciation objective de sa valeur.

Même les marchés d'obligations n'échappent pas à ces logiques spéculatives puisqu'on a vu s'apprécier les valeurs représentatives de créances titrisées manifestement irrecouvrables1 et que les taux des émissions obligataires des Etats ne semblent pas vraiment être affectés par des endettements colossaux et des déficits hallucinants.

Aucune économie, aucun système ne peut fonctionner lorsque les marchés qui sont censés ramener à l'équilibre sont essentiellement dirigés par des forces qui répondent à des logiques tout à fait extérieures à celles des mouvements réels.

De surcroît, toute une série d'agents, voire d'énormes pans de l'économie, et dans des cas extrêmes l'essentiel d'une économie nationale, sont fondés sur des revenus qui ne trouvent aucune source dans un accroissement de production.

Depuis les années 80, c'est-à-dire depuis que les masses de liquidités internationales ont entamé une croissance exponentielle totalement déconnectée des besoin de liquidités de l'économie réelle, plusieurs crises successives ont secoué fortement le système mais elles nous ont toujours ramené, malgré quelques monceaux de cadavres laissés sur le bord de la route, vers une nouvelle phase de spéculation positive, chaque fois alimentée par de nouvelles injections de liquidités, de savants abaissements des taux d'intérêt, voire de nouveaux desserrements de la réglementation des marchés, pourtant déjà totalement laxistes.

 

II. La genèse de la liquidité spéculative

L'historique de la liquidité spéculative remonte effectivement aux accords de Bretton-Woods par lesquels une monnaie s'est vue conférée indirectement le privilège d'être traitée à l'égale de l'or, l'étalon d'autrefois, et explicitement dispensée d'avoir à maintenir sa parité sur les marchés puisqu 'elle était le pivot de l'ensemble2.

2.1 Bretton-Woods

Le rejet de la proposition Keynes, consistant à l'époque à faire du Fonds monétaire international l'organisme mondial de compensation de toutes les balances des paiements et d'un étalon international virtuel, le bancor, l'instrument des réserves des banques centrales et de calcul des compensations internationales, n'a pas paru problématique à un moment où l'économie américaine était prédominante, où les autorités monétaires de ce pays détenaient l'essentiel du stock d'or monétaire mondial, à Fort Knox, et où on faisait confiance à cette république impériale, encore parée de toutes les vertus de la morale et de la responsabilité.

2.2 La balance courante des Etats-Unis

Au fil des années, les Etats-Unis sont devenus de plus en plus déficitaires dans leurs paiements courants.

Cette situation, pour un pays normal, aurait conduit à une diminution considérable des réserves de changes et des avoirs de la banque centrale et à une forte déflation interne. Mais compte tenu de leur véritable « privilège d'émission internationale », les Etats-Unis ont pu faire coexister des déficits monstrueux et un certain équilibre de leur économie.

Cette situation a été résumée par un responsable américain selon la célèbre formule : « le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème ».

Au milieu des années 80, on s'inquiétait de déficits américains de l'ordre de 100 à 150 milliards de dollars par an. La balance des paiements courants américains atteint aujourd'hui les 700 milliards de dollars ! Vers 1985, Paul Volker s'inquiétait déjà du risque d'effondrement du dollars et du fait que les évolutions de l'économie américaine dépendaient désormais de forces totalement extérieures.

2.3  La situation à la veille de la crise

Que dire aujourd'hui ? Sinon que de rappeler que les banques centrales dans le monde ont 3 000 milliards de dollars en réserve c'est-à-dire détiennent 3 000 milliards de dollars de créances à vue, dont elles pourraient exiger le remboursement immédiat dans une autre devise à la banque centrale américaine. Mais plus grave encore, des quantités beaucoup plus importantes de dollars se trouvent détenues par des banques et des personnes non résidentes aux Etats-Unis et c'est cette énorme masse qui s'accroît d'elle-même sans lien avec les déficits de paiement américains par le mécanisme de multiplication monétaire des euro-dollars qui alimente un système de spéculation internationale d'une ampleur jamais atteinte dans l'histoire.

2.4 Des marchés spéculatifs alimentés par les autorités censées les contrôler

Il est vrai que notre spéculation contemporaine présente une particularité totalement novatrice. Un marché spéculatif s'analyse globalement sur la courte période comme un jeu à somme nulle où le cumul des pertes des uns équivaut au cumul des gains des autres. Sur la plus longue période, les agents peuvent être globalement gagnants dans les périodes de croissance et globalement perdants dans les périodes de décroissance.

Or, depuis un certain nombre de décennies et notamment depuis que les idées séduisantes mais folles des « Chicago boys » de la secte de Milton Friedmann ont convaincu le monde, les marchés spéculatifs bénéficient, surtout lorsque la tendance est baissière, d'une thérapeutique d'injection massive de liquidités et de baisse du coût de l'emprunt par réduction du taux d'intérêt, qui conduit les marchés ou plus exactement les spéculateurs à continuer globalement de gagner de l'argent quand ils devraient en perdre.

2.5 Les aveux des coupables, les avertissements des Cassandre

Ces accusations peuvent paraître exagérées mais elles correspondent sensiblement à ce qu'a dit Alan Greenspan, un des gourous du système dans ce qu'il faut bien appeler des aveux pathétiques sous la foi du serment, devant une commission d'enquête du Congrès américain. Elles sont également corroborées par les articles lumineux mais néanmoins légèrement paradoxaux d'un George Soros analysant les perversions de la spéculation depuis trente ans avec une autorité d'autant plus grande qu'il y a gagné un nombre respectable de milliards de dollars !

Plus convaincant encore est le fait que la description qui précède et les avertissements sur les risques énormes que fait courir à l'économie mondiale de telles pratiques ont été dénoncées dans les années 80 par de très nombreux auteurs dans une multitude d'ouvrages. Rien qu'en France, de Jean Denizet à Maurice Allais, en passant par François Perroux, la bibliographie des analyses prémonitoires à deux ou trois décennies de distance de la crise est déjà très vaste.

Cependant, l'appât du gain et la persistance de ce gain au-delà de crises successives a été bien plus fort que ces avertissements. Des pays entiers vivent de la spéculation : la Grande-Bretagne pour un quart de son PIB, des enclaves de prospérité comme Dubaï et Singapour ou dans un cas extrême l'Islande, tandis que les Etats-Unis ont réussi à tirer profit indirectement de leurs propres déséquilibres, jusqu'à l'éclatement actuel.

 

III. La crise la plus grave n'a pas encore vraiment éclaté.

3.1 Le risque dollar

La crise que nous vivons, si elle dépasse en gravité toutes celles qui ont affecté la sphère financière au cours des dernières décennies, n'est cependant pas pour le moment d'une nature différente tandis qu'elle continue à susciter des propositions de réforme relativement peu originales.

Pour le moment, le pire n'est pas encore arrivé et d'une certaine manière, la grande crise redoutée par les auteurs cités des années 80 n'a pas encore éclaté. En effet, la plus grande inquiétude que l'on puisse avoir serait que le dollar ne s'effondre, ce qui serait parfaitement logique compte tenu de l'incapacité absolue des uns et des autres de défendre sa parité, des taux d'intérêt américains anormalement bas et très inférieurs à tout ce qui se pratique partout ailleurs dans le monde et des niveaux du déficit des paiements américains qui atteint des records absolus.

3.2 Les solutions actuellement développées

Paradoxalement, le dollar se maintient et s'apprécie même au bénéfice de la crise puisque les spéculateurs ont besoin de liquidités, que tout naturellement ils vendent leurs actifs pour trouver de la liquidité, que celle-ci est abondante en dollars et que finalement il apparaît à court terme utile voire bénéfique de remplacer les placements spéculatifs par l'acquisition massive de « T-bills » (Treasury bills) américains.

Au-delà des appels lénifiants à la réglementation des marchés, les solutions mises en oeuvre concrètement par les autorités sont globalement les mêmes que pour les crises précédentes et les aveux de Greespan sur ses erreurs fondamentales n'empêchent nullement de recourir à de nouvelles injections de liquidités, avec des taux d'intérêt toujours plus bas.

Si chacun comprend qu'à court tenue il faut bien sauver le système, il n'en demeure pas moins que le remède aggrave le mal à moyen terme.

On va même aujourd'hui beaucoup plus loin que par le passé dans la rémission des péchés et dans l'absolution des fautes sans repentance ni pénitence. Dans un premier temps, la plupart des pays du monde ont accepté de recapitaliser, par des fonds levés avec la garantie de l'Etat sur les marchés, des banques défaillantes tandis que l'on se propose pour empêcher que ces banques ne soient pénalisées dans leurs comptes par la dépréciation des marchés financiers de faire évoluer la norme ÏFRS en leur permettant d'enregistrer leurs actifs financiers non pas à la valeur du marché mais à la valeur d'acquisition.

Ainsi, dans les crises précédentes, si le système a bénéficié de l'injection salvatrice de liquidités, les intervenants qui ont le plus fortement fauté n'ont même plus à craindre la faillite puisqu'ils sont garantis par l'Etat, ni même de conséquences sur leurs actifs de la chute des marchés financiers puisqu'on veut les autoriser à enregistrer leurs valeurs mobilières à une valeur parfaitement fictive.

A un moment où tout le monde parle de réglementation, de confiance voire de moralisation, il est tout de même surprenant que l'on veuille commencer par une facilité qui, si elle avait été appliquée intégralement en 1918, aurait permis à une banque qui aurait converti en 1914 tous ses actifs en emprunts russes de conserver un bilan traduisant une parfaite santé financière jusqu'à l'instant où elle aurait connu une faillite retentissante !

Quant à l'affichage d'une « volonté régulatrice » des marchés et moralisatrice du capitalisme, elle doit plus nous inquiéter que nous rassurer.

D'abord parce qu'une réglementation des marchés ne doit pas se faire à chaud, dans la précipitation et dans l'émotion, tant des mesures d'apparence technique peuvent avoir de très importantes conséquences et des effets inverses à ceux qui étaient recherchés.

Ensuite parce que la réglementation,brutalement appliquée, peut avoir des effets récessionnistes qui pénaliseraient l'ensemble des agents sans pour autant cibler les fautifs. A supposer que l'on parvienne brusquement à supprimer tous les paradis fiscaux, il en résulterait probablement beaucoup plus d'effets négatifs à court terme que positifs même si l'oeuvre de longue haleine d'élimination de ces situations scandaleuses voire criminogènes doit être entreprise avec détermination.

Enfin, il est tout de même choquant et paradoxal de tenir un discours moralisateur et régulateur après avoir accordé la garantie de l'Etat à toutes les fautes financières, continué d'encourager les pratiques spéculatives en innondant à nouveau le marché de liquidités, et s'être proposé d'ériger la tromperie financière au rang de norme comptable par la réforme précitée de l'IFRS.

 

IV. Plaidoyer pour une solution réaliste : réduire la masse spéculative, equilibrer les paiements, restaurer les mécanismes de marché.

4.1 Réduire la masse spéculative

L'existence d'une immense liquidité, auxquelles de surcroît les moyens modernes de communication ont donné une capacité de déplacement quasiment instantanée, où pour employer un terme exact s'agissant de la monnaie, une vitesse de circulation que n'aurait pu imaginer Irving Fischer constitue le plus grand facteur de troubles.

Vouloir réglementer les marchés et les pratiques spéculatives sans réduire préalablement cet océan de liquidité qui ne peut trouver à s'employer que dans la spéculation est parfaitement vain.

Pour l'essentiel, et bien qu'il soit politiquement incorrect en ces temps d'euphorie Obamanienne de rappeler et de souligner la responsabilité historique et immense des Etats-Unis d'Amérique dans ce qui nous arrive aujourd'hui, il faut affirmer que l'abus manifeste de la situation du dollar comme étalon par les Etats-Unis, puis la multiplication monétaire fort mal contrôlée des euro dollars, c'est-à-dire des devises américaines détenues par des non-résidents, est à l'origine de cet océan agité qui noie les terres émergées de l'économie sous des tsunamis successifs de spéculations incontrôlées.

De même qu'on endigue difficilement les flots, il est probablement impossible par la réglementation d'éviter ces mouvements sauf à réduire préalablement cette masse à ce qui est nécessaire aux besoins du commerce international, à une expansion du crédit sensiblement corrélée à la croissance, au niveau général des prix et à la vitesse de circulation.

On peut imaginer de manière totalement irréaliste de compenser une génération de déficit par une génération d'excédents équivalents.

A supposer que les Etats-Unis reviennent à un équilibre progressif de la balance des paiements courants, il faudrait quelques décennies d'un excédent comparable au cumul des excédents actuels de l'Allemagne et du Japon pour retrouver par ce mécanisme hypothétique une stabilisation de la situation.

Tout le monde s'accordera assez facilement sur l'objectif d'une réforme raisonnable du système actuel qualifié à tort de Bretton-Woods, lequel a disparu le 15 août 1971 et a été remplacé par les flottements généralisés quelques années plus tard. On pourrait s'appuyer pour définir l'objectif à atteindre de ce point de vue sur la synthèse relativement simplifiée et sommairement exposée par Bruce Greenwald et Joseph Stiglitz en juin 2008 («A modest proposai for international monetary reform » at International Economic Association Meeting in Istambul, June 2008).

Il s'agit sommairement de remplacer les quelques 3 000 milliards de dollars qui servent dans les banques centrales de réserves par des allocations équivalentes de Droits de Tirage Spéciaux ou SDR {Special Drawing Rights). Cette proposition qui consiste partiellement à réinventer soixante ans après le « bancor » de Keynes ou à donner corps au système de droits de tirage spéciaux trente ans après la conférence de Kingstown, s'il est parfaitement compréhensible et acceptable sur le plan intellectuel, suscite au moins deux objections majeures.

La première est de nature géopolitique car, sauf à imaginer que les contreparties dollars dans les réserves des banques centrales s'évaporeront spontanément, il faut bien admettre qu'elles sont représentatives d'une dette à vue, immédiatement exigible, même si elle n'a jamais été exigée, que les Etats-Unis ont, à travers leur déficit contracté envers le reste du monde. Faut-il admettre que pour éponger cette dette le reste du monde doive se cotiser pour payer l'ardoise du pays qui est encore en terme de PIB la première puissance économique mondiale ?

Par ailleurs, au-delà des avoirs des banques centrales en dollars, il reste à traiter la question non négligeable - bien que pendant longtemps on ait qualifié le déficit américain de « benign effect » - des masses plus considérables encore détenues par les non-résidents privés qui tout autant représentent l'essentiel de l'énorme dette contractée par les Etats-Unis d'Amérique vis-à-vis du reste du monde.

4.2 Organiser l'équilibre des paiements à travers une clearing union

A supposer que l'on règle le problème des réserves de banques centrales qui seraient libellées en Droits de Tirage Spéciaux émis par le Fonds Monétaire International, il n'en demeure pas moins que les échanges internationaux ont besoin tout à la fois d'une monnaie support de ces échanges, réserve de la valeur et unité de compte internationale. A moins d'imaginer, ce qui paraît complètement irréaliste, que les échanges internationaux se fassent en Droits de Tirage Spéciaux, il faudra bien soit que les échanges se fassent au sein des zones monétaires dans la devise dominante de la zone, soit au-delà des zones monétaires dans l'une des monnaies dominantes des échanges internationaux qui sont toujours globalement : dollars, euros, yen et livre.

Le FMI pourrait aussi revenir à la seconde proposition de Keynes à l'époque, à savoir un organisme multilatéral de compensation de balances de paiement comme le fut plus tard l'Union Européenne des Paiements entre les pays européens bénéficiaires de l'aide du plan Marshall.

Quoi qu'il en soit, l'objectif serait par un système de compensation intégral et par le refus d'accorder à un quelconque Etat, fut-il le plus puissant, ce qui a été pour les Etats-Unis d'une certaine manière ce que l'on pourrait appeler un privilège d'émission de monnaie internationale, d'éviter qu'à aucun moment, un Etat puisse impunément s'installer structurellement dans le déficit de ses comptes extérieurs.

4.3 Restaurer les mécanismes de marché 3

Au-delà de la réduction de la masse des liquidités internationales au niveau des besoins de l'économie réelle, il importe, si l'on veut permettre aux marchés de retrouver leurs fonctions premières, celles du retour à l'équilibre, de mettre en oeuvre deux réglementations fondamentales.

La première consiste à limiter l'accès à un marché à ceux qui ont vocation à y intervenir ou qui font profession d'y représenter ceux qui ont réellement besoin dans leur activité des valeurs échangées sur ledit marché. Il est aberrant, qu'à un moment donné, 70% des ordres passés sur le NYMEX concernent des mandataires qui n'ont aucune activité professionnelle en relation avec les biens ou les matières premières qu'ils échangent ainsi plusieurs fois par jour dans le simple but de dégager une plus-value de très court terme.

Si ces personnes ont un besoin irrépressible de jouer avec leur argent, on pourra leur conseiller utilement selon leurs aspirations personnelles et leurs origines ethnico-culturelles, les combats de coq, les courses de lévriers, le Mahjong ou le pari mutuel urbain à moins qu'ils ne préfèrent classiquement les tapis verts des casinos.

Ce qu'ils ont fait en quelques années des marchés économiques et financiers les a rendu plutôt moins rationnels que les jeux précités car je ne suis pas certain que la décision compulsive d'un trader surmené d'aller sur telle et telle valeur qu'il reniera d'ailleurs un quart d'heure après soit beaucoup plus rationnelle et scientifique que celle d'un « accro » aux martingales du Baccara ou de la roulette.

Faute de cette règle, il se trouvera toujours des personnes pour transformer des lieux d'arbitrage entre l'offre et la demande pour les besoins d'une activité professionnelle en ce que l'on pourrait appeler un « casino mondial ».

La seconde réglementation touche évidemment à la rémunération et à la responsabilité des intervenants sur les marchés. S'il est tout à fait légitime de rémunérer une fonction d'arbitrage, il est aberrant de penser que cette rémunération atteigne de tels niveaux au point de représenter l'essentiel du revenu d'un individu, d'une entreprise et, dans certains cas, d'un pays tout entier4 .

 

Conclusion

Pour hétérodoxes qu'elles paraissent, les analyses et les propositions faites ici sont la reprise ou la synthèse de ce qui a été dit par des économistes et des praticiens reconnus depuis plusieurs décennies.

L'appétit d'un gain rapide et irraisonné, malgré les crises successives et un taux de mortalité  non  négligeable  chez  les  intervenants,  constituera  toujours  un  contrepoids redoutable face à des analyses et des propositions qui n'ont pour elles que leur caractère rationnel et leur honnêteté intellectuelle.

Depuis toujours, chacun sait qu'il n'existe pas durablement de joueur qui meurt riche, que les seuls gagnants aux jeux de hasard sont les commanditaires des casinos et les autorités fiscales. Cela n'empêche pas malheureusement, en raison de la faiblesse de la nature humaine que tant de gens se ruinent encore au jeu.

Libre à eux de le faire avec leur argent s'ils en ont mais il appartient aux Etats et à l'organisation internationale qu'ils ne le fassent pas avec l'argent des autres et que leurs activités irresponsables ne déséquilibrent pas en permanence les marchés et les économies.

 

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1      Tout un marché obligataire s'est développé sur le principe selon lequel plus une obligation présenterait un risque de non-remboursement, plus son taux devait être élevé, d'où une véritable spéculation sur les « junk bonds ».

2      Ce « privilège du dollar » ne résulte pas directement des dispositions du traité mais du choix ultérieur des Etats-Unis de garantir la convertibilité du dollar en or sur la base de 35 dollars l'once.

3       Il faut tout de même rappeler que ce ne sont pas les mécanismes de marché qui ont failli mais leur perversion au moyen d'instruments complexes et opaques, par ceux-là mêmes qui avaient érigé les dogmes du marchés en fondamentalisme idéologique...

4       L'analyse des comptes des groupes bancaires ces jours-ci montrent que dans certains cas, l'activité « casino international » pouvait représenter les trois quarts du profit!

 


Voir aussi :

Rapport d'étape (13 novembre 2008)

Autres contributions de membres du groupe de travail

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