La crise
actuelle, la plus grave mais pas la première de toutes celles qui
ont secoué le monde
financier et monétaire depuis les années 70, est la résultante de
décennies de déséquilibres structurels au pian international.
Les
déficits américains joints aux privilèges indirectement accordés
au dollar d'être l'unité de compte, l'instrument des transactions
et la réserve de la valeur au plan international, ont généré un
océan de liquidités internationales qui, dépassant par son volume
et de très loin ce qui est
nécessaire aux transactions et aux crédits internationaux, ne peut
s'employer que dans la spéculation.
A
intervalles réguliers, de véritables tsunamis financiers
provoquent sur les terres de l'économie réelle des dégâts
considérables. Aucune digue réglementaire ne peut nous protéger
de ces cataclysmes que
seule une réduction délibérée de cette gigantesque masse liquide
pourrait prévenir efficacement.
Le système
s'est largement auto entretenu en ce sens que des pays où des pans
entiers de l'économie sans
production réelle se sont habitués à vivre et parfois très
largement, d'une activité financière purement spéculative. Un
orfèvre en la matière, George Soros, qui y a gagné quelques
milliards de dollars, remarquait que les perversions des outils
financiers ont été en réalité
l'instrument par lequel l'Amérique a pu, pendant de longues
années, drainer à son profit l'épargne du reste du monde.
Si la réglementation, nationale
et internationale, est évidemment indispensable, elle
ne peut être mise en oeuvre
qu'à moyen terme et devra l'être avec une grande prudence pour
éviter des effets imprévus bien souvent contraire à ceux que l'on
escomptait.
En revanche, il nous faut aborder
dans l'urgence la question fondamentale de la réforme du système
monétaire international qui doit se doter d'une unité de compte,
d'un instrument de réserve et à défaut d'un outil de transaction,
d'un système de compensation, tandis qu'il faudra bien absorber, à
travers ce nouveau système, les masses spéculatives
privées et les réserves des
instituts d'émission principalement libellées en dollars
aujourd'hui.
Cette
indispensable et urgente réforme est ici abordée à travers quatre
idées :
-
l'économie mondiale, malade de la spéculation (I)
-
la genèse de la liquidité
spéculative (II)
-
la
crise la plus grave n'a pas encore éclaté (III)
-
quelques pistes réalistes
pour réduire la masse spéculative, équilibrer les paiements et
restaurer les mécanismes de marché (IV)
I. L'économie mondiale, malade de la spéculation
Les cinq principaux marchés qui
devraient équilibrer le système capitaliste international - le
marché monétaire, celui des devises, celui des matières premières
ainsi que le marché financier,
voire les1 marchés obligataires - ne fonctionnent plus
et depuis longtemps sur la base de la confrontation
rationnelle de l'offre et de la demande car leurs
principaux acteurs ne sont
plus du tout ceux qui achètent ou qui vendent les valeurs qui
caractérisent le marché mais des personnes totalement extérieures
à ces valeurs qui jouent, sur la base de martingales mathématiques
complexes, dans l'espoir de toujours gagner.
1.1
Marchés des matières premières
Ainsi le NYMEX, marché
new-yorkais des matières premières est-il phagocyté par
des opérateurs qui n'ont aucun
besoin pour leur activité des matières qu'ils échangent mais qui
jouent sur ce marché comme d'autres joueraient au casino.
L'augmentation délirante des prix
du pétrole, ou plus exactement les index des pétroles légers sur
les marchés « spot », puis sa diminution presque équivalente lors
des derniers mois ne peut
s'expliquer uniquement par l'évolution réelle de l'offre et de la
demande. D'ailleurs,
il n'a jamais manqué de matières premières pétrolières et au pire
moment de la spéculation, quand les cours atteignaient plus de 150
dollars le baril, pour les variétés de brut légères côtées sur les
marchés, des cargaisons entières de pétrole très lourds
n'arrivaient pas à trouver preneur.
La consommation des pays
occidentaux et des pays émergents n'a pas diminué de
manière significative
entraînant une division des cours par deux, tandis que la
production est plutôt restée stable voire en diminution. En
réalité, les spéculateurs sur les marchés pétroliers ont tout
simplement eu besoin de liquidités, ce qui les a fait vendre
massivement leurs stocks virtuels et ramené le marché aux
alentours d'un prix d'équilibre proche de celui défini, il y a
quelques mois déjà, par l'Agence Internationale de l'Energie, soit
environ 70 dollars le baril.
1.2
Marchés de devises
De même, la valeur des devises et
l'évolution de leur cours sur les marchés
internationaux n'a plus aucun
lien avec les soldes des balances de paiements, les taux d'intérêt
et les inflations respectives. Seule une spéculation
effrénée souvent irrationnelle, peut expliquer des mouvement
erratiques qui affectent essentiellement le dollar, l'euro, la
livre Sterling et le yen.
1.3
Marchés monétaires
Les taux
d'intérêt sur les marchés interbancaires ne sont pas beaucoup plus
rationnels et les « taux
directeurs » des banques centrales, à supposé qu'ils puissent
continuer à être appelés ainsi dans une période où ils se sont
éloignés de quatre ou cinq points voire plus des
taux
interbancaires, atteignent en particulier aux Etats-Unis des
niveaux, 1% pour la Fed
aujourd'hui, qui ne s'expliquent que par la volonté délibérée de
continuer à fournir une liquidité quasi gratuite à des
spéculateurs au bord de la ruine.
1.4 Marchés
boursiers
Il
faudrait certainement donner le prix Nobel d'économie à l'analyste
qui parviendrait à
discerner une logique dans les mouvements boursiers de ces
dernières années, ou à mettre
en évidence une corrélation même élastique entre la valeur d'une
action sur le marché et les perspectives de bénéfices ou de pertes
d'une entreprise cotée ou une appréciation objective de sa
valeur.
Même les marchés d'obligations
n'échappent pas à ces logiques spéculatives
puisqu'on a vu s'apprécier
les valeurs représentatives de créances titrisées manifestement
irrecouvrables1 et que les taux des
émissions obligataires des Etats ne semblent pas vraiment être
affectés par des endettements colossaux et des déficits
hallucinants.
Aucune
économie, aucun système ne peut fonctionner lorsque les marchés
qui sont censés ramener à l'équilibre sont essentiellement dirigés
par des forces qui répondent à des
logiques tout à fait extérieures
à celles des mouvements réels.
De
surcroît, toute une série d'agents, voire d'énormes pans de
l'économie, et dans des
cas
extrêmes l'essentiel d'une économie nationale, sont fondés sur des
revenus qui ne trouvent
aucune source dans un accroissement de production.
Depuis
les années 80, c'est-à-dire depuis que les masses de liquidités
internationales ont entamé une croissance exponentielle totalement
déconnectée des besoin de liquidités de
l'économie
réelle, plusieurs crises successives ont secoué fortement le
système mais elles nous
ont toujours ramené, malgré quelques monceaux de cadavres laissés
sur le bord de la route, vers une nouvelle phase de spéculation
positive, chaque fois alimentée par de nouvelles injections de
liquidités, de savants abaissements des taux d'intérêt, voire de
nouveaux desserrements de la
réglementation des marchés, pourtant déjà totalement laxistes.
II. La genèse de la liquidité spéculative
L'historique de la liquidité
spéculative remonte effectivement aux accords de
Bretton-Woods par lesquels
une monnaie s'est vue conférée indirectement le privilège d'être
traitée à l'égale de l'or, l'étalon d'autrefois, et
explicitement dispensée d'avoir à maintenir sa parité sur les
marchés puisqu 'elle était le pivot de l'ensemble2.
2.1
Bretton-Woods
Le rejet
de la proposition Keynes, consistant à l'époque à faire du Fonds
monétaire international
l'organisme mondial de compensation de toutes les balances des
paiements et d'un étalon international virtuel, le bancor,
l'instrument des réserves des banques centrales et de calcul des
compensations internationales, n'a pas paru problématique à un
moment où l'économie
américaine était prédominante, où les autorités monétaires de ce
pays détenaient l'essentiel du stock d'or monétaire mondial, à
Fort Knox, et où on faisait confiance à cette république
impériale, encore parée de toutes les vertus de la morale et de la
responsabilité.
2.2 La
balance courante des Etats-Unis
Au fil
des années, les Etats-Unis sont devenus de plus en plus
déficitaires dans leurs
paiements courants.
Cette situation, pour un pays
normal, aurait conduit à une diminution considérable des réserves
de changes et des avoirs de la banque centrale et à une forte
déflation interne. Mais compte tenu de leur véritable « privilège
d'émission internationale », les Etats-Unis ont
pu faire coexister des
déficits monstrueux et un certain équilibre de leur économie.
Cette
situation a été résumée par un responsable américain selon la
célèbre formule : « le
dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème ».
Au milieu des années 80, on
s'inquiétait de déficits américains de l'ordre de 100 à 150
milliards de dollars par an. La balance des paiements courants
américains atteint aujourd'hui
les 700 milliards de dollars ! Vers 1985, Paul Volker s'inquiétait
déjà du risque
d'effondrement du dollars et du fait que les évolutions de
l'économie américaine dépendaient désormais de forces
totalement extérieures.
2.3
La situation à la veille de la crise
Que dire aujourd'hui ? Sinon que
de rappeler que les banques centrales dans le monde ont 3 000
milliards de dollars en réserve c'est-à-dire détiennent 3 000
milliards de dollars de
créances à vue, dont elles pourraient exiger le remboursement
immédiat dans une autre devise à la banque centrale américaine.
Mais plus grave encore, des quantités beaucoup plus
importantes de dollars se trouvent détenues par des banques et des
personnes non résidentes aux
Etats-Unis et c'est cette énorme masse qui s'accroît d'elle-même
sans lien avec les déficits de paiement américains par le
mécanisme de multiplication monétaire des euro-dollars qui
alimente un système de spéculation internationale d'une ampleur
jamais atteinte dans l'histoire.
2.4
Des marchés spéculatifs alimentés par les autorités censées les
contrôler
Il est
vrai que notre spéculation contemporaine présente une
particularité totalement novatrice. Un marché spéculatif s'analyse
globalement sur la courte période comme un jeu à
somme nulle où le cumul des
pertes des uns équivaut au cumul des gains des autres. Sur la plus
longue période, les agents peuvent être globalement gagnants dans
les périodes de croissance et
globalement perdants dans les périodes de décroissance.
Or, depuis un certain nombre de
décennies et notamment depuis que les idées séduisantes mais
folles des « Chicago boys » de la secte de Milton Friedmann ont
convaincu le monde, les
marchés spéculatifs bénéficient, surtout lorsque la tendance est
baissière, d'une thérapeutique d'injection massive de liquidités
et de baisse du coût de l'emprunt par réduction du taux d'intérêt,
qui conduit les marchés ou plus exactement les spéculateurs à
continuer globalement de gagner de l'argent quand ils
devraient en perdre.
2.5 Les aveux
des coupables, les avertissements des Cassandre
Ces accusations peuvent paraître
exagérées mais elles correspondent sensiblement à ce qu'a dit Alan
Greenspan, un des gourous du système dans ce qu'il faut bien
appeler des aveux pathétiques sous la foi du serment, devant une
commission d'enquête du Congrès américain. Elles sont également
corroborées par les articles lumineux mais néanmoins
légèrement paradoxaux d'un
George Soros analysant les perversions de la spéculation depuis
trente ans avec une autorité d'autant plus grande qu'il y a
gagné un nombre respectable de milliards de dollars !
Plus convaincant encore est le
fait que la description qui précède et les avertissements sur les
risques énormes que fait courir à l'économie mondiale de telles
pratiques ont été dénoncées dans les années 80 par de très
nombreux auteurs dans une multitude d'ouvrages. Rien qu'en France,
de Jean Denizet à Maurice Allais, en passant par
François Perroux, la
bibliographie des analyses prémonitoires à deux ou trois décennies
de distance de la crise est déjà très vaste.
Cependant,
l'appât du gain et la persistance de ce gain au-delà de crises
successives a
été bien
plus fort que ces avertissements. Des pays entiers vivent de la
spéculation : la
Grande-Bretagne pour un quart de son PIB, des enclaves de
prospérité comme Dubaï et
Singapour ou dans un cas extrême l'Islande, tandis que les
Etats-Unis ont réussi à tirer profit indirectement de leurs
propres déséquilibres, jusqu'à l'éclatement actuel.
III. La crise la plus grave n'a pas encore vraiment éclaté.
3.1 Le risque
dollar
La crise que nous vivons, si elle
dépasse en gravité toutes celles qui ont affecté la
sphère financière au cours
des dernières décennies, n'est cependant pas pour le moment d'une
nature différente tandis qu'elle continue à susciter des
propositions de réforme relativement peu originales.
Pour le moment, le pire n'est pas
encore arrivé et d'une certaine manière, la grande
crise redoutée par les auteurs
cités des années 80 n'a pas encore éclaté. En effet, la plus
grande inquiétude que l'on puisse avoir serait que le
dollar ne s'effondre, ce qui serait parfaitement logique compte
tenu de l'incapacité absolue des uns et des autres de défendre sa
parité, des taux d'intérêt
américains anormalement bas et très inférieurs à tout ce qui se
pratique partout ailleurs dans le monde et des niveaux du
déficit des paiements américains qui atteint des records absolus.
3.2 Les solutions actuellement développées
Paradoxalement, le dollar se
maintient et s'apprécie même au bénéfice de la crise puisque les
spéculateurs ont besoin de liquidités, que tout naturellement ils
vendent leurs actifs pour
trouver de la liquidité, que celle-ci est abondante en dollars et
que finalement il apparaît à court terme utile voire
bénéfique de remplacer les placements spéculatifs par
l'acquisition massive de « T-bills » (Treasury bills) américains.
Au-delà
des appels lénifiants à la réglementation des marchés, les
solutions mises en oeuvre
concrètement par les autorités sont globalement les mêmes que pour
les crises précédentes et les
aveux de Greespan sur ses erreurs fondamentales n'empêchent
nullement de recourir
à de nouvelles injections de liquidités, avec des taux d'intérêt
toujours plus bas.
Si chacun comprend qu'à court
tenue il faut bien sauver le système, il n'en demeure pas moins
que le remède aggrave le mal à moyen terme.
On va
même aujourd'hui beaucoup plus loin que par le passé dans la
rémission des
péchés et
dans l'absolution des fautes sans repentance ni pénitence. Dans un
premier temps, la plupart des pays du monde ont accepté de
recapitaliser, par des fonds levés avec la garantie de
l'Etat
sur les marchés, des banques défaillantes tandis que l'on se
propose pour empêcher que
ces banques ne soient pénalisées dans leurs comptes par la
dépréciation des marchés financiers de faire évoluer la norme ÏFRS
en leur permettant d'enregistrer leurs actifs
financiers non pas à la
valeur du marché mais à la valeur d'acquisition.
Ainsi, dans les crises
précédentes, si le système a bénéficié de l'injection salvatrice
de liquidités, les intervenants qui ont le plus fortement fauté
n'ont même plus à craindre la
faillite puisqu'ils sont garantis par l'Etat, ni même de
conséquences sur leurs actifs de la chute des marchés financiers
puisqu'on veut les autoriser à enregistrer leurs valeurs
mobilières à une valeur parfaitement fictive.
A un moment où tout le monde
parle de réglementation, de confiance voire de moralisation, il
est tout de même surprenant que l'on veuille commencer par une
facilité qui, si elle avait été appliquée intégralement en 1918,
aurait permis à une banque qui aurait converti en 1914 tous ses
actifs en emprunts russes de conserver un bilan traduisant une
parfaite santé financière
jusqu'à l'instant où elle aurait connu une faillite retentissante
!
Quant à
l'affichage d'une « volonté régulatrice » des marchés et
moralisatrice du
capitalisme, elle doit plus nous inquiéter que nous rassurer.
D'abord parce qu'une
réglementation des marchés ne doit pas se faire à chaud, dans la
précipitation et dans l'émotion, tant des mesures d'apparence
technique peuvent avoir de
très importantes conséquences et des effets inverses à ceux qui
étaient recherchés.
Ensuite
parce que la réglementation,brutalement appliquée, peut avoir des
effets récessionnistes qui pénaliseraient l'ensemble des agents
sans pour autant cibler les fautifs. A
supposer
que l'on parvienne brusquement à supprimer tous les paradis
fiscaux, il en résulterait
probablement beaucoup plus
d'effets négatifs à court terme que positifs même si l'oeuvre de
longue haleine d'élimination de ces situations scandaleuses voire
criminogènes doit être entreprise avec détermination.
Enfin, il
est tout de même choquant et paradoxal de tenir un discours
moralisateur et régulateur après avoir accordé la garantie de l'Etat
à toutes les fautes financières, continué
d'encourager les pratiques
spéculatives en innondant à nouveau le marché de liquidités, et
s'être proposé d'ériger la tromperie financière au rang de norme
comptable par la réforme précitée de l'IFRS.
IV. Plaidoyer pour une solution réaliste : réduire la masse
spéculative, equilibrer les paiements, restaurer les mécanismes de
marché.
4.1 Réduire la
masse spéculative
L'existence d'une immense liquidité, auxquelles de surcroît les
moyens modernes de
communication ont donné une capacité de déplacement quasiment
instantanée, où pour employer
un terme exact s'agissant de la monnaie, une vitesse de
circulation que n'aurait pu imaginer Irving Fischer
constitue le plus grand facteur de troubles.
Vouloir réglementer les marchés
et les pratiques spéculatives sans réduire
préalablement cet océan de
liquidité qui ne peut trouver à s'employer que dans la spéculation
est parfaitement vain.
Pour
l'essentiel, et bien qu'il soit politiquement incorrect en ces
temps d'euphorie
Obamanienne de rappeler et de souligner la responsabilité
historique et immense des Etats-Unis d'Amérique dans ce qui nous
arrive aujourd'hui, il faut affirmer que l'abus manifeste de la
situation du dollar comme étalon par les Etats-Unis, puis la
multiplication monétaire fort mal contrôlée des euro dollars,
c'est-à-dire des devises américaines détenues par des non-résidents,
est à l'origine de cet océan agité qui noie les terres émergées de
l'économie sous des tsunamis successifs de spéculations
incontrôlées.
De même
qu'on endigue difficilement les flots, il est probablement
impossible par la réglementation d'éviter ces mouvements sauf à
réduire préalablement cette masse à ce qui est nécessaire aux
besoins du commerce international, à une expansion du crédit
sensiblement corrélée à la croissance, au niveau général des prix
et à la vitesse de circulation.
On peut imaginer de manière
totalement irréaliste de compenser une génération de déficit par
une génération d'excédents équivalents.
A
supposer que les Etats-Unis reviennent à un équilibre progressif
de la balance des paiements courants, il faudrait quelques
décennies d'un excédent comparable au cumul des excédents actuels
de l'Allemagne et du Japon pour retrouver par ce mécanisme
hypothétique une
stabilisation de la situation.
Tout le monde s'accordera assez
facilement sur l'objectif d'une réforme raisonnable
du système actuel qualifié à
tort de Bretton-Woods, lequel a disparu le 15 août 1971 et a été
remplacé par les
flottements généralisés quelques années plus tard. On pourrait
s'appuyer pour définir l'objectif à atteindre de ce point
de vue sur la synthèse relativement simplifiée et sommairement
exposée par Bruce Greenwald et Joseph Stiglitz en juin 2008 («A
modest proposai for international monetary reform » at
International Economic Association Meeting in Istambul, June
2008).
Il s'agit sommairement de
remplacer les quelques 3 000 milliards de dollars qui
servent dans les banques
centrales de réserves par des allocations équivalentes de Droits
de Tirage Spéciaux ou SDR {Special Drawing Rights).
Cette proposition qui consiste
partiellement à réinventer
soixante ans après le « bancor » de Keynes ou à donner corps au
système de droits de tirage spéciaux trente ans après la
conférence de Kingstown, s'il est parfaitement
compréhensible et acceptable sur le plan intellectuel, suscite au
moins deux objections majeures.
La première est de nature
géopolitique car, sauf à imaginer que les contreparties dollars
dans les réserves des banques centrales s'évaporeront
spontanément, il faut bien
admettre qu'elles sont représentatives d'une dette à vue,
immédiatement exigible, même si elle
n'a jamais été exigée, que
les Etats-Unis ont, à travers leur déficit contracté envers le
reste du monde. Faut-il admettre que pour éponger cette dette le
reste du monde doive se cotiser pour payer l'ardoise du
pays qui est encore en terme de PIB la première puissance
économique mondiale ?
Par
ailleurs, au-delà des avoirs des banques centrales en dollars, il
reste à traiter la
question non négligeable - bien que pendant longtemps on ait
qualifié le déficit américain de
« benign effect » - des masses
plus considérables encore détenues par les non-résidents privés
qui tout autant représentent l'essentiel de l'énorme dette
contractée par les Etats-Unis d'Amérique vis-à-vis du reste du
monde.
4.2 Organiser
l'équilibre des paiements à travers une clearing union
A
supposer que l'on règle le problème des réserves de banques
centrales qui seraient
libellées en Droits de Tirage Spéciaux émis par le Fonds Monétaire
International, il n'en
demeure pas moins que les échanges internationaux ont besoin tout
à la fois d'une monnaie support de ces échanges, réserve de
la valeur et unité de compte internationale. A moins d'imaginer,
ce qui paraît complètement irréaliste, que les échanges
internationaux se fassent en
Droits de Tirage Spéciaux, il faudra bien soit que les échanges se
fassent au sein des zones
monétaires dans la devise
dominante de la zone, soit au-delà des zones monétaires dans l'une
des monnaies dominantes
des échanges internationaux qui sont toujours globalement :
dollars, euros, yen et livre.
Le FMI
pourrait aussi revenir à la seconde proposition de Keynes à
l'époque, à savoir
un
organisme multilatéral de compensation de balances de paiement
comme le fut plus tard
l'Union Européenne des Paiements entre les pays européens
bénéficiaires de l'aide du plan Marshall.
Quoi
qu'il en soit, l'objectif serait par un système de compensation
intégral et par le refus d'accorder à un quelconque Etat, fut-il
le plus puissant, ce qui a été pour les Etats-Unis
d'une certaine manière ce que
l'on pourrait appeler un privilège d'émission de monnaie
internationale, d'éviter qu'à aucun moment, un Etat puisse
impunément s'installer structurellement dans le déficit de ses
comptes extérieurs.
4.3 Restaurer les
mécanismes de marché 3
Au-delà de la réduction de la masse
des liquidités internationales au niveau des besoins de l'économie
réelle, il importe, si l'on veut permettre aux marchés de retrouver
leurs fonctions premières, celles du retour à l'équilibre, de mettre
en oeuvre deux réglementations fondamentales.
La première consiste à limiter
l'accès à un marché à ceux qui ont vocation à y intervenir ou qui
font profession d'y représenter ceux qui ont réellement besoin dans
leur activité des valeurs échangées sur ledit marché. Il est
aberrant, qu'à un moment donné, 70% des ordres passés sur le NYMEX
concernent des mandataires qui n'ont aucune activité professionnelle
en relation avec les biens ou les matières premières qu'ils
échangent ainsi plusieurs fois par jour dans le simple but de
dégager une plus-value de très court terme.
Si ces personnes ont un besoin
irrépressible de jouer avec leur argent, on pourra leur conseiller
utilement selon leurs aspirations personnelles et leurs origines
ethnico-culturelles, les combats de coq, les courses de lévriers, le
Mahjong ou le pari mutuel urbain à moins qu'ils ne préfèrent
classiquement les tapis verts des casinos.
Ce qu'ils ont fait en quelques
années des marchés économiques et financiers les a rendu plutôt
moins rationnels que les jeux précités car je ne suis pas certain
que la décision compulsive d'un trader surmené d'aller sur telle et
telle valeur qu'il reniera d'ailleurs un quart d'heure après soit
beaucoup plus rationnelle et scientifique que celle d'un « accro »
aux martingales du Baccara ou de la roulette.
Faute de cette règle, il se
trouvera toujours des personnes pour transformer des lieux
d'arbitrage entre l'offre et la demande pour les besoins d'une
activité professionnelle en ce que l'on pourrait appeler un « casino
mondial ».
La seconde réglementation touche
évidemment à la rémunération et à la responsabilité des intervenants
sur les marchés. S'il est tout à fait légitime de rémunérer une
fonction d'arbitrage, il est aberrant de penser que cette
rémunération atteigne de tels niveaux au point de représenter
l'essentiel du revenu d'un individu, d'une entreprise et, dans
certains cas, d'un pays tout entier4 .
Conclusion
Pour hétérodoxes qu'elles
paraissent, les analyses et les propositions faites ici sont la
reprise ou la synthèse de ce qui a été dit par des économistes et
des praticiens reconnus depuis plusieurs décennies.
L'appétit d'un gain rapide et
irraisonné, malgré les crises successives et un taux de mortalité
non négligeable chez les intervenants, constituera toujours
un contrepoids redoutable face à des analyses et des
propositions qui n'ont pour elles que leur caractère rationnel et
leur honnêteté intellectuelle.
Depuis toujours, chacun sait qu'il
n'existe pas durablement de joueur qui meurt riche, que les seuls
gagnants aux jeux de hasard sont les commanditaires des casinos et
les autorités fiscales. Cela n'empêche pas malheureusement, en
raison de la faiblesse de la nature humaine que tant de gens se
ruinent encore au jeu.
Libre à eux de le faire avec leur
argent s'ils en ont mais il appartient aux Etats et à l'organisation
internationale qu'ils ne le fassent pas avec l'argent des autres et
que leurs activités irresponsables ne déséquilibrent pas en
permanence les marchés et les économies.
_____________________
1
Tout
un marché obligataire s'est développé sur le principe selon lequel
plus une obligation présenterait un risque de
non-remboursement, plus son taux devait être élevé, d'où une
véritable spéculation sur les « junk bonds ».
2
Ce «
privilège du dollar » ne résulte pas directement des dispositions du
traité mais du choix ultérieur des Etats-Unis
de garantir la convertibilité du
dollar en or sur la base de 35 dollars l'once.
3
Il
faut tout de même rappeler que ce ne sont pas les mécanismes de
marché qui ont failli mais leur perversion au
moyen d'instruments complexes
et opaques, par ceux-là mêmes qui avaient érigé les dogmes du
marchés en fondamentalisme idéologique...
4
L'analyse des comptes des groupes bancaires ces jours-ci montrent
que dans certains cas, l'activité « casino
international » pouvait représenter
les trois quarts du profit!