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Commission des affaires étrangères

Mardi 13 mai 2008

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 49

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Bernard Kouchner, Ministre des affaires étrangères et européennes

Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Le Président Axel Poniatowski a remercié M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, d’avoir répondu à l’invitation de la commission pour évoquer une actualité internationale chargée.

Il s’est tout d’abord enquis de l’état du déploiement de l’Eufor au Tchad et en République Centrafricaine. Quels sont les moyens nécessaires à l’accomplissement de la mission ? Ceux qui ont été arrêtés sont-ils suffisants, notamment dans le domaine du transport aérien ?

Il a souhaité connaître l’avis du ministre s’agissant des propos du Général Bentégeat qui aurait déclaré, le 28 avril dernier, que la prolongation du mandat de l’Eufor au-delà d’un an, jusqu’en mars 2009, était une « très mauvaise idée » ? Si tel est le cas, quelles alternatives envisager ?

Quelle est par ailleurs l’état de la situation depuis l’attaque des forces rebelles du Darfour contre Khartoum ?

Enfin, concernant la Géorgie, il lui a demandé quel crédit il convenait d’accorder à la déclaration de M. Mikhaïl Saakachvili pour qui un conflit ouvert serait possible avec la Russie et quel est le bilan de la mission des ministres des affaires étrangères européens qui se sont rendus en Géorgie ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a indiqué que l’Eufor comprendra au maximum 3700 hommes, dont 2100 Français. Actuellement, entre 2300 et 2500 hommes sont déployés, 17 nations intervenant sur le terrain, 22 pays étant représentés dans la chaîne de commandement qui siège au Mont Valérien et 27 pays participant au financement.

La mission a commencé dans de sinistres conditions, avec la mort d’un soldat Français, tué par les Soudanais. La semaine dernière, un ressortissant français, Pascal Marlinge, qui dirigeait l’ONG Save The Children a été assassiné. C’est pour cela, pour protéger les populations civiles, que l’Eufor a été déployée. D’après les derniers renseignements, notamment la visite de Javier Solana il y a quelques jours, cette force remplit sa mission. La capacité opérationnelle maximale sera atteinte mi-juin, ce qui permettra de créer un environnement de sécurité nécessaire aux opérations de reconstruction pour les organisations internationales et les ONG qui constituent l’objectif de cette opération de sécurisation. Le ministre a rappelé qu’il s’agissait de la plus grande mission européenne jamais envoyée et qu’elle permettrait aux ONG, en concertation avec les Tchadiens, d’intervenir dans les meilleures conditions. Il a précisé que les villages implantés sur la ligne de front, et qui ont subi les attaques des milices Janjawids, seraient reconstruits mais vraisemblablement déplacés pour être mieux protégés et bénéficier d’un accès à l’eau.

Parallèlement, le déploiement de la force hybride des Nations Unies et de l’Union Africaine n’est pas encore achevé.

Ces deux forces répondent à des conceptions distinctes et complémentaires : l’une du côté du Soudan vers le Darfour, est chargée de protéger les populations qui s’y trouvent encore, voire porter assistance dans des camps, tandis que l’autre, du côté tchadien, doit assurer la protection des personnes déplacées dans leur propre pays, et des populations réfugiées qui ont franchi une frontière, même si elles relèvent d’un statut différent.

Le ministre s’est étonné des propos du Général Bentégeat, car il n’est pas prévu que l’Eufor reste en place plus d’un an, délai au terme duquel elle pourrait passer le relais aux forces des Nations Unies, notamment la MINURCAT. En revanche, l’Eufor sera évaluée au bout de six mois.

Il a confirmé que la situation sur le terrain était effectivement préoccupante. Il y a eu d’abord des forces entraînées au Soudan qui ont menacé le Tchad, puis, il y a quelques jours, ce sont des forces islamistes robustes – dont on ne sait si elles ont reçu la protection d’Idriss Deby – du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) de Khalil Ibrahim, qui ont progressé jusqu’à Khartoum où elles ont été défaites.

Tout cela montre la dangerosité de la situation et la nécessité du déploiement de l’Eufor et de la force hybride sans lesquelles il ne sera pas possible d’instaurer la sécurité.

Actuellement, les combats et les bombardements par les avions soudanais continuent et les infiltrations se poursuivent mais il faut persévérer et mener à bien le déploiement non seulement de l’Eufor – déjà bien engagé – mais aussi de la force hybride plus lente à se mettre en place.

Ces deux opérations, le ministre a tenu à le rappeler, sont issues du vote de résolutions des Nations unies et sont placées sous Chapitre VII, qui permet au besoin l’usage de la force.

S’agissant de la Géorgie, plusieurs pays européens dont les six pays fondateurs de la communauté européenne n’ont pas voulu, lors du dernier sommet d’avril à Bucarest, lui offrir le MAP, c’est-à-dire la possibilité d’adhérer dès à présent à l’OTAN non plus qu’à l’Ukraine. Il a toutefois été affirmé dans un document que la vocation naturelle de ces pays était de rejoindre l’OTAN s’ils le souhaitaient.

La tension entre la Géorgie et la Russie s’est accentuée après qu'un drone survolant l’Abkhazie a été abattu semble-t-il par un avion russe, ce que dément la Russie. La situation est périlleuse. La Russie a récemment renforcé ses liens avec l’Ossetie du Sud et surtout avec l’Abkhazie, située en territoire géorgien.

Quant à la mission en Géorgie que viennent d’effectuer certains ministres européens des affaires étrangères, le ministre a indiqué qu’il avait constaté avec surprise le déplacement notamment des ministres des affaires étrangères de Lituanie, de Suède et de M. Rupel, ministre des affaires étrangères slovène. L’usage eût réclamé que la troïka qui comprend le pays assurant la présidence de l’Union et son successeur, en l’occurrence la France en la personne de son ministre des affaires étrangères, et le haut représentant Javier Solana se rende sur place. Cela n’a pas été le cas et cette visite de courtoisie et de soutien qui s’est achevée fera l’objet d’un compte rendu que le ministre, dès qu’il en aura eu connaissance, communiquera au Parlement.

Des pourparlers sont en cours avec Moscou, il faut espérer qu’ils seront couronnés de succès.

Par ailleurs, le ministre a confirmé que la Lituanie avait annoncé la levée de son veto, qui bloquait la définition du mandat de négociation, par la commission, du nouvel accord UE/Russie. Il restait quelques difficultés techniques mais nous avions bon espoir que le mandat soit adopté dans les semaines à venir.

M. Jacques Myard a tout d’abord remercié le ministre qui, suite à sa demande, est intervenu auprès de la Commission, dont la politique linguistique est proprement scandaleuse, en faveur de l’emploi de la langue française au sein d’Eurostat.

Il a rappelé que l’on assistait, dans un monde de plus en plus balkanisé, à la multiplication de crises violentes et à l’instauration de très fortes tensions dans tous les domaines, qu’il s’agisse des déséquilibres démographiques, des crises alimentaires, du coût des matières premières ou de la crise du système monétaire international.

Aujourd’hui, l’absence de structure étatique forte en Afrique fait que ce continent est en proie à des crises régulières. Il est donc nécessaire pour notre pays de se préparer à affronter tous ces risques, y compris militaires.

Il a demandé au ministre où en était la préparation du Livre blanc sur la défense et du Livre blanc sur la politique étrangère, tant il est vrai que ces deux réflexions étroitement liées vont de pair.

Parce qu’il est devenu impératif de disposer d’un outil militaire ad hoc, qui dépende du seul Gouvernement français, pour affronter la montée des dangers, l’intégration de la France dans l’OTAN constituerait une faute militaire et diplomatique majeure : où en est la réflexion à ce sujet ?

Le ministre a rappelé que la démocratie avait progressé en Afrique, où les conflits encore très sérieux étaient cependant moins nombreux qu’il y a une vingtaine d’années.

Néanmoins, il est vrai et cela est très préoccupant, les tensions alimentaires restent graves et dangereuses. Elles posent le problème de la démographie mondiale galopante et du prix des matières premières alimentaires sur lesquelles s’exerce une spéculation intolérable. Sans parler des questions agro-alimentaires pendantes : que faire des bio-carburants ? Peut-on poursuivre la culture du maïs alors qu’elle coûte cher et prend de la place ? Quel avenir pour la PAC?

Il ne peut en effet y avoir de diplomatie européenne et de diplomatie française sans un appareil de défense conséquent. Dans quelques jours, le ministère de la défense et lui-même présenteront avec M. Jean-Claude Mallet aux commissions des affaires étrangères et de la défense le livre blanc sur la défense, qui sera de nature à répondre aux préoccupations des députés. Il n’est pas question de remettre en cause l’autonomie de notre outil de défense nationale qui garantit notre capacité de défense et de projection de nos forces.

Ce livre blanc est à mettre en rapport avec le livre blanc sur la politique étrangère, que M. Alain Juppé et M. Louis Schweitzer devraient achever début juin.

Le ministre a rappelé que la France fait déjà partie de l’OTAN même si elle n’est pas présente dans toutes les instances décisionnelles. La France participe pleinement aux opérations de l’OTAN notamment en Afghanistan et au Kosovo, où elle a d’ailleurs la responsabilité du commandement. Nous nous trouvons actuellement au point où, n’étant pas présents dans les commandements intégrés, nous sommes néanmoins commandés. Le monde aujourd’hui a changé, les menaces ont évolué. Sans qu’il soit question de demander le commandement Sud, nous pourrions dès lors revenir dans les structures de commandement intégrées si nous parvenons à développer l’outil de défense européen. L’évolution des Américains à ce sujet est très encourageante : le Président Bush a dit à Bucarest comprendre cette démarche, considérant comme légitime la construction d’une défense européenne.

Le contexte a donc évolué et nous cherchons avec nos partenaires européens comment nous pouvons développer cet appareil de défense européen. Celui-ci est indispensable, si nous ne voulons pas dépendre exclusivement de l’influence américaine dans l’OTAN.

M. Jean-Paul Lecoq a rappelé que les visiteurs européens n’étaient pas les bienvenus au Maroc lorsqu’ils s’intéressent de trop près à la situation du respect des droits de l’Homme au Sahara occidental occupé par le royaume marocain depuis 1975. Après l’arrestation de syndicalistes espagnols, français et italiens en février, c’est une mission d’observation française qui a été arrêtée, puis expulsée du Maroc. Arrivée à Marrakech le 20 avril, cette mission a commencé son travail au lendemain du procès de Naâma Asfari, coprésident du Comité pour le respect des libertés et des droits humains au Sahara occidental, dont l’activité pourrait être neutralisée par les autorités marocaines pour délit de droit commun. Les membres de la délégation ont été arrêtés par les services de sûreté marocains, leurs passeports confisqués. Ils ont été interrogés comme s’ils étaient des criminels avant d’être expulsés manu militari.

En ce qui concerne M. Asfari, ce dernier est venu en février dernier à une réunion à l’Assemblée nationale, et lors des interrogatoires, il lui a été demandé qui il avait rencontré en février dans notre Assemblée. On peut donc s’interroger sur de possibles échanges d’informations entre les policiers marocains et les policiers français.

Le 10 mai, M. Hammoud, défenseur des droits humains et président de la section de Lâyyoune de l’Association marocaine des droits humains, a été à son tour enlevé par des policiers en civil, interrogé et soumis à de mauvais traitements avant d’être abandonné dans un lieu isolé.

Devant des faits aussi graves, le Gouvernement s’est bien gardé, semble-t-il, d’émettre la moindre protestation publique. Le silence du ministre des affaires étrangères – qui se déclare pourtant sensible à la question des droits de l’homme – à l’égard du gouvernement marocain qui viole systématiquement les droits humains et les droits du peuple sahraoui donne à penser que notre démocratie serait totalement soumise aux volontés du roi du Maroc.

Certes il n’y a plus de guerre au Sahara Occidental mais pour la simple raison que les Sahraouis ont accepté le cessez-le-feu en échange d’un référendum d’autodétermination initialement prévu en 1992 et qui n’a toujours pas eu lieu. Des conflits restent en suspens, voire une future guerre.

Trouvant peu agréable la critique qui lui était adressée, le ministre a indiqué qu’il connaissait très bien le Polisario pour en avoir été le médecin à l’époque de la création de Médecins Sans Frontières (MSF).

Le ministre a désapprouvé l’analyse qui venait d’être faite de la violation ou non des droits de l’homme et du conflit au Sahara occidental. Quant à la proposition d’autonomie contrôlée, le ministre a estimé qu’elle était une proposition juste. Les Nations-Unies ont reconnu l’intérêt de cette proposition ; un nouveau représentant du Secrétaire général de l’ONU, M. Van Walsum, s’est rendu sur place ; les négociations semblent repartir et permettront peut-être de sortir d’un des plus vieux conflits gelés au monde, qui dure depuis plus de trente ans.

Le ministre a par ailleurs déploré les événements évoqués par M. Lecoq, dont il n’avait pas été informé, et a nié très vigoureusement recevoir des ordres quelconques du gouvernement marocain.

Il a enfin rappelé que la situation des droits de l’Homme avait évolué au Maroc dans un sens positif.

M. François Loncle a fait observer que désormais ce n’est plus la position du Président Bush mais celle de son successeur qu’il sera important de connaître sur la défense européenne. Il a ensuite interrogé le ministre sur Ingrid Betancourt. Il s’est félicité du fait que le Quai d’Orsay se soit débarrassé du directeur des Amériques et des Caraïbes, M. Daniel Parfait, nommé ambassadeur à Mexico, et s’est demandé s’il s’agissait d’une « sanction promotionnelle ». Qui sera désormais chargé, à part le ministre, du dossier d’Ingrid Betancourt ?

Par ailleurs, selon la presse espagnole, « l’excellent » président du Venezuela aurait vendu ou promis de vendre des armes aux FARC. Le ministre dispose-t-il d’informations à ce sujet ?

Pour ce qui est de la Chine, il est regrettable qu’après que le ministre ou Mme Rama Yade ont demandé au gouvernement chinois d’agir pour que les Jeux Olympiques se déroulent dans des conditions honorables, le gouvernement français y ait envoyé des émissaires – un ancien Premier ministre, le président du Sénat, un haut fonctionnaire de l’Elysée –, pour s’excuser en quelque sorte de l’indiscipline des Français. Que pense le ministre de cette deuxième phase ? Qu’est-il prévu pour la suite ?

Le ministre a déclaré que M. Daniel Parfait, qui avait très bien rempli sa tâche, de façon humaine et scientifiquement fondée, n’avait été ni exécuté, ni puni, ni déplacé.

Six otages prisonniers des FARC ont été libérés, et la France fera tout pour en libérer quatre autres parmi lesquels Ingrid Betancourt. La libération des otages passe par une politique des droits de l’homme, que la France s’emploie à défendre. Des liens ont été renoués avec le président colombien Uribe ainsi qu’avec le nouveau président de l’Equateur, M. Correa, très ouvert d’esprit, actuellement à Paris et que le ministre doit rencontrer à l’Elysée à l’issue même de cette réunion, et également avec le Président Chavez. Le ministre, tout en reconnaissant que les trafics d’armes existent dans la région
– les FARC en disposent – s’est refusé à se prononcer sur les accusations émises dans le journal El Pais. Le fait que ces informations proviendraient de l’ordinateur de Raoul Reyes, numéro deux des FARC, est jugé peu crédible par le président Chavez et le président Correa, qui jugent ces pièces fabriquées.

Concernant la Chine et le Tibet, les visites de M. Raffarin et de M. Levitte étaient prévues de longue date. Le contact a été maintenu des deux côtés, M. le ministre ayant parlé au téléphone deux ou trois fois par semaine avec le Dalaï lama. Selon ce dernier, la situation évolue dans le bon sens, le dialogue reprend, ce dont la France se félicite. Une autre rencontre est prévue entre le Dalaï Lama et les autorités chinoises. Le ministre a précisé qu’il se rendrait prochainement en Chine et a indiqué avoir rencontré une personnalité très informée et modérée en la personne du nouvel ambassadeur de Chine à Paris. Il a émis le souhait que ce dialogue permette au Président de la République de décider de sa participation ou non à la cérémonie d’ouverture des Jeux.

M. Renaud Muselier a souligné la gravité de la situation au Darfour en proie à la guerre civile et au génocide qui se poursuivent sans qu’aucune voix ne s’élève. Il y a pourtant un risque énorme que cette situation se propage à la zone francophone de l’Afrique qui pourrait basculer comme un domino, ce qui serait catastrophique. Il a demandé au ministre où en était le projet d’Union pour la Méditerranée qui doit être lancé lors du sommet des chefs d’Etat du 13 juillet à Paris. Qui viendra à ce sommet ? Quels seront les moyens mis en oeuvre ? Ce projet, déclaré prioritaire par le Président de la République, concerne tout à la fois la démographie, la démocratie, la crise alimentaire, l’accès à l’eau, les rapports Nord-Sud. On voit donc à quel point il est indispensable de faire de ce sommet un succès.

Le ministre a indiqué que tous les chefs d’État de la rive Nord conviés à cette réunion seraient présents le 13 juillet. L’immense majorité des chefs d’État de la rive Sud devraient y participer, même si la présence de M. Kadhafi et de M. Bouteflika n’est pas certaine.

Si le projet d’Union pour la Méditerranée suscite toujours autant d’enthousiasme, sa réalisation n’est pas simple. Il faudra, d’ici le 13 juillet, présenter des projets qui feront la différence entre l’Union pour la Méditerranée et le processus de Barcelone. Ces projets seront à géométrie variable en fonction des pays qui y participeront et feront appel à des financements mixtes publics et privés.

Deux co-présidents seront à la tête de l’UPM, un représentant des pays de la rive Nord, l’autre des pays de la rive Sud, pour deux ans, ce qui permettra une réunion annuelle au Nord puis au Sud. Quant au secrétariat, ses missions et sa composition exacte soulèvent encore quelques questions. Qui y participera ? Quelles seront ses tâches ? Il s’agira sans doute d’animer les projets, de les déterminer, peut-être de participer à la recherche du financement, et surtout de les suivre. C’est là un point majeur. L’autre question importante qui demeure est celle de la place de la Commission européenne. Sera-t-elle représentée dans le secrétariat ou non ? Participera-t-elle au financement ? C’est à espérer.

La première version de la déclaration du 13 juillet est presque achevée. Elle sera envoyée à tous les pays riverains de la Méditerranée, pour être discutée.

M. François Rochebloine, revenant sur la situation d’Ingrid Betancourt, s’est étonné du déroulement des opérations menées pour la libérer. Des avions sont envoyés, ils reviennent vides, puis l’on n’entend plus parler de rien. Ce caractère cyclique est très éprouvant pour sa famille et ses proches. On nous a dit que Mme Betancourt vivrait ses dernières heures. Qu’en est-il exactement ? Dispose-t-on d’informations plus précises auprès des responsables colombiens ou équatoriens ? S’est-on trouvé dans une situation très proche de sa libération ?

Que pense par ailleurs le ministre de l’éventuelle abrogation de l’article 88-5 de la Constitution ?

Le ministre a expliqué qu’une équipe avait en effet attendu la libération de Mme Betancourt qui n’a malheureusement pas eu lieu mais qui était proche de se réaliser. Si Raoul Reyes n’avait pas été tué, il est probable que Mme Betancourt au moins aurait été libérée et, sans doute, avec elle les trois autres civils détenus que nous aurions rapatriés dans un avion spécialement équipé.

Il est impossible de connaître précisément son état de santé, les informations reçues étant contradictoires. Quoi qu’il en soit, il est évident qu’une personne qui a séjourné sept ans dans la jungle retenue par les FARC ne peut pas être en bonne santé. Le témoignage livré par un ancien otage qui a côtoyé Ingrid Betancourt sur les conditions de détention montre le caractère inhumain de cette captivité. Il est impossible de savoir exactement quelle est sa situation.

S’agissant par ailleurs de l’article 88-5, le ministre a considéré qu’il était injuste en ce qu’il soumettait à référendum l’adhésion de tout nouveau pays à l’Union européenne, et de ce fait bloquerait vraisemblablement l’entrée de la Turquie ou de la Serbie. Le ministre a déclaré qu’il n’était pas partisan d’une sélection d’un pays par rapport à un autre, à moins que des accusations très précises ne soient portées contre un Etat candidat. L’Union s’enrichira de l’arrivée à terme des pays balkaniques manifestement européens qui ont vocation à la rejoindre. Le ministre s’est par ailleurs félicité des dernières élections en Serbie qui ont consacré la victoire des démocrates par 39 % contre 29 % aux nationalistes.

M. Jean-Pierre Kucheida s’est inquiété de la future position de la France par rapport à l’OTAN. En réintégrant complètement l’Alliance, n’allons-nous pas nous retrouver dans la dépendance de choix américains excessifs relevant d’une autre époque ? A cet égard, l’installation en Pologne et en République tchèque de boucliers anti-missiles est une provocation à l’égard de la Russie.

Il s’est également ému de l’état des relations entre la Russie et la Géorgie, mélange d’avancées et de provocations. Quelle est la position de la France dans ce dossier ?

S’agissant du Liban, qui connaît une grave crise, il a demandé au ministre comment il analysait les menaces proférées par les Etats-Unis à l’encontre de la Syrie et de l’Iran, notamment dans la perspective d’une éventuelle présidence McCain ?

Déclarant que « nous avons été baladés » depuis plusieurs années sur le dossier chinois, il a demandé au ministre ce qu’il pensait de tous les efforts déployés pour calmer les choses avant l’ouverture des JO ? N’a-t-il pas le sentiment d’être dupé dans cette affaire ?

Le ministre ayant déjà répondu aux questions sur la Chine, la Géorgie et l’OTAN, le président a invité M. Kucheida à se reporter au compte rendu. Le ministre a déclaré que l’Europe devrait assumer sa responsabilité dans les affaires internationales pendant la période du changement de présidence aux Etats-Unis.

Concernant la Syrie et l’Iran, si le président Bush s’est exprimé très fermement, Mme Clinton s’est montrée encore plus vigoureuse. Il y aura sans doute une nouvelle approche mais la fermeté restera de mise sur le dossier iranien. La France reste très attentive à la situation, de même que la Chine, la Russie, les États-Unis, l’Allemagne et l’Angleterre. Téhéran recevra une lettre contenant les dernières propositions de ces six pays qui accompagnaient les sanctions de la troisième résolution des Nations unies. Il n’est pas question de relâcher la pression dans cette affaire.

Un sentiment de menace pèse sur la frontière russe. La crise antimissile ne concerne pas l’OTAN ; il s’agit d’une question bilatérale entre Américains, Tchèques et Polonais – M. Poutine ne l’a pas évoquée lors du sommet de Bucarest mais à Sotchi avec Georges Bush où une position plus souple semble s’être dégagée. Il demeure que les Six, comme l’Europe et l’OTAN s’inquiètent des missiles balistiques iraniens.

Pour ce qui est de la situation au Liban, la France soutient le gouvernement légitime de M. Fouad Siniora, et elle souhaite que le pays se dote au plus vite d’un président. La mission de médiation envoyée par la Ligue arabe arrive demain au Liban. Si la situation s’apaise quelque peu à Beyrouth, il n’en va pas de même à Tripoli. Contrairement à ce qui a pu être prétendu, la France n’a jamais tenté de passer en force, mais elle a au contraire voulu s’entremettre le plus possible car le risque d’un glissement vers la guerre est bien réel. Pour l’heure, l’armée libanaise est restée unie sous le commandement du général Sleimane, ce qui est un atout. La Ligue arabe en tiendra-t-elle compte ? Une pression internationale s’exercera-t-elle? La Ligue arabe, unie, sera-t-elle assez efficace ? Il faut l’espérer. Quoiqu’il en soit, s’opposer à l’intrusion du Hezbollah dans les rues de Beyrouth aurait provoqué la reprise de la guerre civile.

Selon M. Jacques Myard, ces questions sont liées au problème irakien et irano-irakien, car les deux crises ont fusionné. L’on ne pourra résoudre les crises palestinienne et libanaise sans apporter une réponse aux autres crises. L’initiative dépend entièrement des Américains.

Déclarant qu’il ne partageait pas cette analyse, le ministre a fait observer que l’on assistait désormais à un affrontement entre chiites avec des combats à travers l’Irak qui opposent des miliciens de l’armée du Mahdi du chef Moqtada Al-Sadr, aux troupes régulières irakiennes. Il s’agit là d’une fêlure entre représentants chiites. Si la participation des États-Unis est visible sur le terrain militaire, il n’est pas certain que leur participation politique soit très forte.

Le problème du Liban se règlera au Liban et non pas en Irak ou en Iran qui constituent des clés éloignées de solution. Cette fois-ci, le camp chrétien n’a pas été touché, mais il est divisé et sa situation est complexe. Le général Aoun a tout de même apporté son soutien, même nuancé, au Hezbollah. Si éclataient à nouveau des batailles dans Beyrouth, qui ne manqueraient pas de dégénérer, que se passerait-il dans le camp chrétien ?

Le président Axel Poniatowski a déclaré qu’il avait suivi avec beaucoup d’attention la mission du président Carter en Israël, dans les territoires palestiniens et en Egypte, où il a rencontré des responsables du Hamas, ainsi que les déclarations de Khaled Mechaal, le Président du bureau politique de ce mouvement, et qu’il pouvait y avoir une piste à exploiter pour la diplomatie française et européenne. Avant de poser la question de la reconnaissance mutuelle, il faudrait progresser sur la question des frontières et des réfugiés. Tout comme M. Jacques Myard, il a estimé que la relation palestino-israélienne était bien au cœur de toutes les tensions au Proche-Orient.

Le ministre l’a prévenu contre une confusion des problèmes irako-iranien et palestino-israélien qui reflètent deux situations différentes. Faut-il parler au Hamas ? La France a posé clairement que, si les contacts sont possibles, il ne lui appartient pas de déterminer qui parle au Hamas. C’est aux Palestiniens de le dire qui s’emploient à présenter un document aux populations de Cisjordanie et de Gaza.

La France continue à travailler, comme en témoigne la réunion à Londres, en présence du Premier ministre palestinien, du ministre des affaires étrangères d’Israël, Mme Tzipi Livni, et de Tony Blair. Il convient de ne jamais désespérer. Les projets avancent avec lenteur, notamment celui de la construction d’une station d’épuration à Gaza sous l’égide du Quartet.

Le président Axel Poniatowski a remercié le ministre.

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