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Commission des affaires étrangères

Mercredi 26 octobre 2011

Séance de 11 h 15

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères de la République islamique d’Afghanistan

Audition de M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères de la République islamique d’Afghanistan

La séance est ouverte à onze heures quinze.

M. le président Axel Poniatowski. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir M. Zalmai Rassoul, ministre des Affaires étrangères de la République islamique d’Afghanistan. M. le Ministre, je vous remercie d’avoir accepté de venir devant notre commission pour nous parler de la situation de votre pays.

Depuis maintenant dix ans, une coalition est engagée militairement en Afghanistan afin de combattre Al Qaida et les talibans, et d’aider les autorités afghanes à construire un Etat après des décennies de guerre civile. En 2010, cette coalition atteignait un effectif de 140 000 hommes. Ses succès tactiques n’ont pas permis cependant de stabiliser la situation sur tout le territoire et l’armée afghane n’a pas encore achevé son propre développement.

La France a payé un lourd tribut dans cette guerre. Comme tous les pays occidentaux engagés, elle a décidé de redéfinir son engagement tout en poursuivant sa politique d’accompagnement de la stabilisation de votre pays. L’objectif du gouvernement français est de retirer, d’ici la fin de l’année 2012, 1000 soldats français sur les 4000 déployés dans les régions de Surobi et de la Kapisa.

Nous souhaiterions savoir quel bilan vous établissez de la présence internationale et si la situation de l’Afghanistan, qu’il s’agisse des résultats du dialogue inter-afghan ou de ses relations avec ses voisins immédiats, lui permettra de faire face aux conséquences de ce retrait.

Je vous cède la parole pour une quinzaine de minutes après quoi mes collègues auront certainement de nombreuses questions à vous poser.

M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères de la République islamique d'Afghanistan. Je vous remercie Monsieur le président. Je suis très heureux et honoré d'être devant cette assemblée. J'ai un attachement particulier à la France, où j'ai vécu les années heureuses de ma jeunesse. Lorsque les circonstances le permettent, je retrouve toujours la France avec un immense plaisir. Je saisis cette opportunité pour faire le point avec vous sur la situation en Afghanistan et échanger nos points de vue sur nos réalisations communes et évoquer les défis qui restent à relever.

Il est de mon devoir de rendre un hommage vibrant à la mémoire des soldats et officiers français qui ont donné leur vie pour la paix et la stabilité de l’Afghanistan et du monde. Leur bravoure et leur courage resteront gravés pour toujours dans le cœur et la mémoire du peuple afghan.

Durant la décennie qui a précédé la chute du régime taliban en 2001, mon pays a vécu une page sombre de son histoire, probablement la plus sombre de son histoire en tant que nation, marqué par un profond isolement et l’indifférence du reste du monde. Tous les segments de la société ont été blessés par les luttes entre factions. Cette période a été suivie par l'horreur du régime taliban, durant laquelle les talibans et leurs complices ont brûlé des écoles, massacré des innocents et banni les femmes de l'espace public, faisant d’elles des non citoyennes. Ils ont limité tous les droits sociaux, civiques et politiques et condamné le peuple afghan à la souffrance, à la famine et à la pauvreté.

Du fait d’un financement import ant, accompagné de la complicité, de la direction et du soutien des extrémistes extérieurs, l'Afghanistan a été transformé en base arrière d’entraînement des terroristes internationaux, déterminés à exporter la violence, la destruction et la mort dans le monde entier. La tragédie du 11 septembre 2011 et les évènements meurtriers qui ont suivi en Europe et ailleurs dans le monde ont prouvé le caractère global du terrorisme.

Aux antipodes de la décennie précédente, l’Afghanistan est aujourd’hui un pays transformé. Des réalisations concrètes et remarquables en témoignent. Nos efforts ont donné des résultats tangibles dans les domaines institutionnel, de la gouvernance, des droits de l’Homme, de la culture et du développement économique et social.

Actuellement, jusqu’à huit millions d'enfants de toutes les régions se rendent chaque jour à l'école. En dix ans, ce nombre a été multiplié par huit et 40 % sont des jeunes filles.

Plus de 70 000 hommes et femmes assistent à des cours d'université et reçoivent une éducation supérieure.

Nous assistons à un développement sans précédent du secteur des télécommunications et près de quinze millions d’Afghans ont accès au téléphone mobile. Nous disposons de cinq grandes compagnies de téléphonie mobile.

Dans le domaine de la santé, les progrès sont remarquables. Aujourd’hui, plus de 80% des Afghans ont accès aux soins de santé primaire contre 8% avant 2001. La campagne de vaccination, inexistante dans la décennie précédente, est un succès.

Le réseau routier compte 10 000 kilomètres de routes goudronnées, qui permettent un plus grand échange de marchandises, de savoirs et de services et contribuent à asseoir l’autorité du gouvernement central.

Nous assistons à l'émergence d'un secteur privé national dans divers domaines comme la construction, le transport terrestre et aérien, l’import-export et les medias.

Nous sommes le pays de la région qui possède le secteur des medias le plus dynamique. Grâce à la liberté d’expression garantie par la constitution de 2004, nous avons assisté à un développement fulgurant des médias : l’Afghanistan compte plus de trente chaînes de télévision, des centaines de radios, de magazines et journaux.

L’Afghanistan est une jeune démocratie. En seulement dix ans après la chute des talibans, nous pouvons être fiers des progrès accomplis grâce à l’instauration des institutions démocratiques. La constitution afghane est considérée comme l’une des plus démocratiques de la région. Elle a institué un président et un parlement élus par le suffrage universel et de solides fondations pour construire un avenir de paix, de stabilité et de prospérité.

Ces réalisations auraient été impossibles sans la coopération et le partenariat entre nos deux gouvernements et avec la communauté internationale au sein de laquelle la France joue un rôle fondamental. La France est un pays ami, avec qui nous avons un attachement sentimental particulier, nos relations sont anciennes et riches. Notre roi a visité la France en 1928 et en 1965. Le président Karzai est venu à Paris en 2008 pour ouvrir la conférence sur l’Afghanistan avec le président Sarkozy et le Secrétaire général des Nations Unies. Nous célébrerons les 90 ans de l'établissement de nos relations diplomatiques l'année prochaine. La France a toujours été aux côtés du peuple afghan, en particulier dans les moments les plus difficiles. Nos relations culturelles en sont un exemple. Nous sommes reconnaissants de l’aide apportée par la France, qui a permis des transformations tangibles dans la vie des Afghans, notamment le renforcement des capacités de notre armée, de la gendarmerie, du secteur de la santé, de l’agriculture et de la justice.

Désormais, grâce à l’aide de nos partenaires, l'Afghanistan n'est plus un centre du terrorisme mais est toujours une victime des terroristes qui infiltrent nos frontières pour nuire à notre peuple et aux troupes internationales. Malgré ces défis, le peuple aspire à la paix, la stabilité et à la prospérité. Nous sommes convaincus que nous avons encore besoin des efforts militaires et surtout des engagements politiques à tous les niveaux régionaux.

Avec tous ces progrès, pourquoi n’avons-nous pas réussi dans le domaine sécuritaire ? Plusieurs facteurs y ont contribué. Dans les années 2004-2005, où nous avions un besoin essentiel pour entraîner les forces militaires et sécuritaires, nous avons perdu du temps. Nos amis étaient occupés à d'autres guerres. Deuxièmement, malgré nos demandes, peu d’attention a été portée au problème des sanctuaires des talibans au Pakistan, et ces derniers ont eu le temps de s’entraîner. Je reviendrai dessus lors de vos questions sur nos relations avec le Pakistan et nos relations régionales.

Nous sommes confiants qu'avec l'appui constant de la communauté internationale et le concours actif de nos voisins, nous pourrons consolider la paix. Alors que nous avançons sur le chemin de la démocratie et de la stabilité, 2011 est une année cruciale. Dans l’esprit de la conférence de Kaboul et du sommet de Lisbonne de l’OTAN, le processus de transition est désormais engagé : les forces afghanes de sécurité, de mieux en mieux entraînées, vont prendre le relais des forces internationales pour le contrôle de la sécurité, qui relève de la responsabilité des Afghans. La première phase a été conduite avec succès. Avec la deuxième phase qui sera bientôt annoncée, la sécurité de plus 50% de la population sera assurée. Surobi, où vos forces sont engagées, fera probablement partie de cette zone de transition.

En plus de la détermination afghane, le succès dépend du maintien du soutien de la communauté internationale, en particulier dans le domaine du renforcement des capacités de nos forces de sécurité. Comme le Président Karzai l'a déclaré à l’Assemblée Générale des Nations Unies, nous accomplirons lors du processus de transition l'objectif stratégique le plus important avec l'émergence d'un Etat afghan souverain, un pays où les Afghans pourront vivre en paix ensemble et avec le reste du monde.

Parallèlement au processus de transfert des responsabilités dans le domaine de la sécurité, tous nos efforts sont tournés vers la consolidation du volet économique. Ce sera une tâche difficile qui demandera du temps et un engagement durable de nos partenaires internationaux. Nous sommes déterminés à optimiser le potentiel de nos ressources naturelles afin de renforcer notre économie. De plus, nous accordons la priorité aux investissements étrangers et construisons les infrastructures nécessaires.

Ces efforts vont nous permettre de jouer un rôle clé dans l'environnement régional et d’approfondir notre intégration économique régionale en reprenant notre rôle historique de carrefour entre l’Asie centrale, l’Asie du Sud et le Moyen-Orient.

Nous sommes heureux que l’initiative de la nouvelle route de la soie ait attiré l'attention et gagné en reconnaissance. Ensemble, nous concevons la nouvelle route de la soie comme un réseau d’échanges multiples entre pays d’Asie centrale, d’Asie du Sud, du Moyen-Orient et du reste du monde. Un réel partenariat de coopération économique créera les débouchés et les bénéfices qui permettront de renforcer la paix et la stabilité régionale et garantir le bien-être de notre peuple.

Nous avons un agenda politique important et chargé. Nous attendons avec impatience les conférences d’Istanbul et de Bonn, qui auront lieu respectivement en novembre et en décembre. A Istanbul, nous définirons ensemble une nouvelle vision régionale pour la paix et le développement. Nous parviendrons à cela en sollicitant un engagement solide et en instaurant des mesures de confiance au niveau régional dans les domaines politiques, économique, éducatifs et culturels. L’Afghanistan est au cœur de ce processus car un Afghanistan en paix, stable et prospère n’est pas seulement une obligation mais aussi un impératif pour la paix, la sécurité et la prospérité de la région. A Bonn, nous ferons le point avec la communauté internationale sur nos réalisations de cette dernière décennie. Nous partagerons aussi notre vision des dix années à venir pour la consolidation de notre stabilité, de notre démocratie et de notre développement économique. Nous lancerons un appel à la communauté internationale pour que l’aide et la coopération soient maintenues après 2014.

Pour conclure, j'aimerais saisir cette opportunité pour remercier le gouvernement et le peuple français pour son appui à la sécurité et la prospérité du peuple afghan. Je souhaiterais réaffirmer notre volonté d’achever la transition qui aboutira à la prise de responsabilité totale de la sécurité par le gouvernement afghan. Nous comptons sur l'engagement de nos partenaires telle que la France pour créer un élan irréversible pour la consolidation de la paix, de la stabilité et de la prospérité.

M. le président Axel Poniatowski. Merci, Monsieur le Ministre pour cette présentation extrêmement claire de la situation dans laquelle se trouve votre pays. Je donne tout d’abord la parole à M. Henri Plagnol, coauteur en 2008 avec M. Jean Glavany d’un excellent rapport d’information, « Afghanistan, un chemin pour la paix ».

M. Henri Plagnol. Je vous remercie Monsieur le Président, j’ai malheureusement peur que le titre de ce rapport soit toujours d’actualité. Monsieur le Ministre, j’ai été très sensible à votre long rappel du passé et des affinités de cœur entre votre pays et la France. Votre tableau est exact quand vous évoquez les succès rencontrés en matière de scolarisation, de droits des femmes ou des progrès en matière de soins médicaux. Mais je crois qu’il sous-estime au moins partiellement les risques considérables liés à la dégradation de la situation militaire. Ces risques sont de deux ordres : d’une part, l’évolution vers une forme de guerre civile du processus de réconciliation lancé par le Président Hamid Karzai ; d’autre part, le risque d’un retrait trop rapide des forces de la coalition alors que les progrès des forces de police afghanes sont encore insuffisants du fait notamment de la corruption et des désertions, dont les chiffres sont préoccupants. Dans notre rapport, nous faisions une proposition, celle d’associer sous la forme d’une conférence internationale et avec le soutien des membres du Conseil de Sécurité, toutes les puissances régionales clés du problème, particulièrement le Pakistan, vous l’avez évoqué, mais aussi l’Inde, la Chine, la Russie, l’Iran. Le moment n’est-il pas venu de réunir ces puissances, qui toutes ont des factions défendant leurs intérêts à l’intérieur de l’Afghanistan ?

Mme Chantal Bourragué. Vous avez mentionné des progrès en matière de santé. L’espérance de vie reste l’une des plus basses du monde, et la situation n’est guère meilleure pour ce qui concerne la protection maternelle et infantile. Nous avons reçu ici, hier, Mme Massouda Jalal, ancienne ministre afghane de la Condition féminine, je souhaiterais savoir comment vous comptez mieux associer les femmes à la conférence de la paix et assurer une meilleure représentation de celles-ci.

M. François Rochebloine. J’ai l’honneur de connaître votre pays, où je me suis rendu avec notre Président Axel Poniatowski et le ministre de la défense d’alors, M. Hervé Morin, et je dois ici saluer le travail remarquable fait par l’armée française. J’ai trois interrogations, pour ma part. En premier lieu, je souhaiterais connaître votre sentiment sur le départ programmé des forces de la coalition. Quelles conséquences sur le futur de votre pays peut avoir ce retrait, qui semble s’être imposé de lui-même du fait des élections présidentielles française et américaine ? Ensuite, pouvez-vous nous préciser l’état des relations économiques entre nos deux pays, en particulier en matière d’infrastructures ? Enfin, j’aimerais connaître votre appréciation des récents événements en Tunisie et en Libye.

M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères de la République islamique d'Afghanistan. Je ne vois pas aujourd’hui la possibilité d’une guerre civile en Afghanistan, mais il est vrai que la réussite de la transition dépend en grande partie de la police afghane. Aujourd’hui des efforts importants sont déployés en ce sens par nos alliés. Mais après dix ans, le retrait correspond à la fois au désir de vos opinions publiques, dans la situation de crise économique qui est la vôtre, et à celui du peuple afghan.

Trois facteurs entrent en ligne de compte. Le premier est le facteur régional, il faut convaincre le Pakistan que la promotion de l’extrémisme islamique et des talibans ne paient plus. Je crois que ce pays commence à le comprendre, car le monstre s’est retourné contre la main qui l’a nourri. Le deuxième facteur est la capacité à créer les conditions dissuasives adéquates, c’est le partenariat stratégique avec les Etats-Unis à partir de 2014, celui que nous avons signé avec l’Inde, il y a quinze jours, et c’est ce dont je vais m’entretenir avec M. Alain Juppé à partir d’aujourd’hui, après les contacts pris avec le Royaume-Uni. Enfin, le troisième facteur, c’est le processus de paix et de réconciliation, avec des contacts quasi quotidiens avec ceux des talibans lassés de la guerre. Mais là encore, le rôle du Pakistan est vital, tous les leaders talibans étant contrôlés totalement par ce pays.

Je suis confiant dans la réussite de la transition, nous n’avons, les uns et les autres, de toute façon pas le choix, les investissements que vous avez faits pour stabiliser l’Afghanistan le sont non seulement au bénéfice de la sécurité de la France et de l’Europe, mais aussi de celle du peuple afghan. La conférence de Bonn sera l’occasion de définir ce partenariat sur le plan économique, social et stratégique.

S’agissant de la remarque sur la corruption, elle est importante. Mais l’Afghanistan n’est pas le seul pays à y être confronté. Mon pays a été en guerre ces trente dernières années, guerre d’occupation, puis guerre civile, puis guerre par procuration. La volonté de combattre la corruption ne fait pas défaut, mais il faut aussi des institutions, une police, un système judiciaire. Mettre en place ces institutions, dans un pays qui continue à être en guerre n’est pas facile. Nous avons fait un long chemin. Le rapport direct entre la corruption et le terrorisme n’est pas établi. La corruption est partout, ce qui n’est pas le cas de l’insécurité. Les talibans ont d’autres motifs pour se battre. Dans ce domaine comme dans d’autres, la coopération régionale est importante.

Si l’environnement régional était neutre, nous n’aurions pas ces problèmes. Or vous savez mieux que moi où se trouvent les madrasas, où s’entraînent les kamikazes. La Conférence d’Istanbul vise cette neutralité, et mon gouvernement appuie le projet français de garanties nécessaires, mais c’est ce dont nos voisins ne veulent pas. Il faut définir ce que l’on entend par neutralité. S’il s’agit de non interférence dans les affaires intérieures, nous y sommes favorables, car nous sommes victimes de ces interférences, mon pays a été envahi par l’URSS alors que nous étions neutres, presque non alignés. S’il s’agit de ne pas avoir d’alliés, alors nous ne pouvons pas l’accepter. S’il s’agit de ne pas interférer dans les affaires des voisins, alors nous sommes d’accord.

En matière de santé et de droits des femmes, il faut comparer ce qui est comparable. Je ne nie pas les problèmes que rencontre encore aujourd’hui mon pays, mais il faut se rappeler la situation en 2001. Beaucoup de progrès ont été faits, l’Hôpital Mère-Enfant de Kaboul en est une illustration : il a sauvé des centaines de vies. Mais beaucoup reste à faire, avec votre aide, dans les années qui viennent.

Mme Chantal Bourragué. La pauvreté ne s’est-elle pas accentuée dans certaines zones ?

M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères de la République islamique d'Afghanistan. Je sollicite votre aide pour que votre peuple sache que les sacrifices qu’il a consentis, ses soldats morts, l’argent dépensé, ont contribué à créer un autre pays, à sauver des vies. Sur ce point, nous avons échoué dans les médias à faire passer ce message.

Depuis 2001, on constate de nets progrès en matière de droits des femmes, même si beaucoup de choses restent à faire. Pour défendre leurs droits, les femmes doivent d’abord les connaître, cela passe par l’éducation. c’est l’un des rôles que joue l’école. Et aujourd’hui 40 % des enfants scolarisés sont des filles. Les mentalités des hommes afghans ont évolué, la Constitution garantit les droits de femmes et 26 % des parlementaires sont des femmes, très actives d’ailleurs.

La France a fait beaucoup pour développer nos infrastructures, et j’espère que ce partenariat stratégique entre nos deux pays que j’appelle de mes vœux et qui concernera tous les aspects (économie, éducation, culture, etc.) pourra être finalisé et signé très vite.

Enfin, vous m’interrogez sur la Tunisie et la Libye. Elles empruntent la voie que nous avons déjà prise en Afghanistan avec votre aide, avec un Président de la République et un Parlement élus au suffrage universel, et des médias les plus libres de la région, à l’exception de ceux de l’Inde. C’est d’ailleurs une situation qui fait peur à certains des pays voisins de l’Afghanistan.

Mme Françoise Hostalier. Depuis l’assassinat du président Rabbani, le président Karzaï a visiblement changé sa politique et se tourne vers le Pakistan. Mais ce pays est multiple : faut-il négocier avec le gouvernement, le président, l’armée, l’ISI, les tribus ? Quel rôle la France peut-elle jouer, sachant que les Etats-Unis sont temporairement sur la touche ?

Quels axes de coopération stratégique entre la France et l’Afghanistan pourrions-nous développer, par exemple à travers la signature d’un accord de partenariat ?

M. Jean-Paul Lecoq. Quelle est la situation en matière de production et de trafic de drogue ? Quelle garantie avons-nous que les élections ne donneront pas le pouvoir aux talibans ?

M. Jacques Myard. Quel jugement portez-vous sur l’évolution du Pakistan ?

M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères de la République islamique d'Afghanistan. Concernant le processus de réconciliation, nous avons essayé depuis deux ans de nous rapprocher du Pakistan, y compris sur les thèmes sensibles de l’anti-terrorisme et de la lutte contre l’extrémisme, ce que le nouveau gouvernement élu nous paraissait permettre. Nous avons ainsi créé une commission bipartite sur le processus de réconciliation, mais nous n’avons pas obtenu les résultats escomptés car la politique afghane, indienne et nucléaire est aux mains des militaires pakistanais. Ainsi, même si le Pakistan nous a promis de l’aide, il ne l’a pas fait. Or, nous ne pourrons pas obtenir de résultats dans la lutte contre les talibans sans la collaboration du Pakistan.

Si le Pakistan soutient les talibans, ce ne peut être que pour l’une des deux raisons suivantes. Soit le Pakistan souhaite maintenir l’Afghanistan en difficulté car il le craint, et dans ce cas nous sommes prêts à apporter toutes les garanties aux Pakistanais pour les rassurer. Soit le Pakistan cherche à asseoir son contrôle sur l’Afghanistan en entretenant l’agitation sur notre territoire et nous ne pouvons pas l’accepter.

Nous allons donc continuer à engager directement le Pakistan pour mener à son terme le processus de réconciliation et apporter la paix. Le Pakistan est peuplé de 200 millions de personnes, et possède des centaines de têtes nucléaires : il faut les convaincre que la lutte contre le terrorisme est utile à leur propre sécurité. La France doit agir, car il n’est pas acceptable que votre aide serve indirectement à tuer vos propres soldats.

Concernant la production de drogue, celle-ci est la conséquence de trente années de guerre, et la guerre que nous menons actuellement participe au combat contre les trafics. Ainsi, partout où le gouvernement afghan a le contrôle du territoire, la production de drogue diminue, et partout où les talibans s’imposent, elle est multipliée par deux ou trois. Le niveau d’éducation de la population influence également beaucoup le niveau de production de drogue. En revanche, il n’y a pas de lien entre pauvreté et trafic : l’Helmand, qui représente 60 à 70 % de la production afghane de drogue, est historiquement l’une des provinces les plus riches d’Afghanistan grâce à ses ressources en eau. Nous allons donc engager nos moyens dans la lutte contre ces trafics et pour une coopération régionale car les plus gros trafiquants ne sont pas en Afghanistan mais dans les pays voisins.

Enfin, je ne suis pas inquiet d’une prise du pouvoir par les talibans à l’issue d’un scrutin. Aucune enquête d’opinion ne le laisse penser, et les talibans, de toutes façons, ne croient pas au vote et seront donc enclins au boycott.

M. Jean-Paul Bacquet. Je vous remercie pour l’hommage que vous avez rendu à notre pays et aux 75 soldats morts en Afghanistan. L’Afghanistan connaît une croissance exceptionnelle de 22,5 %. Votre premier fournisseur est le Pakistan pour des raisons de proximité, suivi des Etats-Unis. Viennent ensuite l’Allemagne, la Russie et l’Inde, la France étant très loin derrière. Notre pays a ainsi perdu 10 % de sa part dans les importations afghanes. Est-ce à dire que les Français sont meilleurs soldats que commerçants ?

M. Lionnel Luca. Quelles sont vos relations avec l’Iran, votre grand voisin où une part de la population afghane a trouvé refuge pendant la guerre.

M. Robert Lecou. Quels sont les bénéfices pour la population afghane du doublement du PIB par habitant en quatre ans ?

Mme Nicole Ameline. La France est résolument engagée dans la stabilisation de votre pays et le restera. Nous savons que la sécurité est la clé de la stabilisation. Or on assiste depuis 2011 à une montée de l’insécurité avec une recrudescence des attentats. Il semble que les insurgés aient modifié leur stratégie n’hésitant pas à s’en prendre à des personnalités civiles afin de peser sur les équilibres politiques internes. Il est vrai que la formation de l’armée afghane a pris du retard et connaît des problèmes de recrutement et de composition ethnique, notamment au Sud avec les Pachtouns. Il est indispensable de renforcer nos efforts conjoints dans ce domaine afin que la transition que vous évoquiez s’opère.

M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères de la République islamique d’Afghanistan. L’Iran est en effet un grand voisin auquel nous sommes unis par des liens culturels et linguistiques. L’Afghanistan ne peut pas se permettre d’avoir de mauvaises relations avec l’Iran compte tenu du problème que pose déjà le Pakistan. Nous avons clairement indiqué aux Occidentaux que leurs problèmes avec l’Iran ne devaient pas avoir d’influence sur les relations entre l’Afghanistan et l’Iran. Je pense que nous avons été parfaitement compris. En revanche, la présence des forces alliées est perçue comme un problème par les Iraniens. Nous continuons donc à les rassurer en leur faisant valoir que cette présence n’a pas occasionné de problèmes pendant dix ans et qu’il n’y a donc pas de raisons que cela change.

La qualité de vie pour la population afghane s’est sensiblement améliorée mais la hausse du PIB est très liée à la présence des forces alliées en Afghanistan. Le retrait des troupes entraînera mécaniquement une diminution des rentrées d’argent. C’est pourquoi les discussions à Bonn porteront aussi sur ce que nous appelons « les dividendes de la transition ». Nous défendons l’idée que pour un montant x consacré précédemment à un soldat, les pays engagés continuent après leur départ à verser une fraction de ce montant pour le développement du pays. Nous devons également encourager les investissements dans un pays riche en ressources naturelles. L’Afghanistan n’a pas vocation à rester un pays demandeur. L’élément économique sera une composante importante des discussions relatives au partenariat entre la France et l’Afghanistan.

La séance est levée à douze heures dix.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 26 octobre 2011 à 11 h 15

Présents. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Claude Birraux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Gilles Cocquempot, M. Jean-Jacques Guillet, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jacques Myard, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. François Asensi, M. Patrick Balkany, Mme Danielle Bousquet, M. Dino Cinieri, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Didier Mathus, M. Éric Raoult, M. Jean-Luc Reitzer, M. Rudy Salles, M. Michel Vauzelle

Assistait également à la réunion. - Mme Françoise Hostalier