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Jeudi 31 janvier 2008

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– « Les Jeudis de l’économie » : Comment consommer autrement pour consommer mieux ?

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

Le Président Patrick Ollier a souligné que, dans leur travail, les députés sont obligés de réagir sans cesse à l’actualité et de se situer dans l’instant présent. Ainsi, ils n’ont pas suffisamment souvent l’occasion de regarder vers l’avenir avec la sérénité nécessaire pour travailler sur les idées qui seront ultérieurement mises en œuvre par les textes de loi. Pourtant, ce travail de prospective et de réflexion est indispensable. C’est précisément ce qui a conduit la commission des affaires économiques à vouloir le mener dans le cadre de ces « Jeudis de l’économie », au cours desquels se rencontreront des experts et des personnes compétentes dans leur domaine pour engager un débat qui ne soit pas placé sous la pression de l’actualité ou du vote imminent d’une loi.

La commission est aussi à la recherche de bonnes idées. Elle mène ses propres réflexions, mais souhaite les confronter à celle des praticiens et des experts. Le Président Patrick Ollier remercie l’École supérieure de commerce de Paris, son directeur général Pascal Morand, sa directrice de la marque et de la communication, Élisabeth Tissier-Desbordes, et ses étudiants, d’avoir accepté d’être les partenaires de la Commission pour ces « Jeudis de l’économie ». Il est très intéressant pour les députés de disposer du regard des jeunes qui se préparent à s’engager dans la vie économique à laquelle la commission s’intéresse tout particulièrement.

Évoquant un débat programmé sur une radio autour de la question « l’État doit-il intervenir dans l’économie ? », le Président Patrick Ollier a rappelé son attachement au fait que l’État dispose de moyens d’intervention, notant que cette position n’était pas unanime au sein du groupe majoritaire.

La Commission est réunie pour traiter d’un sujet qui lui tient à cœur, celui du pouvoir d’achat, à travers cette question : comment consommer autrement pour consommer mieux ?

Le Président de la République a eu raison de s’engager sur le thème de la consommation et du pouvoir d’achat. On peut être plus dubitatif sur la façon dont la presse interprète les efforts consentis dans l’intérêt des Français. La majorité souffre beaucoup que ses intentions, qui sont bonnes, soient parfois mal perçues.

S’il est très bien de dire qu’il faut travailler plus pour gagner plus, on peut aussi imaginer de dépenser moins pour vivre mieux. Et s’il est bien également de toujours essayer de procurer plus de revenus pour les ménages, on peut peut-être réfléchir à la manière d’éviter que certaines augmentations ne pèsent trop sur leur budget. Le Président Patrick Ollier a rappelé qu’à ce titre il a lancé une mission d’information sur le prix de l’eau car on peut s’interroger sur le poids très lourd de certaines dépenses qui augmentent de façon souvent anormale.

Le compte rendu de cette réunion sera très largement diffusé aux députés car les idées qui y auront été évoquées leur seront fort utiles.

M. Jean-Paul Charié, chargé de l’organisation des « Jeudis de l’économie » au sein de la Commission, a souhaité que les intervenants puissent aider les députés à sortir de leurs rigidités institutionnelles mais aussi intellectuelles. Ceux-ci n’attendent donc pas que les intervenants abordent la question des prix, on le fait chaque jour. Ils souhaitent que chaque « Jeudi de l’économie » soit animé par un dirigeant d’entreprise et par un chercheur qui les aident les parlementaires à regarder un peu plus loin, ainsi que par des étudiants, qui ont sans doute un autre regard qu’eux sur l’avenir.

S’agissant du sujet de ce premier « Jeudi de l’économie », M. Jean-Paul Charié a souhaité aborder trois questions.

Tout d’abord, les adultes reprochent souvent aux jeunes de ne penser qu’à leur plaisir. Or toutes les publicités attirent les adultes autour de la notion de plaisir : voitures-plaisir, voyages-plaisir, logement-plaisir, plaisir du corps. Ne convient-il donc pas de s’interroger sur les motivations et sur les émotions qui évoluent sans cesse ?

Ensuite, quand il s’agit de la façon de consommer ou de s’alimenter, peut-on édicter des règles par la voie législative ou l’autorité politique doit-elle davantage donner des impulsions ?

Enfin, n’y a-t-il aujourd’hui qu’une seule sorte de consommateurs ? Dans notre société qui vieillit, où les familles monoparentales sont toujours plus nombreuses, où de plus en plus d’échanges se font par Internet, comment le législateur doit-il travailler ?

Voila pourquoi ce premier Jeudi de l’économie a été organisé : comprendre, sinon comment consommer moins pour gagner plus, du moins comment dépenser moins pour vivre plus heureux.

Pour cela, la Commission reçoit M. Pierre Kosciusko-Morizet, qui a créé une petite entreprise qui permet à plus de 7 millions de consommateurs d’échanger par Internet, et M. Robert Rochefort, directeur général du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC).

M. Pierre Kosciusko-Morizet a présenté rapidement sa société. Price Minister est un site qui permet d’acheter et de vendre des produits, en donnant des garanties fortes aux acheteurs et aux vendeurs. Le vendeur fixe son prix ; l’acheteur paie Price Minister ; le vendeur envoie directement le produit à l’acheteur ; dès que ce dernier l’a reçu, Price Minister paie le vendeur. L’entreprise se situe donc quelque part entre l’e-commerce et la petite annonce, avec comme forte spécificité le fait que l’argent passe par elle. Elle peut ainsi garantir à l’acheteur qu’il aura son produit, sinon elle le rembourse, et garantir au vendeur qu’il sera payé. C’est ce dernier élément qui fait que beaucoup d’activités professionnelles se développent sur le site car la garantie de paiement revêt une importance particulière pour quelqu’un qui crée une société sur Internet.

Les estimations évaluent à 10 000 le nombre de personnes qui, en France, vivent grâce à Price Minister. Certaines ont créé leur société pour vendre sur le site, d’autres ont commencé à vendre en tant que particulier puis sont devenus peu à peu professionnels et ont créé leur société, des emplois ont également été créés au sein de structures préexistantes, des sites de vente à distance ayant embauché pour vendre sur le site ou des magasins ayant recruté des personnes se consacrant à la vente sur Internet.

Price Minister compte un peu plus de 7 millions de membres ; chaque jour, le site reçoit 1,5 million de visiteurs ; 78 millions de produits sont en vente sur le site. C’est une des magies de l’Internet, surtout lorsque l’on travaille dans la mise en relation : on peut réaliser de gros volumes tout en étant, comme Price Minister, une entreprise de 180 salariés, qui se développe vite, qui est très rentable, mais qui demeure une PME. Près de 20 000 ventes par jour peuvent être effectuées parce que tout ceci est extrêmement automatisé et parce que le métier de la société consiste à mettre en relation les acheteurs et vendeurs, c’est-à-dire une offre et une demande, et à garantir les transactions.

Depuis ce poste d’observation qu’est Price Minister, peuvent être cosntatés nombre de nouveaux comportements qui, soit existaient précédemment à l’Internet, mais à plus petite échelle, soit n’étaient tout bonnement pas possibles sans l’Internet. Price Minister est également très axé sur le pouvoir d’achat. A défaut de levier pour augmenter les revenus, la société peut agir pour éventuellement faire baisser les prix et, surtout, pour essayer de structurer le pouvoir d’achat de manière différente.

Bien évidemment, Price Minister n’a pas été créé pour développer le pouvoir d’achat des Français mais elle y contribue. Des consommateurs viennent pour acheter moins cher, ce qui n’est pas très nouveau car le discount se développe très vite en France. La France est à cet égard très en retard en la matière puisque, aux États-Unis, certaines marques sont plus vendues dans des circuits de déstockage que dans des circuits classiques, les consommateurs étant tellement demandeurs de produits moins chers qu’ils attendent quelques mois après la sortie du produit pour optimiser leur pouvoir d’achat.

Internet participe au développement du discount en France, car de très nombreux sites vendent bon marché. La particularité de Price Minister tient au fait qu’il permet également aux gens de vendre, ce qui constitue une manière d’optimiser son pouvoir d’achat : on ne peut pas toujours gagner plus argent même si l’on en a envie, on ne peut pas toujours acheter moins cher, même si le gouvernement prend des mesures pour tenter de faire baisser les prix ; on peut d’ailleurs s’interroger sur la nécessité qu’un gouvernement intervienne dans la matière : cette intervention peut être plus ou moins légitime. Néanmoins il est une troisième façon d’augmenter son pouvoir d’achat : consommer autrement. On peut le faire de plusieurs manières. On a l’impression que l’on est un peu en train de sortir de la société de consommation à sens unique, quand il fallait sans cesse gagner plus argent pour acheter plus de choses, quand, six mois après, un objet devait être remplacé par son successeur, plus perfectionné.

Les attitudes des membres de Price Minister montrent qu’il y a d’autres manières de voir la société de consommation, notamment en se situant davantage dans l’usage que dans la possession. On rompt ainsi avec la logique qui consiste à amasser toujours plus d’objets et à être obligé de mobiliser un container de plus à chaque déménagement. Désormais, lorsque l’on achète un objet, on se demande à quoi il va servir.

Ainsi, quand on achète un livre, on n’achète pas un arbre réduit à un cube, mais le texte qui se trouve à l’intérieur, la matière grise de la personne qui l’a écrit et il n’est pas forcément nécessaire de le garder.

Ainsi, quand on achète un livre, on peut ensuite le revendre. On n’est pas non plus obligé de posséder sa voiture et il existe de plus en plus de locations de longue durée ainsi que des systèmes qui permettent de disposer pendant la semaine d’une smart pour se rendre au bureau et le week-end d’un monospace pour promener sa famille. Se concentrer de plus en plus sur l’usage des objets et de moins en moins sur leur possession paraît une tendance de fond.

Les meilleurs abonnés sont ceux qui sont à la fois acheteurs et vendeurs. Ceux qui se mettent à vendre achètent de plus en plus, tout simplement parce qu’ils utilisent pour cela le produit de leurs ventes. On est donc bien dans cette logique d’optimisation du pouvoir d’achat non pas en ayant plus à dépenser ou en payant moins cher, mais en faisant tourner ses ressources.

En France, un livre neuf, avant sa sortie en poche, coûte environ 20 €, soit un des prix les plus élevés au monde. Bien sûr, cela permet de soutenir l’industrie du livre, mais cela éloigne aussi les plus démunis de l’accès à la culture. Quand on gagne le SMIC, on ne peut pas acheter beaucoup de livres à 20 €, en revanche, on peut les acheter et les revendre. Si, quand on achète un livre 20 €, on peut le revendre 15 €, on sait qu’en fait il ne coûte que 5 €. On est habitué à procéder de la sorte avec l’immobilier et l’automobile, moins avec les biens de consommation courante.

Les millions de membres de Price Minister entrent dans une approche différente d’une partie de leur consommation, notamment pour les produits culturels, les produits high-tech, le textile.

M. Pierre Kosciusko-Morizet a souligné que de la sorte, de nouveaux métiers apparaissent également et s’est dit très fier que 10 000 personnes vivent de leurs ventes sur le site. Il ne s’agit d’ailleurs que d’un début car seulement 47 % des foyers français sont connectés à l’Internet, contre 75 % en Angleterre. La France se situe donc dans le « quart-monde » de l’Internet en Europe, même si cette donnée est éclipsée par un fort taux de connexion en haut débit. Cela illustre parfaitement la fracture numérique. Les catégories les moins fortunées commencent à arriver sur Internet aussi, si celui-ci optimise le pouvoir d’achat, c’est bien maintenant que les effets vont pouvoir être mesurés.

Il y a là une de source d’optimisation du pouvoir d’achat et de création d’emplois – donc également de pouvoir d’achat. Ces nouveaux métiers doivent toutefois être bien encadrés, c’était un des objets du projet bienvenu de M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé des entreprises, sur le statut des auto-entrepreneurs.

Le Président Patrick Ollier, se qualifiant de « pur produit de 1968 » a rappelé que l’on criait alors « à bas la société de consommation ! ». Il a confié s’être sans cesse demandé comment le pouvoir politique pourrait intervenir contre le raz-de-marée incontrôlable qui conduit au développement de la société de consommation, avec tous ses excès et toutes ses horreurs : on voit ce qui se passe avec les subprimes aux États-Unis et avec le surendettement en France, on voit aussi les conséquences que cela a sur la précarité.

Le pouvoir politique peut-il intervenir, à un moment un autre, pour aider au changement des comportements ?

Le Président Patrick Ollier a indiqué que dans sa région d’origine, le Périgord, des métiers disparaissent chaque jour : on ne peut plus réparer un poste de télévision, il faut le jeter ; un garagiste n’a plus accès à certains éléments des voitures dont la réparation requerrait l’expertise d’un ingénieur. Cette logique issue de la société de consommation est encouragée par des multinationales qui n’ont que le profit pour but. L’objectif des hommes et des femmes politiques est de ne pas se laisser dominer par ces logiques. Est-il possible de les encadrer, car elles sont dévastatrices ? Si les politiques ne sont pas capables d’imposer des règles qui vont à l’encontre de cette perversion du système capitaliste, ils ne servent pas à grand-chose.

Ce que Price Minister réalise est intéressant puisque cela va dans le sens contraire de cette déferlante. Cela contribue dépenser moins pour, a priori, vivre mieux.

M. Pierre Kosciusko-Morizet, souscrivant à cette analyse, a jugé que le monde s’emballe et sans doute pas dans la bonne direction, et que le système capitaliste présente un certain nombre de limites que l’on est en train d’atteindre dans plusieurs domaines. Pour autant, il a estimé n’avoir pas de système alternatif à proposer.

Il n’est pas certain que le pouvoir politique puisse infléchir beaucoup les tendances de fond. En fait, personne ne le peut. Le monde est sans doute devenu trop global pour que l’on ait, dans un pays donné, un impact significatif sur la manière de consommer et de penser. On peut bien sûr améliorer le système éducatif, améliorer la fiscalité mais le mouvement général est difficile à inverser.

Dans des pays développés comme le nôtre, ce mouvement est néanmoins en train de s’inverser de lui-même. Le consommateur en a sans doute assez qu’on lui impose de la publicité dans les grands médias classiques et le contre-pouvoir se crée en quelque sorte de lui-même, à l’initiative des consommateurs eux-mêmes.

On dit parfois que le consommateur est en train de prendre le pouvoir : on constate par exemple sur Internet que les gens donnent leur avis sur les produits et c’est un phénomène très important. Il y a seulement dix ans, quand on voulait avoir un avis sur un produit, il fallait demander à ses amis, si tant est qu’ils l’aient acheté, ou il fallait acheter un journal. Or le problème des journaux qui donnent leur avis sur les produits c’est qu’ils vivent de la publicité que les fabricants de ces produits font chez eux et qu’ils exercent donc un contre-pouvoir assez limité. Désormais, recueillir les avis des autres consommateurs sur Internet signifie que ce n’est plus forcément la marque qui fait le plus gros « tapage » à la télévision qui vend son produit dès lors que celui d’un de ses concurrents est meilleur.

Dans ce contexte, il semble que les politiques peuvent essayer d’accélérer les mutations quand ils pensent qu’elles sont bonnes et de les freiner s’ils les jugent mauvaises. L’une de ces mutations consiste dans le transfert de médias passifs vers des médias actifs. La télévision est, en règle générale, un média où l’on absorbe ce qui est émis. En revanche Internet, qui est un outil qu’il faut encadrer car il est extrêmement puissant, est un média où l’on est actif : on ne peut pas rester une heure devant la même page car il ne se passe rien, il faut qu’on clique, ce qui oblige à faire des choix. C’est dans ce sens que l’on peut parler d’une forme de prise de pouvoir du consommateur. C’est pourquoi encourager le développement d’Internet va dans le bon sens et permet aux consommateurs d’être exposés de manière moins passive aux messages qui nous disent d’acheter la nouvelle voiture ou la nouvelle lessive.

M. Robert Rochefort a estimé que les parlementaires n’étaient pas les seuls à être entraînés dans une précipitation de l’instant présent qui empêche de prendre du recul vis-à-vis des déformations de structures fondamentales actuelles. Les statisticiens et les économistes ont dû recevoir des « coups de pied » de la grande distribution, dans des publicités qui avaient d’abord été jugées saugrenues, pour accepter le concept de dépenses pré-engagées et de dépenses contraintes.

Il a également rappelé qu’en tant que membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre, il a rendu un rapport sur la mesure du pouvoir d’achat, qui est liée à la question de l’indice des prix. Or, avec des concepts traditionnels tous les aspects passionnants que vient de présenter Pierre Kosciusko-Morizet ne peuvent tout simplement pas être traités.

Le fait que l’on revende des produits que l’on a achetés a deux effets : d’une part, cela augmente le revenu puisque les consommateurs récupèrent du revenu en revendant, d’autre part, cela abaisse le niveau des prix puisque l’on revend moins cher. Aucun de ces deux effets ne peut être pris en compte : ces sources de revenus supplémentaires ne sont pas intégrées dans le calcul des revenus et seuls les prix des produits neufs sont pris en considération.

Le dernier chapitre du rapport sur le pouvoir d’achat est consacré à l’économie du bonheur. Les auteurs considèrent en effet que le pouvoir d’achat est une bonne chose, que la consommation est une bonne chose, mais que l’essentiel est bien d’être heureux.

Toutefois il est difficile de s’abstraire de l’économie traditionnelle. Lorsque ce rapport a été présenté à Mme Christine Lagarde, un certain nombre d’économistes ont récusé le concept de l’économie du bonheur, tout simplement parce qu’il s’agit de quelque chose qui n’est pas orthodoxe dans l’économie d’aujourd’hui. On a assisté à des réactions analogues lorsque le Président de la République a confié, de façon un peu iconoclaste, une mission à deux prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz et Amartya Sen, qui sont considérés comme plutôt hétérodoxes.

L’angoisse de nos concitoyens quant au pouvoir d’achat intervient pour une large part dans les résultats de certaines enquêtes de popularité, mais on oublie que dans la société relativement riche d’hyper consommation d’aujourd’hui, une augmentation de 2 % du pouvoir d’achat par habitant équivaut, en valeur absolue, à une augmentation de 10 % il y a 50 ans, puisqu’il a globalement été multiplié par quatre ou cinq depuis lors. À l’époque, quand il augmentait de 5 ou 6 % par an, on trouvait ça formidable. Aujourd’hui, quand il augmente de 2 % cela signifie que nous avons plus de consommation et plus d’argent, en valeur absolue, qu’il y a cinquante ans, mais cela ne se voit plus parce que tout ceci est noyé dans un niveau de vie particulièrement élevé et dans la consommation de tous les jours.

Si l’on se livrait à un exercice dans lequel on indiquerait par écrit ce qui dans la consommation actuelle n’existait pas il y a dix ans, la différence apparaîtrait de manière flagrante. On consomme plus sans même s’en rendre compte, tout simplement en raison des progrès du téléphone mobile ou de l’Internet. Il est donc illusoire de s’imaginer que le pouvoir d’achat par tête pourrait, demain, augmenter de 4 % par an. Le phénomène de croissance exponentielle nous entraînerait même vers une société d’hyperproduction explosive.

S’il était toutefois possible d’augmenter d’un seul coup le pouvoir d’achat de 10 %, les angoisses de la société française disparaîtraient-elles pour autant ? Derrière la préoccupation du pouvoir d’achat se cachent toutes les autres angoisses, par exemple celle de la maladie d’Alzheimer. Le pouvoir politique peut intervenir pour expliquer aux citoyens qu’il y a d’autres façons de répondre à cette angoisse que d’augmenter le pouvoir d’achat. Autre angoisse, celle de perdre son logement, qui renvoie au déficit de la construction. Une réponse sur le pouvoir d’achat ne peut avoir pour effet de dissiper toutes ces angoisses.

Des événements comme le Grenelle de l’environnement nous montrent qu’une société différente se met en place et que la consommation sera demain forcément qualitative et non plus quantitative. Ainsi dans le secteur de l’automobile, l’Europe est en surproduction, elle fabrique chaque année des milliers de voitures en trop. Mais les chiffres sont maquillés en fin d’année pour que les concessionnaires atteignent leur quota, en immatriculant des véhicules qui ne sont pas vendus et en les revendant quelques semaines plus tard comme des occasions. Mais à aucun moment on ne se demande si l’avenir – et le bonheur – passe par autre chose que le nombre de voitures que l’on fabrique.

Pour autant, avoir une vision plus qualitative n’est pas synonyme de décroissance. Il faut inventer une croissance qualitative, capable de produire davantage d’emplois, de faire en sorte que les produits soient toujours plus performants et qu’ils apportent autre chose. Pour reprendre l’exemple de l’automobile, il peut y avoir énormément de valeur ajoutée dans l’invention de voitures différentes ou dans la mise au point d’un service d’échange en fonction des besoins. M. Robert Rochefort a affirmé souscrire à une majorité des propositions du rapport pour la libération de la croissance française, mais a regretté que sa tonalité n’intègre pas pleinement la nécessité de l’écologie et d’une croissance différente, plus qualitative.

On ne saurait oublier par ailleurs que notre société de l’hyper consommation est aussi celle de l’hyper individualisme. L’idéologie économique explique que chaque consommateur cherche à défendre son intérêt individuel et favorise ainsi la croissance. Il faut accepter de remettre en cause cette idée. L’idée de consommer autrement réintègre l’intérêt général. On commence à constater un certain nombre de faits, encore minoritaires, précurseurs de changements qui peuvent être importants. Qu’il s’agisse de l’agriculture biologique, du commerce équitable, du refus de gaspiller – on rejoint d’ailleurs là le principe de la revente – ou de nombreuses autres tendances, on aurait tort de considérer que, parce que ces phénomènes ne représentent pour l’instant qu’un très faible pourcentage de l’ensemble du marché, ils ne sont pas porteurs de modifications fondamentales.

La consommation de demain sera la rencontre entre d’un côté des gens et des contre-pouvoirs porteurs de grands bouleversements, et de l’autre des politiques et des législateurs qui seront paradoxalement obligés de réglementer énormément dans le champ de la consommation.

Ainsi pour ce qui concerne le principe de précaution : si son introduction dans la Constitution a produit un dispositif un peu complexe, on ne peut contester qu’il doive aujourd’hui s’appliquer et il était presque impossible de prendre une autre décision que celle qui a été prise il y a quelques jours pour les OGM.

Le développement de l’information sur la santé et sur les questions environnementales va conduire le législateur à s’impliquer de plus en plus en ce domaine, mais il ne pourra le faire qu’en s’appuyant sur un débat interne à l’opinion publique. Le plan pour la sécurité routière qui a permis de sauver des centaines de vies, constitue à cet égard une belle réussite, mais ce succès n’a été possible que parce qu’il a été précédé par un changement d’attitude des consommateurs vis-à-vis de l’automobile. Aujourd’hui 25 % des Français sont désinvestis de la voiture : non seulement ils n’en ont pas besoin, mais ils se situent dans une société qui a changé par rapport à l’époque où la voiture était le produit emblématique de la société de consommation.

On pourrait également citer l’exemple du tabac avec l’entrée en vigueur de nouvelles mesures restrictives au 1er janvier dernier, ou celui de l’interdiction de la vente de boissons trop sucrées dans les établissements scolaires. L’intérêt général conduit à adopter des règles contraignantes pour les habitudes de consommation. En corollaire, se pose d’ailleurs la question importante du respect de la liberté de choix.

Pour autant les intérêts individuels et l’intérêt collectif dans la consommation ne sont sans doute pas inconciliables. La pastille verte sur les véhicules a modifié très rapidement les choix des consommateurs. Le pouvoir législatif a donc une capacité à infléchir les choix de façon à concilier les intérêts, mais cela signifie-t-il dépenser moins pour vivre mieux ? Au contraire, cela signifie dépenser toujours plus : dans une société qui croit à la croissance, même s’il convient sans doute d’invoquer d’autres indicateurs, nous avons besoin d’un PNB qui progresse. Cette consommation doit toutefois s’orienter davantage vers le qualitatif.

Dans l’histoire récente, on s’aperçoit que plus la société de consommation est critiquée à des moments de rupture, plus elle rebondit et plus elle se renforce. Elle est en effet capable de muer de façon prodigieuse. On est sorti de mai 1968 et de la critique virulente de la société de consommation par une société réclamant davantage encore de consommation et encore plus individualiste. La première guerre du Golfe, en 1991, a été suivie d’une période de contestation de la société de consommation, qui a également débouché sur encore plus de consommation, avec le renouveau de thèmes comme le terroir, la famille, le passé.

Aujourd’hui, il est inutile de se bercer d’illusions, le e-commerce, la vente sur Internet, le discount sont quand même à un premier niveau destinés à consommer encore plus. Il ne va donc pas de soi que les crises de la société de consommation remettent en cause la logique d’hyper consommation.

Cependant il est sans doute parfois nécessaire de mettre des barrières au développement de la société de consommation. Aux États-Unis, la spiritualité et la religion sont devenues des lieux de la société de consommation. Les sociétés européennes paraissent plutôt rétives à cette évolution et elles ont raison. Le pouvoir politique doit être vigilant à ne pas laisser s’installer un marché de la spiritualité et de la religion qui serait d’ailleurs, dans le contexte actuel, un marché d’instrumentalisation des peurs.

De la même façon, l’affectivité et la sexualité sont menacées de devenir des espaces où se développe la société de consommation, y compris par Internet. Le politique doit dire que ceci n’a pas à devenir un marché, tout simplement parce qu’il s’agit du respect des hommes et des femmes, qui ne sont pas que des consommateurs, mais aussi des citoyens et tout simplement des personnes.

Il est un autre domaine où le rôle des politiques est important, c’est l’éducation à la consommation, car, contrairement à une idée répandue, en particulier chez les jeunes, cette éducation est nécessaire.

Ainsi s’agissant de la publicité, des chercheurs de l’université du Vermont ont montré que le consommateur américain recevait en moyenne 2000 messages publicitaires par jour. En France, le nombre s’élèverait à environ 1 500. M. Robert Rochefort a indiqué que s’il se voyait confier pendant une demi-heure une classe de CM2, il se ferait fort de leur démontrer comment on décode une publicité, de les rendre capable de comprendre pourquoi quand on met quelque chose à un endroit cela fait vendre tel produit, de leur expliquer ce qu’on dit et ce qu’on ne dit pas dans une publicité.

Réaffirmant qu’il n’avait pas d’hostilité de principe à la publicité, il a souligné l’importance de faire passer des messages extrêmement simples dans l’éducation à la consommation, de montrer que ce n’est pas le prix le plus bas qui compte, mais le rapport qualité-prix, de regarder où est l’intérêt général et pas simplement l’intérêt individuel, par exemple en ce qui concerne les emballages et le gaspillage.

Le Président Patrick Ollier a rappelé que, dans la société de consommation, il est vain de chercher à s’opposer à certaines déferlantes auxquelles on ne peut s’opposer, même si le politique va être obligé d’intervenir de manière plus forte. C’est donc la question de son influence, mais aussi celle des voies de cette intervention, qui sont posées. Gouvernement et Parlement ne sont d’ailleurs pas toujours d’accord sur ces questions.

S’agissant du jugement et du libre choix du consommateur, l’Assemblée nationale s’est longuement penchée sur le surendettement et sur les crédits revolving, sans parvenir à trouver la porte de sortie. Évoquant ses discussions avec les jeunes des cités de Rueil-Malmaison, le Président Patrick Ollier a constaté qu’ils ont souvent le dernier modèle d’écran plasma et de téléphone mobile mais qu’ils parviennent difficilement à joindre financièrement les deux bouts. Leur premier souci de consommateurs ne semble pas de subvenir à leurs besoins vitaux mais d’acheter ce qui permet de les identifier comme s’inscrivant dans la mode. On est bien loin des préoccupations des générations précédentes et l’on peut se demander si ce basculement est totalement incontrôlable.

Les actions de groupe – les class actions – sont un élément important pour l’avenir et, dans le débat au sein de la majorité à ce propos, il faut souligner qu’il s’agit de donner aux consommateurs et aux citoyens un moyen de réagir et d’exercer ce contre-pouvoir qu’a évoqué M. Pierre Kosciusko-Morizet.

Il faut également tenir compte des lobbies. Il y a bien sûr celui des consommateurs qui veulent consommer mieux plutôt que consommer plus, mais il y a aussi ceux qui veulent gagner plus et qui demandent des dispositions toujours plus libérales. Il s’agit de trouver le juste milieu.

Le Président Patrick Ollier a estimé que la décision de recourir à la clause de sauvegarde sur les OGM n’était pas fondée et s’est dit en désaccord avec ceux qui ont pris cette décision, considérant qu’on envoie de la sorte un message négatif vis-à-vis de la recherche scientifique et qu’on situe ainsi la France parmi les pays les moins évolués en la matière. Mieux vaudrait laisser faire la science, qui peut précisément permettre de consommer mieux.

Ce sont des débats qui dépassent les clivages politiques et la commission doit être pionnière et s’efforcer d’apporter les meilleures réponses, sans esprit partisan.

M. Pierre Kosciusko-Morizet a jugé que le e-commerce et Internet poussent les gens à consommer plus. Il est dans la nature humaine de vouloir toujours plus de tout. Il sera difficile de lutter contre cette tendance. C’est à chacun de savoir ce qu’il veut faire de sa vie et de se demander s’il veut ou non rentrer dans ce mouvement. M. Pierre Kosciusko-Morizet a indiqué qu’il essayait d’en sortir, d’arriver à être heureux dans un état plus constant et non dans une volonté permanente de progression. La société de consommation pousse à confondre bonheur et nouvelles acquisitions : un écran de télé plus grand, une voiture plus grande, un appartement plus grand. Il faut avoir une conception un peu plus bouddhiste, prendre un peu de recul et essayer d’être heureux en gardant l’appartement de l’année précédente.

Quoique l’e-commerce entre dans la logique de la société de consommation au sens où il permet d’avoir plus avec le même prix, il introduit, par la dynamique de la revente, une distinction entre usage et possession : quand on revend le livre que l’on a acheté, on économise un arbre. On a lu un livre en plus, mais on n’a pas possédé un livre de plus. Néanmoins, cela n’empêche pas qu’on ait toujours envie de lire plus de livres et d’en acheter plus.

M. Jean-Paul Charié a souscrit aux propos de M. Rochefort estimant que, parfois, au lieu de freiner, le législateur pourrait encourager un certain nombre d’évolutions. Il a noté que M. Kosciusko-Morizet considère que l’autorité politique sera amenée, dans certains cas, soit à interdire, soit à expliquer.

M. Sébastien Nicolas, étudiant de ESCP-EAP a remercié la commission, au nom de l’association Tribunes, d’avoir invité des étudiants à cette rencontre.

Un nouveau mode de consommation se dessine aujourd’hui qui tient compte de préoccupations éthiques, sociales ou écologiques. Celui-ci est-il pris en compte dans les statistiques ? Bien que le e-commerce ne s’y intéresse pas encore, Internet sera-t-il un des biais de la croissance de cette nouvelle consommation qualitative ?

M. Pierre Kosciusko-Morizet a fait observer que le e-commerce est la manière de consommer la plus respectueuse de l’environnement : le fait d’aller en voiture à un hypermarché est moins efficace que d’aller à La Poste près de son domicile. Si le développement durable constitue un principe éthique, le e-commerce en constitue une excellente déclinaison, surtout dans un système d’achat-revente qui inclut le recyclage.

Pour autant, il ne faut pas se mentir. Les gens sont très individualistes. Il arrive parfois qu’en martelant fortement certaines valeurs, on parvienne à leur donner envie de les respecter. C’est le cas de l’environnement, qui est un succès fabuleux. Bien que la société soit terriblement égocentrique, les gens ont tellement bonne conscience quand ils respectent l’environnement qu’ils ont envie de le faire.

Toutefois il ne faut pas se tromper de débat. Une faible part des consommateurs règlent leurs achats en fonction de considérations éthiques. En revanche, ils sont parfois fiers de respecter certaines valeurs. Cela prend un peu de temps.

L’éthique, au sens large, ne constitue malheureusement pas un critère déterminant dans la consommation contemporaine.

M. Robert Rochefort a indiqué que d’après le CREDOC, les consommateurs qui utilisent le plus Internet pour leurs achats sont ceux qui disent avoir le moins de préoccupations éthiques en matière de consommation. Ils sont moins sensibilisés aux conditions de production des produits. Très au courant d’un certain nombre de fiches produit quand ils vont sur des sites de producteurs et d’industriels, ils ne regardent pas les étiquettes sur les produits de la même façon qu’en magasin. Les opérateurs du e-commerce en général ne mettent pas les arguments éthiques fortement en avant. Ils font surtout valoir les performances prix, la possibilité d’acheter à tout moment du jour et de la nuit et la sécurisation des achats.

Comme M. Kosciusko-Morizet l’a indiqué, il peut être éthique d’acheter sur Internet, mais sans le faire exprès, c’est-à-dire en économisant des déplacements automobiles. La notion de traçabilité, à laquelle les gens sont aujourd’hui extrêmement attentifs, n’y est pas majeure. Les gens qui achètent sur Internet sont des picoreurs et des capteurs de bonnes affaires.

Bien que les courants de consommation éthique ne soient pas suffisants pour faire basculer le comportement des consommateurs, ce sont de bons leviers qui, souvent, forcent le pouvoir politique à prendre des décisions, lesquelles s’appliquent ensuite à tout le monde.

Mme Frédérique Massat, a indiqué être une « adepte » de l’achat en ligne et a déploré à ce sujet la fracture numérique qui existe encore en France : sur les 332 communes du département de l’Ariège, rares sont celles qui sont connectées à Internet.

En allant sur le site de Price Minister, on peut être étonné par le nombre d’articles mis en vente neufs ou quasi-neufs. Cela montre la tendance de plus en plus de personnes de vendre pour acheter un produit qui vient de sortir. Existe-t-il des statistiques sur le comportement de la clientèle de Price Minister ?

La distinction faite par M. Rochefort entre usage et possession est très intéressante. Les politiques devront certainement changer leurs discours sur la propriété, qu’il s’agisse de logements ou de voitures. Des aides sont accordées pour faciliter l’accession à la propriété alors qu’il est demandé de plus en plus de mobilité aux travailleurs. Des prêts sont proposés pour l’achat de véhicules neufs et non pour la location. Pour la génération précédente, la propriété représentait quelque chose d’important. Il faudra certainement évoluer sur ce point.

Il est trop tôt pour mesurer l’impact du Grenelle de l’environnement sur la manière de consommer des Français, mais le pouvoir législatif et réglementaire doit avoir, en ce domaine, une action forte car le citoyen ne s’en sortira pas tout seul.

La région Midi-Pyrénées a la plus grande surface de terre cultivée en agriculture bio. La réflexion sur la façon de consommer doit porter également sur la façon de produire.

Il est essentiel de prévoir, par ailleurs, une éducation à la consommation dans le système scolaire pour faire des jeunes des consommateurs responsables, alors qu’ils se livrent aujourd’hui à une consommation-pulsion, une consommation-plaisir immédiat. Ils y sont d’ailleurs incités par les banques, qui leur offrent des facilités de crédit sans réels contrôles.

Mme Frédérique Massat a souligné le souhait de son groupe de voir très prochainement l’Assemblée légiférer sur les actions de groupe, les class actions.

M. Pierre Kosciusko-Morizet a jugé que la fracture numérique n’est pas une fatalité. Il y a dix ans, la Corée du Sud a câblé en fibres optiques à très haut débit tous les logements du pays. Quand on va sur un site coréen, il met dix minutes à se charger depuis la France, même en haut débit. Il fait en moyenne dix pages en hauteur et comporte beaucoup de vidéos. On est dans une autre dimension de l’Internet. Le Japon a la même avance, même si cela passe plus par le mobile que par la fibre. L’Estonie est mieux connectée à Internet que la France.

C’est l’un des domaines où le gouvernement et les parlementaires peuvent jouer un rôle considérable : ils doivent pousser la progression d’Internet sur tout le territoire et désenclaver les régions.

Comme Internet crée du pouvoir d’achat, il est d’autant plus intéressant dans une commune rurale, où il y a moins de magasins de discount.

Quant au passage de la propriété à l’usage, c’est une tendance de fond, même s’il est difficile de dire comment elle pourrait être accélérée par le pouvoir législatif. Internet y contribue mais n’est pas le seul facteur.

A cet égard, le discours sur le pouvoir d’achat est embarrassant, car il suppose une plus grande consommation et repose davantage sur la possession que sur l’usage, le gros problème étant que tout le monde est convaincu d’avoir un mauvais pouvoir d’achat. Quand un politique promet d’optimiser le pouvoir d’achat, il fait fausse route parce que les gens jugeront toujours leur pouvoir d’achat insuffisant.

M. Jean-Paul Charié, interrogeant M. Kosciusko-Morizet, a souhaité savoir si la notion d’usage passe par celle de propriété ? Faut-il devenir propriétaire pour revendre ?

M. Pierre Kosciusko-Morizet a estimé que pour les petits produits, il vaut mieux acheter et revendre et organiser le marché de la manière la plus fluide possible. Louer un livre n’a aucun sens.

Pour de plus gros objets, on peut préférer la location longue durée, comme pour les voitures ou les logements. La location d’appartement peut constituer une forme de liberté.

M. Jean-Paul Charié a souligné que les Britanniques achètent et revendent des appartements comme les Français le font pour des voitures.

M. Robert Rochefort a jugé que ce que le débat mettait en évidence était le fait que la société française, où la peur est bien plus forte qu’ailleurs, oscille en permanence entre le refuge dans le passé et l’acceptation des défis de l’avenir. La consommation en est un exemple.

Le discours sur le pouvoir d’achat présente un aspect régressif au sens où les gens veulent toujours en avoir plus. La France est un vieux pays terrien, catholique, peu économique, où l’on cache ce que l’on possède et où l’on dit toujours que cela va mal et que les affaires ne marchent pas. Les jeunes, surtout lorsqu’ils ont la chance d’être ouverts sur l’international, évoluent par rapport à cela, souvent d’ailleurs en faisant un trop rapide écart de l’autre côté. Entre la vision des gens traditionnels qui ont besoin d’avoir un matelas à la banque et celle des jeunes pour qui le niveau zéro de leur compte correspond au montant de leur découvert, on constate une évolution.

La possession appartient à la société du passé. L’argument qui sous-tend aujourd’hui les marchés de consommation est le culte de la personne et non plus la possession des choses comme hier. Les boutiques qui marchent dans les centres commerciaux sont celles qui proposent des bougies parfumées, des huiles de relaxation, des vêtements qui permettent d’avoir un « look » différent. L’individualisme s’exprime là. Cela débouchera demain sur les marchés de la santé tout au long de la vie pour être en pleine forme et sur la chirurgie esthétique par refus du vieillissement. L’argument n’est plus dans la possession d’une voiture plus performante ou d’une deuxième voiture, ou de la chaîne hi-fi la plus spectaculaire.

La difficulté est que la société oscille entre les deux tendances. Pour des jeunes des cités, le fait de posséder le dernier portable est important. Ils sont, à cet égard, au milieu du gué.

On peut réconcilier possession et location en supprimant les coûts de transaction. Dans le domaine immobilier, ils sont encore trop élevés en France, comme l’a mis en évidence le rapport Attali.

M. Pascal Morand, professeur, directeur général de ESCP-EAP, a rappelé que l’École supérieure de commerce de Paris ESCP-EAP ayant vocation à produire des connaissances et à les transmettre, c’était un honneur pour elle d’être associée aujourd’hui aux travaux de la commission des affaires économiques.

Il s’est déclaré très sensible au phénomène d’achat de marques dans toutes les couches sociales, notamment, dans les cités, et de consommation de mode, ayant dirigé pendant longtemps l’Institut de la mode. Dans l’émergence de ce nouveau mode de consommation, dans cette nouvelle relation à l’usage et à la possession, dans la transformation d’un modèle qui, autrefois, mettait l’accent sur l’automobile, secteur qui entraînait le reste de l’économie, il y a une sorte de paradoxe relatif, une dissociation proche de la schizophrénie.

Le rapport au temps change de manière substantielle et ce changement contribue à l’émergence d’un nouveau modèle de consommation.

D’un côté, il y a de plus en plus d’éphémère. Dans le phénomène des marques entrent en ligne de compte le prix, l’immatériel – les bougies parfumées –, une certaine atmosphère, un certain contexte – le merchandising. Il devient très important d’avoir telle ou telle marque, quitte à renouveler très fréquemment ses achats. Ce qui a donné le ton dans la mode dans les années quatre-vingt-dix et ce qui donne encore aujourd’hui le ton, ce sont H&M et Zara, entre autres enseignes. On peut revendre ses vêtements, mais on peut aussi acheter des vêtements très peu chers. Cela va très loin aujourd’hui, car on entend des enfants de huit ou dix ans dire qu’ils ne veulent pas porter tel ou tel type de vêtement parce que c’est une mauvaise marque.

D’un autre côté, il y a une demande de durée et de long terme, avec le mouvement de fond du développement durable.

Reste à se demander comment cette demande de durée et d’éphémère se croise.

Le Président Patrick Ollier a expliqué qu’à l’occasion d’un séjour en Tunisie, il avait constaté que les fabriques de vêtements produisent les mêmes chemises ou autres produits qui sont ensuite vendus par des marques différentes. Or le consommateur achète ou non selon la marque. Il y a un côté pervers dans ce système.

M. Robert Rochefort a indiqué que ce phénomène constituait un argument en faveur de la TVA sociale. Elle ne provoquerait pas la hausse des prix redoutée parce que, aujourd’hui, le prix de vente n’est pas fondé sur le coût de production majoré d’une commission, mais sur le prix psychologique que le client est prêt à accepter de payer.

La vraie schizophrénie est, non pas sur la consommation, mais sur la vie elle-même. D’un côté, la vie s’accélère en permanence. L’économie y pousse d’ailleurs puisqu’on ne cesse de dire qu’il faut changer d’emploi, d’entreprise. D’un autre côté, la société donne une année de vie de plus tous les quatre ans. Le véritable élément de durée est la longévité de la vie. C’est là où se situe la véritable contradiction, la vraie schizophrénie.

Le rapport au temps – donc à l’obsolescence – étant complètement modifié, on observe une grande différence de consommation au cours du cycle de vie des consommateurs. Un produit qui a six mois d’âge est une antiquité pour un jeune, mais est tout à fait récent pour un consommateur de soixante-dix ans. Un jeune considérera que son père qui a acheté un téléviseur ayant déjà six mois d’âge s’est fait duper, même s’il l’a acheté avec un rabais de 30 ou 40 %, parce qu’il n’était pas déjà complètement « Full HD », tandis que le père estimera que le jeune est vraiment le plus aliéné de la société de consommation parce qu’il a voulu acheter le produit au moment où il est sorti et l’a donc payé plus cher.

M. Thibault Delavaud, étudiant de ESCP-EAP a jugé que pour les jeunes, la consommation est un phénomène de société très important. Cela fait même partie de leur identité. Ils souhaiteraient d’ailleurs une libéralisation totale de la consommation avec, notamment, ouverture des magasins le dimanche et un ajustement de la TVA sur certains produits en faveur des jeunes. Est-ce une perspective envisageable ?

Le Président Patrick Ollier a indiqué que la question de l’ouverture des magasins le dimanche n’était pas simple. En tant que maire d’une grande ville, il a jugé intéressant le fait d’avoir le dimanche des animations dans le centre-ville avec des magasins ouverts. Pour autant il faut avoir en tête les équilibres de la société, la culture française, les problèmes sociaux, notamment des salariés, l’aménagement du territoire, le maintien des commerces de proximité dans les villes et les villages. La question est en débat à l’Assemblée nationale.

M. Robert Rochefort a précisé que le CREDOC ressentait un besoin d’organisation d’activités le dimanche car, dans la société d’aujourd’hui, beaucoup plus de personnes vivent seules. Si, demain, on ouvrait tous les commerces le dimanche, une quantité considérable et probablement majoritaire de consommateurs viendraient dans les magasins pour se promener et lutter contre l’ennui, et pas vraiment pour consommer.

Plus personne ne veut des dimanches d’antan qui consistaient en un repas familial de midi à seize heures, suivi d’une promenade digestive. La question devient celle de l’ouverture d’activités le dimanche et non plus simplement de commerces.

M. Amaury de Seynes, étudiant de ESCP-EAP a estimé qu’il existe une différence de perception du temps entre les adultes et les jeunes. Ces derniers sont incontestablement soumis aux phénomènes de mode. Les politiques de marketing de toutes les grandes entreprises poussent tous les consommateurs et, en particulier, les jeunes à acheter toujours plus, d’où la tendance de ces derniers à se procurer d’abord les produits comme les téléphones portables, les appareils MP3 et les vêtements de marque avant de subvenir à leurs besoins, et à souscrire des emprunts étudiants au risque de ne pas pouvoir les rembourser cinq ans après.

De même qu’il y a, au collège et au lycée, une éducation civique, il faudrait instituer une éducation à la consommation et à l’environnement pour sensibiliser les jeunes aux vrais enjeux et les aider à mieux consommer.

M. Pierre Kosciusko-Morizet a exhorté les jeunes à se prendre en main, et a évoqué son souhait de ne pas rentrer dans les schémas décrits pas M. de Seynes : quand un appareil sort, la première question à se poser est celle de savoir si on en a besoin. La société de consommation poussant à faire exactement l’inverse, une formation au décodage de la publicité serait effectivement très utile. Pour autant, ce n’est pas pour cela qu’on ne sera pas sensible à la publicité, car il est établi qu’on achète plus un produit si on a vu la publicité que si on ne l’a pas vue.

Quant à la question du temps, le décalage ne résulte pas tant de la schizophrénie que la réalité de la vie. Il y a des choses qui relèvent du court terme et d’autres du long terme. Le bonheur est le mélange des deux. Ces deux aspects appartiennent à la vie et ne sont pas la conséquence de la société de consommation.

Globalement, le monde s’accélère. On est de plus en plus dans le présent. Il faut y rester car, si on n’est pas bien dans le présent, on est malheureux. Cependant, il faut également de temps en temps se projeter dans l’avenir pour voir à peu près où l’on va.

M. Jean-Paul Charié a résumé les messages adressés au monde politique.

D’une part, celui-ci doit réfléchir à davantage impulser qu’à freiner et, d’autre part, il va être obligé de réglementer certaines évolutions, pour empêcher, par exemple, que la spiritualité ne devienne un domaine marchand.

Par ailleurs, les générations précédentes disaient : « Quand on n’est pas riche, on n’a pas les moyens d’acheter bon marché ! » Un tel précepte ne peut pas être édicté par une loi. Le politique peut-il avoir une certaine autorité pour expliquer aux consommateurs qu’ils doivent avoir tel ou tel comportement ?

M. Pierre Kosciusko-Morizet a précisé que le politique ne faisait pas que freiner. Malheureusement, la tendance en France face à un produit nouveau est, dans un premier temps, de le considérer avec méfiance, puis, dès qu’il rencontre un certain succès, à vouloir le taxer. Depuis un an, de nombreuses taxes nouvelle ont ainsi été créées, permettant de compenser les baisses d’impôts promises le Président Sarkozy. La suppression de la publicité sur les chaînes publiques est une aberration, quand les financements publics se font rares et que des annonceurs ne demandent qu’à payer.

Pour donner un élément de comparaison, aux États-Unis, l’e-commerce a été exempt de TVA pendant dix ans aux États-Unis. Comme il s’agissait d’un produit nouveau, les Américains ont voulu le laisser se développer afin d’être à l’avant-garde.

Si cette méthode n’est pas nécessairement transposable en France car elle s’avère injuste vis-à-vis des magasins qui payent de la TVA, cet exemple traduit néanmoins la différence de mentalité qui existe entre les pays : certains soutiennent et favorisent l’innovation, tandis que d’autres essayent de la tuer pour préserver les emplois de l’économie d’hier qui sont en déclin, de manière inexorable.

L’instabilité législative conduite la plupart des entreprises françaises du secteur de l’Internet à envisager d’aller au Luxembourg pour payer 15 % de TVA au lieu de 18 %. La France est en train de tuer l’économie numérique.

Le politique ne peut sans doute pas pousser les gens à réfléchir autrement, mais il peut accélérer les évolutions de la société quand elles lui semblent positives. Les nouvelles technologies, la modernisation de la France et son ouverture sur le monde sont d’une importance capitale. Or l’État n’y contribue pas.

M. Robert Rochefort a jugé que les politiques, notamment les parlementaires, éprouvent toujours un sentiment de culpabilité quand ils décident une mesure, aussi légitime soit-elle ; ce sentiment de culpabilité vient du Ministère de l’Économie et des Finances.

Deux comportements sont choquants dans le fait de toujours privilégier la consommation.

Au lendemain de l’effondrement des tours jumelles en septembre 2001, le message des politiques, en particulier de Rudolph Giuliani qui fut un très bon maire de New York, a consisté à inciter les américains à consommer afin de soutenir l’économie, dont l’effondrement aurait marqué la victoire des terroristes. Ils avaient raison, même s’il était paradoxal de donner une telle réponse à un événement d’une telle ampleur.

Le second exemple se situe le jour du passage à l’euro.

La télévision a montré Lionel Jospin, alors Premier ministre, et Laurent Fabius, alors ministre de l’Économie, acheter l’un des viennoiseries ou du pain et l’autre des fleurs. Le message, qui leur avait été imposé par le ministère de l’Économie consistait à rassurer les consommateurs. Les deux principaux représentants de l’exécutif ne sont pas venus à la télévision pour expliquer quel était le sens politique du passage à l’euro.

Il faudrait que les politiques parviennent à s’exonérer de la pression permanente qui pèse sur eux et qui les oblige à tenir un discours politiquement correct sur la consommation et l’hyperconsommation, sous peine d’être accusés de ne pas soutenir l’activité économique. Il n’y a pas de solution toute faite, mais il y a là un piège que les politiques doivent éviter. Ils ont une légitimité à parler du sens de la société et à dire autre chose que « Consommez !».

M. Michel Piron, membre de la commission des affaires économiques, s’est réjoui des idées émises dans ce débat, rappelant qu’il mettait en garde depuis longtemps contre le fait que le temps politique se soumet de plus en plus au temps médiatique, lequel est soumis au temps du quotidien. Cette dictature du quotidien, qui pousse à courir toujours plus vite pour avoir la dernière nouvelle, prive l’analyse de toute perspective. Or la question n’est-elle pas moins d’aller vite que de savoir où l’on va ? A quoi servirait d’aller plus vite que les autres si c’est dans la mauvaise direction ?

Le politique doit d’abord proposer une direction. C’est seulement ensuite que doit se poser la question du rythme et des moyens. Le pouvoir est malheureusement passé très largement du côté des médias. En effet, il n’est pas du côté de celui qui répond, mais du côté de celui qui pose les questions. Il suffit de s’amuser à décrypter les questions qui sont généralement posées à la télévision pour s’en rendre compte, la caricature absolue étant celles auxquelles il est demandé de répondre par oui ou par non. Accepter de répondre par oui ou par non, c’est avouer l’impuissance totale du politique puisqu’il se soumet entièrement aux questions de celui qui est en face. Or on apporte rarement de bonnes réponses à de mauvaises questions.

Il faut revendiquer le droit à questionner le questionnement. Là se place d’abord la responsabilité politique. Pour cela, il faut aussi un peu de temps.

La question de l’ouverture des magasins le dimanche est un bon exemple. Lors d’une réunion qui s’est récemment déroulée à l’initiative du Premier Ministre, les portes d’entrée qui avaient été choisies étaient très surprenantes : on réfléchissait déjà aux contrats de travail, au taux des heures supplémentaires, aux rapports entre employeur et employé. Le questionnement pouvait être repensé autrement à travers trois questions : Est-ce seulement une question économique ? N’est-ce pas également une question sociale et même, d’abord et avant tout, une question sociétale ?

Se pose en outre une question qui n’a pas reçu de réponse, y compris de la part de la fédération de la grande distribution : est-ce que l’ouverture du dimanche de l’ensemble de la grande distribution augmentera la consommation finale et globale dans le pays ? Si tel est le cas, il est légitime de discuter de cette possibilité. Si tel n’est pas le cas, cela veut dire qu’il y aura simplement une redistribution des parts de marché entre grande distribution et petit commerce. Dans ce cas, le rôle du politique est-il de se soumettre à la pression micro-économique de certaines catégories ou est-il de reposer la question macro-économique du bénéfice global pour la société ?

Toujours sur le plan économique, des comparaisons ont-elles été faites avec les autres pays ? On ne dispose aujourd’hui d’aucun document comparatif crédible sur le type de commerces qui ouvrent ou qui n’ouvrent pas le dimanche dans les pays qui nous entourent. On ne dispose pas de comparaisons fiables.

Sur le plan social, quel est aujourd’hui l’équilibre des rapports entre le salarié et l’employeur dans la grande distribution ? On peut poser la question du contrat de travail. On peut poser également celle des conséquences éventuelles de l’ouverture de ces commerces le dimanche. Si, d’un côté, on vante le bonheur et le bénéfice pour la personne qui peut travailler le dimanche de doubler son salaire, il faut également se demander par combien de suppressions d’emplois cela va se traduire s’il n’y a pas d’augmentation globale de la consommation. Les uns doublent leur salaire, les autres perdent leur emploi à court terme. Il faut mettre ces deux réalités en face.

Sur le plan sociétal, qui est le plus important, l’économiste Patrick Artus a fait une observation tout à fait fondamentale dans une lettre du Conseil d’analyse économique : l’idée d’un jour par semaine qui soit d’abord une référence de temps libre, même s’il y a des exceptions, permet, dans une société, d’avoir un temps partageable et partagé. Ce n’est pas seulement un temps familial, cela peut être un temps avec des amis, un temps de rencontre, ce qui est important dans une société où l’on se disperse de plus en plus. Quel sera le temps de rencontre hebdomadaire encore permis par notre société si, demain, toutes les heures sont banalisées et si l’on se soumet à cette sorte de pulvérisation, d’atomisation de l’expression des besoins vantée aujourd’hui ? Le comble absolu de la liberté individuelle pourrait se transformer en un anonymat absolument effarant.

L’argument avancé est que beaucoup de gens le souhaitent. Là encore, ce sont les questions qui génèrent les réponses, et il faut y faire attention quand on fait des sondages. Le droit a peut-être vocation à toujours suivre le fait, mais il faut questionner le questionnement. Depuis le début du débat, c’est la question du rapport au temps qui revient sans cesse.

M. Jean-Paul Charié s’est félicité de cette intervention qui a posé autrement un certain nombre de questions, ce qui est le but des jeudis de l’économie.

Il a retenu deux messages importants : premièrement, de la qualité de la question dépend la qualité de la réponse ; deuxièmement, si, pour suivre l’évolution de la société, le politique doit bouger, il ne doit pas perdre de vue la nécessité, d’une part, de fixer un objectif et, d’autre part, de réfléchir à partir de références.

Mme Élisabeth Tissier-Desbordes, professeur, directrice de la marque et de la communication ESCP-EAP a indiqué que les notions d’usage et de possession sont essentielles pour comprendre la société d’aujourd’hui et méritent d’être approfondies. La fonction des objets n’est sans doute pas le bon terme pour comprendre la consommation. Il y a longtemps que l’on n’achète plus une voiture uniquement pour se déplacer, un costume pour ne pas avoir froid et des lunettes pour voir. Les objets répondent à beaucoup d’autres demandes et besoins, qui sont très loin des besoins fonctionnels classiques. Cela signifie que, à côté du produit et de la fonction du produit, on cherche à consommer des expériences et donc de l’immatériel.

Cela ne signifie pas que les gens n’ont pas envie de posséder. A la question : « Avez-vous envie de consommer plus ? », la plupart répondent par l’affirmative. En revanche quand on leur demande s’ils pensent que consommer plus les rendrait plus heureux, les réponses sont doubles : les gens riches répondent par la négative, mais ceux qui n’ont pas encore beaucoup consommé, c’est-à-dire les jeunes et les plus pauvres, répondent par l’affirmative. Le besoin d’avoir reste important, même si l’on revend ensuite.

Cela renvoie à la question de la compréhension de ce qu’on fait, ainsi que du pouvoir du consommateur sur sa consommation, en tant que « consomm-acteur ».

Pour autant, plus le consommateur comprend ce qu’il fait et plus les marques et les entreprises comprennent ce qu’il comprend, c’est-à-dire vont essayer d’aller là où il est. Pour beaucoup de marques, la publicité à la télévision est quasiment finie. Le consommateur se trouve dans les blogs, et c’est là que les entreprises vont à sa rencontre. Elles peuvent même aller plus loin. Aux États-Unis – et maintenant en France – se développent des entreprises de « buzz » qui paient des jeunes pour qu’ils parlent à tous leurs copains de la nouvelle marque.

S’il est facile de contrôler la publicité à la télévision – des commissions visionnent les flashs publicitaires et permettent ou non leur diffusion – il est beaucoup plus difficile de contrôler les pratiques de marchandisation quand elles sont hyper-atomisées.

M. Pierre Kosciusko-Morizet a souhaité insister sur deux aspects, liés au fait que la société évolue en permanence et de manière profonde.

Premièrement, on ne va pas sortir de la société de consommation, mais on va consommer de manière très différente. L’achat-vente sur Internet illustre ce mouvement, comme l’accroissement de la location et le développement durable.

Deuxièmement, Internet constitue un défi pour la compétitivité de la France dans le monde. Se pose dès lors la question de la manière dont la France peut le relever. Il faut faire évoluer le cadre législatif quand c’est nécessaire mais, en même temps, il ne faut pas prendre trop de mesures qui freinent le développement car, Internet et les nouvelles technologies évoluant tellement vite, elles risquent d’être prises trop tard ou, si elles sont prises au bon moment, d’être rapidement dépassées. Mieux vaut encourager le développement d’Internet et, quand il y a des problèmes, les résoudre au cas par cas.

Il faut également prendre en compte le fait qu’Internet est un phénomène mondial. On peut fermer les commerces le dimanche. Les gens ne prendront pas leur voiture pour aller acheter en Autriche. Néanmoins une loi trop contraignante sur Internet en France poussera les entreprises Internet à s’installer au Luxembourg, comme beaucoup l’ont déjà fait, et les consommateurs achèteront dès lors à l’étranger. Il faut faire attention à ne pas édicter de lois qui, non seulement ne serviraient à rien, mais encore conduiraient à des délocalisations et entraîneraient, de ce fait, une baisse des rentrées fiscales, ce qui serait mauvais pour tout le monde.

M. Robert Rochefort a également insisté sur l’accélération des évolutions. Il ne faut pas les regarder avec les yeux du passé, sous peine de passer à côté de la réalité.

En matière de consommation, comme dans beaucoup de domaines, quand on légifère dans l’urgence, on commet des erreurs faute de percevoir les enjeux. Or, aujourd’hui, à chaque problème d’actualité, quand un consommateur se fait duper, cela crée une émotion. Les médias en parlent et une mesure est annoncée puis votée.

Une société « consommatoire » est une société dans laquelle, par mimétisme, on règle des problèmes qui n’ont rien à voir avec la consommation par des références à cette dernière. Évoquant son dernier livre sur ces questions, il a expliqué ses tentatives de mettre en parallèle la consommation et la citoyenneté. Or il est frappant de constater que les réponses obtenues à la question : « Pour vous, qu’est-ce qu’être citoyen ? », étaient « ne pas trop tripoter les fruits dans les supermarchés » ou « remettre la boîte de surgelé au congélateur quand on est chez Picard et qu’on décide, au moment de passer à la caisse, de ne pas la prendre », avant celles concernant le vote.

Une société consommatoire est aussi une société dans laquelle les citoyens attendent de leurs élus des résultats. Ils les prennent pour des distributeurs de prestations. Cette dérive consommatoire est très grave.

La prise en compte de l’intérêt général ne peut pas uniquement passer par des solutions contre la consommation, mais la société se donne aujourd’hui à se lire par les pratiques de consommation, comme les jeunes y ont insisté.

Pour autant on peut contester la notion d’obligation à laquelle ils ont fait allusion. Il n’est pas sûr qu’ils soient autant qu’ils le disent « obligés de » suivre les modes. Il est un peu facile de s’abriter derrière le matraquage publicitaire et le marketing. C’est nier la notion de responsabilité. Ils savent suffisamment dire non à leurs parents lorsque ces derniers veulent les obliger à faire quelque chose pour être capables de dire non également au marketing.

Cependant, puisque la société se donne à lire dans la consommation, les décisions que les politiques prendront par rapport à la société passeront de plus en plus par des décisions ayant trait à la consommation. A chaque fois que les parlementaires prendront une décision dans ce domaine, il faut souhaite qu’ils aient préalablement maîtrisé les conséquences sociétales de celle-ci parce que, derrière la consommation, c’est l’organisation de la société qui est en cause.

——fpfp——