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Commission des affaires économiques

Mardi 8 février 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 42

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Christophe Le Duigou et Frédéric Gonand, personnalités pressenties pour être membres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

La commission a auditionné MM. Jean-Christophe Le Duigou et Frédéric Gonand, personnalités pressenties pour être membres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

M. le président Serge Poignant. Messieurs, l’article 28 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, modifié par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité – dite « loi NOME » –, dispose que deux membres du collège de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) sont nommés par décret, après avis des commissions du Parlement compétentes en matière d’énergie. C’est dans ce cadre que nous procédons aujourd’hui à votre audition.

Je vous demanderai de présenter tout d’abord brièvement vos parcours respectifs et de répondre à la question suivante : sachant qu’aux termes de la loi les membres du collège de la CRE doivent exercer leurs fonctions à plein temps avez-vous renoncé aux activités qui pourraient interférer avec votre mandat ?

Dans un second temps, votre audition sera l’occasion de prolonger la discussion que nous avons eue la semaine dernière avec M. Philippe de Ladoucette sur diverses questions relatives à la régulation des marchés de l’énergie, comme la contribution au service public de l’électricité (CSPE), la loi NOME, les réseaux ou l’harmonisation européenne.

Je rappelle, monsieur Le Duigou, que vous possédez une certaine expérience du fonctionnement de la CRE puisque vous êtes membre du collège de cette autorité administrative indépendante depuis 2008.

M. Jean-Christophe Le Duigou. Ma carrière professionnelle a connu trois phases successives.

Dans un premier temps, j’ai œuvré au sein des services centraux de la direction générale des impôts, où j’ai assumé la responsabilité de la mise au point, de l’expérimentation et de l’analyse de la première maquette du dossier fiscal informatisé. Ce fut pour moi l’occasion de travailler avec les milieux de la recherche, notamment l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) et l’Université technologique de Compiègne.

A débuté ensuite une seconde période, lorsque j’ai été élu, en 1982, secrétaire général de la Fédération CGT des finances, qui regroupait des fonctionnaires des finances et des agents des institutions financières publiques. À ce titre, je suis devenu membre de la direction de la Confédération, où j’ai notamment été chargé des dossiers liés à la fiscalité et aux finances publiques.

En 1992, j’ai intégré la CGT à plein temps, en tant que responsable du Centre confédéral d’études économiques et sociales. Parallèlement, j’ai assumé à partir de 1997 la responsabilité des négociations sur les retraites pour le compte de la CGT, ainsi que divers mandats dans la Confédération européenne des syndicats. J’ai participé depuis cette époque à l’ « Instance de dialogue macro-économique » – seul lieu d’échanges réguliers sur la politique économique en Europe entre les syndicats, le patronat, le Conseil européen, la Commission européenne et la Banque centrale européenne. J’ai siégé au Conseil économique, social et environnemental, au bureau du Conseil national de l’information statistique, j’ai représenté la CGT à la Commission des comptes de la nation – aujourd’hui Commission économique de la nation –, ainsi qu’au Conseil d’orientation des retraites, et j’ai contribué à la création de l’Agence pour l’innovation industrielle, dont j’ai été vice-président du conseil de surveillance pendant deux ans. Par ailleurs, j’ai publié une demi-douzaine d’ouvrages sur des thèmes sociaux et économiques.

J’ai abandonné l’ensemble de mes responsabilités syndicales lors du dernier conseil confédéral de la CGT, il y a un peu plus d’un an.

J’ai été nommé membre non permanent de la CRE en avril 2008. Si la coexistence de membres permanents et de membres non permanents permettait d’associer des expériences très diverses, elle avait aussi l’inconvénient d’entériner une différence de statut qui, malgré les efforts des uns et des autres, ne favorisait guère le travail collectif ; elle pouvait même provoquer certaines frustrations chez les membres non permanents qui ne disposaient pas du temps nécessaire pour s’approprier l’ensemble des dossiers.

S’agissant d’une institution qui a vocation à promouvoir la concurrence dans le secteur de l’énergie, j’estime que le principal défi qui lui est posé est de trouver, dans le cadre de la loi, un chemin viable entre l’intérêt du consommateur final, le bon fonctionnement de la filière énergétique, le renouvellement des investissements et l’intégration des nouveaux projets technologiques et organisationnels. Pour ma part, je suis convaincu que la concurrence est un moyen parmi d’autres, mais qu’elle ne saurait être une fin en soi.

Je voudrais maintenant évoquer quelques dossiers qui, dans le prolongement de mes réflexions sur l’évolution du prix de l’énergie et la qualité des investissements, ont particulièrement retenu mon attention au cours de ces trois années d’activité à temps partiel.

Le souci d’une fourniture pour les activités économiques d’une électricité au meilleur prix avait conduit à l’instauration du tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché (TaRTAM). Par la loi de décembre 2006, le législateur a confié à la CRE une nouvelle responsabilité, celle de surveiller les marchés de gros de l’électricité et du gaz. Je partage entièrement cette préoccupation d’une gestion dans les meilleures conditions de coût, de prix et d’efficacité. J’estime qu’elle inclut la modernisation et le développement de notre parc de production, y compris dans sa composante nucléaire.

La question du prix du gaz est quant à elle liée à la « décorrélation » des prix des contrats à long terme et des prix de marché. Celle-ci a conduit la CRE à réviser la formule des tarifs réglementés pour y introduire une proportion de prix de marché afin de refléter les coûts d’approvisionnement actuels de GDF Suez. Cette solution n’est sans doute pas parfaite, et il convient de rester vigilant.

Les grandes tempêtes et les aléas hivernaux ont mis en exergue les questions de sécurité et de qualité des réseaux. Sur ce sujet, la CRE a rédigé à la fin de l’année dernière un rapport équilibré, mais sans concessions, dont je partage les principales conclusions.

S’agissant des gestionnaires de réseaux de transport, il existe des divergences d’appréciations concernant leurs relations avec les maisons mères dans le cadre d’organisations verticalement intégrées. Dans le troisième paquet de libéralisation du marché de l’énergie, la Commission européenne a privilégié la séparation patrimoniale, mais la France et l’Allemagne ont défendu une autre option, celle des « opérateurs de transport indépendants » (ITO). C’est ce dernier modèle qu’il faudra mettre en application dans les prochains mois, et que la CRE devra certifier.

Conséquence de l’adoption du paquet « énergie-climat » et du Grenelle de l’environnement, la France s’est fixé pour objectif d’atteindre la proportion de 23 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020, ce qui suppose qu’il y ait un débat sur le développement des nouvelles filières comme le photovoltaïque ou l’éolien off shore, ainsi que sur les coûts induits pour le consommateur, à travers la CSPE.

De l’actualité découlent donc les grands sujets que la régulation de l’énergie devra traiter dans les prochaines années, dans le cadre de la loi NOME et de la mise en œuvre du 3ème paquet européen. Si la mission de la CRE est de « concourir au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz naturel », la loi l’a inscrite dans une approche plus large de la régulation, qui intègre la prise en compte de l’intérêt collectif et des obligations de service public. Cela implique, selon moi, trois grands objectifs : premièrement, contribuer à la sûreté des systèmes et à la sécurité d'approvisionnement, car l’énergie, quel que soit le mode d’organisation du secteur, est un bien stratégique ; deuxièmement, améliorer la qualité et l’efficacité des réseaux et des équipements de manière à garantir un service de qualité pour tous et sur tout le territoire ; troisièmement, assurer aux utilisateurs finaux la fourniture de gaz et d’électricité au meilleur prix.

M. Frédéric Gonand. J’ai l’honneur de faire partie, depuis presque quatre ans, du cabinet de Mme Lagarde, en tant que conseiller économique. À ce titre, j’ai travaillé sur la plupart des sujets ayant trait à la politique macro-économique et aux finances publiques. Il est évident que la grave crise économique que nous avons connue et le besoin consécutif de retour à l’équilibre des finances publiques ont alimenté une actualité chargée sur ces sujets !

Mon parcours professionnel est donc d’abord, mais pas uniquement, celui d’un collaborateur ministériel issu des administrations de l’État et des organisations internationales – j’ai travaillé plusieurs années à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Cette culture peut être utile à la CRE, puisque les nouvelles attributions que lui confie la loi NOME supposent une bonne coordination avec les administrations d’État, dans la mesure où certaines décisions, comme la fixation du tarif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), seront prises, pendant quelques années encore, par les ministres chargés de l’économie et de l’énergie, sur avis de la CRE. Une bonne connaissance des administrations par un commissaire peut dès lors être un atout, sans pour autant remettre en cause l’indépendance de la CRE ; d’ailleurs, comme l’a souligné le président de Ladoucette la semaine dernière devant votre commission, une plus grande fluidité des échanges entre les administrations et la CRE aurait peut-être permis d’améliorer les conditions du développement de certaines filières énergétiques bénéficiant du soutien des pouvoirs publics.

Mon parcours professionnel est toutefois quelque peu atypique, dans la mesure où j’ai pratiqué auparavant une activité de recherche en sciences économiques, dans le cadre d’un doctorat. J’ai publié une quinzaine d’articles scientifiques, un ouvrage scientifique et un ouvrage de vulgarisation.

Ce double profil me paraît utile pour un commissaire de la CRE car, si l’activité de cette commission de régulation porte sur des domaines économiques techniques, elle a des implications directes sur la vie quotidienne des Français. De surcroît, le fait de ne pas avoir exercé de fonctions dans le secteur énergétique constitue une garantie d’indépendance.

J’en viens à l’analyse de l’évolution des marchés de l’électricité et du gaz ; je centrerai mon propos sur la question des prix, particulièrement d’actualité.

Premier point : vu le contexte mondial qui pousse les prix de l’énergie à la hausse, il est utile de renforcer la concurrence là où c’est possible – permettez-moi de rappeler que le prix du baril vient de dépasser les 100 dollars, alors qu’il était de 9 dollars en 1999, et que le pétrole représente 33 % de l'énergie primaire utilisée par la France.

Ce choc macro-économique a eu des conséquences importantes sur le marché du gaz, les prix du gaz dans les grands contrats d'importation européens étant étroitement liés à celui du pétrole. Les prix de gros sont ainsi passés de 17 à 25 euros le mégawattheure entre 2009 et la fin 2010. Si l’augmentation des prix à la consommation a été contenue à 6 % en 2010, la tendance est globalement à la hausse, et il est encore trop tôt pour savoir si l’exploitation de gisements non conventionnels aux États-Unis sera de nature à modifier la donne sur le marché français.

La hausse des prix du pétrole a également bouleversé le marché de l’électricité. Pour l’électricité de base, le prix de marché au troisième trimestre 2010 est d’environ 43 euros le mégawattheure, soit une hausse de près de 15 % sur un an ; en septembre 2008, il avait atteint le niveau record de 88 euros le mégawattheure. Le marché semble par ailleurs anticiper d’autres hausses, puisque les prix sur les contrats futures à un an étaient, au troisième trimestre 2010, de 55 euros le mégawattheure. Pour le consommateur, le prix de l’électricité a également augmenté, de 2,4 % en 2010.

Sur le marché de l’électricité, l’écart entre le prix de gros, qui reflète la réalité du marché, et le coût moyen de production pour l’opérateur historique est de l’ordre de 20 euros le mégawattheure, ce qui empêche tout autre fournisseur de se développer de façon significative. Cette situation a attiré l’attention de la Commission européenne, qui a engagé deux actions contre notre pays pour absence de concurrence sur le marché de la fourniture d’électricité.

Certes, la concurrence n’est pas la panacée, mais, pour reprendre la belle expression de Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la loi NOME, elle « est toujours un pari, puisque son intérêt réside dans les innovations qu’elle incitera les acteurs de marché à produire ». C’est en tout cas un pari souhaitable, car les prix de l’énergie augmentent partout dans le monde.

La loi NOME devrait faire bénéficier, d’ici à 2015, les fournisseurs alternatifs de conditions comparables à celles d’EDF, en leur permettant d’acheter l’électricité au coût de production du parc nucléaire existant. Elle contribuera ainsi à contenir les pressions pesant sur le prix de l’énergie.

En outre, la loi NOME, reprenant une idée du président Poignant, impose une obligation de capacité aux fournisseurs alternatifs. Elle fait ainsi jouer le principe du « donnant-donnant », en faisant partager à ces derniers le fardeau d’EDF, jusqu’alors le seul fournisseur de dernier ressort, et en stimulant leurs investissements dans les moyens de production.

Deuxième point : la lutte contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre est susceptible d’influencer les prix de l’énergie.

La production d’électricité représente en effet 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est pourquoi la loi « Grenelle 1 », qui a fait l’objet d’un large consensus républicain, a prévu de lui appliquer le principe du « pollueur-payeur ».

Le législateur a ainsi décidé que le développement des énergies renouvelables, qui polluent très peu, serait un objectif prioritaire de la décennie. Une production de 25 000 mégawatts en 2020 pour les énergies éolienne et marine représenterait l’équivalent de la production d’une quinzaine de tranches nucléaires, soit un quart du parc actuel.

Ce soutien aux filières de production plus respectueuses de l’environnement a des effets directs sur le prix de l’énergie. Ainsi, l’obligation de rachat de l’électricité produite par les services d’énergies renouvelables a contribué au relèvement de la CSPE de 4,5 à 7,50 euros le mégawattheure dans la loi de finances pour 2011. La CSPE représentant environ 4 % du prix de détail TTC, on peut estimer que l’effet tarifaire brut de cette mesure est une hausse d’environ 3 % de la facture du consommateur final. Ce mouvement de hausse n’est peut-être pas achevé, dans la mesure où les charges du service public d’électricité ne sont toujours pas intégralement couvertes par la CSPE.

En outre, certains producteurs d’électricité sont concernés par les quotas d’émission de CO2, au titre notamment de leur consommation de gaz. Ce lien est appelé à se renforcer d’ici à 2013, avec le basculement progressif vers les quotas d’émission dits « de phase III », qui ne seront plus attribués gratuitement, mais vendus aux enchères. L’augmentation du prix du CO2 risque donc d’avoir des répercussions sur les coûts de production.

Troisième point : les prix de l’énergie devront continuer à refléter la rémunération et l’amortissement des actifs de production, de transport et de distribution. Cette exigence est au cœur de la construction des tarifs réglementés de vente par addition de coûts et des travaux de la commission Champsaur sur le tarif de l’ARENH – avec la question, induite, de la valorisation du parc nucléaire, soit au coût historique, soit au coût courant.

L'évolution tarifaire concerne aussi directement les gestionnaires de réseaux de transport et de distribution, dans la mesure où le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE) représente environ 40 % du prix de détail de l’électricité. On touche là le cœur des missions de la CRE, laquelle doit fixer la rémunération des monopoles naturels gérant les réseaux de gaz et d’électricité de façon à couvrir leurs charges, les inciter à la productivité et, surtout, à améliorer la qualité et la sécurité des réseaux.

Pour finir, je ferai quelques remarques sur la CRE elle-même.

À l’évidence, cette autorité va devoir naviguer par gros temps dans les prochaines années. La loi de décembre 2010 lui accorde de nouvelles attributions : la Commission proposera les prix, calculera les droits, contrôlera l’ARENH, et appliquera, le cas échéant, les sanctions des éventuels abus de droit sur ce dispositif. Elle gérera les appels d’offre en matière d’énergies renouvelables. Elle interviendra sur tous les tarifs régulés de l’électricité et du gaz. Elle contribuera à définir les investissements sur les réseaux électriques et gaziers.

Sur tous ces sujets, la mission de la CRE est d’appliquer la politique énergétique définie conjointement par le Parlement et le Gouvernement, et non de la définir. Cette distinction est essentielle.

Par ailleurs, l’application de la loi par la CRE devra se faire dans un cadre collégial, autour du président.

Enfin, l’application de la nouvelle organisation du marché de l’électricité exigera beaucoup de pédagogie : je n’ignore ni les craintes qu’elle nourrit, ni l’incertitude du contexte international dans lequel elle sera mise en œuvre.

Je terminerai en répondant à la question du président Poignant : je démissionnerai de mes fonctions au cabinet de Mme Largarde le jour même de ma nomination à la CRE.

M. François Brottes. Comme mercredi dernier, le groupe SRC ne participera pas au scrutin afin de protester contre le non-respect du principe de la parité. Les candidats n’y sont pour rien ; ce sont ceux qui sont chargés de désigner les membres de la CRE qui sont responsables de cette situation scandaleuse.

Je me félicite par ailleurs qu’en tant qu’ancien membre de la CRE, M. Le Duigou puisse exercer sa liberté d’expression et qu’il incarne une certaine forme de pluralisme, alors que le conseiller du ministre – pour ne pas dire le commissaire du Gouvernement – peut difficilement faire autre chose que l’apologie de la loi NOME. L’un a parlé surtout des consommateurs, l’autre surtout des fournisseurs alternatifs : voilà qui annonce de vifs débats internes pour savoir quels intérêts la CRE doit défendre !

Monsieur Le Duigou, la CRE a-t-elle réellement du pouvoir ? En aura-t-elle davantage à la suite de l’adoption de la loi NOME et de la transposition de la directive européenne ? Que restera-t-il aux parlementaires ?

Monsieur Gonand, vous appelez à davantage de « fluidité » entre le Gouvernement et le régulateur. Le terme est ambigu ! Cela signifie-t-il que le régulateur devra répondre aux injonctions du Gouvernement et anticiper ses désirs ?

Monsieur Le Duigou, le Médiateur national de l’énergie sert-il encore à quelque chose ? Lui arrive-t-il de contrarier la CRE ?

Monsieur Gonand, j’ai noté avec intérêt que vous étiez favorable à l’exploitation du gaz de schiste…

M. Frédéric Gonand. Je n’ai parlé que des États-Unis !

M. François Brottes. Monsieur Le Duigou, le marchandage auquel nous assistons pour la fixation de l’ARENH ne navre-t-il pas le spécialiste du nucléaire que vous êtes ? Se préoccupe-t-on réellement de l’avenir de la filière et de l’intérêt du consommateur, ou essaie-t-on simplement de trouver une voie médiane qui ne satisfera personne ?

Mme Laure de La Raudière. En effet, du gros temps s’annonce dans le secteur de l’énergie, et la préoccupation des Français est de savoir à quel prix ils achèteront leur électricité demain, eu égard aux dernières hausses !

Nous aimerions donc connaître vos positions sur l’évolution des prix de l’électricité pour le public, étant donné les objectifs de production d’énergie renouvelable fixés par le Gouvernement. Quel rôle la CRE pourra-t-elle jouer en matière de prévision des prix ? Corrélativement, quel est votre avis sur le montant de la CSPE et sur le maintien des tarifs réglementés ?

Par ailleurs, vous aurez à émettre un avis sur le prix de l’ARENH. Selon M. Mestrallet, au vu de la comptabilité analytique, ce tarif devrait être fixé à 30 ou 31 euros ; M. Proglio estime qu’à moins de 42 euros ce serait du pillage d’EDF ; M. de Ladoucette, quant à lui, arrive à une évaluation entre 38 et 42 euros. Comment la CRE a-t-elle fait son calcul ?

On nous a signalé, dans plusieurs régions, des problèmes de fiabilité du réseau électrique. Comment analysez-vous la situation ? Quels baromètres comptez-vous mettre en place pour sécuriser le réseau ?

Enfin, monsieur Le Duigou, que pensez-vous de la présence d’un commissaire du Gouvernement au sein de la CRE ?

M. Daniel Paul. J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le mal que je pensais de la multiplication du nombre d’agences et de commissions dites de « régulation », car, qu’il s’agisse du secteur de l’énergie, de la poste ou des télécommunications, leur seul objectif est de faire en sorte que l’opérateur historique – quand il existe encore – fasse de la place à ceux qui ont gagné le droit d’entrer sur le marché. Qu’en pensez-vous ?

En France, qui est l’un des pays où l’électricité est la moins chère, quel sera l’intérêt de la concurrence, sachant qu’il faudra nécessairement augmenter les prix pour la rendre possible ?

Pensez-vous qu’il faille rompre les liens existant entre le pétrole et le gaz depuis la crise des années 1970 ? Nous ne sommes plus dans une situation où l’on craindrait que la concurrence entre les deux sources d’énergie n’entraîne des dysfonctionnements ! D’ailleurs, l’arrivée sur le marché du gaz de schiste a complètement changé la donne, en bouleversant la mécanique bien huilée d’une augmentation des prix.

Tout laisse penser qu’il sera extrêmement difficile d’atteindre en 2020 les objectifs du Grenelle relatifs aux énergies renouvelables. Que peut proposer la CRE dans ce domaine ?

L’augmentation des tarifs, ou des prix, vous semble-t-elle inévitable ? Que pensez-vous de l’alignement du prix du mégawattheure sur le prix du mégawattheure gazier allemand, qui avait été envisagé il y a quelques années ? Est-il souhaitable de réévaluer les capitaux investis ? MM. Mestrallet et Proglio nous ont expliqué que la différence entre leurs évaluations du prix de l’ARENH tenait pour beaucoup à leurs divergences sur ce point.

Comment envisagez-vous les conséquences de la loi NOME, en particulier en ce qui concerne l’avis demandé à la CRE sur le prix de vente ? Suivant la réponse qui sera apportée à cette question cruciale, les conséquences pour nos concitoyens seront très différentes !

Pensez-vous qu’au bout de cette machine infernale il y ait la disparition des tarifs régulés, la mise en place d’un tarif social réservé à la partie la plus démunie de la population et une augmentation importante des prix pour tous les autres ?

Quelle sera, selon vous, l’évolution prévisible d’EDF, sachant que son capital a été ouvert, qu’elle est favorable au tarif le plus élevé et que son souci essentiel semble être l’amélioration de sa rentabilité, y compris au détriment des aspects sociaux et économiques ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Chacun sait que l’énergie sera l’un des défis des prochaines décennies et que la CRE sera appelée à jouer un rôle central. Certes, monsieur Gonand, la CRE ne doit pas définir la politique énergétique du pays, mais vos rapports ne sont-ils pas de nature à influencer le Gouvernement et le Parlement ?

Vous avez dit que toutes les charges n’étaient pas couvertes par la CSPE, ce qui était dommageable pour l’opérateur historique. Le développement des énergies renouvelables ne risque-t-il pas d’accroître encore cet écart, au détriment des consommateurs ?

Par ailleurs, n’a-t-on pas trop chargé la barque de l’opérateur historique avec la loi NOME, et ne rend-on pas inévitable la dégradation de la qualité des réseaux de distribution, le TURPE ne pouvant couvrir la totalité des investissements nécessaires ?

Enfin, pensez-vous que le développement outre-atlantique du gaz de schiste réduira les tensions sur le marché du gaz naturel et nous permettra de réviser nos contrats à long terme, qui ne nous sont guère favorables ?

Mme Frédérique Massat. Comme François Brottes, je souhaite m’élever contre le fait qu’il n’y ait aucune femme au sein du collège de la CRE, alors que le Parlement vient de se prononcer en faveur de la parité dans les conseils d’administration des grandes entreprises.

Le prix de l’ARENH a donné lieu à de vifs débats devant notre commission. M. de Ladoucette nous a annoncé un résultat final se situant dans une fourchette comprise entre 38 et 42 euros. En ce qui vous concerne, suivant quels critères vous prononcerez-vous sur ce tarif ?

La CRE va être amenée à travailler de nouveau sur les réseaux et des compteurs intelligents. Comment concevez-vous les choses ?

La semaine dernière, il nous a été dit que la CRE avait émis des avis souvent négatifs sur les propositions du Gouvernement en matière de tarif de rachat des énergies renouvelables, surtout pour ce qui est de l’éolien et du photovoltaïque. Monsieur Le Duigou, pourriez-vous nous en dire davantage ?

À partir de 2016, la CRE sera chargée de la détermination du tarif réglementé pour l’électricité, dont la responsabilité incombait jusqu’à présent au Gouvernement, avec avis de la CRE. Trouvez-vous ce désengagement normal ?

Monsieur Gonand, vous nous avez dit que vous n’aviez pas de compétences particulières en matière énergétique, ce que vous avez présenté comme une « garantie d’indépendance ». Or cela serait plutôt de nature à m’inquiéter : j’espère que vous ne considérerez pas votre rôle comme purement comptable !

M. Francis Saint-Léger. Monsieur Le Duigou, que pensez-vous de l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020 ?

Par ailleurs, en tant que député de la Lozère, concerné par les permis d’exploitation du gaz de schiste, je voudrais connaître votre sentiment sur l’exploitation de cette source d’énergie.

M. Jean Gaubert. Selon vous, les compteurs Linky doivent-ils être financés par le TURPE, c’est-à-dire, directement ou indirectement, par les consommateurs, ou par les fournisseurs d’électricité ? Sachant qu’ils bénéficieront essentiellement à ces derniers, cela risque d’être un nouveau marché de dupes pour nos concitoyens !

Monsieur Le Duigou, comment analysez-vous les conflits ayant surgi au sein de la CRE ? Les règles de confidentialité en vigueur interdisent-elles aux commissaires de s’exprimer ? En quoi consiste le débat sur la collégialité ? Le président peut-il s’exprimer en son nom propre ou n’est-il que le porte-parole de la CRE ?

Mme Annick Le Loch. Dans mon département, la liste des bénéficiaires du tarif de première nécessité (TPN) a été entièrement révisée ; leur nombre a été divisé par deux, notamment en raison d’une mauvaise communication entre une caisse d’assurance maladie et les services d’EDF. Que pensez-vous des dispositifs actuels d’accès aux tarifs sociaux de l’énergie, eu égard à la précarité de certains ménages et du coût de l’électricité ?

Quel bénéfice le consommateur peut-il espérer tirer du développement des réseaux et compteurs dits « intelligents » ? Quel rôle le service public devrait-il jouer dans la mise en place de services de maîtrise de l’énergie en aval des compteurs ?

M. Daniel Paul. Êtes-vous favorables à la mise en concurrence des concessions concernant les réseaux de distribution de l’électricité ?

M. Frédéric Gonand. Les prix de l’énergie restent étroitement liés, directement ou indirectement, à celui du baril de pétrole. Il est difficile de savoir si celui-ci va continuer d’augmenter ou s’il va diminuer. On ne peut donc tenir de raisonnement quantitatif. En revanche, sur le plan qualitatif, on peut distinguer deux effets : une pression à la hausse en provenance des marchés mondiaux et un facteur de modération résultant du progrès technique et du jeu de la concurrence. Dans ce contexte, il serait aventureux d’avancer des prévisions précises.

Le prix de l’ARENH fait l’objet de débats nourris. Une commission, présidée par M. Paul Champsaur, et à laquelle participent MM. Jacques Percebois et Bruno Durieux, a été chargée de formuler une proposition à ce sujet dans un rapport qu’elle devrait remettre au Gouvernement en mars. Il permettra, le moment venu, d’éclairer la décision publique.

M. Daniel Paul nous a demandé si la loi NOME modifierait le rapport économique entre EDF et les fournisseurs alternatifs d’électricité. Votre Commission en a beaucoup parlé lors de la discussion du projet de loi. Qu’EDF vende au coût complet son énergie issue du parc nucléaire ne constitue guère un cadeau à ces fournisseurs alternatifs, même si cela ne semble pas injuste au premier abord.

Les tarifs régulés ne vont pas disparaître car le droit européen, comme la loi française, en autorise certains, notamment pour les petits consommateurs.

Les clauses d’indexation du prix du gaz sur le pétrole figurant dans les contrats à long terme ont déjà été modifiées par voie d’avenants afin de prendre davantage en compte les prix spot du gaz. Mais l’évolution qui se dessine en ce sens touche à des équilibres contractuels très lourds.

M. François Brottes m’a présenté comme un commissaire politique …

M. François Brottes. Un « commissaire du Gouvernement » !

M. Frédéric Gonand. Je crois avoir un profil d’expert technique et économique.

La collégialité est fondamentale dans les méthodes de travail de la CRE. Car elle consiste à discuter avant la décision et, une fois que celle-ci est prise, à ce que tous les membres du collège suivent la même direction. Elle favorise ainsi un bon fonctionnement des institutions.

M. Jean-Christophe Le Duigou. On discute beaucoup aujourd’hui des modes d’organisation du secteur de l’énergie et de la place dévolue à la puissance publique. J’ai la conviction que l’énergie demeurera une question politique, comme elle l’est depuis longtemps. Contrairement à ce que certains ont cru, notamment les adeptes de la société de l’information, les développements technologiques ne marginaliseront pas cet élément politique car notre société de la communication elle-même et notre organisation sociale restent très dépendantes de la gestion de l’énergie.

J’ai déjà exprimé, au sein de la CRE, mes critiques envers la loi NOME. Mais celle-ci s’applique et je n’ai aucun état d’âme à cet égard. Elle recèle toutefois des contradictions dont le dépassement ne figure pas dans ses dispositions. D’où l’importance, pour les surmonter, de l’action des pouvoirs publics et d’une autorité administrative indépendante comme la CRE.

La présente réunion étant ouverte à la presse, je serai très discret, mais je puis vous faire part de mon opinion sur l’utilité de ce type d’organisme : la CRE détient un certain pouvoir car elle ne se contente pas d’appliquer les décisions des pouvoirs législatif et exécutif. L’apport de la régulation réside dans ce qu’elle ne se limite pas à édicter une jurisprudence et que, au-delà de la traduction des dispositions légales et réglementaires, la CRE bénéficie d’une certaine latitude pour prendre elle-même des décisions. La période qui s’ouvre, avec le cadre fourni par la loi NOME, sera probablement riche en débats, internes à notre commission, mais aussi probablement externes.

Je reste persuadé de l’intérêt de maintenir des prix compétitifs. Il ne me plairait pas qu’ils augmentent trop. Un certain consensus existe en France sur ce point : le consommateur, ménager ou industriel, bénéficie de conditions avantageuses. De ce fait, le débat sur le nucléaire ne serait sans doute pas le même si le prix de l’électricité flambait. Concernant le TURPE, comme le prix de l’ARENH, qui fera l’objet d’un arrêté sur lequel la CRE émettra un avis, mon approche d’économiste m’incite à préconiser une démarche à la fois de prix bas et de prise en compte des besoins de renouvellement du parc de production. Car il ne faudrait pas qu’après avoir profité des investissements réalisés dans les années 1970 et 1980, nous nous retrouvions, dans quinze ou vingt ans, privés de l’avantage compétitif qui est actuellement celui de la France.

Le président de la CRE a donné une fourchette pour le prix de l’ARENH, qui dépend de l’appréciation des coûts en capitaux, des prix du marché et de la composition des portefeuilles, tous paramètres dont nous ignorons les données finales. Pour le moment, nous essayons de déterminer une méthode permettant d’appréhender tous les facteurs. J’estime que, même s’il convient de l’adapter, la méthode de calcul économique historique, fixée par Marcel Boiteux, et qui nous a donné ce parc de production électrique dont nous sommes fiers, permet de prendre en compte le présent comme le futur.

La CRE s’est beaucoup préoccupée de la sécurité des réseaux. Elle dispose pour cela d’un certain nombre d’outils, même si d’autres relèvent d’autres instances.

Le « fameux » document sur la situation des réseaux de distribution n’a jamais été publié sur le site de la CRE car il s’agissait seulement d’un document de travail, à caractère provisoire. Préparé par certains membres de la Commission, il n’a jamais été soumis à son collège. Il a été rendu public sur le site de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), ce qui a provoqué la colère de plusieurs de mes collègues.

Ayant participé au Grenelle de l’environnement, je partage ses objectifs ainsi qu’un certain nombre de compromis auxquels il a abouti.

La CRE vient de s’exprimer sur les tarifs de rachat en indiquant que, concernant par exemple l’énergie photovoltaïque, discuter encore des coûts n’apporterait rien de nouveau par rapport aux évaluations faites jusqu’à présent. Faut-il consacrer l’argent public, ou celui des usagers, à entretenir une filière intégrant beaucoup de produits importés ? Ne vaut-il pas mieux l’employer au développement d’une nouvelle phase technologique en faveur d’une filière française et européenne ? Faute de quoi, nous pourrions, dans cinq ou six ans, nous trouver confrontés à de graves difficultés.

La question du compteur intelligent, objet du projet Linky, doit être élargie à celle, plus globale, des réseaux intelligents. Mais il s’agit d’un point de passage obligé dès lors qu’on a décidé de développer les énergies renouvelables, impliquant une transformation du réseau. À qui incombe la prise en charge des investissements correspondants ? Il faut savoir que, dans un premier temps, le compteur intelligent améliorera davantage la situation de celui qui commercialise l’énergie que la situation de celui qui la consomme. Nous devrions en débattre prochainement.

La CRE, compte tenu de ce que l’on sait des revenus et des modes de consommation des usagers, a constaté que les tarifs sociaux de l’énergie étaient méconnus et sous-utilisés. Elle a attiré l’attention des pouvoirs publics sur le sujet. Se pose en effet la question des limites de l’efficacité de ces tarifs sociaux, destinés à compenser certaines inégalités et exclusions. Je reste néanmoins attaché à ce système, élément de cohésion sociale dans le domaine de l’énergie.

Comme on l’a vu récemment, le Médiateur national de l’énergie est une institution utile, quoique toujours améliorable.

M. Jean Gaubert. Le président de la CRE est-il également concerné par la collégialité de l’organisme ? Car, à considérer certaines de ses déclarations, il le serait moins que les autres membres.

M. Jean-Christophe Le Duigou. Nous en discuterons probablement dans le cadre de la nouvelle Commission, qui se professionnalise. Mais il est déjà acquis qu’il revient au président d’exprimer la position du collège. Les problèmes soulevés proviennent, non de déclarations du président, mais de prises de positions individuelles de membres que l’on a attribuées à la commission en tant que telle.

M. le président Serge Poignant. J’avais déjà fait la même remarque à M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. Notre Commission s’intéresse aux problèmes de l’énergie au sens économique le plus large. C’est pourquoi nous nous préoccupons, notamment, de la situation des petites et moyennes entreprises qui développent leur activité dans le secteur photovoltaïque. Il faudra trouver un juste milieu entre l’impact sur le CSPE et la garantie de l’activité de nos entreprises compte tenu du nombre d’emplois qu’elles créent.

Messieurs, nous vous remercions.

A l’issue de scrutins à bulletins secrets, la Commission des affaires économiques donne un avis favorable à la nomination de MM. Jean-Christophe Le Duigou et Frédéric Gonand.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 8 février 2011 à 16 h 15

Présents. - M. Jean-Paul Anciaux, M. Bernard Brochand, M. François Brottes, M. William Dumas, M. Jean Gaubert, M. Daniel Goldberg, M. Jean Grellier, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Marc Lefranc, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, Mme Josette Pons, M. Jean Proriol, M. Francis Saint-Léger, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Daniel Fasquelle, M. Louis Guédon, M. Philippe Armand Martin, Mme Anny Poursinoff, M. Michel Raison, M. Bernard Reynès