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Groupe de travail sur la prévention des conflits d’intérêts

Jeudi 13 janvier 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 2

Auditions conduites par M. Jean-Pierre Balligand et Mme Arlette Grosskost, co-rapporteurs du groupe de travail

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés
financiers

– Audition, ouverte à la presse, de M. Yves Mény, professeur des universités

– Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Fouquet, président de la commission de déontologie des fonctionnaires

La séance est ouverte à 9 heures.

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Jouyet,
président de l’Autorité des marchés financiers (AMF)

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Nous poursuivons notre série d’auditions en accueillant M. Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF. Il nous a semblé utile que vous nous indiquiez, monsieur Jouyet, les dispositions spécifiques qui déterminent, sur le plan interne, les règles déontologiques destinées à garantir l'impartialité des collaborateurs et celle des membres de la commission des sanctions et du collège de l’AMF, la prévention des conflits d’intérêts au sein de cette autorité publique indépendante étant certainement primordiale.

Même s’il ne s’agit pas de transposer ces mécanismes de prévention aux parlementaires, nous voulons mieux comprendre les méthodes et les outils mis au point dans le secteur particulièrement sensible dont vous avez la charge. Dans le cadre du débat sur la prévention des conflits d’intérêts, nous souhaitons recueillir votre point de vue sur plusieurs questions : quels instruments avez-vous développés pour prévenir les conflits d’intérêts, tant au sein de l’AMF que vis-à-vis des sociétés que vous êtes chargé de contrôler ? Le cas échéant, à quelles limites vous êtes-vous heurté ? Peut-il, selon vous, exister actuellement des conflits d’intérêts entre un mandat parlementaire et l’exercice de fonctions dans les sociétés soumises à votre contrôle ?

M. Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers. J’exposerai devant vous les dispositions internes de prévention des conflits que l’AMF applique depuis sa création, pour vous permettre d’apprécier si certaines d’entre elles peuvent éventuellement être transposées ; nous avons maintenant un certain savoir-faire à ce sujet. J’ajoute que l’Autorité est également amenée à élaborer des règles de prévention des conflits d’intérêts au sein des sociétés prestataires de services d’investissement et des sociétés cotées sur lesquelles elle exerce un contrôle. Ces règles pourraient également nourrir votre réflexion.

Il faut en premier lieu distinguer le cas des salariés de l’AMF de celui des membres du collège et de la commission des sanctions. La définition du conflit d’intérêts, identique dans les deux cas, correspond à celle qu’en donnent les scientifiques anglo-saxons, pionniers de la réflexion sur ce sujet : il s'agit d'une situation dans laquelle « le jugement professionnel concernant une valeur essentielle est susceptible d'être influencé de manière excessive par un intérêt secondaire, comme un gain financier ». Pour l'AMF, la « valeur essentielle » est la protection de l'épargne investie en produits financiers, l'information des investisseurs et des épargnants, et le bon fonctionnement des marchés - ce qui suppose d’éviter les délits d’initié et les abus de marché.

Lorsqu'une personne voit ses intérêts personnels entrer en conflit avec ceux dont elle a la charge, apparaissent des conflits d'intérêts ou plutôt des risques de conflits d'intérêts. Il est intéressant de noter que le risque potentiel de « mélange des genres » est aussi nocif que le passage à l'acte, compte tenu du soupçon qu'il suscite, lui-même susceptible de déstabiliser l'institution et de jeter le discrédit sur ses décisions passées ou à venir. Le conflit d’intérêts est donc un poison qui appelle des antidotes particulièrement efficaces.

Pour les collaborateurs de l’AMF, la règle, fixée par le règlement intérieur, va de l'interdiction préventive, en l'espèce celle de posséder un portefeuille actif de valeurs mobilières gérées en direct, à l'obligation de déclarer à son chef de service « toute relation personnelle étroite susceptible de positionner un collaborateur en apparence de conflit d'intérêts ». La seule apparence de conflit d’intérêts suffit donc à déclencher l'obligation de déclaration.

Plus généralement, le fonctionnement interne de l’AMF a totalement intégré la prévention de ce type de conflit. À titre d'exemple, au sein de la direction des prestataires et des produits d'épargne – celle qui délivre des agréments aux sociétés de gestion et aux prestataires de services d'investissement et qui conseille les épargnants –, aucune décision n'est prise par un salarié seul, qu'il s'agisse de l'agrément d'une société de gestion ou de l’agrément d'un produit de placement collectif en valeurs mobilières. Chaque dossier fait l'objet d'une double, triple, quadruple vérification, tout au long de la chaîne hiérarchique.

Il en est de même au sein de la direction des émetteurs. Nous avons ainsi eu à régler un très important dossier la semaine dernière ; il a été traité par sept ou huit personnes pour qu’il ne puisse être dit que l’appréciation portée a pu être biaisée pour quelque raison que ce soit - affinités, tempérament, religion ou tout autre.

Nous réfléchissons au moyen de formaliser davantage encore la procédure de prévention appliquée à la direction des enquêtes et de la surveillance des marchés. Jusqu'à présent, nos enquêteurs nous faisaient savoir oralement les conflits d’intérêts auxquels ils étaient exposés. Nous souhaitons instaurer une déclaration écrite. Celle-ci serait examinée au travers d'une grille de dépistage des conflits d’intérêts et conservée dans le respect de la confidentialité des données. L'objectif recherché est bien sûr de ne pas affecter à une enquête donnée un enquêteur qui serait en situation de conflit d’intérêts potentiel.

Il convient de mentionner également les règles observées quand un collaborateur quitte l'AMF. Empruntées à celles applicables aux agents de la fonction publique partant travailler dans le secteur privé, elles prévoient un passage devant la Commission de déontologie.

Autre règle essentielle, un déontologue veille au strict respect des règles de déontologie régissant la gestion des patrimoines financiers des salariés de l'AMF ; il s'agit d’un conseiller-maître à la Cour des comptes, M. Bernard Cieutat. Ces règles de déontologie prévoient, outre l'obligation du secret professionnel - renforcée pour les informations privilégiées -, une procédure de déclaration annuelle du patrimoine financier et une limitation, voire l'interdiction, de toute opération sur les valeurs détenues. Par ailleurs, le déontologue peut accéder aux comptes titres de chaque agent. En cas de violation de ces règles, le contrat liant notre collaborateur à l’établissement qui gère ses titres peut être rompu, de même que celui passé avec l’AMF, avec les conséquences pénales qui pourraient en résulter.

S'agissant des membres du collège de l’AMF et de la Commission des sanctions, les règles de prévention des conflits d'intérêts sont inscrites dans les textes fondateurs de l'Autorité, le législateur ayant édicté plusieurs principes destinés à garantir l'indépendance de ces instances.

Ces règles sont d’autant plus utiles qu’une partie des membres de ces instances est issue du monde de la finance ou des sociétés, par choix délibéré de recourir à des experts, encore en activité pour certains. Ce choix, qui peut se discuter, oblige à un surcroît de protection pour prévenir le conflit d’intérêts, les personnes considérées pouvant être amenées à prendre des décisions à l’encontre de sociétés auxquelles elles ont été liées ou continuent d'être liées.

Nul ne pouvant servir deux maîtres à la fois, le règlement général prévoit que les intéressés, une fois confirmés dans leur mandat, doivent faire état au président de l’AMF de toutes les fonctions et de tous les mandats qu’ils exercent ou ont exercé au cours des deux dernières années. Par ailleurs, lorsqu'un membre du collège détient un portefeuille de titres financiers négociables, il doit en confier par mandat la gestion à un prestataire extérieur. En outre, le président du collège doit être informé de toutes les opérations d'achat ou de vente effectuées. Je vérifie en ce cas que l'AMF ne dispose pas d'informations privilégiées sur la société en cause avant de faire savoir à l'intéressé si l'opération projetée est possible et à quelle date.

Par ailleurs, j’ai demandé à mes services de me soumettre des propositions de nouvelles dispositions destinées à mieux assurer la traçabilité des opérations financières éventuellement effectuées par les membres du collège. Comme ces derniers doivent me remettre chaque année un état récapitulatif complet de leurs portefeuilles respectifs, je m'assurerai à partir de cette année, par sondages, sur la base de ces déclarations, que des mouvements n’ont pas eu lieu qui ne m’auraient pas été déclarés. C’est en effet une chose de donner l’état de son patrimoine à un moment donné ; c’en est une autre de procéder ensuite à des mouvements non forcément déclarés et qui peuvent mettre en cause l’indépendance des membres du collège. Toutes les demandes d'autorisation ainsi que les échanges d'informations destinés en particulier à s'assurer de la faisabilité d'une opération par un membre du collège à une date donnée seront consignés dans un registre qui permettra de conserver une trace précise des opérations réalisées par les membres du collège d’une année sur l’autre.

Une autre disposition préventive appliquée depuis longtemps prévoit que si, au vu de l'ordre du jour du collège, d'une commission spécialisée ou de la commission des sanctions, un membre de ces instances constate qu’il ne peut délibérer, il doit en informer le président du collège et de la commission des sanctions. À titre d'exemple, dans l’affaire que nous avons examinée la semaine dernière, deux membres du collège sur seize se sont déportés parce que leur banque respective était, d’une manière ou d’une autre, associée aux opérations en question.

De même, avant de désigner en qualité de rapporteur un membre de la commission des sanctions, son président, M. Daniel Labetoulle, s'assure que celui-ci ne risque pas de se trouver en conflit d'intérêts par rapport aux personnes impliquées dans la procédure.

Deux garde-fous existent à cet égard. En premier lieu, selon la jurisprudence, extrêmement large, du Conseil d'État à ce sujet, toute personne mise en cause par la commission des sanctions de l’AMF peut demander à récuser un membre de la commission ou le rapporteur qui a été nommé. En second lieu, lorsque des investigations ou des enquêtes sont engagées, les avocats soulèvent de plus en plus la question du vice de procédure lorsqu’il apparaît qu’un salarié ou un membre du collège de l’AMF a eu par le passé des relations avec l’établissement considéré. Récemment, des avocats ont ainsi formé des recours mettant en cause l’impartialité de salariés de l’AMF au motif qu’ils avaient travaillé quatre ou cinq ans auparavant dans les banques faisant l’objet d’une investigation. Il revient alors à la commission des sanctions ou à la justice d’apprécier jusqu’où il convient de remonter dans le temps pour déterminer s’il y a ou non conflit d’intérêts. La question est d’importance car nous avons besoin d’experts des marchés ; on ne peut, sous peine de se priver de leur expérience, remonter indéfiniment dans le temps. Il faut donc trouver un point d’équilibre.

Enfin, le règlement général de l’AMF a été modifié à la suite de l’adoption, dans la loi de régulation bancaire et financière, d’une disposition prévoyant l’obligation pour tout membre de l’AMF d’informer le président qu’au vu de l'ordre du jour du collège, d'une commission spécialisée, de la commission des sanctions ou d'une section de celle-ci, il ne peut délibérer « à raison des intérêts détenus par son conjoint, son partenaire lié à un pacte civil de solidarité, son concubin, ses parents en ligne directe et en ligne collatérale ou ses alliés ». Cette excellente disposition pourrait être étendue à d’autres autorités indépendantes car les risques de conflit d’intérêts ne se limitent pas au secteur financier.

La question est évidemment de savoir si ces dispositions constituent des garde-fous suffisamment efficaces. Je pense qu'il y a encore une marge de progression. Ainsi, le président de l’AMF est comptable devant le doyen d'âge du collège. Même si, à la différence de ce qui vaut pour les présidents d’autres autorités indépendantes, son mandat n’est pas renouvelable, cette obligation est-elle suffisante ? Le président de l’AMF ne devrait-il pas rendre compte également devant le Conseil d’État, la Cour des comptes ou le déontologue ? Je vous laisse en juger.

Il faut aussi s’interroger sur la composition du collège et de la commission des sanctions. Une partie de ces instances sera renouvelée en mai prochain. Elles sont composées de professionnels, ce qui est normal. Quand ils sont en activité, ils se trouvent naturellement confrontés à des conflits d’intérêt lorsque leur société est mise en cause. Se pose également la question du temps qu’ils peuvent consacrer aux dossiers qui leur sont soumis. Étant donné la sophistication croissante des règles financières, nous avons besoin de ces professionnels sans lesquels nos instances n’auraient pas le même degré de connaissance des marchés ; mais les règles prévenant les conflits d’intérêts qui les concernent doivent être minutieusement précisées, et eux-mêmes doivent être rigoureusement choisis. Il convient aussi de réfléchir au nombre de membres composant la commission des sanctions car plus ils sont nombreux, plus élevé est le risque de conflits d’intérêts.

Il y a aussi ce qui relève de l’éthique personnelle et de l’autocensure, et nous devons agir le plus en amont possible pour éviter les conflits d’intérêts. J’ai ainsi décidé à la fin de l’année dernière que, désormais, chaque dossier soumis à l’instruction de l’AMF ne serait plus transmis pour information qu’aux membres du collège pour lesquels nous estimons qu’il n’y a pas conflit d’intérêts ; nous demandons donc à chacun de nous dire, avant communication d’un dossier, s’il est ou non confronté en l’espèce à de tels conflits. À titre de compromis, il a été décidé de ne transmettre le dossier d’instruction aux personnes en situation objective de conflits d’intérêts qu’une fois prise la délibération du collège. Cela permet ainsi à certains membres à l’indépendance d’esprit affirmée de faire des observations judicieuses.

Enfin, lorsqu’ils sont appelés à siéger, les membres du collège de l’AMF signent une déclaration sur l’honneur faisant état de leur indépendance et de l’absence de conflit d’intérêts les affectant.

Telles sont les bonnes pratiques installées par l’AMF. Elles peuvent sans doute être encore améliorées. En tout état de cause, la meilleure des préventions consiste à empêcher qu’une personne se retrouve en situation de prendre une décision qui l’exposerait à un conflit d’intérêts potentiel, quand bien même celui-ci ne serait qu’apparent.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Je vous remercie, monsieur Jouyet, pour cet exposé qui a répondu à nombre de mes interrogations. De quelle manière pouvons-nous, selon vous, éviter les conflits d’intérêts pour les parlementaires ?

M. Jean-Pierre Jouyet. Il me semble important que, pour les parlementaires et plus généralement les responsables publics, on prévoit, outre la déclaration patrimoniale existante, une déclaration de conflits d’intérêts potentiels qui, sur le modèle de la disposition votée dans le cadre de la loi de régulation bancaire et financière, mentionnerait les intérêts détenus par le conjoint, le partenaire lié à un pacte civil de solidarité, le concubin, les parents en ligne directe et en ligne collatérale ou les alliés. On éviterait ainsi tout soupçon. Des règles de déport pourraient également être retenues, même si elles sont difficiles à mettre en œuvre pour les parlementaires, qui en tant que représentants de la Nation expriment la souveraineté nationale.

Pour les responsables ministériels, une déclaration de conflits d’intérêts potentiels actualisée est également souhaitable.

Par ailleurs, les placements privés devraient être confiés à des mandataires tiers ou délégués en toute transparence.

J’appelle l’attention sur le fait que les règles doivent également être clarifiées, généralisées et renforcées pour les « entourages » - à savoir les membres des cabinets ministériels ou les collaborateurs de ministres, parlementaires ou hautes personnalités publiques - et qu’elles doivent s’appliquer alors à ces personnes aussi strictement qu’aux responsables politiques et publics.

Deux raisons le justifient. D’abord, on a tendance parfois à mettre en cause ces responsables de façon excessive, ce qui encourage démagogie et populisme. Ensuite, les mécanismes de décision et la place importante des cabinets ministériels – à la différence de ce qui a cours dans les pays anglo-saxons ou germaniques – peuvent conduire à des débordements sans que le ministre ou le parlementaire considéré puisse connaître des agissements de tel ou tel.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Jusqu’où les parlementaires doivent-ils aller dans la transparence ? D’aucuns proposent la publication sur l’Internet de nos patrimoines ou la liste de nos mandats ; quelle est votre opinion ?

M. Jean-Pierre Jouyet. Je pense que ces données doivent être publiées et tenues à disposition car l’exigence de transparence est maintenant très forte. Cela étant, il faut éviter d’encourager les réactions populistes. Le meilleur système me paraît être de fournir ces informations à des tiers – pourquoi pas des juridictions ? – et que les citoyens puissent y avoir accès sur demande ; la publication intégrale sur l’Internet me paraît excessive.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. L’autre voie possible est celle d’un déontologue disposant de pouvoirs de pression et de sanctions. C’est autre chose que de jeter en pâture publiquement une masse d’informations personnelles. Nous travaillons à des propositions en ce sens.

M. Gaëtan Gorce. Les règles applicables à l’AMF sont difficilement transposables aux parlementaires. De ce point de vue, on ne peut que regretter le choix qui a conduit à traiter différemment la prévention des conflits d’intérêts pour les membres de l’exécutif et pour les parlementaires. Pour autant, un parlementaire ne prend pas le même type de décision qu’un ministre, un haut fonctionnaire, un membre de cabinet ou un chef d’entreprise : il est censé participer à une délibération collective dans laquelle son influence reste limitée. Cela devrait nous conduire aussi à distinguer entre les parlementaires selon leur fonction : l’influence du président de la commission des finances ou de la commission des affaires économiques n’est pas la même que celle d’un membre de la commission des affaires étrangères, par exemple.

Que souhaite-t-on favoriser par cette réflexion ? Deux axes me paraissent prioritaires. Il s’agit d’abord de prévenir toute conséquence d’une éventuelle collaboration, collusion ou influence d’un parlementaire avec ou sur des intérêts extérieurs à sa fonction et pouvant se traduire par une augmentation de ses revenus ou de son patrimoine – ce qui peut s’apparenter à de la corruption mais aussi résulter d’autres formes d’activités. Cela signifie qu’il faut accroître les obligations relatives à la déclaration de patrimoine et de revenus, la question étant de savoir si ces obligations doivent s’étendre à la famille et aux proches et dans quelles limites. Cette déclaration doit être la plus complète possible, puisque c’est la seule façon de répondre à cette première préoccupation. Mais la question se pose alors de savoir quelles sanctions envisager. Je regrette à ce sujet que l’on ait inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale l’examen d’un projet de loi qui traitait de ces questions alors même que le président Accoyer avait installé notre groupe de travail ; on anticipait ainsi sur une partie de nos conclusions par des débats qui, au surplus, n’ont pas rehaussé l’image du Parlement.

Le second axe de réflexion est de savoir si les décisions du parlementaire sont susceptibles d’être influencées par des intérêts extérieurs à son mandat ; il s’agit dans ce cas de rassurer nos concitoyens sur la façon dont les décisions publiques sont prises. La question de la publicité ne se pose plus du tout dans les mêmes termes, si tant est qu’elle concerne le Parlement. J’ai du mal pour l’instant à me faire sur ce sujet une opinion claire, compte tenu de la nature des responsabilités exercées par les parlementaires. Pour autant, puisque nous sommes dans une société réclamant toujours plus de transparence et qui, lorsqu’elle ne l’obtient pas, essaie de l’instaurer d’une manière qui ne garantit pas les principes de protection et de contradiction que l’on peut espérer, il paraît peut-être préférable d’organiser cette transparence : cela suppose que les parlementaires acceptent que la totalité de leur patrimoine et de leurs revenus puisse être d’une manière ou d’une autre publiée pendant la durée de leur mandat et éventuellement un peu après. C’est difficile à imaginer, certes ; mais personne n’oblige quiconque à briguer un mandat public et, à partir du moment où l’on accepte de le faire, cette transparence me paraîtrait indispensable.

M. Jean-Pierre Jouyet. Il faut effectivement faire une distinction en fonction des responsabilités exercées et de la nature des travaux en cours. Il est exact, par ailleurs, que le Parlement ne peut être considéré de la même manière que l’exécutif ou les cabinets ministériels, compte tenu de la prévalence de la délibération collective qui s’y exerce. Ce facteur mérite d’autant plus d’être pris en considération que la discipline de parti est beaucoup plus forte en France que dans d’autres démocraties. C’est un autre garde-fou, car une double délibération a lieu : au sein du parti d’abord, en séance publique ensuite.

Ensuite, il convient d’adapter les règles selon la nature des responsabilités et des dossiers. À l’AMF, nous avons des principes uniformes mais dont l’application diffère en fonction de ces deux critères. De même, il me paraîtrait normal de distinguer, parmi les parlementaires, ceux qui ont notamment la qualité de rapporteur ou de président de commission. Je pense aussi que mieux vaut organiser la transparence plutôt que d’être jeté en pâture, pour reprendre l’expression de M. Balligand.

Enfin, il faudrait mieux encadrer les liens avec les lobbys, à l’instar de ce qu’essaie de faire le Parlement européen ou des règles prévalant au Congrès américain. Si les activités de ces organismes ont leur utilité, on doit aussi en avoir une connaissance précise.

M. Dominique Perben. À la différence du Parlement, les fonctions exécutives gouvernementales ou celles des autorités administratives consistent à prendre des décisions ponctuelles qui ont des conséquences économiques et financières directes. En revanche, lorsqu’on élabore la loi, on fixe une règle générale. La richesse du Parlement repose sur la diversité d’expérience et d’origine de ses membres, sur le fait qu’il dispose de spécialistes ; comment se passer de leur expertise ? Fixer des règles de droit ne peut être mis sur le même plan que dire que telle entreprise a commis une faute ou que tel dirigeant a profité de sa connaissance d’un dossier. En revanche, il conviendrait de fixer des règles tendant à encadrer l’activité des lobbys, dont la présence permanente dans les couloirs de l’Assemblée nationale n’est pas souhaitable.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Je rappelle à ce sujet que le Bureau de l’Assemblée nationale a adopté des règles de transparence et d’éthique applicables à l’activité des représentants d’intérêt et que des mesures ont déjà été prises, avec la tenue d’un registre et l’encadrement de l’attribution des badges. Des progrès ont donc eu lieu, mais il faut peut-être faire davantage.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Il convient en effet de faire une distinction entre l’exécutif et le législatif. Pour les parlementaires, le risque majeur est celui du trafic d’influence, certains pouvant devenir des lobbyistes ès qualités. On pourrait utilement réfléchir à des règles de déport : sur certains sujets, la déontologie devrait imposer, plutôt que le député s’abstienne de voter, qu’il renonce à être rapporteur. La diversité des métiers exercés par les parlementaires est une richesse pour l’institution. Le problème ne se pose pas tant pour ceux qui exercent un métier depuis longtemps que pour ceux qui s’y engagent en cours de mandat en devenant, par exemple, avocat. La liste de leurs clients devrait être actualisée chaque année, et l’installation d’un déontologue disposant de pouvoirs réels, opposables aux parlementaires, inciterait chacun à l’autodiscipline. L’objectif fondamental est de préserver la délibération publique de tout trafic d’influence pour éviter la suspicion.

M. Gaëtan Gorce. La clarification des objectifs visés s’impose en effet. Le premier est, je l’ai dit, de garantir que, dans l’exercice d’un mandat, aucun parlementaire ne puisse être soupçonné de s’être irrégulièrement enrichi du fait de ses fonctions – ce qui suppose d’améliorer la loi existante. Le deuxième est de faire que le parlementaire ne soit pas influencé par des intérêts particuliers : pour cela, il faut non seulement limiter le rôle des lobbys mais aussi connaître la nature exacte des liens que chaque parlementaire entretient avec tel ou tel groupe professionnel. Je ne suis pas partisan de lui interdire pour autant de participer à la délibération – ce qui soulèverait d’ailleurs probablement un problème constitutionnel – mais les citoyens pourront tout au moins apprécier ses prises de position à l’aune de ces éléments. Le cas spécifique du président de commission ou du rapporteur appelle des mesures de transparence plus larges, en raison de leur influence directe sur le contenu du texte. C’est le cas notamment à la commission des finances.

Le troisième objectif est de savoir comment garantir que, dès lors qu’un parlementaire est autorisé à exercer une activité professionnelle en plus de son activité parlementaire, cette activité ne prend pas le dessus sur son mandat au point de l’empêcher de l’exercer dans des conditions de disponibilité physique ou intellectuelle satisfaisantes. Cela devrait probablement conduire à instituer un système de plafonnement des rémunérations. On éviterait ainsi certaines dérives récemment constatées.

M. Jean-Pierre Jouyet. Vous avez raison, le Parlement est dans une situation particulière en raison du caractère collectif de ses délibérations. L’installation d’un déontologue – voire de plusieurs, en raison du nombre de parlementaires – me paraît une très bonne idée. Un déport circonstancié me semble également envisageable. Sans doute serait-il aussi opportun d’envisager la rotation, en cours de mandat, des parlementaires spécialisés sur les différents sujets, ce qui permettrait de garantir à la fois professionnalisme et impartialité. Il serait enfin utile que vous entriez en contact avec le directeur juridique du Parlement européen, où le travail avec les lobbys - beaucoup plus puissants qu’au Parlement français - est habituel et organisé. Vous pourriez ainsi vous inspirer de la norme européenne pour trouver un juste équilibre dans les mesures que vous retiendrez.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Monsieur Jouyet, je vous remercie.

Audition, ouverte à la presse, de M. Yves Mény,
professeur des universités, ancien président de l’Institut universitaire européen de Florence.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Nous avons le plaisir de recevoir M. Yves Mény, ancien professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, qui présidait, il y a peu de temps encore, l’Institut universitaire européen de Florence.

Monsieur le professeur, vous avez contribué depuis de nombreuses années à la réflexion sur l'évolution des institutions publiques et sur la réforme et la modernisation de l'État. Votre réflexion sur les démocraties européennes a notamment porté sur la corruption. Vous avez une expertise certaine des questions de conflits d’intérêts et, dans le cadre du débat qui nous occupe aujourd’hui, nous sommes particulièrement intéressés par vos analyses concernant l’évolution de la réglementation française en matière de conflit d’intérêts depuis la publication de votre ouvrage sur La Corruption de la République au début des années 1990, considéré comme une référence à ce sujet. Nous souhaitons également connaître votre analyse de la situation française au regard des démocraties européennes et américaines, ainsi que vos préconisations éventuelles en matière de prévention des conflits d’intérêts dans la vie parlementaire.

M. Yves Mény, professeur des Universités. La création de votre groupe de travail sur la prévention des conflits d’intérêts est symptomatique de la façon dont la France aborde cette question, c'est-à-dire en réagissant, à propos d’une affaire précise, à un débat porté par la presse et l’opinion publique. Hier soir, Le Monde évoquait une autre affaire, celle des laboratoires Servier, en faisant de nouveau référence à la question des conflits d’intérêts.

Trop souvent, depuis une vingtaine d’années, on se contente à ce sujet de réagir ponctuellement à une affaire ponctuelle ; on accumule ainsi des lois que l’on applique ensuite plus ou moins. Cela entraîne, en l’absence d’une réflexion globale, la formation, somme toute incohérente, d’une sorte de mille-feuilles législatif.

Les Français ont un problème avec la notion de conflit d’intérêts, qui est largement anglo-saxonne. Ils ont en effet cultivé et légitimé la confusion d’intérêts parce qu’ils lui trouvent un grand nombre d’avantages. Je pense notamment au cumul des mandats : d’un point de vue anglo-saxon, c’est un conflit d’intérêts, alors que, du point de vue français, il présente l’avantage de rassembler l’expérience du terrain et la qualité de législateur. La notion de conflit d’intérêts est, quant à elle, immédiatement péjorative : elle évoque la sanction.

Or, ce que je préfère appeler la concurrence des intérêts est une situation de la vie quotidienne. Nous sommes tous soumis à des conflits d’intérêts : j’aurais pu, ce matin, avoir à choisir entre faire un cours et répondre à votre invitation. Si tel avait été le cas, j’aurais dû arbitrer. De tels arbitrages sont, je le répète, le lot de la vie quotidienne, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Ce qui pose problème, c’est le refus d’affronter cette situation, ce qui suppose de rendre la concurrence transparente. Le pire, en la matière, est la dissimulation.

Le conflit d’intérêts, c’est donc la situation dans laquelle se trouve un individu amené à sacrifier un intérêt pour en garantir un autre. Ce qui est répréhensible, à mes yeux, c’est, d’abord, de nier le conflit lorsqu’il existe – l’attitude habituelle en France – ; ensuite de prétendre le résoudre en son âme et conscience ; enfin, de tirer un avantage pour soi ou pour autrui de l’arbitrage que l’on a rendu. Le maire d’une petite commune par ailleurs entrepreneur est un cas typique d’élu confronté à un conflit d’intérêts. Peut-être a-t-il tranché sans offenser la loi, c'est-à-dire au mieux des intérêts de ses administrés ; il n’en reste pas moins qu’il a été confronté à un choix qu’il a dû arbitrer.

Il existe trois types de conflits d’intérêts. Les premiers mettent en jeu des intérêts privés : il en est ainsi du membre d’un conseil d'administration taisant le fait que telle ou telle décision favorisera sa propre entreprise. Les deuxièmes sont des conflits entre intérêts publics : les titulaires de plusieurs fonctions publiques peuvent arbitrer en faveur d’une institution plutôt que d’une autre. Chacun sait que la complexité de la fiscalité locale, que seule une quinzaine de parlementaires ou de hauts fonctionnaires est capable de déchiffrer, résulte d’une longue suite d’amendements introduits pour favoriser tour à tour certaines catégories de villes. Le dernier type de conflits, qui est également le plus grave, se produit entre les intérêts privés et les intérêts publics : il peut s’accompagner de népotisme, voire de corruption, et glisser alors vers le pénal.

Pour résoudre les problèmes liés aux conflits d’intérêts, il conviendrait tout d’abord de les rendre publics. Lorsque j’ai présidé les comités de recrutement des professeurs de l’Institut universitaire européen de Florence, j’ai constaté que seuls les Anglo-Saxons révélaient de possibles conflits d’intérêts dans l’appréciation de tel ou tel candidat, lorsqu’ils le connaissaient. La culture anglo-saxonne est très différente de la nôtre.

Le débat s’est focalisé en France sur les pouvoirs publics et sur les parlementaires. Or il faut affronter le problème dans sa globalité : il touche en effet les avocats, les médecins, les experts et, comme je l’ai dit, les professeurs d’université. Appelé récemment en Suède pour évaluer une université, j’ai dû immédiatement signer un formulaire relatif aux conflits d’intérêts, formalité qui permet de garantir l’indépendance de mon évaluation tout en engageant ma réputation.

Il conviendrait également de demander aux personnes chargées de responsabilités publiques de déclarer elles-mêmes les conflits d’intérêts, des sanctions étant prévues en cas de déclarations insuffisantes ou erronées — la principale sanction, aux yeux des hommes politiques, n’étant pas d’avoir à payer une amende, mais de perdre la face en devant reconnaître publiquement une faute.

On pourrait enfin confier l’appréciation du conflit d’intérêts à l’autorité hiérarchique, les conflits d’intérêts véniels n’appelant aucune mesure particulière – sinon, personne ne ferait plus rien. Pour les députés, ce serait au Bureau de l’Assemblée nationale, pour les professeurs, au président de l’université, pour les membres d’une administration, au directeur du service, d’apprécier chaque cas qui lui serait soumis, l’autorité hiérarchique pouvant aller jusqu’à retirer un dossier, voire à demander une démission.

Il faudrait, à cette fin, élaborer une charte éthique prévoyant les principaux cas de conflits d’intérêts, qui sont liés à la famille, à la fonction ou à la situation patrimoniale.

Je suis favorable à une législation légère : elle se contenterait d’élaborer cette charte, d’inscrire l’obligation de déclaration et de prévoir quelques sanctions en cas de violation flagrante de la charte. Je suis également favorable à la dissémination de la culture du conflit d’intérêts au sein de toutes les administrations, voire du secteur privé. Chacun sait que les banques ont été contraintes de créer une « muraille de Chine » entre leurs activités d’investissement et de gestion, sous peine d’être accusées de gérer au mieux de leurs intérêts les portefeuilles de leurs clients. C’est pourquoi, afin d’insuffler dans le secteur public comme dans le secteur privé la culture du conflit d’intérêts, il conviendrait que chaque organisation ou institution concernée élabore sa propre charte en se fondant sur la charte nationale. Ensuite, elle la ferait signer aux personnes concernées.

Outre le conflit d’ordre familial – par exemple, pour un professeur d’université, faire passer un examen à un membre de sa parentèle –, le premier conflit d’intérêts est le conflit d’agenda : on ne saurait remplir plusieurs fonctions si cela doit se faire aux dépens de l’une d’entre elles. Votre groupe de travail ne doit donc pas aborder les conflits d’intérêts qui concernent uniquement l’Assemblée nationale ou les cabinets ministériels, car bien d’autres secteurs sont touchés.

Le problème, je le répète, est d’ordre culturel. Ainsi, en France, le cumul des fonctions ministérielles et parlementaires est considéré comme un conflit d’intérêts, si bien que leur incompatibilité a été constitutionnalisée. La France est le seul régime parlementaire, ou presque, à l’avoir fait. Au Royaume-Uni, au contraire, un ministre peut tout à fait être député, car un tel cumul est considéré comme fondateur du régime parlementaire lui-même.

Les solutions que vous proposerez devront donc tenir compte de notre culture tout en permettant d’éviter les petits ou les grands dérapages dont la presse se fait chroniquement l’écho. Celle-ci, du reste, n’est pas plus vierge en la matière que l’université ou le monde de la médecine, et elle devrait s’appliquer à elle-même un principe qu’elle revendique pour la classe politique.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Monsieur le professeur, s’agissant des parlementaires, des incompatibilités sont déjà prévues dans les textes – vous en avez évoqué certaines. Ne pensez-vous pas qu’encadrer encore plus strictement l’activité parlementaire en étendant le champ de ces incompatibilités risquerait de fausser la représentation sociologique du Parlement ?

M. Yves Mény. Je le pense d’autant plus que cette représentation sociologique est déjà très imparfaite.

La solution ne se trouve pas dans l’instauration de nouvelles incompatibilités, exception faite du cumul des fonctions de parlementaire et d’avocat, qui est une tradition remontant à la IIIe République. Ce cumul rend en effet, pour le parlementaire concerné, le terrain glissant – ce qui ne signifie pas qu’il y ait faute à chaque fois. Le rôle du parlementaire est après tout de défendre de légitimes intérêts. Il est cependant assez facile de glisser de la défense des intérêts collectifs à celle des intérêts de sa clientèle. La publicité du conflit d’intérêts et l’obligation de les déclarer sont, à mes yeux, la meilleure solution. En matière d’éthique, on ne peut mettre un gendarme derrière chaque parlementaire ! Les règles doivent être suffisamment claires pour que chacun puisse, sans aucune ambiguïté, avoir conscience des fautes à ne pas commettre.

M. Romano Prodi m’avait demandé de participer à une commission sur la corruption en Italie ; je m’y suis vigoureusement opposé à une proposition qui visait à contrôler dans le détail l’intégralité du patrimoine de quelque 25 000 personnes : soit l’on versait dans Big Brother, soit la proposition était inapplicable ! Sanctionner sévèrement des cas avérés de corruption me semble infiniment plus efficace qu’une législation visant à tout couvrir. Ainsi, un parlementaire britannique vient d’être condamné à dix-huit mois de prison ferme pour avoir déclaré en frais de fonction 30 000 livres de dépenses personnelles. L’inscription de règles précises dans la loi doit placer chacun face à sa conscience et le législateur doit prévoir des sanctions en cas de faute avérée, mais je ne suis pas favorable à l’instauration de nouvelles incompatibilités.

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le professeur, comment définir le conflit d’intérêts pour le parlementaire, qui exerce un pouvoir collectif de délibération et non un pouvoir personnel de décision ? Ne conviendrait-il pas de distinguer différentes responsabilités au sein du Parlement afin de les soumettre à des règles de transparence différentes ?

Les différents types de règles de transparence dépendent des objectifs qu’on s’est fixés. Il convient tout d’abord d’interdire l’enrichissement irrégulier. En effet, même si celui-ci se révèle difficile dans le cadre de l’activité parlementaire, encore faut-il que le citoyen en soit convaincu. Quel type de déclaration devra effectuer le parlementaire ? Jusqu’où devra-t-on aller en la matière ?

Vous êtes hostile au renforcement du régime des incompatibilités : dans ce cas, comment résoudre, pour les parlementaires avocats, la contradiction existant entre votre volonté d’améliorer la transparence et leur obligation de confidentialité dans la gestion des dossiers ? Si c’est le plus souvent à tort qu’un parlementaire qui détient une position influente à l’Assemblée est soupçonné de s’en servir pour favoriser des intérêts particuliers, la certitude en la matière dépend de la transparence et d’elle seule. Comment le parlementaire fera-t-il s’il lui est interdit de révéler ces intérêts ?

En matière de revenus, ne vous paraît-il pas choquant qu’en cas de cumul des activités parlementaires et professionnelles, les revenus professionnels soient à ce point supérieurs au montant des indemnités que la fonction de parlementaire semble parfois se réduire à un simple hobby ?

Il faut éviter la corruption à la fois au sens financier du terme et au sens éthique : or la corruption commence à partir du moment où on perd la conscience des devoirs liés à sa fonction. Compte tenu aussi de l’évolution de la société, où l’on voit certains principes s’éroder, les institutions doivent aider ceux qui ont de saines convictions à les conserver.

M. Yves Mény. Vous soulevez le problème du parlementaire qui exerce d’autres activités, problème qui en rejoint un autre, typiquement français : le cumul des mandats. En soi, le cumul des mandats est un conflit d’intérêts. Il devrait être possible d’interdire à un parlementaire qui occupe, par exemple, la fonction de maire, de traiter, comme parlementaire ou comme maire, tel ou tel dossier. Le cumul des mandats, qui est à l’origine de tous les conflits d’intérêts, est lié au fait qu’à partir de Louis-Philippe au moins, les préfets ont été durant longtemps les exécutifs du conseil général. Le député maire est alors devenu l’alter ego du préfet qui était le titulaire de la fonction.

Le parlementaire devrait se soumettre à la loi commune en déclarant son conflit d’intérêts, sous peine de se retrouver dans une situation scandaleuse en cas de révélation d’un tel conflit par la presse. Évitons toutefois les deux écueils que seraient la chasse aux sorcières et l’hypocrisie. Leur réglementation ne supprimera pas les conflits d’intérêts. L’Union européenne les a sévèrement réglementés : il n’empêche que, six mois après avoir quitté leurs fonctions, tous les commissaires se retrouvent à la tête de grandes entreprises ou au sein de banques ! Soyons réalistes.

Je le répète : ma seule hésitation concerne la profession d’avocat, qui se prête le plus à des glissements éventuels de la défense de l’intérêt collectif à celle des intérêts privés. N’oublions pas que les parlementaires, loin de se contenter de défendre un intérêt général abstrait, doivent défendre également des intérêts concrets, comme ceux des agriculteurs ou des petites entreprises. Un parlementaire élu dans une circonscription rurale ne fait que son métier lorsqu’il défend les intérêts agricoles. En revanche, il y a un conflit d’intérêts substantiel lorsqu’un parlementaire, par ailleurs avocat, dépose des amendements susceptibles de favoriser certains de ses clients.

Il en est de même des professeurs d’universités qui peuvent tirer leurs principaux revenus du métier d’avocat : il existe dans ce cas un conflit d’agenda, et l’on sait laquelle des deux fonctions est sacrifiée.

En matière de revenus, on peut toujours envisager le plafonnement.

M. Gaëtan Gorce. Il est déjà prévu en cas de cumul de mandats.

M. Yves Mény. Plus le plafond sera bas, moins élevé sera le risque de conflit.

M. Dominique Perben. Une telle mesure poserait un grave problème de principe. Autant je comprends qu’on ait plafonné les rémunérations publiques en cas de cumul des mandats, autant il me paraîtrait dangereux d’introduire une discrimination fondée sur les revenus pour être parlementaire. Une telle mesure poserait un problème constitutionnel. Comment interdire à un citoyen de devenir parlementaire sous prétexte qu’il aurait hérité d’importants revenus fonciers ? Des citoyens ne pourraient plus être parlementaires parce qu’ils seraient trop riches : cela me paraît impossible.

M. Lionel Tardy (non-membre du groupe de travail). C’est un moyen de lutter contre le cumul des mandats.

M. Gaëtan Gorce. Je comprends la nature de l’objection de M. Perben. Je tiens toutefois à rappeler que l’indemnité parlementaire n’a pas été créée pour favoriser les plus riches mais pour aider ceux qui avaient des revenus modestes à exercer leur mandat. C’est la raison pour laquelle un de nos anciens collègues, Jean-Baptiste Baudin, est tombé sur les barricades. Je reste pour ma part attaché à de telles idées.

Pour éviter autant les dérapages que le soupçon généralisé, il faut choisir entre l’instauration d’incompatibilités et la transparence totale. Sans vouloir diaboliser telle ou telle source de revenus, il me paraît normal que les électeurs connaissent la situation sociale et patrimoniale de leurs élus et les éventuels conflits d’intérêts que celle-ci peut entraîner. Dès lors qu’on entre dans la vie publique, la transparence devient une obligation – une transparence que la création du déontologue, évoquée par notre co-rapporteur, M. Balligand, permettra de garantir.

M. Lionel Tardy. Nous avons débattu de la question de l’incompatibilité entre les fonctions d’avocat et de parlementaire avec M. Guy Carcassonne, professeur de droit public, lors de son audition le 9 décembre dernier. Selon moi, le risque de conflit d’intérêts n’existe que pour le parlementaire qui est avocat conseil, car il peut influer sur la loi.

M. Yves Mény. C’est vrai.

M. Lionel Tardy. Au cours de précédentes auditions, nous avons évoqué l’idée de donner davantage de moyens de vérification ou un plus large pouvoir de sanction à la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Qu’en pensez-vous ? Nous avons également envisagé que le parlementaire s’abstienne de participer, dans certains cas, à la délibération et à la décision.

Je tiens à revenir sur l’audition, ce même 9 décembre, de M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire et de produits de santé, qui a évoqué le problème posé par l’implication des spécialistes dans la prise de décisions relevant de leur spécialité – finances, santé, nouvelles technologies –, que ce soit à l’Assemblée nationale ou dans d’autres institutions. Comment hiérarchiser les conflits d’intérêts ? Il ne faudrait pas, en effet, se priver du concours des spécialistes. Faut-il favoriser la collégialité ? Les parlementaires ont des spécialités très diverses et, très souvent, ce sont les spécialistes du domaine dont relève le projet de loi qui examinent celui-ci.

M. Yves Mény. La charte que j’ai déjà évoquée et une autorité chargée d’en interpréter l’application me semblent la meilleure solution pour éviter de se tirer une balle dans le pied en se privant du concours des spécialistes. Se tirer une balle dans le pied, c’est précisément ce qu’a fait l’Union européenne en instaurant un régime particulièrement sévère de conflit d’intérêts en matière d’évaluation des projets qui lui sont soumis par les universitaires : il est prévu en particulier qu’un membre du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) ne peut pas évaluer un autre membre du CNRS, ce qui élimine la plupart des experts français – la moitié d’entre eux appartenant à cette institution. Il convient de se doter d’instruments moins grossiers en commençant, effectivement, par la déclaration d’intérêts.

En revanche, je suis peu favorable à l’augmentation des pouvoirs de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Chaque institution doit prendre ses responsabilités. Pour que se dissémine la culture du conflit d’intérêts, le gendarme ne doit être ni unique ni extérieur à l’institution ; sinon il sera toujours possible de contourner la loi. Il faut au contraire responsabiliser chacun, ce qui demandera du temps. C’est pourquoi, s’agissant des députés, ce sera, à mes yeux, au Bureau de l’Assemblée nationale d’exercer l’autorité. Risque-t-il de faire preuve de bienveillance ? C’est possible, ce qui ne ferait qu’entretenir le soupçon exacerbé des Français à l’encontre de la classe politique. Pour le dissiper, il faudra assurer la transparence et appliquer des sanctions réelles en cas d’abus manifeste. La multiplication des règles, des sanctions et des gendarmes n’aurait aucune efficacité : si l’on procède de la sorte, dans deux ans, j’en fais le pari, nous nous retrouverons ici ! Je le répète : il convient de prévoir des règles simples et quelques sanctions sévères en cas de violation des principes.

Par ailleurs, ce serait une erreur que d’envisager la diffusion de la culture de la prévention des conflits d’intérêts uniquement au sein du Parlement ou des cabinets ministériels, comme M. Xavier Bertrand, le ministre chargé de la santé, l’a envisagé hier à propos de l’affaire Servier. Les directeurs des administrations centrales sont tout autant concernés. Le fait d’avoir été expert pour les laboratoires Servier n’est pas un crime en soi : on doit simplement le savoir.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. La première mesure que vous préconisez est donc la publicité et la deuxième la déclaration.

M. Yves Mény. Sans oublier une charte simple, posant les principes.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Nous préférons l’appeler un code de déontologie avec un déontologue attaché à l’Assemblée nationale qui pourrait être un magistrat ayant la formation adéquate, dispositif complété par un pouvoir de saisine et de sanction du Bureau en cas de faute avérée. Peut-être faudrait-il également prévoir un système de déport : un député ne pourrait pas exercer certaines fonctions – rapporteur général, rapporteur sur un texte – en cas de conflit d’intérêts déclaré. Mais il conserverait le droit de vote ; l’en priver serait contraire à la Constitution.

Plus encore que le conflit d’intérêts, l’Assemblée nationale doit empêcher le trafic d’influences, qui consiste à chercher à modifier le texte en vue de favoriser certains intérêts.

M. Yves Mény. La déclaration d’un conflit d’intérêts n’entraîne pas le retrait du droit de vote – je pense notamment aux comités de sélection de professeurs. Chacun sait en revanche que les arguments avancés peuvent être biaisés. Celui qui fait une telle déclaration se prémunit donc de tout soupçon.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Je suis avocate, spécialisée dans le droit des affaires. Je me suis omise du barreau dès que j’ai été élue, c’était pour moi une question d’éthique. Toutefois, lorsqu’un texte concernant les avocats est examiné, comme cela a été récemment le cas pour le projet de loi sur la garde à vue, mon ancien barreau m’interpelle et, réciproquement, je lui livre mes interrogations et mes doutes. Suis-je déjà dans le conflit d’intérêts ?

M. Yves Mény. Non, vous êtes dans votre rôle de parlementaire qui s’informe et dialogue avec les groupes professionnels concernés par le texte en discussion. Vous seriez dans un conflit d’intérêts si le barreau auquel vous apparteniez vous livrait clé en main un amendement…

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Ce qui peut être le cas.

M. Yves Mény. ... – ce qui peut être le cas – et que vous vous contentiez de le transmettre, sans exercer votre pouvoir critique.

M. Lionel Tardy. On peut citer quantité d’exemples ; le tout est d’avoir un minimum d’éthique. Ainsi, en tant que gérant d’une société de services et de distribution informatiques, j’aurais dû être favorable, lors de l’examen de la loi « Hadopi », à l’installation de logiciels de sécurisation, une aubaine pour mon entreprise. Je m’y suis au contraire opposé. J’observe par ailleurs que l’examen du projet de loi ne pouvait se passer des parlementaires spécialistes de la question informatique, qui sont une dizaine à l’Assemblée. Les conflits d’intérêts ne cesseront jamais : je le répète, tout est question d’éthique.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. C’est pourquoi elle doit être codifiée.

M. Lionel Tardy. Personne ne nous a contraints à devenir parlementaires. Nous devons respecter l’éthique correspondant à notre fonction.

M. Yves Mény. Nous ferions de grands progrès en France si nous reconnaissions que la concurrence des intérêts est une chose normale et que le problème se pose uniquement à partir du moment où il y a conflit d’intérêts, c'est-à-dire quand le sacrifice d’un intérêt est nécessaire pour en garantir un autre. Le problème peut être résolu par la transparence ou la publicité, par la déclaration, voire, dans les cas les plus extrêmes, par le retrait.

Si nous ne nous contentons pas de ces quelques règles simples, nous courons le risque de nous empêtrer dans des mesures absurdes.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Monsieur Mény, nous vous remercions.

Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Fouquet,
président de la Commission de déontologie des fonctionnaires.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Nous achevons les auditions de cette matinée par celle de M. Olivier Fouquet, ancien président de la section des finances du Conseil d’État.

Monsieur le président, vous siégez encore au Conseil en qualité de président de section honoraire. Vous présidez la Commission de déontologie de la fonction publique depuis 2007. Depuis 1995, celle-ci a pour fonction de contrôler les conditions dans lesquelles certains agents de droit public et de droit privé envisagent d’exercer une activité dans les secteurs privé et public concurrentiels. Elle examine si les activités privées qu’ils envisagent d’exercer ne sont pas incompatibles avec leurs précédentes fonctions. Elle rend annuellement un rapport au Premier ministre sur ses activités et établit une synthèse de sa jurisprudence.

Le seul thème de réflexion de notre groupe de travail est celui des conflits d’intérêts – ou plutôt des « concurrences d’intérêts », selon l’expression du professeur Mény
– car, au Parlement, les décisions sont collectives –, même si ces concurrences peuvent déboucher sur des conflits d’intérêts impliquant uniquement des parlementaires. Pour autant, nous avons décidé d’élargir le champ de nos auditions à des spécialistes des conflits d’intérêts dans d’autres secteurs d’activité. Nous avons ainsi reçu le directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), ainsi que, ce matin même, le président de l’Autorité des marchés financiers.

Nous souhaiterions pouvoir aborder avec vous les questions suivantes.

Quelles sont les règles en matière de prévention des conflits d’intérêts applicables aux fonctionnaires ?

Quelle méthodologie avez-vous développée pour les faire appliquer et à quelles résistances éventuelles vous êtes-vous heurté ?

Enfin, pensez-vous, à titre personnel, que certaines des règles puissent s’appliquer avantageusement aux parlementaires, en dépit de l’absence de capacité individuelle de décision de ces derniers ?

M. Olivier Fouquet, président de la Commission de déontologie des fonctionnaires. Je vous indiquerai d’emblée que, s’il est possible de s’inspirer de l’esprit de prévention des conflits d’intérêts pour fixer des règles de déontologie aux personnels politiques, un certain nombre de règles relatives aux fonctionnaires s’appliqueraient mal – de mon point de vue – à leur situation.

J’ai été auditionné par la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, présidée par M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État qui va remettre son rapport au Président de la République.

Je suis hostile à l’idée de soumettre les personnels politiques à une autorité qui leur serait commune avec les fonctionnaires : la situation des uns et des autres est radicalement différente.

J’en viens aux règles de fonctionnement de la Commission de déontologie des fonctionnaires. Lorsque la Commission a été créée en 1995, sa tâche se limitait à l’examen des départs des fonctionnaires des trois fonctions publiques – hospitalière, de l’État, et des collectivités territoriales – vers le secteur privé.

Le nombre des dossiers s’est progressivement beaucoup accru, sous l’effet des départs de la fonction publique hospitalière – du fait des infirmières, par exemple – et de la fonction publique territoriale : nous nous sommes aperçus que les échanges entre cette fonction publique et le secteur privé étaient sans doute supérieurs, ou presque, à ceux qui impliquent la fonction publique d’État.

Cette augmentation a entraîné pour la Commission, sous l’autorité de mon prédécesseur, le président Michel Bernard, une inflation des dossiers à un moment où, après dix ans, la jurisprudence commençait à être bien connue, et alors qu’aucune raison ne justifiait de saisir la Commission de cas d’agents qui quittaient la fonction publique pour des secteurs totalement étrangers à ceux où ils exerçaient dans le secteur public.

En 2007, une réforme d’ampleur a rendu la saisine de la Commission formellement non obligatoire : plus personne n’était obligé de lui adresser un dossier.

Deux cas ont été distingués. Pour le premier, la saisine reste obligatoire, mais c’est aux administrations et aux agents qu’il revient de déterminer s’ils se trouvent dans ce cas. Pour le deuxième, elle est facultative.

La saisine obligatoire concerne la déontologie pénale, autrement dit les dispositions qui ont transposé les articles du code pénal relatifs au délit d’ingérence. L’article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 modifiée relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique expose que « la saisine de la Commission est obligatoire […] pour les agents chargés soit d’assurer la surveillance ou le contrôle d’une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer des décisions relatives à des opérations effectuées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions ».

La saisine est, en revanche, facultative en cas de problèmes déontologiques et de conflits d’intérêts purs et simples, liés à l’indépendance ou à la neutralité du service ou à son fonctionnement normal. Les administrations interprètent du reste mal cette notion de « fonctionnement normal », qui ne fait en effet pas référence à une désorganisation du service du fait du départ du fonctionnaire, mais à un risque d’entrave à ce fonctionnement, pour des raisons déontologiques, du fait de ce départ.

L’affaire Pérol a relevé du premier cas. Elle présente un double intérêt. Au dernier moment, et dans l’urgence, le Gouvernement a désigné à la présidence du conseil d’administration de la banque Natixis M. François Pérol en lieu et place du candidat précédemment accepté, un ancien haut fonctionnaire. La raison en était l’existence d’un risque systémique pesant sur cette société qui avait des actifs à long terme et des prêts à très court terme. Face à une menace de crise du crédit interbancaire perçue comme imminente, le Gouvernement a estimé que cette solution serait un signe adressé au marché. Cependant, la décision a été prise un vendredi et la nomination effectuée le mardi suivant. Dans ces conditions, comment la Commission de déontologie aurait-elle pu se réunir ?

Mais la législation permettait cette nomination dans la mesure où, même s’il s’était agi d’un cas de saisine obligatoire, c’était à l’administration dont dépendait l’agent d’en effectuer l’appréciation. Celle-ci ayant estimé que le cas ne relevait pas de la saisine obligatoire – d’autres personnes pensaient le contraire –, la Commission n’a pas été saisie. L’enquête du Parquet ouverte par la suite a abouti à un non-lieu, pour des raisons tenant à la situation très particulière – sur la base d’une interprétation juridique stricte – des conseillers du Président de la République. En effet, ceux-ci se trouvaient situés en dehors de la chaîne de commandement, qui remontait à M. Christian Noyer, le Gouverneur de la Banque de France, et à Mme Christine Lagarde, la ministre des finances. Or M. François Pérol n’était le conseiller ni de l’un, ni de l’autre.

À la suite de l’émotion suscitée par cette affaire, la loi a été amendée en juillet 2009, à l’initiative de M. Jean-Luc Warsmann, président de la Commission des lois, pour rétablir la saisine formellement obligatoire de la Commission de déontologie pour les membres des cabinets ministériels, et, par assimilation, les conseillers de la Présidence de la République.

Le président Warsmann avait aussi voulu, par parallélisme, rétablir la saisine obligatoire pour les membres des cabinets des autorités électives territoriales. Nous nous sommes cependant aperçus que ces cabinets connaissaient beaucoup de mouvements, que les positions de leurs membres étaient extrêmement inégales et que la saisine formellement obligatoire de la Commission de déontologie ne se justifiait pas. Le président Warsmann a alors décidé de remplacer la saisine obligatoire par une information, également obligatoire, de la Commission, assortie de l’attribution d’un pouvoir d’auto-saisine, confié à son président.

Autrement dit, si les autorités locales conservent leur liberté de saisir ou non la Commission de déontologie en fonction de l’analyse qu’elles font des futurs postes des personnels qui quittent leurs cabinets – lesquels, s’ils sont forcément des agents publics, ne sont pas toujours des fonctionnaires –, elles ont en revanche l’obligation d’informer celle-ci. Si, en fonction des informations que la Commission reçoit, son président estime que la saisine est obligatoire, il a le pouvoir de la saisir lui-même.

Au moins, grâce à l’affaire Pérol, aujourd’hui chacun connaît l’existence de la Commission de déontologie. De ce fait, elle est aussi beaucoup plus souvent saisie.

Pour éviter la submersion, elle a développé à grande échelle une procédure officieuse en amont. Les personnes intéressées consultent officieusement la Commission. En cas de doute, celle-ci leur demande de la saisir. Dans les cas sans difficulté – prenons l’exemple d’un jardinier municipal qui déciderait d’ouvrir une pizzeria –, elle leur répond que la saisie est inutile. Enfin, lorsque l’avis a toutes les chances d’être négatif, les intéressés renoncent à leur futur poste avant de nous saisir. La réponse aux questions des journalistes sur le faible nombre d’avis négatifs que nous rendons est que nous nous prononçons officieusement en amont de la saisine officielle. Le motif de cette démarche est qu’il est toujours un peu traumatisant pour un agent ou une administration de recevoir un avis négatif. Ceux-ci ne concernent dans les faits que des personnes qui ont voulu défendre leur dossier jusqu’au bout.

Le système fonctionne bien, sauf sur un point : le traitement des membres des cabinets des autorités territoriales. Pour des raisons que j’ignore, les saisines concernant ces dossiers sont très exceptionnelles. La seule exception est liée aux campagnes menées par la presse régionale. Dans ce cas, par prudence et pour se protéger, les intéressés saisissent la Commission.

Le système d’information ne fonctionne pas. Pourquoi ? La loi actuelle remonte à juillet 2009 ; le décret d’application a été publié – décret n° 2010-1079 du 13 septembre 2010 modifiant le décret n° 2007-611 du 26 avril 2007 –, mais la circulaire n’est pas encore parue. Or, la tendance du système administratif français est de considérer que tant que la circulaire n’est pas publiée, le décret n’est pas applicable !

L’application au personnel politique doit être très prudente. En effet, le dispositif applicable aux fonctionnaires repose sur la présomption : « La femme de César ne doit pas même être soupçonnée ». À partir du moment où un agent, un fonctionnaire ou un membre de cabinet quitte son poste pour une entreprise relevant du secteur dont il a la responsabilité, le conflit d’intérêts est présumé. Il est alors très difficile à l’agent de démontrer qu’il n’a jamais eu de relations avec cette entreprise.

Le cas de M. Jean-Pierre Jouyet, que vous avez entendu, est resté dans les annales. Lorsqu’il était directeur du Trésor, le Gouvernement a voulu le nommer directeur général d’EDF. La Commission de déontologie, sous l’autorité de mon prédécesseur, avait donné un avis défavorable au motif que le directeur du Trésor partageait, avec un autre directeur, la tutelle de cette entreprise. Très marri de cet avis défavorable, M. Jouyet s’était indigné dans une tribune publiée par le journal Le Monde de cette décision, qui empêchait un fonctionnaire de quitter la fonction publique pour une entreprise publique.

La situation de M. Alexandre de Juniac vis-à-vis de l’entreprise AREVA est identique. Certains établissements, certaines sociétés sont contrôlées à 100 % par l’État. Dans la mesure où elles font partie du secteur concurrentiel, nous devons leur appliquer les règles générales. Il reste qu’en les leur appliquant, nous empêchons, ce qui peut paraître absurde, un haut fonctionnaire de partir pour une entreprise entièrement contrôlée par l’État au motif que, dans sa position, il a pu lui procurer un avantage. Ce motif est purement virtuel : il ne correspond à aucune réalité. Cependant, la présence d’une entreprise dans le secteur concurrentiel est l’un des critères des textes, du code pénal notamment. Nous ne pouvons donc pas faire autrement.

Pour les organismes privés situés hors secteur concurrentiel, si les dispositions du code pénal ne s’appliquent pas, tel n’est pas le cas des dispositions sur le conflit d’intérêts, c’est-à-dire les critères d’indépendance et de neutralité au regard du fonctionnement normal du service. Nous contrôlons le respect de ce volet, notamment lorsqu’un agent part dans un organisme professionnel – une fédération mutualiste, par exemple. Un fonctionnaire qui se serait occupé des conditions de mise en place de la couverture maladie universelle (CMU) ou de la modification du taux de remboursement des médicaments ne pourrait ainsi pas partir dans une mutuelle de santé.

Pourquoi un tel système s’applique-t-il mal au personnel politique ? C’est que ce qui intéresse le monde médiatique, ce sont les refus de la Commission. Pour lui, un refus est une information, un avis favorable non. Or, nous faisons tout pour prévenir les refus.

De plus, certains secteurs de l’administration, le secteur économique et financier, celui de l’équipement et de l’environnement – bien plus que le secteur social – sont plus en vue que d’autres. Les personnes qui travaillent dans ces secteurs sont aujourd’hui très prudentes. Dès qu’un directeur de cabinet du ministre du budget, des finances, ou de l’écologie envisage de quitter son poste, la Commission reçoit de très nombreux appels sur son avis futur, lui exposant qu’elle ne saurait donner son aval. À cette aune, un directeur de cabinet du ministre des finances ne pourrait trouver aucun poste à l’issue de ses fonctions.

La transposition au monde politique est effrayante. Une personnalité qui aurait été ministre des finances, du budget et de l’équipement n’aurait plus la moindre solution d’embauche. Si elle créait sa propre société de conseil, elle ne pourrait travailler avec aucune entreprise.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. C’est vrai pour les ministres, qui sont des chefs d’administration. Mais pour les simples parlementaires…

M. Olivier Fouquet. Les règles d’incompatibilité s’appliquent pendant trois ans. Aujourd’hui, à son départ du Gouvernement, un ministre redevient parlementaire. Pendant trois ans, il n’aura d’autre solution que de rester simple député. Si des élections interviennent l’année après son départ et qu’il est battu, il aura toutes les peines du monde à se reclasser pendant les deux années suivantes.

En matière de déontologie pénale, la frontière entre ce qui est autorisé et interdit est très claire. En revanche, en matière d’indépendance et de neutralité du service, nous émettons des réserves. Celles-ci sont notamment géographiques. Nous interdirons ainsi à un fonctionnaire d’une direction départementale de l’équipement et de l’agriculture de partir dans une entreprise avec laquelle il a été en relation professionnelle, mais aussi, s’il a créé sa propre entreprise, de travailler dans les frontières géographiques de son ancienne circonscription.

Transposer de telles règles à un ancien député reviendrait à lui interdire de travailler dans le département où il habite, alors que, comme député, il y connaissait tout un chacun, et qu’il avait participé au sauvetage de toutes les entreprises en difficulté qui avaient pu être sauvées. S’il est, de profession, avocat ou conseiller en gestion, il ne pourra plus travailler !

Par ailleurs, les députés sont déjà soumis à des incompatibilités, contrôlées par le Conseil constitutionnel – certes, bien que la perception que nous en avons ait un peu évolué, leur liste n’a pas été modifiée depuis plusieurs années.

Enfin, seul le Conseil constitutionnel doit conserver le droit de contrôler le respect des incompatibilités par un député. La séparation des pouvoirs exclut tout autre organisme de contrôle, à l’exception d’une instance qui serait interne au Parlement.

Lors de leur élection, les députés doivent se soumettre à une déclaration de patrimoine et de leurs intérêts. Cette situation est pour moi logique.

Se pose cependant la question de savoir, lorsqu’un député nouvellement élu a des intérêts professionnels, s’il doit ou non les abandonner. Je le rappelle, la IIIe République a été celle des avocats. Un tiers des députés l’étaient, et continuaient à exercer leur activité. Lorsque j’ai commencé ma carrière administrative, après ma sortie de l’ENA en 1968, comme les indemnités des politiques étaient très maigres – et peut-être le travail moins absorbant – il était encore assez fréquent que des députés continuent d’exercer à temps partiel leur profession, de médecin ou d’avocat, par exemple. Aujourd’hui encore, ce cas de figure existe. Un exploitant agricole devenu député peut-il rester exploitant en titre ? Je n’y vois aucun inconvénient. Mais, dans ce cas, pourra-t-il siéger à la Commission des affaires économiques, qui traite d’agriculture ? S’il est avocat, pourra-t-il conserver un pied dans son cabinet ? S’il est chirurgien, même s’il cesse d’opérer, pourra-t-il garder une participation dans sa clinique ? Les lois organiques ne l’interdisent pas.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Certains opèrent encore…

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Pour ne pas perdre la main !

M. Olivier Fouquet. Il est vrai qu’un chirurgien et un pianiste sont dans la même situation. Et les élus doivent tenir compte des aléas de la vie politique. Les fonctionnaires – mais non, il est vrai, les contractuels, dont le nombre progresse pour des raisons de souplesse – bénéficient de l’emploi à vie. Tel n’est pas le cas des élus. Nombreux sont les députés qui, se croyant élus dans une circonscription favorable, sont ensuite battus.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. En moyenne, un député le reste sept ans et demi.

M. Olivier Fouquet. L’opinion publique est très dure envers les hommes politiques battus. Leur situation est très difficile. J’ai vu des personnes changer de trottoir pour ne pas croiser tel secrétaire d’État qui se représentait lors d’une élection partielle et venait d’être battu. Pour cette raison, il faut être très attentif, lors de la définition de règles déontologiques, à raisonner de façon concrète.

Pour moi, les députés, doivent, lors de leur élection, déclarer tous leurs intérêts. En transposant les mécanismes de la Commission de déontologie, il serait possible soit de leur demander d’abandonner telle ou telle de leurs activités, soit de fixer des conditions à la poursuite de l’une de celles-ci : ainsi, il pourra être demandé à un avocat, membre d’un cabinet pluridisciplinaire, qui devient membre de la Commission des finances de l’Assemblée nationale ou du Sénat de renoncer à traiter de dossiers fiscaux.

Pour les députés en fonction, deux pistes peuvent être suivies. La première consiste, tout en continuant à soumettre au Conseil constitutionnel les incompatibilités, à en compléter la liste. La deuxième est l’instauration d’un système de contrôle déontologique à double vitesse. Un député qui prendrait en cours de mandat une activité nouvelle par rapport à sa prise de fonctions, devrait la déclarer, soit, si elle entre dans le champ de la loi organique, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, soit, si tel n’est pas le cas, auprès du Bureau de l’assemblée concernée ou d’un organisme idoine qui statuerait en fonction de règles déontologiques sur les conditions d’autorisation de l’exercer.

Le député sorti de fonctions devrait quant à lui, pendant un certain temps, être obligé de déclarer à son ancienne assemblée ses activités, dont le fond pourrait ainsi être vérifié. Quelle devrait être la durée de cette période ? Compte tenu de la rapidité de l’évolution de la vie économique et de la vitesse à laquelle se dissolvent les relations professionnelles, une durée de trois ans paraît trop longue. Un an paraît bien suffisant.

Il faut en revanche être très pragmatique et éviter de fixer un carcan de règles. Les groupes américains, comme Ernst & Young, qui comportent plusieurs branches – conseil juridique, audit, expertise comptable –, disposent à plein-temps de déontologues chargés de vérifier l’absence de conflits d’intérêts internes – en veillant notamment à ce qu’une même société ne soit pas cliente du groupe à la fois pour l’expertise comptable et l’audit.

Les règles procèdent d’habitudes issues de l’expérience. Il faut, je crois, retenir comme principes issus de la déontologie des fonctionnaires ceux de neutralité et d’indépendance. Sur ce dernier point, on ne doit pas pouvoir penser qu’un ancien élu parte dans une entreprise à laquelle, quand il était élu, il aurait aliéné par avance son indépendance.

Quant à la neutralité, un élu ne devrait pas pouvoir donner de consultations sur l’application d’une loi dont il a été le rapporteur et qu’il connaît donc forcément mieux que les autres, et cela alors même que son savoir serait très utile : le Conseil d’État lui-même se réfère abondamment aux travaux parlementaires ; en amont de cette richesse juridique, il n’y a rien, ou presque !

En revanche, eu égard à la séparation des pouvoirs, je vois mal une autorité indépendante telle que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ou une institution composée à la fois de parlementaires et de hauts fonctionnaires, contrôler les élus. Ce n’est pas leur travail. La Commission de la transparence financière, comme celle des comptes de campagnes, ne sont pas des exemples pertinents. Leur rôle est purement comptable et mécanique : vérifier le respect des règles. Elles n’ont pas de rôle déontologique. Si un contrôle du comportement déontologique des élus doit être instauré, si une jurisprudence doit se former, c’est au Conseil constitutionnel ou aux assemblées elles-mêmes de l’assurer.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Monsieur le président, pour le traitement des conflits d’intérêts, vous avez mis en exergue l’évidente différence entre un fonctionnaire et un élu, surtout un parlementaire, et vous l’avez attribuée, au premier chef, au caractère collectif de la décision parlementaire – même si chaque parlementaire prend position et ce, avec d’autant plus d’autorité qu’il est rapporteur ou président de commission.

Je comprends aussi de vos propos que, pour l’encadrement déontologique de l’action des parlementaires, vous prônez plutôt une législation souple et l’élaboration d’un code de bonne conduite.

M. Olivier Fouquet. Une année entière, au moins, est nécessaire à l’élaboration d’un code de bonne conduite. Un tel code ne peut être en effet construit dans l’abstrait, par un professeur de droit. Avoir en tête des cas pratiques est nécessaire. Pour cette élaboration, il pourrait être envisagé, par exemple, qu’au sein des groupes politiques de chaque assemblée, chacun puisse décrire à son président les points sur lesquels il a ressenti des doutes, des hésitations, et la décision qu’il a prise. À partir de la série, anonyme bien sûr, de cas concrets ainsi constituée, un répertoire méthodologique et une grille d’analyse pourraient être élaborés. Ainsi des solutions pourraient être progressivement dégagées, et retranscrites en un code de bonne conduite. La tâche n’est pas facile : nous sommes en terra incognita !

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. La transparence de l’activité et du patrimoine des députés doit-elle aller jusqu’à leur révélation au public le plus large, via la presse ou Internet ?

M. Olivier Fouquet. Aujourd’hui, personne ne peut avoir par exemple connaissance du patrimoine du vice-président du Conseil d’État ou du premier président de la Cour des comptes.

Par ailleurs, d’un point de vue déontologique, connaître le patrimoine de responsables administratifs ou politiques est d’un intérêt absolument nul !

Tel n’est pas le cas, en revanche, de la connaissance de leurs activités annexes. Que les cartes soient mises sur la table ! Il n’est pas inintéressant, lorsqu’un parlementaire qui préside une association à l’objet aussi honorable que l’aide aux enfants handicapés traite de cette question à la tribune de l’Assemblée, de savoir qu’il est engagé dans ce domaine.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Connaître le montant des rémunérations annexes ne pourrait-il pas présenter aussi un intérêt ?

M. Olivier Fouquet. Je n’en sais rien. En revanche, qu’un parlementaire avocat continue d’indiquer qu’il exerce des fonctions de conseil et fournisse le profil de ses clients, entreprises, et particuliers – sans révéler d’identités, bien sûr –, ou qu’un parlementaire chirurgien signale qu’il conserve des parts dans la clinique où il exerce me semble intéressant. Ce qu’il faut déclarer, ce n’est pas les montants perçus, mais les éléments susceptibles de poser des difficultés déontologiques.

Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure. Les déclarations doivent-elles être accessibles au public le plus large ?

M. Olivier Fouquet. Je suis choqué de voir les politiques jetés en pâture sur la base de présomptions contre lesquelles ils ne peuvent pas lutter.

Pour moi – mais il ne s’agit là que d’une proposition à discuter – les déclarations devraient être portés à la connaissance d’un organisme spécifiquement chargé de les recevoir. Pour éviter toute atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, cet organisme pourrait être soit le Conseil constitutionnel, soit une instance indépendante constituée au sein des assemblées délibérantes. En cas de mise en cause d’un parlementaire au titre d’une activité annexe, cet organisme pourrait par la suite répondre aux demandes qui lui seraient adressées. Par exemple, dans le cas d’une partie perdante à un procès, qui imputerait avec indignation sa défaite au fait que le cabinet d’avocats conseillant la partie adverse compterait parmi ses associés un parlementaire, l’organisme pourrait indiquer qu’en effet ce parlementaire avait déclaré continuer d’exercer sa profession d’avocat et précisé les conditions de cet exercice.

M. Lionel Tardy. Pour vous, le Conseil constitutionnel est-il le seul organisme à disposer de la légitimité du contrôle des incompatibilités opposables aux parlementaires ?

M. Olivier Fouquet. Le Conseil constitutionnel ou un organisme créé au sein du Parlement.

Le raisonnement de la Commission de déontologie est le suivant : les incompatibilités s’imposent à l’administration et à l’agent ; y déroger est donc très grave. Par ailleurs, leur constatation est claire : il y a ou non incompatibilité. Ce raisonnement vaut pour les parlementaires.

En revanche, les autres éléments, traitement des déclarations d’activités, formulation par l’organisme de contrôle de réserves ou de condition d’exercice relève de la pratique, en fonction de la situation précise du demandeur et de la nature de l’activité.

M. Lionel Tardy. Les nouveaux médias d’aujourd’hui n’ont-t-ils pas pour conséquence la révélation de faits qui autrefois n’auraient pas été évoqués par la presse ? Cette évolution, certes contraignante, n’est-elle pas une incitation pour les élus à être plus vigilants qu’auparavant sur leur déontologie ?

M. Olivier Fouquet. Je ne pense pas qu’il y ait là de réelle nouveauté. Dans le passé ont été révélés le scandale de Panama et l’affaire Stavisky. La presse a toujours joué son rôle. La vie parlementaire sous la IIIe République était d’une violence extrême : qu’il suffise de rappeler le journal Gringoire et le suicide de Roger Salengro. C’est ce type d’événement qu’il faut travailler à éviter. Il ne faut pas que, parce qu’un média recherche un scoop, une chasse aux sorcières puisse être lancée. Deux fois mis en examen, M. Gérard Longuet a deux fois bénéficié d’un non-lieu. Pourtant, ces mises en examen ont brisé sa carrière politique. La constitution d’un organisme indépendant auquel il soit possible de s’adresser pour vérifier une information me paraît utile pour éviter ce type de situation. Si le parlementaire n’a pas déclaré une activité étrangère à son mandat, il est dans son tort. La presse joue son rôle en le dénonçant. Si, au contraire, il a déclaré cette activité, il n’est pas en tort. Que les médias puissent vérifier qu’il l’a déclaré, qu’ils critiquent s’ils le souhaitent la façon dont il l’exerce, est légitime. Cela relève de la liberté de la presse.

Attaquer un parlementaire qui a fait son devoir déontologique, c’est-à-dire qui a présenté loyalement les conditions dans lesquelles il continue d’exercer une activité professionnelle, et attaquer un parlementaire qui ne l’a pas fait, qui a cherché à dissimuler son activité, qui n’a pas respecté les limites qui lui ont été fixées, ne sont pas de même nature.

La presse a le droit de dénoncer les personnes qui n’ont pas respecté la règle. Je découvre moi-même aujourd’hui, grâce à elle, des cas de départs de fonctionnaires, avec l’accord de leur administration, sans qu’ait été saisie la Commission de déontologie alors qu’elle aurait dû l’être. En revanche, les médias ne sont pas fondés à lancer des accusations gratuites et à inventer eux-mêmes une déontologie de référence au cas par cas.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Monsieur le président, nous retenons de votre expérience l’impossibilité d’assimiler les parlementaires à des fonctionnaires d’autorité. Votre réflexion inspirera nos travaux.

M. Olivier Fouquet. Enfin, au contraire du dispositif applicable aux fonctionnaires, celui qui concernerait les parlementaires devrait être fondé non pas sur la présomption, mais sur des faits avérés. La raison d’être du régime de présomption est la prévention des conflits d’intérêts.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Monsieur le président, merci beaucoup.

La séance est levée à douze heures cinq.