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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

Jeudi 19 mai 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 28

Présidence de M. Olivier Carré, Président

– Audition commune, ouverte à la presse, de représentants du ministère de la Culture et de la communication : Mme Laurence Franceschini, directrice générale des Médias et des industries culturelles, M. Georges-François Hirsch, directeur général de la Création artistique, M. Philippe Bélaval, directeur général des Patrimoines, M. David Zivie, sous-directeur des affaires financières au secrétariat général du ministère, M. Marc Drouet, sous-directeur de l’archéologie à la direction générale des Patrimoines, et Mme Isabelle Maréchal, chef du service du patrimoine à la direction générale des Patrimoines, sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

M. Olivier Carré, Président. Mesdames, messieurs, la MEC souhaiterait savoir comment les ressources affectées sont utilisées par les établissements publics qui en bénéficient et dont vous représentez ici la tutelle, de quel contrôle budgétaire elles font l’objet, et selon quelles modalités elles permettent de financer les politiques culturelles définies par le Gouvernement.

Selon l’usage de la mission, nous serons aidés dans notre tâche par la Cour des comptes, représentée par M. Emmanuel Marcovitch, conseiller référendaire.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Quels sont, du point de vue de la tutelle, les avantages et les inconvénients du financement par ressources affectées ? Le recours à ce type de financement est-il toujours motivé par un intérêt public réel ? Comment contrôle-t-on l’usage de ressources fiscales directement affectées aux opérateurs ?

M. Olivier Carré, Président. Quel est l’intérêt de débudgétiser les ressources de ces « bras séculiers » de l’État que sont le Centre national du livre (CNL), le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), ou encore le Centre des monuments nationaux (CMN) ? Quels sont vos rapports avec ces institutions ?

M. Philippe Bélaval, directeur général des Patrimoines au ministère de la Culture et de la communication. Le mode de financement de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, se justifie par la nature même du patrimoine archéologique. Ce patrimoine est un capital dissimulé, et l’objectif d’une politique archéologique bien pensée est de préserver ce capital de vestiges que leur enfouissement même protège de la destruction. Or les travaux d’exploration menés dans une perspective de construction ou d’aménagement urbain sont susceptibles de porter atteinte à ce capital. Il n’est donc pas absurde de taxer celui qui porte atteinte à ce patrimoine, pour financer sa préservation sur le modèle du principe « pollueur-payeur ». Ce principe est d’ailleurs posé par la convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique, dite convention de Malte. La redevance d’archéologie préventive (RAP), versée par les aménageurs, est la traduction du lien entre la commission d’un dommage et sa réparation.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Cette taxe a en effet une vocation dissuasive, ce qui surprend beaucoup de nos collègues.

M.  Olivier Carré, Président. En outre, l’INRAP assume une double mission, de diagnostic et de fouilles. Cependant, cette dernière activité est appelée à décroître puisque l’INRAP intervient dans un secteur désormais concurrentiel ; cette évolution devrait se refléter dans la structure de ses coûts. N’y a-t-il pas une tentation pour ce type d’opérateurs externalisés d’excéder leur mission initiale afin de préserver leurs ressources, déclenchant ainsi une mécanique inflationniste ?

M. Philippe Bélaval. Cette dualité de l’activité de l’INRAP a, au contraire, le mérite de permettre une « riposte graduée » : une fois que la nécessité de fouiller est avérée, le diagnostic permet de déterminer l’ampleur des moyens à mettre en œuvre. C’est pourquoi le législateur a distingué ces deux étapes : celle du diagnostic, qui est une mission de service public, et celle de la fouille, ouverte à la concurrence. Cette ouverture peut être un avantage en termes de raccourcissement des délais et de réduction des coûts. L’ensemble du système est régulé par l’État, à travers la direction générale des Patrimoines et les services régionaux de l’archéologie, qui exercent un contrôle permanent de la prescription, notamment sur le plan scientifique, afin d’éviter toute dérive des coûts.

M. Olivier Carré, Président. Je veux simplement dire que la tutelle doit veiller à ce que l’opérateur sache se réorganiser pour s’adapter à l’évolution du contexte global tout en restant dans les limites de sa mission.

M. Philippe Bélaval. Le fait que l’INRAP, depuis la réforme de 2003, intervienne à la fois dans un secteur réglementé et dans un secteur concurrentiel peut en effet entraîner des tensions internes, notamment en termes de financement. Il n’en reste pas moins qu’avoir permis à l’INRAP d’intervenir dans le secteur de la fouille était une sage décision, car c’est précisément ce qui fonde la qualité et l’autorité de son expertise : cantonné au diagnostic, l’Institut se serait considérablement appauvri sur le plan scientifique, la fouille constituant le cœur du métier archéologique.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Des trois scénarios de réforme du financement de l’archéologie préventive proposés par l’inspection générale des finances, lequel vous apparaît le plus intéressant ? Confirmez-vous qu’une première réforme pourrait être mise en œuvre par voie réglementaire dès juillet 2011 ?

M. Philippe Bélaval. Ces scénarios sont actuellement l’objet d’arbitrages interministériels, dans la perspective d’une inclusion de ces dispositions dans le projet de loi de finances pour 2012. Sans vouloir préjuger du choix du Gouvernement, je peux simplement dire que le ministère est favorable à l’adossement du financement de l’Institut à la réforme de la fiscalité de l’urbanisme, pour des raisons de dynamisme de la ressource et de simplification de la gestion. Par ailleurs, et sous réserve que le Premier ministre le confirme, une réforme réglementaire devrait intervenir dans les prochaines semaines, permettant l’introduction d’un ticket modérateur à la charge des aménageurs.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Comment expliquez-vous que les effectifs de l’INRAP connaissent une augmentation significative depuis 2003 – près de 45 % –, en dépit de la stabilisation des prescriptions décidées par l’État ? Comment l’État évalue-t-il la qualité de la prestation scientifique fournie par les concurrents de l’INRAP ?

M. Philippe Bélaval. L’ouverture à la concurrence a été une bonne chose dans la mesure où elle a permis de remédier au problème des délais, dont la longueur était à l’origine des critiques les plus virulentes contre notre système d’archéologie préventive. Ces délais traduisent l’intensité des besoins dans le domaine du diagnostic en raison du dynamisme de l’aménagement urbain, dont on ne peut que se féliciter pour notre pays. Reste que l’INRAP a dû aussi renforcer ses effectifs pour éviter que ces grands projets ne s’enlisent dans des délais insupportables pour les élus et pour les aménageurs.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Voulez-vous dire que ce n’est pas tant la concurrence qui a permis de réduire les délais, mais que celle-ci a servi de prétexte pour ne pas donner de moyens supplémentaires à l’Institut ?

M. Philippe Bélaval. Les pouvoirs publics ont au contraire manifesté leur volonté de donner à l’Institut les moyens de fonctionner en le dotant d’un nombre d’équivalents-temps plein accru et d’un un outil juridique ad hoc avec le contrat d’activité. L’État a, en outre, pris régulièrement des mesures pour mettre fin à la crise de trésorerie que l’Institut traverse depuis plusieurs années. Cette augmentation des moyens de l’INRAP et l’intervention d’opérateurs privés ont permis de réduire les délais.

M. Olivier Carré, Président. En effet, une augmentation substantielle de la RAP a été votée dans le cadre du plan de relance de l’économie. De plus, si chaque projet d’aménagement intensifie les besoins de diagnostic, il est aussi la source de moyens nouveaux pour cette partie de l’activité de l’INRAP, et celle-ci ne devrait pas souffrir d’un problème de coût. En tout état de cause, nous devons veiller à maintenir le cloisonnement entre les deux missions de l’INRAP, et à ne pas subventionner la partie de son activité ouverte à la concurrence, sous peine d’encourir les foudres de l’Europe.

M. Philippe Bélaval. Cette distinction entre les deux missions de l’INRAP est garantie par deux comptabilités distinctes. Nous proposons en outre que le surplus de recettes qui pourrait être dégagé soit géré par un organisme tiers, pour éviter que des soupçons puissent naître quant à la manière dont l’INRAP gère ses ressources.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Comment expliquez-vous que la signature du contrat de performance de l’INRAP ait pris tant de temps ? La tutelle n’aurait-elle pas dû trancher les problèmes et dépasser les blocages plus rapidement ? Pensez-vous qu’on valorise suffisamment les découvertes de l’archéologie préventive ? Les autres acteurs de la recherche, tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les universités, sont-ils suffisamment associés à l’INRAP ?

M. Philippe Bélaval. J’attribue le retard que vous signalez aux difficultés successives rencontrées par le système d’archéologie préventive, notamment sur le plan financier et social, et que nous évoquons depuis le début de cette audition. Ces crises n’ont pas permis à l’INRAP de connaître une période de stabilité assez longue pour normaliser son fonctionnement. La conclusion du contrat de performance devrait, dans les semaines qui viennent, permettre à l’Institut de rompre avec cette période d’incertitude.

En matière de valorisation des découvertes, on peut toujours progresser. L’Institut a déjà noué de très nombreux partenariats dans le monde de la recherche. Il faudrait mieux promouvoir auprès du grand public des découvertes telles que celle, l’année dernière, d’un temple de Mithra à Angers. Quoi qu’il en soit, monsieur le député, votre question confirme l’intérêt pour l’institut de continuer ses activités de fouille, la valorisation ne pouvant pas intervenir avant cette étape.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Je souhaiterais maintenant aborder les questions relatives au CNC. Le CNC n’a-t-il pas trop d’argent ? Les taxes affectées au Centre sont-elles adaptées à la nouvelle donne économique et technologique à l’œuvre dans le secteur de l’audiovisuel – délinéarisation des contenus, piratage, etc. – ? La mission conjointe de l’inspection générale des finances (IGF) et de l’inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a-t-elle déjà rendu des conclusions provisoires ? Ne faudrait-il pas augmenter la proportion des aides sélectives au détriment des aides automatiques, qui représentent plus de la moitié des soutiens versés par le CNC ?

M. Olivier Carré, Président. Sans parler d’une masse salariale qui n’est pas négligeable.

Mme Laurence Franceschini, directrice générale des Médias et des industries culturelles au ministère de la Culture et de la communication. Sur la question des emplois, je laisserai la parole au représentant du secrétariat général du ministère.

La gestion par le CNC de ressources affectées, provenant essentiellement à l’origine de la taxation de la vente de billets de cinéma, est un mécanisme déjà ancien et qui a prouvé son efficacité, et l’attachement des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel au CNC est dû en grande partie au fait que le Centre finance ainsi les subventions à ce secteur. Il faut noter aussi que l’ordonnance du 24 juillet 2009 a doté le CNC d’une nouvelle gouvernance, qui fait de cet établissement un cas à part parmi les établissements qui gèrent des ressources affectées. Le CNC se distingue notamment par la diversité de ses missions, puisque, outre l’allocation de la ressource, il possède un pouvoir réglementaire et un pouvoir de sanction. Cela lui donne une très grande force.

L’augmentation de ses ressources, observée depuis 2005, est due à l’élargissement en 2004 de l’assiette de la taxe aux services de télévision, assiette encore étendue en 2007 à la distribution de services, notamment à la fourniture d’accès à Internet. Cette réactivité de la taxe et son adaptation à l’évolution du secteur de la production audiovisuelle et cinématographique ont dynamisé ses ressources à un point tel que le CNC dispose désormais d’une masse financière extrêmement importante au regard de ses missions. Le risque de voir dans un tel cas l’opérateur excéder les limites de ses missions a motivé le débat parlementaire et la mission conjointe IGF-IGAC, qui devrait rendre ses conclusions à la fin du mois. Celles-ci, notamment en ce qui concerne le degré d’adéquation de la ressource aux missions du CNC, devraient permettre d’établir avec lui, en concertation avec les professionnels du secteur, un contrat de performance ou un contrat d’objectifs et de moyens.

Il est un peu délicat de dire que le CNC a trop d’argent, alors que chacun reconnaît l’efficacité de cet outil et sa pertinence pour assurer de nouvelles missions. Je pense notamment à la nécessaire adaptation des soutiens à la production audiovisuelle à la croissance des services et des programmes en ligne – c’est l’objectif d’un chantier tel que le « web cosip ». C’est une nécessité d’autant plus urgente que notre pays est beaucoup moins performant dans le domaine de la production audiovisuelle que dans le cinéma, en dépit de l’efficacité de nos dispositifs de soutien. Il y a probablement une réflexion à mener à ce propos en concertation avec le CNC.

Par ailleurs, la simple multiplication des chaînes de télévision suscite un besoin accru en matière de production audiovisuelle. Enfin, le plan de numérisation du patrimoine culturel mobilisera également les ressources du CNC.

Dans ce contexte, on mesure mieux l’importance de la mission conjointe des deux inspections. Elle devra ainsi apprécier si la manne dont profite actuellement le CNC a un caractère durable ou si elle est appelée à décroître dans les années à venir.

La question de la répartition du soutien entre aides automatiques et aides sélectives doit faire l’objet d’un dialogue constant entre le CNC et sa tutelle, de tels choix déterminant structurellement la politique que l’on souhaite mener dans le domaine de la production audiovisuelle et cinématographique. Je reconnais que les aides sélectives sont plus séduisantes a priori : elles permettent de choisir les projets qu’on souhaite soutenir, de favoriser la qualité et de donner leur chance à de nouveaux producteurs. En revanche, le soutien automatique, par son aspect mécanique, est, aux yeux de certains, intrinsèquement inflationniste. Il faut cependant prendre garde au fait que les soutiens doivent également favoriser une logique industrielle. Or l’automaticité des aides, par la continuité et la stabilité qu’elle leur offre, permet aux sociétés de production, voire à certains auteurs et créateurs, de s’inscrire dans la durée. La répartition de ces deux catégories de subventions doit pouvoir être révisée annuellement en fonction des résultats de l’année précédente et de la politique poursuivie.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Mes questions porteront sur le CNV. Aujourd’hui, le produit de la taxe sur les spectacles est partagé entre le CNV et l’Association pour le soutien au théâtre privé (ASTP). Une centralisation des missions et des financements publics ne serait-elle pas préférable afin d’éviter tout risque de dispersion et de renforcer le rendement de ces aides ?

Par ailleurs, si les grands spectacles se maintiennent, il semble que les manifestations de moindre ampleur ressentent plus durement les effets de la conjoncture, la crise économique et financière ayant fragilisé les petites et moyennes entreprises de spectacle. Redoutez-vous cette situation ? Dans l’affirmative, comment comptez-vous y faire face ?

M. Georges-François Hirsch, directeur général de la Création artistique au ministère de la Culture et de la communication. Le financement du spectacle vivant par le ministère obéit au modèle des deux sphères évoqué par M. Bélaval : un secteur d’économie de transfert rassemblant toutes les politiques publiques de l’État et des collectivités territoriales, et un secteur concurrentiel, relevant du soutien du CNV. En effet, la tâche du Centre, que celui-ci remplit parfaitement, est de soutenir les producteurs de musiques actuelles.

Le fonctionnement actuel du CNV n’appelle pas de remarque particulière : il donne toute satisfaction, comme le prouvent l’augmentation constante des recettes qu’il perçoit, ainsi que l’affiliation toute récente de la chambre syndicale des cabarets artistiques et discothèques.

Je m’inquiète davantage de l’évolution du modèle économique de ce secteur, marquée par une concentration croissante des moyens de production et de diffusion des manifestations relevant du CNV. La crise et l’explosion de l’économie numérique avaient déjà entraîné une mutation considérable des schémas économiques au détriment des majors, le spectacle vivant s’est aujourd’hui révélé plus porteur que le disque.

La réorganisation de l’économie du secteur profite à quelques grands groupes
– deux, trois, quatre au maximum – qui sont en train de racheter des sociétés de production indépendantes. Ces groupes acquièrent également des lieux de diffusion, comme des salles de spectacles de type Zénith et, plus récemment, financent des projets Arena, dont la capacité d’accueil est double de celle des Zénith sans en avoir les équipements techniques adaptés au spectacle vivant.

Une telle concentration risque d’être fortement dommageable pour le monde du spectacle vivant. Or les producteurs français, enfermés dans une vision franco-française du secteur, ne semblent pas avoir encore pris toute la mesure de cette évolution. Ils souhaitent le statu quo, sans se rendre compte que ce modèle économique est frappé d’obsolescence dans un monde globalisé où les moyens se concentrent dans un très petit nombre de mains. Nous risquons d’aller vers un système dérégulé, où les producteurs indépendants ne survivront pas. On ne peut plus se contenter aujourd’hui d’être un simple producteur de spectacle vivant, sans décliner toutes les autres formes de production.

La perception de ressources affectées par le CNV est un bon levier pour orienter la politique culturelle. Si l’on devait envisager le rapprochement du CNV et de l’ASTP, il est clair qu’il faudrait à terme réorganiser la perception de la taxe, voire l’économie du secteur, sans que les répartitions CNV / ASTP s’en trouvent modifiées. Aujourd’hui, la direction générale de la création artistique a souhaité une réflexion sur les moyens de trouver des recettes extrabudgétaires pérennes pour le spectacle vivant. À cette fin, une mission sera chargée d’étudier toutes les solutions en la matière. Ces ressources devront venir en complément, et non se substituer aux moyens budgétaires existants.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quel sera l’impact de la transposition d’une directive communautaire relative à l’exercice de la profession d’entrepreneur de spectacle sur l’activité du Centre ?

M. Georges-François Hirsch. Il est à craindre que cette transposition n’induise un système à deux vitesses. Actuellement, tout producteur doit disposer d’une licence d’entrepreneur de spectacles ; demain, cette obligation n’existera plus pour les ressortissants de l’Union européenne, qui ne seront tenus qu’à une déclaration préalable. De plus, la licence étant la base de la détermination du périmètre d’intervention du CNV, sa suppression pourrait bouleverser l’économie du Centre. À cela s’ajoutent des risques accrus d’évasion fiscale. Il est donc plus que temps de réfléchir à une évolution du CNV et des modalités de perception de la taxe.

M. Olivier Carré, Président. Un tel système existe-t-il dans d’autres pays européens ?

M. Georges-François Hirsch. Si le système de la ressource affectée existe ailleurs, la perception de la taxe à travers les titulaires de la licence d’entrepreneur de spectacles est propre à la France.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Ne risque-t-on pas de voir des sociétés de production s’installer dans des pays où n’existe pas de taxe sur le spectacle vivant ?

M. Georges-François Hirsch. Bien sûr, ce risque existe, mais la menace la plus grave réside, je le répète, dans la formidable mutation du modèle économique du secteur, qui risque d’être laminé s’il ne parvient pas à anticiper et à créer d’autres modèles. Depuis plusieurs mois que nous avons engagé des discussions avec les professionnels du spectacle vivant. Nous n’avons pas encore trouvé de réponse convaincante à ce problème.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Les modalités de perception des ressources affectées diffèrent selon les établissements, certains disposant de leur propre service de perception quand d’autres recourent à l’administration fiscale. Cette différence dans les modalités de perception est-elle justifiée ? Pensez-vous qu’un système soit plus pertinent que l’autre ?

Deuxièmement, avez-vous défini des modalités d’intervention commune à ces différents organismes, ou chacun définit-il ses modes d’action ?

Troisièmement, monsieur Hirsch, les aides publiques au spectacle vivant peuvent également être directement distribuées par le ministère et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Avez-vous pu comparer l’efficience de ces deux modalités de subvention ?

M. Olivier Carré, Président. Le rapatriement de l’ensemble des subventions au sein de l’administration d’État est-il au nombre des hypothèses d’évolution que vous envisagez ?

M. Georges-François Hirsch. Le système de perception du CNV est un bon système. Le nombre des missions assumées par le CNV étant appelé à s’accroître, on pourrait même envisager un élargissement du périmètre de la taxe, par exemple aux spectacles de variétés dans les parcs d’attraction. Pour cette raison, on doit envisager une évolution à la hausse des effectifs du CNV – le Centre emploie aujourd’hui 26 équivalents-temps plein, ce qui ne sera plus suffisant à terme.

Il est difficile d’envisager d’unifier les modalités d’action d’établissements qui interviennent dans des secteurs aussi différents, organisés selon des schémas et une démarche qui leur sont propres.

L’économie du spectacle vivant relève de deux sphères très différentes.

L’une, entièrement financée par les deniers publics, État ou collectivités territoriales, est une sorte d’économie de transfert aux institutions. Je souhaite dans ce domaine un dialogue fructueux entre l’État, les collectivités et les professionnels afin que nous nous mettions d’accord sur des politiques publiques communes dans le cadre de conventions sur trois ans. C’est dans cette perspective que nous dialoguons avec chacune des régions.

Il est difficile de comparer l’efficience des aides directes à celle des aides distribuées par le CNV, dans la mesure où elles interviennent dans deux domaines très différents : l’un principalement financé sur deniers publics, et l’autre relevant du secteur concurrentiel. Il faut que l’État et les collectivités territoriales parviennent à harmoniser leurs actions dans la sphère où ils interviennent. Il nous faut dialoguer en amont avec les collectivités pour définir, voire contractualiser, une politique commune sur trois ans. Nous avons déjà engagé ce dialogue, qui s’est révélé jusqu’à présent plutôt fructueux. Les choses sont fort différentes dans le secteur concurrentiel, où il n’est pas question de changer les règles du jeu.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Envisagez-vous de transformer le CNV en un centre national du spectacle vivant, au champ de compétence plus large ?

M. Georges-François Hirsch. Je vois, monsieur le député, que vous avez d’excellentes lectures ! Je suis heureux que vous me donniez l’occasion d’exprimer ma pensée, sans anticiper les conclusions de la mission. Il est hors de question de charger une agence totalement indépendante du ministère de la Culture de financer toutes les activités du spectacle vivant : ce serait à mes yeux le début du démantèlement du ministère. Un tel organisme aurait pour fonction, à travers diverses missions, d’être le cadre permanent d’un dialogue régulier, fructueux et constructif entre l’État, les collectivités territoriales et les professionnels.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Abordons si vous le permettez le cas du Centre des monuments nationaux (CMN). En application de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, celui-ci se voit affecter 15 % du prélèvement sur les mises engagées dans les jeux de cercle en ligne, dans la limite de 10 millions d’euros par an. La création d’un tel système de financement « dérivé » se justifiait-elle alors que le CMN a vu sa dotation budgétaire diminuée de 9,5 millions d’euros dans le cadre de la loi de finances pour 2011 ?

M. Philippe Bélaval. Ce prélèvement me semble le dernier avatar, au sens brahmanique du terme, de la fascination française pour le modèle britannique. On peut l’analyser comme un simple jeu d’écriture dans le budget de 2011, puisqu’il se substitue à la dotation initiale. Je dirai, sans vouloir manquer à la solidarité gouvernementale, que le ministère de la Culture n’était pas demandeur de ce prélèvement. Mais il est trop tôt pour porter un jugement sur ce dispositif. Je ne sais pas s’il s’agit d’une facilité imposée par la nécessité de boucler le budget ou d’un système appelé à durer.

Grâce à une gestion particulièrement rigoureuse, le CMN s’est constitué un « trésor de guerre », qui n’a rien d’excessif quand on voit l’ampleur des opérations de restauration auxquelles il devra faire face. Les 80 millions d’euros qui constituent son fonds de roulement sont à comparer au coût estimé de la campagne de travaux de restauration du Panthéon, à savoir une centaine de millions d’euros. Sachant que le CMN gère quatre-vingt-seize monuments, on voit qu’il est loin d’être surdoté.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Un fonds de roulement de 60 millions d’euros pour 2009 et de 80 millions d’euros à l’heure actuelle, cela fait quand même beaucoup ! Votre argumentation n’est-elle pas justifiée par une affectation a posteriori de fonds excédentaires ?

Par ailleurs, que pensez-vous de la dévolution aux collectivités territoriales de monuments historiques appartenant à l’État ? Présente-t-elle un risque ou une opportunité pour le CMN ?

M. Philippe Bélaval. Vous savez que le Sénat a voté une proposition de loi instituant un nouveau mécanisme de transfert des monuments historiques aux collectivités territoriales – et aux collectivités territoriales seulement –, que l’Assemblée nationale devrait examiner avant la fin de l’année. Le Sénat a pris soin d’encadrer ce processus, notamment en posant le principe de péréquation de la gestion du CMN, qui garantit l’équilibre de ses comptes. Cela signifie qu’on ne pourra pas retirer au CMN la gestion des six monuments qui lui permettent d’assumer le coût des quatre-vingts autres. En ce qui concerne le seul Panthéon, le Centre a programmé pour 2012 une première tranche de travaux de 23 millions d’euros. Pour débloquer une telle somme d’un coup, il faut bien disposer de réserves.

Mme Isabelle Maréchal, chef du service du patrimoine à la direction générale des Patrimoines. Le CMN n’est devenu que très récemment maître d’ouvrage des travaux d’investissement et de restauration pour ses propres monuments et a peiné à constituer son équipe de maîtrise d’ouvrage. Or une conjonction de circonstances lui a permis de constituer ce petit « trésor de guerre », lui donnant l’opportunité d’engager les travaux de restauration du Panthéon.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Nous achèverons cette audition avec le Centre national du livre (CNL). Le CNL gère une trentaine de dispositifs de soutien. Un tel éclatement n’est-il pas préjudiciable à la lisibilité et à l’efficacité de ses interventions ?

Mme Laurence Franceschini. Votre remarque est très juste. Le statut du CNL vient d’être réformé, et le président récemment nommé à sa tête est tout à fait conscient des inconvénients d’un tel éparpillement. Le contrat de performance que l’État doit signer avec le Centre prévoit une simplification et une clarification de ces dispositifs, qui tiennent compte de la spécificité du secteur, où cet établissement est extrêmement apprécié. Le dispositif de soutien à la numérisation a déjà été clarifié.

Il est également prévu d’expertiser l’efficacité des aides à l’issue de la première année d’application du contrat de performance. Nous envisageons aussi de vérifier la compatibilité entre aides du DRAC et action du CNL.

M. Olivier Carré, Président. Mesdames, messieurs, nous vous remercions.