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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

Jeudi 19 mai 2011

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur

– Audition conjointe, ouverte à la presse, de Mme Marie-Astrid Ravon, sous-directrice à la 8e sous-direction de la direction du Budget, accompagnée de Mmes Anne-Hélène Bouillon, chef du bureau de la culture, de la jeunesse et du sport, et Mélanie Joder, chef du bureau de la justice et des médias à la 8e sous-direction de la direction du Budget, ainsi que de M. John Palacin, chef du bureau D2 à la direction de la Législation fiscale, en charge de la politique sectorielle et des taxes sur les transactions (MM. Richard Dell’Agnola, Nicolas Perruchot et Marcel Rogemont, rapporteurs), sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Mesdames, monsieur, le rôle de la MEC consiste à formuler des propositions qui recueillent un consensus sur des politiques publiques ou des thèmes se rapportant à la gestion de l’État. Le rapport sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées sera rédigé par trois rapporteurs – Nicolas Perruchot, Marcel Rogemont et moi-même – représentant les commissions des Finances et des Affaires culturelles et issus de trois groupes politiques différents. Nous sommes assistés dans nos travaux par la Cour des comptes, représentée aujourd’hui par M. Emmanuel Marcovitch, conseiller référendaire.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La multiplicité des taxes affectées suscite bien des questions, qui touchent notamment au contrôle et au risque de démembrement des comptes publics – car, finalement, on vous enlève une côte, si je puis dire, chaque fois que l’on crée une taxe affectée. Quels sont donc les avantages et les inconvénients de ces taxes aux yeux de l’administration centrale ?

Mme Marie-Astrid Ravon, sous-directrice à la 8e sous-direction de la direction du Budget. Nous avons essayé de nous forger une doctrine en dressant une typologie des cas dans lesquels il semble pertinent de pouvoir affecter directement des taxes au financement de politiques publiques déterminées. Nous avons identifié trois grandes familles.

Il y a d’abord les cas où la recette affectée est une redevance ou obéit à une logique de service rendu. Les bénéficiaires de la mission de service public contribuent alors directement à son financement. C’est cette logique qui a prévalu lors de la création des deux redevances finançant l’archéologie préventive et de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP).

Il y a ensuite les cas où la recette affectée constitue une sorte de contrepartie, en application du principe « pollueur-payeur ». Je pense, par exemple, à la taxe sur la vente des appareils de reproduction et d’impression, affectée au Centre national du livre (CNL), qui trouve son origine dans le postulat que l’utilisation de ces appareils menace directement le secteur du livre.

La troisième famille regroupe les cas où la recette affectée résulte de la mise en œuvre d’une péréquation interne au sein d’un secteur économique, permettant ainsi d’éviter un financement d’une dépense publique par l’ensemble des contribuables. C’est la logique à laquelle obéissent les taxes affectées au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), au Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) ou au CNL.

L’intérêt des affectations de recettes est qu’elles reposent sur un lien direct entre les agents économiques assujettis aux taxes et la redistribution du produit de celles-ci au sein du secteur, lien de nature à accroître le consentement à l’impôt et à réduire les externalités économiques négatives.

Au-delà de cette grille d’analyse, d’autres conditions doivent cependant être remplies. Si l’affectation de taxes permet de mutualiser la ressource et d’assurer une solidarité financière entre les professionnels d’un secteur économique, il faut également que le rendement de la taxe soit corrélé dans le temps avec les besoins de l’opérateur : le « décrochage » entre les prélèvements obligatoires qui pèsent sur le secteur et la nécessité de redistribution qui sous-tendait l’affectation de taxes doit être évité. Il est également intéressant que la taxe permette de responsabiliser le secteur et de créer des effets vertueux – par exemple lorsque son rendement s’accroît quand le secteur est performant et dynamique.

Néanmoins, les affectations de recettes présentent aussi des inconvénients. J’en vois au moins cinq. Bien que prévues et autorisées par la LOLF, elles constituent – vous le suggérez vous-même dans votre question – une entorse au principe d’universalité budgétaire.

Ensuite, elles peuvent présenter un risque de contournement de la norme de dépenses de l’État. Pour juguler ce risque, nous avons défini une charte de budgétisation et considéré qu’en dehors des cas de la typologie, l’évolution de ces affectations de recettes serait intégrée dans le calcul de la norme de dépenses dite élargie. On évitera ainsi tout arbitrage entre le respect de la norme de dépenses de l’État et une affectation de recettes permettant de contourner cette norme.

En outre, on court le risque d’un pilotage de la politique concernée par la recette. On s’inquiète alors moins de la définition du besoin que du suivi de la ressource affectée au financement de cette politique.

Au surplus, les taxes suivent nécessairement une logique procyclique : lorsque la conjoncture est favorable, leur produit augmente et on redistribue davantage d’aides au secteur considéré. En cas de retournement de la conjoncture, on est confronté à un risque d’effet de ciseaux, qui peut certes être maîtrisé par la mise en place de mécanismes de lissage pluriannuels ou la constitution de réserves, mais qui doit néanmoins être pris en considération.

Enfin, les affectations de recettes rendent plus difficile le pilotage par l’État de la politique publique considérée. Les mécanismes d’ajustement sont en effet beaucoup plus lents : pour modifier une affectation de recettes, il faut passer par la loi, ce qui est beaucoup moins souple qu’un ajustement de dotation budgétaire en cours d’année. En outre, la gouvernance des opérateurs est parfois plus délicate, les professionnels du secteur étant mieux représentés – et souvent majoritaires – dans les conseils d’administration, ce qui n’est pas le cas pour les opérateurs financés par le budget de l’État.

Il existe aussi un risque de distension du lien direct entre la taxe affectée à l’opérateur et les dépenses qu’elle finance au fil du temps et des modifications législatives.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Tout cela est intéressant, mais reste assez théorique. Pouvez-vous évoquer concrètement les taxes affectées existantes ? Quelles sont celles qui ne répondent pas aux critères que vous avez définis ? Quelles sont celles qu’il faudrait supprimer ? Quelles sont celles qui ont souffert de l’effet procyclique ? Quelles sont celles qui entraînent des difficultés de pilotage pour l’État ?

L’analyse nous intéresse moins que les aspects pratiques.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Les contrats de performance ne peuvent-ils apporter une solution partielle aux problèmes que vous soulevez ?

Mme Marie-Astrid Ravon. J’avais compris que nous passerions les différents organismes en revue dans un second temps, d’où mon introduction générale.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Commençons donc par le CNC. Compte tenu de l’évolution du monde dans lequel vivent le cinéma et la production audiovisuelle, nous ne pouvons manquer de nous interroger sur l’avenir. Comment voyez-vous les choses ? Que pensez-vous par ailleurs de la répartition entre aides « sélectives » et aides « automatiques » ?

Mme Marie-Astrid Ravon. Les affectations de taxes au CNC reposent sur une logique simple : prélever des impôts sur les diffuseurs pour financer la création et la production françaises. Par rapport à la grille d’analyse que je vous ai présentée, nous sommes dans le cas d’une péréquation au sein d’un secteur économique. Ces affectations nous paraissent donc pertinentes.

En ce qui concerne la gouvernance, la réforme qui a fait du CNC un établissement public doté d’un conseil d’administration va dans le bon sens, et donne des leviers à l’État pour piloter l’opérateur.

Compte tenu de l’évolution des taxes qui lui sont affectées, le CNC n’a pas été confronté à des retournements de conjoncture. Il a su constituer des réserves à mesure que le niveau de ses recettes augmentait.

Historiquement, le CNC est financé par trois taxes : la taxe sur les entrées en salles, la taxe sur les services de télévision (TST) et la taxe sur la vidéo et la vidéo à la demande. L’affectation de ces taxes au CNC a d’abord reposé sur l’idée de financer la création cinématographique française en prélevant des impôts sur les entrées dans les salles. Affectées dans un premier temps au compte d’affectation spéciale de soutien au cinéma et à l’audiovisuel puis au CNC, ces taxes ont suivi la logique et les évolutions de l’environnement économique et technologique du secteur. Elles ont été élargies aux modes de diffusion, avec la création de la TST en 1986, puis de la taxe sur la vidéo en 1993. L’assiette de la TST a ensuite été étendue aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) en 2008.

Cette affectation de taxes repose sur une double logique de solidarité et de mutualisation des moyens au sein du secteur, d’une part entre les grosses productions cinématographiques, essentiellement étrangères, et celles qui rencontrent un public plus restreint, et d’autre part entre la diffusion en salles et la diffusion à la télévision et sur Internet. Les taxes ont donc cherché à s’adapter aux mutations économiques et technologiques du secteur. Depuis 2003, leurs assiettes ont été modifiées presque chaque année pour prendre en compte les nouveaux usages et les nouveaux modes de financement du secteur de l’audiovisuel.

Bref, elles ne soulèvent pas de difficulté majeure. La question se pose néanmoins de la répartition du poids de ces prélèvements au regard de la chaîne de valeur de l’œuvre en fonction des différents supports de diffusion. Le débat s’est cristallisé à la fin de l’année dernière. Le rendement de la nouvelle taxe sur les FAI – justifiée par le fait qu’Internet devient un nouveau mode de diffusion des œuvres – est en effet passé de 95,4 millions d’euros en 2008 à 277,8 millions d’euros en 2010. Elle représente désormais 37 % des taxes affectées au CNC. Ce dynamisme est notamment lié au développement des offres triple play, mais aussi au fait qu’au sein de ces offres les services de télévision étaient soumis à un taux réduit de TVA, ce qui conduisait les entreprises à optimiser l’assiette soumise à taux réduit – qui est aussi celle de la TST. Le passage d’un taux de TVA réduit à un taux normal les a donc poussées à se repositionner sur le marché : Free propose désormais une offre double play – c’est-à-dire sans services de télévision – assortie d’un faible complément donnant accès aux services de télévision. Devant le risque d’érosion des recettes du CNC, les ministères des Finances et de la Culture ont diligenté une mission d’inspection chargée de réfléchir à la consolidation des recettes du CNC et à leur niveau, en analysant également les besoins du secteur. Compte tenu de la croissance de ces recettes au cours des trois dernières années, il est en effet légitime de s’interroger sur le « bon » niveau de péréquation au sein du secteur.

Se pose également la question de l’harmonisation du régime fiscal de la publicité sur les services de télévision en ligne avec celui des chaînes hertziennes. La vidéo à la demande (VàD) payante contribue aujourd’hui au fonds de soutien du CNC, mais ce n’est pas le cas de la VàD gratuite, qui est en plein développement. Ce point doit donc être intégré à la réflexion sur les taxes affectées au CNC. Nous attendons les conclusions de la mission d’inspection, qui fonderont la réflexion du Gouvernement. À ce stade, nous n’en avons pas encore connaissance.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Vous vous interrogez sur le bon niveau des recettes affectées au CNC. On peut aussi poser la question de leur bon emploi – car les œuvres de l’esprit qui circulent sur Internet ne sont pas nécessairement des images animées. Nous avons reçu tout à l’heure le président du CNL, qui regrette la faiblesse de ses recettes. Je ne plaide évidemment pas contre le cinéma et la production audiovisuelle, mais on pourrait très bien envisager une autre répartition du produit de la taxe.

M. John Palacin, chef du bureau D2 à la direction de la Législation fiscale, en charge de la politique sectorielle et des taxes sur les transactions. La TST constitue un cas très spécifique parmi l’ensemble des taxes que nous évoquons aujourd’hui. L’octroi d’un taux réduit de TVA sur les services de télévision, pour un montant forfaitaire, allait en effet de pair avec l’utilisation de ce volume de chiffre d’affaires comme assiette pour la TST. C’est dans le secteur de la télévision – et pas seulement dans celui de l’Internet et des télécommunications – qu’on a observé une rupture technologique très importante. Certaines entreprises ont réussi à fournir des services de téléphone, puis de télévision, en utilisant des adresses IP et le circuit Internet. De nombreuses entreprises qui n’appartenaient pas au secteur de la télévision sont dès lors devenues éligibles au bénéfice du forfait de 50 % de TVA à taux réduit. Dans le même temps, elles ont fortement contribué aux recettes du CNC. On peut donc s’interroger sur le point de savoir si la dynamique de ces recettes est corrélée à un besoin du CNC ou à une évolution économique.

Lorsqu’une taxe vise à financer une institution dans un secteur déterminé et pèse sur l’activité de ce dernier, sa gestion et sa cohérence économique apparaissent claires. Mais, dès qu’on élargit son assiette, d’autres logiques se mettent en place. Dans le cas de la TST, on a ainsi prélevé une recette sur d’autres activités économiques. Le financement du monde de la culture et le prélèvement de la taxe sur l’économie numérique sont pour nous un vrai sujet de réflexion, à l’heure où se posent avec une particulière acuité les questions de territorialité et où les opérateurs culturels traditionnels se trouvent en concurrence avec des acteurs situés en amont ou en aval sur la chaîne de valeur ajoutée – portails, moteurs de recherche – qui captent une part de la valeur ajoutée de la publicité. La piste de la fiscalisation de la publicité en ligne apparaît donc comme assez prometteuse.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Venons-en à l’INRAP. Quel est votre sentiment sur le rendement de la redevance d’archéologie préventive (RAP), jugé insuffisant ? Que pensez-vous du versement de 8 millions d’euros prévu par le collectif relatif à la réforme de la fiscalité du patrimoine, et des différents scénarios de réforme du financement de l’archéologie préventive ?

Mme Marie-Astrid Ravon. Le rendement de la RAP a progressé depuis sa création, puisqu’il est passé de 12,8 millions d’euros en 2004 à 70,7 millions en 2010. À l’origine, l’INRAP ne bénéficiait pas de dotations budgétaires, la redevance – dont le rendement avait été estimé à 80 millions d’euros – étant censée financer l’intégralité de la politique d’archéologie préventive. Le décalage entre son niveau effectif et celui des dépenses a mis l’établissement en difficulté financière : ses fonds propres négatifs atteignaient 21 millions d’euros fin 2010. Le traitement de ces difficultés n’a pas permis de déboucher sur un mode de financement stable et pérenne de l’archéologie préventive. Des subventions budgétaires – dont le montant a varié entre 10 et 30 millions d’euros selon les années – ont donc été versées. L’Agence France Trésor a par ailleurs consenti à l’INRAP en 2002 une avance de trésorerie de 23 millions d’euros, qui pèse encore sur les comptes de l’établissement aujourd’hui. Il faut également rappeler que la trésorerie de l’INRAP est commune avec celle du Fonds national pour l’archéologie préventive (FNAP), ce qui a assuré son fonctionnement pendant plusieurs années. Enfin, les réformes successives de la RAP – principalement des augmentations de taux – ont permis d’améliorer son rendement. Des efforts ont également été entrepris pour améliorer le taux de recouvrement de la taxe, qui est passé de 50 % en 2005 à près de 90 % aujourd’hui.

Les difficultés structurelles de financement de l’établissement appellent cependant une réflexion de fond. C’est donc dans une perspective de réforme qu’une mission d’inspection a été diligentée en 2010. Les conclusions qu’elle a rendues en octobre dernier suggèrent plusieurs scénarios de réforme.

Le premier – qui est une version a minima – consisterait à réduire les exonérations de RAP et à élargir son assiette, sans remettre son fonctionnement en question. Ce scénario aurait l’intérêt de renforcer la cohérence de la taxe et de maintenir le principe « aménageur-payeur », qui sous-tendait la logique d’affectation de la taxe à l’INRAP. Il présente cependant l’inconvénient de complexifier encore davantage la gestion de la taxe, déjà critiquée, et de n’offrir qu’un potentiel d’augmentation modeste, même si le rendement se situe entre 25 et 30 millions d’euros. À ce stade, ce scénario n’est pas totalement écarté.

Il faudra faire un choix entre l’adoption d’une taxe très spécifique, qui ménage le principe « aménageur-payeur » mais reste relativement concentrée, et un élargissement de l’assiette, qui rendrait l’affectation un peu moins pertinente mais qui assurerait à la taxe une efficacité et un rendement supérieurs. Le mieux serait de trouver un équilibre entre ces deux logiques.

Une autre solution proposée par la mission consisterait à remplacer la RAP par une nouvelle taxe sur les mutations de terrains à bâtir. Nous y sommes défavorables, d’abord en raison du risque d’enchérissement du foncier, et ensuite parce que cela conduirait à introduire une nouvelle part « État » dans un impôt local. Si l’on veut éviter des taxations en cascade, la détermination de son assiette serait en outre complexe. Enfin, son rendement serait volatil, puisqu’il dépendrait des variations sur le marché immobilier.

Un troisième scénario – à nos yeux la seule alternative au premier – vise quant à lui à mieux articuler la RAP avec la réforme de la taxe d’aménagement. Il s’agirait de supprimer la RAP « urbanisme » pour lui substituer une augmentation de la taxe d’aménagement, offrant une assiette plus large et permettant de simplifier les modalités de recouvrement. Il faudrait cependant attendre 2014 pour bénéficier d’un rendement en année pleine, ce qui obligerait à prévoir un régime transitoire.

Il est important de s’interroger sur les besoins de l’INRAP. Une augmentation des prélèvements obligatoires doit en effet s’accompagner d’une réflexion sur les marges de productivité existant au sein de l’établissement, sur la maîtrise des coûts et des délais des services rendus. Cette réflexion doit déboucher sur la signature d’un contrat de performance, contrepartie à la réforme du financement. Cela suppose d’élaborer un plan de redressement et d’assainissement de la situation financière de l’établissement.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Comment expliquer que la signature de ce contrat de performance exige un délai aussi long ?

Mme Marie-Astrid Ravon. Les discussions sur le contrat de performance de l’INRAP ont été engagées en 2007 avec la précédente équipe de direction – mais les tutelles n’ont pas réussi à se mettre d’accord avec l’établissement sur un diagnostic. Relancées l’année suivante, elles ont à nouveau été interrompues en raison des difficultés sociales qu’a connues l’établissement fin 2008. L’ouvrage a été remis sur le métier en 2010, avec l’arrivée d’un nouveau directeur général. Il nous faut aboutir courant 2011, la démarche allant de pair, comme je l’ai dit, avec une réflexion sur la réforme du financement de l’établissement.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Permettez-moi de poser une question d’ordre général. Le ministère de la Culture et le CNC affirment que le recouvrement des taxes a progressé depuis qu’il est assuré par le CNC, alors même que celui-ci mobilise moins de personnel pour cette tâche. Avez-vous une doctrine sur les modalités de recouvrement par les établissements, certains recouvrant eux-mêmes leurs taxes, comme le CNC, tandis que d’autres passent par la direction générale des Finances publiques (DGFiP) ?

Mme Marie-Astrid Ravon. Nous n’avons pas de doctrine précise sur ce sujet, que nous traitons au cas par cas. Nous choisissons avec la DGFiP, au moment de la mise en place de la taxe, le circuit qui semble le plus pertinent. Je ne dispose pas d’éléments factuels me permettant de vous en dire plus.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Nous aimerions maintenant vous interroger sur le CNV, qui est lui aussi confronté à plusieurs défis. Il y a d’abord des évolutions de marché : l’intégration d’opérateurs privés par les grands groupes a un impact sur l’offre, mais aussi sur l’évolution des produits pouvant être taxés. Par ailleurs, la transposition d’une directive communautaire relative à l’exercice de la profession d’entrepreneur de spectacles va considérablement modifier le dispositif existant, et sans doute le produit des taxes affectées au CNV.

Au-delà de ces évolutions, comment envisagez-vous l’avenir du secteur ? Doit-on redouter que les grands groupes ne déportent les taxes dès l’entrée en vigueur de cette directive, occasionnant une perte de ressources importante pour le CNV ? Comment anticiper cette évolution, qui paraît inéluctable ?

Mme Marie-Astrid Ravon. Le produit de la taxe affectée au CNV est passé de 15,1 millions d’euros en 2006 à 24 millions aujourd’hui, soit une progression de près de 60 % en quatre ans. Les mutations de fond du marché de la musique – notamment le déclin du chiffre d’affaires de la musique enregistrée – n’ont pas frappé de plein fouet le secteur du spectacle. À court terme, il n’y a donc pas de risque d’effondrement du marché.

Rappelons par ailleurs que le fonds de roulement du CNV s’élève à 8,9 millions d’euros, montant bien supérieur au niveau prudentiel communément admis. Il peut donc constituer une réserve pour aléas en cas de retournement conjoncturel.

Si l’on devait réfléchir à une nouvelle répartition des aides au sein du secteur, celle-ci serait au demeurant facile à mettre en œuvre, puisqu’elle ne dépend que du règlement intérieur du CNV.

Je laisse M. Palacin vous répondre sur la directive.

M. John Palacin. Il s’agit là d’une question de technique fiscale. Par le passé, les producteurs étrangers souhaitant donner un spectacle en France devaient désigner un producteur français qui était redevable de la taxe – autrement dit un représentant fiscal. Des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne l’interdisent désormais aux États lorsqu’il existe un accord d’assistance mutuelle. La question que vous posez nous renvoie donc à notre capacité à faire jouer ces mécanismes – et cela ne concerne pas que le CNV. Sachez que le ministère y est particulièrement attentif.

J’observe par ailleurs que le déclin de l’achat de disques au profit du téléchargement et le déport de la valeur ajoutée entre plusieurs acteurs pourrait entraîner un retour vers le spectacle, la musique gratuite conduisant à une hausse de la fréquentation des concerts.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Nous avons reçu tout à l’heure le président et la directrice générale du CNL. Nous avons évoqué avec eux le basculement dans un nouveau monde avec la révolution numérique, dont les conséquences pour le livre ne sont pas encore entièrement appréhendées. Les taxes affectées au CNL sont-elles adaptées à cette nouvelle donne économique et technologique ? Je pense principalement à la taxe sur la vente des appareils de reprographie et d’impression, dont l’assiette pourrait être élargie à la vente de consommables.

Mme Marie-Astrid Ravon. Les menaces qui pesaient sur le secteur de l’édition et du livre en 1976 – date à laquelle a été instaurée la taxe sur la vente des appareils de reprographie et d’impression – n’étaient pas de même nature que celles que nous connaissons aujourd’hui. Cette taxe obéissait à l’origine à une logique « pollueur-payeur », qui s’est estompée au fil des évolutions économiques et technologiques. Elle a en outre fait l’objet de réformes en raison de l’érosion de son rendement. À la suite d’un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles, son assiette a d’abord été élargie aux copieurs multifonctions au 1er janvier 2007. En 2009, la question s’est posée pour les consommables. Bercy n’était pas favorable à l’élargissement de la taxe aux consommables. Nous sommes déjà l’un des seuls pays d’Europe à taxer la vente d’appareils de reprographie et d’impression. La délocalisation des flux à laquelle conduirait cet élargissement – il est aujourd’hui très facile d’acheter des cartouches en ligne – aurait un impact économique significatif, qui nous paraît démesuré au regard du rendement supplémentaire espéré. Cette piste n’a donc pas été retenue : il a été décidé d’augmenter les taux sans modifier l’assiette – ce qui ne permet pas tout à fait d’atteindre le rendement attendu.

Bref, le débat sur l’avenir des taxes affectées au CNL n’est pas épuisé. À ce stade, nous n’avons pas de réforme « clés en main » à proposer. Le CNL dispose d’ailleurs de ressources qui lui permettent de fonctionner correctement.

M. John Palacin. Nous étions en effet opposés à un élargissement de l’assiette de la taxe aux consommables en raison du risque de déport vers les achats en ligne – on revient ici à la difficulté de territorialiser la recette fiscale à une époque où les échanges peuvent être dématérialisés et où la vente à distance occupe une place croissante.

Nous n’avons pas d’opinion particulière sur le type de taxe qui pourrait être affectée au CNL. On peut opposer le cas du CNC, qui bénéficie du dynamisme de la recette qui lui est affectée, et celui du CNL, qui souhaite bénéficier de nouvelles ressources propres. Mais, dès lors qu’on a fait le choix de l’autonomie pour ces opérateurs, il n’est pas possible d’avoir des « vases communicants ». Il faut donc passer par la loi. La réflexion pourrait s’orienter sur la piste de la publicité en ligne, qui bénéficie de la nouvelle économie et peut supporter une taxation qui permettrait de financer les activités culturelles.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le fonds de roulement du Centre des monuments nationaux (CMN) s’élève à plusieurs dizaines de millions d’euros. Certes, le CMN doit consentir de nombreux investissements très coûteux, notamment en faveur du Panthéon et de la Sainte-Chapelle, et les travaux de conservation de la centaine de monuments qu’il gère ont pris du retard. De nombreux établissements sont en outre déficitaires. Le fonds de roulement ne demeurera donc pas nécessairement à ce niveau. Néanmoins, nous aimerions connaître votre avis sur cette tendance financière – sans doute provisoire.

D’autre part, le CMN s’est vu affecter une partie du prélèvement sur les jeux en ligne dans la limite de 10 millions d’euros par an. Cela vous paraît-il justifié alors que, parallèlement, sa dotation budgétaire a été diminuée d’un montant quasiment identique – 9,5 millions d’euros – dans le cadre de la loi de finances pour 2011 ?

Mme Marie-Astrid Ravon. Je partage le constat de la Cour des comptes sur le niveau élevé du fonds de roulement du CMN, qui atteignait 93 millions d’euros fin 2010 – 46 millions après retraitement, c’est-à-dire après fléchage des opérations programmées. Ce niveau s’explique par le fait que l’équipe de maîtrise d’ouvrage du CMN, laquelle s’est vu transférer la maîtrise d’ouvrage des monuments, a été constituée trop tard pour pouvoir engager réellement les opérations. L’année 2011 sera en effet la première année de fonctionnement de cette équipe, et il est difficile de préjuger de sa capacité à mettre en œuvre tous les projets d’investissement programmés.

Nous entendons être vigilants en cette période de contrainte budgétaire : dans le cadre de l’élaboration du budget de 2012, le CMN devra nous démontrer ses capacités et s’interroger sur sa priorité – la réfection du Panthéon ou d’autres projets.

Quant à l’affectation d’une quote-part du prélèvement sur les jeux en ligne, elle ne s’inscrit pas dans la grille d’analyse que je vous ai présentée. Selon nous, les prélèvements sur les jeux doivent revenir au budget de l’État, et ce type d’affectation rester une exception. Il n’en existe d’ailleurs qu’une autre, au Centre national pour le développement du sport (CNDS), pour financer les grands stades et l’Euro 2016. Il n’est guère dans la tradition française de financer les « bonnes causes » par des prélèvements sur les jeux : cela relève plutôt de la philosophie anglo-saxonne, très éloignée de la nôtre puisque, dans les pays où elle a cours, le financement des politiques culturelles fait plus appel au secteur privé qu’au financement public. Nous n’encouragerons donc pas la multiplication de ce type d’affectations.

Pour éviter que le fonds de roulement ne continue d’augmenter, nous avons réduit le montant de la subvention de l’État à due concurrence de la taxe affectée au CMN. Ces crédits participent cependant de l’objectif du Président de la République de mobiliser des moyens importants en faveur de la restauration et de l’entretien des monuments historiques. C’est dans ce cadre général que doit s’inscrire notre réflexion.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Mesdames, monsieur, je vous remercie pour cette très riche audition.