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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur

Mercredi 1er juin 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 40

Présidence de M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur

– Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Tassel, secrétaire général du syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP-FSU), accompagné de M. Pierre Duharcourt, membre du bureau national et M. Marc Champesme, secrétaire national, sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous poursuivons nos travaux relatifs aux financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Je vous rappelle que nous avons entendu les directeurs concernés au ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur ainsi que M. René Ricol, commissaire général à l’investissement.

Nous poursuivons en accueillant cet après-midi M. Stéphane Tassel, secrétaire général du syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP), M. Pierre Duharcourt, membre du bureau national et M. Marc Champesme, secrétaire national.

Vous savez que l’organisation de la MEC est paritaire et que je partage avec Alain Claeys et Pierre Lasbordes la responsabilité du rapport. Mais Alain Claeys, comme le Président Olivier Carré, m’ont demandé de vous présenter leurs excuses : ils ne peuvent être présents avec nous. La commission des Finances poursuit actuellement l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2011. Quant à Pierre Lasbordes, il est retenu du fait du décalage d’une réunion et espère nous rejoindre.

Selon l’usage de la MEC, nous serons accompagnés par la Cour des comptes en la personne de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.

Monsieur le secrétaire général, comme vous le savez, la commission des Finances partage avec la Cour des comptes la double préoccupation d’une allocation optimale des moyens issus du grand emprunt et d’un suivi exhaustif et détaillé des investissements d’avenir.

Je vous propose de commencer cette audition par un bref propos introductif de quelques minutes avant de passer aux questions préparées en concertation avec mes collègues

M. Stéphane Tassel, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement supérieur. Nous nous trouvons depuis quatre ans dans une période très particulière avec la mise en œuvre de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), d’une part, et celle du grand emprunt, d’autre part.

Je vois néanmoins trois axes sur lesquels nous pouvons commencer à émettre des commentaires.

Premièrement, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche affiche des budgets qui laissent à penser que l’Enseignement supérieur et la recherche crouleraient sous les liquidités, alors que l’on voit quotidiennement nos conditions de travail se dégrader. Dans ce contexte d’enchaînement des actions – plan Licence, plan Campus et plan d’Investissements d’avenir – on voit se créer des pôles qui attirent et concentrent la quasi-totalité des ressources nouvelles au détriment des autres établissements. Cela pose les questions portant sur des déserts scientifiques qui vont se créer et sur la nécessité d’un aménagement équilibré du territoire, oublié des débats.

Deuxième remarque, ce sont des budgets trompeurs. Je vais vous remettre deux documents qui montrent la répartition des financements de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous ne disposons pas de montants mais uniquement de variations par rapport à une année de référence qui est 2007, « année zéro » de la loi LRU. Au fil des années, entre 2010 et 2011 la valeur de référence chute de 5 % environ, ce qui mécaniquement permet d’afficher des augmentations qui n’en sont pas en vérité. Cela pose la question des montants de crédits effectivement versés. Je citerai à titre d’exemple les crédits versés au titre des Equipex, soit 260 millions d'euros de dotation, qui ont été concentrées sur quelques lieux et ont été déduits des moyens de l’enseignement supérieur et de la recherche dès 2010 et en 2011, parallèlement à la comptabilisation des intérêts du grand emprunt.

Mon dernier point concerne le gâchis des deniers publics. Les premières réponses aux appels d’offres n’ont fait l’objet d’aucune décision dans les instances des établissements. Le montage des dossiers d’appels d’offres a conduit à rémunérer des cabinets de conseil : ce sont quelques dizaines de millions d’euros qui ont été gâchés et détournés des missions du service public.

Voilà donc les trois points sur lesquels je veux insister : l’aménagement du territoire, les mensonges budgétaires et le gâchis des crédits publics.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Donc, vous dites que c’est moins bien qu’avant.

M. Stéphane Tassel. Exactement.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. De plus, vous portez des accusations extrêmement lourdes quant à la sincérité budgétaire. La Cour des comptes se devra d’approfondir ce point.

M. Stéphane Tassel. Nous avons effectivement écrit aux parlementaires pour qu’ils étudient la réalité des dotations budgétaires aux établissements.

M. Pierre Duharcourt, membre du bureau national du SNESUP. Il est bon en effet que l’on se pose la question de la définition des financements extrabudgétaires, qui sont, comme le dit la Cour des comptes, un dispositif dérogatoire porteur de risques. Il y aurait deux genres de dotations, ce que vote et contrôle le Parlement, et le reste qui peut être engagé à la discrétion du Gouvernement. Au cours de son audition devant la MEC le 4 mai dernier, M. Patrick Hetzel a visiblement été embarrassé pour répondre aux questions à ce sujet.

Plusieurs observations sur ce point. Ces financements créent un régime à deux vitesses. L’exercice est de repérer l’excellence, qui va recevoir les dotations extrabudgétaires, parmi les autres projets de recherche qui n’y figureront pas et seront donc considérés comme mauvais. La philosophie du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche est donc d’établir une hiérarchie. C’est à mon sens une conception archaïque de la recherche. Prenons une métaphore sportive. Certains sports sélectionnent des athlètes très tôt sur des critères subjectifs, mais ce ne sont pas ceux qui obtiennent de meilleurs résultats, au contraire de sports comme la natation française qui laisse prospérer un large vivier duquel surgit toujours l’excellence.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il s’agit d’un choix politique, ce n’est pas anormal qu’un Gouvernement en fasse.

M. Stéphane Tassel. C’est surtout une conception philosophique de l’université qui mérité d’être interrogée et peut être remise en question.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous semblez condamner a priori les dispositifs qui ont été mis en place, mais croyez-vous que le recul est suffisant pour porter un jugement ? La mission souhaite pouvoir faire un point de contrôle intermédiaire.

M. Pierre Duharcourt. Nous souhaitons avant tout être écoutés en tant qu’acteurs de la communauté scientifique.

J’ai en mémoire le rôle joué de longue date, au sein du CNRS, par le comité national de la recherche scientifique, chargé d'évaluer, d'effectuer ou de faire effectuer toutes recherches présentant un intérêt pour l'avancement de la science ainsi que pour le progrès économique, social et culturel du pays. D’où mon interrogation : qui décide dans la logique de la LRU ? Cette question intéressante avait été évoquée avec M. Alain Claeys et elle renvoie à l’idée que l’on se fait de l’autonomie des universités. Tout est en réalité piloté d’en haut alors que l’on s’ingénie à donner l’impression que ce sont les acteurs de terrain qui décident.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous portez à nouveau un jugement de valeur ! Tous, nous constatons le retard accumulé par la recherche française ; pour y remédier, il faut faire des choix. Cela n’exclut pas une évaluation – bien au contraire – mais cela n’aurait aucun sens de critiquer ces choix par avance.

M. Pierre Duharcourt. Sur quelle base appréciez-vous ce retard supposé ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je fais notamment référence à la part du produit intérieur brut consacrée à la recherche scientifique. L’articulation entre la recherche et l’innovation paraît perfectible elle aussi et la recherche française me semble éprouver des difficultés à déboucher sur des projets concrets.

À nouveau, je vous rappelle que l’objet central de la mission d’évaluation et de contrôle est de faire en sorte, sur le plan budgétaire et comptable, que les dotations votées par le Parlement soient bien engagées.

M. Pierre Duharcourt. Il me semble que vous mélangez deux éléments dans votre raisonnement : les dépenses consacrées à la recherche et les retombées de celle-ci.

Incontestablement, notre pays affiche un retard sur les dépenses consacrées à la recherche et la responsabilité en incombe aux entreprises. C’est pourquoi, d’ailleurs, le crédit d’impôt recherche (CIR) a été inventé. Le CIR n’a cependant pas suffi à inverser la tendance car il a suscité un effet d’aubaine important. Du point de vue des retombées de la recherche, en revanche, les résultats doivent prendre en compte d’autres critères que ceux que vous évoquiez : les publications de chercheurs français, ou encore les prix et récompenses obtenus.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous n’ignorez pas que les indicateurs de publication démontrent que l’influence de la recherche française est plutôt déclinante. Ne relançons pas un nouveau débat politique ! Ce n’est pas l’objet de cette mission. Pouvez-vous, M. Tassel, nous donner précisément votre point de vue sur le déroulement des appels à projets ?

M. Stéphane Tassel. Je suis, comme vous, soucieux de précision mais vous ne pouvez pas nous retirer notre capacité d’appréciation politique des réformes en cours.

En ce qui concerne le plan Campus, nous observons que les sommes allouées n’arrivent pas jusqu’aux équipes de recherche. S’agissant maintenant des appels à projets, sur lesquels vous m’interrogez, je tiens à souligner que les enseignants du supérieur ont travaillé dans des délais très courts pour les préparer ; pour ce faire, ils ont été obligés de mettre entre parenthèses leurs travaux de recherche, leur engagement pédagogique ou de réduire l’accompagnement des étudiants. Nous ne pouvons pas accepter la mise entre parenthèses du droit à la recherche !

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous comprenez tout de même que l’autorité qui paie puisse définir des priorités…

M. Stéphane Tassel. Nous ne remettons pas en question l’existence de priorités, mais qui les établit ? Le Parlement a-t-il seulement débattu des priorités de la recherche française ? Je rappelle le rôle joué par le discours de lancement de la stratégie nationale de recherche et d’innovation – SNRI – du Président de la République au fondement des appels à projets pour le Grand emprunt qui a débouché sur des réponses aux projets confiées à des cabinets de conseil privés et dans lesquelles le contenu scientifique était totalement absent.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Est-ce que vous parlez du plan Campus ou du plan d’Investissements d’avenir ?

M. Stéphane Tassel. Je parle du second.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Cette spécialisation des tâches dans la mise au point des appels à projet n’est pas choquante…

M. Stéphane Tassel. Elle suscite néanmoins de l’incompréhension parmi la communauté scientifique : au sein d’une même unité, certaines équipes reçoivent le label d’excellence alors que d’autres sont mises de côté. Marc Champesme pourrait vous en parler puisque, dans son propre laboratoire de recherche en informatique, il est dans cette situation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous faites grief au Gouvernement et au Parlement qui le soutient de mettre du désordre en instillant de la compétition ; c’est pourtant inévitable.

M. Stéphane Tassel. Prenons un autre exemple. Les universités de Grenoble III et Lyon II se retrouvent en concurrence afin d’obtenir des crédits au titre des Initiatives d’excellence ; cette situation aboutit à distendre les relations pourtant anciennes qui s’étaient tissées entre les deux établissements, en particulier dans le champ des sciences humaines.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La prise en compte d’objectifs d’aménagement du territoire est sans doute une faiblesse dans l’approche retenue pour les pôles de compétitivité.

M. Marc Champesme. Il faut tout de même tenir compte de cette question de l’aménagement du territoire. La loi LRU pose pour principe une programmation et une prévision sur l’ensemble du territoire, avec une répartition équilibrée de l’offre de formation. On ne retrouve pas cette préoccupation dans le processus actuel des appels à projet, qui risquent de conduire à une restructuration profonde du réseau actuel de la recherche : selon la sélection des projets déjà opérée, le Nord et l’Ouest de la France sont un désert. Le processus traduit donc une logique mortifère introduisant des déséquilibres graves.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que pensez-vous du fait que le plateau de Saclay n’ait pas été retenu dans la sélection des cent laboratoires d’excellence ?

M. Pierre Duharcourt. Cela ne me paraît pas le principal scandale. On peut par exemple regretter que l’Université Paris V n’ait pas été retenue dans les initiatives d’excellence. D’après l’explication qui en a été donnée, l’université candidate n’a pas fait un tri suffisamment sélectif des projets, sa gouvernance n’a pas été jugée « conforme » car elle a voulu que toutes ses composantes soient représentées, enfin la nature scientifique des projets n’a visiblement pas été suffisamment prise en considération.

Il existe aujourd’hui de très bonnes coopérations au sein des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES ; elles se manifestent par des échanges, des séminaires en commun, des travaux collectifs. La logique des initiatives d’excellence, les « IDEX » est autre ; en outre elle n’établit pas de lien entre recherche et formation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce lien n’est-il pas plutôt le fait des pôles de compétitivité, par lesquels les collectivités ont voulu constituer des ensembles de formation et de recherche visibles ? Au risque d’ailleurs de voir le saupoudrage des moyens mettre en danger la qualité de la formation et de la recherche dans les pôles qui s’avèrent moins justifiés.

M. Stéphane Tassel. L’inégalité est déjà très visible : on peut constater, par exemple, que l’université de Pau, qui conduit une recherche importante sur le bois, ne recevra à travers les appels à projet que quelques dizaines de milliers d’euros, alors que le PRES de Bordeaux recevra un soutien de dizaines de millions d’euros. Dans une telle situation, l’avenir de l’université de Pau, comme celle d’Artois ou d’autres encore, suscite l’inquiétude. Il serait intéressant d’effectuer une cartographie des évolutions des thématiques de recherche au cours des dernières années : on constaterait les conséquences d’un certain arbitraire dans les choix et l’affectation des moyens.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. J’aimerais que nous revenions à la manière de mettre en œuvre et d’évaluer les Investissements d’avenir pour une allocation optimale et efficace de ces crédits très importants. Le travail de la MEC n’a pas vocation à se limiter à des échanges sur les stratégies politiques du Gouvernement.

M. Stéphane Tassel. Je tenais cependant à souligner que 125 millions d’euros ont été supprimés au budget de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur en 2010, en lien avec les Investissements d’avenir. C’est la réalité tangible du Grand emprunt.

M. Pierre Duharcourt. Les projets d’initiatives d’excellence sont vides de contenu scientifique. Je suis incapable, même dans mon domaine de l’économie et de la gestion, de déceler l’intérêt des recherches mentionnées dans les projets sélectionnés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous êtes donc critiques sur le contenu des projets : la période laissée aux chercheurs a-t-elle été insuffisante ? La méthode de sélection des projets est-elle contestable selon vous ?

M. Pierre Duharcourt. Certains projets sont bons. Nous contestons le caractère trop sélectif de la procédure qui conduit à rejeter d’autres projets qui sont de qualité.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous n’échapperons pas à la nécessité d’opérer des choix en fonction de priorités. Lorsque l’Allemagne annonce l’arrêt du recours au nucléaire, cela suppose de renforcer de manière prioritaire la recherche sur les autres énergies.

M. Stéphane Tassel. La politique des Investissements d’avenir, après les réformes conduites ces dernières années, a produit un empilement illisible des structures et a généré une bureaucratie exponentielle pour les enseignants chercheurs, leur laissant de moins en moins de temps pour ce qui devrait être l’essentiel de leur tâche d’enseignement et de recherche.

Il est vrai que la procédure de sélection des projets laisse à désirer : il est très difficile de connaître la composition des comités d’experts (en général elle n’est connue qu’après la décision). La participation de l’ancien directeur de cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche ainsi que d’un conseiller technique du cabinet, à un jury de sélection, n’est pas satisfaisante. Le pouvoir donné à ces comités d’experts est excessif, les reculs de la démocratie sont partout : décemment est-il acceptable que l’avenir de la communauté de chercheurs de Nancy et Metz soit arrêté par un jury de 28 personnes ? – recomposition en lieu avec les IDEX. Il n’est pas étonnant que l’avis des organisations représentées au CNESER ait été défavorable sur les décisions prises.

M. Marc Champesme. L’empilement des labels d’excellence, des équipements d’excellence et autres par des choix autoritaires est contraire à l’esprit de la coopération scientifique et à la cohérence du développement scientifique. De plus elle perturbe les chercheurs.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelles sont vos propositions sur le suivi de ces crédits et vos remarques sur leur attribution ?

M. Stéphane Tassel. Nous n’avons pas eu communication de la répartition des budgets ni des clefs de répartition des crédits par établissement, bien que nous ayons réclamé ces informations.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Votre demande de précisions concerne les outils de programmation et le suivi de ces outils.

M. Stéphane Tassel. Cela concerne les crédits versés au titre du plan Campus, des Investissements d’avenir ou du plan Réussir en licence, car les dotations devraient être clairement identifiables par établissement et par dispositif ; or seules les augmentations par année nous ont été communiquées. Les financements sont concentrés sur certains sites et laissent subsister un désert scientifique ailleurs, situation inquiétante pour les établissements non sélectionnés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Dans un univers de compétition mondiale, il faut bien faire des choix pour les affectations de crédits. Certains enjeux de la recherche apparaissent plus stratégiques que d’autres. Dans ma région, nous nous interrogeons sur le type de pôle d’excellence que nous pourrions initier alors que nous n’avons pas de campus.

M. Stéphane Tassel. Le processus d’affectation de crédits creuse les inégalités entre les établissements dits d’excellence et les autres, et le processus d’autonomie a aggravé les distorsions entre les établissements. C’est sans parler des écarts de coûts d’encadrement entre les universités et les grandes écoles, qui sont un sujet ancien.

Nous réclamons une lisibilité de l’attribution des crédits par établissement pour le plan Campus, les équipements d’excellence ainsi qu’une amélioration de la méthode d’évaluation des projets. Les structures se superposent, les critères sont opaques et échappent au débat parlementaire. Les choix des équipements privilégiés sont politiques et subjectifs.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous considérez donc que les critères de sélection des experts sont insuffisamment transparents. Auriez-vous voulu être choisi parmi les experts ? Estimez vous qu’il y a eu du favoritisme ?

M. Pierre Duharcourt. J’aurais accepté d’être parmi les experts et l’ai déjà été dans d’autres cadres. Cependant, leur avis n’est pas toujours suivi par les décideurs. Nous demandons davantage de pluralisme dans les comités d’expertise.

On ne peut parler de favoritisme direct, mais certains critères de sélection conduisent à accorder la préférence à telle ou telle école.

M. Stéphane Tassel. La communauté scientifique a été saisie en toute précipitation des appels à projets des Investissements d’avenir à la veille de Noël pour rendre des projets de candidatures avant le 7 janvier dans un esprit de précipitation néfaste. Des cabinets de conseil privés ont été mis à contribution pour préparer les dossiers d’appels d’offres. Les équipes des présidents d’université ont dû rédiger dans l’urgence les dossiers de projets.

M. Pierre Duharcourt. Les réformes touchant l’université se sont succédé tous les trois ans sans que le bilan n’en ait été dressé. Aujourd’hui, un nouveau système bouleverse ce milieu avec une procédure d’appel à projet incohérente, que nous pourrions dire de type « bidulex ».

En réalité, ces choix sont graves et irréversibles car ils emportent des conséquences sur vingt ans. Il faudra analyser l’évolution des thématiques de recherche et des formations au cours des dernières années : on constatera que certaines ont disparu, alors qu’elles faisaient réussir els étudiants.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Si l’on en juge par les montants annuels financés, il ne faut pas surestimer les conséquences financières du grand emprunt ; les décideurs doivent faire des choix dans un monde de compétition galopante. Vous estimez que la compétition suscitée par ces procédures peut être destructrice ?

M. Stéphane Tassel. Certes des priorités peuvent exister, mais la recomposition des formations et de la recherche a besoin de beaucoup de temps. Pour exemple les formations technologiques ont été délibérément effacées dans les premiers cycles universitaires.

M. Pierre Duharcourt. La logique du travail scientifique est celle d’un travail en réseau pour les chercheurs, qui n’ont pas besoin de fonctionner en campus, même si ce système est intéressant pour les étudiants. Aux États-Unis, la discrimination entre équipes et laboratoires est moindre. Toutes les équipes gardent leurs chances, contrairement à celles qui, en France, ne seront pas retenues pour les laboratoires d’excellence. La compétition à laquelle on assiste actuellement est certainement destructrice.

M. Marc Champesme. Cette procédure tend à faire le tri entre les équipes et à éliminer celles qui sont en dehors du périmètre de la sélection. L’avenir des équipes restées hors du périmètre d’excellence est inquiétant : les chercheurs doivent-ils abandonner leur unité pour en rejoindre une autre labellisée « excellence » ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je note donc qu’il conviendra d’améliorer les procédures de sélection de projets, d’éviter d’agir de manière trop précipitée, et qu’il sera souhaitable de disposer en fin d’année des outils de suivi évoqués par M. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et la formation professionnelle. Il conviendra aussi d’obtenir des documents de restitution simples et précis en ce qui concerne l’attribution des crédits au titre des différents plans mis en œuvre par le Gouvernement : tous les acteurs les réclament. Les conséquences des nouvelles procédures sur le tableau de la recherche ne peuvent encore être analysées : cela devra être fait après une période d’observation plus longue.

Messieurs, je vous remercie.