Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques de la session > Compte rendu analytique de la séance

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire

Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du lundi 30 juillet 2007

1ère séance
Séance de 15 heures
26ème séance de la session
Présidence de M. Jean-Marie Le Guen

Consulter le sommaire

La séance est ouverte à quinze heures.

CONTINUITÉ DU SERVICE PUBLIC

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi adopté par le Sénat, après déclaration d’urgence, sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité – Un jour de grève, des quais de gare ou des arrêts de bus surchargés, des usagers qui attendent, privés d’informations, un train ou un bus qui ne viendra peut-être jamais : voilà une situation que nous voulons et que nous pouvons éviter. Le projet de loi dont nous allons débattre vise donc à instituer, dans notre pays, un service minimum en cas de grève. Son objectif est triple : d’abord, éviter autant que possible le recours à la grève, par le dialogue ; ensuite, éviter la paralysie en cas de grève, par une meilleure organisation des entreprises ; enfin, éviter que les usagers soient privés de toute information.

Conformément au souhait du Premier ministre, Dominique Bussereau et moi-même avons choisi de recourir à une loi-cadre, pour exprimer notre ambition et pour préciser le plus possible les modalités du service minimum. Le projet est ainsi plus concret que ne le prévoyaient certains ; en effet, la politique doit renoncer aux généralités pour privilégier les aspects les plus pratiques. Nous n’envisageons pas de renvoyer le dossier, une fois la loi-cadre votée, aux acteurs locaux, qui seraient alors livrés à eux-mêmes : nous devons au contraire veiller à ce que le service minimum devienne une réalité avant le 1er janvier 2008, en suivant étape par étape l’application du texte et en permettant aux acteurs de faire du « sur mesure » au cours des cinq mois à venir.

Ce projet correspond à un engagement important contracté par le Président de la République au cours de sa campagne. De fait, 71 à 80 % des Français sont favorables à ce service minimum dans les transports. Ce n’est pas là une question de droite ou de gauche : c’est une question de service public. Sur ce sujet, le Gouvernement a souhaité œuvrer sans idéologie aucune (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Il ne s’agit en rien de prendre une quelconque revanche ou de solder de vieilles querelles : cela n’intéresse pas les Français et – soyons clair – cela ne m’intéresse pas davantage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Il ne s’agit pas non plus d’assurer la victoire d’un tel sur un tel. Notre seul but est d’améliorer la situation concrète dans les transports en cas de grève ou de perturbation prévisible.

Ce projet de loi ne vise nullement à remettre en cause le droit de grève, qui est garanti par la Constitution, mais il vise à atteindre un point d’équilibre permettant d’accorder la place qui leur revient à d’autres droits également constitutionnels et tout aussi légitimes : la continuité de l’accès au service public, la liberté d’aller et venir, la liberté du commerce et de l’industrie, enfin la liberté du travail. Le service minimum est en outre un instrument de justice sociale, car il concerne d’abord ceux qui ne disposent pas d’autres moyens que les transports en commun pour se rendre sur leur lieu de travail ou – s’agissant des enfants – au collège ou au lycée.

Le service minimum est un sujet récurrent du débat politique : ce ne sont pas moins de quinze propositions de loi qui y ont été consacrées au cours des vingt dernières années, et les travaux parlementaires furent également nombreux – je songe en particulier à ceux de M. Robert Lecou sur les différentes formes de service minimum en Europe et, bien entendu, à ceux de la commission spéciale, de son président, M. Hervé Mariton, et de son rapporteur, M. Jacques Kossowski, d’ailleurs auteur d’une proposition de loi sur le même sujet. Je salue également le rôle joué par la commission des affaires économiques sous la présidence de M. Patrick Ollier.

La réponse concrète et pragmatique que nous entendons apporter aux attentes des Français s’applique à l’ensemble du territoire – à la Lorraine comme à l’Aquitaine, à Marseille ou à Beauvais comme à la région parisienne : le service minimum ne concerne pas la seule Île-de-France, pas plus qu’il ne relève de la seule SNCF, mais doit être une réalité partout et pour tous – telles sont l’ambition et la logique auxquelles nous avons obéi.

Voilà aussi pourquoi le texte a trait aux transports terrestres de voyageurs, bien que certains aient souhaité en étendre immédiatement les dispositions à d’autres modes de transport. Aussi fait-il référence aux déplacements quotidiens de la population – vers leur lieu de travail ou leur établissement scolaire –, ce qui n’aurait guère de pertinence s’agissant des transports maritimes ou aériens. D’autre part, c’est avec les représentants des seuls transports terrestres que nous avons mené une étroite concertation – préalable indispensable, même si aucun sujet ne doit être tabou.

M. Alain Néri – Mais où est M. Bussereau ?

M. le Ministre – C’est également par pragmatisme que nous nous sommes appuyés sur les différentes expériences menées en France depuis une dizaine d’années : l’accord d’alarme sociale novateur conclu dès 1996 à la RATP, sous l’impulsion de son président, Christian Blanc, et qui a permis, grâce à une meilleure prévention des conflits et à une évolution du management, de réduire de plus de 90 % le nombre de jours de grève en dix ans, améliorant ainsi le service rendu aux usagers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), ou l’accord conclu dans le sillage à la SNCF en 2004. En outre, la même année, le rapport Mandelkern a précisé le cadre juridique dans lequel un service minimum pouvait être mis en œuvre ; nous en avons repris les principales propositions, ainsi que les solutions qu’il apportait au problème de l’exercice du droit de grève dans ce cadre ; s’y est ajouté le travail mené en 2006 par M. Dominique Perben en faveur d’une plus grande prévisibilité.

Forts de ces expériences, nous avons fondé le texte sur l’idée que le dialogue social au sein des entreprises de transport doit permettre d’éviter la grève dans la plupart des situations. Mais, dans le cas où la grève aurait lieu, le projet définit la façon dont le service de transport public doit s’organiser, afin de garantir aux usagers un service certes réduit, mais prévisible. Ces dispositions s’appliquent non seulement à la grève, mais aux perturbations exceptionnelles dues par exemple à des plans de travaux programmés.

Conformément à la méthode choisie, celle du dialogue et de la concertation, le Président de la République et le Premier ministre ont reçu dès le 25 mai 2007 les partenaires sociaux, que j’ai à mon tour rencontrés pendant plus de onze heures le 21 juin, puis les jours suivants. Nous avons poursuivi ce même dialogue avec les usagers, les entreprises, les élus locaux et les parlementaires. Ainsi en sommes-nous venus à définir trois grands objectifs, qui correspondent aux trois volets du texte.

Tout d'abord, la grève n'est pas une fatalité en cas de conflit : bien des questions peuvent être réglées par la négociation et le dialogue social.

M. Alain Vidalies – Dites-le au Medef !

M. le Ministre – Le premier volet du projet met donc l'accent sur la prévention des conflits grâce à la concertation avec les entreprises et les partenaires sociaux : il est en effet nécessaire d’installer une véritable culture du dialogue social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). À cette fin, nous nous sommes inspirés des expériences déjà engagées dans certaines entreprises où existent des accords d'alarme sociale. Certes, grâce à ces accords, le nombre de jours de grève a décru, ce dont nous pouvons nous réjouir ; mais, contrairement à ce que l’on entend dire, cela ne rend pas le service minimum moins nécessaire, bien au contraire. C'est pourquoi nous voulons commencer par donner à ces accords une base légale sur tout le territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Nous souhaitons aussi généraliser ce type d'accords de prévention des conflits dans tous les services publics de transport terrestre avant le 1er janvier 2008. L'enjeu n'est pas seulement juridique : il s'agit de faire en sorte que, comme dans beaucoup de pays, la négociation précède l'action, et non plus l'inverse.

M. Alain Vidalies – Le décret, est-ce encore la négociation ?

M. le Ministre – Vous le savez, une véritable négociation a besoin de temps ; au-delà des cinq jours de préavis, qui sont et demeurent le délai légal, nous avons besoin d’un délai supplémentaire, de huit jours au maximum, pour conduire la négociation afin d'éviter le recours à la grève. C'est du reste pour cette raison que les accords d'alarme sociale existants donnent davantage de temps à la négociation avant tout dépôt de préavis. Selon la même logique, le projet de loi dispose que chaque entreprise doit parvenir, avant le 1er janvier 2008, à un accord de méthode prévoyant une négociation préalable au dépôt de tout préavis de grève.

Mais des accords de méthode devront aussi intervenir au niveau des branches. Cette obligation résulte d'un amendement sénatorial que le Gouvernement a soutenu, car il permettra de faire bénéficier au plus vite les usagers de ces accords, et de suppléer le cas échéant à l'échec ou à la carence de certaines négociations d'entreprise.

Pour donner sens au principe du dialogue social, nous voulons donc donner aux partenaires sociaux le temps de négocier mais, en retour, nous posons clairement une obligation de résultat : si toutes les entreprises n'aboutissent pas à un accord au 1er janvier 2008, c'est l'État qui prendra ses responsabilités, sous la forme d'un décret en Conseil d'État qui réglera la situation des entreprises dans lesquelles la négociation collective aura échoué (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je refuse de me trouver dans la position de dire à nos concitoyens que nous avons essayé mais que, nos efforts n'ayant pas abouti, ce sera tant pis pour eux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Les Français ne nous ont pas élus pour que nous tentions, mais bien pour que nous réussissions, c'est-à-dire pour que nous améliorions concrètement leur quotidien. Ce n'est pas une obligation de moyens que nous visons à satisfaire, mais bel et bien une obligation de résultat ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Une fois que l'ensemble des entreprises aura signé un accord de méthode, un grand nombre de conflits pourra – j’en suis convaincu – être évité, mais peut-être pas tous ; c'est pourquoi un second volet dessine les grandes lignes de ce que devra être l'organisation du service en cas de grève ou de forte perturbation. Là non plus, le Gouvernement ne veut pas se borner à enregistrer l’échec des partenaires sociaux et le projet fixe donc un objectif à atteindre, sans toutefois donner une définition nationale et uniforme du service minimum. Nous devons faire du « sur mesure »…

M. Alain Vidalies – Alors, à quoi bon une loi ?

M. le Ministre – Les besoins en Île-de-France, en Picardie, ou dans les zones rurales diffèrent fortement... Leur définition est donc renvoyée, dans le respect des principes-cadres établis par la loi, aux autorités organisatrices des transports, qui sont en mesure d’apprécier au mieux les spécificités locales.

Il s’agit bien sûr des collectivités locales, qui ont la compétence en matière de transports terrestres de voyageurs.

M. François Brottes – Une fois encore, vous vous défaussez sur elles !

M. le Ministre – Elles fixeront les priorités de desserte en prenant en considération les besoins quotidiens de la population.

M. François Brottes – Vous leur repassez la patate chaude !

M. le Ministre – Parmi les priorités retenues, la collectivité définira les besoins essentiels de la population qui doivent être assurés en toutes circonstances, y compris en cas de grève. Je pense en particulier aux lignes qui desservent les hôpitaux, à celles qui permettent d’aller au travail, aux transports scolaires, ou bien aux liaisons entre les principaux centres urbains, qui doivent être assurées au moins chaque matin et chaque soir, comme l’a déjà obtenu le conseil général d’Alsace dans le cadre de la convention TER (« Ah ! l’Alsace !» sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Yves Bur – Ça ne marche pas aussi bien qu’on veut le faire croire !

M. le Ministre – Mais on pourrait citer d’autres régions... Les autorités organisatrices définiront un service sur mesure conformément aux plans de transport adoptés par chaque entreprise dans la concertation et la transparence, en association avec les représentants des usagers.

Il faudra dès lors que les entreprises sachent exactement qui sera présent pendant la grève. Les salariés devront donc informer leur entreprise, 48 heures à l’avance, de leur intention de participer ou non au mouvement prévu. Sans la moindre portée idéologique (« Ah ? » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), cette déclaration d’intention est un des piliers de ce projet de loi. Elle est nécessaire pour que l’on puisse réaffecter, dans le cadre d’un accord collectif de prévisibilité et dans une logique de sécurité, les agents non-grévistes sur les lignes prioritaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Il s’agit de favoriser une meilleure organisation des entreprises sans remettre en cause le droit de grève. Il existe en effet des marges de progression dans certaines entreprises pour améliorer le service en cas de grève. Je préfère, par exemple, que des rames à double étage transportent les usagers un jour de grève au lieu de stationner dans une gare de transit... C’est très simple, et cela permet de transporter deux fois plus de voyageurs.

M. Alain Néri – Essayez donc de faire circuler ces rames à double étage sur les lignes de métro !

M. le Ministre – De nouvelles responsabilités pèseront donc sur la direction des entreprises. Cela étant, si l’on veut organiser le service et prévenir les usagers, il est clair qu’on a besoin de savoir, quarante-huit heures avant le début de la grève, qui viendra travailler.

Dans ces conditions, certains s’interrogent : sera-t-il toujours possible d’arrêter le travail ? La réponse est oui, le droit de grève sera préservé, comme le reconnaissait, dans son rapport, la commission Mandelkern.

La déclaration préalable permettra de disposer d’informations précises et opérationnelles. Dans l’intérêt des usagers, il faut en effet faire preuve d’exigence : il ne s’agit pas de savoir s’il y aura un train sur deux en circulation, ou bien un sur trois, mais si le train de 7 h 21 partira effectivement. Ou si les cars de ramassage scolaires, passés le matin, ramèneront les enfants le soir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous ne voulons plus que les Français attendent sur le quai un train qui ne viendra pas. Cette exigence sera enfin satisfaite.

J’ajoute que la déclaration préalable ne vaut que pour les salariés dont la présence détermine directement l’offre de service concernée. Nous veillerons à sanctionner toute entreprise qui détournerait ces informations à d’autres fins que l’organisation du service, ou qui chercherait à faire pression sur les salariés (« C’est bien beau ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

C’est dans le même esprit d’équilibre que le Gouvernement a accepté de suivre les sénateurs pour instituer un médiateur. Il faut, jusqu’au bout, tout mettre en œuvre pour prévenir le déclenchement d’une grève. Le Gouvernement a été ouvert à la concertation avec les partenaires sociaux, et je le serai tout autant, en compagnie de Roger Karoutchi, au dialogue avec les parlementaires. C’est pourquoi j’accepterai nombre de vos amendements.

Le médiateur pourra être désigné dès le début de la grève, d’un commun accord entre les syndicats et la direction. Il veillera à ce que toutes les difficultés résultant du conflit social soient résolues dans un esprit d’apaisement et de clarté. Dans ce but, il disposera de larges pouvoirs à l’égard des syndicats et de l’entreprise, et pourra, lui aussi, demander au bout de huit jours de grève l’organisation d’une consultation sur la poursuite du mouvement. De portée indicative, cette consultation aura lieu à bulletins secrets (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous avons fixé un délai de huit jours afin de distinguer la grève, qui suscite nécessairement des perturbations, de la paralysie qui pénalise les usagers, mais aussi le service public lui-même. Grâce à la consultation à bulletins secrets, nous connaîtrons précisément l’état d’esprit des salariés.

Ce texte rappelle enfin le principe du non-paiement des jours de grève.

M. Alain Néri – Ce n’est pas une nouveauté !

M. le Ministre – S’il est déjà appliqué, pourquoi refuser de le rappeler ? Nous mettrons fin aux rumeurs et aux fausses informations qui circulent sur ce sujet. Si l’on fait grève, on ne travaille pas ; si on ne travaille pas, on n’est pas payé ; c’est aussi simple que cela !

M. André Gerin – Vous allez surtout culpabiliser les salariés !

M. le Ministre – Soucieux de clarifier la loi, le Gouvernement proposera un amendement tendant à revenir à la rédaction initiale du texte (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Le dernier volet de la loi, qui définit les droits des usagers en cas de grève, est tout aussi essentiel : les entreprises devront faire connaître, au moins vingt-quatre heures avant le début de la grève, quel service sera assuré. C’est une attente légitime des Français.

Certes, il ne faut pas se leurrer : il y aura des perturbations dès qu’il y aura grève, et le service sera réduit. Mais nos concitoyens ont le droit d’être pleinement informés. Les entreprises devront leur indiquer quels bus et quels trams circuleront en centre-ville, quels trains de banlieue rouleront et à quelle heure passera le bus de ramassage scolaire.

Tous les moyens d’information devront être utilisés : affichage dans les lieux publics, sites internet, serveurs vocaux, SMS ou courriers électroniques. Si l’information diffusée ne correspond pas à la réalité, il faudra rembourser les titres de transport, ou prolonger les abonnements des usagers concernés.

M. Alain Néri – Mais qui paiera ?

M. le Ministre – Cette responsabilité reviendra aux entreprises, et non aux autorités organisatrices des transports. Sinon, ce sont les contribuables qui rembourseraient les usagers, c’est-à-dire, en fin de compte, eux-mêmes !

Tous ces sujets sont essentiels pour les usagers, mais aussi pour les agents, qui assurent chaque jour la qualité de notre service public de transport. Je me réjouis d’ailleurs, avec Dominique Bussereau, que la SNCF lance un plan « qualité de service dans les trains de la vie quotidienne », notamment dans les TER, dont la fréquentation augmente, et qui doivent bénéficier d’une priorité, au même titre que les TGV. Je salue donc cette initiative axée sur la régularité, sur l’information et sur le confort des voyageurs. Dotée de 100 millions d’euros, elle devrait se traduire par la création de mille emplois.

Cette action démontre que tous les acteurs, chacun à leur niveau de compétence, peuvent concourir à la satisfaction des besoins multiples des usagers. N’oublions pas à ce sujet la nécessaire modernisation des voies et des rames, en faveur de laquelle Dominique Bussereau fait preuve d’un engagement total.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche – Où est-il donc ?

M. le Ministre – Notre société n’est pas une société bloquée. Nous pouvons avancer sur le sujet du service minimum, considéré par beaucoup comme un serpent de mer. Rien n’est plus tabou !

M. Richard Mallié – Sauf au parti socialiste !

M. le Ministre – Je souhaite que ce débat soit abordé sans polémique. Je viens devant vous dans un esprit d’ouverture, mais également fort d’une conviction : nous ne devons pas méconnaître les attentes de concitoyens sur la question du service minimum.

Il faut donc faire preuve de volonté, en tenant les engagements pris pendant la campagne électorale, et de méthode, en organisant un dialogue afin de trouver les bonnes solutions au service d’un résultat : l’instauration d’un service minimum de qualité.

Ambitieux, ce texte est également équilibré et pragmatique : c’est une loi attendue par les Français, au service des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Kossowski, rapporteur de la commission spéciale – Annoncé par le Président de la République durant la campagne électorale, ce texte est avant tout pragmatique. Il s’agit de répondre aux attentes des Français. Il fallait commencer par là ! Selon les sondages, entre 70 et 80 % de nos concitoyens souhaitent l’organisation d’un service réduit mais prévisible en cas de grève. Nous devons tous entendre cette légitime préoccupation.

Je rappelle que ce texte a été amplement préparé et qu’il s’inspire des expérimentations menées depuis plusieurs années dans certaines entreprises de transport. Des résultats notables ont ainsi été enregistrés à la RATP depuis 1996, puis à la SNCF, à partir de 2004, grâce au dialogue social et à l’instauration de procédures pour la prévention des conflits ou la prévisibilité du service.

Plusieurs propositions de loi ont également été déposées au cours de la précédente législature. Plus de trois cents collègues, soit une majorité des députés, s’étaient ainsi associés à celle que j’avais déposée en 2002, tendant à instaurer un « service garanti » dans les transports en commun en cas de grève. N’oublions pas non plus la proposition de loi déposée par le président de la commission spéciale, Hervé Mariton, ni le rapport de Robert Lecou sur le service minimum en Europe, ni les réunions de travail organisées par le président Patrick Ollier.

Je rends également hommage à Christian Blanc dont l’expérience, à la tête d’Air France puis de la RATP, a utilement nourri le débat.

Je suis fier d’être rapporteur de ce projet : c’est l’aboutissement de mon engagement ancien en faveur du respect de la continuité du service public. Cela prouve qu’en politique, la ténacité peut venir à bout de tous les obstacles et de tous les renoncements (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Jacques Myard – Le renoncement est à gauche !

M. le Rapporteur – Après le débat à l’assemblée en 2003, la commission Mandelkern a travaillé en 2004 sur la continuité des services publics dans les transports. Nous savons ce que le projet lui doit. La question est désormais mûre, et l’expérimentation doit laisser place à l’action. Ce projet est un pari sur le renforcement du dialogue social dans les entreprises publiques de transport. Il définit le cadre dans lequel le service y sera organisé en cas de grève ou d’autre perturbation prévisible du trafic, mais laisse les partenaires décider des modalités adaptées aux réalités locales. Plutôt que de fixer des créneaux horaires à respecter, nous avons laissé les autorités organisatrices de transport définir les besoins prioritaires les jours de grève.

Le texte sert trois objectifs. Il s’agit d’abord de prévenir les conflits et d’établir, par le dialogue social, les procédures de négociation préalable nécessaires ; ensuite, en cas de grève ou de perturbation, d’organiser le service, en particulier grâce à un plan de transport propre à chaque entreprise ; enfin de consacrer un véritable droit à l'information des usagers en cas de grève. Le Sénat a complété le dispositif, en particulier en introduisant de nouvelles modalités de médiation en cas de grève.

Sans revenir sur le détail des dispositions, que le ministre a présentées avec talent, j’insisterai sur le travail de la commission spéciale, qui a permis l'adoption d’une trentaine d’amendements, dont un de l'opposition.

M. Alain Vidalies – Ah !

M. le Rapporteur – Ce faisant, elle a voulu parfaire le texte tout en reprenant à son compte cette grande ambition : apporter par le dialogue une réponse concrète aux attentes des Français.

Je souhaite d’abord remercier les membres de la commission spéciale, de la majorité comme de l'opposition, ainsi que les administrateurs et le personnel de notre Assemblée. La commission spéciale n'a en effet bénéficié que d'une semaine pour travailler. Elle n'en a pas moins procédé à l'audition de deux ministres, M. le ministre du travail et M. le secrétaire d'État aux transports,…

M. François Brottes – À notre demande !

M. le Rapporteur – …et à l'audition de vingt-quatre des principaux acteurs intervenant à un titre ou un autre dans ce secteur. Si le consensus n’a pu se faire, ces heures de travail en commun ont permis des avancées dans la compréhension du dispositif ; bref, un véritable travail de commission a eu lieu.

Méfions-nous des faux procès et des faux débats. Nous l'avons déjà beaucoup dit, c'est une démarche pragmatique qui inspire ce texte, à partir du constat qu’une majorité de Français, de droite comme de gauche, est en faveur d'un service réduit mais prévisible les jours de grève ! Aussi, qu’on ne se trompe pas de débat. Non, le droit de grève n'est absolument pas remis en cause par ce projet de loi !

M. François Brottes – Si ! Assumez-le !

M. le Rapporteur – Le droit de grève a une importance historique, symbolique et juridique. C'est une liberté fondamentale consacrée par le préambule de la Constitution. Il n'est pas question d'y porter atteinte mais plutôt de le concilier avec la continuité du service public, principe de même valeur, conformément aux jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État.

Un autre faux débat concerne la conflictualité. Elle est protéiforme, difficile à saisir, et il convient de prendre en compte des données quantitatives mais aussi qualitatives. S’il est avéré qu’elle est en baisse, en particulier dans les entreprises de transport, il faut s'en féliciter.

M. Roland Muzeau – C’est le cas !

M. le Rapporteur – En conclure que son extinction progressive garantira la continuité du service public n'est ni sérieux, ni raisonnable. Cela revient aussi à miser sur la fin de la grève – ce que personne ne souhaite !

Venons-en aux principales modifications apportées par la commission.

S’agissant du premier volet, à savoir l’institution, par le dialogue social, d'une procédure de négociation préalable au dépôt d'un préavis, la commission a veillé à parfaire la cohérence juridique du dispositif de prévention des conflits. Ainsi, dans un souci d’harmonisation, les dispositions relatives aux accords-cadres, aux accords de branche ainsi qu'au décret en Conseil d'État devront toutes comporter des garanties identiques pour la mise en œuvre de la négociation préalable. Dans cette même perspective, les procédures de prévention des conflits adoptées par la RATP et la SNCF devront être mises en conformité, par voie d'avenant, avec les dispositions de l'article 2, au plus tard le 1er janvier 2008. La Présidente Idrac et le Président Mongin l’ont expressément demandé et j’ai fait adopter un amendement en ce sens.

Il est en effet essentiel que cette procédure de prévention permette des discussions effectives et ne connaisse pas le même sort que la procédure de préavis, qui est en théorie une phase de négociation, mais en réalité un moment de silence avant l'orage, pour reprendre l'expression du rapport Mandelkern.

M. Alain Néri – Il faut appliquer la loi !

M. Pierre Lequiller – Il faut changer la loi.

M. le Rapporteur – Insistant sur la priorité à donner au dialogue social, la commission a prévu, afin de garantir la légitimité du décret intervenant pour définir les règles d'organisation et de déroulement de la négociation préalable en l'absence d'accords, une consultation préalable des organisations syndicales des secteurs concernés. Et elle a affirmé, en adoptant un amendement sur proposition d'un collègue socialiste, que ce décret n'interviendrait que dans le cas où il n’y aurait pas eu d’accord, étant bien entendu qu'un accord conclu ensuite primera toujours.

S’agissant du deuxième objectif, à savoir l'organisation du service en cas de grève ou de forte perturbation du trafic, la commission a bien perçu l'équilibre d'ensemble entre les différentes procédures, établies dans un but unique : l'information effective des usagers.

Sur la définition de dessertes prioritaires en cas de grève et de perturbations prévisibles, la commission spéciale a conservé l'architecture globale du projet, qui fait intervenir trois grands acteurs : les autorités organisatrices de transport, en charge de la définition de dessertes répondant aux besoins essentiels des populations, les entreprises de transport qui doivent, dans ce cadre, élaborer des plans de transport « adaptés » et des plans d'information des usagers, et les représentants de l'État. S’appuyant sur les réflexions du Sénat, qui a tenté de cerner la notion de « perturbations prévisibles », la commission a adopté des dispositions visant à préserver l'organisation des transports scolaires ainsi qu'à garantir l'accès au service public de l'enseignement les jours d'examen nationaux. Elle a également insisté sur la nécessaire consultation des usagers avant la définition des dessertes prioritaires et sur l'importance de donner une publicité adéquate aux plans alternatifs de transport et d'information des usagers.

Concernant la procédure de conclusion d'accords pour la prévisibilité du trafic, j'ai également veillé à ce que la priorité soit donnée au dialogue social. Tout accord collectif de prévisibilité conclu dans l'entreprise après le 1er janvier 2008 sera applicable en lieu et place du plan de prévisibilité défini par l'employeur. Dans ces accords, il faudra bien tenir compte de la diversité des situations, les impératifs de sécurité étant très variables d'une entreprise à l'autre.

Pour ce qui concerne la consultation des salariés, au bout de huit jours, sur la poursuite de la grève, la commission a précisé que, si elle peut également être demandée par les organisations syndicales et le médiateur, la responsabilité de la décider et de l'organiser est réservée à l'employeur, comme le prévoit le code du travail pour l'ensemble des consultations qui ont lieu dans l'entreprise. Il a paru en effet essentiel qu'une telle procédure, à laquelle 82 % des Français sont favorables, puisse être mise en œuvre, le cas échéant, sans ambiguïté.

L’organisation d'un service réduit mais prévisible comporte également des enjeux financiers. Conformément au vœu de nombreuses associations, la commission a adopté un amendement aux termes duquel le bilan détaillé annuel de l'exécution du plan de transport adapté et du plan d'information des usagers, transmis par l'entreprise à l'autorité organisatrice, dressera la liste des investissements nécessaires au cours de l'année à venir. Elle a prévu également que ce bilan sera rendu public.

S’agissant du troisième objectif du projet, à savoir le droit de l'usager à disposer d'une information précise et fiable sur le service assuré, qui constitue une véritable innovation, nous avons demandé que cette information soit gratuite et ne se limite pas aux services essentiels, mais devienne un élément clé de la culture des entreprises. Les opérateurs de transport devront prévenir les usagers au plus tard vingt-quatre heures avant le début d'une perturbation. Ils devront avertir sans délai les collectivités publiques responsables en cas de perturbation, pour leur permettre de répercuter les informations utiles aux usagers.

Il y aura remboursement aux usagers de leur titre de transport lorsque les opérateurs auront manqué aux obligations posées dans les plans de transport et d'information. Mais la commission a jugé que la responsabilité de ce remboursement ne pouvait peser sur les autorités organisatrices, et elle a décidé que ses modalités seraient définies dans les conventions conclues entre les collectivités publiques et les opérateurs de transport.

En conclusion, je souhaiterais aborder la question de l'extension du dispositif. Cette discussion doit avoir lieu dans un climat apaisé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Roland Muzeau – Ce n’est pas pour demain !

M. François Brottes – C’est pour la nuit du 15 août !

M. le Rapporteur – Ce projet apporte des réponses précises à des questions précises. Il est intitulé sans ambiguïté « projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs ». Le Sénat a abordé la question de l'extension à d'autres services publics, bien que de manière indirecte, dans le cadre d'un rapport sur la loi.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. le Rapporteur – Je crois que nous devons nous en tenir pour l'instant uniquement aux transports terrestres réguliers des voyageurs.

M. Alain Néri – Pour l’instant ? Ça promet !

M. le Rapporteur – C'est pourquoi, à ma demande, la commission a supprimé la disposition, introduite par le Sénat, selon laquelle le rapport d'évaluation remis par le Gouvernement au Parlement avant le 1er octobre 2008 examine l'opportunité d'étendre le dispositif du projet aux autres modes de transport public de voyageurs.

M. François Brottes – Le rapporteur paye de sa personne !

M. Jacques Myard – Le Sénat a raison !

M. le Rapporteur – Cela ne veut pas dire que la question des autres modes de transport ne se posera pas. Mais cela devra se faire à la faveur d’une démarche distincte de celle du présent projet. À titre d'exemple, on a rappelé au Sénat la nécessité pour les habitants de nos îles de disposer également dans certains cas de dessertes régulières et quotidiennes, qui sont alors de véritables missions de service public. Le Gouvernement a fait part de son souhait de voir s'engager des concertations, notamment sous l'égide de M. le Secrétaire d'État aux transports…

M. Alain Néri – Où est-il ?

M. le Rapporteur – … et des amendements de la majorité abordent cette question importante.

M. le Président – Je vous prie à nouveau de conclure.

M. le Rapporteur – Bien conscient des problèmes spécifiques rencontrés notamment par mes collègues de Corse, je vous demande, Monsieur le ministre, de bien vouloir nous expliquer très précisément la méthode de négociation et les engagements du Gouvernement en matière de continuité du service maritime. D'autre part...

M. le Président – Je vous demande vraiment de conclure, en vous appliquant à vous-même la rigueur que vous exigez du législateur. C’est le mandat que j’ai reçu de la Conférence des présidents.

M. le Rapporteur – J’en ai pour deux minutes…

M. le Président – Non ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur – Je souhaite que des amendements qui constituent des avancées importantes puissent être adoptés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale – Le projet dont nous débattons est attendu, nécessaire, utile, bien fait et, nous l’espérons, sera efficace.

Il est attendu par tous nos concitoyens…

M. Jacques Myard – Y compris à gauche !

M. le Président de la commission spéciale – …sans considération d’appartenance partisane, de lieu géographique ou de catégorie socio-professionnelle. S’il est un objectif massivement partagé, c’est bien le service minimum dans les transports, en particulier terrestres. Les enquêtes d’opinion montrent que c’est une attente ancienne. Un engagement a été pris à ce sujet pendant la campagne…

M. Julien Dray – Laquelle ?

M. le Président de la commission spéciale – Celle des élections législatives, après celle de l’élection présidentielle ; il n’est donc pas anormal que nous répondions à cette attente.

M. Guy Geoffroy – C’est même tout à fait normal !

M. le Président de la commission spéciale – Cette réponse passait nécessairement par la loi. En effet, en vertu de l’article 72 de la Constitution, c’est dans le cadre de la loi que s’exerce la libre administration des collectivités locales : la loi peut fixer quelques principes et quelques objectifs. Il s’agit ici de trouver un équilibre entre le droit de grève et le principe de continuité du service public, le premier s’exerçant, en vertu du Préambule de 1946, « dans le cadre des lois qui le réglementent » ; et, dans les débats qui ont enrichi la précédente législature, nous avons toujours souligné qu’il faudrait passer un jour par la loi.

C’est également un projet de loi utile, d’abord parce que son premier objectif est de favoriser une amélioration du dialogue social. En effet, si des progrès ont été accomplis ces dernières années sous l’impulsion des gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin, ils ne suffisent pas : à la SNCF, ce dialogue n’est pas toujours engagé avant les préavis de grève et, dans de nombreuses entreprises de transports terrestres, il reste énormément à faire. Ensuite, c’est un projet utile parce qu’il vise à améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens, en leur permettant d’aller plus facilement au travail, à l’école ou à l’hôpital ; c’est un sujet d’ordre pratique, qui n’est pas méprisable pour autant.

Bien sûr, l’amélioration de la continuité du service n’épuise pas le débat sur l’amélioration des services de transports.

M. Julien Dray – Il faut commencer par là !

M. le Président de la commission spéciale – Cela ne nous dispense pas de maintenir notre effort en matière d’investissement et d’entretien des infrastructures et des matériels (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). C’est un objectif poursuivi tant par l’État que par la plupart des collectivités locales, quelle que soit leur sensibilité. Il reste que, avec les meilleures infrastructures du monde, si les trains ne circulent pas, le service public demeure virtuel… Rappelons que dans plus d’un cas sur deux, les suppressions de train résultent de faits de grève (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Et puis, ce projet de loi est bien fait. Il cherche en effet à répondre à la demande concrète de nos concitoyens, à travers l’analyse des besoins essentiels, et en même temps à améliorer l’offre en demandant aux grévistes de faire part de leur décision quarante-huit heures à l’avance ; c’est le noyau dur du texte, l’élément essentiel pour optimiser les moyens disponibles.

Enfin, cette loi sera efficace, nous en aurons la démonstration. Je ne doute pas que les autorités organisatrices de transports s’attacheront à respecter la loi de la République.

Mme Annick Lepetit – Elles n’en veulent pas !

M. le Président de la commission spéciale – Elle sera efficace, aussi, tout simplement parce que la volonté politique est au rendez-vous et que nous avons une exigence de résultats.

Alors que nous approchons de la fin de cette session, ce texte me paraît être une bonne illustration de la philosophie de la réforme : un vrai sujet, un juste déplacement des règles, une volonté politique. Pour l’amélioration de la qualité du service public de transport terrestre, et plus largement lorsqu’il s’agira de l’ensemble des services publics de transport ainsi que d’autres réformes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), en procédant ainsi nous réussirons beaucoup de choses. Quelques semaines après l’installation de notre assemblée, ce n’est déjà pas si mal d’être capable de répondre à une demande aussi forte et ancienne des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Néri – Rappel au Règlement !

On nous explique depuis le début de cette séance que nous débattons d’un sujet très important, mais tant d’interrogations demeurent que la présence de M. le secrétaire d’État aux transports, M. Bussereau, serait pour le moins nécessaire. Si des problèmes de transports terrestres gênent sa venue, je vous demanderai, Monsieur le Président, de suspendre la séance afin de l’attendre !

M. le Président de la commission spéciale – M. Bussereau a été entendu par la commission spéciale, à la demande notamment des commissaires socialistes, et je crois savoir qu’il sera avec nous demain.

M. François Brottes – Rappel au Règlement, fondé sur l’article 58, alinéa 1.

Nous sommes très soucieux de la cohérence gouvernementale sur ce texte. Or M. Wauquiez, porte-parole, vient d’indiquer à la presse que dans 60 % des cas, le non-fonctionnement des trains était lié à des faits de grève. Or en commission, il n’a jamais été fait état d’un tel pourcentage – nous avons plutôt parlé de 2 % à 3 %. Si nous ne disposons pas des mêmes chiffres que le Gouvernement, il est indispensable que la commission spéciale se réunisse à nouveau ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Pareil écart est incompréhensible : nous ne pouvons débattre à partir de données fausses – ou alors M. Wauquiez n’a pas dit la vérité aux médias ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Guy Geoffroy – Ce n’est pas un rappel au Règlement !

M. François Brottes – M. Wauquiez a également reconnu dans ce communiqué que, contrairement à ce qu’a dit M. Bertrand tout à l’heure, ce texte portait atteinte au droit de grève, puisqu’il s’agit d’empêcher que la grève ne dure et d’interdire les mouvements de grève spontanés liés notamment à des agressions dans les transports. Dans l’intérêt du débat, il faut donc que le Gouvernement nous éclaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. le Président – Le Gouvernement vous a bien entendu. Il vous répondra quand il le souhaitera. En attendant, nous allons poursuivre la discussion.

M. le Ministre – Je vous renvoie au compte rendu des réunions de la commission. Vous m’avez interrogé sur la différence entre perturbations et annulations : je vous ai bien dit que 50% à 60% des trains annulés l’étaient pour des faits de grève. J’ai même cité la SNCF. Je vous vois sourire : cela vaut réponse !

M. François Brottes – Vous cherchez à tromper les Français !

M. le Ministre – Non, je reprends le compte-rendu de la commission.

Je vous informe également que Dominique Bussereau sera là demain pour l’examen des articles. À présent, j’ai hâte d’entendre l’exception d’irrecevabilité !

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Alain Vidalies – Le 4 juillet 2006, M. Dominique Perben, ministre de l'équipement et des transports, expliquait devant les commissions des affaires sociales et des affaires économiques que le recours à la loi n'était pas une priorité et que l'efficacité était dans le choix de la négociation, avec l’adoption d'une charte de la prévisibilité du service de transport public en cas de grève. Les progrès constatés – notamment à la SNCF et à la RATP – devaient, disait-il, être encouragés en s'inspirant de la seule méthode valable, celle du dialogue social.

Un an plus tard, vous nous présentez un projet dont le seul objectif est de concrétiser l’engagement du Président de la République d’instituer un service minimum dans les transports. L’idée n'est pas nouvelle : elle a fait l'objet de 15 propositions de loi de l’UMP ces dernières années. Elle appartient au patrimoine idéologique de la droite ; elle est de ces mots d'ordre qui enflamment les meetings de l'UMP mais ignorent totalement la réalité du problème et compromettent les progrès constatés depuis dix ans.

Il est vrai que l’environnement médiatique de ce texte est singulier : la presse continue à parler de l’organisation d'un service minimum correspondant aux attentes de nos concitoyens.

L'aspiration des citoyens usagers à la continuité des services publics de transport est légitime, et nous la partageons. Mais, pour y parvenir, votre texte tourne le dos aux acquis du dialogue social et durcit l'encadrement législatif du droit de grève. Le résultat sera l’inverse de celui escompté.

Le droit de grève et le principe de la continuité du service public ont tous deux valeur constitutionnelle, et leur conciliation est au cœur du débat. Tout Français est à la fois un citoyen attaché au maintien du droit de grève et un usager attaché à la continuité du service public. Mais les conflits sociaux qui aboutissent à des grèves ne sont pas tous de même nature. Souvent la solidarité de l'usager et du citoyen s'exprime – ainsi en 1995 pour protester contre les ordonnances Juppé sur les retraites, ou pour défendre le maintien du service public face à des suppressions de lignes. Votre projet ne changera rien à cette réalité. Votre politique d'agression contre les services publics - avec la suppression annoncée de dizaines de milliers de postes ou la création de franchises sur le remboursement des soins – conduira peut-être la solidarité du citoyen et de l'usager à s'exprimer de nouveau.

En revanche, lorsque la grève trouve son origine dans un conflit propre à l'entreprise, elle est le résultat d'un échec du dialogue social, et l'usager a le sentiment d'en être la première victime. Votre texte exploite ce sentiment pour poursuivre un autre objectif : durcir les conditions de l'exercice du droit de grève, pourtant consacré par la Constitution. Ses dispositions essentielles ne visent pas à instituer un service minimum, mais à porter atteinte au droit de grève lui-même. L'idée du service minimum est un serpent de mer qui s'est toujours heurté à des objections d’ordre constitutionnel et technique. Le rapport Mandelkern mettait déjà en exergue ces deux limites en 2004. L’idée simpliste de garantir un fonctionnement des transports trois heures le matin et trois heures le soir, évoquée pendant la campagne présidentielle, est une hypothèse d’école puisque sa mise en œuvre nécessiterait la présence de 90 % du personnel de l'entreprise.

Votre projet a d’ailleurs pris en compte ces obstacles : il vise seulement l'optimisation des moyens disponibles les jours de grève. Dans l'hypothèse où 100 % des personnels seraient en grève, il n'y aurait en tout état de cause aucun service !

Le seul débat porte donc sur la nécessité ou non d'un encadrement législatif. En choisissant la voie législative, vous marquez une nouvelle fois votre défiance à l’encontre du dialogue social. Pour éviter le vrai débat sur la remise en cause du droit de grève, vous masquez la réalité des conflits sociaux dans les entreprises de transport. Cela a été exposé au grand jour lors du débat sur le périmètre d'application du texte : le premier jour du débat devant le Sénat, vous avez soutenu avec véhémence, Monsieur le ministre, que ce périmètre était restreint aux transports terrestres ; le lendemain, le Premier ministre a vendu la mèche en expliquant que ces dispositions avaient vocation à être étendues à l'ensemble des services publics, citant par exemple l'éducation nationale. Vous lui avez aussitôt emboîté le pas. Puis l'Élysée a sifflé la fin de la partie, en faisant savoir que l'extension à d'autres services publics n'était pas à l'ordre du jour. Vous avez adopté cette position avec la même conviction : je vous en félicite, mais vous comprenez nos interrogations et celles des Français !

Les déclarations du porte-parole du Gouvernement montrent bien que les véritables objectifs de ce projet ne correspondent en rien à ce que l’on nous raconte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) Vous nous dites que vous agissez pour le bien du monde et que ce projet ne touche à rien ; le porte-parole du Gouvernement, lui, explique que cela permettra de faire pression sur les grévistes, que le périmètre d’application a vocation à s’étendre et que les grèves émotionnelles aussi seront interdites ! C’est de cela qu’il faut nous parler, au lieu de nous servir des discours à l’eau de rose ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Sur le plan juridique, ce texte porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels. Il manifeste d’abord une défiance à l’endroit du dialogue social, dont le principe même suppose un accord des partenaires sociaux sur la méthodologie. Or, vous ne pouvez que constater que votre initiative est rejetée par les organisations syndicales de salariés, qui ont manifesté leur désapprobation dans une déclaration commune. Comment des négociations se dérouleraient-elles dans un tel climat ? Les autorités organisatrices de transport sont tout aussi réservées, qu’il s’agisse du GART, de l'Association des départements de France ou de l'Association des régions de France.

Dans un entretien au journal Libération, le 29 mai 2007, Jean-Claude Delarue, président de la Fédération des usagers des transports et des services publics déclarait : « Nous constatons que les usagers sont en majorité favorables au service minimum, mais nous considérons que ce n'est plus la priorité. Nous avons pu constater que le nombre de jours de grève a diminué depuis dix ans. Le service minimum n'étant pas la priorité, il n'est pas nécessaire de risquer une bataille longue et dure car celle-ci pourrait déboucher sur de nouvelles grèves. Ce qui nous semble le plus urgent, c'est la reconquête du service public. » Les responsables des entreprises publiques sont tout aussi circonspects. Dans un entretien au journal Le Monde publié le 13 avril, Mme Idrac expliquait : « Les contrats que nous avons passés avec les autorités organisatrices de transport, comme avec le STIF, prévoient la prévisibilité en cas de situation perturbée. Pour l'heure, je constate que cela s'améliore et je privilégie le dialogue social et la négociation. Plus la part du dialogue social est importante, mieux ça marchera ».

M. Julien Dray – Ils vont la virer !

M. Alain Vidalies – L’Union professionnelle artisanale – UPA – rappelle aujourd’hui que les petites entreprises assurant des missions de service public de transport, composées de quelques salariés, ne seront pas en mesure de mener les négociations prévues par le texte en leur sein, et seront de ce fait exclues des appels d’offres qui sont à l’origine de leur activité. Voilà les conséquences économiques de votre démarche politicienne !

Ce texte intempestif remet en cause les acquis de dix ans de dialogue social. Le nombre de jours de grève est au plus bas – vous avez vous-même reconnu, Monsieur le ministre, qu’il avait diminué de 90 % en dix ans. C’est justement ce moment que vous choisissez pour entreprendre l’encadrement législatif de la négociation !

M. le Ministre – Que faites-vous des 10 % restants ?

M. Alain Vidalies – La SNCF n’enregistrait plus que 0,8 jour de grève par agent en 2006, et ce taux est même tombé à 0,13 au premier semestre 2007 ! De même, il est inférieur à 0,4 à la RATP. Il ne faut y voir aucun hasard : c’est le résultat de la volonté de négociation des organisations syndicales et des responsables d’entreprises.

Mme Annick Lepetit – Tout est dit !

M. Alain Vidalies – Pourquoi casser ce mouvement et bafouer ainsi les acquis du dialogue social ?

M. Julien Dray – Parce qu’ils n’aiment pas les syndicats !

M. Alain Vidalies – En 2006, moins de 3 % des incidents ayant entraîné une perturbation à la SNCF provenaient de mouvements sociaux.

M. François Brottes – Voilà la vérité !

M. Alain Vidalies – C’est sur ceux-ci que vous concentrez votre action tout en ignorant à dessein les 97 % restants, dus à la vétusté des lignes, aux défauts de maintenance et au manque de personnel. Faut-il rappeler que vous avez supprimé 16 000 postes depuis 2002 et que la France investit moins que la plupart de ses voisins dans la maintenance de son réseau, entraînant le vieillissement des lignes et, à terme, leur dégénérescence ?

Il est vrai que vous n’êtes pas attachés à l’amélioration du dialogue social. Ainsi, la négociation d’un accord de branche pour les entreprises privées délégataires de services publics n’a pas abouti, car l’Union des transports publics et le Medef ont critiqué les moyens accordés aux syndicats et exprimé leur préférence pour une loi plutôt qu’une négociation – espérant que les règles soient fixées par décret.

M. le Ministre – Non, puisqu’il y aura une loi !

M. Alain Vidalies – De même que le pouvoir politique établira les règles de la négociation, c’est l’entreprise seule qui, faute d’accord, élaborera le plan de prévisibilité. Un tel reniement des acquis du dialogue social engagé depuis des années ne peut que provoquer davantage de confrontations, dont les usagers seront les premières victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Par ailleurs, Mme Idrac nous a prévenus que certaines entreprises limiteraient certainement leur plan de transport pour ne pas subir les sanctions financières en cas de non-respect. De même, M. Sirugue nous a expliqué que l’inclusion des transports scolaires dans le projet illustre votre ignorance de la réalité, car la définition d’un ordre de priorités n’a aucun sens lorsqu’il s’agit d’amener tous les élèves d’un département à l’école.

En matière de dialogue social, il y a loin de vos discours à vos actes. En bons croyants non pratiquants…

M. le Ministre – C’est un connaisseur qui parle…

M. Alain Vidalies – …vous avez refusé l’application de l’accord conclu par les représentants de nos 800 000 entreprises artisanales sur la présence syndicale dans les petites entreprises. Il a fallu l’UMP et le Gouvernement pour briser cette unanimité !

Marqué de défiance à l’égard du dialogue social, votre texte constitue en outre une atteinte aux conditions d’exercice du droit de grève et une ingérence dans la libre administration des collectivités territoriales.

M. François Brottes – Tout à fait !

M. Alain Vidalies – Le droit de grève est un principe constitutionnel reconnu dans le préambule de 1946. Il s’exerce dans le cadre de la loi et relève de la compétence exclusive du législateur, sans délégation possible au profit du gouvernement, de l’administration ou de l’exploitant. Le Conseil constitutionnel a même précisé que seul le législateur était habilité à concilier droit de grève et continuité des services publics. Or, l’article 2 de votre projet dispose qu’un décret en Conseil d’État fixera désormais les règles d’organisation et de déroulement de la négociation préalable dans les entreprises de transport où aucun accord-cadre n’a pu être conclu avant la fin de l’année. Ces règles comprennent les conditions de notification du préavis, le délai donné à l’employeur pour réunir les syndicats, la durée et les conditions du déroulement de la négociation préalable. Nous sommes au cœur du droit de grève, dont l’exercice peut être entravé par des exigences étrangères au législateur. Le décret en Conseil d’État est, en l’espèce, une véritable délégation de pouvoirs hors de tout contrôle parlementaire. De « conditions de déroulement » en « informations à transmettre », la formulation imprécise du texte ne fait qu’aggraver cette dérive.

Autre limitation irrecevable du droit de grève : au nom de la continuité du service public, l’article 3 dispose qu’un dépôt de préavis empêche tout nouveau dépôt avant l’ouverture de la concertation. La Cour de cassation a pourtant reconnu que cela n’entraînait aucun trouble manifestement illicite ; de fait, un nouveau préavis est souvent dû à l’absence de négociation ou à de nouvelles informations portées à la connaissance des syndicats.

L’article 5 impose à chaque salarié d’informer le chef d’entreprise de sa participation à la grève quarante-huit heures avant son début. Il s’agit, nous dit-on, de permettre au service en question de s’organiser. Faute de respecter cette obligation, le salarié encourt des sanctions. Il est donc contraint de prendre position avant même que le préavis ne prenne fin. Pourtant, s’il ne peut faire grève sans l’avoir annoncé, il peut très bien renoncer à son intention dans le cas contraire. Le prétexte de la bonne préparation du service est donc fallacieux, car le nombre de grévistes ne peut être exactement prévu. Le droit de grève est un droit individuel qui s’exerce à partir d’une démarche collective. Or, le salarié, pendant cette période de quarante-huit heures, pourra subir la pression éventuelle de son employeur : voilà votre véritable objectif !

M. le Ministre – Que proposez-vous ?

M. Alain Vidalies – L’article 6 permet, après huit jours de grève, l’organisation d’une consultation du personnel, notamment à l’initiative de l’employeur, sur la poursuite du mouvement. C’est une mesure contraire à tous les principes constitutionnels, au point que le Gouvernement a jugé nécessaire de préciser que ladite consultation n’affectait pas l’exercice du droit de grève. Mais à quoi sert-elle dans ce cas, si ce n'est à exercer une pression sur les salariés grévistes ? Une consultation dont l’objectif est d’exercer une telle pression est contraire au principe selon lequel la grève est un droit individuel. Dans deux arrêts des 6 novembre 1985 et 19 juin 1987, la Cour de cassation a rappelé que « le droit de grève constitue un droit personnel que chacun peut exercer sans être lié par la loi de la majorité ». Cette consultation s'inscrit en contradiction avec ces principes.

Votre projet soulève également des questions de constitutionalité relativement au statut des collectivités territoriales. Le principe de leur libre administration, posé par l'article 72 de la Constitution, est bafoué. Dans sa décision du 20 janvier 1993, portant sur la loi de prévention de la corruption, le Conseil Constitutionnel a censuré le législateur qui avait limité, de manière excessive, la liberté et l'autonomie des collectivités.

La région est l’autorité organisatrice des transports collectifs d'intérêt régional ; le département, celle des transports scolaires ; la commune ou les établissements publics de coopération intercommunale, celles des transports d'intérêt local. La question de la contrainte excessive imposée aux collectivités territoriales par les articles 4 et 11 de votre projet, qui fixent le contenu de la convention d’exploitation conclue entre l’autorité organisatrice et l’entreprise, est posée. En outre, l'article 8 dispose que l'autorité organisatrice impose le remboursement total aux usagers. Ces dispositions impératives, sans égard pour la diversité des situations, sont contraires à l’article 72 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a également érigé en principe à valeur constitutionnelle la liberté contractuelle des collectivités territoriales. Dans sa décision du 30 novembre 2006, il a précisé que ce principe exigeait la liberté dans le contenu du contrat, dans lequel votre projet s’immisce pourtant, dès lors qu’il prévoit que l’autorité organisatrice, c’est-à-dire la collectivité territoriale, impose l’obligation de remboursement. Le législateur adopte ainsi un texte particulièrement directif à l’égard des autorités organisatrices.

Votre projet ne respecte pas non le principe de l’égalité des usagers devant le service public, auquel le Conseil constitutionnel a également reconnu une valeur constitutionnelle, en précisant que seules les discriminations répondant à des différences de situation des usagers vis-à-vis du service étaient admises. Or, le projet de loi impose aux autorités organisatrices de déterminer, dans le plan de transport, des lignes prioritaires en cas de grève. Dans le cas des départements et du transport scolaire, quels critères objectifs peuvent permettre de distinguer entre les élèves qui bénéficieront du plan et ceux qui en seront exclus ? Il existe là un risque majeur de rupture d'égalité – pour ne rien dire de l’irréalisme de la disposition.

Les représentants de l'UMP ont expliqué leur changement de position par rapport à juillet 2006 en invoquant la rupture issue de l'élection présidentielle. Il s'agit en effet d'une rupture, mais d'une rupture avec le dialogue social : vous risquez de remettre en cause les résultats obtenus depuis dix ans ! Il s'agit en outre d'une rupture juridique, qui bafoue le droit de grève et les libertés des collectivités territoriales.

Devant un tel danger, je vous invite à voter la motion d'irrecevabilité déposée par le groupe SRC (Applaudissements et « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. le Rapporteur – Nous ne devons pas avoir peur d’exercer notre responsabilité ; le législateur est compétent pour légiférer sur le droit de grève. S’il convient de mener ce travail avec prudence et sagesse, c’est bien dans cet état d’esprit que la commission spéciale a travaillé.

L’idée selon laquelle le législateur devrait s’abstenir sur cette question est peu respectueuse à la fois des usagers du service public et du droit de grève lui-même. Lorsque nous légiférons sur les conditions d’organisation de la grève dans le service public, nous en consolidons la légitimité. De ce texte, le dialogue social, comme l’intérêt des usagers, peuvent sortir renforcés.

Je me suis exprimé sur la libre administration des collectivités locales dans mon intervention. La loi peut, et doit, poser un certain nombre de règles. Comme l’a rappelé le rapport Mandelkern, le transport terrestre d’usagers relève aujourd’hui, le plus souvent, de la responsabilité des collectivités locales. Est-ce que, pour cela, le législateur doit s’abstenir ? Je crois au contraire que nous devons assumer notre responsabilité ; nous pouvons, tout en respectant la libre administration des collectivités territoriales, fixer le cadre législatif qui s’impose à elle.

M. Alain Vidalies – Le Conseil d’État n’est pas le législateur !

M. le Rapporteur – Vous avez prétendu que cette loi ne pourrait pas s’appliquer, la plupart des exécutifs régionaux affirmant y être opposés. Or, nous sommes un État de droit, et au terme de nos débats, c’est notre assemblée qui écrira la loi.

M. Alain Vidalies – Et le décret ? Vous répondez à côté !

M. le Rapporteur – Ensuite, les collectivités territoriales s’administreront librement, dans le cadre de la loi. Voilà pourquoi il n’est pas possible de partager les attendus de cette motion d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Vous n’y répondez pas !

M. le Ministre – Monsieur Vidalies, puisque vous avez cité M. Delarue, sachez que, dans une interview au Figaro Magazine, samedi dernier, il a tenu les propos suivants : « La loi permet de mieux organiser le service les jours de grève, avec les non-grévistes. Le fait que les grévistes soient tenus de déposer un préavis individuel 48 heures avant le mouvement est aussi une avancée. Enfin, l’indemnisation des usagers devient automatique, quand il fallait batailler au cas par cas pour avoir gain de cause ». Il revient effectivement, ensuite, sur la nécessité d’investir davantage ; mais ne vous raccrochez pas seulement à ce qui vous arrange, et reconnaissez que ce que vous avez dit ne correspond pas à l’intégralité des propos de M. Delarue ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) N’étant pas tenu au service minimum, vous avez le droit d’être exhaustif ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Alain Vidalies – Fait personnel ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre – Seule la loi peut organiser la négociation collective en la matière, car elle garantit une protection au droit de grève et au droit des usagers.

Vous avez demandé si nous étions croyants et pratiquants. Eh bien, en tant qu’actes de foi, la loi du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social, c’est nous…

M. Alain Vidalies – Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux !

M. le Ministre – …les textes récents, dont le présent projet, c’est nous ; et le renvoi à la négociation des questions comme celle de recevabilité, c’est encore nous ! J’attends que vous fassiez la même démonstration de vos actes de foi dans le dialogue social, dans la loi Aubry 2 sur les 35 heures et la loi de modernisation sociale de 2002 ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Notre projet ne méconnaît nullement la Constitution, que ce soit par rapport au droit de grève, au principe de proportionnalité, au principe d’égalité ou à la libre administration des collectivités territoriales. Ce sont d’ailleurs les collectivités, représentées au sein des autorités organisatrices, qui négocieront. C’est pourquoi le Gouvernement demande le rejet de cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Monsieur Vidalies, si vous demandez à vous exprimer, cela ne peut être que pour un rappel au Règlement, et non pour un fait personnel, car les faits personnels interviennent à la fin de la séance.

M. Alain Vidalies – Rappel au Règlement sur le fondement de l’article 58-1. Monsieur le ministre, j’ai donné le nom du journal et la date de publication de la citation que j’ai faite : c’était Libération du 27 mai. Vous avez pu trouver dans un autre journal une autre citation de M. Delarue, mais il n’est pas permis d’essayer de faire croire que j’aurais travesti les déclarations de celui-ci ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Lenoir – C’est un fait personnel, Monsieur le Président !

M. Alain Vidalies – Par ailleurs, étant la majorité et le Gouvernement qui ont porté au dialogue social le plus mauvais coup qui soit, en inversant la hiérarchie des normes et en donnant à un accord d’entreprise la même valeur qu’à un accord de branche, vous n’avez pas le droit de vous présenter comme les défenseurs du dialogue social, car vous êtes au contraire ceux qui avez atomisé la négociation collective ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité.

Mme Muriel Marland-Militello – Le groupe UMP rejette cette motion, car nous considérons non seulement que ce projet de loi est respectueux des principes constitutionnels, mais surtout qu’il rend effectifs les droits et libertés que la Constitution proclame.

Le droit de grève ne peut pleinement s’exprimer que lorsque les salariés sont clairement informés des raisons de la grève. Or, le projet met en avant le dialogue social préalable, ainsi que le cadre juridique dans lequel ce droit pourra s’exercer.

En outre, le texte préserve d’autant plus le droit de grève qu’il en garantit la liberté : comment, en effet, mieux assurer la liberté du vote que par le recours au vote à bulletin secret ?

M. Alain Néri – Cela dépend de la manière dont le vote est organisé !

Mme Muriel Marland-Militello – Quant aux pressions qui s’exerceraient sur le vote des salariés, vous savez bien que souvent elles s’exercent sur ceux qui refusent de faire grève ! Enfin, le résultat de la consultation n’aura aucune incidence sur l’exercice du droit de grève. Ce vote secret permettra simplement de connaître précisément le nombre de salariés favorables à la grève et le nombre de salariés qui y sont opposés. Le projet se caractérise donc par la transparence, la clarté et la franchise – qui n’est pas un principe anticonstitutionnel !

De plus, bien que les usagers acquittent des impôts pour bénéficier d’un service public des transports, leurs droits sont rarement respectés, notamment la continuité du service public, qui a pourtant valeur constitutionnelle depuis 1979. C’est à ces droits que le texte donne sens en organisant concrètement la possibilité d’aménager le service minimum.

Enfin, la Constitution affirme non seulement les droits de nos concitoyens, mais aussi leurs libertés, au nombre desquelles la liberté d’aller et venir, la liberté du commerce, celle du travail, enfin l’accès au service public, auxquelles fait référence l’article 1er du projet. En réalité, ce que vous reprochez à ce projet, c’est de rendre effectifs les droits et les libertés proclamés par la Constitution !

Ce qui vous agace, c’est que la dimension pragmatique des réformes envisagées et la manière dont elles prennent en considération les particularités territoriales ou les différentes modalités de fonctionnement des entreprises vous empêcheront de louvoyer au moyen de vagues propositions. Ainsi, pour la première fois, l’on détaille concrètement l’application de principes constitutionnels. Voilà pourquoi le groupe UMP ne saurait voter cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Roland Muzeau – Les ambitions du Gouvernement sont pour le moins assumées : l’on ne saurait reprocher à M. le ministre ou aux autres membres du Gouvernement d’avoir fait mystère de leurs intentions au cours d’une campagne caractérisée par des ralliements successifs. Le futur Président de la République s’était en effet très clairement prononcé en faveur de la limitation du droit de grève et de la mise en place obligée du service minimum, dès le discours qu’il a prononcé lors de l’université d’été du Medef, en 2006 – devant un public approprié, au sein duquel les grévistes sont nombreux ! Cette position ancienne ne faisait que confirmer l’hostilité permanente de la droite au droit de grève et à l’exercice des libertés syndicales (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Notre groupe soutient cette exception d’irrecevabilité parce que le texte bafoue une jurisprudence constante en matière d’exercice du droit de grève.

M. Jacques Myard – C’est faux !

M. Roland Muzeau – Je vous le démontrerai !

N’oublions pas que la grève représente un sacrifice pour les seuls salariés, qui ne se mettent pas en grève par plaisir – ceux qui le croient n’ont guère reçu de grévistes ! Le droit de grève est exercé en dernier recours par des salariés qui y sont poussés par le refus opposé, durant des jours, des mois, voire des années, à des revendications indispensables.

Ne négligeons pas non plus les enquêtes menées par les services de l’État : ainsi, selon une étude publiée en juillet 2007 par la DARES – qui ne peut guère être taxée de suivisme gauchiste – et reposant sur un suivi annuel des grèves dans les entreprises de plus de dix salariés appartenant au secteur marchand, dont les grandes entreprises publiques – SNCF et RATP comprises –, sur les 10 300 entreprises du panel, moins de 3 % ont connu une grève en 2005.

En outre, en décembre 2006, un arrêt fort instructif de la Cour de cassation précisait qu’un salarié n’est pas tenu de signaler à l’avance son intention de faire grève, même la signature d’un planning de vol – il s’agissait en l’occurrence d’un pilote d’Air France – ne valant pas renonciation au droit de grève.

Du reste, vous avez torpillé l’avis syndical majoritaire lors des accords sur la restauration et l’hôtellerie, avant de chercher à tout prix à empêcher la mise en œuvre de l’accord entre UPA et syndicats, à la demande expresse – sur ordre, allais-je dire – du Medef : autant d’exemples bien concrets du respect que porte le Gouvernement au dialogue social !

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera donc cette exception d’irrecevabilité, au nom d’une exigence populaire qui ne manquera pas de vous apparaître, sinon dans quelques jours, du moins dans quelques semaines ou dans quelques mois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Jean Mallot – Le groupe socialiste, radical et citoyen a écouté avec une grande attention la démonstration de M. Vidalies, fortement structurée et solidement étayée du point de vue juridique – il était temps ! Ainsi notre collègue a-t-il rappelé certains aspects de la genèse du projet : la majorité actuelle, du reste semblable à la précédente – il y a là, au moins, une forme de continuité ! –, a introduit une rupture en la matière, la position de M. Bussereau différant en effet de celle de M. Perben. Ce dernier, favorable à la négociation, estimait que les accords engagés, notamment à la RATP, favoriseraient la tendance à une diminution du nombre de conflits et l’amélioration de la qualité du service, y compris en cas de grève, pour les usagers. Le présent projet casse cette démarche. Ces dissensions au sein de l’UMP, dont ont témoigné les travaux en commission et dont fait état la presse, montrent combien la rupture peine à se faire accepter.

Notre collègue a également souligné le caractère décalé, inadapté et inopportun d’un texte qui ne s’attaque pas aux véritables difficultés que rencontrent les usagers des transports. Du reste, ceux auxquels vous dites vous adresser, et qui attendent de vous que vous instauriez un service minimum, seront déçus, car il vous est impossible de le faire, sauf à recourir à des mesures manifestement anticonstitutionnelles ; en outre – cela a été rappelé -, lorsque 100 % des salariés sont en grève, le service minimum est irréalisable ; ainsi la « promesse » par laquelle Nicolas Sarkozy s’est engagé au cours de sa campagne à instaurer un service de trois heures le matin et trois heures le soir est-elle intenable. Ceux d’entre vous qui utilisent les transports terrestres savent bien que seuls 3 % des dysfonctionnements constatés par les usagers résultent de faits de grève, la plupart découlant de la vétusté du matériel ou de l’état de délabrement des voies. Ce texte est donc purement idéologique, en dépit de vos dénégations, mais le risque auquel il expose le dialogue social est, lui, bien réel, et d’autant plus regrettable que les conflits diminuent.

S’agissant des atteintes au droit de grève, le recours à un décret bafoue la règle selon laquelle la loi seule peut réglementer celui-ci ; le Conseil constitutionnel ne manquera pas de vous le rappeler. En outre, la disposition de l’article 5 relative au délai de déclaration préalable de 48 heures, dans la mesure où elle pourrait concerner un salarié qui déciderait ensuite de faire grève et s’exposerait ainsi à une sanction de son employeur, constitue une atteinte caractérisée au droit de grève. Cette disposition, qui ne vise qu’à exercer une pression sur le salarié, fera rapidement la preuve de ses effets pervers. De plus, la consultation envisagée, encadrée et littéralement corsetée par le projet, a elle aussi pour seul objectif de faire pression sur les salariés et de les dissuader de faire grève au nom de la majorité, qui ne devrait pas prévaloir.

Enfin, le projet porte également atteinte à la libre administration des collectivités locales – régions, départements, communes –, ce qui choque particulièrement ceux qui, parmi nous, en sont les élus. Les dispositions envisagées sont manifestement anticonstitutionnelles, le texte allant jusqu’à déterminer le contenu des contrats entre collectivités et entreprises de transport. Le juge constitutionnel ne s’y trompera pas !

Les risques d’inconstitutionnalité, comme l’a si bien démontré Alain Vidalies, sont manifestes. Voilà pourquoi nous voterons l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Daniel Paul – Notre pays est-il à ce point menacé qu’il soit nécessaire d’examiner, au cœur de l’été, ce texte relatif au service minimum ? Était-il nécessaire de déclarer l’urgence sur ce projet de loi, et de le faire examiner, au Sénat comme à l’Assemblée, par une commission spéciale chargée d’entendre à la hâte les acteurs concernés ?

Les auditions nous ont laissé dubitatifs sur la pertinence de cette priorité, mais aussi sur les moyens mis en œuvre. Selon les organisations syndicales et patronales, les entreprises de transport et les usagers, la conflictualité ne cesse en effet de baisser dans les transports terrestres : selon Anne-Marie Idrac, présidente de la SNCF, le nombre de jours de grève annuels est passé de 0,7 par agent et par an en 2006 à 0,13 au cours des premiers mois de 2007, tendance confirmée par Pierre Mongin, PDG de la RATP.

Ces grandes entreprises, répondrez-vous, ont su forger depuis des années les outils du dialogue social, objet de votre texte. Mais elles y sont parvenues sans l’intervention d’une loi ! En 2003, Louis Gallois indiquait même sa préférence pour une solution interne à l’entreprise, tandis que Mme Idrac, qui présidait alors la RATP, jugeait périlleuse la voie législative directe, contrairement au chemin contractuel, long, mais fructueux. Exposée sans doute à certaines pressions amicales, Mme Idrac a changé d’avis depuis cette époque…

Les auditions ont également fait ressortir les craintes de l’Union professionnelle artisanale, les petites entreprises du secteur du transport redoutant de ne pouvoir faire face aux nouvelles contraintes qui résulteront de ce texte. Les plus petites entreprises risquent d’être évincées des marchés au profit de plus grands groupes, au motif qu’ils offriraient plus de garanties aux yeux des autorités organisatrices de transports.

Les représentants des régions et des départements ont également fait preuve de scepticisme, considérant que les dysfonctionnements qui affectent les transports sont essentiellement le résultat d’incidents techniques, dus à la situation catastrophique du réseau et des matériels roulants, mais aussi aux suppressions de postes. J’ajoute que les élus départementaux s’interrogent sur leur rôle : comment définir un service prioritaire dans le domaine du transport scolaire ?

Tout aussi irréaliste paraît aux acteurs concernés la date butoir fixée au 1er janvier 2008 pour la conclusion des accords de prévention des conflits. Par amendement, vous souhaitez que le décret cède le pas devant un accord de branche ultérieur, mais cette éventualité montre bien que vous n’avez qu’une idée en tête : aller le plus vite possible, quitte à faire fi de tous les appels à la prudence.

Seul le MEDEF se réjouit ouvertement de ce texte. Un article édifiant paru dans le bulletin de l’UIMM en juillet s’interroge sur la restriction de son champ d’application, la Poste, l’Éducation nationale, la radio, la télévision, les services publics relevant dans leur ensemble d’une activité indissociable d’un service minimum. C’est l’UIMM qui l’écrit !

M. Roland Muzeau – …le « canal historique » du MEDEF.

M. Daniel Paul – Tous les autres acteurs balancent entre scepticisme et rejet. Chacun sait en effet que la conflictualité est à l’origine de seulement 2 % des discontinuités des transports. J’ajoute que les négociations n’ont pas abouti sur un accord de branche, en raison de la préférence du patronat pour une loi – alors que vous avez affirmé en commission que c’était à cause des demandes excessives des syndicats.

Et puisque vous évoquez sans cesse le dialogue social, pourquoi ne pas appeler les partenaires sociaux à faire plein usage des dispositifs déjà en vigueur ? Je pense notamment au préavis, qui a été conçu pour favoriser la négociation. En quoi l’allongement de sa durée poussera-t-elle à la négociation si le patronat la refuse ?

Et pourquoi ne pas sanctionner les entreprises qui ne respectent pas les dispositions relatives à la négociation annuelle obligatoire ? Dans le service public des transports, plus de 55 % des 2 462 entreprises concernées ne respectent pas cette obligation légale. En revanche, vous voudriez sanctionner un salarié qui ne sait pas, quarante-huit heures à l’avance, s’il fera grève ?

Mieux vaudrait engager un travail sur la représentativité syndicale, avec la reconnaissance du principe de l’accord majoritaire à tous les niveaux, et l’obligation de négocier à tous les niveaux également. Pourquoi ne pas satisfaire cette demande des syndicats ?

C’est que l’objet réel de votre texte n’est pas d’assurer la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs, pas plus que d’améliorer le dialogue social. Tel est notre premier constat : ce texte n’a rien à voir avec les enjeux du secteur concerné. Vous abordez des questions qui sont, soit déjà surmontées, soit potentiellement réglées à condition d’appliquer la loi existante (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Votre texte risque également d’être contreproductif. L’article 9 pose ainsi, de façon provocatrice, le principe du non-paiement des jours de grève, alors qu’une solution inverse favorise parfois la reprise du travail dans de meilleures conditions. Comment peut-on également ignorer les risques liés à la déclaration préalable et à la consultation au bout de huit jours ?

Si le salarié se déclare à l’avance gréviste, il pourra changer d’avis, mais le contraire sera impossible : un salarié qui pensait ne pas faire grève, ou demeurait dans l’incertitude, ne pourra pas revenir en arrière, une fois passé le délai de 48 heures, à moins d’encourir des sanctions. Tous les sondages indiquent pourtant que nos concitoyens se décident, pour une large partie d’entre eux, au dernier moment lors des scrutins politiques. Cette nouvelle obligation ouvrira également la porte à toutes les pressions. Ignorant le dialogue, elle aura pour effet de détériorer les relations au travail, et sera surtout en contradiction avec le droit individuel de grève.

À qui ferez-vous croire en effet que ces deux journées, destinées à l’instauration d’un service d’urgence, ne seront pas mises à profit pour peser individuellement sur les salariés. Vous êtes parfaitement conscient de ces pratiques…

La consultation au terme de huit jours de conflit est certes facultative, mais elle se prête, elle aussi, à toutes les pressions internes et internes. Votre texte poussera à des grèves plus dures, impliquant un plus faible nombre de salariés… Ce n’est pas ainsi que vous favoriserez le dialogue social et que vous améliorerez la continuité du service. Le recours aux tribunaux augmentera, ce qui contribuera à judiciariser encore davantage les relations du travail. Tous les syndicats affirment que ce projet de loi risque de relancer la conflictualité, alors qu’elle est en baisse constante !

Il existe une réelle colère à l’égard des transports, celle des personnels, des élus et des usagers ; mais vous l’oubliez. Le rapport de l’école polytechnique de Lausanne a pourtant dénoncé l’état déplorable de notre réseau et du matériel roulant ; la vitesse est réduite sur 1 500 km pour des raisons de sécurité, et 16 000 postes ont été supprimés depuis 2002. Quand Mme Idrac sort de son chapeau 100 millions d’euros et 1 000 emplois afin d’améliorer la régularité et la ponctualité des trains régionaux, chacun sait que c’est une goutte d’eau ! Et chacun voit bien le lien entre cette annonce et nos débats : vous essayez de donner le change…

Faut-il rappeler que la dette de la SNCF s’élève à 40 milliards d’euros, ce qui représente des frais financiers annuels de 300 millions ? Que RFF doit débourser 1 300 millions par an au même titre ? Une telle situation freine évidemment les investissements nécessaires à la maintenance du réseau, qui entraînent pourtant des risques de défaillance dangereux pour la sécurité, des ralentissements, et au-delà des travaux plus lourds et plus paralysants encore.

À cela s’ajoute l’explosion générale de la précarité dans les transports : déjà en hausse de 9 % au cours des deux années précédentes, l’intérim a progressé de 15 % en 2006 ; la sous-traitance s’est accrue la même année de 56 % dans les transports urbains et routiers de voyageurs, et de 8,5 % à la SNCF.

Oui, il y a lieu d’exiger une autre politique des transports, et les investissements nécessaires pour améliorer les conditions de travail des personnels et de transport des usagers. Mais les moyens sont insuffisants, les retards considérables, et les crédits de l’AFITT vont se tarir à partir de 2012. Dès lors, l’entretien n’est plus assuré, les pannes se succèdent. Lisez donc, gare Saint-Lazare, le panneau indiquant les raisons des retards de train le mois précédent. Pour juin, il n’est pas question de grève, mais de défaillances techniques et de manque de personnel. Aussi Pierre Albertini, maire UDF de Rouen, a-t-il écrit en janvier dernier à Mme Idrac, pour dire la colère des usagers sur la ligne Le Havre-Rouen-Paris, où il est impossible de prévoir le temps de parcours et pour demander du service public un traitement digne… Toutes les régions sont concernées. En PACA, depuis le début de 2007, sur 540 TER prévus chaque jour, moins de 500 circulent faute d’agents de conduite ; en Aquitaine, la ligne Bayonne-Saint-Pierre-de-Port a été fermée 15 jours en raison de la chute des caténaires. En Midi-Pyrénées, 10 % des trains ont accusé un retard en 2006 et les pénalités versées au Conseil régional pour service non rendu ont atteint 659 665 euros. Sont mis en cause, par ordre décroissant, le défaut de matériel roulant, les avaries, l’absence d’agents de conduite et de contrôleurs. Dans la région de Chambéry, au premier trimestre 2007, 64 trains ont été supprimés suite aux défaillances du matériel roulant. Pour revenir dans la région de Rouen, la presse a titré sur « les mutins du 7 heures 23 », ces salariés qui, en ayant assez des suppressions de train sur la ligne de Paris, ont bloqué un train le 23 juillet dernier. Voilà le quotidien des usagers !

Ajoutons-y 16 000 suppressions de postes depuis 2002, dont 1 000 en Midi-Pyrénées et 692 en Bourgogne. Comment s’étonner ensuite que, chaque mois, 180 à 200 trains circulent sans contrôleur en Alsace ? La région du ministre des transports n’est pas en reste…

M. le Ministre – Cette attaque contre la présidente de région est inacceptable ! (Sourires)

M. Daniel Paul – …Suite au manque de personnel de conduite, trois TER ont été supprimés le 15 juin, puis derechef le 22 juin, le 30 juin et le 6 juillet…

M. Guy Geoffroy – Qui préside la Région ?

M. Daniel Paul – Ainsi, ce ne sont pas les grèves qui minent les transports publics, mais les dysfonctionnements liés aux politiques libérales de déréglementation. Il serait temps d’en faire le bilan. Mais vous l’avez toujours refusé, de crainte de mettre en évidence les conséquences de la politique libérale suivie au sein de l’Union européenne ! On fait le bilan du lundi de Pentecôte, mais pas celui d’une politique qui met en difficulté de grands secteurs de l’économie ! Assurer la continuité du service public, ce serait pourtant lutter contre ces dysfonctionnements. Ce n’est pas l’objet de votre texte.

Contre-productif, il est également dangereux, en ce qu’il s’attaque insidieusement au droit de grève. Vous voulez imposer aux salariés de déclarer 48 heures à l’avance s’ils feront grève. Pourtant l’arrêt « Air France » de la cour de cassation du 20 novembre 2003 dispose qu’il ne peut être imposé à un salarié d’indiquer à son employeur, avant le déclenchement de la grève, qu’il participe au mouvement. C’est sans doute pour cela d’ailleurs que vous présentez ce projet.

Quant à la consultation des salariés 8 jours après le déclenchement de la grève, outre qu’elle peut montrer que le blocage est total, elle ne saurait en aucun cas empêcher l’exercice individuel du droit de faire grève, mais détériorera certainement le climat social que vous prétendez vouloir améliorer.

Certes, vous ne parlez pas, vous ne parlez plus de réquisition. Mais lors des travaux de la commission spéciale, le mot a été utilisé, pour le rejeter, mais comme à regret. On y a aussi parlé de ces entreprises de transport qui, confrontées à une grève, font venir du personnel d’une autre région ou d’une filiale. Et la question de l’extension à d’autres secteurs divise à l’évidence les tenants de cette loi. Sur un sujet aussi sensible, vous restez prudents. Mais la prise de position du Premier ministre, appuyée par plusieurs députés et par le Medef, prouve que votre intention est de pousser les feux.

Les vieux démons sont toujours là ! Quand Jaurès se battait pour le droit de grève à Carmaux, la droite de l’époque l’accusait d’être du côté des fraudeurs, de décourager le travail et d’avoir perdu tout sens moral !

M. André Gerin – Eh oui !

M. Daniel Paul – En 36, quand les salariés obtenaient les congés payés, la droite de l’époque dénonçait cette «prime à l’oisiveté ».

M. André Gerin – Eh oui !

M. Daniel Paul – Aujourd’hui, la droite parle de nantis à propos de salariés payés de 1 300 à 1 500 euros par mois, qui sont les premières victimes de la mise en concurrence. L’objectif est toujours le même : réduire la part qui va au travail pour mieux rémunérer le capital. Dans le secteur public, on ouvre à la concurrence pour donner au privé les créneaux les plus rentables, quitte à exercer ensuite un chantage sur le personnel pour réduire les « charges », c’est-à-dire les droits et les salaires. Et pour réduire plus encore les coûts, on va même jusqu’à évoquer la privatisation pure et simple.

Aujourd’hui, c’est au transport terrestre de voyageurs que vous vous attaquez. Vous évoquez la promesse faite par le candidat devenu Président et les sondages d’opinion pour justifier votre opération politique. Et comme les statistiques de conflits contredisent votre thèse, certains ont demandé en commission spéciale qu’on trouve d’autres indicateurs. En clair, le thermomètre ne vous convient pas, qu’on en change ! Ce que vous voulez vraiment, ce n’est pas améliorer le dialogue social ou assurer la continuité du service public. S’il y a des divergences entre ceux d’entre vous qui voudraient étendre tout de suite les dispositions à d’autres secteurs et ceux qui se veulent plus prudents, votre but à tous est bien de remettre en cause le droit de grève !

M. Guy Geoffroy – Mais non !

M. François Brottes – Si ! Assumez-le.

M. Daniel Paul – C’est d’ailleurs cohérent avec toute votre politique, avec tous les textes que vous faites voter depuis quelques semaines, poursuivant votre combat global dans le dogmatisme idéologique.

À l’opposé de la réalité, certains affirment que les vrais risques professionnels sont assumés par les salariés du privé, et que leur liberté mérite d’être défendue face au privilège de grève dont jouissent certaines catégories protégées du service public.

M. le président de la commission spéciale – Mais qui a dit cela ?

M. Daniel Paul – D’un côté il y aurait la France qui se lève tôt, de l’autre des « privilégiés » – et l’on ne désigne pas ainsi les bénéficiaires du CAC 40, mais les agents du service public dont il faut rogner les avantages indus.

M. le Président de la commission spéciale – Mais où avez-vous entendu cela ?

M. Daniel Paul – En tentant de faire passer votre attaque contre le droit de grève pour un moyen de faciliter la vie des gens, vous espérez faire passer les réactions des cheminots et, bientôt, des enseignants, pour du corporatisme.

Après avoir « libéré » les heures supplémentaires, vous parlez maintenant de la revanche de l’idéologie du travail sur celle de la grève. Nous sommes bien dans la stratégie globale qu’illustre le slogan « travailler plus pour gagner plus » !

Sans doute avez-vous le souvenir de cette année 1995, où le secteur public mobilisé avait réussi à faire plier le gouvernement Juppé après une grève « par procuration » que soutenait l’immense majorité de notre peuple. Mais sans doute vous souvenez-vous aussi de la façon dont Mme Thatcher avait brisé la capacité de résistance des salariés pour adapter la société britannique aux exigences du capitalisme financier. On sait ce que cela a donné pour les chemins de fer, la poste, l’énergie, au point que c’est en Grande-Bretagne que sont apparus les working poor.

Nous sommes en France, bien sûr. Mais l’inspiration est la même. Nul doute que dans cette stratégie globale, le débauchage de personnalités issues de la gauche a toute sa place ! Nul doute aussi que si vous refusez tout bilan qui pourrait mettre en évidence la relation entre la casse des secteurs publics et l’explosion du capitalisme financier, c’est pour mieux profiter de « l’état de grâce », et des vacances, pour briser toute résistance ! Votre offensive contre le droit de grève vise à affaiblir le mouvement social et les organisations syndicales, pour vous laisser les mains libres lorsque viendra le temps des réformes les plus dures ! Votre volonté d’adapter notre pays aux exigences du capitalisme financier mondialisé passe par la réduction des capacités de résistance des salariés. Pour cela vous prétendez que la lutte des classes, c'est fini, qu'il y a communauté d'intérêts entre les PDG du CAC 40, leurs actionnaires et leurs salariés, entre ceux qui délocalisent les usines et ceux qui perdent leur travail ! Jamais le patronat et la droite n'ont accepté les droits gagnés par les salariés, qu'il s'agisse du droit à la protection sociale ou de celui de se mettre en grève pour protester ou pour améliorer son sort ; la bataille opposant ceux qui n'ont que leur force de travail à ceux qui disposent des capitaux peut évoluer dans sa forme, cela ne change rien quant au fond : ce n’est pas en niant la lutte des classes que vous la ferez disparaître !

« Les Français ne veulent plus seulement être gérés, ils attendent d'être guidés», avait déclaré M. Hortefeux devant les jeunes de l'UMP. Méfiez-vous ! Comment imaginer qu’on puisse empêcher notre peuple de réagir à l'avenir que vous lui préparez ? À de nombreux moments de son histoire, notre peuple a su se dresser contre des lois injustes.

Votre projet est inutile : il suffirait d'appliquer les textes existants pour améliorer les relations sociales dans ce secteur où les conflits sont déjà en forte baisse ; et les véritables enjeux de la continuité du service sont ailleurs, dans les moyens financiers, matériels et humains. Ce dont nous avons besoin, c’est d'une véritable loi de programmation.

C’est un projet contreproductif : il va cristalliser les difficultés au lieu de les résoudre, et augmenter le risque de conflits.

Enfin, c’est un projet dangereux, qui s'intègre dans une offensive contre le droit de grève et une stratégie de recul social généralisé.

C’est pourquoi j’appelle mes collègues à voter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Rapporteur – Il semble que nous n’ayons pas lu le même projet de loi, Monsieur Paul…

Ce texte reprend un engagement du Président de la République, dont le projet a été approuvé par 53 % des Français. Il répond au souci de l’intérêt général, de l’intérêt de tous : intérêt de nos concitoyens, qui est de pouvoir prendre leur train, intérêt des salariés, par le renforcement du dialogue social – la meilleure grève étant celle qui n’a pas lieu –, intérêt des collectivités locales, qui doivent garantir le meilleur niveau de service possible, intérêt de l’entreprise, enfin intérêt des acteurs économiques, dont l’activité est trop souvent perturbée.

La continuité du service public de transports est une question de justice sociale, tant il est vrai que les grèves touchent d’abord les personnes qui n’ont pas les moyens de se déplacer autrement.

Certes, le service minimum n’épuise pas le sujet de la qualité du service public des transports, qui dépend aussi de l’investissement ; j’ai déposé un amendement en ce sens, sur lequel le secrétaire d’État aux transports pourra nous répondre demain.

Quant au dialogue social, ce texte l’encourage, en donnant une base légale aux bonnes pratiques de la RATP ou de la SNCF en vue de les étendre. L’obligation de négocier, qui est au cœur de ce projet, devrait provoquer un véritable changement dans la culture des partenaires sociaux.

C’est pourquoi nous devons débattre : ce n’est pas de lutte des classes qu’il s’agit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission spéciale – S’agissant de l’investissement dans les transports publics, je rappelle que dans le budget 2007, nous avons prévu 878 millions pour les investissements ferroviaires dans le cadre des contrats de plan, contre 792 en 2006 ; et nous avons adopté en 2006 un amendement d’origine parlementaire pour augmenter de 70 millions les crédits de régénération, lesquels ont encore augmenté de 22 millions en 2007. Si donc l’amélioration du service public ne se résume pas à celle de la continuité, nous n’avons pas de leçons à recevoir en matière d’investissement et d’entretien des infrastructures ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre – S’il n’est pas nécessaire de légiférer, comme nous dit M. Paul, que faut-il répondre aux usagers confrontés à une grève ? Ce que nous voulons, c’est non seulement mettre l’accent sur la prévention, mais aussi prévoir l’organisation du service. Nous concilions le droit des usagers et le respect du droit de grève ; l’arrêt Air France montre précisément que ce texte instaurant la déclaration préalable est nécessaire. Ne nous dites pas que ce texte protégerait les nantis, alors qu’il s’agit de protéger les usagers qui veulent aller travailler ! Le Gouvernement souhaite bien entendu le rejet de cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Yanick Paternotte – Ce projet est prioritaire car très attendu par nos compatriotes, bien au-delà des clivages politiques. Il va améliorer le dialogue social, dont la grève doit seulement marquer l’échec, et assurer l’équilibre entre droit de grève et droit au travail. Enfin, c’est un texte de rupture dans les pratiques politiques, grâce à l’évaluation proposée par le président de la commission spéciale.

Bref, ce n’est pas un texte dépassé ; en revanche, les arguments de M. Paul sont du passé… Nous voterons donc contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Marc Dolez – Notre groupe la votera, ce projet ne répondant à aucun des objectifs affichés, qu’il s’agisse du dialogue social, de la continuité du service public ou du service minimum.

En ce qui concerne le dialogue social, les résultats obtenus ces dernières années ne justifient pas de recourir aujourd’hui à la loi ; c’était d’ailleurs la position du Gouvernement il y a un peu plus d’un an. Pire, ce texte crée des obstacles au dialogue ; plutôt que d’instaurer le préavis du préavis, mieux vaudrait garantir l’application de la loi du 19 octobre 1982 imposant aux parties de négocier durant la période de préavis.

Quant à la continuité du service public, le seul objectif qui vaille est de l’assurer chaque jour de l’année, ce qui pose le problème des défaillances techniques, des retards, des suppressions de dessertes, liés au manque de moyens et de personnel.

Il faudra bien un jour tirer les leçons des politiques de déréglementation et de libéralisation des dernières années. Au lieu de cela, on nous propose un texte qui vise la continuité du service public pendant les seuls jours de grève, qui ne correspondent qu’à 2 à 3 % des perturbations que subissent les usagers. On nous dit qu’il répond à un engagement pris par le Président de la République pendant sa campagne électorale. Là encore, il y a tromperie : on veut nous faire croire qu’on peut maintenir un service a minima en garantissant le plein exercice du droit de grève ! Plutôt que de parler de service minimum, nous devrions parler de service hypothétique !

Inutile, ce texte est aussi dangereux : son véritable objet est de remettre en cause frontalement le droit de grève. C’est pourquoi nous appelons l’Assemblée à voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 17 heures 45, est reprise à 18 heures.

M. Michel Destot – Appelons un chat un chat : nous traitons aujourd’hui d’un texte sur le service minimum. Je m’en tiendrai aux conséquences qu’il aura pour les collectivités territoriales et les autorités organisatrices de transports.

Le Groupement des autorités responsables de transports publics, que je préside, travaille depuis des années à garantir la continuité d’un service public où les perturbations sont souvent liées à des problèmes techniques, et plus rarement à des mouvements sociaux, notamment dans les grandes agglomérations et sur le réseau ferré. La méthode contractuelle que nous avons adoptée a porté ses fruits, et le dialogue social a permis de prévenir les conflits. Ainsi, le GART a souhaité que les partenaires sociaux établissent des procédures visant à minimiser les perturbations dans le respect du droit de grève, appelé ses adhérents à intégrer dans les conventions qui les lient aux exploitants des clauses favorisant le dialogue social et suggéré la création de structures de concertation comprenant des usagers. Il a travaillé avec le précédent ministre des transports, M. Perben, à la rédaction d’un guide de prévisibilité des transports en période de perturbations à l’attention des autorités organisatrices. Lors de sa diffusion en juillet 2006, M. Perben a proposé à l’ensemble des partenaires de signer une charte de prévisibilité. Des organisations d’élus, de personnels, d’usagers ont répondu à l’appel, de même qu’une trentaine d’autorités organisatrices.

M. François Brottes – Voilà un ministre responsable !

M. Michel Destot – Cette méthode contractuelle et respectueuse de la libre administration des collectivités permet de s’adapter aux situations très variées de nos réseaux. Elle concilie droit au transport et droit de grève.

Pourquoi donc fallait-il une loi ? Pour céder au Medef et à l’UTP, qui la voulaient : incapables d’encourager le dialogue social, ils préfèrent le refuge de la loi. Et comme ils veulent le beurre et l’argent du beurre…

M. Roland Muzeau – Et le tablier de la crémière !

M. Michel Destot – …ils demandent désormais aux autorités organisatrices de mettre la main à la poche s’agissant de l’information des usagers et du transport adapté. Au fond, cette loi n’est qu’un cadeau fait sur le dos des collectivités à ceux qui ont longtemps traîné des pieds.

Les collectivités financent déjà près de 80 % des systèmes de transports. Les régions doivent même souvent se substituer à l’État pour entretenir le réseau ferré national, dont le mauvais état provoque l’essentiel des perturbations.

Votre projet de loi aurait pu se contenter de reprendre les préconisations du GART, laissant ainsi une large liberté aux autorités compétentes. Au contraire, vous mettez la libre administration des collectivités en cause.

L’article 4 est particulièrement dangereux. Son troisième point prévoit l’intégration aux conventions entre autorités et exploitants des plans de transport adapté et d’information des usagers, et ce avant le 1er janvier 2008. Objectif intenable, a fortiori si vous entendez améliorer le dialogue social ! Comment, en si peu de temps, les autorités organisatrices pourront-elles élaborer de tels plans dans la concertation ? C’est pourquoi je défendrai un amendement visant à repousser ce délai au 1er janvier 2009.

Pis encore : le quatrième point de l’article porte atteinte à la libre administration des collectivités. Le préfet est en charge de l’application de la loi et du contrôle a posteriori des actes des collectivités. Or, celles-ci seront désormais tenues de renseigner le préfet a priori sur leur système de transport, qu’il s’agisse de dessertes prioritaires, de prévisions de service ou d’élaboration de plans. C’est contraire aux principes fondamentaux de la décentralisation. En outre, le préfet pourra se substituer à l’autorité organisatrice en cas de carence, par exemple si le délai du 1er janvier 2008 n’était pas respecté ou si les niveaux de desserte étaient jugés insuffisants – le terme « carence », en effet, peut être entendu au sens large.

M. François Brottes – C’est un coup monté !

M. Michel Destot – Ensuite, l’article 8 transforme en obligation la possibilité pour les autorités organisatrices d’imposer aux opérateurs le remboursement total des titres de transport aux usagers en cas de perturbation. Nous sommes favorables à une telle mesure de remboursement, mais les tarifs sont extrêmement variables selon les réseaux, de même que leurs propriétaires. Un traitement au cas par cas s’impose, et les autorités organisatrices doivent conserver la liberté de choisir les modalités de remboursement selon le contexte. Je défendrai donc un amendement précisant que le remboursement des titres ne doit avoir aucune incidence financière pour l’autorité organisatrice et doit être effectué sans préjudice des sanctions financières imposées à l’entreprise n’ayant pas respecté le plan de transport.

Enfin, je défendrai un amendement à l’article premier visant à exclure du champ de la loi les agglomérations de moins de cent mille habitants, où les mouvements sociaux sont presque inexistants, et auxquelles il n’est pas justifié d’imposer de telles procédures.

Je regrette que le Gouvernement ait choisi de recourir à la loi. Le dialogue portait ses fruits ; il fallait le poursuivre. Vous êtes comme moi, Monsieur le ministre, attaché à la continuité du service public de transport. Il y a urgence : accordons aux entreprises publiques les moyens financiers qui leur permettront de régénérer les voies ferrées et de mettre à disposition des usagers des matériels de bonne qualité. Nous en parlerons longtemps, aussi longtemps que nos réseaux de transport seront détériorés. Vous n’avez pas fini de nous entendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Roland Muzeau – « Les démagogues font d’autant mieux leurs affaires qu’ils ont jeté le pays dans la discorde », écrivait déjà Ésope au VIe siècle avant notre ère. Votre texte de déroge pas à cette règle ancienne. Il est, comme le dit Bernard Thibault, un « bel exemple d’hypocrisie politique ».

Comme en témoigne le rassemblement du 31 juillet à l'appel de sept confédérations syndicales appuyées par des associations d'usagers, un large consensus s’est dégagé pour dénoncer cette loi dangereuse pour le droit de grève et ses effets pervers sur le climat interne des entreprises. FO a rappelé que la suppression des conséquences des conflits ne permettait pas de traiter leurs causes. Pas plus que les textes adoptés sous la précédente législature, celui-ci ne permettra de mieux réguler les conflits, ni d'enrichir la négociation, encore moins de mieux articuler démocratie sociale et démocratie politique.

En 2007, vous avez voté un texte renvoyant à la négociation collective, avant l’intervention du Parlement, les réformes du droit du travail. Ce principe, largement inappliqué, est foulé aux pieds par ce texte, dont les articles 2, 5 et 6 modifient les articles du code du travail relatifs au droit de grève.

Autre exemple de votre vision singulière du dialogue social : en 2004, M. Fillon, alors ministre du travail, balayait le principe de faveur et permettait à un accord d'entreprise de déroger, dans un sens moins favorable aux salariés, aux accords de branche, voire au code du travail. Toujours dans le but de réduire la conflictualité au sein des entreprises, le même ministre privilégiait le droit d'opposition majoritaire par rapport à la majorité d'engagement.

Manifestement, nous ne nous entendons pas sur ce que signifie « modernisation du dialogue social », et nous craignons que cet objectif ne serve à nouveau à habiller un texte dont l'unique objet est d'étouffer la contestation sociale.

Si votre souhait était véritablement de favoriser un « dialogue social maximum », vous vous seriez attachés à la qualité de ce dernier. Vous auriez garanti le respect par l'employeur de son obligation de négocier. Vous auriez créé un lieu de concertation et de dialogue entre autorités organisatrices et syndicats de salariés. Vous auriez renforcé les droits de ces derniers dans l'exercice de leurs fonctions syndicales. Enfin, vous auriez évité de pervertir la nature du préavis ; dans une note publiée en 2006 par la revue Droit social, Emmanuel Dockès rappelle que si, dans les services publics, le préavis est un temps laissé à l'employeur pour proposer des mesures d'apaisement, il ne s'agit nullement d'un temps qui lui est laissé pour réduire le préjudice d'une grève. Or, la superposition des préavis vise à faire gagner du temps, et non à nouer un vrai dialogue.

Au lieu d'inciter au dialogue au niveau de la branche, et sans même avoir dressé le bilan des accords signés à la RATP et à la SNCF pour améliorer la concertation, vous imposez autoritairement aux 15 000 entreprises de transport de notre pays la création d'un dispositif de prévention des conflits – obligation par ailleurs enserrée dans un délai irréaliste de quatre mois, qui obère les chances de réussite de la négociation et rend probable la fixation unilatérale des règles par le Gouvernement dans un grand nombre d'entreprises. Comble de l'absurde, l'article 2 conduit à remettre en cause les dispositifs d'alarme sociale de la SNCF et de la RATP. Il ne s’agit en vérité que de manœuvres politiciennes pour vous permettre d’atteindre votre unique objectif : faire reculer le droit de grève.

La France se distinguerait, selon vous, par sa « gréviculture ». Or, les grèves ne représentent que 2 % des perturbations du service de transport ferroviaire de voyageurs. Le nombre de jours de grève n'a cessé de décroître ces dernières années, et les organisations syndicales ont œuvré à une meilleure prévention des conflits. Ainsi, la SNCF ne comptabilise plus aujourd’hui que 0,4 jour de grève par agent et par an, contre 0,8 dans le privé ; à la RATP, ce chiffre est de 0,13. Ces éléments attestent votre mauvaise foi.

Vous saisissez l'occasion pour discréditer les cheminots et les agents de la RATP, supposés « privilégiés », pour mieux les opposer aux salariés du privé, « pris en otages ». Vous limitez leur possibilité de recourir à la grève, fût-ce, comme c'est le plus souvent le cas, pour l’amélioration du service public. D’après la rapporteure de la commission spéciale du Sénat, il s'agit d'éviter que des agents de la SNCF ou de la RATP s'engagent dans une grève pour des motifs qui ne les concernent pas directement : une grève interprofessionnelle sur le pouvoir d'achat ou une grève de solidarité du type de celles qui ont eu lieu sur le CPE, par exemple. Et demain, vous étendrez le service minimum à tous les modes de transport, à d'autres services publics même. En commission, nos collègues de l’UMP ont d’ailleurs présenté des amendements pour que le texte aille encore plus loin.

En écho aux déclarations de M. Sarkozy devant le MEDEF, en août 2006, contre « la dictature de certaines minorités », ce texte vise à détourner l'attention des usagers, pour que leur colère légitime eu égard à la dégradation du service public ne se retourne contre les vrais responsables ! Les enquêtes de satisfaction menées auprès des usagers montrent que ce n’est pas la grève qui figure en tête de leurs préoccupations, mais l’amélioration de la qualité du service public : la ponctualité, les horaires, l'information en cas de perturbation, la propreté...

La déréglementation du service public des transports s'est traduite par la multiplication des défaillances – comme l'incendie de ce week-end sur la ligne 13 –, la suppression de dessertes et la fermeture de gares, la généralisation du travail précaire et des suppressions d'emploi massives, l'extension de la sous-traitance. Ce sont 98 % des dysfonctionnement dans les transports qui trouvent là leur cause directe.

Réseau ferré de France, qui croule sous les dettes, n'a plus les moyens d'entretenir les voies ferrées ; pour éviter les déraillements, la vitesse est limitée sur certains tronçons, à dix kilomètres-heure parfois ! La SNCF, quant à elle, économise sur tout et a supprimé 16 000 emplois depuis 2002. La qualité des trains et du service ne cesse de se dégrader.

Nous avons compris, malgré vos dénégations, que l'essentiel de ce texte résidait dans sa seconde partie, et que le service minimum était pour vous un prétexte pour restreindre le droit de grève. Si le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse pondérer ce droit par d'autres principes à valeur constitutionnelle, tels que la continuité du service public, il appréciera la disproportion entre l’atteinte que représente cette loi et l'hypothétique amélioration de la prévisibilité du service.

Plusieurs dispositifs phares de ce projet nous paraissent inacceptables, à l’instar de la déclaration individuelle de grève, et de ses sanctions, ou de la consultation des salariés sur la poursuite de la grève. Suite à l'arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2006, rappelant qu'« il ne peut être imposé à un salarié d'indiquer à son employeur son intention de participer à une grève avant le déclenchement de celle-ci », une réaction législative était à craindre ; c'est chose faite aujourd'hui ! En permettant qu'une sanction disciplinaire puisse être prononcée à l'encontre d'un salarié n'ayant pas informé son employeur, vous introduisez le pouvoir hiérarchique de l'employeur dans le droit de grève, qui normalement y échappe. Et vous en rajoutez dans la provocation en rappelant le non-paiement des jours de grève et en rendant nul tout accord de fin de conflit qui prévoirait des compensations.

Tout au long du débat, nous dénoncerons la perversité de votre démarche, son caractère démagogique et irrespectueux des relations sociales, et nous proposerons d'autres choix, qui répondent aux exigences de démocratie sociale, comme aux préoccupations quotidiennes des usagers, et respectent les droits de l'ensemble du monde du travail (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Christian Blanc – Il n'existe que deux pays où le droit de grève soit inscrit dans la Constitution : la France et la Suède. En Suède, le service minimum dans les transports est organisé par convention établie avec des syndicats puissants et peu nombreux, garants de l'accord.

En France, le Préambule de la Constitution de 1946 dispose que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Ce n'est qu'en 1979 que le Conseil constitutionnel a affirmé la valeur constitutionnelle du principe de continuité du service public. En l'absence de législation sur le droit de grève, la jurisprudence a le plus souvent favorisé celui-ci dans les cas où il pouvait entrer en conflit avec le principe de continuité.

Aucun gouvernement n'a proposé au Parlement de confirmer l'exigence d’un encadrement du droit de grève, contenue dans le Préambule. C'est ce que vous faites aujourd'hui, Monsieur le ministre, de façon mesurée et équilibrée, pour favoriser la continuité du service sans réduire pour autant l'exercice d’un droit constitutionnel. Le projet de loi n'est pas une atteinte au droit de grève, sauf à estimer que l'application de la Constitution, soixante ans après sa promulgation, le serait !

Seule la loi peut ouvrir la voie à la réglementation de ce droit. Ni le pouvoir réglementaire, ni la négociation collective, ne peuvent intervenir sans que la loi l'ait préalablement prévu et encadré. Un accord qui soumettrait l'exercice du droit de grève à des restrictions ou à des conditions de procédure serait, en l'absence d’une autorisation législative, contraire à l'ordre constitutionnel. Si le législateur le décide, la négociation collective peut trouver une place dans ce domaine ; mais c’est lui qui doit intervenir le premier et fixer les principes.

M. Pierre-Christophe Baguet – Très bien !

M. Marc Dolez – Mais pas n’importe comment !

M. Christian Blanc – Jusqu’à ce jour, même un accord entre l’ensemble des organisations syndicales – situation théorique – et une entreprise de transport public qui restreindrait, fût-ce partiellement, l’exercice du droit de grève, n’aurait aucune validité.

D'autre part, toute réglementation du droit de grève est tenue de satisfaire une puissante exigence de proportionnalité, la restriction apportée à ce droit devant être effectivement susceptible de préserver la continuité du service. La pondération dans la mise en cause du droit de grève, ainsi que le souci d'adapter la réglementation aux réalités environnantes – lieu, état des rapports sociaux au moment considéré, état des techniques –, conditionnent ainsi la conformité du système aux principes constitutionnels. On pourrait estimer que le service minimum doit par exemple s'appliquer à 100 %, trois heures le matin et trois heures en début de soirée, pour se rendre sur son lieu de travail et en revenir. C'est le juge constitutionnel, et lui seul, qui apprécierait par rapport à un service quotidien normal de 19 heures, et en fonction du trafic tout au long de la journée, le respect de l'exigence de proportionnalité.

Enfin, le principe de la libre administration des collectivités territoriales est aujourd'hui appelé, lui aussi, à être intégré à la conciliation qu'exige la Constitution. La décentralisation nécessite qu'une part importante du pouvoir d'aménagement du droit de grève soit exercée par les autorités locales en vertu de la loi. Ainsi, selon les termes du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, la loi est indispensable pour régir au plan national le fonctionnement des services de transports locaux, même si la mesure concernée ne met aucunement en cause le droit de grève. La contrainte résulte en l’espèce du fait que les transports publics de personnes sont en grande partie des transports locaux et que l'organisation des services publics locaux relève par principe du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Mais il est loisible au législateur, et à lui seul, de statuer sur une question relevant en valeur absolue de l'échelon local. De même, il lui revient exclusivement de permettre qu'une telle question soit réglementée – ou, le cas échéant, conventionnellement élaborée – par d'autres que lui.

En ce qui concerne le renvoi à des accords collectifs, le législateur est, selon une décision du Conseil constitutionnel du 29 avril 2004, dans l'obligation d'exercer pleinement les pouvoirs que lui confie la Constitution ; il lui est donc interdit de déléguer ou d'abandonner à d'autres ses compétences normatives. Ainsi, la place potentiellement laissée à l'accord collectif pour compléter les dispositions de la loi n'est pas illimitée.

Qu’en est-il du projet du point de vue des compétences et des limites fixées par la Constitution et de la jurisprudence ? Le texte comporte deux dispositifs : l'un concerne la prévention du conflit, en amont ; l'autre organise, en aval, le service public en cas de grève. En ce qui concerne le premier objectif, le projet de loi pose le principe d'une négociation obligatoire dans les entreprises de transports publics, qui doit aboutir avant le 1er janvier 2008 à la signature d'un accord-cadre ; celui-ci fixe une procédure de prévention des conflits qui prévoit une négociation préalable à organiser avant le dépôt de tout préavis de grève.

Pour atteindre le deuxième objectif, le projet de loi prévoit plusieurs principes d'organisation du service des transports publics en cas de grève : définition d’une priorité de desserte et de besoins essentiels par les sociétés organisatrices de transports, c'est-à-dire par les collectivités locales, responsables de l'organisation des transports publics ; mise en place de procédures qui permettront aux entreprises de transports d’anticiper les moyens en personnel dont elles vont disposer pendant la grève ; possibilité d'organiser une consultation indicative sur la poursuite de la grève au bout de huit jours ; renforcement des droits des usagers en matière d'information sur le service pendant la grève.

Le texte ne retient donc pas une définition uniforme du service minimum, qui rendrait par exemple obligatoire un service normal entre 6 h et 9 h et entre 17 h et 20 h, sur l’ensemble du territoire national. En outre, en prévoyant que, une fois consultés les représentants des usagers, les autorités organisatrices définissent des priorités de desserte, qui concernent essentiellement les déplacements quotidiens de la population, le texte renvoie à une définition de la meilleure continuité du service public, dans le respect des principes indiqués, par les autorités à même de prendre en considération les spécificités et les réalités locales.

Il s’agit par conséquent d’un texte de responsabilisation des différents acteurs du service public des transports : les autorités organisatrices, qui sont essentiellement des collectivités locales représentant les citoyens ; les entreprises de transport, qui sont responsables de la meilleure gestion au meilleur coût du service et arrêtent le plan de transport décidé par l'autorité organisatrice ; les organisations syndicales représentant les salariés, qui négocient la procédure de prévention des conflits ; les organisations d'usagers, jusqu'ici assez peu sollicitées, et qui seront désormais consultées par l'autorité organisatrice avant la définition des priorités de desserte.

De même, aucune des deux dispositions débattues au sein de la commission spéciale qui s’est réunie la semaine dernière – d'une part, la déclaration préalable par laquelle un salarié informe l'entreprise de ses intentions 48 heures avant le début de la grève, et qui permet à l'entreprise d'organiser le service le meilleur, car le plus prévisible ;…

M. Alain Néri – Et de faire pression sur ses salariés !

M. Christian Blanc – …d'autre part, la consultation indicative pouvant être organisée à la demande des entreprises ou des syndicats au bout de 8 jours de grève – ne constitue une restriction à l'exercice individuel du droit de grève (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). J'attends et j’appelle de mes vœux les recours qui seront déposés devant le Conseil constitutionnel à ce sujet et dont les résultats montreront que la stricte application de notre Constitution rend possibles ces dispositions, apportant ainsi l’apaisement dont nous avons besoin.

M. Alain Néri – Ne soyez pas si sûr de vous si tôt, de peur de vous tromper !

M. Christian Blanc – J’en prends le risque !

Permettez-moi, pour terminer, de faire état de quelques considérations politiques. Depuis vingt ans, la société française a beaucoup évolué : les usagers des services publics de transports sont devenus des clients, qui attendent de ces services la même qualité que celle qu’ils exigent des entreprises privées, entre lesquelles ils ont pris l'habitude de choisir. En outre, le fait qu'ils financent ces entreprises par l’impôt ne fait que renforcer leurs exigences.

Ainsi, les excès du droit de grève sont de moins en moins bien supportés. Les sentiments de dépendance et d'incertitude face aux incidents et à la mauvaise information entraînent des critiques souvent vives envers les entreprises de transports publics. Des mouvements de grève dont les motifs semblent peu transparents ou égoïstes entraînent un sentiment de frustration et, souvent, de colère. Il semble depuis longtemps évident à une population de mieux en mieux informée que la grève, loin de constituer l'arme ultime des syndicats, résulte fréquemment de corporatismes attachés à des intérêts catégoriels dont la force de négociation provient de leur capacité de nuisance collective (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Cela explique la lassitude d’une opinion publique qui, depuis vingt ans, souhaite à 75 % une réglementation du droit de grève dans les transports ; cela explique également la quinzaine de propositions de lois déposées en quinze ans et qui se sont heurtées au mutisme des gouvernements successifs. Lors des campagnes présidentielles de 2002 et 2007, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont du reste contracté des engagements à ce sujet.

Dans une telle situation, et étant donné ces engagements, le Président de la République aurait pu, en début de mandat, comme l’ont fait en leur temps Margaret Thatcher, Ronald Reagan ou le général de Gaulle, établir un rapport de force sur cette question symbolique, assuré du soutien de l'opinion publique. Il eût en effet été aisé d'expliquer que, dans de nombreux pays européens, il est interdit, au nom de l’intérêt général, aux agents des services publics de faire grève – c’est le cas, en Allemagne, des cheminots et des postiers – ou que le droit de grève y est limité par des conventions collectives très restrictives. Mais le Président et le Gouvernement ont préféré, d'une part, compléter le dispositif constitutionnel grâce à une loi favorisant la continuité du service public en amont et en aval de l'exercice du droit de grève, et, d'autre part, faire preuve d'ouverture et de confiance en modernisant la culture des rapports sociaux.

Ainsi, un rôle majeur est confié aux autorités organisatrices, c'est-à-dire aux collectivités locales ; les décisions seront donc prises au plus près des citoyens et sous leur contrôle. En outre, une main est tendue aux organismes syndicaux qui comprennent la nécessité de participer aux transformations de la société, ce qui renforcera assurément leur représentativité au sein des salariés, lesquels sont également des citoyens et des clients des transports publics.

Enfin, le texte témoigne d’une modification du rapport au temps, qu’appelle la nécessité de sortir de l'immobilisme qui affecte la France depuis de longues années. Ce sont non seulement les organisations sociales, mais aussi les forces politiques qui n'ont pas suffisamment pris en considération la rapidité des transformations du monde dans lequel nous vivons. Ainsi entend-on dire qu'il ne sera pas facile de mettre en place avant le 31 décembre 2007 l'accord-cadre sur la négociation préalable au début du préavis de grève, les priorités de desserte et le plan de transport ; mais, en réalité, chacun des grands acteurs du service public a déjà réfléchi de manière suffisamment précise pour être désormais en mesure d’agir. C'est une question de volonté politique et d'organisation. Je suis du reste convaincu que les citoyens appelés à se prononcer lors des élections locales au printemps 2008 seront très attentifs aux résultats de ces travaux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Pour toutes ces raisons, Monsieur le ministre, j’adhère à votre projet, que mon groupe votera (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. Yanick Paternotte – Ce projet de loi phare résulte tout d’abord logiquement du programme présenté par le candidat Nicolas Sarkozy et ratifié par le peuple de France le 6 mai 2007 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Philippe Vitel – Très bien !

M. Yanick Paternotte – Il répond en outre à une puissante attente des Français, qui souhaitent, dans leur grande majorité – plus de 70 % –, un service minimum – sans doute 100 % d’entre eux voudraient-ils un service maximum tous les jours ! Les grèves paralysantes dans les services publics de transport constituent en effet une exception française – souvenons-nous en particulier des grèves de 1995…

M. Alain Néri – Demandez-en donc la raison à Alain Juppé !

M. Yanick Paternotte – …et de celles du printemps 2003 – qui a généré un ralentissement général de l'activité économique de notre pays et en a affecté l'image, donc l'attractivité. Chez nos voisins allemands, la grève la plus longue ayant touché les transports urbains depuis 1992 a duré trois quarts d’heure ! Trois quarts d’heure en quinze ans !

M. Roland Muzeau – Et alors ?

M. Yanick Paternotte – Or, cette situation ne satisfait personne : ni les entreprises, la SNCF ayant perdu 250 millions à cause des grèves du printemps 2003 ; ni les usagers, dont près de 80 % sont favorables à l'instauration d'un service minimum ; ni l'État, lui aussi perdant en matière de sécurité et d’image des institutions républicaines ; ni les syndicats, car leurs revendications n’aboutissent rarement à l'issue des grèves alors que les pertes de salaire sont substantielles, ce qui ternit leur image.

Au plan environnemental, la paralysie des transports se traduit également par des records de pollution atmosphérique dans les villes. Enfin, ces grèves frappent essentiellement les plus faibles, pris en otage…

M. Roland Muzeau – Ce terme est insupportable !

M. Yanick Paternotte – …parce qu’ils ne disposent pas d’un autre mode de transport… Ce sont des couples modestes, travaillant dur et se levant tôt, qui sont les premières victimes des interruptions dans le service public de transport. Au nom du droit de grève, une minorité foule aux pieds le droit au travail de l'immense majorité de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Pour ces raisons, le groupe UMP de l'Assemblée Nationale se réjouit que notre assemblée ait été saisie – en urgence – de ce projet de loi relatif au dialogue social et à la continuité du service public de transport. Fallait-il une loi pour instaurer le service garanti ? Notre collègue Christian Blanc s’interrogeait tout à l’heure… Sans hésiter, ma réponse est « oui », car seule la loi peut organiser l'exercice du droit de grève : aux termes du préambule de la Constitution, le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.

Au nom du groupe UMP, je félicite Hervé Mariton et Jacques Kossowski pour la qualité et la clarté des débats menés au sein de la commission spéciale. Saluons en particulier l’initiative du président Mariton, qui a souhaité auditionner publiquement tous les acteurs concernés par ce projet de loi. On peut tout de même regretter que le calendrier de nos travaux ne nous ait pas permis de suivre la totalité des auditions : nul ne peut siéger en même temps au sein de deux commissions, tout en tenant sa place dans les « fauteuils rouges » de la salle des séances – selon l’expression du président Accoyer… (Sourires)

Le groupe UMP aborde ce débat avec conviction et sérénité, car l’objectif de ce texte n'est pas de remettre en cause le droit de grève (« Si ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine), mais de le concilier avec la continuité du service public et le droit au travail. Notre volonté politique et notre engagement moral doivent être de trouver un juste équilibre entre droit de grève et droit au travail.

Comme l’indiquait Robert Lecou dans son rapport de décembre 2003, l'instauration d'un service minimum touche à cinq principes de valeur constitutionnelle : le droit de grève, consacré dès 1864 et réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1946 ; la continuité des services publics, reconnue par le Conseil constitutionnel ; le principe de la sécurité des biens et des personnes, énoncé à l’article 5 de la Constitution ; le droit au travail et la liberté d'aller et venir ; le principe de la libre administration des collectivités locales, qui figure à l’article 72 de la Constitution de 1958.

C’est pourquoi nous soutenons l'objectif d'un accord-cadre avant le 1er janvier 2008 dans toutes les entreprises de transport public, et nous exigeons l'organisation d'un service minimum en cas de grève ou d’autre perturbation prévisible du trafic. Cela suppose naturellement que les salariés déclarent leur intention de participer, ou non, au mouvement social, au plus tard quarante-huit heures avant son commencement.

M. Roland Muzeau – Non, ce n’est pas normal !

M. Yanick Paternotte – Le droit de grève étant constitutionnellement reconnu, je peine à comprendre : il n'y a pas de honte à se déclarer gréviste !

Nous défendons également le principe du non-paiement des jours de grève, qui correspondent effectivement à un service non fait (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Néri – Ce n’est pas une nouveauté !

M. Yanick Paternotte – Il nous semble aussi que la possibilité d'organiser une consultation à bulletins secrets au bout de huit jours de grève est une formidable avancée démocratique. Nous allons rétablir l’égalité de droit entre salariés syndiqués et non syndiqués !

M. Philippe Vitel – Tout à fait !

M. Yanick Paternotte – N'ayons pas peur de la démocratie et des votes à bulletins secrets ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Au niveau européen, tous les États membres reconnaissent le principe du droit de grève, même si la question n’entre pas dans le champ des compétences communautaires. Organisé dans quinze États sur vingt-sept, le service minimum n’existe pas là où le droit de grève est encadré, ou le dialogue social particulièrement vigoureux. Notre pays fait donc figure d’exception…

Dans ces conditions, nous devons donner la priorité au dialogue social, qui permet de limiter l’apparition des conflits. La grève constituant un échec du dialogue social, les partenaires sociaux doivent rechercher les moyens de rendre les conflits moins nombreux en répondant à l'aspiration des salariés et en observant une procédure d'anticipation des conflits… Je viens de vous lire, chers collègues, l'article 15 du protocole en vigueur à la RATP !

Permettez-moi de revenir également sur l'audition du directeur de la régie des transports de Marseille, très éloquent sur le dévoiement des procédures et sur certaines traditions syndicales locales : le préavis de grève, nous a-t-il indiqué, est trop souvent utilisé comme une demande de dialogue social, alors qu’un courrier, un mail ou un coup de téléphone devraient suffire pour obtenir un rendez-vous avec la direction…

M. Alain Néri – C’est loin d’être partout le cas !

M. Yanick Paternotte – Dans une démocratie moderne, la culture du dialogue doit remplacer celle du blocage et des menaces. C’est d’ailleurs l'intérêt des syndicats s'ils veulent retrouver audience, crédibilité et représentativité !

M. Roland Muzeau – Ils n’en manquent pas aujourd’hui !

M. Yanick Paternotte – Mais nous défendons avant tout l'intérêt des usagers, ou plutôt des clients « otages », qui ont un droit légitime à une information préalable et gratuite. La suppression intempestive d'un bus ou d'un train est bien sûr une atteinte au droit du travail et au droit de circuler, mais également une atteinte humaine et sociale insupportable.

Vue de Bruxelles, la France est, selon le rapport de Robert Lecou, l’un des pays où les droits de l'usager sont les moins protégés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) en raison d'un droit de grève largement défini, d’une continuité très partielle des services publics et d’un dialogue social limité. Alors que le taux de syndicalisation ne dépasse pas 8 %, la culture étatique et centralisée de notre pays tend historiquement à limiter le recours à la voie contractuelle. La médiation, la conciliation et l'arbitrage sont des procédés moins fréquents en France que dans les autres pays industrialisés et démocratiques.

Il en résulte une forte conflictualité des rapports sociaux dans les services publics, où le nombre de grèves et leur caractère paralysant suscitent la frustration de toutes les parties concernées. Ce projet de loi entend y remédier.

Dans ma circonscription de l'Est du Val-d'Oise, par exemple, les lycéens et les étudiants ne peuvent plus exercer leur droit à l'éducation lorsque plusieurs trains consécutifs sont supprimés sur la ligne D du RER ; les travailleurs les plus défavorisés sont pris en otage, faute de solution de remplacement… Quand un train arrive enfin, il est si bondé que l'immense majorité des usagers doit rester à quai ! Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Il était urgent de rompre avec ce sentiment de fatalité. Tel est l’esprit de ce projet de loi qui vise à fortifier le dialogue social en vue de prévenir les conflits. Aussi, Monsieur le ministre, pourrez-vous compter sur l'entier soutien du groupe UMP (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Marc Dolez – Le texte qui nous est présenté est de pur affichage. Vous évoquez le dialogue social, mais bien des obstacles empêcheront son succès, notamment le délai très court prévu pour la signature de l’accord-cadre. Vous avez d’ailleurs indiqué, sans attendre, la voie de sortie : c’est un décret en conseil des ministres qui fixera les règles de négociation, et c’est le représentant de l’État qui établira le plan de transport tandis que l’employeur définira seul le plan de prévisibilité.

En matière de continuité du service, vous vous contentez également de mesures d’affichage, puisque vous laissez de côté les principaux facteurs de discontinuité : la dégradation du service à cause des défaillances du matériel, mais aussi des insuffisances en moyens humains, financiers et en infrastructures. Ce texte ne satisfait pas les attentes légitimes des usagers, qui souhaitent un service de qualité au quotidien. Il faut garantir la continuité du service chaque jour, au lieu de se préoccuper des 2 % de perturbations dues aux mouvements sociaux !

En ce qui concerne le service minimum, vous faites aussi de l’affichage : il est abusif de faire croire que les entreprises de transport pourront fonctionner à plein régime sans remettre en cause l’exercice du droit de grève. En faisant référence aux différents niveaux de service en fonction de l’importance de la perturbation vous démontrez, au demeurant, que le service effectif dépendra seulement des personnels qui pourront être mobilisés. Si la grève est très réussie, vous savez très bien qu’il n’y aura pas de service du tout !

C’est d’ailleurs pour cette raison que ce texte vise surtout à dissuader les grévistes potentiels (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Derrière votre rideau de fumée, se cache une attaque en règle contre le droit de grève.

M. Guy Geoffroy – Mais non !

M. Marc Dolez – Vous n’allez pas jusqu’à évoquer la réquisition ou l’interdiction, mais l’envie ne manque pas à certains membres de la majorité, si j’en juge par l’intervention précédente…

Ce texte de contrainte et de dissuasion vise à retirer toute consistance au droit de grève. Plusieurs dispositions ont pour seul but d’isoler les grévistes et de rendre plus difficile l’exercice du droit de grève. Le mécanisme de notification et de négociation préalable ne fera ainsi qu’allonger la durée du préavis, tout comme l’article 3, qui interdit les préavis glissants. Avec l’obligation de déclaration, assortie de sanctions disciplinaires, vous allez réinstaurer un préavis individuel. C’est inadmissible, car si le droit de grève est individuel, le préavis est précisément de nature collective afin de protéger les salariés !

Il en résultera un durcissement des relations sociales dans les petites entreprises, et une pression accrue sur les salariés. En indiquant qu’il veillera à ce que les entreprises ne détournent pas le préavis pour faire pression sur les salariés, le ministre a reconnu que le risque existe bien !

De même, faire organiser par l’entreprise la consultation sur la poursuite de la grève, comme le demandait depuis longtemps le patronat, ne vise qu’à intimider et à diviser les salariés.

M. Alain Néri – Intimidation, c’est le mot !

M. Marc Dolez – Ces mesures sont-elles constitutionnelles ? Le Conseil en jugera. Mais nous avons la conviction qu’elles sont contraires à la convention 516 de l’OIT que la France a signée.

M. Alain Néri – Très bien !

M. Marc Dolez – Mieux vaudrait le reconnaître : ce texte est avant tout une attaque frontale contre le droit de grève. Mais quelles sont vos intentions véritables ? Est-ce le prélude à un réexamen global de l’exercice du droit de grève, à l’extension de ces dispositions à l’ensemble du secteur public ? Les déclarations du Premier ministre il y a quelques jours, celles du porte-parole du Gouvernement, les démangeaisons – le mot est faible – qui assaillent la majorité conduisent à s’interroger.

Du moins avez-vous de la suite dans les idées. Compte tenu du précèdent de 1995, mieux vaut certainement pour vous limiter le droit de grève dans les transports avant de nous faire débattre dans quelque temps de projets qui porteront des coups décisifs au droit du travail, à savoir le contrat de travail unique et l’attaque contre les régimes spéciaux de retraite. Mais j’ai la conviction qu’à l’issue de nos débats, ni les Français ni les salariés ne seront plus dupes des intentions du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Yves Cochet – Ce projet ne porte pas sur le dialogue social ni sur la continuité du service public. C’est un test de la résistance des syndicats et de l’opposition face à des attaques délibérées contre le droit de grève.

Si vous aviez vraiment voulu, en début de législature, résoudre les principaux problèmes qui se posent dans les transports, ce n’est certainement pas ainsi que vous auriez procédé.

Le premier de ces problèmes est celui causé par le sous-investissement, la sous-traitance de l’entretien, le recours croissant à l’intérim et les suppressions de postes. En 2006, à la SNCF, endettée de 40 milliards, 146 mouvements sociaux ont entraîné des retards. C’est sans commune mesure avec les 6 043 incidents causés par des défaillances de matériel. On met donc l’accent sur ce qui est le moins important.

Un autre problème est l’abandon des petites gares : en Ardèche il n’y a plus une seule gare de voyageurs desservie par le train !

Ensuite, les transports publics sont trop chers. Un aller-retour Paris-Mantes-la-Jolie coûte 17,40 euros. C’est une incitation à prendre la voiture ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) Agir, ce serait faire baisser les coûts. Mais ce n’est pas de ce problème que vous avez choisi de vous occuper... Et ces transports sont trop peu nombreux, trop centrés sur les centres-villes. Ils devraient circuler à une cadence plus rapprochée, et plus tard : pour rentrer de Paris à Mantes-la-Jolie, le dernier train est à 23 heures 55.

Enfin, le problème de fond – mais nous parlons d’une action de réforme sur cinq ans – est l’étalement urbain, qui allonge les déplacements. Entre 1950 et 1990, la mobilité quotidienne de chacun est passé de 10 km à 40 km en moyenne. On comprend les frustrations qui en découlent.

Bref, ce projet est un test visant à intimider les salariés, et c’est particulièrement le cas des dispositions du paragraphe II de l’article 5 et du paragraphe II de l’article 6. C’est sans doute, on l’a dit, un ballon d’essai. Mais ce n’est pas en stigmatisant les grévistes qu’on obtiendra de meilleurs services publics, c’est en apportant des solutions aux problèmes que je viens de mentionner. Ce texte n’en fait rien. C’est pourquoi nous nous y opposerons (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Patrick Ollier – Comment éviter que la grève ait des conséquences sur la vie de ceux qui ne sont pas concernés par son organisation ? Comment concilier l'exercice du droit de grève, inscrit dans la Constitution, avec la continuité du service public, lui aussi inscrit dans la Constitution ? C'est pour répondre à ces questions que j’ai été conduit, avec la commission des affaires économiques et avec Gilles de Robien, alors ministre des transports, à mettre en place le 9 décembre 2003 un mécanisme de discussion avec les partenaires sociaux afin de mettre en place pour juin 2005 un service « garanti ».

Je pensais en effet qu'un accord négocié serait plus efficace qu'une loi contraignante. Et, comme Jacques Kossowski et d’autres avaient déposé en 2002 une proposition de loi, nous avions alors convenu avec le ministre des transports que si la discussion n’aboutissait pas dans les transports publics, cette proposition serait votée.

En novembre 2004, devant la commission des affaires économiques, Gilles de Robien pouvait faire état d'un premier progrès avec l'accord du 28 octobre 2004 sur l'amélioration du dialogue social et la prévention des conflits à la SNCF, approuvé par sept des neuf organisations syndicales, représentant 80 % du personnel. Puis, en juin 2005, par un avenant sur le service garanti en Île-de-France, la RATP s'engageait à assurer, les jours de grèves, 50 % du trafic et la SNCF 33 %, sous peine de pénalités financières. Nous avons alors cru que dans la foulée, un accord national serait signé.

On peut également citer une expérience intéressante, lancée le 10 juillet 2005 dans le cadre d'un accord entre la région Alsace et la SNCF pour la mise en place, à partir de décembre 2005, d'un niveau de service garanti dans les TER en cas de grève. Les négociations se sont donc poursuivies, notamment avec l'Union des transports publics – UTP – sous l'œil bienveillant du Groupement des autorités responsables des transports – GART – afin de s'orienter vers l'accord national.

Le 12 juillet 2005, Dominique Perben, ministre des transports, est venu rendre compte devant la Commission ; le 15 mars 2006, encore, il nous entretenait d’un déblocage possible, qui permettrait de signer cet accord national. Le 4 juillet 2006, il est venu une dernière fois rendre compte de l'évolution des discussions, et c'est alors qu'a été signée avec le GART et l'UTP, une association d'usagers, la SNCF, la RATP et deux syndicats, une charte pour une prévisibilité du service public de transports. Lorsque le comité de suivi de cette charte a été mis en place le 25 septembre dernier, je croyais sincèrement que l’accord national allait être signé, et je suis le premier à regretter que, malgré tout ce travail de dialogue social et de concertation, il n’ait pas pu l’être.

M. Alain Vidalies – Dites-nous pourquoi il a échoué !

M. Patrick Ollier – Je suis très choqué de voir que leS syndicats n’ont pas saisi l’occasion qu’offraient ces discussions qui ont duré plus de deux ans. La concertation a alors été poussée à son paroxysme. Vous pouvez vous appuyer sur ce travail, Monsieur le ministre, mais il n’a pas abouti car, malheureusement, certains syndicats n’ont pas voulu signer l’accord. La charte ne l’a été que par deux d’entre eux (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Alain Vidalies – C’est faux ! C’est l’UTP qui n’a pas voulu !

M. Patrick Ollier – Pour me placer sur le terrain économique, maintenant, vous disiez, monsieur Vidalies, qu’on ne perdait qu’un faible pourcentage de jours de travail chaque année à cause des grèves. Mais parlons plutôt de leur coût : en tant qu’administrateur de la SNCF, je peux vous dire qu’elles ont coûté à la collectivité 247 millions en 2003, 40 millions en 2004, 102 millions en 2005 et 70 millions en 2006. En outre, des dizaines de milliers de salariés non concernés ont été pris en otages (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Roland Muzeau – Ça commence à suffire !

M. Patrick Ollier – Nous sommes sincères dans nos intentions, nous n’avons jamais voulu porter atteinte au droit de grève ! Mais tous nos voisins européens – Italie, Allemagne, Espagne, Portugal, Royaume-Uni – ont un système de gestion des grèves pour préserver la continuité du service public de transport ; faudrait-il que nous demeurions les seuls à ne pas en avoir ?

M. Roland Muzeau – Pourquoi pas ?

M. Patrick Ollier – Après deux ans et demi de discussions auxquelles vous avez vous-même contribué ces dernières semaines, Monsieur le ministre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), vous avez eu raison de déposer ce texte : on ne peut pas indéfiniment nous dire qu’on va finir par aboutir, et finalement toujours trouver une bonne raison de ne pas signer ! Le Parlement avait bien indiqué par ma bouche que, si le dialogue n’aboutissait pas, il faudrait adopter une loi. Je me réjouis donc de vous voir en charge de ce dossier, et je voterai votre projet.

Je sais gré à la commission de l’avoir remis dans son état initial, appuyé sur ces deux ans et demi de discussion que je ne veux pas qu’on oublie. En effet, la concertation doit se poursuivre dans les transports maritimes et aériens comme dans les autres services publics. S’agissant des transports terrestres de passagers, il nous faut, après tant de temps passé à discuter sans aboutir à un accord national, voter avec enthousiasme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) le texte que nous propose le Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Maxime Bono – Ce texte est-il vraiment si urgent, si désiré par les autorités organisatrices de transport, par les professionnels et par les usagers ?

Vous nous dites, sondages à l’appui, qu’il serait très attendu des Français. Mais tentons de voir ce qu’ils attendent, ce que contient ce texte et ce qu'il ne contient pas, et peut-être apparaîtra alors la vraie raison de votre précipitation ! Car, tel un train, un discours peut en cacher un autre…

L’opinion publique se prononce en fait sur tout autre chose. Vous avez réussi à lui faire croire que ce texte instaurerait un service minimum substantiel, voire quasi complet aux heures de pointe les jours de grève – ce qui, vous le savez pourtant bien, est impossible. Vous savez fort bien également que les perturbations liées à des actions de grève sont marginales – un peu plus de 2 % – parmi l'ensemble de celles que les usagers ont à subir, bien plus souvent liées, en vérité, au mauvais état du réseau ou des matériels, et que le nombre de conflits est en baisse régulière. Autant dire – et nombreux sont ceux, au-delà des syndicats, qui vous l’ont signifié avec vigueur – que votre texte est dans bien des cas superflu, en général inapplicable et globalement inopportun.

M. Alain Néri – Et il sera inefficace !

M. Maxime Bono – Le premier volet relève pourtant d'une intention louable, l'incitation au dialogue social. Observons cependant que la voie contractuelle a porté ses fruits à la RATP et à la SNCF, et qu’une généralisation aurait sans doute été possible sans recours à la loi, au fil du renouvellement des conventions entre autorités organisatrices et entreprises. Or dès l'article 2, vous mettez en demeure les entreprises et les organisations syndicales d'aboutir avant le 1er janvier 2008 à la signature d'un accord-cadre sous peine de se voir fixer par décret en Conseil d'État les règles de la négociation préalable !

M. Alain Néri – C’est une véritable prise d’otages !

M. Maxime Bono – Les choses se compliquent encore avec l'article 4 qui, après avoir demandé aux autorités organisatrices de définir les dessertes prioritaires et les différents niveaux de service en fonction de l'importance de la perturbation, leur demande de surcroît d'intégrer dans les conventions déjà signées, toujours avant le 1er janvier 2008, les plans de transport adaptés et les plans d'information des usagers que les entreprises auront établis ! Là encore, on brandit la menace d’une intervention directe du représentant de l’État. Ce n'est ni très crédible, ni très respectueux des autorités organisatrices et des opérateurs de transport...

Tous les acteurs du transport public vous l'ont dit : la date du 1er janvier 2008 n'est pas réaliste, sauf peut-être pour la SNCF et la RATP. Prenons le cas des transports scolaires ou inter-urbains : les conflits sociaux y sont tout simplement inexistants ! Et lorsque l'on compte quarante à cinquante autorités organisatrices, une cinquantaine d'entreprises et quatre à cinq cents contrats, qui peut raisonnablement croire qu'il sera possible d'établir les bases d'un accord cadre, de définir les dessertes prioritaires, d'élaborer le plan de transport adapté et le plan d'information des usagers et de modifier les conventions en cours, le tout avant le 1er janvier 2008 ? De telles exigences traduisent pour le moins une méconnaissance profonde de la réalité de nos territoires !

Elles sont en fait la marque d’un texte à forte connotation idéologique, bien loin du pragmatisme que vous revendiquez et de ce que les Français espèrent : comment garantir un service minimum en matière de transport scolaire, quand tout est nécessairement prioritaire ? Comment garantir un service convenable à l'heure de pointe alors qu'il est par définition impossible de mobiliser l'ensemble des moyens ?

À vrai dire, chacun sait bien que seules les mesures d'alerte sociale et de prévention de conflit peuvent avoir une réelle efficacité. Pourquoi, dès lors, ce texte aussi inapplicable qu'inutilement provocateur ? Quel est le sens de l’article 9, sinon tenter de faire croire à l'opinion publique que l'on pourrait être gréviste et payé ? Et croyez-vous réellement à l'efficacité de la déclaration individuelle d'intention de grève ? Un salarié voulant conserver la liberté de faire grève ou non n'aura d'autre choix que de se déclarer systématiquement gréviste, au nom d’une sorte de « principe de précaution ».

Ne croyez-vous pas, en outre, comme les auditions l'ont démontré, que, lors des appels d'offres, bien des petites entreprises risquent d'être handicapées par leur difficulté à répondre aux impératifs des plans adaptés ? Et que celles qui sont plus grandes le feront a minima pour éviter les pénalités ?

Plutôt que de légiférer pour 2 % des causes de perturbation, mieux vaudrait consacrer plus de moyens aux investissements, qui ont beaucoup souffert de votre gestion ces dernières années. Les crédits affectés à notre réseau ferré sont très inférieurs aux besoins.

Alors, que reste-il dans ce texte qui corresponde réellement à ce que les Français attendent ? À l'évidence pas grand-chose ! Les organisations syndicales n’en veulent pas ; les associations d'usagers réclament surtout des moyens supplémentaires ; les petites entreprises demandent à en être dispensées, et les grandes redoutent des effets pervers ; les autorités organisatrices sont plus que réservées... Bref, ce texte ne répond en rien aux préoccupations des usagers quant à la continuité du service public, dont la dégradation tient surtout au manque d’investissement.

Il en restera donc une sorte de gesticulation dont la seule efficacité est médiatique. Il en restera aussi, je le crains, une tentative de dissuader l’exercice du droit de grève et de discréditer un service public abusivement présenté comme particulièrement sensible à l'appel à la grève, alors même qu’il ne s'y résout qu'en dernier ressort et de moins en moins souvent. Bref, il en restera une petite opération politicienne et un texte d’affichage bien éloigné des questions qui préoccupent légitimement les Français : la continuité du service public, la qualité du dialogue social et l'avenir de nos grandes infrastructures de transport.

M. le Ministre – Les usagers apprécieront !

M. Maxime Bono – Nous aurons l’occasion d’en reparler, tant ce texte est loin d’y répondre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Axel Poniatowski – Les Français sont profondément attachés au service public des transports en commun lorsqu'il trouve sa légitimité dans l'intérêt général au service de tous. Ce besoin, étant impérieux, relève de la puissance publique et doit être assuré de manière continue.

Pour se rendre à leur travail, nos concitoyens ont besoin de prévisibilité, de fiabilité et de qualité. Ce texte est donc le bienvenu. Élu de la grande banlieue parisienne, je souhaite attirer votre attention, Monsieur le ministre, sur le désarroi et l'exaspération de nos concitoyens vivant en banlieue, dont le sort est loin de s’améliorer. Nombre de mes administrés font la navette tous les jours entre l’agglomération de Cergy-Pontoise et Paris. Ils sont régulièrement victimes de dysfonctionnements indignes d'une société moderne et apaisée (Interruptions sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Bien sûr, ceux qui empruntent ponctuellement le TGV sont aussi gênés par les grèves – et ce n’est pas davantage acceptable. Mais cette gêne n’est pas du même ordre que pour ceux qui empruntent quotidiennement les transports en commun pour aller gagner leur vie.

L'article 4 du texte dispose « qu'il ne doit pas être porté, en cas de grève des salariés des entreprises de transport, une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, à la liberté du travail ». Tout le problème est de fixer le seuil au-delà duquel il y a disproportion.

Je considère qu'en cas de grève, le service minimum doit s'appliquer en priorité pour le service aux banlieues dans toutes les grandes métropoles de France. La seule RATP a transporté en 2006 2,86 milliards de voyageurs, soit 2 % de plus que l'année précédente.

Mme Annick Lepetit – Y a-t-il eu des grèves à la RATP l’année dernière ?

M. Axel Poniatowski – On nous explique qu'en cas de mouvements sociaux, un système de maillage permet de pallier le dysfonctionnement. C'est vrai, sauf quand le maillage en question est distendu. Dans les centres-villes, les moyens de remplacement existent. Mais plus on s'en éloigne, plus le maillage se relâche, et la plupart du temps, il n'existe aucun moyen de substitution. En période de grève, trouver d'autres moyens de transport relève donc de l'exploit, voire de l'illusion.

Plusieurs pistes peuvent être explorées pour améliorer la qualité du service fourni en temps de grève. D'abord, il faut que l'application du seuil contractuel de 50 % de service s'entende non pas dans sa globalité, mais ligne par ligne au sein de chaque réseau. Cette obligation d’assurer 50 % du trafic doit être correctement répartie sur la journée, afin de répondre aux pics de trafic des heures de pointe. L’adéquation entre l'offre et la demande de transport passe tout simplement par une offre mieux régulée.

Autre piste de réflexion, la polyvalence des conducteurs de rames. Sur les lignes de métro, les conducteurs sont dédiés à une ligne donnée. On pourrait imaginer que moyennant une formation, ils deviennent polyvalents.

L’amélioration de la qualité des dessertes des banlieues, surtout en temps de grève, est donc une priorité absolue.

M. Roland Muzeau – Pourquoi « surtout » ? C’est 2 % des cas !

M. Axel Poniatowski – C’est pour les usagers concernés une condition essentielle de l'amélioration de leurs conditions de vie, autrement plus importante que bien d’autres réformes. Et même s'il revient aux partenaires sociaux de négocier les modalités d'application de ce texte, il est de la responsabilité des politiques que le service public, dans sa version minimum, devienne une réalité. J’ose espérer qu’en 2007, les relations sociales dans notre pays ne seront plus fondées sur la prise en otage de la moitié de la population française ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Lequiller – Ce projet voulu par la Président de la République est emblématique à deux titres. D'une part, il concerne concrètement le quotidien et reçoit le soutien massif d'une immense majorité de Français.

Mme Annick Lepetit – Cela dépend de la façon dont la question est posée !

M. Pierre Lequiller – Député de la région parisienne, je pense aux millions d'habitants de la banlieue qui utilisent tous les jours train, bus ou métro pour aller travailler.

D'autre part, ce texte met notre pays en mesure de surmonter ses blocages, ce qui est essentiel dans une perspective européenne. La France donne certes l’image d’un pays qui respecte le droit de grève. Elle ne doit pas pour autant donner celle d’un pays où la grève peut paralyser la vie économique ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Je salue donc la mise en place d'un système de dialogue social préalable et d'un mécanisme de continuité du service et d'information des voyageurs. Nous mettrons ainsi fin à une exception française et irons dans le sens de l'harmonisation sociale européenne que beaucoup d’entre vous appellent de leurs vœux.

M. Roland Muzeau – Cela n’a rien à voir !

M. Pierre Lequiller – Sous la précédente législature, notre collègue Robert Lecou avait mis en évidence cette exception française dans son rapport intitulé « Le service minimum dans les services publics en Europe », présenté au nom de la délégation pour l'Union européenne.

M. Patrick Ollier – Excellent rapport !

M. Pierre Lequiller – La moitié des pays européens ont prévu des dispositions spécifiques sur la continuité du service. Ceux qui ne l'ont pas fait ont soit strictement encadré le droit de grève, soit mis en place des mécanismes efficaces de dialogue social, soit fait les deux.

Les mécanismes varient évidemment selon les États. Le service minimum existe notamment en Italie, en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Hongrie et en Roumanie. En Italie, l'équilibre entre l'exercice du droit de grève dans les services publics et la continuité de ces mêmes services est fixé par les lois de 1990 et de 2000. La teneur du service minimum est définie par la négociation collective, une commission indépendante exerçant une fonction d'arbitrage. J'observe que la loi de 2000 a été adoptée sous un gouvernement de gauche, celui de M. Massimo d'Alema, ancien dirigeant du Parti communiste italien (Interruptions sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

En Espagne, des négociations entre l'entreprise et les syndicats interviennent après le dépôt d'un préavis de grève. Certaines dispositions permettent de prendre les mesures nécessaires aux services essentiels. L’autorité compétente pour organiser le service minimum est, selon les cas, le gouvernement central ou l’autonomie régionale.

Dans les pays où, comme en Suède, la convention collective règle l'essentiel des relations du travail, les partenaires sociaux s'engagent à ne pas recourir à l'action collective dans les domaines régis par les conventions, et une majorité de ces conventions collectives comprend une clause d'interdiction de la grève ou de toute autre forme d'action susceptible d'être dommageable à la société.

M. Roland Muzeau – C’est le rêve !

M. Pierre Lequiller – Le fonctionnement des services essentiels est donc garanti par des mesures beaucoup plus contraignantes que celles que vous proposez, Monsieur le ministre : le Gouvernement ne nous demande pas d'aller si loin.

M. Roland Muzeau – Pas tout de suite !

M. Pierre Lequiller – Le Royaume-Uni et l'Allemagne illustrent l'autre cas de figure, celui de l'encadrement très strict du droit de grève. En Allemagne, cet encadrement s'inscrit dans un contexte où le dialogue social joue un rôle essentiel.

Au Royaume-Uni, l’Employment Act de 1982 a soumis le déclenchement d'une grève à des procédures strictes : la grève est décidée à la majorité des voix, par un vote par correspondance organisé par les syndicats, et ne peut porter que sur des matières strictement énumérées des relations du travail. Les grèves de solidarité sont interdites. La loi de 2004, votée à l'initiative du gouvernement de Tony Blair, a confirmé le pouvoir de réquisition de l'Exécutif en cas de situation de crise.

S’agissant de la Poste, le Royal Mail Group a mis en place avec le régulateur postal un système de contingentement assurant un service de base, notamment en cas de grève. À l’heure actuelle, les usagers peuvent ainsi connaître sur le site internet de l'opérateur les services assurés pendant la grève décidée les syndicats entre le 25 juillet dernier et le 8 août prochain.

En Allemagne, la grève est un moyen ultime qui ne peut intervenir qu'à épuisement des possibilités de négociation. Plusieurs conditions sont exigées pour la déclencher : échec des négociations antérieurement menées, vote d'une très forte majorité des salariés – 75 % en général –, et interdiction des grèves ne portant pas sur les matières relevant de la négociation collective. Les syndicats versent en outre une indemnité à leurs membres, les jours de grève n'étant pas payés.

M. Roland Muzeau – Où est-ce ?

M. Pierre Lequiller – En Allemagne.

M. Roland Muzeau – J’ai cru que c’était en Corée du Nord ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Lequiller – Enfin, les fonctionnaires n'ont pas le droit de grève. Le problème d'un éventuel service minimum ne se pose donc pas.

Ce bref tour d'horizon permet de constater le pragmatisme du Gouvernement. Il nous propose un dispositif qui a le souci d'une continuité du service, tout en respectant notre modèle social, et qui va dans le sens de ce qui existe dans tous les autres pays européens. Nous avons beaucoup entendu parler d’harmonisation sociale.

M. Roland Muzeau – Par le haut !

M. Pierre Lequiller – Sachons regarder ce qui se fait dans des démocraties tout aussi respectables que la nôtre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Eckert – Ce dangereux projet de loi trompe les salariés comme l’ensemble de nos concitoyens.

Premier rideau de fumée : la loi donnerait des garanties aux usagers lors de conflits sociaux. C’est faux ! Elle se contente d’institutionnaliser les bonnes pratiques de l’alarme sociale, déjà en vigueur à la SNCF ou à la RATP, telles que les clauses négociées entre transporteurs et autorités organisatrices dans les régions. Loin de replacer l’État au cœur du système, elle ne fait qu’imposer aux autorités organisatrices de fixer les priorités en cas de conflit. Croyez-vous que celles-ci ont attendu une loi pour faire de leur mieux en cas de perturbation ? Une nouvelle fois, vous abandonnez à d’autres le soin de gérer les pénuries : c’est la technique de la patate chaude (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Ministre – J’ai démontré le contraire !

M. Christian Eckert – Autre hypocrisie : vous ne réglez pas les conflits interprofessionnels ou spontanés.

M. le Ministre – Que proposez-vous ?

M. Christian Eckert – Ainsi, il est illusoire de demander aux départements de choisir des élèves à ramasser en priorité : faudra-t-il faire monter le « petit » de sixième et laisser le « grand » de troisième au bord de la route ?

M. le Ministre – Les Français attendent autre chose que vos caricatures !

M. Christian Eckert – D’autre part, le dialogue social ne se décrète pas. La règle des quarante-huit heures, par exemple, ignore le droit des salariés d’apprécier l’évolution de la négociation dans les dernières heures, souvent cruciales. Les pressions de toutes sortes ne manqueront d’ailleurs pas de se répandre pour la contourner.

De même, le référendum sectoriel prévu au bout de huit jours n’aura de valeur que médiatique, et masquera la complexité du dialogue, que l’on ne peut réduire à une si simple alternative.

L’article 9, aggravé par le Sénat, est insultant. Le non-paiement des jours de grève existe déjà dans le code du travail : inutile de le réaffirmer ici. Le premier effet de la grève est d’affecter le porte-monnaie de ceux qui la font.

M. Philippe Vitel – Que dire des gens qu’ils prennent en otage ?

M. Christian Eckert – Or, leurs revenus sont bien plus maigres que ceux des financiers amis de Mme Lagarde qui voyagent en première classe sur l’Eurostar, et aux frais de leur entreprise, encore ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Loin de renforcer le dialogue social, ce texte crée donc de nouvelles sources de contentieux.

En outre, il vise à masquer les dysfonctionnements de nos systèmes de transports, en en reportant la faute sur les mouvements sociaux. Escroquerie ! Chacun sait que la grève ne provoque qu’une part infime des perturbations, et qu’au contraire, les économies de bouts de chandelle et les compressions de personnels en provoquent l’essentiel ! (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe UMP)

Davantage de remplacements, moins de guichets, des matériels obsolètes et des services réduits : voilà pourquoi les usagers ne supportent plus la grève, tout en en reconnaissant souvent le bien-fondé.

M. Philippe Vitel – Vous voulez parler des RER de la région Île-de-France, dirigée par les socialistes ?

M. Christian Eckert – Même sur de nouveaux services, comme le TGV-Est, les besoins ont été sous-estimés : l’attente au guichet est interminable, les tarifs exorbitants. Les moins pressés et les moins fortunés, eux, réclament en vain la remise en service de quelques trains Corail.

Votre politique des transports n’est pas à la hauteur du défi qu’il nous faut relever, entre réchauffement climatique et raréfaction du pétrole. Les 100 millions d’euros annoncés précipitamment par Mme Idrac sont dérisoires. Votre texte n’est qu’une opération médiatique, qui concerne 3 % des perturbations et ignore l’essentiel du problème. Présentée au cœur de l’été…

M. le Ministre – Elle a été présentée au printemps !

M. Christian Eckert – …cette loi est inapplicable et populiste. Elle oppose les Français entre eux et dessert la qualité de nos services publics. Les syndicats appellent à manifester contre elle, les autorités organisatrices et les petites entreprises y sont réticentes.

Élu du bassin ferrifère de la Meurthe-et-Moselle, je me souviens des mineurs de Trieux, commune dont je suis aujourd’hui le maire, qui firent 79 jours de grève en 1963. Occupant le fond de la mine jusqu’à la veille de Noël, laissant femmes et enfants à la surface, sans salaire et vivant de la solidarité du bassin et d’au-delà, ces gars défendaient leur travail, leur dignité, leur avenir. Beaucoup sont morts trop tôt, les poumons rongés par la sidérose ou l’amiante.

M. Philippe Vitel – Aucun rapport !

M. Christian Eckert – À deux cents mètres sous terre, ils ont vécu près de trois mois dans l’obscurité, l’humidité, le froid. Leur licenciement brutal a dévasté leurs familles.

C’était hier. Aujourd’hui, tout député qui votera ce texte inutile, provocateur et démagogue fera injure à leur mémoire (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Prochaine séance ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

© Assemblée nationale